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Documents pour l histoire du français langue étrangère ou seconde Usages et représentations du français hors de France

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50 | 2013

Usages et représentations du français hors de France

25 ans d’études historiques au sein de la SIHFLES (actants, outils, pratiques)

Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer (dir.)

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/dhfles/3649 DOI : 10.4000/dhfles.3649

ISSN : 2221-4038 Éditeur

Société Internationale pour l’Histoire du Français Langue Étrangère ou Seconde Édition imprimée

Date de publication : 1 janvier 2013 ISSN : 0992-7654

Référence électronique

Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer (dir.), Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013, « Usages et représentations du français hors de France » [En ligne], mis en ligne le 01 novembre 2016, consulté le 01 juin 2021. URL : https://

journals.openedition.org/dhfles/3649 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dhfles.3649

Ce document a été généré automatiquement le 1 juin 2021.

© SIHFLES

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NOTE DE LA RÉDACTION

Responsable de l'édition en ligne : Javier Suso López

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SOMMAIRE

Présentation

Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer

5 décembre 1987 - 14 décembre 2012

Gérard Vigner

Une histoire des origines

Daniel Coste

Amitié, utilité, conquête ? Le statut culturel du français entre appropriation et rejet dans la Hollande prémoderne

Willem Frijhoff

Regards sur l’histoire de l’enseignement du français aux Pays-Bas (XVIe-XVIIe siècles)

Pierre Swiggers

Un maître de langues et de pension française dans les Provinces-Unies du XVIIIe siècle, Étienne-Bernard de Villemart (1724-1799)

Madeleine van Strien-Chardonneau et Kees van Strien

Claude de Sainliens, un huguenot bourbonnais au temps de Shakespeare : un résumé très succinct, quelques ajouts et des pistes de recherche

Laurent Berec

Contribution à l’histoire des pratiques de « prononciation » fondées sur les écritures ordinaires

Henri Besse

Le français de l’époque moderne comme objet d’histoire sociale et culturelle : un témoignage personnel

Willem Frijhoff

Recherches en histoire de l’enseignement des langues. Quelle place, quelles méthodes ?

Michel Berré

Allemagne, France, monde arabe : expériences et perspectives d’une jeune chercheuse en histoire croisée

Esther Möller

De la linguistique française à l’histoire de l’enseignement du français

André Chervel

Publications

Gisèle Kahn

La SIHFLES en Espagne : historique des recherches et perspectives

Juan Francisco García Bascuñana et Javier Suso López

L’historiographie de l’enseignement du français langue étrangère en Allemagne. Un abrégé de son évolution

Marcus Reinfried

Une entreprise sur le long terme : les répertoires de manuels utilisés pour l’enseignement du français aux Pays-Bas

Marie-Christine Kok Escalle

Répartition géographique des publications de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde

Karène Sanchez-Summerer

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Présentation

Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer

1 5 décembre 1987 – 14 décembre 2012 : la SIHFLES fête ses 25 ans. Un quart de siècle, c’est un moment à saisir pour mesurer le chemin parcouru mais aussi pour réfléchir sur le chemin à parcourir. C’est l’occasion de s’interroger sur les orientations à prendre, sur les possibilités à saisir quand les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent des outils pour partager les savoirs, connaître et diffuser les archives et effectuer des comparaisons. L’étude des usages et représentations du français hors de France, de l’évolution de l’offre et de la demande de langue française met en lumière des actants, des outils et des pratiques non seulement de l’enseignement / apprentissage du français langue étrangère ou seconde mais aussi de la culture et de l’éducation dans un contexte national ou international.

2 C’est pourquoi dès ses origines, l’interdisciplinarité a été au cœur de la SIHFLES où se rencontrent linguistes, historiens et historiens de la langue et de la linguistique, de l’enseignement, des religions, de la culture car « le marché linguistique est essentiellement un marché social et culturel » (Frijhoff). Souhaitons que cet aspect de rencontres disciplinaires se renforce au sein de la SIHFLES, grâce aux échanges et projets communs avec des équipes qui travaillent dans le monde anglophone (AHRC1), dans l’univers des langues orientales (INALCO/PLIDAM2, SOAS3) et dans la francophonie (CIEF4).

3 Un peu d’histoire...

4 En juin 1998, le numéro 21 de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou secondedirigé par Daniel Coste, Herbert Christ et Nadia Minerva, les trois premiers présidents de la SIHFLES, marquait les 10 ans de cette association et offrait en hommage à André Reboullet, non seulement des réflexions sur le travail de l’historien en histoire du FLE/FLES et un éventail d’articles géographiquement situés, de Malte à la Lituanie, en passant par la Suisse, Chypre et l’Allemagne, soulignant le rayonnement de la SIHFLES, mais aussi un regard sur « l’homme de dialogue » qu’était Reboullet. Et le

« quatre-vingt-dix-neuvième dialogue à la manière de Pierre Marin, précepteur des petits Bataves, par Guillaume, sieur de Librecourt, Dédié au Sieur André Reboullet, marquis de Lhomond, mousquetaire au régiment de la Lingua Franca, ancien commandant de la Troupe Joyeuse du FLES », composé de façon fine et ludique par Willem Frijhoff, met en scène,

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derrière les personnages, les domaines d’études de la SIHFLES et l’intérêt pour les maîtres de langues, les outils d’apprentissage que sont les dialogues et les manuels, la représentation des langues et leur usage en contexte.

5 En cette même année 1998, un numéro spécial du français dans le monde. Recherches et applications, coordonné par Willem Frijhoff et André Reboullet, mis en scène dans le dialogue cité ci-dessus, fait le point sur l’« histoire de la diffusion et de l’enseignement du français dans le monde », avec une bibliographie générale de base comprenant 13 ouvrages (p. 192), et une vingtaine de micro-biographies de maîtres de français qui, du moyen-âge au XVIIIe siècle, ont à la fois enseigné et publié (p. 187-191).

6 Quinze ans plus tard, la SIHFLES fête ses 25 ans, commençant avec une publication qui, tout en inaugurant le nouveau titre de la revue Recherches et applications. Le français dans le monde, s’inscrit dans la continuité (no 52, juillet 20125). Ce numéro tente de faire l’état des problèmes, bilans et perspectives de l’histoire internationale de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde, en en considérant les domaines, les enjeux et les approches d’un côté, les acteurs, les contenus et les supports d’enseignement, de l’autre. Saisissant l’occasion de cet anniversaire, les sihflésiens organisent, pour un large public, à Amsterdam6, le 23 novembre 2012, puis à Sèvres7 le 14 décembre 2012, une rencontre où des experts en histoire du FLE/FLES, dont certains étaient présents lors de la fondation de la SIHFLES en décembre 1987, font le point sur les recherches menées depuis 25 ans, mettant en valeur la richesse et la diversité des activités que la SIHFLES a générées.

7 L’essentiel des interventions présentées lors de ces journées, à Amsterdam et à Sèvres, se retrouvent dans les pages de ce numéro 508, numéro du 25e anniversaire. Celles-ci relèvent du registre du témoignage et retracent l’histoire des origines (Gérard Vigner, Daniel Coste), tout en offrant une réflexion sur les recherches menées au sein de la SIHFLES et sur l’implication du chercheur dans son objet de recherche, qu’il soit linguiste (André Chervel), historien de la didactique (Michel Berré), historien de la culture (Willem Frijhoff, Esther Möller). Celles-là concernent plus particulièrement les Pays-Bas, dont la capitale Amsterdam a accueilli la SIHFLES pour proposer à un large public des « regards sur l’histoire du français aux Pays-Bas », aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles ; cette réflexion historique sur la diffusion, la didactique et les enjeux culturels du français est porteuse d’appel à la mémoire pour une société où le français a, pendant des siècles, été langue seconde ou même deuxième langue maternelle et est aujourd’hui fortement déclassé dans la hiérarchie des valeurs internationales. Elle traite du statut culturel du français dans la Hollande prémoderne (Willem Frijhoff), de l’enseignement du français (Pierre Swiggers) et brosse le portrait d’un maître de langues (Madeleine van Strien-Chardonneau & Kees van Strien). A cela s’ajoutent deux études ; l’une porte sur l’enseignement « phonétique » de la prononciation, dans la longue durée, depuis le XVIe siècle (Henri Besse), l’autre montre, en faisant la biographie de Claude de Sainliens, alias Holyband, « le plus célèbre professeur de français huguenot dans l’Angleterre élisabéthaine » (Laurent Berec) comment un actant de l’enseignement du français à l’étranger est au cœur d’appartenances plurielles et de tensions contextuelles.

8 Ce numéro bilan est aussi l’occasion de proposer une bibliographie (Gisèle Kahn) des publications de référence dans le domaine d’étude de la SIHFLES et en particulier des numéros de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, d’une part, de faire le point sur l’historiographie et sur les entreprises en cours d’autre part (Javier

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Finalement, une carte permet de rendre visible la fréquence géographique des recherches menées depuis 25 ans par les sihflésiens.

9 Souhaitons que ce qu’offre ce numéro sera utile pour que les décideurs dans les programmes de formation des enseignants de langue étrangère intègrent l’histoire de la langue en contexte étranger, et en particulier dans les filières universitaires de FLE.

NOTES

1. History of Modern Language Education in the UK & Europe.

http://historyofmfl.weebly.com/index.html

2. Institut national des langues et civilisations orientales, Paris. Pluralité des langues et des identités : didactique, acquisition, médiations.

http://www.inalco.fr/ina_gabarit_rubrique.php3?id_rubrique=1965 3. School of Oriental and African Studies, University of London.

4. Conseil international des études francophones. www.cief.org

5. Ce numéro est coordonné par Marie-Christine Kok Escalle, Nadia Minerva et Marius Reinfried, tous trois (ex) présidents de la SIHFLES.

6. Le colloque s’est tenu à la Maison Descartes, Institut français des Pays-Bas, créé en 1933 à l’initiative de Gustave Cohen et parmi les premiers du réseau d’instituts français à l’étranger. La Maison Descartes accueillera, en 1991, Pierre Bourdieu, premier professeur du Collège de France à donner son enseignement à l’étranger.

7. Dans les locaux du CIEP (Centre international d’études pédagogiques) où s’est aussi tenue, vingt-cinq ans plus tôt, l’assemblée fondatrice de la sihfles en 1987.

8. Manifestement, la publication de deux numéros par an a pu se maintenir au cours des 25 ans.

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5 décembre 1987 - 14 décembre 2012

Gérard Vigner

1 Le temps, ou plutôt le jeu des temporalités, semble s’imposer dans les consciences actuelles. Protestation contre un présent tout puissant qui absorbe tout, aussi bien les perspectives d’avenir que les linéaments d’un passé considéré comme révolu, donc sans incidence sur le présent. « Présentisme » que dénonce, ou au moins met en évidence, l’historien François Hartog ; un présent vécu comme un motif d’enfermement qui condamne les acteurs du contemporain à errer dans un labyrinthe de ponctualités sans issue. Temps inaugural qui voit de la sorte surgir toute nouveauté sans la moindre antériorité annonciatrice. Comme si nous étions entrés dans la fin de l’histoire.

2 Que de grandes considérations me direz-vous pour l’approche de ces bien modestes outils de médiation entre les hommes que sont les méthodes, grandes ou petites, de langue. Méthodes nées de ce besoin, de cette envie de franchir les territoires de sa communauté et qui, à la surprise de bien d’entre nous, proviennent de fort lointains horizons. Ne découvre-t-on pas ainsi que, le XVe siècle n’étant pas encore achevé, un certain William Caxton se préoccupait déjà de donner à son lecteur, anglais, les rudiments d’un échange, empreint de bien des civilités, dans la langue de son interlocuteur, français ?

SALUTATIONS. HOW TO TAKE LEAVE OF FOLK.

Je ne vous vey piecha. « I haue not seen you in longe tyme ». « Jay este longement hors du pays ». « I haue ben longe out of the contre ». « En quel pays? » « In what contre? » « Sire, ce seroit ‘Syre, that shold be Trop a racompter ; Ouermoche for to telle ; Mais sil vous plaist aulcune chose But if you plaise ony thyng Que ie puisse fayre, That I may doo, Commandes le moy Commaunde it me Comme a celuy As to hym Qui volentiers le feroit’. That gladly shall doo it ». « Sire, grand mercy ‘Syre, gramercy De vous courtoyses parolles Of your courtoys wordes Et de vostre bonne volente; And of your good wyll; Dieu le vous mire !’ God reward you ! » « Dieu le me laisse deseruyr! ‘God late me deserue it! Sachies certainement Knowe ye certaynely Que vous ne y estes That ye be not Point engaignies, Nothyng deceyued, Car ce vous feroye ie, For that wold I doo Pour vous et pour les vostres. For you and for youris. A Dieu vous comande. To god I you commaunde. Je prenge congie a vous’ I take leue of you ». (William Caxton 1483 : 51)

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3 De cette exploration des lointains, ne tirerions-nous que cette mise en évidence d’un fonds de permanence, sur la thématique bien rebattue du « tout est dit, et l’on vient trop tard depuis qu’il y a des hommes et qui pensent » ? Un passé qui, à rebours, envelopperait le présent ? Et bien évidemment les historiens de la SIHFLES ne cessent de mettre à jour, qu’il s’agisse d’ouvrages de grammaires, de dictionnaires, de recueils de colloques, de modes d’organisation des cours, de trajectoires de carrières, avec celles de nos maîtres de langue devenus aujourd’hui plus familiers, toutes sortes d’outils, de démarches, d’objets de pensées qui témoignent de l’habileté, de l’ingéniosité de nos ancêtres. Nul progrès dans ces conditions, nulle avancée ? Serait-ce là tout le produit de notre travail ? À quoi peut bien servir l’histoire dans ces conditions ?

4 Les choses sont bien plus subtiles qu’il n’y paraît, et l’on s’en serait bien douté s’agissant d’une matière aussi complexe. Dissiper l’opacité du passé, pour commencer, ce n’est pas rien. C’est même beaucoup, car le présent ainsi éclairé prend un autre profil et permet d’établir un lien différent entre l’ancien et le nouveau. Mais il en va bien plus qu’une simple exploration d’un passé qui s’opposerait de la sorte, très classiquement, au présent. Cette césure que pendant longtemps les historiens ont maintenue se fondait sur une sorte de commodité épistémologique. Seul un passé accompli était accessible à la connaissance. Une autre façon de se mettre à distance du présent, de le dévaluer ou de l’ignorer. Ne peut-on cependant reprendre ces différents points de vue, chacun légitime pour partie, et les inscrire dans une autre approche du travail historique, celle que nous suggérait Marc Bloch, pour lequel l’histoire se devait avant tout d’appréhender l’homme dans sa durée ? Passé et présent repris dans une saisie commune, l’événement et le temps long, les permanences et les évolutions, l’actuel dans la distance historique.

5 Et alors me direz-vous ? Est-il bien dans la vocation de l’histoire de parler du présent ? Son projet n’est-il pas justement de s’éloigner de l’actuel, du hic et nunc ? Eh bien, non ! Faire de l’histoire c’est reconstruire les objets du passé avec les matériaux, les mots d’aujourd’hui, parce que de sourdes résonances existent entre ce passé lointain et les sensibilités qui sont les nôtres aujourd’hui.

6 Tel est bien notre projet, dans la modestie relative de son objet (que pèse en effet l’installation d’écoles congréganistes et leur façon d’enseigner le français dans les pays du Levant face à la tourmente née de la Première Guerre mondiale, à l’effondrement de l’empire ottoman et à toutes les répliques de guerre et de mort qu’il va faire naître ?), mais dans la ferme assurance d’un travail scientifiquement pertinent.

7 À travailler ainsi sur la longue durée, nous avons appris à mieux mesurer le rythme des évolutions, des changements, à mieux situer les points de tensions, d’innovation, à mieux appréhender le rôle joué par les acteurs et les institutions dans ce tissu de plus en plus dense d’échanges par les langues.

8 Telles pouvaient être les réflexions, entre autres, qui parcouraient cette assemblée du 14 décembre dernier lors de la célébration officielle de la création de la SIHFLES, un rappel de travaux et d’engagements inscrits dans une relation différente au temps de l’histoire. Un moment fort, dans la salle de la Grande bibliothèque du CIEP de Sèvres, institution qui avait justement vu naître la SIHFLES un jour de décembre 1987.

Promesse avait été faite de s’engager sur un champ de recherche en ce temps-là encore peu exploré, promesse tenue au-delà de toutes les espérances.

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NOTES

1. Dialogues in French and English, or ‘A book for Travellers’, or A Vocabulary’, by William Caxton, adapted from a Fourteenth-Century Book of Dialogues in French and Flemish, edited from Caxton’s printed text (about 1483), with introduction, notes, and word-lists, by Henry Bradley, M.A. London : published for the Early English Text Society, by Kegan Paul, Trench, Truebner &

Co, ltd. 1900. [http://www.hotfreebooks.com/book/Dialogues-in-French-and-English-William- Caxton.html].

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Une histoire des origines

Daniel Coste

1 Il y a quelque paradoxe à ce que, pour une société travaillant dans le domaine de l’histoire, les origines de sa fondation ne soient documentées que de manière lacunaire.

Certes, la date de l’assemblée constituante de la SIHFLES ne souffre pas de doute. Mais, de cette réunion générale, nul compte rendu analytique disponible. Et le présent signataire, qui fut aussi le premier président de la société, a donc scrupule à indiquer d’emblée que les traces font défaut de la réunion fondatrice et que, comme pour toute histoire des origines, la scène primitive reste en partie mythique1. Cette séance tenue il y a vingt-cinq ans, demandera toutefois qu’on y revienne pour ouvrir une série de rappels ordonnés ici sous quatre intitulés : un lieu de mémoire ; un homme d’affiliations ; un moment pour l’histoire ; un champ en construction.

1. Un lieu de mémoire

2 Ce lieu est celui même où a trouvé place la manifestation marquant le 25e anniversaire de la société, à savoir la Grande bibliothèque du Centre international d’études pédagogiques de Sèvres (désormais CIEP). Le 5 décembre 1987, une cinquantaine de personnes s’y réunissent, ayant répondu à une invitation du BELC (Bureau pour l’enseignement de la langue et de la civilisation françaises à l’étranger), du CIEP, de la revue Le français dans le monde (désormais FDLM), signée respectivement par André Reboullet, ancien directeur-adjoint du BELC et ancien rédacteur en chef de la revue, Francis Debyser, directeur-adjoint du CIEP et ancien directeur du BELC, Jacques Pécheur, rédacteur en chef du FDLM.

3 Entre autres participants à cette séance, des collègues étrangers : Carla Pellandra (université de Bologne), Elisabet Hammar (université de Stockholm), Herbert Christ (université de Giessen), Konrad Schröder (université d’Augsbourg), tous quatre invités par Reboullet en raison de leurs travaux sur l’histoire de l’enseignement du français dans leurs pays respectifs2. Mais, pour Schröder, c’est aussi, plus largement, d’histoire de l’enseignement des langues étrangères (et pas seulement du français) qu’il devrait s’agir, et il le fait valoir dans la discussion relative aux statuts de la future société. Paul Gerbod, historien des relations culturelles et spécialiste du XIXe siècle, André Chervel,

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spécialiste du français et historien de l’éducation, membre de l’équipe de Pierre Caspard à l’INRP3, sont présents, ainsi que Jean-Claude Garreta, directeur de la bibliothèque de l’Arsenal. Nombre des autres participants français appartiennent au domaine du français langue étrangère, mais on manque d’une liste des présents.

4 L’assemblée de décembre avait été précédée d’une réunion préparatoire en juin 1987, au CIEP déjà, réunion « qui a rassemblé des historiens de la littérature, de la langue, de l’éducation, de la culture, des sociologues, des didacticiens, des responsables de revues » (extrait d’une notice dans la revue Reflet, n° 22, p. 60). Et, dans un article programmatique paru dans le n° 208 du FDLM sous le titre « Pour une histoire de l’enseignement du F.L.E. », Reboullet (1987a) avait en quelque sorte précadré les ambitions et le projet d’action de l’association à venir.

5 Comment nommer l’association ? L’intitulé final a été précédé de quelques autres essais qui ne sont pas indifférents quant aux options. Reboullet pensait d’abord à

« Association internationale pour l’histoire de l’enseignement du français à l’étranger ». Et l’assemblée constituante balance entre « association » et « société », entre « français à l’étranger » et « français langue étrangère », entre « français langue étrangère » et « français langue étrangère ou seconde », avant de s’arrêter au titre et au sigle que l’on connaît.

6 Lieu inaugural, le CIEP l’est aussi, entre autres événements, par l’assemblée constituante, en 1968, de l’Association française des professeurs de français (AFPF, rebaptisée ensuite AFEF, Association française des enseignants de français), qui concerne avant tout le français langue maternelle et qui deviendra, en 1969, membre de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), alors tout juste créée. Le rappel que la Grande bibliothèque du CIEP avait vu cette autre fondation n’est pas vraiment éloigné du présent propos dans la mesure où, parmi les initiateurs de l’AFPF, se trouve déjà Reboullet, qui en sera le premier secrétaire général et, jusqu’en 1972, le rédacteur en chef de la revue Le français aujourd’hui4.

7 En bref, dans cette Grande bibliothèque du CIEP, lieu de mémoire à bien des titres et pour bien des acteurs du monde de l’éducation et de la coopération éducative internationale, l’entrepreneur Reboullet n’en est plus tout à fait, en ce mois de décembre 1987, à son coup d’essai.

2. Un homme d’affiliations

8 Homme d’associations, Reboullet est d’abord homme d’affiliations, et cela depuis la création de la revue FDLM en 1961. Pour lui, le projet initial d’une telle revue est bien de mettre en relation les professeurs de français à travers le monde. Il aurait voulu en faire non pas tant un instrument de diffusion culturelle et didactique à partir d’un centre qu’un lieu partagé de parole et d’écrit des enseignants eux-mêmes, pour affilier ces derniers et faire entendre leur diversité afin de mieux promouvoir ce qui les unit.

Mais FDLM dépend pour bonne part des commandes du ministère des Affaires étrangères et la revue, constitutivement liée au BELC, entretient aussi des rapports étroits avec le CRÉDIF (Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français, École normale supérieure de Saint-Cloud). Reboullet ne peut guère se passer du concours rédactionnel de ces centres de recherche et de formation, mais se méfie des méthodologies présentées comme nouvelles et susceptibles de se durcir en

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est au centre souhaiterait faire jouer la périphérie, s’appuie aussi sur l’Alliance française, autre réseau d’affiliations, et maintient de bonne relations avec Marc Blancpain, longtemps secrétaire général de l’Alliance et, comme lui, ancien de l’ENS de Saint-Cloud. En tout état de cause, à l’épreuve, Reboullet doit bien constater qu’il est difficile de susciter des contributions suffisamment diversifiées des enseignants de français étrangers, tant sont variables les conditions de travail d’un pays à l’autre, les moyens à disposition, les expériences de l’écrit.

9 Mais Reboullet est tenace. Le projet qui verra naître la FIPF (cf.ci-dessus, note 4) est pour lui une autre manière de créer du lien et de multiplier et réunir – en principe - des initiatives locales et une dynamique plus polycentrique. Ce n’est pas non plus un hasard si, au moment de quitter la rédaction de la revue FDLM en 1981, il publie le dernier numéro thématique spécial qu’il aura commandé et qui, sous le titre « Des professeurs de français » (Le français dans le monde, 1981) cherche à rendre compte d’une pluralité de témoignages d’enseignants de tous pays et de tous statuts.

10 Il est permis de penser que, faute d’avoir pu donner vraiment la parole aux enseignants à la tâche dans ce vaste espace qu’est censée couvrir une revue du français dans le monde, Reboullet verra dans la création de la SIHFLES un moyen de ressusciter les voix oubliées des maîtres du passé et de relativiser ainsi les modes dominantes du court terme.

11 En somme, dans la trajectoire personnelle de Reboullet, la SIHFLES n’a rien d’un hapax.

Elle répond, sous une nouvelle forme, à une visée ancienne poursuivie avec constance et détermination depuis la conception du FDLM, à travers l’AFPF, la FIPF, voire la première esquisse du dictionnaire pour le professeur de français.

12 Rassembler, mettre en contact, combiner le lien dans l’espace et la filiation dans le temps… et cela, bien au-delà de la fondation de la SIHFLES : dans les dossiers du bureau de Reboullet, figuraient encore, après son décès, des notes manuscrites et des correspondances (en particulier avec Willem Frijhoff) relatives à l’ambitieux projet d’une sorte d’histoire générale des enseignants de français hors de France6.

13 Dans le projet qu’il dresse en 1987 pour la société naissante (Reboullet 1987 ; Besse 2012), Reboullet brasse large et entend que l’on s’intéresse aux contextes, aux publics, aux marchés économiques, aux enjeux institutionnels et politiques, aux diverses catégories d’acteurs ; mais on remarquera que ses propres travaux et contributions, en particulier dans Documents, portent essentiellement sur des figures d’individus, maîtres de langues célèbres ou non, petits agents d’une grande aventure historique.

14 L’originalité de la SIHFLES par rapport aux initiatives antérieures tient bien sûr à ce qu’il s’agit cette fois de recherche7 et que la dimension internationale des participants actifs se situe au niveau universitaire et de manière de plus en plus polycentrée. Non plus mettre en lien des enseignants mais constituer un réseau de chercheurs et les rassembler sur un agenda ambitieux : faire connaître ce qui existe ici ou là et combler peu à peu des lacunes dans la connaissance de ce passé multiforme. L’œuvre de Ferdinand Brunot est restée inachevée, le prolongement que lui a donné Charles Bruneau n’apporte rien à l’exploration du français du dehors. À bien des égards, nombre d’études ponctuelles paraissent ne présenter qu’un intérêt monographique, voire anecdotique ou hagiographique. Bref, il n’est guère difficile de réunir à Sèvres pour le lancement d’une société savante, quelques-uns du petit nombre des chercheurs étrangers d’envergure qui, par leurs acquis et par leurs apports, peuvent animer

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l’œuvre collective dont le programme est tracé, selon les trois axes prolongeant l’œuvre de Brunot : aspects didactiques, aspects linguistiques, aspects sociologiques de l’histoire de ce français du dehors.

15 Avec une certaine austérité et rigueur qu’on dirait volontiers – cliché oblige – protestante, Reboullet le rassembleur ne s’est jamais posé en leader ; en 1987, à 71 ans, il n’entend pas présider l’association qu’il a suscitée. Non pas homme de l’ombre certes, mais médiateur, initiateur, instigateur. Le paradoxe dernier reste que cet homme d’affiliation n’était pas un homme de réunion, un amateur de rassemblements physiques. Il participera très peu aux conseils d’administration, aux assemblées générales et même aux colloques de la SIHFLES. Mi statue du commandeur, mi grand- père ronchon, il ne manquera toutefois pas de se manifester fréquemment par des courriers incitatifs et aiguillonnants. Avant de prendre, l’âge venu, une distance plus résolue, il donnera l’impression de considérer que la société qu’il avait imaginée et fait naître n’était pas tout à fait à la hauteur de ses espérances, manquant d’ambition dans son développement et dans la véritable construction d’un projet de recherche international. Sans doute n’était-il pas assez conscient de ce qu’une société de ce type, même savante et même s’agissant du français, ne peut guère mobiliser de gros bataillons de chercheurs et de doctorants dans un domaine où, même chez les historiens de plein exercice, la reconnaissance universitaire demeure plus que limitée.

3. Un moment pour l’histoire

16 Tout ceci, en France même, ne se passe évidemment pas dans un espace clos ni n’advient du seul fait de la volonté d’un homme. L’histoire est, si l’on peut dire, dans l’air du temps.

17 1974 avait vu la publication, sous la direction de Jacques Le Goff et de Pierre Nora, des trois volumes de Faire de l’histoire. Nouveaux problèmes. Nouvelles approches. Nouveaux objets. Le projet de la SIHFLES pourra, un peu plus d’une dizaine d’années plus tard s’inscrire modestement dans telle ou telle de ces nouveautés. Au cours de ces années 1970 et 1980, histoire et sociologie sont en train de prendre le pas sur la linguistique comme disciplines de référence dans le domaine des sciences humaines et sociales et se renouvellent en effet dans leurs méthodes et leurs objets. Les deux premiers tomes de la série Les lieux de mémoire, dirigée par Pierre Nora, paraissent respectivement en 1984 (La République) et en 1986 (La Nation).

18 À l’INRP, autour de Caspard, le Service d’histoire de l’éducation a été créé en 1977. On a noté plus haut que Chervel, Alain Choppin, Gérard Bodé, chercheurs dans ce Service, suivront de façon intéressée les travaux de la SIHFLES.

19 Dans le domaine même de l’enseignement du français aux étrangers et de la politique de diffusion de la langue et de la culture, divers anniversaires ont donné lieu à publications. La Mission laïque française marque ses 80 ans en 1982 par un volume, Éléments pour une histoire de la Mission laïque française (Bancilhon 1982). En 1983, c’est l’Alliance française qui célèbre son centenaire sous le titre L’Alliance française. Histoire d’une institution (Bruézière 1983). Toujours en 1983, Albert Salon publie L’action culturelle de la France dans le monde, ouvrage issu d’une thèse à dimension historique (Salon, 1983).

À l’occasion du centenaire de l’ENS de Saint-Cloud, une table ronde organisée en 1982 à propos de la diffusion du français après 1945, donne lieu à la parution du volume

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une histoire (Coste (dir.) 1984). Deux thèses d’État ont été soutenues en 1987, qui intéressent directement l’histoire récente du français langue étrangère : celle de Sophie Moirand, portant sur les discours de la revue FDLM et leur évolution (Moirand, 1988) ; celle de Daniel Coste sur la période 1945-1975 et les relations entre linguistique appliquée et français langue étrangère (Coste 1987)8. Quant à l’ouvrage – qui fera date – de Christian Puren, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, il sera publié en 1988 (Puren 1998, [1988]).

20 Dans ce mouvement d’intérêt pour l’histoire plus ou moins contemporaine et à visée plus ou moins réflexive, les travaux scientifiques voisinent avec le commémoratif, l’hagiographique, le récit de vie, mais l’ensemble manifeste bien un goût pour la rétrospection et, sinon toujours de nouveaux problèmes, du moins des approches en partie nouvelles pour de nouveaux objets.

21 Mais si les initiatives prises par Reboullet s’inscrivent à certains égards dans cette mouvance générale, elles ne sauraient s’en tenir à des formes d’histoire à chaud non exemptes du risque de courte vue. À propos des travaux relatifs au français langue étrangère dans sa période la plus récente, Reboullet exerce un humour un peu grinçant : « Histoire certes, mais une histoire dont la période couverte est courte et le champ surtout hexagonal. Nous attendions Braudel et Duby, nous trouvons Lacouture » (Reboullet 1987 : 56).

4. Un champ en constitution

22 Promouvoir un projet d’histoire du français langue étrangère ou seconde n’a pas qu’à voir avec une montée en puissance des sciences historiques. Le français langue étrangère (bien plus que le français langue seconde) s’établit peu à peu dans le champ institutionnel des disciplines et de la reconnaissance universitaire. Chevalier et Encrevé (cf. ci-dessus note 8) connaissent bien les travaux de Pierre Bourdieu et leur contribution à une histoire sociale des sciences du langage se situent indirectement dans ce cadre. C’est aussi en lecteur attentif de Bourdieu que Porcher, qui a été directeur du CRÉDIF et est en 1982 conseiller scientifique du directeur de la Coopération et des Relations internationales au ministère de l’Éducation nationale, impulse, après avoir été rapporteur d’une commission présidée par le recteur Auba (on retrouve le CIEP), la création de filières de français langue étrangère (FLE) : maîtrise et mention de licence dans les universités (Porcher, 1986). Le même Porcher avait créé en 1985 l’ASDIFLE (Association de didactique du français langue étrangère).

23 En 1986, Robert Galisson et Porcher dirigent un numéro de la revue Études de Linguistique Appliquée, titré « Priorité(s) FLE », mais où Galisson présente et défend sa conception d’une didactologie des langues et des cultures (Galisson, 1986) et manifeste ainsi une certaine tension, dans la constitution institutionnelle du champ, entre Français langue étrangère et Didactique des langues (Coste 2013). Les débats, au moment de la création de la SIHFLES quant à l’extension du territoire à explorer (histoire du français langue étrangère et/ou seconde ou, plus largement, des langues, selon le choix de Schröder) ne sont pas sans rapport avec ces problèmes plus généraux de positionnement.

24 Et c’est en 1987, sur ces questionnements, que le CRÉDIF organise le colloque

« Didactique des langues ou didactiques de langues. Transversalités et spécificités », dont le maître d’œuvre est Denis Lehmann et qui réunit des didacticiens et linguistes de

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français langue étrangère, de langues étrangères autres et de français langue maternelle9.

25 En bref, sur quelques années de la décennie 1980, le FLE renforce sa constitution en champ institutionnalisé non seulement autour des centres historiques comme le CRÉDIF ou le BELC ou de la revue LFDM, mais surtout avec la mise en place de filières universitaires de FLE (et non de didactique des langues) et d’associations « dédiées », comme l’ASDIFLE et la SIHFLES.

26 Sans surprise, c’est le français langue étrangère « hexagonal » qui est massivement représenté dans le premier bureau de la SIHFLES :

27 Président : Daniel Coste (CRÉDIF, ENS de Saint-Cloud) ; vice-présidents : André Reboullet (ex BELC et FDLM) et Louis Porcher (UFR de didactique du FLE de l’université Paris 3 et ex CRÉDIF) ; secrétaire général : Claude Olivieri (BELC) ; secrétaire général adjoint : Jacques Pécheur (BELC et LFDM) ; trésorière-adjointe : Gisèle Kahn (CRÉDIF).

Seuls, le trésorier, Roland Desné (spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle) et les deux autres vice-présidents, Jean-Claude Chevalier et Herbert Christ, présentent des profils différents.

28 Quant au premier conseil d’administration, fort de 26 membres (dont 23 Français), il ne compte que 5 femmes (Marie-Hélène Clavères, Elisabet Hammar, Gisèle Kahn, Carla Pellandra, Geneviève Zarate).

29 Un quart de siècle plus tard, en 2012, sur les 29 membres du conseil (dont 4 appartenaient déjà au premier conseil de 1987), 16 sont des femmes et 18 se trouvent hors de France ; 6 (dont 3 retraités) relèvent du domaine de la didactique française du FLE. Sur 10 membres du bureau, 4 sont des femmes, 7 se trouvent hors de France, 2 sont didacticiens « hexagonaux » du FLE. Et sur les 7 président-e-s qui se sont succédé depuis 1987 (dont 2 femmes), seuls 2 sont français et seul le premier relevait du groupe des didacticiens français.

30 Cet énoncé de chiffres serait fastidieux, s’il ne faisait apparaître qu’en 25 ans la SIHFLES, au niveau de ses instances statutaires, a su s’internationaliser et se féminiser plus fortement, tout en se dégageant de l’emprise initiale des tenants de la didactique institutionnelle et « hexagonale » du FLE. Il y aurait là quelques commentaires possibles, mais qui tiennent à une autre histoire…

31 Un lieu, un moment, un champ, de multiples facteurs ont sans doute, autant ou plus que l’action d’un homme, joué à l’origine de la SIHFLES. C’est ce qu’on a essayé de rappeler ici à grands traits. Disons que, voici 25 ans, les temps étaient venus. Encore fallait-il que quelqu’un les accouche.

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NOTES

1. Gisèle Kahn, Évelyne Argaud et Gérard Vigner n’ont retrouvé que quelques notes dans les archives de la société et des copies de notices annonçant ou suivant la création de la SIHFLES. Je tiens à les remercier pour la communication de ces documents, dont certains présents dans la bibliothèque personnelle d’André Reboullet, léguée à la SIHFLES pour les pièces la concernant.

2. Elisabet Hammar et Herbert Christ présentent à cette occasion des exposés qui seront publiés dans le n° 1 de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, en juin 1988.

3. Reboullet avait établi des contacts avec Pierre Caspard, et d’autres chercheurs de cette équipe, tels Alain Choppin et Gérard Bodé, participeront activement à la SIHFLES.

4. Si Reboullet s’est intéressé d’aussi près à la création et à la mise en œuvre de l’AFPF, c’est aussi qu’avec le Belge Louis Philippart, président de la Société belge des professeurs de français, et avec l’appui bienveillant du recteur Jean Auba, directeur du CIEP, il animait ce projet de création d’une fédération internationale des professeurs de français et que, jusqu’en 1968, les professeurs de français langue maternelle ne disposaient pas d’une association susceptible de faire partie d’une telle fédération. On peut aussi noter que, dans le premier bureau de l’AFPF, présidée par Pierre Barbéris, balzacien enseignant à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, figurent aussi Jean-Claude Chevalier et Daniel Coste, que l’on retrouve, vingt ans plus tard, avec Reboullet, dans le premier bureau de la SIHFLES.

5. Autre source peut-être de déception, malgré la réussite durable de l’entreprise : Reboullet avait suscité la réalisation d’un Dictionnaire « pour le professeur de français », qui devait rendre accessible à toutes et tous des revues telles que FDLM et être un vecteur de langage commun.

L’élaboration fut essentiellement le fait de membres du BELC et du CRÉDIF et, quand l’ouvrage paraît enfin, en 1976, il s’intitule Dictionnaire de didactique des langues (Galisson & Coste (dir.) 1976) et constitue au moins autant un geste d’affirmation d’un nouveau domaine disciplinaire qu’un instrument pratique au service des enseignants « de terrain ».

6. Affiliation donc, mais aussi filiation dans la durée. L’année même de création de la SIHFLES, Reboullet publie avec son épouse, à compte d’auteur, une brochure, Six générations de Vivarois et de Bretons (Reboullet & Fichoux-Reboullet 1987), où sont rétablies les lignées et les parentés dont elle, bretonne et lui-même, ardéchois, font partie. Exercice de généalogie à la fois régionale et sociale, où il s’agit de marquer des inscriptions dans des contextes historiques locaux ou bien des parcours d’ascension professionnelle ou encore des effets de mobilité géographique.

7. Le choix académique d’une désignation comme « société » plutôt que « association » (même si cela ne change rien au statut de l’instance) est à cet égard significatif.

8. Toujours dans le même temps, Louis Porcher engage des entretiens avec des acteurs du domaine à propos de leur parcours et de leur vision du domaine : Reboullet et Philippe Greffet (alors secrétaire général de l’Alliance française) sont ainsi enregistrés. Le projet aurait dû être poursuivi par la SIHFLES, mais n’aura pas comme tel de suite, ce que l’on peut regretter. Ces entretiens-témoignages sont autant de ressources pour un travail socio-historique. Chevalier et Pierre Encrevé y ont recours pour leur projet d’histoire sociale de la linguistique (Chevalier &

Encrevé, 1984 ; Chevalier avec Encrevé, 2006).

9. Ces contacts interdidactiques n’aboutiront pas à de véritables rapprochements entre les langues comme le donne aussi à voir la création d’associations différentes à vocation commune

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développement de la recherche en didactique du français langue maternelle) est fondée en 1986 (et devient en 2004 l’AIRDF : Association internationale de recherche en didactique du français).

L’ACEDLE (Association des chercheurs et enseignants-didacticiens des langues étrangères) date de 1989.

RÉSUMÉS

L’assemblée constituante de la Société internationale pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde (SIHFLES) se tient, en 1987, dans un lieu riche d’histoire, le CIEP de Sèvres. Cette fondation est due en particulier à l’action d’André Reboullet qui est aussi à l’origine d’autres initiatives pour rassembler les enseignants de français. Elle s’inscrit dans une période où les études historiques et commémoratives se multiplient et se renouvellent, et dans un contexte où le champ universitaire et associatif du français langue étrangère se développe.

The meeting which created the Société internationale pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde (SIHFLES) took place in 1987 at the CIEP, in France. That creation resulted in part from initiatives taken by André Reboullet, who had already launched several other actions to foster contacts among teachers of French as a foreign language. SIHFLES was founded, at a time of renewal of historical studies in France and of a number of commemorations, in a general context where the field of French as a foreign language was establishing itself firmly in universities and in the associative world.

INDEX

Keywords : SIHFLES, French as a foreign language, A. Reboullet, associations, teachers of French, 1987.

Mots-clés : SIHFLES, français langue étrangère, A. Reboullet, associations, enseignants de français, 1987.

AUTEUR

DANIEL COSTE ENS de Lyon

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Amitié, utilité, conquête ? Le statut culturel du français entre

appropriation et rejet dans la Hollande prémoderne 1

Willem Frijhoff

1. Langue universelle, langue usuelle

1 Dans son célèbre panégyrique de l’universalité de la langue française, écrit en 1782/83 et couronné un an plus tard, en 1784, par l’Académie de Berlin, Antoine de Rivarol (1753-1801) prit grand soin de marquer la supériorité du français sur l’anglais et l’allemand. Sage précaution aux yeux des Néerlandais de l’époque – dont d’ailleurs Rivarol ne fera la connaissance que bien plus tard, au cours de ses pérégrinations d’émigré en 1793/94, suite à la Révolution2. En effet, il rédige son traité au moment même où le français en tant que lingua franca se fait quasi insensiblement battre en brèche, en Europe septentrionale, par des langues concurrentes dans le domaine scientifique et littéraire3. Les littérateurs, philosophes, scientifiques et penseurs politiques allemands et anglais, de Goethe, Herder, Hegel, Schelling et un peu plus tard les Frères Grimm, à William Pitt, Jeremy Bentham, Jonathan Swift et Thomas Paine, sans oublier Benjamin Franklin, Thomas Jefferson ou Washington Irving outremer, faisaient puissamment concurrence à la popularité des écrits français ou francophones de la seconde moitié du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. En dépit des proclamations francophiles du roi de Prusse Frédéric le Grand et de la diffusion généralisée de l’usage du français dans la vie quotidienne des aristocraties cosmopolites de l’Europe, sa position comme langue de communication internationale de la bourgeoisie lettrée, conquise essentiellement sur le latin à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, commençait à se faire grignoter sérieusement dans un nombre croissant de domaines.

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2 À la fin du XVIIIe siècle, les plans d’éducation des écoles primaires et secondaires dressés par les révolutionnaires néerlandais considéraient le français toujours comme une langue d’enseignement équivalente au néerlandais. À telle enseigne que le plan novateur de l’éducation secondaire, rédigé en 1792 par le recteur de collège Gerrit Vatebender (1759-1822) – avant même la Révolution batave de 1794/95 qui devait marquer pour deux décennies un renforcement structurel, mais politiquement fragile, de la position du français – ne prévoyait pas de cours spécifique de français, contrairement aux cours d’anglais, d’allemand, d’italien, de latin, de grec, voire d’hébreu (optionnel, il est vrai). Pour l’enseignant Vatebender, le français était la langue usuelle de l’école ; on se l’appropriait dès l’école élémentaire, et on la perfectionnait au cours d’autres leçons, en particulier pendant les heures de dessin. Le citoyen révolutionnaire n’était-il pas naturellement bilingue franco-néerlandais ?4 Un demi-siècle plus tard, le français a perdu son statut de langue quasi seconde pour devenir une langue étrangère comme les autres, la plus importante des langues modernes, certes, mais sans pouvoir maintenir son ancien statut privilégié. Il est significatif que la première grande école hollandaise de commerce, établie à Amsterdam en 1846 à l’initiative du médecin philanthrope Samuel Sarphati, enseignait pas moins de six langues étrangères, toutes à pied d’égalité. L’ordre reflète leur importance décroissante: français, allemand, anglais, italien, suédois et danois. Mais il n’est plus question d’enseignement en français. Désormais, le néerlandais sera la seule langue usuelle de l’enseignement – jusqu’à ce que l’anglais se profile comme la nouvelle lingua franca depuis les années 1970.

3 La prédominance que le français s’était acquise en Europe à la fin du XVIIIe siècle a inspiré toute une historiographie jubilatoire et universaliste. Sans y regarder de trop près, celle-ci a assimilé le modèle de Rivarol en postulant que par ses qualités imminentes - son ordonnance logique, et sa capacité de rendre les idées dites universelles, bref, en tant que langue de Descartes – le français était en quelque sorte promis de tout temps à son rôle prépondérant, et que seuls les malheurs de l’histoire avaient pu le détrôner par la suite. L’homme ne devrait-il pas se reconnaître naturellement bilingue franco-quelque-chose ? Dans cet effort de synthèse je n’adopterai pas cette position jubilatoire, qui apparaît souvent d’une insupportable arrogance aux yeux des non-Français et fait plus de mal que de bien à la diffusion de la langue, mais celle du praticien indépendant et du consommateur critique. Au lieu d’interroger le français sur ses qualités linguistiques, je le scruterai sur sa valeur d’usage dans un contexte plus global, englobant les domaines culturel, social et politique5.

2. Langue scientifique et langue vulgaire

4 Dès la reprise ou, selon les cas, l’occupation des Pays-Bas septentrionaux par le pouvoir bourguignon au cours du XVe siècle, le français y prend une valeur considérable comme langue d’administration et de socialisation des élites. Un véritable bilinguisme politique et aristocratique s’y développe. Mais il ne faut pas commettre l’erreur de généraliser trop vite en mesurant un pays tout entier au comportement de ses élites, qu’elles soient politiques, administratives ou littéraires. C’est précisément par opposition à cette omniprésence du français dans les sphères du pouvoir que la bourgeoisie montante des XVIe et XVIIe siècles, consciente de sa force dans le nouveau centre économique de

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l’Europe que constituaient les territoires de Flandre, de Brabant, de Zélande et de Hollande, formulait une contre-proposition linguistique : celle de la qualité du néerlandais comme langue de communication littéraire et scientifique, et de ses chances de devenir une nouvelle lingua franca.

5 Soulignons d’abord l’importance contemporaine de ce débat sur la langue scientifique6. Les nouvelles sciences cherchaient un nouvel idiome pour pouvoir s’exprimer adéquatement. Pour reprendre ici un argument courant aux XVIe et XVIIe siècles : les Grecs ont inventé les sciences en parlant leur propre langue, le grec, et le latin était la langue maternelle des Romains - pourquoi donc nous-mêmes parlerions-nous en latin7 ? La renaissance des langues vulgaires et le premier essor du sentiment national un peu partout en Europe, aux XVe et XVIe siècles, avaient favorisé la codification des langues vulgaires et l’élaboration d’idiomes littéraires et scientifiques nationaux. En France, par exemple, Joachim du Bellay (1522-1560) se fait défenseur de l’emploi de la langue vulgaire, sans oublier la Dialectique française de Pierre de La Ramée (Ramus, 1515-1572)8.

6 Aux Pays-Bas, ce fut le Brabançon Johannes Goropius Becanus (1519-1572/73) qui dans ses Origines Antwerpianae afficha dès 1569 sa ferme conviction que le néerlandais [Diets, Duyts] était la langue la plus ancienne du monde, parlée au paradis par Adam et Ève mêmes9. D’ailleurs, Diets était pour lui une contraction de « d’oudst », c’est-à-dire « le plus ancien ». La prospérité ambiante des Pays-Bas, l’essor des sciences exactes, et la haute conjoncture des inventions techniques faisaient naître une demande linguistique que l’esprit de la Renaissance guidait en direction de la langue vulgaire. Ce n’est point le français international qui a assuré le développement de la prospérité en Hollande, ni même le latin, mais bien le néerlandais lui-même.

7 Dans la seconde moitié du XVIe siècle et la première du XVIIe cet orgueil linguistique s’exprime dans la codification grammaticale du néerlandais par Hendrick Laurensz Spiegel (1584) et la publication des premiers dictionnaires par Van den Werve (1553) et Kiliaen (1574) dans le but avoué de créer une langue pure, refusant les mots étrangers ou bâtards empruntés au français ou au latin. Au même moment, l’ingénieur Simon Stevin (1548-1620) développe une argumentation scientifique sur l’excellence du néerlandais. Comme Becanus, il y voit un idiome très ancien, truffé de mots monosyllabiques qui étaient à leur tour faciles à réunir en mots composés utiles pour l’argumentation et la description scientifiques, sans oublier la capacité de la langue néerlandaise d’émouvoir, de passionner. Stevin crée lui-même un nouvel idiome mathématique en langue vulgaire (driehoek, vierkant, evenwijdig, etc.) qui de nos jours est toujours en usage. Rembertus Dodoens [Dodonaeus] en fait de même pour la botanique dans son Cruydt-Boeck ou Herbier (1554) ; son nouveau vocabulaire botanique s’adresse aux laïcs comme aux savants. Bien plus, Stevin aide à établir une académie d’ingénierie en langue néerlandaise, incorporée dans l’université de Leyde, qui allait permettre aux futurs ingénieurs de s’instruire dans la nouvelle langue scientifique qui serait aussi celle de leur travail quotidien. En somme, outre la renaissance du sentiment national et l’affirmation du sens civique, le retour aux langues vulgaires exprimait une volonté de domestication et de démocratisation des sciences et techniques qui ne pouvaient être assurées par les langues importées, français compris.

8 Ces efforts de néerlandisation des arts et des sciences ont rapidement buté sur le poids des institutions internationales, telles que les Églises et l’université, mais aussi sur

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latin avant de passer au français cultivé dans la République des Lettres. Ainsi, les immigrés francophones ont rapidement réussi à imposer à l’Église Réformée un Synode autonome, l’Église wallonne. Quant aux universités, il y avait bien en permanence quelques maîtres de français dans leur orbite, le plus célèbre et influent étant sans doute Jean-Nicolas de Parival (1605-1669) avec son très populaire Délices de la Hollande (1651)10, mais seule l’université frisonne de Franeker ouvrira un siècle plus tard, en 1754, une véritable chaire de français. Significativement, toutefois, le professeur choisi, Jacques Garcin (1720-1796), un Genevois, ancien précepteur et pasteur wallon, prononça sa leçon inaugurale De utilitate linguae gallicae en latin (1757)11. C’est que sa chaire représentait et assurait l’autre filière d’acquisition du français, encore peu étudié, les élites empruntant la voie du latin classique pour apprendre le français, par opposition aux classes moyennes qui apprenaient le français par le truchement de leur langue maternelle, sous la direction de maîtres de langue ou de manuels d’apprentissage. Devant l’évident déclin du latin, Garcin souligne avec ardeur l’utilité du français et son usage universel dans la vie sociale, commerciale, diplomatique et scientifique. Au fur et à mesure que la Hollande affirmait sa place en Europe et développait son réseau international de lettrés, de libraires et de savants, on y montrait effectivement une nette tendance à délaisser le néerlandais au profit de l’une ou l’autre lingua franca universitaire : d’abord le latin, puis, depuis la seconde moitié du XVIIe siècle le français en tant que langue de publication ou de conversation des universitaires, concurrencé vers la fin du XVIIIe siècle par l’allemand, dont l’importance et la diffusion montent en médecine, dans les sciences exactes, dans les lettres et dans les nouvelles sciences humaines, telle que l’ethnologie et l’ethnographie (ou folklore), sciences décisives pour le discours sur l’identité nationale et que la France découvrira sous la Révolution12.

9 En fait, la résistance du latin comme langue universitaire est assez remarquable13. Le français n’a jamais réussi à s’établir en Hollande comme langue d’enseignement universitaire, malgré sa large diffusion dans les élites cultivées, et en dépit du fait que les professeurs et étudiants eux-mêmes écrivaient une partie de leur correspondance en français. Outre un épiphénomène de la vivante tradition humaniste, cette longévité du latin traduit aussi un changement dans son statut éducatif. Vénéré aux XVIe et XVIIe siècles comme la langue d’imitation des grands exemples de l’Antiquité, au XVIIIe le latin, tout comme le grec, passait à un niveau supérieur, moral. Apprécié comme le véhicule idéal des valeurs humanistes que la jeunesse devait assimiler, au XIXe le latin était considéré comme l’instrument privilégié de la Bildung, c’est-à-dire de la haute culture qui forme l’esprit sans présenter une valeur utilitaire immédiate. Il devint donc le rempart éprouvé contre les broodstudiën [les études strictement professionnelles, sans intérêt intellectuel] et contre les nouveautés venant du Sud, entendez la France agnostique, révolutionnaire ou laïque, dont justement la valeur utilitaire était alors fortement accentuée.

10 Tout ceci explique pourquoi le XVIIIe siècle, tout en étant le grand siècle de l’influence française en Europe, ne permettra pas vraiment à la langue française de s’imposer comme la langue scientifique, la lingua franca de l’université. Un ouvrage publié chez Georges Gallet à Amsterdam au tournant du siècle, La rhétorique de l’honnête homme, ou la manière de bien écrire des lettres, de faire toutes sortes de discours, etc. (1700), indique bien le terrain d’usage principalement couvert par la langue française. Elle demeure, en fait, cantonnée dans ses domaines traditionnels : la vie quotidienne des élites, la civilisation de cour et le savoir-vivre, le beau langage, la littérature et l’esthétique, le commerce, le

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tourisme, et la religion des immigrés. Le XVIIIe siècle hollandais connaît en fait un régime trilingue. Pour emprunter les paroles qu’une mère aristocrate, Carolina van Haren, adresse alors à son fils Gijsbert Karel van Hogendorp, le futur homme d’État fondateur du royaume orangiste : on utilise le latin pour les livres, le français pour la politesse et la correspondance, le néerlandais pour la conversation14.

3. Langue commerciale, langue sociale

11 Si le français n’a pas réussi à se tailler la part du lion dans la vie intellectuelle des Pays- Bas, il ne faut pas sous-estimer pour autant son importance dans la formation du jeune Néerlandais d’Ancien Régime. En fait, il importe de distinguer ici entre le français en tant que langue d’usage quotidien, donc de socialisation élémentaire, et en tant que langue de communication internationale, la lingua franca. Le français constitue assez tôt la langue seconde ou même première de plusieurs groupes d’habitants des Provinces- Unies qui l’apprennent par leurs parents, à l’école dite française, avec un maître de langue ou par autodidaxie dans un manuel – tels les réfugiés wallons ou huguenots, les élites cultivées autochtones, les marchands étrangers, la librairie et les intellectuels immigrés – mais ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle que le latin commence vraiment à céder du terrain au français comme langue de communication internationale de la République des Lettres, tout en continuant de se réserver jalousement l’université.

12 Le français usuel des réfugiés reposait sur l’utilité quotidienne de la langue comme symbole et instrument de l’identité du groupe. Au fur et à mesure de leur assimilation, ce français a perdu du terrain dans la communauté globale – malgré l’extension simultanée du français comme lingua franca internationale au sein de la société. Mais il faut bien reconnaître que nous ne savons pas grand-chose de la diffusion réelle et de l’usage concret du français dans la vie quotidienne des Néerlandais d’autrefois. Nous savons un peu de l’offre, mais beaucoup moins de la demande et très peu de la pratique de la langue. Nous connaissons le nombre approximatif de manuels, méthodes, grammaires et dictionnaires français parus en Hollande sous l’Ancien Régime - sans doute quelque 300 éditions au bas mot – et l’existence de nombreuses écoles dites françaises, c’est-à-dire des écoles de commerce et d’arts utiles où le français était la langue usuelle, au moins une dans presque chaque ville ou gros bourg du pays15.

13 Il est vraisemblable – à preuve les remarques aigres-douces de leurs interlocuteurs français – que le français des Hollandais fût presque toujours assez lourd et approximatif, plutôt colloquial que littéraire. Mais nous savons aussi qu’outre les écoles proprement françaises un grand nombre d’écoles élémentaires était dirigé par un maître sachant un minimum de français et s’appliquant à le transmettre lorsque l’occasion se présentait. L’enquête scolaire de 1811 nous apprend ainsi que 15 % des écoles élémentaires étaient tenues par un maître parlant français, les deux tiers des écoles ou pensionnats du niveau secondaire étant de langue française16. Il est probable que ce pourcentage était nettement plus élevé au XVIIe siècle, du moins dans les villes des provinces côtières et commerçantes, où un très grand nombre de maîtres d’école réfugiés des provinces méridionales tenues par le roi d’Espagne s’était établi17.

14 Les titres mêmes des ouvrages utilisés pour l’enseignement du français au début du XVIIe siècle indiquent l’objectif de ces écoles et de l’enseignement des maîtres de langue : De l’office d’une bonne matronne de Gabriel Meurier, La fontaine d’honneur et de

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