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AUTEURS

2. Perspectives actuelles de recherche

4 Dans les perspectives actuelles de recherche concernant l’enseignement des langues, et en particulier du français, je pense qu’un focus sur les deux pans de cet enseignement – c’est-à-dire sur les enseignants ainsi que sur les enseignés (ce qui est particulièrement important pour les contextes coloniaux dominés par des relations d’asymétrie considérable) est bénéfique et nécessaire. Encore plus souvent que par le passé, nous devons nous efforcer, même si cela demande beaucoup d’efforts culturels, linguistiques et autres, de développer ce double regard. Dans le sens de « l’histoire croisée », cela implique non seulement celui qui enseigne et celui qui est enseigné, mais aussi le chercheur qui les étudie. En effet, notre rôle de chercheur doit toujours être pris en compte parce que, ayant le français comme langue maternelle, langue seconde ou troisième langue, notre relation à cette langue n’est pas sans influence sur notre recherche.

5 Ensuite, je pense que des études comparatives sont très importantes et devraient être développées davantage. En particulier dans le contexte de l’histoire coloniale qui m’intéresse, la comparaison d’initiatives éducatives occidentales et locales, la connaissance de leurs similitudes et différences, mais aussi leurs processus d’adaptation et de rejet réciproques est primordiale pour comprendre les unes et les autres et pour cerner leur rôle central pour des États et sociétés en transformation politique, sociale et culturelle. Cela inclut aussi une approche plurielle des archives à consulter. Comme j’essaie de le faire dans mon nouveau projet de recherche, une exploitation et analyse comparative d’archives européennes et non européennes, religieuses et laïques, publiques et privées ne serait-elle pas un des moyens possibles pour mettre en pratique certains des concepts mis en avant ces dernières années par les théoriciens présentés plus haut ? Par exemple une combinaison des archives françaises et indigènes pourrait aider à faire avancer – ou falsifier – les intentions de l’Entangled History, car peut-être, dans le domaine de l’enseignement des langues par exemple, les impacts des colonies sur la métropole ne sont pas toujours aussi flagrants que l’on aimerait les avoir.Grâce aux nouvelles possibilités offertes par les techniques de l’information et de la communication, davantage de matériel archivistique peut être recueilli et par la suite travaillé de manière comparative. Les nouvelles techniques favorisent un travail en équipe malgré l’éloignement des chercheurs et invitent donc à des projets de coopération dont les résultats peuvent également être présentés sous forme de plateformes interactives, de blogs thématiques ou de publications en ligne qui intègrent des photographies, des documents audiovisuels ou d’une autre nature encore sous-représentée dans les études actuelles.

AUTEUR

ESTHER MÖLLER

Institut d’histoire européenne, Mayence

De la linguistique française à l’histoire de l’enseignement du français

André Chervel

1 Comment passe-t-on de la linguistique française à l’histoire de l’enseignement du français ? C’est à cette question qu’il m’incombe de répondre puisque, dans la présente table ronde, chacun est invité à s’exprimer sur les « trajectoires intellectuelles » qui l’ont amené à s’engager dans l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère ou même, en ce qui me concerne, du français langue maternelle. Comment un professeur de lettres d’un lycée de Marseille recruté, après douze ans dans l’enseignement secondaire, en 1964 à la faculté d’Aix pour diriger des travaux pratiques de grammaire française en vient-il à s’intéresser à l’histoire de l’enseignement du français ? La transition, l’évolution intellectuelle, puis professionnelle, s’est faite à travers l’histoire de la grammaire.Jean Stéfanini dirigeait à Aix la section de linguistique française. C’est lui qui avait été, avec Jean-Claude Chevalier, l’initiateur des recherches et des travaux en histoire de la grammaire. Sa thèse sur la voix pronominale s’ouvrait sur l’exposé de toute la tradition grammaticale qui avait traité le problème depuis le XVIe siècle, et elle est généralement considérée aujourd’hui comme le point de départ des études d’histoire de la grammaire. Le séminaire qu’il ouvre à Aix en 1964, d’abord consacré aux tout récents Éléments de linguistique générale d’André Martinet, s’engage ensuite dans la traduction du De Causis linguae latinae de Jules-César Scaliger (1540), qui fut achevée en quelques années, mais dont il ne put assurer la publication. Il était difficile, auprès de « Stef », comme nous l’appelions, de ne pas prendre le virus de l’histoire.

2 Deux événements universitaires, historiques eux aussi à leur manière, viennent s’imposer fortement dans la situation aixoise. Le premier, c’est la naissance de la

« linguistique française » dans les facultés des lettres au cours des années 1960. Le terme même de « linguistique » était encore très peu utilisé jusque-là dans l’enseignement supérieur. Les témoignages recueillis par Jean-Claude Chevalier et Pierre Encrevé sont éloquents : « On l’appelait la philologie », rappelle Georges Straka,

qui enseignait à Strasbourg ; « nous n’employions même pas le mot. Nous ne le connaissions pas », lance Jean Dubois qui affirme n’avoir entendu parler de Saussure qu’en 1958. La preuve la plus décisive, c’est le changement de sous-titre de la principale revue sur la langue française, créée par Dauzat en 1933, Le Français moderne, Revue consacrée à l’étude de la langue française du XVIe siècle à nos jours. En 1963, elle devient Le Français moderne. Revue de linguistique française. Et en 1967 le certificat auquel nous préparions nos étudiants est rebaptisé à son tour « certificat de linguistique française ».

C’est bien dans les années soixante que se diffuse l’expression de « linguistique française ».

3 Le second événement remarquable est consécutif à Mai 68, même s’il l’avait parfois anticipé : il s’agit de l’extraordinaire bouillonnement qui s’empare du milieu des linguistes et des grammairiens de tout poil dans les facultés des lettres au cours des années 1970. Le structuralisme et les « exercices structuraux » avaient déjà agité les esprits depuis plusieurs années ; et la grammaire générative de Chomsky avait ensuite pénétré en France, à Aix en particulier où Maurice Gross commence à l’enseigner à partir de 1967.

4 Le profond bouleversement de la réflexion théorique ne manque pas d’avoir un effet sur les contenus de l’enseignement primaire et secondaire : comment la grammaire qu’on y enseigne pourrait-elle sortir indemne de toute cette effervescence ? Partout des groupes se créent pour repenser les programmes offerts aux élèves. Une association de professionnels de l’enseignement du français apparaît alors, l’association française des professeurs de français (AFPF), qui deviendra vite l’AFEF (des « enseignants » de français). Et son organe, Le Français aujourd’hui,s’impose rapidement comme l’une des plus notables créations de l’époque, qui a vu naître en dix ans plus de dix périodiques spécialisés dans l’enseignement et la grammaire du français, dont la plupart poursuivent aujourd’hui encore leur publication.