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Urbanographie/urbanologie : les traverses de la fabrique urbaine

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-01711013

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Submitted on 16 Feb 2018

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Laurent Devisme

To cite this version:

Laurent Devisme. Urbanographie/urbanologie : les traverses de la fabrique urbaine. Architecture, aménagement de l’espace. ENS Lyon, 2014. �tel-01711013�

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Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches

Urbanographie / urbanologie : Les traverses de la

fabrique urbaine

Laurent Devisme

Tome 1 – Parcours réflexif et promesses

urbanographiques

Présentation et soutenance publique le 08 Décembre 2014 à Lyon

Jury

Marie-Hélène Bacqué, professeure d’urbanisme à l’Université de Paris Ouest

Nanterre La Défense

Pierre Hamel, professeur de sociologie à l’Université de Montréal

Michel Lussault, professeur d’études urbaines à l’ENS Lyon

Olivier Ratouis, professeur d’urbanisme à l’Université de Bordeaux

Ola Söderström, professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel

Jean-Yves Toussaint, professeur en aménagement-urbanisme à l’INSA de Lyon

Martin Vanier, professeur de géographie à l’Université de Grenoble

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Urbanographie / Urbanologie : les traverses de la fabrique urbaine

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Urbanographie / Urbanologie : les traverses de la fabrique urbaine

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Remerciements

Je tiens d’abord à remercier les premiers lecteurs de ce travail, membres du jury de soutenance qui ont accepté de procéder à un examen critique de mon dossier en vue de l’habilitation à diriger des recherches : Michel Lussault, tuteur, Marie-Hélène Bacqué, Pierre Hamel, Olivier Ratouis, Jean-Yves Toussaint, Ola Söderström, Martin Vanier.

Davantage encore que la thèse, l’habilitation à diriger des recherches tient d’un ensemble d’expériences et de réflexions qui sont d’ordre collectif. Rédigée toutefois à la première personne du singulier, cette habilitation est imputable à un auteur (qui est donc le seul à engager ici ses propos) certes mais qui ne serait pas auteur sans la contribution d’un nombre important de compagnons de route de cet étrange métier qu’est celui d’enseignant-chercheur. J’espère en outre qu’ils pourront voir résonner et approfondir certaines conceptions de la recherche ainsi que des manières de voir l’urbain dans les pages qui suivent.

Outre les militants des sciences de l’urbain, je tiens à remercier plus particulièrement les membres du laboratoire LAUA de l’ensa Nantes qui, outre d’être d’excellents collègues, sont aussi des chercheurs proches et qui m’ont fait confiance depuis 2006 pour assurer la direction scientifique de ce collectif de recherche urbaine. L’attachement des collectifs est précieux et périlleux. Il ne saurait prendre la place d’individus qui m’ont marqué, avec qui nous avons cheminé et avec qui, souvent, des affaires sont en cours ou à venir. La liste ne peut être exhaustive, les oublis sont inévitables mais je souhaite mentionner : Pascal Amphoux, François Andrieux, Frédéric Barbe, Pierre-Arnaud Barthel, Jérôme Boissonade, Samuel Bordreuil, Anne Bossé, Sandra Breux, Laurent Cailly, Emmanuel Chérel, Paul Cloutour, Renaud Epstein, Fabien Desage, Marc Dumont, Yankel Fijalkow, Marie-Paule Halgand, Romain Lajarge, Amélie Nicolas, Pauline Ouvrard, Thierry Paquot, Elisabeth Pasquier, Gilles Pinson, Elise Roy, Gilles Sénécal, Serge Thibault, Nicolas Tixier, Jean-Louis Violeau.

L’habilitation à diriger des recherches n’est pas seulement redevable à des chercheurs. Je remercie notamment un environnement professionnel stimulant : l’ensa Nantes (et plus particulièrement mes collègues du domaine d’études « la condition métropolitaine » sans oublier les directeurs successifs Philippe Bataille et Christian Dautel), l’équipe pédagogique du master « Villes et Territoires ». Mais aussi le Ministère de la Culture et de la Communication qui m’a accordé un congé pour études et recherches permettant de mener à bien ce travail, l’Institut National pour la Recherche Scientifique qui m’a accueilli comme chercheur invité à Montréal au sein du laboratoire CUCS (Centre Urbanisation Culture Société – salut à sa directrice Claire Poitras). Je remercie également les équipes rédactionnelles et lectrices de Place Publique Nantes (notamment Thierry Guidet), les Annales de la recherche urbaine (Marie-Flore Mattéi), Métropoles : des collectifs éditoriaux qui comptent dans le plaisir de la pratique de la recherche. Un salut de soutien, également, au PUCA – Plan Urbanisme Construction Architecture, organisme incitatif de recherche d’importance.

Mes proches se sont parfois demandés ce que je faisais avec mon « HacheDesairs », « ma vie-mon œuvre », ponctuant fortement des temps nantais mais aussi montréalais et agentols (géographes, à vos cartes !). Je leur dois beaucoup de l’énergie que je mets dans mon travail. Merci donc à Claire, Victor, Anatole et Félix.

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Urbanographie / Urbanologie : les traverses de la fabrique urbaine 7 Sommaire Remerciements……….…5 Introduction……….…9 1 Parcours/positions : ego-urbanologie ... 15

1.1 Une position réaliste-critique dans l’enseignement ... 16

1.2 Les tensions créatrices de la recherche ... 51

1.3 Animer une équipe de recherche ... 79

1.4 Enjeux des pourparlers, plaisir des perméabilités ... 93

1.4.1 Peer review : articles, programmes et colloques ... 93

2 Les traverses de la fabrique urbaine ... 111

2.1 Recherche urbaine ? Arcanes académiques, prisme de l’expérience et ressources des interfaces ... 115

2.2 Des activités à tracer. Perspectives méthodologiques ... 137

2.3 Fabriquer dans le cadrage et la régulation ... 167

2.4 Fabriquer dans l’anticipation et la vision ... 195

2.5 Fabriquer dans le dissensus ... 235

2.6 Fabriquer (dans) le local : performance et cristallisation local/global ... 263

2.7 Conclusion générale ... 287

2.8 Bibliographie ... 299

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On commencerait par cette phrase de Georges Bataille selon laquelle « Tout problème en un certain sens en est un d’emploi du temps. » (L’expérience intérieure, 1943 : 217)...

… Pour déboucher sur ce conseil d’Isaac Joseph : « Ne vous demandez pas ce qu’il y a dans votre tête, dit Gibson, mais dans quoi est-elle. » (La ville sans qualités, 1998) que l’on pourrait actualiser ainsi : « (…) quelque chose s’est déchiré et éclairci en même temps : le refus de passer par l’introspection. Quelque chose alors s’est ouvert, que j’ai conservé. Je me suis calée dans une écriture où je décris tout ce qui se passe. J’ai trouvé une très grande joie dans la description. » (Maylis de Kerangal, entretien à Télérama n°3349, 19 Mars 2014).

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Introduction : un curieux bilan de compétences !

S’il fallait une bannière à cet ensemble, on retiendrait volontiers cette phrase de John Dewey : « Le fermier, le mécanicien, le peintre, le musicien, l’écrivain, le médecin, l’avoué, le commerçant, le capitaine d’industrie, l’administrateur ou le directeur ont constamment à enquêter sur ce qu’il vaut mieux faire ensuite » (Dewey, Logique, théorie de l’enquête, Paris, PUF, 1938-1993, 232-233).

Manière de dédramatiser le moment HDR (que l’on n’a pas attendu pour entrer dans un temps réflexif) et de l’engrammer dans une dynamique de l’enquête qui est loin d’être spécifique aux enseignants-chercheurs ! Aussi faut-il élargir ce que le cadre strict en dit : « En application de l'arrêté ministériel du 25.04.2002, modifiant les arrêtés du 13.07.1995, 13.02.1992, 23.11.1988, « l'habilitation à diriger des recherches sanctionne la reconnaissance du haut niveau scientifique du candidat, du caractère original de sa démarche dans un domaine de la science, de son aptitude à maîtriser une activité de recherche dans un domaine scientifique ou technologique suffisamment large et de sa capacité à encadrer de jeunes chercheurs ».

Outre la dynamique de l’enquête, c’est l’idée d’endurance que l’on peut mettre en avant pour comprendre l’enjeu de l’HDR. C’est en effet un test d’endurance que de procéder à une telle écriture. J’ai couru des sprints, des 400 mètres, quelques 10 kilomètres. J’ai aussi tenu un marathon mais la ligne d’arrivée fut franchie- je me souviens- en 2001. Ce que cela donne treize ans plus tard, c’est ce qui est ici rassemblé, où l’on teste ce que valent différentes expériences, écritures, en nous demandant comment les orienter pour tenir et éviter le burn out1.

Cette HDR est en partie écrite hors les murs, outre-Atlantique, dans un contexte anglo-saxon ayant fortement formaté la plupart des productions scientifiques en sciences sociales dans les dernières décennies. Ce temps de travail a aussi aidé à voir comment je suis situé par le langage : car à une conception nord-américaine plutôt positiviste du langage comme reflet du monde et menant à l’exposé le plus direct possible de la problématique, des terrains et des résultats2 je préfère sûrement laisser se déployer une écriture plus libre, à partir d’un travail certes rigoureux mais qui table sur l’inventivité dans l’écriture elle-même et qui reste toujours attentif aux bords des sciences.

En guise de préalable, il faut mettre en exergue la variété de « l’exercice HDR » selon ce qu’en ont fait plusieurs habilités. Certes, les thèses sont également sujettes à variété, mais elle est plus étendue ici, l’exercice étant loin d’être systématique dans la recherche internationale. Cela s’explique simplement par le

1

C’est l’un des risques principaux de ce métier, sans fond et sans fin. On peut même considérer que les congés sabbatiques servent parfois à la réparation et à la régénération après épuisement ! Mais cela ne saurait émarger à un diagnostic RPS (Risques Psycho-Sociaux) car l’impétrant est seul responsable…

2

C’est évidemment très lapidaire ici. Mais il est frappant de voir se côtoyer aussi bien une expertise qui tire vers les caractéristiques des sciences dures d’une part et le recours à une certaine philosophie française contemporaine (le trio de tête étant sûrement aujourd’hui Derrida – Rancière – Badiou) qui, marquant telle ou telle « radicalité », fait alors l’impasse aux hypothèses scientifiques.

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fait que les auteurs ont mûri – ils s’estiment d’ailleurs aptes à diriger des travaux – et que la plupart sont déjà en poste dans l’enseignement supérieur et la recherche, prenant plus ou moins le temps pour mener à bien une écriture au long cours, tantôt orientée par une promesse de poste de professeur à court terme, tantôt écrite « pour le fun » voire faire le bilan un peu avant la retraite !

Que désigne la variété des énoncés dans les domaines qui me sont familiers ? Plusieurs titres reviennent au croisement de thématiques : représenter et aménager l’espace (J-Y Puyo) / interpréter et aménager (J. Monnet) / Politique et configuration du logement en France (I. Croizé) / Villes et frontières (B. Reitel) / Le projet urbain et les nouvelles temporalités du territoire (C. Parin) / Techniques et environnement urbain (S. Barles) / environnement et fabrication urbaine (T. Souami) / identités et dynamiques territoriales (M-C Fourny) / individus et groupes sociaux dans l’espace (R. Dodier) / laps de temps et espaces mitoyens via des parcours de villes (A. Madoeuf). Les deux thèmes associés s’étendent possiblement à trois : formes urbaines, ségrégation et mobilité en France depuis 1950 (J. Brun). On devine ou on constate chaque fois la mise en avant d’une originalité dans le croisement, illustration également d’une pratique finalement courante de l’interdisciplinarité restreinte (Lepetit, 1995). D’autres titres renvoient davantage à une problématique qui indique un sillon personnel : des professionnels à l’épreuve des politiques urbaines au Maroc (P. Philifert) / L’action publique à l’épreuve de la fragilité normative (C. Dourlens) / Comprendre la ville pour agir sur la ville (D. Desponds) / la délicate essence du social : pour une anthropologie normative de la relation interhumaine (P. Chanial) / fabriquer des territoires. Utopies, modèles et projets (F. Girault) / les architectes et les « années 68 », le corps, l’élite, les pouvoirs (J-L Violeau) / de l’industrie au territoire. Parcours, positions et perspectives de recherche (M. Vanier) / De l’économie d’un parcours à une sociologie des conduites économiques (P. Moulevrier) / Sociologie de l’individu urbanisé (H. Marchal) / Sociologie de la fabrication des espaces (G. Tapie)/ Territorialités en développement. Contribution aux sciences territoriales (R. Lajarge) / Contribution à une sociologie des cultures populaires spatialisées (E. Pasquier).

Le sillon personnel confine parfois à la spécialisation : ainsi de « territoires du hors-quotidien : une géographie culturelle du rapport à l’ailleurs dans les sociétés urbaines contemporaines ; le cas du tourisme sportif de montagne et de nature » (Ph. Bourdeau) ! Un autre registre de titraille renvoie à un énoncé qui met sur la voie d’un essai parce qu’impliquant une tendance sociétale : le gouvernement du changement total (Y. Rumpala) / le retour de l’agriculture dans la ville élargie (M. Poulot) / Réconcilier agriculture et sociétés (P. Caron) / appréhender la ville ; vers une anthropologie de la transformation urbaine (A. de Biase)…

Vue cavalière que celle-ci sûrement, qui prend au sérieux ce qui est le fruit de négociations, d’arrangements, d’un positionnement, d’une stratégie parfois ou d’une tactique… Enoncés révélateurs toutefois d’ambitions et de positionnements. Si l’on y regarde de plus près, le type de travail qu’évoquent les plans des travaux permet de qualifier des registres et des styles. Il peut être question d’un positionnement dans un champ qui semble requérir de nouvelles fondations. Au prisme de certains travaux, il ressort la nécessité de ré envisager les choses, la dynamique de l’exploration appelant une discussion quasi polémique avec des collègues de la discipline. Mais il peut s’agir, plus classiquement, d’une mise en forme de travaux menés mettant en avant la continuité d’investigations, la complémentarité avec les collègues, l’esquisse de typologies, afin de mettre en

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exergue une marque dans un sous-champ (un spécialiste du périurbain par exemple). Enfin, il peut être question d’une montée en généralité à partir d’un balayage des terrains et expériences, terminant par une annonce quasi prophétique : « pour une théorie de… ». Globalement, il s’agit de faire le tour des choses engagées, mettant en avant deux ou trois sillons de recherche et leurs originalités avant d’insister sur une dimension d’un problème : l’enjeu d’une théorie de la fabrication collective des projets par exemple. On voit dans certains cas l’importance de situer son travail en prenant au sérieux l’effet de contexte (travailler à Nantes, ce n’est pas travailler à Lyon ou à Montréal), en mettant en avant des méthodologies originales, aux confins de la littérature et des sciences par exemple, déballer sa bibliothèque aussi bien que s’autobiographier.

L’HDR peut être l’occasion de tracer les échos entre des ouvrages et rapports de recherche, faisant monter une préoccupation sous les auspices de telle grande figure de la sociologie (P. Bourdieu par exemple). Le plan peut ainsi témoigner d’un héritage, d’une association d’activités (recomposer, articuler, expérimenter) avant d’évoquer un plaidoyer pour une pratique impliquée. La structure peut aussi évoquer des passages, l’équivalent de l’indication d’ouvrages charnières ayant fait basculer le champ de recherche et avant de lancer l’impossibilité de faire l’économie d’une nouvelle sous-discipline. On devine bien des coups de force pour articuler ce qui ressemble à différents articles produits, modifiés à la marge et qui donne une cohérence à moindres frais. Enfin (mais cette liste n’a rien d’exhaustive), le mémoire peut formuler des hypothèses, les mettre à l’épreuve de terrains reconsidérés mais mis en filiation (espaces vacants, violents, désirants, concurrents, coopérants), exprimer des enjeux d’aménagement puis des poursuites problématiques.

On pourrait encore traquer les manières dont les locuteurs sont identifiés (je/nous), la place des néologismes mais alors on s’engagerait dans une enquête épistémologique qui viserait à qualifier le genre de travail qu’est l’HDR en France dans les années 2010. En l’occurrence, ce n’est pas ce que je me propose de faire puisqu’il s’agit d’abord d’en faire une d’HDR… La mise en abîme a des limites et j’engagerai une structure assez classique pour entrer plus en matière. Structure simple certes mais en même temps « toute science sociale est d’abord une écriture » (Grataloup, 2003 : 22) et c’est aussi ce qui se joue ici.

L’intitulé de cette habilitation : « Urbanographie / urbanologie : les traverses de la fabrique urbaine contemporaine » désigne d’abord un domaine de prédilection, celui de la construction du phénomène urbain, qui passe par des actants, des temporalités, des technologies, des interactions aussi bien que des configurations (Devisme, 2000). La première partie du titre désigne quant à elle deux idées fortes : la pratique de la transdisciplinarité d’une part, quitte à suggérer un continent délibérément non fragmenté (les sciences sociales de l’espace nécessitant de cultiver les passerelles entre les disciplines, à l’image de ce que font les études urbaines dans le monde anglo-saxon) et l’enjeu du couplage de la graphie et du logos : impossible de ne plus faire de terrain, impossible de ne plus cultiver la dynamique du champ scientifique et ses controverses, il faut procéder aux deux activités en récusant ce genre de division du travail. Comme l’écrit Daniel Cefaï : « L’enquêteur, tout en s’impliquant à la première personne, apprend à se voir à la deuxième et à la troisième personne. (…) (L’enquêteur) est un point d’intersection entre différents cercles, cliques ou réseaux, un carrefour mobile entre différents groupes de référence, collectifs d’appartenance par la naissance, rejoints

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par obligation ou choisis par association, où à chaque fois, il est l’objet d’évaluations, de commérages et de ragots. » (Cefaï, 2003 : 567).

Le dossier en vue de cette habilitation comporte deux tomes. Le premier est fait de deux volets dont l’un consiste en la réflexivité relative à un parcours, permettant de mieux identifier des choix, des positions de recherche et de rendre justice à trois facettes de mon travail : la recherche, l’enseignement et la direction d’un laboratoire. Elle laisse aussi sa place aux effets d’une sensibilité plurielle permettant de qualifier le genre de travailleur intellectuel que je suis devenu et son goût pour le décloisonnement1. S’il est question de la première personne du singulier, je propose aussi de passer du temps en compagnie de collectifs et d’institutions. L’après-thèse a en effet été plutôt caractérisée par de nombreuses implications collectives, quittant rapidement la figure de la solitude du rameur de fond pour se rapprocher de celle de l’entrepreneur d’enseignement et de recherche en sciences sociales dans une école d’architecture. Ce volet dégage un certain nombre de postulats qui sont ensuite mis au travail de manière plus prospective et argumentée dans le deuxième volet.

Ce deuxième temps, plus long, désigne un champ de travail, défend des optiques et étaye des promesses au sein des domaines de l’urbanisme et des études urbaines. Il y est principalement question d’une urbanographie qui n’exclut pas une urbanologie et qui fait feu de plusieurs matériaux de recherche de première main afin de proposer à la fois une certaine place du chercheur dans la cité et un domaine de pertinence qu’est celui de l’espace en actions. Ce travail inédit s’appuie en bonne partie sur des matériaux et des analyses produits ces dernières années, notamment à l’occasion de rapports de recherche, nombreux au cours de la dernière décennie. J’y mets l’accent sur des questions à la fois méthodologiques et substantielles, déclinant les facettes d’une fabrique urbaine émergente, cadrée, équipée, figurée, non consensuelle et localisée.

Quant au deuxième tome (volume à part), il reprend d’abord sous forme de liste l’ensemble des publications, communications et rapports de recherche avant d’opérer une sélection, ensuite reproduite, d’articles publiés selon trois grands attracteurs thématiques (« Urbanisme et fabrique urbaine » ; « Expérience urbaine » ; « théories des sciences de l’espace des sociétés »).

Formellement, j’ai cherché à tenir certains « principes », à savoir réserver les notes de bas de page à des compléments et précisions qui ne font pas l’économie de l’ironie ou d’un trait d’humour, renvoyer les références publiées à une bibliographie générale et utiliser régulièrement des encarts qui viennent illustrer, souligner, zoomer, en insérant ce qui peut être vu comme un détail mais qui relève le plus souvent de la caractérisation d’un point de vue, incarne un matériau. On peut voir ces encarts comme des vestibules du texte principal (signaux, tremplins

1 Je peux reprendre à cet égard Julien Gracq - qu’évoque Jean-Louis Violeau dans son Hdr - à propos du bonheur qu’avait pu représenter la formation géographique pour l’écrivain : « en fait, la géographie moderne, sortie du néant depuis une quarantaine d’années à peine, avait l’âge à peu près de la psychanalyse ou de la sociologie. Nulle part le cordon ombilical n’était coupé ; du côté de la géologie, du côté de l’histoire, du côté de l’économie, de la météorologie, de l’agronomie, des sciences politiques même, elle s’alimentait toujours librement. Elle n’était pas entrée dans le règne aride de la mesure et de la quantité (...). Pas de spécialisation absolue ; en fait cette discipline presque neuve ne comptait encore que des généralistes ». (Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, Paris, 1992, p.149).

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d’accès au sens). J’ai également réalisé quelques planches visuelles qui permettent d’incarner des postures ou des méthodes mais aussi de dire autrement les pages qu’elles viennent conclure, entre deux sous-chapitres, sans qu’elles soient pour autant systématiques ou qu’elles engagent un jugement esthétique. Enfin, les crochets abritant des références renvoient au volume des publications retenues dans le cadre de cette habilitation (deuxième tome). Cela permet littéralement d’égrener ce qui est autrement toujours présenté sous forme de liste codifiée et chronologique et dont le principal défaut est qu’elle amène à compter plus qu’à lire. Au contraire, j’invite ici à faire cette lecture du volume des publications ; dans ma relecture critique, j’ai d’ailleurs pu « découvrir » ce que se relire veut dire, moi qui ne prend presque jamais le temps de le faire une fois mes textes publiés alors que je ne manque pas de faire des notes et recensions à propos des livres des autres !

Terminons par une analogie entre cette écriture et un ouvrage de génie civil, qui invite tout simplement à être testé : « Parce qu’un pont, même si on a le désir de le tendre et même si toute œuvre est un pont, depuis et vers quelque chose, n’est pas vraiment un pont tant que les hommes ne le traversent. Un pont, c’est un homme traversant un pont. » (Cortazar, 1973, Libro de Manuel : 32)

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1 Parcours/positions : ego-urbanologie

« Tout ce qui peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.» (L. Wittgenstein, aphorisme du Tractatus logico-philosophicus, 1921-2001, Paris, Gallimard : 31).

La réflexivité relève plutôt de l’exercice permanent que d’un rite de passage. J’ai toujours porté attention, dans cet esprit, aux publications de philosophes, géographes et sociologues mettant sur la table et à l’épreuve leurs propres parcours. C’est vrai de Louis Althusser et son bouleversant L’avenir dure longtemps (1992)1, de Jacques Bouveresse dans ses entretiens avec Jean-Jacques Rosat2, mais aussi de Pierre Bourdieu et son Esquisse pour une auto-analyse (2004). Plus récemment, aussi bien le Retour à Reims (2011) que la société comme verdict (2013) de Didier Eribon m’ont beaucoup touché. Cette sensibilité est probablement explicable par une identification partielle à des conditions de transfuge que ces auteurs ont pu connaître et diversement expliciter3. En rapport à des auteurs théoriciens (plus ou moins) de la ville et du phénomène urbain, j’ai également été attentif à l’essai d’egogéographie de Jacques Lévy (1995), à la publication du journal de thèse de Pascal Nicolas-Le Strat (2009) ainsi qu’au travail de Régine Robin ; l’intérêt est tout aussi grand pour des auteurs qui lient leur histoire et le devenir d’un village dont ils sont issus. Ainsi des anthropologues Pascal Dibie avec le village retrouvé, ethnologie de l’intérieur (1979) ou encore Henri-Pierre Jeudy, un sociologue à la dérive, chronique d’un village (2006). Si l’intérêt de ces démarches tient dans la narration des raisons pratiques à l’œuvre, il est aussi de rendre plus accessible et percutante la formation de tel ou tel concept ou encore les enjeux de tel ou tel combat. Pour ce qui concerne Robin, le fait d’opter pour un site Internet à cet égard, afin de suivre le labyrinthe de ses œuvres (sa « caverne d’Ali Baba »), s’avère au final décevant car elle engage deux « avenues » distinctes à partir de la même entrée de son bureau dans le quartier d’Outremont à Montréal. Si la « branche universitaire » est classique, la seconde avenue « Rivka A » est vue comme une expérimentation autobiographique éclatée sur le Web. Elle est surtout constituée, début 2013, par des textes à contraintes et comporte en tout 5 rubriques : boites de vie, fragments / envois / bistrots / rues, poétique de la ville / autobus 91. On peut donc regretter l’absence de ruelles entre les deux avenues ! Plus facile à dire qu’à faire et plutôt rares sont les textes parvenant à une réelle autobiographie.

Lorsqu’il s’applique à une biographie (partielle, c’est-à-dire sur un temps ramassé), Christian Topalov mène un remarquable travail sur Maurice Halbwachs en Amérique, visant à comprendre les relations entre le touriste et le savant, entre science et observation lors du séjour du sociologue à Chicago à la fin de l’année 1930. Il écrit très justement : « Les savants écrivent des livres, mais ils sont loin de

1

Suivi de Les faits. Autobiographies. Le pluriel a toute son importance dans le sous-titre.

2

Le philosophe et le réel, Paris, Hachette, 1998 et notamment le chapitre 3, intitulé « Itinéraire du Jura au Quartier latin » et le suivant « le temps des choix ».

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ne faire que cela, et le reste de ce qu’ils font permet de mieux comprendre leurs livres. L’œuvre écrite peut alors être considérée comme constituée des traces de pratiques savantes – qui ne se résument nullement dans l’écriture ou « la pensée » - mais aussi de pratiques sociales plus communes – au double sens de « partagées » et « ordinaires » » (Topalov, 2012 : 73). C’est plutôt avec un tel esprit que je livre ici un parcours et les positions qui le ponctuent autant qu’elles le construisent. Je reprendrais volontiers ce propos de Bourdieu : « Comprendre, c’est comprendre d’abord le champ avec lequel et contre lequel on s’est fait » (Bourdieu, 2004 : 15).

1.1 Une position réaliste-critique dans l’enseignement

Enseignant titulaire en école d’architecture depuis la rentrée universitaire 2002-2003, ma mission principale est de contribuer à former des architectes et urbanistes, tout en parlant depuis le continent des sciences humaines et sociales pour l’architecture (champ identifié comme tel dans l’enseignement supérieur de l’architecture). C’est une position minoritaire certes par rapport à l’enseignement de projet mais qui engage, depuis le départ de cette expérience, d’intéressants pourparlers avec cet enseignement. Pourquoi n’avoir pas opté pour l’Université et des postes en aménagement-urbanisme alors que ma thèse récemment soutenue en relevait et que ma trajectoire antérieure ne relevait pas d’un enseignement spécifiquement professionnel1 ? J’ai le souvenir de profils de poste ne m’intéressant guère cette année2 et puis surtout l’ouverture d’un poste SHS à l’ensa Nantes où j’étais déjà contractuel et où j’avais pu saisir plusieurs intérêts dans l’enseignement et la recherche (cf. infra) ne me faisait pas hésiter longtemps. Le profil était le suivant : « Sociologue de la ville et spécialiste des questions urbaines (dans les domaines socio-anthropologiques ou socio-économiques ou dans le domaine du projet urbain) travaillant sur les enjeux posés par les pratiques contemporaines de transformation de l’espace. Il devra posséder une excellente connaissance de l’histoire de la pensée urbaine. » Plus concrètement, il s’agissait d’assurer des enseignements théoriques dans les 1er et 2ème cycles ainsi que ceux liés à des modules séminaire et projet de 3ème cycle et de poursuivre la réflexion pédagogique visant à articuler le champ des sciences sociales à l’enseignement du projet. Il était en outre stipulé que l’enseignant devrait avoir une forte activité de recherche au sein d’un laboratoire habilité et être en capacité de rejoindre à terme un des laboratoires de l’école.

Dans le cadre de ma candidature au poste, j’expliquais ma conception de l’enseignement au fil de deux notes, l’une relative aux « réflexions et orientations de l’enseignement de la discipline », l’autre déclinant pratiquement la fiche de poste énonçant les charges de cours pour l’école d’architecture de Nantes (Juin

1

Après un bac scientifique en 1990, j’ai eu le bonheur de faire deux années de classes préparatoires en lettres supérieures section sciences sociales à Lille avant de m’engager dans un magistère d’aménagement à Tours.

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assez fléchés sur l’aménagement du littoral ou le tourisme d’un côté et sur les SIG d’un autre côté avec des enjeux techniques que je ne maîtrisais pas spécialement.

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2002). C’est une véritable feuille de route dont je propose de reprendre ici de larges extraits.

L’acte de candidature comme feuille de route

Mes motivations s’originent d’abord dans l’explicitation de la situation du champ disciplinaire au sein des écoles d’architecture. Je questionne la notion de sciences sociales « pour l’architecture » en historicisant les rapports récents entre sociologie et architecture : « Les sciences sociales sont entrées dans les Unités Pédagogiques

après 1968, contribuant à destituer la conception artistique presque exclusive de la pratique architecturale. Elles contribuaient à l’effervescence intellectuelle des écoles d’architecture naissantes à un moment de fortes luttes théoriques et d’engagements politiques. L’architecture a fortement « consommé » de la sociologie : connaissance de la demande, des usages, comme préalable indispensable à des édifications accueillantes où la question de l’habiter n’est pas réduite à celle de l’habitat, identification de « modèles culturels » pour reprendre un exemple fameux. En trente ans, la production intellectuelle est progressivement passée au second rang dans les écoles d’architecture, en retrait d’une vaste boîte noire, en l’occurrence le projet. Les alliances entre sociologie et architecture ont souvent muté en méfiance voire défiance : les sociologues ne seraient-ils pas, finalement, des « empêcheurs de projeter en rond » ? Des espoirs de pratique théorique et de théorie pratique des années 1970, alimentés par des tentatives concrètes de trans-disciplinarité (au sujet de l’environnement notamment), nous serions revenus à une omniprésence du « projet » tolérant les disciplines connexes ou y puisant au mieux des ressources métaphoriques ». Je tiens ensuite à récuser la

coupure théorie / pratique : « De manière générale, les enseignants ont pour

mission de questionner les savoirs à l’œuvre dans les pratiques professionnelles ; ils ne sauraient se contenter de les reproduire. Toute profession est du reste en perpétuel mouvement et se redéfinit constamment dans le frottement au monde (par exemple la profession architecturale par rapport aux urbanistes et aux paysagistes) : il ne s’agit donc pas de dispenser un savoir fini, coupé des interrogations liées aux modalités de l’être ensemble. Il semble aujourd’hui décisif de réarmer le pouvoir de critique des étudiants. Cette affirmation ne doit pas se transformer en volonté de coupure avec la pratique, loin de là. Du reste, un monde universitaire qui s’imaginerait au-dessus du monde social ignorerait tout simplement son historicité, se leurrant dans une réflexivité flatteuse. Si une école d’architecture est un lieu d’hybridations, de confrontations entre cultures savantes et professionnelles (sans oublier les cultures populaires, bourgeoises portées par les habitants logeant dans les « habitats » et les cultures générationnelles portées par les étudiants), cette caractéristique est une chance bien plus qu’un obstacle. La prendre au sérieux consiste entre autres à impliquer le champ des SHS (s’ajoutant aux sciences instrumentales et au champ artistique), dans l’enseignement. Je précise d’emblée que l’appartenance à un champ disciplinaire ne signifie pour moi nulle prétention à un pré carré, cette attitude visant au confort et à la retraite des fronts actifs de la recherche. Toute discipline doit se poser la question de ses limites et des façons de les passer. A ce titre, j’essaie de maintenir aussi bien comme fil directeur cognitif que dans mes espaces d’enseignement une représentation sur un plan horizontal des instances de pratique (via les disciplines) « chacune concourant à construire une extériorité qui empêche l’autre d’être auto-référentielle »1. » Je

tiens ensuite à défendre un enjeu de clarification à partir d’apports qui se doivent d’être cohérents, pertinents et accessibles : « Il découle de cet objectif la tentative

1 Jacques Lévy, (2000), Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le monde, Paris, Belin, p.38.

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d’allier, dans mes postures de recherche et d’enseignement, réflexivité, créativité et productivité sans privilégier un seul de ces pôles portant chacun de possibles écueils (la spéculation pour le premier, l’ésotérisme pour le second, l’empirisme pour le troisième) ». L’enjeu m’apparaît alors de contribuer à dégriser, à désillusionner, à

faire prendre conscience des mécanismes sur lesquels reposent les pratiques architecturales et urbaines, ce qui ne signifie pas désenchantement. Les sciences sociales doivent avoir un pouvoir de stimulation lucide par rapport au projet et une mission d’approfondissement des connaissances relatives aux pratiques urbaines et à leur sédimentation spatiale (où l’on retrouve la conception de l’espace comme projection au sol de la société). Je fais alors mienne cette affirmation selon laquelle « elles seules (les sciences sociales) ont la capacité d’analyser un contexte d’action

dans la multiplicité de ses dimensions sociétales, de révéler ses ambiguïtés, de pointer son incomplétude principielle, de montrer son irréductibilité à un système fini de fonctions, d’affirmer qu’il implique toujours un choix d’orientation pratique qui, en dernière analyse, parce qu’il engage aussi bien les fins que le coût social des moyens, ne peut relever que du politique. »1

J’explique ensuite l’enjeu de l’entre-deux pour un praticien des sciences sociales : « Il m’importe de contribuer à toujours construire des positions d’observation et

d’intervention à la fois pertinentes eu égard aux questionnements des politiques et des professionnels et solides théoriquement, c’est-à-dire fondées en raison (cohérentes). Le test de ce couplage est celui de son « accessibilité » (cf. supra), qui permet de se prémunir face à l’enfermement dans une tour d’ivoire et à la construction de thématiques scolastiques. Renvoyant dos à dos à la fois le fétichisme conceptuel (apparat des « suprêmes théoriciens » selon C.W.Mills) et l’inhibition méthodologique (propre des « empiristes abstraits » toujours selon Mills), je cherche à travailler à définir des théories de la pratique rendant compte des actions observables et des configurations qui en résultent et qui en sont le cadre d’effectuation. C’est depuis cette attitude que peut se comprendre la motivation à enseigner en école d’architecture (au-moins y a-t-il du « grain à moudre ») ».

Je vois l’inter-disciplinarité dans les écoles d’architecture à la fois comme prometteuse et risquée. « Je suis pour ma part plus proche d’une conception de

l’interdisciplinarité, telle que celle défendue par B.Lepetit, conception qui doit assumer la tension irréductible entre d’une part la spécialisation issue de l’approfondissement théorique et méthodologique et d’autre part l’appel à l’ouverture du champ scientifique, récurrent, appelant davantage de braconneurs. Cette tension doit permettre de désigner des objets nouveaux d’investigation (et je pense par exemple à l’intérêt de travailler sur des objets urbains comme le rond-point) et d’établir les conditions de production de savoirs neufs. L’optique de la transdiscipline pourrait être la recherche « d’un type d’alliance où l’on utilise l’autre pour en apprendre à son sujet, pour mieux comprendre le sens de ce que l’on fait en reconnaissant le choix dont on procède »2. »

A partir de ces positions, je décline quelques « manières de faire » en insistant sur une présence en cycle Licence des sciences sociales partant de la culture architecturale et urbaine implicite des étudiants et des enjeux contemporains de l’urbanisation. Je défends également l’enjeu d’une posture d’enseignant qui amène chacun à la conviction de prendre le monde au sérieux, en contribuant à désamorcer les approches cyniques ou enchantées, à donner l’envie de questionner également tous les supports d’information : les livres, les films, les émissions de radio, les journaux, les moments de la vie quotidienne sont également

1 J-M Berthelot, Les vertus de l’incertitude, p.249.

2 I.Stengers, entretien accordé à F.Dosse in L’empire du sens, l’humanisation des sciences humaines, Paris, la Découverte, 1995, p.388

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questionnables. « La présentation et la discussion de théories urbaines

(sociologiques, géographiques, philosophiques) doivent donner l’envie de lire les textes « à la source » et l’exigence de savoir de quoi on parle lorsqu’on mobilise tel ou tel concept, telle ou telle figure. Les exemples abondent du pillage de certains auteurs par ailleurs non maîtrisés. Le duo « Heidegger – Deleuze » produit ainsi des ravages dans les écoles d’architecture, en court-circuitant tout un ensemble de productions de sciences sociales. Combien d’étudiants passent de l’arpentage du terrain à la spéculation théorique sans méthodes permettant de lier l’un et l’autre ? Il m’importe de montrer que si l’on explore un domaine en profondeur, « ce n’est pas prioritairement pour en devenir le spécialiste, mais pour apprendre une démarche d’investigation »1. »

« Une implication progressive, au cours des cycles, des sciences sociales dans les

espaces de projet, peut donner à voir et expérimenter des interpellations et des collaborations possibles. Elles servent notamment à repérer comment des projets combinent les trois niveaux « classiques » de la fonctionnalité, de la socialité et de la sensibilité, comment sont utilisés différents types d’écriture dans les projets mais aussi comment peut s’envisager un urbanisme négocié, cordial. »

Je termine la note en insistant sur deux ornières à éviter : « celle d’enseigner ce que

d’autres recherchent sans faire soi-même l’épreuve des doutes inhérents à toute recherche (avec le risque d’une conception de la pédagogie comme seule tâche de transmission – via un entonnoir) ; celle de rechercher sans se préoccuper de la mise en forme et de la transmission des démarches intellectuelles suivies et des concepts mobilisés, en imaginant laisser ce domaine à d’autres (question de l’accessibilité) ».

Si l’actualité de cette note est pour moi frappante (raison d’une telle citation), il reste à mettre en lumière, de manière incarnée, l’acte éducatif plutôt qu’un discours ou une « glose sur… » Où l’on va être plus proche du maître ignorant2 que de l’exposition de savoirs ex cathedra !

Trois niveaux peuvent être considérés. Celui des choix personnels, celui du champ SHSA et celui de la structuration de l’enseignement à l’école d’architecture de Nantes, notamment dans un domaine d’études que j’ai co-élaboré avec des collègues proches. Traversant ces niveaux, une grande latitude est laissée à l’enseignant : le fort degré de liberté s’accompagne d’une responsabilité qui lui est proportionnelle. Si je pouvais imaginer, avant d’entrer dans une institution d’enseignement, que des programmes sont à respecter, qu’une feuille de route ministérielle est à suivre, j’ai vite compris que cette dimension programmatique se joue essentiellement à l’échelle de l’établissement et qu’elle est contrôlée a posteriori avec quelques commentaires à l’occasion de l’habilitation des maquettes pédagogiques. Il faut donc inventer des cours, tester des méthodes, discuter des atouts et inconvénients de formules d’association entre cours et TD… Il n’y a jamais rien à « appliquer » au pied de la lettre.

1 J.Rémy, entretien avec Etienne Leclerq in Sociologie urbaine et rurale. L’espace et l’agir, Paris, L’Harmattan, 1998, p.39.

2

Dans le maître ignorant : cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle (Fayard, 1987), J. Rancière revient sur les propositions de Jacotot au XIXème siècle remettant en cause l’instruction traditionnelle et plus particulièrement les rapports enseignants-enseignés.

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1.1.1 Elaborer des contenus et des méthodes

Constructions pédagogiques du cycle Licence

L’arrivée sur un poste de titulaire n’a pas relevé d’une rupture brutale. Contractuel l’année précédente, j’avais pu déjà travailler plusieurs supports de cours. Des vacations auparavant m’avaient également familiarisé avec le monde pédagogique d’une école d’architecture.

Dans le cycle Licence, j’ai assuré un cours de sociologie urbaine avec un TD associé pendant plusieurs années. Le cours de sociologie urbaine avait pour objectif d’explorer de façon thématique les principales approches du phénomène urbain formulées en sociologie. Aussi bien la spécificité des sociabilités que les types de configurations urbaines étaient approchés, afin de familiariser les étudiants avec le regard sociologique et avec la « culture urbaine ». Le cours balisait alors les forces sociales qui contribuent à la transformation urbaine et les formes prises par cette transformation. Il développait également les questions que pose la mobilisation du savoir sociologique dans les pratiques urbanistiques et architecturales. J’avais d’emblée opté pour un support de cours, estimant que les bibliographies « balancées » en début de cours n’avaient à peu près aucun impact. Ce reader était ainsi commenté en amphi et pouvait aider aux révisions.

Handbook d’études urbaines avant l’heure, un support bibliographique ponctuant un cours de sociologie urbaine

Handbook évoluant à la marge d’année en année (il y a les textes qui sortent, ceux qui parviennent à rentrer), sa base initiale était la suivante, précisant les intitulés des séances et les auteurs dont j’avais retenu et photocopié des extraits de textes. 1- De quoi parlent les sociologues urbains ? Des sociétés urbaines et de leurs objets ; des formes (des publicités, des villes nouvelles, des rond-points...) et des pratiques ; de la différenciation sociale... Complémentarité des sciences de l’espace social. (Lecture : Lahire)

2- Les méthodes et les enjeux de l’analyse sémiologique. Images de la ville et représentations sociales. (Lecture : Marié, Damisch, Barthes, Lanot)

3- La ville selon quelques architectes contemporains. Décryptage de doctrines contemporaines. (Lecture : Koolhaas)

4- Saisir des configurations. L’urbain comme produit, milieu et enjeu. (Lecture : Lefebvre et Pinçon, Pinçon-Charlot).

5- La place des politiques publiques dans le jeu des forces sociales. Le cas des politiques patrimoniales. (Lecture : Soucy)

6- Saisir des interactions. L’urbain comme scène. (Lecture : Lévy, Simmel, Goffman et Joseph)

7- Espace public / Espace privé. (Lecture : Hannerz, Quéré, Sennett, Vernez-Moudon et Wakeman)

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8- La centralité urbaine : entre modèle et figure éclatée. (Lecture : Le Corbusier, Chalas, Bordreuil).

9- Les territoires et les réseaux. Le télescopage des échelles. (Lecture : Offner) 10- « De quoi se mêlent les urbanistes ? » : les démarches de consultation, concertation et communication. (Lecture : Lefebvre, Katan et Jérôme).

11- Sociologie des professions de l’urbain – panorama et enjeux. (Lecture : Champy)

Ce cours a été certaines années associé à un TD permettant de mieux éprouver les méthodes sociologiques en organisant des groupes avec le recrutement de vacataires et moniteurs. Telle année, « La mobilisation des sciences sociales revient ici à une analyse de la tension parcours lexical / parcours physique au cours de récits d’espaces et à un retour critique sur le travail projectif de groupe, en écho à deux moments du studio de projet. Ecoute attentive, attention flottante, traduction inventive par la cartographie, explicitation des postures, veille critique sont les démarches issues de l’anthropologie ici testées afin de comprendre en quelle mesure elles peuvent dynamiser un projet d’architecture. Elles sont expérimentées par chaque étudiant mais discutées en groupe (correspondance avec les groupes du studio d’architecture) dans l’optique d’éprouver à la fois la difficile cumulation des analyses et les vertus du croisement des regards (pour le dépassement de la stérile opposition subjectif / objectif). Les apports théoriques se situent dans le cours aussi bien en ce qui concerne le situationnisme méthodologique1 que la mise en question des schèmes usuels de la ville (centre / périphérie ; espace public / privé...) » (argument de la fiche pédagogique).

Ce TD s’est ensuite transformé en abordant deux exercices successifs. Le premier « monographie d’une galerie d’exposition » était réalisé par des binômes qui devaient mener à la fois un entretien avec un responsable du lieu, une analyse directe de la fréquentation du lieu et une analyse de la « tonalité » des lieux. Le deuxième exercice « problématisation du mémorial dans l’espace public » amenait les étudiants à procéder à un inventaire des lieux de mémoire sur la région nantaise, passant par la qualification de leurs effets contemporains. Le travail consistait à décrire « ce qui se passe » autour de l’objet en question et à réfléchir sur l’inscription spatiale des valeurs symboliques2. L’une des caractéristiques des TD de sciences sociales est leur inscription dans le territoire local dont une majorité d’étudiants sont largement ignorants, provenant d’un très large grand ouest, de ses campagnes et aspérités périurbaines. Il prend au sérieux la ville concrète, déplaçant bien des manières de faire propres aux exercices de projet renvoyant largement plus à des espaces fictifs. De fait, avec mes collègues des SHS, des discussions régulières concernaient nos modalités d’association au projet pour ce TD. Le mouvement a plutôt consisté à gagner une autonomie puis à ouvrir un nouvel espace d’enseignement… qui a désormais disparu de la maquette.

1

L’expression est imputable à K. Knorr-Cetina dans The manufacture of knowledge, 1981.

2

J’avais alors associé Emmanuelle Chérel, historienne de l’art, à cet enseignement. Elle a plusieurs années plus tard, dans la poursuite de son travail de thèse également, publié un ouvrage centré sur les enjeux et controverses du mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes (PUR, 2012).

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Cet « atelier critique des médias » (tel était son nom) avait été pensé avec les champs HCA et TPCAU (respectivement Histoire et Culture Architecturales et Théories et Pratiques de la Conception Architecturale et Urbaine). Il visait, en partant des pratiques des médias par les étudiants, à armer leur « savoir décrypter »: d’une part via l’apport de connaissances sur la structuration de l’univers médiatique (forces à l’œuvre, dynamiques de concentration dans la presse, poids économique du secteur de l’information), d’autre part à l’aide d’un atelier portant sur deux registres (l’audiovisuel et la presse écrite) et amenant les étudiants à décortiquer la construction des informations à partir de plusieurs média. A l’aide d’éléments d’analyse de discours et de l’image, le travail visait incidemment une utilisation plus réflexive d’outils à disposition. Il était placé sous les auspices de cette phrase : « It’s raining images outside, but we are locked indoors » (Stafford, 1996 : 87).

Le croisement avec les démarches journalistiques a permis plusieurs années durant de sensibiliser à la question des médiations. Chaque année avec mes collègues nous nous sommes saisis de « questions de société », de la crise des banlieues suite aux émeutes de Novembre 2005 aux représentations de la catastrophe (Katrina à la Nouvelle Orléans), l’intérêt étant chaque fois de traiter des variations d’approche et d’interprétation tout en présentant des lignes éditoriales. Incidemment, c’était pour certains étudiants l’occasion de découvrir l’émission Métropolitains de François Chaslin sur France Culture ou encore l’émission Arrêt sur images d’Arte…1 Outre d’être disciplinairement transversal, l’intérêt résidait dans la coproduction (cf. infra) et dans le plaisir d’une analyse critique dont on postulait que son transfert chez les étudiants permettrait de les rendre moins admiratifs des prouesses de l’image dans les présentations de projet...

Enfin, j’ai ponctuellement collaboré à un enseignement de projet en fin de cycle Licence, intitulé Voies sur berge en y questionnant l’enjeu de la construction de l’espace public en situation d’interface (ville-port en l’occurrence), laissant ensuite la place à un historien très connaisseur de ces questions à Nantes, Gilles Bienvenu.

Trois formes d’enseignement en cycle Master

Principalement mobilisé sur le cycle Master, j’y ai assuré trois types d’enseignement. Celui permanent relève du séminaire de mémoire. Mon offre concernait au départ l’analyse critique des théories contemporaines sur la ville, incitant les étudiants à décortiquer un ouvrage ou plusieurs et d’approcher d’assez près les conditions d’apparition des théories et doctrines urbaines. Il a ensuite évolué pour privilégier l’analyse des conflits impliquant la dimension spatiale. Le travail privilégié est alors celui de l’enquête, avec une montée en généralité par la comparaison et la lecture de textes restituant des analyses de conflits. Les étudiants sont invités à travailler des espaces mis en tension par des projets principalement publics de transformation spatiale (qu’il s’agisse de projets emblématiques ou bien d’implantations plus discrètes mais loin d’être sans heurts).

1

Durant toute cette période, j’ai suivi d’assez près le site Internet Acrimed, j’étais abonné au périodique PLPL et me réjouissais des productions de Serge Halimi dont les nouveaux chiens de garde (Raisons d’agir, 1997).

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Alors que l’on parle volontiers de gouvernance, de consensus, de bonnes pratiques d’aménagement, on repère simultanément le développement d’affaires, conflits, épreuves de force, qui montrent que la coexistence, la juxtaposition, la continuité spatiales (caractéristiques des occupations urbaines) sont loin d’être pacifiées1. Si l’on peut y voir une hausse de la capacité d’action de la société civile, le repérage des types de mobilisation renvoie aussi à une distribution fort inégale de différents types de capitaux (économiques, culturels, sociaux, spatiaux…). L’analyse d’un conflit est une entrée permettant de travailler sur une situation circonscrite, révélant des acteurs en présence, des justifications particulières et un déroulement montrant des forces à l’œuvre et la recherche de formes pour sortir du conflit. Le travail sur un type de conflit se réalise par un choix de sujets recensés au sein « d’affaires » en cours sur la région nantaise de préférence mais pas exclusivement (le nouvel aéroport, le troisième pont sur l’estuaire, un aménagement d’espace public contesté, une nouvelle voirie, un centre d’enfouissement des déchets…). Cette analyse « part clairement de l’idée d’un espace à la fois ressource et problème (où l’on retrouverait l’insociable sociabilité de Kant) et permet aux étudiants d’enquêter dans bien des matières concrètes. Citons parmi des objets récents abordés : des controverses autour d’un projet de miroir d’eau en bordure d’un centre historique, autour d’un projet urbain d’envergure à Stuttgart, des mobilisations habitantes sur l’île de Ré, la contestation d’un tracé de nouvel axe routier, les critiques d’un projet d’extension d’un musée, l’analyse de mobilisations en rapport à la transformation d’un quartier populaire à Montréal… L’enquête essaie chaque fois de dégager les rôles respectifs d’actants, à différentes échelles, de considérer les référentiels d’action qui sont mobilisés. L’enjeu d’un travail de première main est certain, requérant une combinaison d’audace et de modestie pour les étudiants et la tenue (idéalement) d’un ensemble de carnets. Un autre enjeu réside dans la rédaction de comptes-rendus risqués (Latour, 2006, p. 184 et suivantes) qui consiste certes à mettre en avant la dimension textuelle de l’activité scientifique mais pour mieux insister sur le fait qu’il s’agit bien d’une activité de traçage d’un réseau. Quant à l’enjeu méthodologique permanent, je suggérais dans un montage vidéographique projeté à l’occasion des rencontres doctorales de Nantes de 2010, intitulé « Pas besoin d’un marteau pour scier un arbre », l’utilité de quelques éclats réflexifs de la communauté intellectuelle française, transformés en autant d’aphorismes. On y croise G. Deleuze (« dans les interrogations, il n’y a pas de problème » ; « les idées prennent diverses formes »), M. Foucault (« c’est une invention l’homme »), P. Bourdieu (« ne vous privez pas d’instruments de connaissance… ce n’est pas une maladie d’être un intellectuel »), C. Lévi-Strauss (« ramasser jusqu’au fouillis… et s’arrêter un peu » ; « critiquer, c’est essayer de mettre en rapport » ; « la ville m’a toujours passionné comme objet d’étude »), B. Latour (« il existe des outils pour cartographier… Comment réinventer le journal ? »). Une production de ce genre permet de saisir des pensées en acte, d’incarner des propositions théoriques et de dérouter les oppositions simplistes, par exemple entre théorie et pratique. »2

La formule du séminaire est des plus valorisantes pour l’enseignant : petit groupe d’étudiants ayant fait le choix de tel séminaire, alternance entre présentations et

1

Je renvoie à un chapitre du deuxième volet, « 2.5 - fabriquer dans le dissensus » pour l’approfondissement de la question.

2

Extrait de L. Devisme, « les pourparlers des sciences sociales des actions spatiales » à paraître in O. Chadoin (dir.), Sociologies de l’architecture, PUR, 2013. Notons que la réalisation de ce montage s’est faite via l’implication d’un ancien étudiant du séminaire.

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discussions à la table, intervention de doctorants... L’essentiel, pour un cadre qui se veut d’initiation aux démarches de recherche, est de donner le goût de l’enquête et il faut alors en passer par la lecture de journaux de bord, par la mise en avant des difficultés et le recours régulier aux conseils de Howard Becker ! Le mode d’enseignement permet d’échanger sur les difficultés et d’amener progressivement au goût d’un travail dans la durée, contrepoint complémentaire aux modalités d’enseignement du projet (toujours friandes d’intensification hebdomadaire). La tenue de carnets de recherche permet quant à elle de développer la réflexivité et les compétences de croisement de sources – les bibliographies se faisant largement médiagraphies. Pour les étudiants en mobilité (Erasmus mais pas seulement), des échanges par courriel et Skype permettent de rester au contact et de profiter de terrains de recherche européens. Depuis 2008, j’ai coordonné avec Marie-Paule Halgand une phase transversale aux différents séminaires de mémoire, introductive, amenant à grouper des interventions principalement méthodologiques afin de construire une culture commune de l’initiation à la recherche1. Cet espace d’enseignement au sein des écoles d’architecture reste probablement fragile et pourtant un nœud de l’articulation entre 2ème et 3ème cycles.

Autre forme pratiquée en cycle master, celle du cours théorique. Cette forme est bien moins évidente à pratiquer dans un contexte où l’enseignement de projet et donc le TD sont dominants. C’est qu’il faut de l’énergie pour tenir un cours de 4h qui ne s’énonce pas en termes opératoires, utiles pour l’action mais vise d’abord la réflexivité de l’étudiant et sa culture générale ! C’est toujours en binôme qu’un tel cours a été monté. Dans une première version, le cours s’intitule « peur(s) sur la ville » et son argument est le suivant : « Les grandes métropoles constituent aujourd’hui des territoires à la complexité et à l’échelle inédites. Il s’agit d’établissements humains sans précédent, d’écosystèmes inattendus qui offrent le cadre de nouvelles relations au corps, à l’habitat, à la nature, au lointain, aux autres, et qui définissent notre nouvelle donne technique, collective, politique. Nous présenterons les dynamiques territoriales de cette urbanisation et les théories actuelles de la ville afin de permettre une appropriation critique des différentes représentations contemporaines de l’urbain. » (fiche pédagogique UE 83 – 2004-2005). Puis, l’intitulé devient « théories et débats urbains » avant de coller au projet scientifique du LAUA « fabrique de l’urbain et formes d’urbanité »2.

L’enjeu de ce cours théorique est depuis le départ celui de la constitution d’une culture historique de l'urbanisme comme pratique technico-politique et comme discipline en gestation depuis le début du Xxe siècle. Il apporte des éléments permettant l'interprétation des principales évolutions ayant affecté le monde urbanistique depuis le sortir de la Seconde Guerre mondiale et se focalise plus précisément sur les quarante dernières années. Il s’interroge sur la place et le statut des doctrines urbanistiques dans la pratique de transformation des espaces habités. La partie que j’ai davantage portée sur plusieurs années (« de la

1

Mais on découvre aussi à l’occasion que les rares collègues qui veulent bien s’y impliquer sont parfois dans des conceptions de la recherche bien différentes des miennes : soit le traditionnel et incontournable raisonnement hypothético-déductif, soit à l’inverse une conception plus « décontractée » qui outre passe les enjeux de l’écriture scientifique pour accepter des formats peu scientifiques.

2 Les deux premières versions ont été montées avec F. Andrieux, architecte, la dernière, toujours active, avec la sociologue E. Pasquier.

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planification à l’urbanisme « révélé » ») n’est pas construite sur un mode strictement chronologique. Par l’analyse de différentes sources (revues, archives d’association, entretiens avec des professionnels…) il traque les manières dont sont présentés et construits les problèmes urbains contemporains et dont sont manipulées les figures de réponse à ces problèmes1. L’urbanisme est analysé comme pratique technico-politique et comme mouvement social. Le cours vise à approfondir la culture des étudiants sur les pratiques professionnelles et leurs idéologies ; il permet une intelligibilité des théories et pratiques de la planification et de l’urbanisme. Des éclairages plus particuliers portent sur l’urbanisme dirigé des années 1960-1970, sur le recours à la figure du centre pour faire la ville et sur les pratiques du marketing urbain à l’heure des villes globales.

Progressivement nous avons cherché, notamment avec Elisabeth Pasquier, à arrimer cet enseignement au cinéma. C’est dans le cadre d’un partenariat avec un cinéma de recherche nantais (le Cinématographe) que nous développons en effet un cours permettant de voir au cinéma et de commenter en salle des films sélectionnés d’après une programmation annuelle impliquant le LAUA2. Le principe est d’associer, dans la programmation, des films de fiction comme des documentaires. Outre de participer à la culture cinématographique étudiante, cet enseignement vise le décloisonnement des savoirs et l’association entre science et plaisir des textes aussi bien que des images en mouvement.

Enfin, je me suis toujours associé à l’enseignement de projet dans des options travaillant sur l’échelle urbaine et les enjeux urbanistiques. L’enjeu est alors de défendre une coproduction, en étant « cornaqué » par le cadre cognitif du projet élaboré par des praticiens réflexifs - eux seuls, peut-être, parvenant à prendre au sérieux la gratuité (ou l’artifice) d’un exercice de pensée. Ma position dans l’enseignement de projet est plutôt socratique : demander des explications, des argumentations, jouer le rôle du naïf dans la lecture des cartes, déciller les tentatives de séduction… Ici, on peut dire que le savoir produit est d’abord un savoir de « réaction » ou de « rebond ».

Pendant sept ans, nous avons ainsi bâti avec un collègue architecte, François Andrieux, la trame de deux enseignements. Le premier était issu de notre rencontre (improbable sûrement) autour des enjeux de la ville générique (tels qu’énoncés par Koolhaas notamment) d’une part et du nouvel esprit du capitalisme d’autre part (tel que théorisé par Boltanski et Chiapello). L’argument principal était le suivant : « De la santé à l’urbanisme, le générique intéresse désormais de multiples dimensions de la société. L’objectif est d’éprouver ce qualificatif, de préciser le halo flou qui l’entoure souvent, d’en explorer les possibles failles. L’atelier et le séminaire articulent parallèlement des propositions concrètes à l’échelle urbaine et architecturale qui s’attachent autant à signifier le caractère générique des lieux investis qu’à tracer des alternatives à la logique normative. Ainsi, nous postulons comme hypothèse qu’un des rôles de l’architecte peut consister à chercher, à tracer des alternatives à l’hégémonie croissante de la

1

On trouve une idée proche dans l’ouvrage collectif Pessis, Topçu, Bonneuil, (2013), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre, Paris, La Découverte.

2

La programmation thématique était la suivante : « refaire la ville sans ménagement » (2008-2009), « la ville nouvelle » (2009-2010), « Rome, la ville devenue film » (2010-2011), « force des passages, passages en force » (2011-2012), « la ville en déclin » (2013-2014).

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