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Vingt ans de vie. L'Institut J.J.Rousseau de 1912 à 1932

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Vingt ans de vie. L'Institut J.J.Rousseau de 1912 à 1932

BOVET, Pierre

Abstract

P. Bovet établit le bilan des 20 premières années de vie de l'Institut J.J. Rousseau.

BOVET, Pierre. Vingt ans de vie. L'Institut J.J.Rousseau de 1912 à 1932 . Neuchâtel : Delachaux & Niestlé, 1932, 195 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:36985

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COLLECTION o·ACTUALITÉS PÉDAGOGIQUES

PI ERRE BO V E T

· VINGT ANS DE VIE

LïNST ITUT j . j . ROUSSEAU DE 1 912 A 1 93 2

ËDITIONS

DELACHAUX & NIESTLÉ S. A.

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COLLECTION D'ACTUALITÉS PÉDAGOGIQUES

PUBLifE SOUS LES AUSPICES

DE L'INSTITUT). J. ROUSSEAU ET DE LA SOCitTf BELGE DE PfDOTECHNIE

P I ERRE BOV ET

VINGT ANS DE VIE

L' INSTITUT j . j . ROUSSEAU DE 1 91 2 A 193 2

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DELACHAUX

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NEUCHATEL 1 PARIS 7•

4, RUE DE L'HOPITAL 26, RUE ST·DOMINIQUE

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DU ~AUTEUR:

L'irutinct combatif. Psychologie, éducation.

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éd. Paris, Flammarion.

(fraduc:tions espagnole, anglaise, grecque, slovaque, armé- nienne.)

Le sentiment religieux et la p3yciJologie tk

r

enfant. Collection d'Actua- lités pédagogiques, Neuchâtel et Paris. (fraduction anglaise.) La rQorme =laire à fUniversité. Ed. Forum, Genève.

Le génie tk Baden-Powell. Ed. Forum, Genève.

La ~yse el féducation. Epuisé. (fraduc:tions espagnole, espé- ranto, serbe.)

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POUR INTRODUIRE UN LONG RAPPORT 1

Il y aura, le 21 octobre 1932, vingt ans que l'Institut j.

J.

Rousseau a ouvert ses portes. La société qui assumait cette entreprise avait été fondée en janvier de la même année, et l'été précédent- à vingt ans du jour où j'écris - jé devisais avec Edouard Claparède dans les pâturages de Kan- dersteg, sous lesquels se forait le tunnel du Lotschberg, de toutes les belles choses que nous projetions.

L'occasion me paraît bonne de dire ce que nous avons fait pendant ces vingt ans. Si j'en juge par certaines diatribes, voire par certains débats par- lementaires, nous sommes, à Genève même, assez ma1 connus.

C'est en partie notre faute. Si nous avons souvent fait parler de nous, nous n'avons pas beaucoup parlé nous-mêmes: nous n'avons pas publié de

4l rapports • où fussent année après année consignés nos efforts, nos succès et nos revers. Nous estimions, à tort sans doute, n'avoir pas de temps, et pas

d'argent, pour cela. Nos vingt ans nous seront l'occasion de réparer cette

OmiSSIOn.

Des visiteurs de l'étranger s'enquièrent de nos origines, de notre orga- nisation, de nos ressources*. D'aucuns ont pensé que notre Institut pourrait être imité avec profit ailleurs. Un étudiant chinois * n'a-t-il pas présenté à Louvain le plan d'un institut des sciences de l'éducation pour l'Empire du Milieu inspiré par l'article où Claparède traçait il y a vingt ans le programme de l'Ecole qu'il fondait~ Notre exposé a donc chance d'intéresser au moins quelques étrangers.

Mais, ne le cachons pas, nous voudrions qu'il retînt l'attention de nos compatriotes, de ceux qui vivent près de nous, de nos amis même, dont l'ignorance à l'égard de la fondation d'Edouard Claparède nous étonne

1 Les notes bibliographiques introduites par un ast~risque sont placées à la fin de c.haque chapitre.

Abr~viations: Ar. de Ps.

=

Archives de Psychologie.

CAP = Collection d'Actualit~s ~agogiques.

Ed. = Educateur.

lE

=

lnte~iaire des Educateun.

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6 VINGT ANS DE VIE

souvent. L'existence de l'Institut

J. J.

Rousseau, fondé en 1912 par quelques citoyens genevois, sauvé en 1920 par les instituteurs de la Suisse romande, développé depuis 1926 par des mécènes des Etats-Unis, est toujours en question. L'Institut des Sciences de l'Education, rattaché en 1929 à l'Uni- versité de Genève, peut disparaître demain.

Que ceux qui seront appelés à prononcer sur son sort aient au moins en mains de quoi se renseigner sur ce qu'il est et sur ce qu'il a fait. Et si ces pages, au lieu d'être une oraison funèbre au bord d'une fosse, sont le pre- mier chapitre d'un livre du centenaire,-tant mieux.

Quoi qu'il en soit, ceci n'est pas une Histoire de l'Institut j.

J.

Rousseau.

A quelques réussites exceptionnelles près - la Geschichte des Wandervogels de Hans Blüher*, ou, tout près de nous, l'Apologie des jeunes de j. B. Bouvier•, -les faits prouvent qu'on se juge mal soi-même et ceux de sa génération.

A une biographie de l'Institut il faudrait des portraits où, sans pousser jus- qu'à la caricature, nos petits ridicules et nos plus gros défauts - qui expli- quent tant de choses - ne seraient pas oubliés; il y faudrait une énuméra- tion - et elle serait longue déjà - des couleuvres que nos amis nous ont fait avaler; il faudrait, outre nos propres archives, qui pourraient être en meilleur ordre, compulser des documents qui ne nous sont point accessibles.

Non, ceci n'est point une histoire. Cela tiendra plut8t, je l'ai dit, du rapport. j'en ai publié un en 1917 sur les cinq premières années de l'Institut*;

celui-ci en couvrira vingt.

Le

rapport passe pour être un genre ennuyeux.

C'est bien ce qui nous a fait hésiter si longtemps.

Essayons.

Pedro RossELLO. Ellrutitulo f.]. RDWUDU. Sw ombres. Su obra. SU~Uiionu para nuu1ro pais. Madrid. Cosano 1923.47 p. in-16. Extr. du Boletin de la lnstitucion Libre de Enaenanza.

Mai-Juin 1923.

Edouard TcHANC HWAI. L'organisation d'un Institut du ScienceJ de fEdUC4tion en Chw.

Préf. deR. Buyse, BruxeUes 1929.231 p. 8•.

.'? •

Pietro RoiMNo. L'/stitulo di Scienze dell' Educazione G. G. Rousseau • antleSIO olf Uniuusitd di Ginevra. Milano. Albrighi 1931.24 p. 8•. Extr.de la Ri vista Pedagogica XXIV. v.

Hans BLÜHER. Wandervogel. Geschichte einer J~ung.

]. B. BoUVIER. L'Apologie du ]euna. Lausanne 1915.

L'lrutituJ ]. ]. Rousseau. Ropport suoc:ind sur son actil1it~ de 1912 d 1917. Extr.des Ar.de Ps. XVI, 1917.

(9)

Il

LES ORIGINES

]'ai toujours rapporté les origines premières de l'Institut

J. J.

Rousseau à Théodore Flournoy. Pourquoi? Flournoy a fait partie de notre Comité de patronage sans doute; il a été un de nos premiers souscripteurs, mais il n'a pas pris à l'organisation de notre Ecole une part active.

Non; s'il me paraît naturel d'ouvrir ce chapitre en évoquant son nom, c'est que pendant ces vingt ans nous n'avons pa~ eu, Claparède et moi, de plus haute ambition que de nous montrer dignes de lui. Son pragmatisme intelligent, son admirable probité scientifique, son horreur de tout pédan- tisme, sa générosité d'esprit, son respect des valeurs morales et religieuses, ses égards attentifs pour les personnalités, sa revendication des droits de la liberté pour les autres comme pour lui,- nous ne pouvions souhaiter nous inspirer d'un plus grand exemple.

Et c'est naturellement aussi, parce que son nom est inséparable de celui d'Edouard Claparède, qui était son cousin germain, qui fut son assistant au Laboratoire de psychologie depuis 1900, son associé dans la fondation et la direction des Archives de Psychologie en 1901, son successeur à la direc- tion du Laboratoire en 1904 puis en 1915 à la chaire de psychologie. Com- ment Claparède a compris et aimé Flournoy, on le voit dans l'admirable biographie qu'il lui a consacrée

*.

La chaire extraordinaire de psychologie expérimentale créée pour Théodore Flournoy en 1889 et incorporée sur son désir exprès à la F acuité des Sciences, n'avait pas de point de contact avec la chaire de pédagogie occupée à la F acuité des Lettres par Paul Duproix. Du sous-sol de l'Uni- versité Flou moy avait transporté son Laboratoire au second étage, construit en 1900 après une alerte d'incendie. Dans de grandes salles, toutes couvertes de diagrammes qu'il dessinait et montait lui-même, des étudiants assez clair- semés, mais appartenant à toutes les Facultés, venaient bénévolement s'ini- tier à des expériences plutôt rebutantes de psycho-physique qui ne les menaient à aucun examen.

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8 VINGT ANS DE VIE

Floumoy ne prenait pas ombrage de cet état de choses. Pensait-il avec Aristote qu'une science est d'autant plus excellente qu'elle est plus inutile?

Lui répugnait-il de se lier par des responsabilités régulières? Redoutait-il de prendre des initiatives qui l'auraient mis en avant? Son cours, qui faisait salle comble, suffisait à lui montrer que son travail n'était pas stérile et que sa chaire avait sa raison d'être.

Dans le cadre du Laboratoire de psychologie Edouard Claparède ouvrit au semestre d'hiver 1906 un Séminaire de psychologie pédagogique.

Comment en était-il venu, lui médecin, à s'intéresser à l'école? Il l'a raconté dans des notes autobiographiques savoureuses, qui n'ont été publiées qu'en anglais •; nous y emprunterons librement.

Nous pourrions remonter jusqu'à 1892: à 18 ans, en quittant le Collège, le jeune bachelier publiait une brochure de vingt pages •• où

r

on retrouverait déjà quelques-unes de ses revendications futures; mais c'est en 1900, quand, docteur en médecine rentré de son année d'études à Paris, il était attaché au Laboratoire de son cousin comme assistant bénévole, que Claparède reçut la visite d'une institutrice de classe spéciale, Ml16 Lack:

• Des classes spéciales pour enfants arriérés et anormaux venaient d'être créées à Genève. Mais les institutrices n'y avaient pour ainsi dire pas été préparées et elles se trouvaient fort embarrassées. Elles vinrent me demander conseil. Je n'en savais pas beaucoup plus qu'elles. Je commençai par aller voir leurs classes et par me mettre au courant de la question. Une visite à Bruxelles, où Demoor et Decroly travaillaient au même problème, me fut très précieuse. Et je fus ainsi à même de leur donner les quelques leçons qu'elles me demandaient. Le Département de l'Instruction publique me pria de lui soumettre un rapport sur l'enseignement des enfants anormaux et les progrès à réaliser. Tout cela stimula mon intérêt pour la psychologie pédagogique et m'amena à constater une fois de plus les défauts des systèmes scolaires en vigueur, d'un autre point de vue cette fois-ci, celui du médecin et non plus de l'élève. En 1901, à une c:Onférence donnée à la Société médicale de Genève, je réclamai l'« école sur mesure t : «Nous ne donnons pas, disais- je, autant d'attention à l'esprit de nos enfants qu'à leurs pieds. Les souliers sont de tailles et de formes diverses, à la mesure des pieds. Quand aurons- nous des écoles sur mesure? •

«C'est en 1900 aussi, que j'eus ·la bonne fortune de rencontrer sur mon chemin le beau livre de Karl Groos : Die Spiele der Tiere. Il m'ouvrit des horizons nouveaux. Il me montra

r

appui que la psychologie animale pouvait donner à la psychologie de l'homme, attira mon attention sur l'importance des instincts dans la vie mentale et me révéla comme en un éclair ce qui devait être la base de l'art de l'éducation: un sage usage des tendances

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LES ORIGINES 9

naturelles de l'enfant et plus particulièrement de la tendance au jeu. C'est à ce livre aussi que je dois d'avoir échangé ma conception psychologique et cérébrale trop étroite des phénomènes psychologiques contre une conception biologique plus large et plus dynamique, qui m'a servi de fil d'Ariane dans le cours de mes travaux. >>

Notons encore, avant le Séminaire de 1906, des leçons de psycho-phy- siologie pour les régentes des classes d'miérés faites au Laboratoire en 1904 et, l'année suivante, dans le Signal de Genève, organe hebdomadaire du Groupe national, une série d'articles sur

La

psychologie de l'enfant et la péda- gogie expérimentale, réunis en brochure en 1905 *, première ébauche de ce qui devait devenir le grand traité de 1916.

N'est-il pas frappant de voir que, comme à Bruxelles (Decroly), comme plus tard à Paris (Binet) et à Rome (Montessori), ce sont à Genève aussi les enfants anormaux qui ont déclenché dans l'espace de quelques années les courants de pensée pour la réforme de l'école, si caractéristiques des débuts du

xxe

siècle.

Le Séminaire de psychologie pédagogique, ouvert en 1906, n'était qu'un fragment d'un ensemble plus vaste que Claparède présentait en ces termes* :

<<Il est aussi indispensable à l'éducateur de connaître les lois de l'esprit

et de son évolution qu'à l'horticulteur de connaître la biologie des plantes, ou au médecin de connaître la physiologie des organes... Répondant à un vœu maintes fois formulé ... nous nous sommes proposé d'instituer au Labo- ratoire un enseignement expérimental de psychologie appliquée à la péda- gogie.

<< Cet enseignement devait comprendre des leçons pratiques de psy- chologie pédagogique, de physiologie et d'hygiène scolaires, de pathologie infantile, et devait être donné en collaboration avec des collègues de la F acuité de Médecine. t

Le

or

Vincent, chef du Département de l'Instruction publique, avait approuvé le projet de Claparède; son appui allait le faire aboutir; un acci- dent mortel priva brusquement le Département de son chef. Son successeur intérimaire (M. Perréard) se montra d'ailleurs bien disposé, il fit figurer le Séminaire au nombre des cours facultatifs proposés aux stagiaires qui se préparaient à la carrière d'instituteur. Ainsi, en deux séances de deux heures par semaine le Séminaire réunit 26 élèves, dont 16 stagiaires.

Les

pages dans lesquelles le directeur du Laboratoire rend compte de ce premier essai, en disant l'importance qu'il attache à l'initiation individuelle, au procédé

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10 VINGT ANS DE VIE

c clinique • de démonstration, aux discussions familières, à la combinaison de la théorie et de la pratique, aux visites d'asiles, annoncent déjà notre Institut.

Le projet primitif de Claparède avec la collaboration prévue de la F acuité de Médecine avait, dit le rapport, soulevé dès 1906 (t des difficultés d'appli- cation •>.Il dut être réduit au seul cours pratique de psychologie pédagogique.

Même ainsi, les oppositions ne manquèrent pas : à la F acuité des Lettres, le professeur de pédagogie trouvait que l'on empiétait sur son domaine;

à la Faculté des Sciences, on voyait de mauvais œil cette initiative d'une science qui, bien que représentée par un Floumoy, n'avait pas encore tout à fait conquis sa place.

Le nouveau chef de l'Instruction publique, William Rosier, raya le cours de psychologie pédagogique de la liste des enseignements que les futurs maîtres étaient encouragés à suivre. Après un an d'existence, le Séminaire mourut de sa belle mort.

Mais non pas la résolution de son créateur de travailler à une meilleure formation des instituteurs.

Car si Claparède est un tranquille, il est aussi un tenace. Qui sait si l'ardeur avec laquelle il a poursuivi son idée ne tient pas précisément aux résistances qu'il a rencontrées d'abord et longtemps.

<L'idée d'une opposition me donne de l'entrain. Etre forcé d'atteindre à la perfection 1 Ce sera peut-être salutaire, et ce qui nous semble de loin un danger sera peut-être l'occasion même de notre succès •. m'écrivait-il à quelques années de là, dix mois avant l'ouverture de l'Institut.

Autre chose encore empêchait Claparède d'abandonner son entreprise:

l'espoir que son effort avait suscité chez quelques membres du corps ensei- gnant qui allaient, en effet, être ses meilleurs collaborateurs :des institutrices de classes enfantines lui confiaient leur regret d'être bridées par leur inspec- trice et de ne pouvoir développer leur enseignement d'une façon plus con- forme aux aspirations de l'enfant. Il y avait quelque chose

à

faire. L'idée était dans l'air.

Pour son projet de Séminaire, Claparède avait trouvé un précieux appui auprès de M. Bernard Bouvier, recteur de l'Université de 1906 à 1908. qui, en sa qualité de fondateur du Séminaire de français moderne et des Cours de Vacances, était particulièrement bien placé pour le conseiller.

M. Bouvier fut un peu plus tard, dans l'été de 1909 sauf erreur, consulté sur un projet analogue, né d'une façon tout à fait indépendante dans l'esprit de Lucien Cellérier.

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LES ORIGINES 11 Descendant de pasteurs et de professeurs, Cellérier ambitionnait de mettre sa fortune à quelque chose qui en valût la peine. La pédagogie l'in- téressait. Grand ami de la F eance, il partageait avec beaucoup de protestants genevois cette idée, que les descendants des réfugiés huguenots ont une dette envers leur pays d'origine. Sur le terrain religieux, cela a donné naissance à des œuvres de colportage, d'évangélisation, d'enseignement. Cellérier entre- voyait quelque chose du même genre sur le terrain pédagogique : élargir, par le livre et la revue, l'horizon de l'école laïque républicaine. N'y aurait-il pas place, là aussi, pour une institution d'enseignement? Là, cela va de soi, il ne pensait plus uniquement, ni même spécialement, à la France. Ce Sémi- naire, dont« le but serait de préparer des hommes à un point de vue philoso- phique, moral, scientifique, cultural extrêmement étendu t, Genève et la Suisse en ·avaient besoin pour elles-mêmes. Pourrait-il se rattacher à l'Uni-

versité? C'est ce que Cellérier demandait à Bernard Bouvier. A côté du professeur de pédagogie, Paul Duproix, dont il connaissait la hauteur morale, Cellérier savait pouvoir compter sur Jules Dubois dont la thèse sur Le pro- blème pédagogique* témoignait de préoccupations assez semblables.

Ce projet ne coïncidait pas tout à fait avec celui que Claparède avait tenté de réaliser. Les sciences, la psychologie notamment, y tenaient moins de place. Mais une entente n'était pas exclue.

Vers la fin de 1910, une jonction des deux projets, celui plus psycholo- gique de Claparède, celui plus philosophique de Cellérier, parut se faire.

Paul

Du

proix avait donné son assentiment à une répartition des enseignements entre tous ceux auxquels on avait songé de part et d'autre. Il manqua la chiquenaude. On ne pouvait pas l'attendre du Département, où on flairait dans toute l'affaire une initiative de « mômiers •.

De Lausanne allaient venir des encouragements décisifs.

Le

5

juin 1911, Maurice Millioud communiqua à Bernard Bouvier un projet, non daté mais déjà ancien 1, qu'il avait présenté, avec ses collègues les professeurs François Guex et Meylan à la Faculté des Lettres de l'Uni- versité de Lausanne. A propos d'un certificat d'aptitudes pédagogiques destiné à des licenciés, il visait à créer une « section pédagogique • où seraient enseignées<! les matières d'un enseignement pédagogique d'une utilité géné- rale, pour l'enseignement privé, pour directeurs d'établissements d'éduca-

1 L'idée d'adjoindre à la Faculté des Lettres une «section de pédagogie • est déjà indiquée par Millioud dans son livre La RI/or= de l'~itnement ~ire datU le con/on de Vaud.

UU$8llne 1903, p. 197.- je n'ai pu découvrir si le pro~t que je cite dans le texte était antb- rieur au livre, ou s'il en constituait un développement.

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12 · VINGT ANS DE VIE

tion des divers degrés et dans divers pays, et même pour parents préoccupés de l'éducation de leurs enfants, comme pour les inspecteurs scolaires et les maîtres qui désirent se perfectionner dans l'étude des questions pédago- giques,>.

Le programme comprenait les articles suivants :

1. Etude des principales écoles éducatives actuelles (Herbart, Spencer, Abbotsholme, Lietz). (Caractéristique des écoles où l'un ou l'autre système est appliqué.)

2. Principes de l'enseignement éducatif.

3. Psychologie infantile avec travaux de laboratoire.

4. Législation et organisation scolaires dans les principaux pays civi- lisés. (Degrés, raccordements, enseignement privé, coéducation des sexes, etc.) 5. Hygiène de l'enfance (scolaire, alimentation, vêtement, éducation physique, exercice et jeu, etc.).

6. Analyse des auteurs nouveaux et actualités pédagogiques. (Classiques et réaux, réforme de l'enseignement secondaire, etc.)

7. Pédagogie des anormaux.

8. Education morale.

9. Œuvres post-scolaires et complémentaires de l'école. (Bibliothèques, sociétés d'instruction populaire, de patronage, lectures et conférences; à la caserne; cours professionnels; extension universitaire, etc. Cf. Edouard Petit.)

1 O. Conférences pour parents.

Dans l'exemplaire qu'il communiquait à Bernard Bouvier, Millioud a rajouté en face du n° 9 :

«Et éducation de la démocratie: en France le parti qu'on tire du ser- vice militaire; aux Etats-Unis d'Amérique: les écoles pour enfants d'immi- grants et le problème de l'assimilation des étrangers; questions ~e psycho- logie des races, de l'éducation des races inférieures; les influences sociales:

presse, livres, romans, cours, etc. t

De ce rapport il n'advint rien, sinon, en 1910 seulement, l'organisation d'exercices faits par les futurs professeurs de l'enseignement secondaire au Collège classique et scientifique. L'échec de son projet, dO, si je ne me trompe, à un préjugé contre la pédagogie alors fortement enraciné à la Faculté des Lettres de Lausanne, fut très sensible, semble-t-il, à Millioud qui, à partir de sa rencontre avec Bernard Bouvier, mit toute son intelligence,

1

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/ /

LES ORIGINES 13

son expérience des hommes et, le mot n'est pas trop fort, un véritable enthou- siasme, à faire aboutir son projet à Genève.

Qu'on nous permette de citer quelques passages de ses lettres à Bouvier:

(l Je suis stupéfait qu'aucune des Universités de la Suisse romande n'ait pensé jusqu'à ce jour à créer un institut pédagogique un peu largement conçu. Il aurait des chances de brillante réussite. Songez à l'intérêt qu'exci- tent les questions d'enseignement dans le public, à la formation des maîtres de l'enseignement privé, chez nous et à l'étranger, à tout ce que nous expor- tons de personnel enseignant, à toutes les questions qui sont agitées tous les jours dans tous les pays, et enfin à tout ce qui se rattache de près ou de loin aux questions d'enseignement. Quelles belles leçons on pourrait faire sur l'histoire de l'enseignement rien qu'en consultant les procès-verbaux des discussions de la Chambre française depuis la Restauration, ou depuis Lakanal et la Convention! Il y a de véritables mines à exploiter. Et l'on pour- rait mettre des privat-docents ·à tel sujet circonscrit, ce qui donnerait même lieu à des publications intéressantes.

• Comprise comme la Boutmy (l'Ecole libre des Sciences politiques

de Paris) -dans les proportions qu'on voudra - cette école pourrait jeter un grand éclat. Plus j'y pense, plus je trouve qu'on ferait courir un danger à l'école primaire en amenant les <l régents l) à l'Université. Mais il y a en dehors d'eux une clientèle énorme et facile à gagner. Et les mamans! Et beaucoup de pères ...

«Je vois cet enseignement comme une pyramide retournée. A la base, quelques cours, la puériculture, l'hygiène de la première enfance, avec la question de la mortalité infantile; la psychologie infantile; le kindergarten.

Et à mesure qu'on s'élève, un élargissement, les questions de psychologie, de législation scolaire des divers pays, l'histoire des écoles, et celle des théo- ries pédagogiques, les questions de programmes et de méthodes dans l'en- seignement à tous les degrés, et enfin, en arrivant au sommet, une vue sur les problèmes de l'enseignement dans leur aspect social, le problème de l'en- seignement éducatif, les rapports de l'enseignement et de la morale, la for- mation du caractère, des mœurs publiques, des essais de synthèse où là on tenterait de résumer la vie pédagogique d'un pays, institutions, mœurs, organisation, tendances, etc.

« .•• Les forces sont là; il n'y a qu'à les grouper en faisant appel à des hommes de diverses F acuités. Et au centre, le Laboratoire de psychologie expérimentale ... Et ce serait l'occasion d'organiser des enseignements plus souples,' un système plus élastique serrant mieux les nécessités de la matière et de l'enseignement que le lourd mécanisme du cours de deux ou trois heures toute l'année.» (S juin 1911.)

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14 VINGT ANS DE VIE

Cinq jours plus tard, Millioud récrit à Bouvier pour lui conseiller de ne pas aborder le chef du Département sans <<un plan d'organisation qui lui permettrait d'apprécier l'ensemble, de se représenter la marche de l'Ins- titution, et d'évaluer par à peu près les sacrifices que l'Etat pourrait consentir.

Vous aurez d'autant plus de chances de réussir que vous aurez dès le début quelque chose de net et qui paraisse viable et même rentable». Il ajoutait:

~Une école de ce genre comporte un triple enseignement: 1° la pra- tique; 2.o la recherche expérimentale et scientifique; 3° l'étude de toutes sortes de questions d'ordre social, moral et même littéraire. C'est par ce dernier degré que l'Ecole des Sciences de l'Education acquerrait toute sa portée. Et je ne vois pas qui organiserait cela, ce dernier degré, le degré le plus haut, si ce n'est vous. Je crois que c'est vous qui êtes le << right man •.

Si vous vous désintéressez, diable, ·diable, J'avenir de cette entreprise est bien compromis 1 Il y a deux points de repère existants, deux pôles : le Labo- ratoire de M. Claparède et l'enseignement de M. Duproix. Autour du Labo- ratoire on peut grouper la puériculture, l'hygiène scolaire, les recherches sur l'intelligence, sur l'établissement des programmes, enfin toute la partie scientifique et expérimentale. Autour de l'enseignement pédagogique actuel:

la législation scolaire et l'organisation scolaire, la didactique générale, les didactiques spéciales, la pratique, séminaires, leçons dans une classe d'ap- plication, exercices. Mais au delà de ces deux pôles, il en faudrait un troi- sième; pour être tout à fait universitaire votre école devrait comprendre ce qui, dans les problèmes de l'éducation, touche à la question nationale, aux problèmes sociaux, à l'éducation de la démocratie, à l'étude des influences qui agissent sur les mœurs publiques, sur l'opinion; les livres, la presse, les associations, enfin à l'étude du mécanisme de la formation de la mentalité et des« idéaux» d'un temps, d'une nation. Il peut y avoir des études histo- riques pour la comparaison avec le présent. C'est la partie la plus nouvelle et à certains égards la plus intéressante. Je ne vois pas bien qui pourrait

organiser cela si ce n'est vous. •

Ces lettres de Millioud, communiquées par Bouvier à Claparède, furent pour celui-ci le plus puissant des encouragements. Il ne laisserait pas passer l'été sans aller causer de tout cela avec son collègue de Lausanne.

Mais quinze jours ne s'étaient pas écoulés qu'il tournait ses yeux vers Neuchâtel aussi :c'était le professeur de philosophie de Neuchâtel qui devien- drait le directeur de son Institut de pédologie.

Comment Claparède en était-il venu à penser à moi?

Il faut, dans cette préhistoire de notre Institut, nous transporter à

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LES ORIGINES 15

Neuchâtel aussi. j'y étais depuis 1903 professeur au Gymnase et à la Faculté des Lettres. Dans cette dernière chaire, illustrée par Ferdinand Buisson, Adrien Naville et Ernest Murisier, où j'avais été nommé à 25 ans, moins pour mes mérites que par la confiance et la gratitude qu'évoquait le souvenir de mon père, j'enseignais l'histoire de la philosophie, la philosophie systé- matique pour autant que j'en étais capable, et la psychologie. A défaut d'une pensée très personnelle, j'avais de précieuses notes de cours; je m'appliquais à faire fructifier de mon mieux ce que j'avais reçu de Flournoy, de Gourd, d'Adrien Naville et de M. Bergson, parmi d'autres.

On avait, en 1901, demandé à Ernest Murisier, mon prédécesseur, de consacrer une heure à la psychologie de l'enfant. On me pria, en 1904, de reprendre en cela aussi la succession de Murisier.

En 1910;je proposai un plan plus hardi: je garderais une heure de cours ou de conférence, mais une seconde heure serait consacrée à des leçons sur les méthodes de l'enseignement secondaire, que j'organiserais, mais qui seraient données par d'autres que moi. Les maîtres de l'enseignement secon- daire y seraient conviés en même temps que les étudiants.

L'innovation eut un vrai succès. Un petit volume, préfacé par le doyen de la Faculté des Lettres*, en témoigne. J'avais eu la main heureuse dans le choix de nos conférenciers; trois d'entre eux devaient plus tard, à des titres divers, devenir de précieux collaborateurs de l'Institut].]. Rousseau:

MJie Marie Butts, alors professeur à l'Ecole Vinet à Lausanne, M. Charles Bally et M. Jules Dubois, de Genève.

Dans une autre série, qui n'a pas été publiée, M. Claparède vint, le 18 mai 1911, traiter ((L'association des idées et l'appui réciproque des disci- plines •.

Ce

fut notre premier contact sur le terrain de la pédagogie.

Si j'écrivais des mémoires (et ceci y tourne plus que je ne voulais), je devrais dire ici ce qu'était le Foyer Solidariste de Saint-Blaise de mon grand ami James de Meuron et comment j'avais été amené à y inaugurer, en 1906, la Collection d'Actualités pédagogiques par la traduction de 'chule und Charakter de Fœrstér. Il suffira de constater que j'ai traduit et pu •:~

des livres de pédagogie près de vingt ans avant d'en écrire.

Ce

sont ces deux initiatives, la Collection d'Actualités et les séries de conférences, qui me signalèrent à l'attention d'Edouard Claparède. Le 22 juin 1911, à la fin d'une réunion des philosophes de la Suisse romande à Rolle, en me voyant débarquer du bateau à vapeur où il se trouvait, alors que je lui avais déjà tourné le dos,l'idée jaillit en lui que j'étais<< son homme>>, celui dont il avait besoin pour réaliser le projet qu'il portait en lui depuis plusieurs années. Huit jours après il m'en écrivit.

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16 VINGT ANS DE VIE

j'acceptai tout de suite. Je ne suis pas un philosophe. Je voyais bien que mon successeur, dont le nom s'imposait, donnerait à mes étudiants plus que je ne pouvais leur donner. Genève était mon alma mater; je savais y trouver un milieu stimulant. L'idée de sortir des chemins battus n'était pas pour m'effrayer. Il y a vingt ans, un jeune père de famille pouvait, dans les circonstances où j'étais, se montrer moins circonspect qu'il ne devrait l'être aujourd'hui.

L'Institut devait s'ouvrir en octobre 1912. Je donnai ma démission de professeur pour le printemps. Je comptais que je mettrais six mois à courir le monde pour voir des écoles. Je ne vis que le Tessin et l'Italie, où les Scuole di Peda!JOgia de Credaro inauguraient alors quelque chose d'analogue à ce que nous voulions créer, et où les Case dei Bambini que j'allais présenter au public de langue française commençaient à attirer l'attention générale.

Claparède avait son directeur neuchâtelois. L'appui de son collègue vaudois restait toujours aussi précieux.

j'ai renoncé à tracer des portraits. Un de ceux qui m'eussent le plus em- rrassé eût été celui de Maurice Millioud. La Suisse romande a connu peu d h, es plus intelligents, d'une intelligence plus riche et plus souple, plus

« versable • au sens anglais du mot - et au sens français aussi, peut-être.

j'avais eu l'avantage d'être son élève en 1901. Il apporta à la création d'une Ecole des Sciences de l'Education à Genève un magnifique entrain. Son livre de 1903 sur La Ri/orme de l'enseignement secondaire dans le canton de Vaud contenait les suggestions les plus heureuses. Millioud voyait le rôle que l'Institut pourrait jouer pour former ces précepteurs et ces gouvernantes que la Suisse, depuis le temps de Frédéric César Laharpe; envoie en foule à l'étranger. Pendant quelque temps il découpa régulièrement pour nous dans les journaux les annonces qui témoignaient du besoin auquel il voulait répondre. Il fit plus que de payer de sa personne. Quand la Société Anonyme se constitua, il tint à en être actionnaire. Il accepta une place au Conseil d'Administration, où du reste il ne siégea guère. C'est à lui aussi que nous dûmes, dès avant l'ouverture de nos cours, un des deux seuls dons 1 qui nous soient venus de personnes inconnues : une étudiante hollandaise, qui lui avait de la gratitude, nous remit une somme de 3000 francs pour des bourses. Grâce à Maurice Millioud les trois cantons, les trois universités de la Suisse romande, collaboraient à la fondation de l'Institut J. J. Rousseau.

1 L'autre, de 5000 francs, nous vint dix ans apr~ d'un maître secondaire balois que nous n·avions jamais vu, C. Bun:khard, auteur d·un très remarquable ouvrqe, K~Jb­

lthen, Berlin 1911, dont j'avais rendu compte avec sympathie et admiration dans l'Intermédiaire.

Nous dûmes l M. Burckhard le seul fonds de réserve que l'Institut ait jamais popédé.

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LES ORIGINES 17

Mais c'est à Genève, naturellement, que se faisait le gros du travail.

Lucien Cellérier avait conseillé de se constituer en société anonyme.

On s'occupa de recueillir des souscripteurs.

Pour loger une institution nouvelle, en 1912 déjà, on s'adressait à Genève à M. Guillaume Fatio. Il suggéra d'utiliser l'Assemblée générale de la Société des Arts au mois de mars, pour faire connaître notre projet*.

Claparède écrivait pour les Archives de Psychologie cet article-pro- gramme qui a d'avance prévu tout ce que nous devions faire dans la suite.

Il profitait de ses relations en tous pays pour constituer un Comité de patro- nage, dont peu d'institutions ont eu l'équivalent.

Le nom de notre école donna lieu à bien des pourparlers. Les projets de Millioud, inspirés par l'Ecole libre des Sciences politiques de Paris, suggéraient <1 Ecole libre des Sciences de l'Education>>. Claparède n'aurait

pas craint <<Pédologie>>. Ce néologisme disait bien sur quelles connaissances nous prétendions asseoir notre enseignement. Une certaine crainte de pàraî- tre pédants nous arrêta.

L'attention se porta sur une autre question aussi : <<Institut~ ou

<<Ecole>>? Avec l'ampleur des développements que Claparède donnait à son projet,<< Institut», pour lequel je n'avais personnellement-pas de sympathie, prit le dessus.

Mais surtout, peu après sa première lettre à moi, Claparède s'attacha à l'idée de mettre la fondation nouvelle sous le vocable de Jean Jacques Rousseau, dont on allait, précisément en 1912, célébrer le deuxième cente- naire. Son idée ne rencontrait pas d'abord l'approbation de ses amis, même pas des plus rousseauistes; à la réflexion, les avis se modifiaient. <<Le nom de j. j. Rousseau a d'abord produit un choc à Millioud, m'écrivait Claparède en septembre 1911, mais au bout d'une minute, il l'a trouvé épatant.» Fin décembre on hésitait encore. Un de nos conseillers, pas très' sérieusement sans doute, suggérait« que l'on ne prononçât pas le nom de Rousseau avant que l'argent fût recueilli. Les conservateurs genevois ont, paraît-il, conservé contre Rousseau une dent terrible & •

Seule la rédaction par le notaire des statuts de la Société Anonyme mit fin aux tergiversations. << Ecole des Sciences de l'Education & fut le titre,

<<Institut

J.

J. Rousseau&, le sous-titre. A peu d'années de là, la plupart de nos imprimés intervertirent les deux appellations. Au moment du rattache- ment à l'Université le mot d'<< Institut~ s'installa aux deux endroits, celui d'<< Ecole» favorisant les confusions.

Les objections dirigées contre le. patronage de Jean Jacques n'ont été

réduites au silence ni par le magistral article de Claparède sur 1. 1

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18 VINGT ANS DE VIE

et la conception fonctionnelle de l'en/ance *, ni par des réflexions de bon sens qui sont pourtant, semble-t-il, à la portée du plus ignorant. C'est à propos du Bureau International d'Education que nous nous sommes aperçus surtout de la ténacité de certains malentendus. Non content de penser que nous enseignions tout l'Emile, y compris la Profession de foi du Vicaire savoyard, on nous a parfois endossé la Nouvelle Héloïse et le Contrat Social. Pour un peu, on nous aurait imputé l'abandon des enfants de Jean Jacques ...

Par correspondance, nous rédigeâmes en commun, Claparède et moi, notre programme. Il parut le 1er mars 1912 et connut coup sur coup un grand nombre de tirages, s'enrichissant successivement de l'adresse: Taconnerie 5, - de la vignette imaginée par Claparède et dessinée par mon ami Th. Dela- chaux,- de la devise DJSCAT A PUERO MAGISTER, dont la latinité fut approuvée par Jules LeCoultre. (Nous le consultâmes, exactement comme M. Jourdain, pour savoir dans quel ordre les mots que nous avions choisis donneraient le plus de relief à notre pensée : A puero discal magister, Magister a puero discal, etc. Des six ordres possibles, comme le Bourgeois de Molière, nous avions trouvé le meilleur tout de go!)

Taconnerie 5. Dans un bâtiment ancien, exactement au point culmi- nant de la vieille ville, on venait, sur la suggestion de la plus avisée des concierges (Mme Jordaney), d'abattre un mur qui partageait une cour.

M. Fatio trouva là un rez-de-chaussée encombré de caisses, perça une porte sur un petit jardin, et nous aménagea sur deux étages quatre pièces, qui en devinrent six, puis huit, par des locations complémentaires. Les premières furent meublées d'une bibliothèque de sapin dessinée par M. Edmond Fatio et de sièges commandés dans je ne sais quel pays danubien.

Avant même qu'on pût s'y tenir, j'annonçai des heures de réception dans un salon du Bureau de bienfaisance attenant, et j'attendis le client en déballant les livres dont je faisais don à la bibliothèque du futur Institut et en cataloguant ceux que Claparède, très généreusement, y apportait jour après jour. C'est là que je reçus la visite d'un étudiant qui voulait se préparer chez nous à être ministre de l'Instruction publique en Grèce (il ·ne l'est pas encore devenu); c'est là que je fis la connaissance du docteur Godin.

Ed. CLAPARÈDE. Th. Flournoy, sa vie et son œuvre. Ar. de Ps. 1921. XVIII, 1-125.

- A History o/ Psycho/ogy in Autobiography, Clark University Press, Worcester, Mars 1930. Vol. 1, p. 63-97.

- Que/qua mots sur le Collège de Genève. Genève 1892.

- La psychologie th fen/ani et la pédagogie exfJ(rimentale. Genève 1905. 76 p. in-16.

- Rapport sur le Laboratoire de psychologie. Ar. de Ps., t. VI. Genève 1907.

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LES ORIGINES 19

Lucien CELli:RJER. Esqui3Mc J'une science ph/agogi~. Les faits et les lois de l'~uca­

tion. Paris 191 O.

Jules DUBOIS. Le probl~ p&/ogogi~. Essai sur la position du problème et la recherche de ses solutions. Genève 1910.

Les leçons de français dons f enseïgnernmt S«Cndaire. Sept conférences. Préf. de Jules LeCoultre. Saint-Blaise 1911.

Pierre BoVET. La création ô Gmève J'um &ole des Sciences de fEducalion. Extr. du Rapport de la Société des Arts. Genbe 1912. 27 p.

Ed. CLAPARÙ>E. ]. ]. Rousseau et la conœption /oncliormelle de fen/ance .. Revue de métaphysique et de morale. XX. 1912.

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LES DÉBUTS

La brochure-programme de seize pages constituait - divisée en trois parties : L'Enfant, l'Education, L'Enseignement - une table des matières des sciences de l'éducation. Elle ne laissa pas d'effrayer nos amis. Comment ne pas se noyer dans ces flots de connaissances? Où trouver des maîtres pour tant de spécialités? Allait-on exiger que les élèves apprissent tout cela?

A ces questions nous avions nos réponses prêtes. Les élèves n'appren- draient que ce qui serait nécessaire à leur dessein. Et ils l'apprendraient sur- tout par eux-mêmes: nous leur fournirions des occasions d'expériences, des guides, hommes et femmes du métier, des livres; à eux d'en tirer proflt.

Dans l'esprit de Claparède, le rôle du directeur était avant tout celui d'un maître d'études. Mon cahier des charges _portait que je devais tout mon temps à l'Institut; au programme, on n'annonçait de moi que deux heures et demie d'enseignement par semaine.

A côté du directeur, l'Institut avait des praticiens vraiment compétents, ceux que familièrement nous appelions nos<< chefs de rayon>> et dont l'en- seignement, << donné essentiellement sous la forme de conférences de sémi- naire, avec travaux pratiques, examens d'enfants, etc.», comme disait le programme, coordonnerait naturellement la multiplicité des expériences dont de nombreux spécialistes devaient nous faire part .

La psychologie de l'enfant, l'éducation des anormaux, celle des petits, l'éducation morale, l'organisation scolaire, l'histoire de la pédagogie, la sociologie de l'éducation, - tels étaient les principaux << rayons )) prévus.

Notre programme était énoncé en termes assez larges pour que nouli fussions prêts à envisager, si le besoin s'en faisait sentir, d'autres directions d'études à côté de celles-là. <<L'Ecole, disions-nous, a pour but d'orienter les person- nes se destinant aux carrières pédagogiques sur l'ensemble des disciplines touchant à l'éducation. >> Mais pour les disciplines fondamentales, le direo- teur avait à ses côtés, grâce aux travaux d'approche de Claparède, des colla- borateurs de premier ordre.

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LES DÉBUTS 21

Claparède lui-même se chargeait, naturellement, de la psychologie de l'enfant. Il avait déjà derrière lui onze années des Archives de Psychologie, quatre éditions toujours grossissantes de sa Psychologie de l'Enfant, l'organi- sation du Congrès international de psychologie de 1909. C'était, à 39 ans, un maître de réputation universelle; il me souvient de l'étonnement de direc- trices d'Ecoles Normales ou d'inspecteurs venus de bien loin, en se trouvant en présence d'un homme si jeune, si totalement dépourvu de morgue et de pédantisme.

Son essai de Séminaire au Laboratoire, sa collaboration à la Société pédagogique genevoise l'avaient mis en rapport avec plusieurs membres du corps enseignant. Il était soucieux de ne laisser perdre aucune bonne volonté : aux uns, il d~manderait de développer en une ou deux leçons les articles qu'ils avaient donnés aux Archives, aux autres il confierait la direction d'une conférence hebdomadaire.

MUe Alice Descoeudres, fille d'un pasteur neuchâtelois retiré à Genève, avait débuté dans l'enseignement privé. En 1909, elle avait répondu à un appel du Département de l'Instruction publique en faveur des classes d'ar- riérés, et fait à Bruxelles, chez le

or

Decroly, un stage de quelques mois.

Elle avait à son actif, au moment où nous jetions les bases de l'Institut, une étude sur les tests Binet et Simon de 1908 et 1911 • qui témoignait des belles qualités d'expérimentatrice dont elle a donné depuis tant de preuves. Aussi brillamment douée par l'esprit que ~r le cœur (et ce n'est pas peu dire), MUe Descoeudres devait être pour l'Institut naissant plus qu'une collabora- trice, une animatrice. Elle accepta de faire le jeudi, de JO heures à midi, tous les quinze jours, une conférence sur la psychologie et la pédagogie des anormaux, qui combina d'emblée d'une façon parfaite l'étude théorique des problèmes et les directions pratiques inspirées par l'observation concrète des cas. La conférence de M116 Descoeudres, dont son livre sur L'Education des enfants arriérés* peut donner une idée, a réalisé d'emblée pendant les pre- mières années de l'Institut, l'idéal que Claparède avait en vue.

Cette conférence sur les anormaux alternait avec une autre, celle du

or

François Naville, médecin des classes spéciales, qui se chargea aussi d'une heure de cours sur les maladies des enfants.

Deux hommes qui, depuis plusieurs années, faisaient de la pédagogie leur spécialité, étaient chargés de conférences hebdomadaires importantes : Adolphe Ferrière et jules Dubois.

Ferrière avait, en 1899, à 20 ans, créé un Bureau International des Ecoles Nouvelles, qu'il constituait du reste à lui tout seul. Son Programme J' &ole Nouvelle • incorporait, en vue d'une réalisation qui dut se faire, hélas l

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VINGT ANS DE VIE

sans lui, le fruit d'expériences accumulées auprès de Lietz et de Bradley.

Entravé ala.rs déjà par une surdité presque totale, il fit de nécessité vertu et astreignit les élèves de sa conférence hebdomadaire d'éducation morale à lui présenter par écrit des travaux qu'il corrigeait, lui aussi, par écrit avec un soin admirable, commentant ses critiques de vive voix le jour où il rendait les compositions. En demandant de chacun de ses étudiants des documents et des expériences précises, Ferrière contribua à créer une tradition de la maison. Un certain nombre de ces travaux ont été publiés par ses soins.

jules Dubois, dont Claparède avait été le camarade à l'Université et dont j'avais, moi, fait la connaissance à Paris (nous aimons à nous rappeler les leçons de Bergson que nous suivîmes ensemble au Collège de France) - Dubois avait gardé de sa formation théologique un goût de la direction spi- rituelle dont ses élèves ont largement bénéficié. Plus philosophe, plus sys- tématique par tempérament sans doute et par conviction que Claparède et moi, il a donné à nos étudiants quelque chose que nous ne pouvions pas

leur donner. Sa conférence était intitulée «Histoire et philosophie des édu-

cateurs~. car il était entendu que nous n'inciterions pas nos élèves à des recherches d'érudition. Dans les sources de l'histoire de la pédagogie nous voulions leur apprendre à trouver les hommes eux-mêmes. Nous tenions beaucoup à cette façon de concevoir l'enseignement de l'histoire de l'édu- cation. La collaboration de jules Dubois fut de courte durée. Dès le premier semestre il dut, pour cause de santé, être suppléé par M. Henri Reverdin.

A partir d'octobre 1914, l'Institut porta à son programme l'enseignement universitaire de M. Albert Maiche, qui avait succédé à Duproix en 1912.

MJle Mina Audemars nous était moins connue. Institutrice des écoles enfantines de Genève, ayant suivi les cours du Frœbel lnstitute de Londres, elle avait sollicité une préface de Claparède pour un petit livre sur le dessin des enfants

*

écrit en collaboration avec MUe Louise La fende!. Claparède lui demanda de diriger une conférence hebdomadaire d'une heure sur l'éduca- tion des petits. On verra tout ce qui est sorti de ce modeste début. Mlle Aude-

llljU'S, elle aussi, fut arrêtée dès la première année par sa santé et suppléée par une éducatrice émérite, Mme Faller-Knaus, dont la fille créa, un peu plus tard, à l'Institut la tradition des secrétaires consciencieuses et dévouées.

Mme Artus-Perrelet (encore une Neuchâteloise de naissance) avait accepté une tâche en apparence modeste, mais qui tenait fort à cœur à Claparède, celle d'enseigner à croquer à la planche noire de quoi illustrer une leçon. Je ne sais si Claparède se doutait alors du capital de réflexions originales et d'expériences ingénieuses que représentait la collaboration de cette élève de Barthélemy Menn. Le livre qu'elle publia quelques années

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LFS DÉBUTS

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plus tard sous nos auspices* n'en donne lui-même qu'une faible idée. C'est peut-être aux Pays-Bas et au Brésil seulement que Mme Artus a pu donner toute sa mesure.

M. Emmanuel Duvillard, instituteur primaire, s'était associé activement aux travaux du groupe d'études de la Société pédagogique. Il fut chargé de nous parler, à raison d'une heure par semaine, des expériences qu'un maître peut faire dans sa classe.

A côté des leçons que nous esp~rions de Maurice Millioud, la sociologie était représentée, d'une façon concrète, par cinq conférences de deux heures, consacrées aux enquêtes sociales sur l'enfance, confiées à Mme Marthe de Maday-Hentzelt, qui avait aidé son mari dans plusieurs enquêtes sociales et qui travaillait alors, sans que nous le sachions, à son beau livre sur L'amour maternel*. S~ collaboration, hélas! fut brève : moins de deux ans après Mme de Maday mourait dans la fleur de l'âge.

Tels étaient les professeurs auxquels Claparède avait pensé d'avance.

Mais l'annonce de notre entreprise atteignit, parmi beaucoup de sceptiques et d'indifférents, plusieurs praticiens d'expérience engagés dans des voies nouvelles qui, spontanément, nous offrirent leurs services. C'est, si je ne me trompe, à la séance de l'Athénée, que nous prîmes contact avec trois femmes éminentes qui cultivaient avec ardeur des domaines auxquels, Claparède et moi, nous étions assez étrangers.

MJ.le Ketty ]entzer, diplômée de l'Institut royal de Stockholm et pro- fesseur dans les écoles secondaires de Genève, fut inscrite à notre programme du semestre d'été pour un cours théorique et pratique sur l'éducation par le mouvement; Mme Hélène Bethmann, professeur au Conservatoire, héri- tière spirituelle de Marie Chassevant, cette admirable pionnière, offrit un cours normal d'instruction et d'éducation musicales qui fut accepté avec joie;

Mme Marthe Giacomini-Piccard initierait nos élèves à une méthode de composition ornementale qui, partant d'éléments géométriques très simples, permet les développements les plus variés et, par des normes éprouvées, préserve du mauvais goût les tempéraments enclins à l'aventure.

Parmi tous ces concours si précieux pour notre Ecole naissante, il me sera bien permis de dire qu'aucun ne nous réjouit et ne nous flatta davantage que celui du

or

Paul Godin. Nous ne le connaissions pas - pas même de nom. Ce fut lui qui, sur l'annonce d'une revue scientifique, vint me trouver au milieu de l'été. Il se présenta : médecin militaire retraité après vingt-cinq ans de service, il avait mesuré régulièrement deux fois par an les enfants de troupe de l'Ecole de Saint-Hippolyte-du-Fort et amassé sur la croissance de l'enfant des documents qui avaient fourni la matière d'un ouvrage cou-

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VINGT ANS DE VIE

ronné par l'Académie de Médecine*, et d'un grand nombre de communica- tions aux sociétés les plus savantes. Le

or

Godin offrait de mettre sa science à la disposition de nos élèves en leur apprenant à traduire en inductions éducatives un ensemble de mensurations qu'il leur enseignerait à prendre.

Nous avions marqué dans notre programme la place de l'anthropologie : Eugène Pittard avait accepté de nous y initier. je le dis au

or

Godin; il ne se formalisa pas de ma réponse, et Pittard, consulté, ne put que nous féliciter du concours éminent qui nous venait de façon si inespérée.

Deux fois par an, en mai et en novembre, entre La Flèche, leur ville natale, et Nice où ils hivernaient, M. et Mme Godin passaient quelques semaines à Genève dans une maison qu'ils possédaient Boulevard du Pont d'Arve. Pendant ces semaines, l'Institut organisait un cours pratique de mensurations « auxanologiques », pour prendre le mot du

or

Godin. Aussi généreux de son temps que de son argent, refusant les modestes honoraires que l'Institut lui allouait pour qu'ils fussent consacrés à l'achat d'un squelette, notre ami se mettait avec une courtoisie, une bonté, une patience inlassables au service de nos élèves et des clients de notre Consultation. Inventeur d'une toise portative {l'auxanomètre Godin), il fit don de son invention à l'Institut qui la fit fabriquer par les ateliers Mozou. Le

or

Godin consacra des heures et des heures à vérifier lui-même l'ajustage des différentes pièces. Le cours qu'il fit à l'Institut a été publié sous nos auspices* et récompensé par l'Aca- démie des Sciences. La guerre, la vente de sa maison, l'âge aussi et des rai- sons de santé, raccourcirent puis espacèrent les séjours du

or

Godin à Genève. Ce nous est un vrai regret que notre ami n'ait pas pu voir le dévelop- pement qu'ont pris à l'Institut les mensurations anthropométriques depuis la fondation de l'Ecole des Unions chrétiennes de jeunes gens et présider lui-même aux recherches de M. Petre-Lazar qu'il a saluées à distance. Le

or

Godin a été une des grandes forces de notre Ecole à ses débuts.

je ne pourrai pas présenter en détail chacun de ceux qui depuis 1912 sont venus s'associer à notre effort. Mais nos collaborateurs de·la première heure méritaient à coup sûr une place spéciale. Ils ont donné le ton et entraîné les autres.

Avant de quitter l'horaire que nous mettions sous les yeux de nos pre- miers élèves, j'y note encore les noms des professeurs dont nous avions groupé en séries les conférences. Maurice Millioud, Le rôle social de l'école;

Ph. Aug. Guye, Principes de l'énergétique; Paul Moriaud, Graphologie;

Th. Flournoy, Le génie; Alfred Gautier,

Les

tribunaux d'enfants; Aug.

Lemaître, Le parapsychisme scolaire; Louis Mercier, inspecteur, La com- position française à l'école primaire.

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LES DÉBUTS

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Enfin, nous inaugurions notre hiver en faisant appel à deux conféren- ciers du dehors : M. Ferdinand Brunot et Mme Cléricy du Collet.

M. Ferdinand Brunot était alors dans le feu de sa campagne pour la réforme de l'enseignement du français. Ses conférences à La ChauX--de- Fonds, organisées par la Société péda.gogique que présidait M. Paul Graber, y avaient eu au printemps de 1911 un très grand succès*. Nous lui deman- dâmes une conférence à l'Athénée sur La prétendue crise du français (déjà 1) et un cours plus technique, de cinq leçons, sur L'enseignement du français au Casino de Saint-Pierre, nos locaux de la T aconnerie étant insuffisants. Le succès ne répondit pas à nos efforts 1; était-ce le local? était-ce l'abondance des conférences? ou l'indifférence du corps enseignant tenait-elle déjà aux résistances qu'il devinait au Département de l'Instruction publique?

Quant à Mme Marie Cléricy du Collet, dont nous annoncions un cours en douze leçons pour la pose et l'éducation de la voix, son nom était totale- ment inconnu du public de Genève. A Neuchâtel elle venait d'opérer une cure merveilleuse en rendant la voix à une cantatrice que les médecins avaient condamnée au silence. Sachant l'importance primordiale qu'a pour la joie du maître, pour la bonne humeur des élèves et la discipline de la classe, une voix bien posée, nous avions sollicité le concours de Mme Cléricy du Collet. Notre ambition était d'organiser de petits cours pratiques dont des maîtres auraient éprouvé les bienfaits; nous rêvions même de poser la voix à certain pasteur dont le talent et la fougue étaient desservis par un organe déplorablement éraillé; nous ne pûmes pas le décider à essayer ce trai- tement.

La théorie de Mme du Gilet n'était pas peut-être à la hauteur de sa pratique. Mais le récit de sa vie était fascinant. Son art lui avait été donné de façon mystérieuse, elle s'appliquait à le faire valoir avec une ferveur toute mystiqu-e. Mme du Collet est morte en 1921 à Nice. Elle laisse plusieurs ouvrages*. L'Institut a publié d'elle une conférence sur Le chant dans les écoles .

Ce programme si copieux attirerait-il des étudiants? Nous nous le demandions avec anxiété; les prophètes de malheur ne manquaient pas parmi nos meilleurs amis; nous n'étions pas affiliés à une université, aucun privilège n'était attaché au diplôme que nous annoncions ; l' kole que nous créions n'avait d'analogue nulle part (au moins en Europe; nous n'étions

1 L~ premier numéro de 1'/ntermidiaire, largement distribué, était consacré à M. Brunot, dont nous soulignions l'accord avec les principes de l'éducation fonctionnelle.

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26 VINGT ANS DE VIE

guère au courant de ce qui s'esquissait aux Etats-Unis); ce n'était, nous l'avions dit expressément, pas une Ecole Normale. Alors? Qui se soucierait d'y venir?

En ouvrant nos cours le 21 octobre 1912, nous pûmes annoncer que nous avions 20 étudiants inscrits. Sans faire tort aux excellents élèves qui nous sont venus depuis, il est permis de dire que ce premier contingent ne le cédait en qualité à aucun de ceux qui lui ont succédé. C'est qu'il avait fallu de la foi pour s'inscrire au vu d'un programme seulement, sans craindre d'essuyer les plâtres de la nouvelle maison.

Quelques-uns de ces étudiants nous étaient connus : une directrice d'Ecole Normale roumaine avait déjà suivi les cours de Claparède, un jeune Arménien aussi, dont un long séjour dans les prisons de Trébizonde avait exaspéré la foi· dans les vertus de la Nature et du plein air, et une de ses compatriotes, modes~ et douce, dont nous avons perdu la trace. Pour moi, j'eus la rare satisfaction d'inscrire dans mon registre sous le numéro 1, un de mes élèves de Neuchâtel, auteur d'un des chefs-d'œuvre de notre littérature pour enfants *. De Genève même, deux inscriptions de jeunes filles apparte- nant à deux familles bien connues, l'une de la société protestante, l'autre du milieu catholique. Mais la plupart venaient de plus loin. Leurs nationalités, leur préparation, leurs buts, étaient variés à souhait.

Une Il Dean of Women • d'une université américaine représentait le Nouveau Monde avec un journaliste brésilien. Un étudiant hollandais, obligé de se fixer en Suisse, avait été encouragé à prendre en mains l'instruction des enfants malades de Leysin et nous demandait de le préparer à sa tâche; une jeune mère, imbue de principes extrêmement libéraux, était venue de Russie avec sa fillette (elle nous trouva bien vieux jeu); il y avait Pablo (depuis, Pau) Vila, l'ancien ouvrier tisserand, fondateur et directeur de l'Horaciana de Barcelone, venu pour faire pendant un an la théorie de ce qu'il avait mis en pratique avec succès; il y avait deux sœurs grecques, Smymiotes. A part la Suisse, deux groupes ethniques seulement avaient plus de deux représentants : les Juives de Russie, - la Russie d'alors,- il y en avait six, fort intelligentes, et les Roumains, au nombre de trois, tous déjà agrégés à l'enseignement public, les premiers boursiers que l'Institut ait eu l'honneur d'accueillir.

j'ai déjà fait allusion à Mme Isabelle Sadoveanu, directrice d'Ecole Normale;

elle amenait avec elle une jeune institutrice dont le mérite égalait le charme.

Mais l'arrivée la plus impressionnante de toutes fut celle d'un inspecteur scolaire, auteur de nombreux manuels et d'une vie de Pestalozzi*, qui, sans nous avoir même demandé notre programme, débarqua à Genève avec sa femme et ses quatre enfants et nous informa, en égrenant des souverains

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LES DfBUTS

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anglais qu'il n'avait pas pris le temps de changer à la banque, qu'il s'inscri- vait pour deux ans comme élève de l'Institut annoncé.

Avec ces 20 étudiants nous commençâmes au jour dit sans éclat aucun.

Nous avions pris contact la veille sous les ombrages du chemin du Vallon.

Dans la petite pièce carrée du premier étage, qui plus tard devait me servir de bureau, je me revois en face d'une tâche toute nouvelle pour moi, inaugu- rant la conférence de didactique annoncée au programme, par quelques mots, brefs et banaux, sur les intérêts de l'enfant. Mes auditeurs ne manquaient ni d'idées, ni d'expériences, ni de questions posées par ces expériences. Mon rôle, je l'ai dit, n'était pas de les instruire, mais de les aider à s'orienter en m'orientant avec eux.

Dans la <<grande lt salle, où nous pouvions, devant l'estrade carrée, ali~

gner sur quatre ou cinq rangs une petite centaine de chaises, je revois aussi dans cette première semaine le

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Godin, petit, souriant, tout urbanité et finesse. On a loué pour la circonstance un grand modèle de l'Ecole des Beaux-Arts qui se tient là en caleçon de bain. On a emprunté un squelette, et dans la pièce obscure, sans autre horizon qu'un grand mur treillissé, la leçon commence. Nous sentons, Claparède et moi, que c'est une date dans notre vie et nous traduisons par un sourire réprimé la satisfaction que nous cause l'enseignement si concret par lequel s'ouvre notre Ecole.

Dix jours plus tard, le jeudi 31 octobre, séance d'inauguration*. Nous avions tenu à la faire chez nous. La grande salle, si petite, est pleine. Lecture est donnée d'une lettre très cordiale du président de la Société pédagogique romande, M. Ernest Briod et de plusieurs messages. Claparède, qui préside, dit ce qu'il a voulu faire. Quelques mots de M. Van Gennep de l'Université de Neuchâtel, de M. Edm. Martin au nom de la Société pédagogique gene- voise. Le clou de la séance était une causerie de Millioud sur« Les problèmes scientifiques de l'éducation •. L'Intermédiaire relate qu'elle fut étincelante et qu'elle ne se laisse pas résumer. C'était souvent le cas des improvisations, extraordinairement riches de pensée et d'aperçus, de notre collègue lausan- nois. Le premier élève inscrit à l'Ecole, M. Gaston Clerc, dit combien ses camarades et lui apprécient déjà le caractère familial de l'Institut. Le dir~

teur enfin. Je m'adresse surtout aux élèves. Ce qui domine, c'est l'impression de la grandeur de la tâche qui nous attend, la joie de nager en pleine eau.

Nous mettrons en pratique à notre façon un mot d'ordre reçu tout près d'ici il y a près de deux siècles. << Jean Jacques, aime ton pays.)} Pour cela, travaillons. Laboremus.

L'Institut Jean jacques Rousseau était ouvert.

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