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« Ne prester ces cahiers à personne »

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« Ne prester ces cahiers à personne »

La préface aux « Patiniana » de Munich

Jean-Pierre Cavaillé

Nous publions ci-dessous la préface du manuscrit intitulé Patiniana, sive Miscellanea

ex adversariis Guidonis Patini exscripta Parisiis, conservé à la Staatsbibliotek de Munich

sous la côte Cod. Gall. 93 (in 2°, 547 p.)1.

Selon la description très précise que René Pintard fait dans sa seconde thèse de tous les manuscrits se rapportant à ce qu’il est convenu d’appeler les « papiers Patin » ou

« cahiers », ou « mélanges » de Guy Patin (ou encore Patiniana2, et parfois Borboniana, du

nom de l’humaniste et poète latin Nicolas Bourbon, 1574-1644, ami proche et informateur

privilégié de Patin dans les années 1637 et suivantes3, ce manuscrit est par son contenu à peu

près exactement semblable à celui que renferme la Staatsbibliotek de Wiesbaden (ms 77)4. Ils

offrent tous deux, nous dit Pintard (nous n’avons pu consulter en effet le document de

Wiesbaden), le même découpage en 682 rubriques identiques5, ils s’ouvrent par la même

préface et s’achèvent l’un et l’autre par la mention Parisiis, sub initium Anni 1664. Pour la rédaction du manuscrit de Munich, Pintard fait l’hypothèse d’une date fort proche de 1664 ;

peut-être même s’agit-il, selon lui, de l’original, à en juger par les archaïsmes de la graphie6,

qui ont souvent été corrigés par une autre plume7. En quelques endroits, le texte est

abondamment annoté en marge par un érudit du XVIIIe siècle, qui précise, complète et discute

1

Il est indiqué sur la première page : ex Bibli. Palatina Mannh[eim], N° III 666.

2 C’est de cet ensemble de texte qu’ont été tirés les Patiniana et Naudeana imprimés (1701, 1703), dont la

source manuscrite directe n’est cependant pas connue (certaines des notices que l’ouvrage présente sont d’ailleurs absentes des manuscrits conservés). Pour une description approfondie de l’ensemble des manuscrits, voir René Pintard, La Mothe le Vayer, Gassendi, Guy Patin. Études de biographie et de critique suivies de textes inédits de Guy Patin, Paris, Boivin, 1943.

3

Le mot est utilisé par Patin lui-même. Des Borboniana, tirés des papiers de Patin, seront publiés à l’initiative du Président Bouhier (qui d’ailleurs ignora que la composition des textes était due à Patin) en 1751 et 1754 : R. Pintard, La Mothe le Vayer, Gassendi, Guy Patin, op. cit, p. 58.

4 La Mothe le Vayer, Gassendi, Guy Patin, op. cit, p. 47 sq. 5

Le manuscrit de Wiesbaden compte en fait par erreur 685 rubriques, suivant ce que dit R. Pintard, ibid., p. 53

6 Par contre, Pintard nous apprend que le ms. de Wiesbaden porte la mention de 1706 comme date de copie.

Oskar Kristeller considère que tous les manuscrits dont furent très les Naudeana et les Patiniana sont tardifs, mais il ne le démontre pas, et avoue n’avoir vu que les deux manuscrits cités ci-dessus, à Paris et à Vienne, que Pintard tient cependant, et non sans arguments, pour des copies des années 1650-1660. Voir Oskar Kristeller, « The myth of Renaissance Atheism and the French Tradition of Free Thought », Journal of the History of Philosophy, VI, 1968/3, p. 233-243, et confronter avec R. Pintard, La Mothe le Vayer, Gassendi, Guy Patin, op. cit, p. 49-53.

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Comme il était hasardeux parfois de restituer la graphie originale sous les corrections, nous avons transcrit le texte amendé.

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certaines notices, en citant Bayle et d’autres auteurs de la fin du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle.

Dans la page de titre figure, l’indication suivante, au crayon à papier : « il paraît que les notes

marginales sont de la main de l’abbé DesBillon »8

.

Comme Pintard encore l’a fort bien analysé, ce manuscrit contient la transcription et la mise en forme par fragments numérotés, au prix d’un tri drastique, des cahiers de notes du médecin Guy Patin, dont d’autres manuscrits (aucun n’est autographe) offrent des versions autrement plus complètes (en particulier Bibliothèque Nationale, ms. fr. 9730 et Vienne, Staatsbibliothek, cod. Palat. 7071). Cette transcription obéit sans doute au désir de ne conserver que les informations les plus précieuses, sous une forme plus aisément lisible. Il est possible, mais non certain, qu’elle ait été exécutée par la volonté de Guy Patin lui-même en 1664, mais cela n’est pas certain, car la préface, dont la paternité ne fait aucun doute, semble introduire à une matière plus abondante et dispersée (« Tous ces Cahiers, que vous voyez icy, sont un Farrago, un Pot-pourri, et un Ramas, sans aucun ordre »).

Cette préface, en tout cas, ne figure pas dans les autres manuscrits connus qui composent l’ensemble des papiers Patins. Son contenu, dont Pintard dans son ouvrage ne reproduit que la phrase que nous venons de citer, est du plus grand intérêt. Elle nous montre d’abord l’importance que Patin accordait à ses cahiers, initialement constitués de notes prises à la suite, sinon au cours d’entretiens suivis avec ses amis lettrés (Nicolas Bourbon, mais aussi, Gabriel Naudé, Hugo Grotius, etc.). Mais elle manifeste en même temsp les précautions extrêmes de son auteur pour éviter la diffusion du manuscrit. Ces précautions sont fondés sur la conviction du caractère éminemment transgressif de ces cahiers qui, dit-il, touchent à des « points bien libres, et bien délicats, tant du Faict de la Religion, que du Gouvernement des Princes ».

Le texte de la préface est adressé à l’un de ses deux fils, sans doute l’aîné, Robert (mort en 1670), dans lequel il plaça longtemps ses plus grandes espérances. Ces quelques pages sont présentées, solennellement, à leur destinataire comme une manière de « testament » et l’on songe alors immédiatement aux Préceptes particuliers d’un médecin à

son fils, contenus dans le manuscrit de Vienne9. Mais il s’agit ici uniquement d’instructions

concernant l’usage des cahiers de notes : Patin exhorte son fils à les lire et relire, voire à les apprendre par cœur, car ils lui paraissent contenir quantité de choses « qu’il fait bon savoir ». Mais il lui ordonne aussi de ne les divulguer sous aucun prétexte à qui que ce soit. Tout au

8 François-Joseph DesBillons, né en 1711, Jésuite, retiré à Mannheim – d’où provient le manuscrit aujourd’hui

conservé à Munich – après la dissolution de l’ordre. Il y mourut en 1789. Il est surtout connu pour ses fables française à la manière d’Ésope.

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plus concède-t-il qu’il pourrait, éventuellement, les montrer à son frère (sans doute le cadet Charles, né en 1633, bien plus fameux que son aîné), si lui aussi se montrait capable d’en garder la lecture pour lui seul. Patin ajoute qu’il a lui-même commis l’erreur de les prêter séparément à trois de ses amis et qu’il n’a eu qu’à s’en repentir. Deux d’entre eux au moins, comme l’a encore montré R. Pintard, nous sont connus : il s’agit du jeune médecin Hugues le Salin et de Noël Falconet, le fils de son ami et correspondant André Falconet, qui eurent les

fameux cahiers entre les mains, respectivement en 1657 et 165910. Il est étonnant d’ailleurs de

voir ainsi à quel point Patin attribuait à ses cahiers une valeur pédagogique, une vertu de « déniaisement » propre à former l’esprit des jeunes gens (Noël Falconet avait quinze ans en 1659), en même temps qu’il considérait leur diffusion comme une source certaine de très graves ennuis pour leur(s) propriétaire(s). Il dit craindre par-dessus tout les Jésuites, fort maltraités dans ses notes, et qui ne pardonneraient pas même au Christ. Certains de ces textes sont aussi particulièrement durs pour la mémoire du Cardinal de Richelieu. Le « tyran », comme il l’appelle, était certes mort depuis longtemps, mais Patin se fait aussi l’écho de condamnations plus générales des gouvernants, comme par exemple ce mot attribué à Jérémie Ferrier : « Il y a (ce disoit-il) par le monde, environ une vingtaine de Garnemens, qui vont tous habillés de soye, ou de velours, qui sont autant de Maraux. Ce sont les pendards des roys

et Princes souverains. Ha ! que s’il n’estoit point de ces gens là le monde seroit heureux »11.

Le recueil d’extraits, comme l’ensemble des papiers, contient de nombreux traits d’hostilité à l’égard des moines, du clergé, de la théologie (souvent au profit d’une posture radicalement fidéiste). La question de l’immortalité de l’âme ne cesse d’y être mise sur le tapis, comme une chose absolument indémontrable, absente de l’Ancien Testament, etc. Enfin Patin insiste sur le fait que la plupart de ses réflexions ne sont pas de lui, mais de ceux avec qui il a conversé, et il déclare même ne pas les partager toutes, sans néanmoins donner plus de précision.

Ce texte introductif montre, si besoin était, la conscience aiguë que Patin avait du caractère éminemment transgressif de nombreuses pages de ses cahiers ; en même temps, on voit à sa lecture que la peur qu’il avait de leur diffusion n’avait rien d’un cas de conscience, mais était purement pragmatique : il craignait la diffamation et des accusations malveillantes et cherchait à en protéger ses enfants, mais paraissait fort loin de considérer que toutes ces

10 Hugues le Salin vit le manuscrit au début de l’année 1657 (Pintard renvoie à une lettre de Salins datée du 16

décembre 1656 : Bibl. de la fac. de médecine de Paris, ms. 394 [2007], fol. 326) et en tira la copie conservée à la Bibliothèque Nationale, ms. fr. 9730, dont Pintard a montré qu’elle était de sa main. Noël Falconet en prit connaissance en novembre 1659 (À André Faconet, 15 novembre 1659, dans Lettres, éd. J.-H. Réveillé-Parise, Paris, J.B. Baillière, 1846, t. III, p. 162). Voir R. Pintard, La Mothe le Vayer, Gassendi, Guy Patin, op. cit, p. 56.

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impiétés politiques et religieuses étaient dangereuses en elles-mêmes, les jugeant au contraire propres à aiguiser et former l’esprit des jeunes gens.

[1] Praefatio

Mon Fils,

Je parle à vous, comme si c’estoit icy mon Testament. Tous ces Cahiers, que vous voyez icy, sont un Farrago, un Pot-pourri, et un Ramas, sans aucun ordre, de quantité de choses fort différentes, que j’ay apprises, et ay ouï dire, des uns et des autres ; mais, la plus grande par vient de la Conversation, que j’ay eue, durant quelques Années, cum Viro

Clarissimo et doctissimo, Nicolao Borbonio, dans l’Oratoire de Paris. Il y a quantité de

Bons-Mots, qu’il fait bon sçavoir. Il y peut avoir quelque Mescompte, et quelque Fausseté ; mais il y en a peu. La pluspart des Citations y sont vrayes ; car j’ai pris plaisir en les verifiant. Il y a quelques points bien libres, et bien délicats, tant du Faict de la Religion, que du Gouvernement des Princes, qu’il vaudroit mieux bien sçavoir, et les avoir dans l’esprit, que les rédiger par escrit : car, ces choses sont meilleures à taire, qu’à estre divulguées. Je les ay néantmoins écriptes, tant pour moy, que pour Vous. Faites-en vôtre profit : [2] mais ne les montrez jamais à personne, non plus que si elles n’étoient pas écriptes. Ayez-les pour vous ; étudiez-les : lisez-les ; mais, ne dites jamais que vous avez cela en des cahiers, escripts de ma main. Car, enfin, vous vous trouveriés embarassé, et peut-estre obligé de les prester à quelqu’un ; ce que vous ne doivez jamais faire, pas même à votre Frere, si vous ne le jugez fort capable de tout Secret. Néantmoins, si vous pensez, que cela luy serve, ne les luy déniez pas. Si vous y descouvrez quelque Faute, amandez-la sagement. Tout ce que j’y ai dit des Jésuites, croyez-le, comme très vray ; mais ne le dites jamais, que très à propos, de peur de vous charger, à crédit, en vain, et même à votre grand Regret de la Hayne de ces Gens-là, qui ne valent rien, et qui ne pardonneroient pas à Jesus-Christ, s’ils le tenoient, pour avoir de l’Argent, alteri Judae, Mezentii redivivi, Homines perditissimi sint tibi tanquam Etnici et

Publicani12.

J’ay presté quelques-uns de ces Cahiers à trois de mes Amÿs, l’un après l’autre ; mais, je m’en suis tousjours repenty. C’est pourquoy je vous le dis encore [3] un coup : ne les prestez jamais, ny les faites voir à personne : gardez-les pour vous : Habeas tibi et Musis : je vous le répete, et vous le recommande encor un coup. Lisez-les, et les brulez plustost, que de

12

« de nouveaux Judas, des Mezentius ressuscités, les plus irrécupérables des hommes qui se comporteraient avec toi comme des païens et des publicains ».

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les prester jamais à personne. Mais avant que de les bruler, apprenez-les. Il y a là-dedans quelque chose de bon, qui m’a quelque-fois servy extrémement, et qui vous servira bien aussi, si vous en sçavez bien faire votre Profit. Tout ce, qui est là-dedans, n’est pas toujours mon Advis. Ex aliorum sententia interdum locutus sum : sunt mala, sunt quaedam mediocria, sunt

bona multa. Est Egyptus Homerica13. Penser à en faire sagement votre profit. Croyez-moy, et

bene tibi erit ; mais ne prester ces Cahiers à personne.

13

« J’ai parfois parlé à partir des énoncés d’autrui : quelques uns sont mauvais, quelques uns sont moyens, beaucoup sont bons. C’est l’Égypte homérique ». Détournement de Martial, Épigrammes, I, 16 : « sunt bona, sunt quaedam mediocria, sunt mala plura ». Mais la source semble en fait Gabriel Naudé, Bibliographia politica, XI, qui parle de certains ouvrages historiques : « velut Aegyptus Homerica, et bona multa habent, et mala etiam non pauca », éd. Domenico Bosco, Rome, Bulzoni, 1997, p. 178-79.

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