• Aucun résultat trouvé

LES SCIENCES MÉDICALES

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "LES SCIENCES MÉDICALES"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

P A U L E F O U G È R E

LES SCIENCES MÉDICALES

Joseph-Bienaimé Caventou, découvreur de la quinine

Il y avait autrefois, dans le haut du boulevard Saint-Michel, face à l'entrée de la rue Michelet qui plonge vers les Ecoles, deux hommes de bronze dus au sculpteur Poisson. Vers 1940, l'armée d'occupation les récupéra avec beaucoup d'autres pour les faire fondre. Seule demeurait jusqu'à ces derniers temps une forme blanche allongée dont le bras se tendait nostalgiquement dans la direction des socles vides. Ses compagnons disparus, la femme continuait de commémorer à elle seule une découverte qui a été plus profitable à l'humanité que bien des trouvailles éclatantes : la décou- verte de la quinine. Aujourd'hui, la gisante qui réclamait le précieux remède est allée rejoindre ses inventeurs, Pelletier et Caventou, dans le néant où trébuchent parfois les effigies des grands de ce monde.

L'art n'y perd pas tellement.

Quant au souvenir, plus vivace que le bronze et la pierre, il ressuscite cette année l'un des deux savants qu'on avait coutume d'associer. Joseph-Bienaimé Caventou fera parler de lui au cimetière de Saint-Mandé où, depuis le 5 mai 1877, il est inhumé. Plus que sa mort, sa vie retient l'attention. Elle parcourt des routes jalonnées de relais fleuris. Car notre pharmacien n'a pas seulement découvert les principes actifs de l'écorce de quinquina. Successivement, les lianes des pays chauds, la noix vomique, la fausse angusture, la cévadille, lui ont livré le secret de leur pouvoir. Et les noms de strychnine, vératrine, brucine, dont i l baptisa les alcaloïdes de ces végétaux, ont pris rang parmi les mots de passe de la médecine moderne.

Caventou naquit

en 1795 à Saint-Omer où

son

père déjà

était

apothicaire. Avec lui, de bonne heure, i l s'initia au maniement du pilon. Puis il s'engagea dans l'armée. C'était, semble-t-il, au moment des Cent-Jours, et sa carrière militaire fut de courte durée. Le voilà

(2)

à vingt ans, poursuivant ses études à Paris. Il vient de passer avec succès le premier concours de l'internat en pharmacie des hôpitaux lorsqu'il rencontre Pelletier, son aîné de plusieurs années, chercheur infatigable et heureux. Pelletier s'est fait remarquer très tôt par ses travaux sur les matières colorantes naturelles, et en particulier le pigment qui donne aux végétaux leur couleur verte. Il nomme ce pigment chlorophylle. Il possède rue Jacob une officine qui assure son indépendance matérielle et dans le laboratoire de laquelle Caventou ne tardera pas à venir participer à ses travaux. Caventou, de son côté, avait remis de l'ordre dans la nomenclature chimique, en suivant la classification de Thénard. Ainsi, se complétant admi- rablement, l'un plutôt botaniste, et le second porté sur la chimie, ils vont accomplir ensemble une œuvre féconde à la découverte des alcaloïdes qui donnent aux végétaux action et personnalité.

Dés 1818, ils réussirent à isoler de la fève de Saint-Ignace (de Saint-Omer à Saint-Mandé et Saint-Michel, en passant par Saint- Ignace, ils avaient tout le paradis avec eux !) et de la noix vomique un alcaloïde qu'ils décidèrent de nommer vauqueline, en l'honneur de leur illustre confrère et contemporain Nicolas Vauquelin qui avait eu le courage d'affirmer qu'il existait des bases organiques dans les plantes, à une époque où l'on croyait fermement qu'elles ne renfermaient que des acides ou des sels neutres. Nos pharmaciens avaient compté sans les commissaires de l'Académie des sciences qui, estimant « qu'un nom chéri ne pouvait être appliqué à un principe malfaisant», les forcèrent à rebaptiser l'enfant. Cette poudre blanche, de saveur excessivement amère, et qui produit à faible dose sur l'organisme des effets foudroyants est la substance active du curare, pâte végétale qu'employaient les Indiens pour empoisonner leurs flèches. Elle se rencontre dans toutes les lianes de la famille des strychnées. On l'appela strychnine.

L a curarisation qui paralysait les bêtes sauvages agit en inhi- bant la dépolarisation des muscles qui, sous son influence, se pren- nent progressivement. Avec les précautions que l'on imagine, elle a été utilisée pour endormir les humains avant une opération, en asso- ciation avec des anesthésiques (éther, penthiobarbital). Par ailleurs, la strychnine est le plus puissant des médicaments tétanisants. Son action excitatrice sur la moelle épinière et sur les nerfs moteurs la rend efficace dans certaines paralysies. Son pouvoir sur les fibres lisses en fait un remède aux atonies digestives. Mais elle est redou- table et ne peut s'employer qu'au milligramme.

En attendant, forts de leur découverte, nos amis tirent des prin- cipes généraux de ce cas particulier :

« Les végétaux, déclarent-ils, doivent leurs propriétés médica- les aux matériaux immédiats qui les constituent ; les végétaux d'une

(3)

L E S S C I E N C E S M É D I C A L E S 459

même famille contiennent le plus souvent les mêmes matériaux ou principes immédiats ; la propriété médicale caractéristique dans chaque végétal est principalement due à l'un de ces corps ; l'intensi- té de cette propriété est proportionnelle à la quantité du principe qui la détermine, et, si ce principe vient à manquer dans une espèce, la propriété médicale caractéristique de la famille manque avec lui. » C'est conclure un peu hâtivement. Mais chacun sait qu'en matière d'inventions les demi-vérités, fort stimulantes, conduisent à l'illumi- nation.

L'année suivante, en 1819, ils annoncent à l'Académie qu'ils ont trouvé une nouvelle base salifiable organique, extraite de la fausse angusture ou écorce du vomiquier, arbre tropical qui leur avait préalablement fourni la noix vomique. Cet alcaloïde sera la brucine. Sans doute la mémoire de l'explorateur James Bruce demandait-elle moins de ménagements que celle de Vauquelin, car leur choix est ratifié. L a brucine, qu'on a par la suite identifiée comme la diméthoxystrychnine, a des effets comparables à ceux de la strychnine, avec une toxicité atténuée.

Quelques mois plus tard, les colchicacées sont étudiées à leur tour. Troisième succès. Incapables de résister aux sollicitations de la science, l'hellébore blanc et le colchique automnal aux noms gracieux libèrent un nouvel alcaloïde, la vératrine. Vaso-dilatatrice et hypotensive, elle pourra un jour prendre sa place dans le traite- ment de l'hypertension.

Après cette rapide incursion dans notre flore, les insatiables reviennent aux arbres exotiques avec le quinquina. Leur premier Mémoire sur les quinquinas est conservé aux archives de l'Acadé- mie des sciences. Il compte soixante et une pages d'un texte dense.

Ayant rappelé les travaux de leurs devanciers qui n'avaient guère abouti, Pelletier et Caventou expliquent comment ils soumirent successivement à l'analyse des écorces de quinquina gris, de quin- quina jaune et de quinquina rouge. Ils démontrent que dans chacun des échantillons le principe actif est la base salifiable : cinchonine pour le premier, quinine pour le second, mélange de quinine et de cinchonine dans le dernier. Légère erreur qu'ils rectifieront ensuite, reconnaissant que chacune des espèces de quinquina renferme l'un et l'autre des alcaloïdes en proportions variables. Peu importe. La bombe est lancée. L a quinine existe.

Heureux temps où naissent dans les éprouvettes des corps inédits qui réclament un état civil ! Une fois encore, Caventou aura failli commettre un impair en exprimant son désir d'appeler berthol- line l'alcaloïde extrait du quinquina. C'était par déférence au méde- cin Berthollet qui s'était intéressé à la question. Le praticien lui- même se récuse, comme nous l'apprend une lettre qui fut publiée en

(4)

décembre 1934 par M . Lemay dans la Revue d'histoire de la phar- macie. « Je suis bien sensible, dit Berthollet, à l'honneur que vous avez voulu me faire en donnant mon nom à la substance que vous avez découverte, mais je trouve beaucoup plus convenable de tirer son nom ou du végétal qui la fournit, ou de quelques-unes de ses propriétés. C'est ainsi que le nom de vauqueline n'a point été admis et qu'on lui a substitué celui de strychnine ; je vous prie donc de faire ce changement. »

La quinine est promise à de hautes destinées. On exagère à peine en disant qu'il faudrait récrire l'histoire si le génie inventif des hommes avait précipité son avènement. Alexandre ne serait pas mort prématurément, ni Trajan, ni Dante, sans parler des autres. L a face du monde était changée. Cependant, les vertus fébrifuges du quinquina furent connues au xvi* siècle en Europe où il avait été introduit. A u siècle suivant, la « poudre des jésuites » avait une solide réputation. La formule en avait été rapportée du Pérou par des moines missionnaires qui la gardèrent longtemps secrète. On ne trouvait donc pas cette drogue dans le commerce, et puisque par ailleurs on devait en absorber de sérieuses doses pour obtenir un effet durable, elle ne devint jamais populaire. Après 1820 et la découverte de la quinine, on comprit que seules étaient bonnes dans cette mixture les bases végétales susceptibles d'être isolées et préci- pitées par l'acide sulfurique en cristaux blancs.

On a prétendu que la découverte de la quinine avait eu une action aussi décisive que la force de notre armée sur la conquête de nos défuntes colonies. Ce fut l'arme de persuasion. Lors de la prise du Sénégal, Faidherbe dut cacher à ses troupes qu'il manquait de ce remède souverain, et n'ordonner la marche en avant qu'après en avoir reçu. Lyautey et Gallieni. grâce à leur génie militaire sans doute, et aussi grâce à la quinine, purent mener à bien une tâche qui s'annonçait ardue. Bientôt les médecins civils joignirent leurs voix à celles des soldats pour vanter l'étonnante drogue qui permettait de vivre sans inconvénient sous des climats excessifs, dans des contrées marécageuses infestées de malaria.

Certains en firent un usage abusif, tel ce fameux Bazire dont Réveillon conte la sombre aventure dans le Répertoire des sciences médicales. Bazire, médecin de campagne, avait une confiance aveu- gle dans le sulfate de quinine qu'il distribuait autour de lui. Sa femme étant tombée malade d'une fièvre intermittente, il crut néces- saire de lui en administrer des doses massives, si bien que la

malheureuse en devint presque sourde et aveugle. Elle n'était pas encore rétablie qu'il dut s'aliter à son tour, frappé de la contagion.

Sur sa propre personne, il décida d'agir avec la plus grande énergie.

Il râlait quand Réveillon fut appelé dix jours plus tard à son chevet.

(5)

L E S S C I E N C E S M É D I C A L E S 461

et rien ne put le sauver. Sa femme, précise l'auteur, « ne dut la vie qu'à la maladie de son mari, qui se trouva hors d'état de lui donner des secours ; mais sa convalescence fut extrêmement longue... »

L'anecdocte n'infirme en rien la valeur exemplaire de la quinine dont on connut mieux la posologie après cette aventure. Aujour- d'hui, les médecins obtiennent toujours des miracles par son interces- sion. Ils l'emploient sous forme de sulfate, chlorhydrate ou bromhy- drate comme antipyrétique dans les fièvres grippales, comme ocyto- cique pour hâter les accouchements, comme amer stomachique et en médecine vasculaire. On a songé un moment à l'essayer contre le cancer. Pourtant, la propriété qu'elle possède de détruire les schi- zontes des hématozoaires est la plus universellement reconnue. «La quinine a été, est et restera la médication héroïque du paludisme », a déclaré Léon Binet. Pendant cent ans, elle en fut l'unique thérapeuti- que.

Revenons à nos héros qui, d'abord, préparèrent la quinine dans le laboratoire de la pharmacie de la rue Jacob. L a demande augmen- tant rapidement, Pelletier s'associa à Jean-Baptiste Berthemot pour fonder la première usine à Neuilly, dans une dépendance de l'habita- tion royale de L a Planchette. Cependant, les inventeurs, qui songeaient davantage au bien de l'humanité qu'à leur propre intérêt, avaient publié leurs formules, ce qui permit à d'autres fabriques de se créer. En sorte que, six ans après la découverte dont nous avons parlé, l'usine de Pelletier à L a Planchette et celle de Levaillant à Ménilmontant traitaient à elles deux cent soixante tonnes d'écorce de quinquina, qui donnaient environ 60.000 onces de sulfate de quinine. Ces chiffres ont été fournis par Pelletier et Caventou dans le rapport qu'ils adressèrent le 26 février 1827 à l'Académie des scien- ces pour poser leur candidature au prix Montyon, qui leur fut accor- dé. Plus tard, Pelletier, qui s'était décidément tourné vers l'industrie, fonda la Société Pelletier, Delondre et Levaillant. Caventou avait préféré se retirer des affaires et toucher une rente substantielle qui lui fut servie jusqu'à sa mort.

Celle-ci ne vint pas tout de suite. Peut-être en récompense de sa sagesse qui l'avait éloigné du théâtre fiévreux des opérations rela- tives à la quinine, Caventou survécut trente-cinq ans à son ami. Il put cueillir quelques lauriers. Revenant à ses premières amours, il avait inauguré en 1826 le cours de chimie organique dans l'Ecole de pharmacie qui venait d'être créée. Puis il y occupa la première chaire de toxicologie. Ses travaux l'avaient amené dans la familia- rité de tant de poisons que personne ne connaissait mieux que lui leurs effets funestes, ni la manière de les neutraliser. Il s'éteignit à quatre-vingt-deux ans. Il avait été marié et laissait des enfants sur la destinée desquels l'histoire ne s'est pas appesantie.

(6)

II laissait aussi un grand nombre de notes, la plupart rédigées en collaboration avec Pelletier : Notice sur la matière verte des feuil- les, un Examen critique de la cochenille, ce petit animal qui pullule sur les cactus et dont on tire par écrasement un colorant rouge ;

Recherches sur l'action qu'exerce l'acide nitrique sur la matière nacrée des calculs biliaires humains ; Recherches sur les propriétés chimiques et médicales de la racine de kahinça ; Sur les eaux minéra- les et l'établissement de Bagnères-de-Luchon, etc. Autant d'analyses qui témoignent de l'extrême souplesse de son esprit.

Le 5 mai, à Saint-Mandé, une cérémonie du souvenir réunira des fervents autour de cette tombe glorieuse. Que tous ceux qui ont, un jour ou l'autre, éprouvé les bienfaits de la quinine les rejoignent par la pensée !

P A U L E F O U G È R E

1, P L A C E V E N D Ô M E P A R I S 2 6 0 - 3 0 - 7 6

Références

Documents relatifs

L e IV ème Congrès international des sciences médicales de Madagascar s'est déroulé du 16 au 18 avril 1998 à l'initiative de la Société des sciences médicales de Madagascar

REPRÉSENTATION DUALE DE LA DÉMARCHE SCIENTIFIQUE.. LA

Cependant, toutes les couleurs du spectre sont inclu- ses dans l'espace visible.. S i bien qu'en frappant notre rétine les rayons nous apportent des visions diversement colorées

Dans le document qu’il remit au Conseil de l’Académie des sciences lors de sa candidature en 1835, Joseph Pelletier établit la liste de ses découvertes (l’équivalent

L a vascularisation du cuir chevelu est assurée par trois branches de la carotide externe : l'artère temporale superfi- cielle, l'artère auriculaire postérieure

( 2 ) 11 est bien entendu que ces chiffres cl ceux qui vont, suivre, ne sont pas donnés même pour u n calcul approché, mais pour fixer -un ordre de grandeur. I") Ce chiffre

Elèves proposés pour le diplôme d'ingénieur-électricien de Vins- iitut de

Guillet signale que : « L'exa- m e n approfondi du bilan technique du Laboratoire d'Essais, pour l'année écoulée, permet de conclure à une marche as- candante des plus