• Aucun résultat trouvé

Pour qui tourne la fabrique urbaine ?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Pour qui tourne la fabrique urbaine ?"

Copied!
2
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Pour qui tourne la fabrique urbaine ?

MATTHEY, Laurent, GAILLARD, David

Abstract

A Genève comme ailleurs, la gouvernance de la ville se veut participative. Encore faut-il que le citoyen-habitant «participe» de manière informée. Dans le contexte des projets urbains genevois, l'introduction d'un «droit à la ville» constitue une piste à étudier.

MATTHEY, Laurent, GAILLARD, David. Pour qui tourne la fabrique urbaine ? Le Courrier , 2012, p. 2

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:77485

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

POUR QUI TOURNE LA FABRIQUE URBAINE?

URBANISME • A Genève comme ailleurs, la gouvernance de la ville se veut participative.

Encore faut-il que le citoyen-habitant «participe» de manière informée. Dans le contexte des projets urbains genevois, l’introduction d’un «droit à la ville» constitue une piste à étudier.

LE COURRIER

LUNDI 16 JANVIER 2012

2 CONTRECHAMP

INVITÉS

DAVID GAILLARD*

ET LAURENT MATTHEY**

Il y a de cela quelques se- maines, le conseiller adminis- tratif genevois Rémy Pagani s’inquiétait dans Le Courrier1 du futur visage de la pointe de la Jonction. Il voyait dans le projet soutenu par le canton une forme d’urbanisme em- blématique de la ville libérale à venir. Ailleurs2, ce sont les col- lectifs représentants les pro- priétaires de villas qui se désolent du sort réservé à la zone 5 dans le Plan directeur cantonal 2030. Ailleurs3enco- re, c’est un professionnel de la production du territoire qui est interpellé par le néo-mal- thusianisme que semble ma- nifester l’approche de l’amé- nagement du territoire en Suisse, frappée du syndrome de Peter Pan.

Ces trois discours, délibéré- ment rapportés à des person- nalités incarnant des ten- dances politiques diverses ou des registres d’intervention contrastés, ont pour principe générateur une même ques- tion: «Pour qui produit-on ce bien qu’est la ville?» En fait, cet- te question structure profondé- ment l’appréhension, par les sciences sociales, de la ville et de l’urbain. Ses spécialistes y voyant une injonction sourde à se pencher sur la fabrique ur- baine, c’est-à-dire l’ensemble des processus sociaux, histo- riques, économiques, etc. au fondement de la ville.

Dans son opérationnalisa- tion, cette interrogation a sou- vent été ramenée à un traite- ment très schématique. Ce bien qui est produit dans le cadre d’une usine (la fabrique urbai- ne) a ses «producteurs» (pro- moteurs, architectes, urba- nistes, édiles, grands commis de l’Etat, coopératives...) et ses

«consommateurs» (vous, nous, eux). Bien entendu, cette oppo- sition s’effondre dès lors qu’on considère que certains des

«consommateurs» sont des

«producteurs» et que tout «pro- ducteur» est inexorablement un «consommateur» en ce qu’il habite quelque part. Mais là n’est pas le propos.

L’intéressant est que, à un certain moment de l’histoire des pensées sociales, cette op- position entre ceux qui font la ville et ceux qui doivent s’en ac- commoder a généré une pro- position théorique qui s’articu- le à une ontologie. Car quand, dans les années 1970, la cri- tique urbaine a commencé à demander «quelle ville vou- lons-nous?», c’est la question de l’épaisseur humaine de l’en- vironnement urbain qui s’est trouvée posée. Et par là, la place des «consommateurs» de la vil- le. D’autant que, comme le relève le géographe David Har- vey, questionner la ville que l’on souhaite revient à ques- tionner l’humanité à laquelle on aspire4.

On se souvient qu’à ce mo- ment de la pensée critique, la ville apparaissait à certains comme un dispositif matériel visant à l’aliénation des foules.

L’agent d’une reproduction des pratiques sociales. Cette

conception a d’ailleurs trouvé une formulation célèbre dans la petite triade métro-boulot- dodo.

C’est dans ce contexte qu’Henri Lefebvre lançait, en 1968, un appel à la formulation d’un nouveau droit collectif: le

«droit à la ville»5.

Sous la plume de Lefebvre, ce droit prenait un double visa- ge. Il s’agissait, premièrement, d’un droit d’accès à la centra- lité, entendue comme ce qui permet la rencontre du proche et du lointain. Que l’on parle de distances spatiale, sociale, cul- turelle. Mais ce droit à la ville renvoyait, deuxièmement, au droit à influencer son environ- nement. Comme le remarque encore une fois D. Harvey, «le droit à la ville n’est pas seule- ment un droit d’accès à ce qui existe déjà, mais le droit de le changer»6.

Depuis le cri d’Henri Le- febvre, les modalités de gouver- nance de la ville ont sans doute changé. Les principes du déve- loppement urbain durable se sont substitués aux principes de l’urbanisme unitaire. Ce que l’on appelle la nouvelle gouver- nance urbaine a remplacé la gouvernance fordiste. En sub- stance, cette nouvelle gouver- nance aspire à plus de partici- pation, dans le même temps qu’elle cherche à mobiliser plus de parties prenantes et assurer un cofinancement (public, privé) de la production territoriale.

Si bien que l’habitant a dé- sormais, dans la fabrique ur- baine, une présence paradoxa- le. Il y est absent par surcroît de

présence. On a développé pour lui des actions adaptées à la production d’un cadre de vie de qualité (golf urbain, opération Paris plage, etc.). Autrement dit, des opérations dont le but est de multiplier des «moments urbains heureux», qui ne sau- raient être des politiques ur- baines, mais qui s’inscrivent dans une politique assumée de l’événement.

Dans le même mouvement, on a convié cet habitant à des tables rondes qui mettent en scène la parole experte. On lui a offert la possibilité de circuler entre des maquettes et des panneaux didactiques qui lui expliquent les enjeux d’un dé- veloppement urbain.

Parallèlement à ces change- ments de mode de gouvernan- ce, on a assisté à un glissement du récit d’urbanisme à un ur- banisme de récit7. Le récit d’ur- banisme renvoie à cette corres- pondance, identifiée par Bernardo Secchi8, entre fa- brique de la ville et fabrique de l’histoire. Cette correspondan- ce s’élaborait autour de la figu- re d’un héros: l’urbaniste.

L’urbanisme de récit fait pour sa part référence à l’irré- pressible montée du storytelling – à savoir un pro- cessus sélectif de mise en récit de la communication poli- tique – dans la nouvelle gou- vernance urbaine. Ainsi, la question de la mise en spec- tacle des projets urbains concurrence désormais la question de leur mise en dis- cussion apaisée. Le cas de la plage des Eaux-Vives est ici exemplaire.

Dans ce glissement, la ques- tion «quelle ville voulons-nous?»

a été réinterprétée au spectre des canons des sciences de la communication. Il s’agit dès lors de savoir la ville qu’on pourrait bien raconter à un public de spectateurs. À grand renfort d’expositions, de fiches, de

brochures, de lettres d’infor- mation et de prospectus somptueusement illustrés.

Certes, ces dispositifs ser- vent à faire advenir la ville... à venir. Ils permettent bien sûr d’informer l’habitant de l’avancement des projets en cours. Ils aspirent naturelle- ment à le convier à un moment fondateur de la ville du futur.

Car si on lui raconte des his- toires, c’est bien sûr pour le rat- tacher à une histoire qui le dé- passe, celle du temps long de l’évolution des territoires.

Mais on connaît le vieil aphorisme mondain selon le- quel, s’il est relativement aisé d’être convié à toutes les fêtes, il l’est moins de s’y inscrire avec à propos. L’habitant est au centre de tout, mais partici- pe-t-il de manière informée à la fabrique de ce bien commun qu’est la ville? Car finalement, la question est bien celle-là:

comment les connaissances accumulées sur un territoire donné sont-elles mises en cir- culation dans le collectif des citoyens?

De fait, si le marché des études d’urbanisme (études d’impacts; études de premier, deuxième, troisième degrés;

mandats d’études parallèles...) s’est considérablement déve-

loppé depuis les années 1970, il est remarquable que ces études sont rarement accessibles à l’homme sans qualité (nous, hors de nos rôles sociaux res- pectifs). Où si elles le sont, c’est sous forme de compte-rendu.

Le format in ex- tenso étant sou- vent jugé trop in- digeste pour un quidam réputé peu réceptif à ce type de prose, sinon flemmard.

Or certains des continua- teurs d’Henri Lefebvre se sont consacrés à fonder théorique- ment le droit à la ville comme un droit collectif. Un droit qui implique que l’information soit symétriquement accessible et que différents groupes puissent s’en saisir pour imager leur ville à venir. Le droit à la ville pré- suppose ainsi que l’informa- tion relative à la fabrique urbai- ne soit mise à disposition de manière exhaustive. Il implique aussi que l’on rende les habi- tants à même de s’en emparer.

La prise en compte d’un droit à la ville dans la fabrique urbaine amène ainsi à refor- muler la question controversée de la participation dans la conduite de projet urbain.

Cette prise en compte im- plique que l’on favorise le dé- veloppement de dispositifs participatifs qui «capabilisent»

– et non pas domestiquent, se- lon le principe résumé dans le vieux slogan «participation piège à cons» – les parties pre- nantes. En travaillant à les for- mer à l’urbanisme, en produi- sant des diagnostics partagés, en co-dessinant des traductions locales d’un développement urbain souhaité.

On peut ici citer en exemple la démarche proposée par les Robins des Villes lyonnais. Ou bien encore ce que les anglo- saxons appellent le community planninget qui est notamment utilisé pour requalifier les ban- lieues pavillonnaires en acti- vant leurs résidents. On pour- rait encore mentionner les conférences de consensus telles qu’elles sont pratiquées au Danemark ou bien encore des cellules de planification al- lemandes. Ou, plus proche de nous, la démarche Quartiers 21, mise en œuvre à Lausanne.

Les outils existent donc. Ra- menés à un contexte genevois, il reste à en préciser les articu- lations inédites. Tout comme il reste à préciser le calendrier de leur mobilisation, considérant que les autorités politiques souhaitent développer la parti- cipation depuis 2008 au moins9. Enfin, il reste à espérer que l’habitant saura ne pas se laisser piéger par des disposi- tifs qui peuvent aussi le priver de son droit à la ville.

* Politologue.

** Géographe.

1«Pagani: ‘Le projet de la pointe de la Jonction est monstrueux!’», Le Courrier, 15 novembre 2011.

2«Les propriétaires de villas disent

‘stop’ à la croissance», Tribune de Genè- ve, 22 juin 2011.

3Richard Quincerot, «Comme Peter Pan, la Suisse refuse de voir ses villes gran- dir», Le Temps, 22 septembre 2011.

4David Harvey, Le capitalisme contre le droit à la ville: néolibéralisme, urbanisa- tion, résistances, Paris, éditions Amster- dam, 2011.

5Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968.

6David Harvey, «The right to the city», International Journal of Urban and Re- gional Research, 27(4), pp. 939-941, 2003.

7Laurent Matthey, «Urbanisme fiction- nel: l’action urbaine à l’heure de la so- ciété du spectacle», Métropolitiques, pp.

1- 4, 2011.

8Bernardo Secchi, Il Racconto urbanis- tico, Torino, Einaudi, 1984.

9David Gaillard, «Praille-Acacias-Ver- nets. Débats en cours», Tracés, 1, pp.

13-18, 2010.

Design participatif: dessiner ensemble la ville à venir. DR

Le droit à la ville

comme droit collectif

Faire participer sans domestiquer?

DU DISCOURS AU CONTRE-DISCOURS: DE L’ART, FAIRE PARTICIPATION?

Les initiatives artistiques se multiplient autour de certains des grands projets urbains genevois. Ces interventions interrogent certes la place des artistes dans la ville, mais elles fonctionnent aussi comme des propositions d’autres visibilités urbaines. Parallè- lement au récit de communication du projet urbain, d’autres façons de raconter les lieux sont proposées. La manifestation Espace temporaire nous fait comprendre qu’«on peut déjà faire des choses au PAV maintenant!». Elle appelait les gens à regarder diffé- remment un périmètre sur lequel beaucoup a été écrit (par la presse, par des experts, par des militants...), mais dont le collectif des citoyens ne sait que peu de chose finalement. On le sait depuis les expériences situationnistes: les pratiques artistiques sont au cœur des pratiques de la ville à venir. Contrepoint heureux à des dispositifs participatifs parfois trop contrôlés. DG/LM

Références

Documents relatifs

Structures fortifiées (22) 102 0 0 Enceinte du bourg d’Angers Tronçon de la poterne supposée côté ouest à la porte Sauneresse.. Structures fortifiées (22) 103 0 0

Je souhaite également remercier les secrétaires du Laboratoire Archéologie et Territoires, San- drine Chassagne, Nadège Gautron, Monique Segura et Anne-Michèle

Characterization and simulation of the mechanical forces that control the process of Dorsal Closure during Drosophila melanogaster embryogenesis Maxime Dureau.. To cite this

Enfin la société est comprise comme l’ensemble des individus qui ont évolué dans l’espace analysé durant la période considérée. Il n’existe toutefois pas un seul et

L’intuition est simple : dans l’espace public de nos villes et territoires en mutation apparaissent de nouvelles formes d’intervention, de nouvelles

Par la suite, portant le regard non plus sur des projets urbains mais sur des lieux, l'auteur voit émerger des SUC « de seconde génération » (Besson, 2014) qui arti- culent

L’urbanisme est dès lors considéré comme une action publique 

« Actuellement à l’image de la représentation théâtrale qui a progressivement tenté de sortir du cadre du théâtre à l’italienne à partir du début du XX e siècle,