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La fabrique d'une nouvelle science, La biologie moléculaire à l'âge atomique (1945-1964)

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Book

Reference

La fabrique d'une nouvelle science, La biologie moléculaire à l'âge atomique (1945-1964)

STRASSER, Bruno J.

STRASSER, Bruno J. La fabrique d'une nouvelle science, La biologie moléculaire à l'âge atomique (1945-1964). Olschki, 2006

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:16832

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Illustration de couverture: Eduard Kellenberger et le premier microscope e´lectronique TTC, autour de 1948. Archives prive´es d’Eduard Kellenberger.

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LA FABRIQUE

D’UNE NOUVELLE SCIENCE

La biologie mole´culaire a` l’aˆge atomique

(1945-1964)

LEO S. OLSCHKI EDITORE

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de la Recherche Scientifique

ISBN 88 222 5496 1

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Le long cheminement qui me`ne a` la conclusion d’un livre est l’occasion de contracter des dettes si nombreuses qu’il serait impossible de les mentionner toutes ici. A de´faut de pouvoir m’en acquitter, j’aimerais exprimer ma pro- fonde reconnaissance a` tous ceux que j’ai rencontre´s et qui ont contribue´, par- fois sans le savoir, a` ce travail.

Je remercie d’abord Bernardino Fantini et Michel Morange d’avoir accepte´ de diriger la the`se qui a fourni la base de ce livre, ainsi que Werner Arber, Claude Debru, Jean Gayon, Jean-Paul Gaudillie`re, Jean-Claude Pont, Hans-Jo¨rg Rheinberger et Jackob Tanner pour avoir participe´ au jury de cette the`se, soutenue le 28 septembre 2002 a` l’E´cole normale supe´rieure de Paris.

J’ai une dette particulie`re envers les historiennes et les historiens aux coˆte´s desquels j’ai appris le me´tier: Michael Bu¨rgi, Andrea Carlino, Joe¨lle Droux, Marc Geiser, Fre´de´ric Joye, Micheline Louis-Courvoisier, Philip Rieder, Rene´

Sigrist et Franc¸ois Walter. Je suis e´galement profonde´ment reconnaissant a`

ceux qui m’ont montre´ que l’histoire de la biologie mole´culaire pouvait consti- tuer un terrain fertile pour l’historien: Soraya de Chadarevian, Jean-Paul Gaudillie`re, Michel Morange, Hans-Jo¨rg Rheinberger, Angela Creager, Pnina Abir-Am, Bob Olby et, en particulier, Lily Kay, avec qui j’aurais voulu pouvoir partager ce travail. Ces personnes m’ont e´galement appris que l’on pouvait avoir des colle`gues pour amis.

Ce livre a e´norme´ment profite´ de la relecture de Richard Burian dont l’ex- pertise en histoire et en philosophie de la biologie mole´culaire n’a laisse´

aucune chance aux approximations initiales de mon texte.

Je dois e´galement remercier les acteurs de cette histoire avec lesquels je me suis entretenu et qui ont re´pondu avec beaucoup de bienveillance aux questions que je leur posais. Par leurs te´moignages, ils m’ont apporte´ beau- coup plus que des informations: une chaleur humaine qui donne une autre couleur au passe´ et qui encourage le travail intellectuel pre´sent. Je pense en particulier aux moments que j’ai passe´ avec Eduard Kellenberger.

Sans l’assistance des relecteurs de ce travail, il comporterait encore infini- ment plus d’erreurs qu’il n’en contient de´ja`. Je remercie donc Sophie Baureder- Rojas, Micheline Louis-Courvoisier, Brigitte Clerc, Catherine Strasser, et surtout Rene´ Sigrist pour leurs pre´cieuses corrections du manuscript.

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Le soutien financier du Fonds national suisse de la recherche scientifique, de l’Office fe´de´ral de l’e´ducation et de la science, ainsi que de la Confe´rence des recteurs des universite´s suisses m’ont permis de me consacrer entie`re- ment, et dans des conditions ide´ales a` la pre´paration de ma the`se.

Je terminerai avec une pense´e affectueuse pour mes parents, a` qui je dois environ 30 000 ge`nes chacun, et bien plus encore.

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ASSM Acade´mie Suisse des Sciences Me´dicales Caltech California Institute of Technology

CERN Organisation Europe´enne pour la Recherche Nucle´aire

CERS Commission pour l’Encouragement des Recherches Scientifiques CME Centre de Microscopie E´lectronique

CSO Comite´ Suisse d’Optique

DFG Deutsche Forschungsgemeinschaft DIP De´partement de l’Instruction Publique DTP De´partement des Travaux Publics EPFZ E´cole Polytechnique Fe´de´rale de Zurich

FNRS Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique KAW Commission pour la Science Atomique

MRC Medical Research Council RCA Radio Corporation of America RF Fondation Rockefeller

SIP Socie´te´ Genevoise d’Instruments de Physique SKA Commission Suisse d’E´tude pour l’E´nergie Atomique STS Science and Technology Studies

SSOM Socie´te´ Suisse d’Optique et de Microscopie TTC Tru¨b, Ta¨uber & Co

* Les abre´viations des fonds d’archives cite´s en note se trouvent a` la fin de ce volume.

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En fe´vrier 2001, les prestigieuses revues Nature et Science de´voilaient simultane´ment la premie`re esquisse comple`te du ge´nome humain.1Ce re´sultat, attendu depuis pre`s de quinze ans, a e´te´ conside´re´ comme un e´ve´nement majeur dans d’histoire des sciences contemporaines. Il est le fruit de l’effort de milliers de chercheurs a` travers le monde, regroupe´s autour d’un consortium de laboratoires publics et d’une entreprise prive´e de biotechnologie.2 Le retentissement de cet e´ve´nement, soigneusement mis en sce`ne, a tre`s largement de´passe´ les cercles scientifiques. Il a e´te´ pre´sente´ au public comme une contri- bution fondamentale a` la connaissance de l’eˆtre humain, et surtout aux pos- sibilite´s d’intervention sur la maladie. De`s lors, le ge´nome est devenu l’un des principaux de´terminant de la sante´, du comportement et de l’identite´, et meˆme, aux yeux de certains, le de´positaire se´culaire de l’aˆme humaine.3

Une discipline scientifique, plus que tout autre, a joue´ un roˆle essentiel dans le de´cryptage du ge´nome et l’ave`nement de cette repre´sentation du vivant: la biologie mole´culaire. Ses pratiques expe´rimentales, ses concepts et ses outils occupent aujourd’hui une place centrale dans quasiment tous les laboratoires de recherche biologique et me´dicale. Aupre`s du public, la biologie mole´culaire incarne l’avant-garde de la recherche scientifique. En conse´- quence, lorsque la socie´te´ de´bat de la science, c’est le plus souvent de la bio- logie mole´culaire et du ge´nie ge´ne´tique qu’il s’agit. Pourtant, la biologie mole´culaire ne s’est pas toujours trouve´e sur le devant de la sce`ne. Dans l’imme´- diat apre`s-guerre, cette place e´tait occupe´e par une autre science: la physique atomique. Cette dernie`re cristallisait alors les espoirs et des craintes de la socie´te´ face a` la science.

L’objectif du pre´sent travail est de comprendre la construction de la bio- logie mole´culaire, en tant que nouvelle science, dans la deuxie`me moitie´ du XXe sie`cle. Il s’agit d’examiner comment, dans un contexte scientifique

1 INTERNATIONALHUMANGENOMESEQUENCINGCONSORTIUM2001; VENTERet al.2001.

2 Sur l’histoire du Projet ge´nome humain, KEVLESet HOOD1992; COOK-DEEGAN1994; DAVIES

2000; SULSTONet FERRY2002.

3 Pour une critique de cette vision, MAURON2001.

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et culturel domine´ par la physique atomique, la biologie mole´culaire s’est de´ve- loppe´e pour progressivement remplacer cette dernie`re sur l’avant-sce`ne de la modernite´ scientifique.4 Pour saisir ce processus, nous avons adopte´ l’appro- che de la micro-histoire sociale. Plus que l’histoire intellectuelle ou la macro- histoire sociale,5elle permet en effet de saisir les processus intimes par lesquels les acteurs construisent et donnent sens a` la re´alite´ sociale. Nous nous concen- trerons sur l’e´mergence de la biologie mole´culaire a` l’Universite´ de Gene`ve.

C’est dans cette ville, en 1963, que le premier institut de biologie mole´culaire de Suisse a e´te´ fonde´. Ce cas genevois participe d’un mouvement plus large qui voit, au meˆme moment, l’institutionnalisation de cette nouvelle discipline aux E´tats-Unis et dans les principaux pays europe´ens.

A travers cette approche micro-historique, notre travail vise e´galement un but plus ge´ne´ral: e´clairer les transformations des pratiques de la science contemporaine. Il porte sur la science «telle qu’elle se fait»6et pas seulement comme elle se pense, et donc sur les pratiques mate´rielles et sociales aussi bien que sur les pratiques intellectuelles. Associe´es au de´veloppement et a` l’usage d’instruments scientifiques, les pratiques mate´rielles retiendront tout particu- lie`rement notre attention. Mais surtout, nous tenterons de mettre en e´vidence les relations mutuelles entre ces trois types de pratiques, le plus souvent e´tu- die´es isole´ment.

A. LES OUTILS DUNE APPROCHE SOCIALE ET CULTURELLE DES SCIENCES

1. Les Science and Technology Studies(STS)

La mouvance historiographique desScience and Technology Studies(STS) a permis de soulever de nouveaux proble`mes, d’emprunter de nouvelles appro- ches et de constituer de nouveaux objets pour e´tudier les sciences.7 Des introductions aux diffe´rents aspects de ce courant ayant e´te´ re´cemment publie´es, nous nous contenterons d’esquisser le contexte de son de´veloppement et de relever deux points essentiels pour notre analyse.8

4 Pour une proble´matique similaire, KEVLES1997.

5 Sur la transition entre macro- et micro-histoire sociale, CHARLE1993.

6 CALLONet LATOUR1991.

7 Pour reprendre la formulation de Dominique Pestre, PESTRE 1995b. Les Science and Technology Studiessont parfois e´galement de´signe´e commeScience, Technology and Society Studies, traduites en franc¸ais par «e´tudes science, technologie et socie´te´», ce qui permet de conserver l’acronyme anglais STS.

8 STRASSERet BU¨RGI2005; PESTRE1995b; PESTRE1995a; PESTRE 1995c; VINCK1995; DUBOIS 2001. De nombreuses synthe`se sont parues re´cemment, SISMONDO2004; CUTCLIFFE2000; LATOUR

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La discipline de l’histoire et philosophie des sciences s’est constitue´e autour d’une conception de la science comme un corpus de connaissances, de concepts et de the´ories.9Cette discipline avait pour principal projet intellectuel de pro- duire des reconstructions rationnelles de l’e´volution historique des ide´es et de leurs articulations logiques. De`s la fin des anne´es soixante-dix, sous l’influence de la sociologie et de l’anthropologie notamment, des auteurs ont commence´ a`

s’inte´resser a` la science sous un autre angle: celui des pratiques scientifiques. Il s’agissait plus pre´cise´ment d’examiner les diffe´rentes pratiques mises en œuvre par les acteurs pour produire des connaissances scientifiques. Ces e´tudes ont re´ve´le´ l’he´te´roge´ne´ite´ des ressources mises en œuvre dans ce processus: ressour- ces cognitives, bien suˆr, mais e´galement ressources mate´rielles et sociales.

Chacune d’entre elles me´ritait de`s lors d’eˆtre e´tudie´e a` part entie`re, pour comprendre la «science en action», selon l’expression de Bruno Latour.10

Ce de´placement historiographique n’est vraisemblablement pas e´tranger aux transformations qui ont affecte´ les sciences durant la meˆme pe´riode.

L’essor de la physique the´orique au de´but du sie`cle, avec le de´veloppement de la me´canique quantique et de la relativite´ ge´ne´rale, puis le prestige social dont be´ne´ficiait la physique tout entie`re dans l’apre`s-guerre, la destinaient a` deve- nir un mode`le de toutes les sciences. De`s lors, il n’est pas e´tonnant que l’exemple de la physique ait domine´ dans les travaux des historiens (d’Alexandre Koyre´ a` Thomas Kuhn) et surtout des philosophes des sciences (de Gaston Bachelard a` Nancy Cartwright). Les multiples the´ories formalise´es de la physique ont constitue´ des objets d’e´tude particulie`rement approprie´s a`

leurs approches centre´es sur les ide´es et sur l’e´piste´mologie. Avec la monte´e en puissance, dans la deuxie`me moitie´ du sie`cle, des sciences biome´dicales et de la «big science» en physique, les chercheurs issus des sciences humaines et sociales ont accorde´ une attention croissante a` l’expe´rimentation. Il devient alors e´vident que la production des connaissances dans les laboratoires des sciences biome´dicales pose d’autres proble`mes qu’en physique the´orique.

Les pratiques expe´rimentales apparaissent de`s lors comme des e´le´ments essentiels pour comprendre le fonctionnement des sciences et comme des ter- rains fertiles pour les historiens et les sociologues, mais un peu moins, dans

2001; GOLINSKI1998; D.J. HESS1997; SHAPIN1995a ainsi que des recueils de textes importants, CUTCLIFFEet MITCHAM2001; BIAGIOLI1999; JASANOFFet al.1995; PICKERING1992. On trouvera une critique des STS dans NOWOTNY et GUGGENHEIM 2003; BOURDIEU 2001; DUBOIS 2001;

HACKING2001; BRIAN1995; GINGRAS1995.

9 Sur l’e´volution de l’histoire et philosophie des sciences et ses rapports avec l’histoire, STRASSER

et BU¨RGI2005.

10 LATOUR 1995 [1987]. Un certain nombre d’ouvrages ont contribue´s a` ce de´placement, notamment LATOUR et WOOLGAR 1986 [1979]; KNORR-CETINA 1981; PICKERING 1984; COLLINS

1992 [1985]; PINCH1986; TRAWEEK1988; HACKING1989 [1983]; FRANKLIN1986; GALISON1987.

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un premier temps, pour les philosophes.11Les e´tudes sur ces nouveaux objets lie´s a` l’expe´rimentation ont conside´rablement enrichi la compre´hension de l’activite´ scientifique.

Notre travail reprend deux ide´es essentielles de´veloppe´es dans le cadre des STS. Ils est ge´ne´ralement admis que les faits scientifiques, universels, exi- stent inde´pendamment des acteurs scientifiques qui les de´voilent. Dans la per- spective des STS, cette relation est envisage´e diffe´remment. Les STS conside`- rent qu’une des fonctions essentielles de la science n’est pas de de´couvrir des faits qui pre´existeraient dans la nature, mais de rendre universels des faits locaux. Il s’agit d’expliquer pourquoi et comment un re´sultat obtenu dans un laboratoire particulier, par un expe´rimentateur particulier et a` un moment particulier, devient un fait universellement accepte´, qui peut eˆtre reproduit en tous points du monde, a` tout moment. Pour l’histoire et philosophie des sciences classique, la re´ponse a` cette question est e´vidente: les faits scientifi- ques sont reconnus comme e´tant universels parce qu’ils sont vrais. Pour les STS, la re´ponse est exactement inverse. Un fait est conside´re´ comme vrai parce qu’il a e´te´ rendu universel, et il est universel, parce qu’un grand nombre de conditions intellectuelles, mate´rielles et sociales ont e´te´ re´unies. Les faits scientifiques n’existent donc pas en dehors de ces re´seaux hybrides (intellec- tuels, mate´riels et sociaux) qui les sous-tendent. Lorsqu’un fait semble univer- sellement indubitable, cela signifie que ces re´seaux s’e´tendent partout et qu’ils sont devenus transparents graˆce au partage de normes et de standards. Un des objectifs des STS a e´te´ de montrer comment ces re´seaux se constituent puis sont rendus invisibles. On pourra objecter que ces deux visions de la science n’ont pas la meˆme conception de la ve´rite´. En effet, pour les STS, la ve´rite´

scientifique est conc¸ue comme une croyance partage´e et justifie´e, et non comme une certaine forme de correspondance entre une repre´sentation et le monde naturel. Une croyance partage´e ne se re´duit toutefois pas a` une opi- nion subjective, et encore moins a` une position irrationnelle, puisque les faits sont justifie´s rationnellement a` partir de diffe´rents registres de preuve.12Sans nier que des faits scientifiques puissent eˆtre vrais ou faux, les STS se montrent agnostiquessur la question. Apre`s tout, il est du ressort des scientifiques d’e´ta- blir la ve´rite´, en tant que rapport entre les faits et la nature; la taˆche de l’his- torien et du sociologue se limite, si l’on peut dire, a` monter comment ils s’y

11 Il existe une exception importante, HACKING1989 [1983]. Depuis, plusieurs re´flexions phi- losophiques sur les pratiques scientifiques ont e´te´ propose´es. Voir notamment RHEINBERGER1997;

PICKERING1999; ROUSE1999; GOODING1990; BAIRD2004. Canguilhem s’est engage´ tre`s toˆt sur le terrain de la philosophie de l’expe´rimentation biome´dicale. Voir en particulier les deux recueils de textes CANGUILHEM1993 et CANGUILHEM1994, ainsi que les travaux de Claude Debru, DEBRU1998.

12 Sur cette question, VINCK1995, pp. 100-110.

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prennent pour y parvenir.13 Les STS s’abstiennent de juger de la ve´rite´ des faits scientifiques a` l’aune des connaissances actuelles, mais ne se de´sinte´res- sent pas pour autant de la question de la ve´rite´. Les STS cherchent surtout a`

mettre en e´vidence la construction des normes du vrai, de l’objectif, ou les conditions de leur re´alisation mate´rielle.14

Une deuxie`me ide´e doit eˆtre explicite´e pour dissiper un malentendu fre´- quent au sujet des STS. Il a longtemps e´te´ coutume de diviser les e´tudes sur les sciences entre des perspectives «internalistes» et «externalistes».15L’appro- che internaliste, dominante dans l’histoire et philosophie des sciences tradi- tionnelle, cherchait a` expliquer le de´veloppement des connaissances a` partir de facteurs internes a` la science, essentiellement des e´le´ments cognitifs.

L’approche externaliste en revanche, dominante dans la sociologie des sciences d’inspiration mertonienne, cherchait a` mettre en e´vidence l’influence de fac- teurs conside´re´s comme exte´rieurs a` la science, essentiellement des facteurs sociaux, politiques ou e´conomiques. Elle s’inte´ressait aux conditions de produc- tion de la connaissance scientifique, sans se pencher sur les contenus spe´cifi- ques de cette dernie`re. La the`se du sociologue Robert K. Merton sur le lien entre le puritanisme et la re´volution scientifique repre´sente un bon exemple d’une telle perspective externaliste.16 Les STS adoptent pour leur part une approche qui n’est ni externaliste, ni internaliste: elles conside`rent les frontie`res entre l’interne et l’externe comme un proble`me plutoˆt que comme un donne´.17 Ainsi, de nombreux facteurs qui e´taient conc¸us comme externes (sociaux, par exemple) ont e´te´ restitue´s a` l’inte´rieur de la science, sans que les anciens fac- teurs internes (cognitifs, par exemple) en aient e´te´ chasse´s. Il en re´sulte que la science est prise en compte comme une pratique, a` la fois intellectuelle, mate´- rielle et sociale, dont les acteurs ne´gocient en permanence les limites.

2.La micro-histoire et la construction des identite´s

Le courant historiographique de la micro-histoire constitue une deuxie`me source d’inspiration pour notre travail.18Nous avons choisi de travailler a` un

13 Pour e´viter un autre malentendu fre´quent dans les approches des STS, les croyances parta- ge´es ne sont pas explique´es par lesinte´reˆtsdes acteurs. Voir WOOLGAR1981 pour une critique pre´- coce de la sociologie des inte´reˆts applique´e a` la connaissance scientifique et D.J. HESS1997, pp. 89- 94, pour une mise au point plus re´cente.

14 SHAPIN1995b; DASTONet GALISON1992; GALISON1997.

15 Sur l’histoire de cette distinction, SHAPIN1992.

16 Sur la the`se mertonienne, SHAPIN1988.

17 LATOUR1999.

18 Sur la micro-histoire, voir notamment REVEL1996a; REVEL1989; LEVI1991; IGGERS1997, chapitre 9.

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niveau encore infe´rieur a` celui des monographies villageoises (une e´chelle pri- vile´gie´e de la micro-histoire): l’e´chelle du laboratoire. Avec la micro-histoire, notre perspective partage non seulement l’e´chelle mais e´galement un certain nombre de principes me´thodologiques.

La question de la repre´sentativite´ des e´tudes locales est au cœur de la pro- ble´matique de la micro-histoire. On peut identifier deux approches principa- les qui envisagent chacune «l’exemplarite´ d’un fait social autrement qu’en ter- mes rigoureusement statistiques».19 La premie`re piste conc¸oit l’e´tude de cas non pas comme un moyen d’acce´der aux macro-phe´nome`nes, mais comme une manie`re d’entrer au cœur du fonctionnement social ou individuel.20 La micro-histoire explore ici une re´alite´ autre que celle de la macro-histoire.

La re´duction d’e´chelle permet de re´ve´ler de nouveaux objets au regard de l’historien.21Il faut en effet e´tudier le petit village occitan de Montaillou, comme l’a fait Emmanuel Le Roy Ladurie, pour s’apercevoir qu’a` «1 300 me`tres d’altitude, les re`gles du ce´libat des preˆtres cessent de s’appliquer»,22 ce que l’examen de la doctrine religieuse n’aurait pas permis de mettre en e´vi- dence. De la meˆme manie`re, l’e´tude d’un laboratoire re´ve`le l’importance des pratiques de recherche, ce que l’examen des publications scientifiques ne laisse pas entrevoir.23 La deuxie`me piste, connue sous l’habile oxymore

«d’exceptionnel normal», cherche au contraire a` saisir quelque chose de la macro- re´alite´, et en particulier les normes qui la re´gissent. La vie de Menocchio, meunier du Frioul au XVIe sie`cle, est a` bien des e´gards exceptionnelle, mais c’est justement en identifiant les points sur lesquels elle de´vie de la norme que Carlo Ginzburg parvient a` mettre en e´vidence cette dernie`re.24

Notre e´tude emprunte ces deux pistes. Le choix de travailler sur le cas de Gene`ve ne re´sulte pas du fait qu’il serait a priori repre´sentatif d’un mouve- ment plus large d’institutionnalisation de la biologie mole´culaire. Il est conc¸u, d’une part, comme un moyen d’entrer dans l’intimite´ de la pratique scienti- fique et de re´ve´ler des fonctionnements de la science qui restent invisibles a`

19 REVEL1989, p.XXXI. Sur les e´tudes de cas en histoire des sciences, GALISON1997, pp. 59-63.

20 PROST1996, p. 232; WALTER1997.

21 LEVI1991, p. 97: «The unifying principle of all microhistorical research is the belief that microscopic observation will reveal factors previously unobserved».

22 LEROYLADURIE1982 [1975], p. 222. Cette e´tude pre´ce`de le mouvement proprement dit de la micro-histoire, dont il anticipe un certain nombre de de´veloppements.

23 Ceci ne veut pas dire que les publications scientifiques ne constituent pas des sources impor- tantes pour l’historien. Sur l’utilisation des publications scientifiques comme source, MORANGE2003, pp. 11-12.

24 GINZBURG1993 [1980]. Sur ce point, voir e´galement PROST1996, p. 232: «les monographies changent de statut: on ne leur demande plus d’eˆtre repre´sentatives, mais de faire pe´ne´trer dans l’intimite´ du fonctionnement social ou individuel. Par l’e´cart meˆme qu’elles manifestent, elles re´ve`lent en quelque sorte ‘‘en creux’’ les normes implicites d’une socie´te´».

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une e´chelle supe´rieure et, d’autre part, comme une manie`re de repe´rer les caracte´ristiques des normes collectives de l’activite´ scientifique.

Les diffe´rents auteurs des e´tudes de laboratoires (les «laboratory studies») ont ge´ne´ralement privile´gie´ cette perspective pour comprendre la production des faits scientifiques.25Pour notre part, nous avons surtout adopte´ cette e´chelle pour saisir comment se constituent les pratiques et les identite´s sociales dans le champ scientifique. C’est peut-eˆtre dans ce dernier domaine que l’ap- proche de la micro-histoire s’est montre´e la plus fertile. L’histoire macro-sociale a longtemps conside´re´ les identite´s et les groupes sociaux (les classes de l’his- toriographie marxiste) comme des re´alite´s sociales non proble´matiques, qui pouvaient servir d’e´le´ments explicatifs des processus sociaux. On doit a` Edward P. Thompson d’avoir inverse´ la perspective et tente´ d’expliquer comment se forment les identite´s de classe, dans un livre devenu classique:The Making of the British Working Class(1963).26La perspective de Thompson est aujour- d’hui bien inte´gre´e dans les travaux de langue franc¸aise, aussi bien en micro- sociologie,27qu’en micro-histoire.28Dans sa pre´face au livre de Giovanni Levi, Le pouvoir au village, Jacques Revel souligne que pour la micro-histoire, les

«identite´s sociales sont conc¸ues comme des re´alite´s dynamiques, plastiques, qui se de´forment face aux proble`mes auxquels les acteurs sont confronte´s».29 Cette vision commence a` s’inte´grer au champ de l’histoire dans son ensemble et l’ide´e s’impose de´sormais que «les classifications ne sont pas des donne´es de la nature sociale, mais les re´sultats d’une construction elle-meˆme sociale».30

Il ne s’agit pas simplement de rendre compte de la formation des groupes sociaux en mesurant des caracte`res objectifs dont ils sont porteurs, comme dans l’approche macro-sociale, mais de comprendre la formation de l’identite´

subjective. Pour Antoine Prost:

a` force de parler de la bourgeoisie ou de la France, on oublie de s’interroger sur la fac¸on dont l’une et l’autre se sont constitue´es comme communaute´s dans les repre´- sentations meˆmes de ses membres. La classe objective´e masque la classe subjective ou ve´cue, et les moyens de sa prise de conscience.31

25 WOOLGAR1982.

26 THOMPSON1979 [1963]. Deux citations permettent de re´sumer la perspective de Thompson:

«The working class did not rise like the sun at an appointed time. It was present at its own making», p. 9 et «class is defined by men as they live their own history, and, in the end, this is its only defini- tion», p. 11.

27 Voir par exemple le livre Luc Boltanski sur la formation des cadres, BOLTANSKI1982.

28 LEPETIT1995b.

29 REVEL1989, p.XXVII.

30 PROST 1996, p. 228. Voir e´galement discussion sur cette question dans REVEL1995, et NOIRIEL1998, pp. 153-155.

31 Ibid., p. 235.

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Ce constat s’applique parfaitement a` l’historiographie des sciences, et de la biologie mole´culaire en particulier. A force de parler de la biologie mole´cu- laire comme une discipline dont l’historien connaıˆtrait les contours, on a oublie´ de s’interroger sur la manie`re dont ces contours ont e´te´ constitue´s et inte´gre´s dans une identite´ ve´cue.32 Les nombreux travaux sur l’histoire de la biologie mole´culaire ont pris cette cate´gorie comme une re´alite´ objective (une biologie au niveau mole´culaire) ou alors comme une re´alite´ sociale dont les contours actuels pourraient s’appliquer aux configurations passe´es. Or, comme le souligne Bernard Lepetit, «les hommes ne sont pas dans les cate´go- ries sociales comme les billes dans des boıˆtes, et [...] d’ailleurs les ‘‘boıˆtes’’

n’ont d’autre existence que celle que les hommes [...], en contexte, leur donnent».33

Notre e´tude vise a` e´clairer la constitution de l’identite´ collective de «bio- logiste mole´culaire» (les «boıˆtes» de Lepetit), a` travers l’examen des rationa- lite´s individuelles a` l’e´chelle d’un laboratoire. C’est en e´tudiant la trajectoire de quelques acteurs et leurs relations dans des micro-contextes, que l’on peut saisir ces processus.34 Pour nous, il ne s’agira donc pas de de´couvrir le point de de´part, mais de retracer le chemin: a` la queˆte des origines, nous pre´fe´re- rons la mise en e´vidence des processus constitutifs.35

L’e´tude de la formation des professions (les tanneurs a` Turin au XVIIe sie`cle, les cadres en France au XXe ou les biologistes mole´culaire a` Gene`ve dans la meˆme pe´riode) pose des proble`mes similaires, lorsque l’on cherche a` les saisir en tant qu’identite´s ve´cues:

Le vrai proble`me est [...] de comprendre comment des individus, dont les histoi- res et les expe´riences sont diffe´rentes, peuvent de´cider de se re´unir et, plus encore, de se reconnaıˆtre a` travers une identite´ sociale commune. Bref, il s’agit de s’interroger sur le rapport entre la rationalite´ individuelle et l’identite´ collective.36

La principale difficulte´ de cette approche re´side dans le passage de l’identite´

individuelle a` l’identite´ collective. Pour surmonter cette difficulte´, nous avons choisi de faire «varier la focale de l’objectif»37au cours de notre e´tude, repre- nant les meˆmes questions a` des e´chelles diffe´rentes. L’identite´ des physiciens dans l’imme´diat apre`s-guerre, par exemple, sera d’abord examine´e au niveau

32 STRASSER1999b.

33 LEPETIT1995a, p. 13.

34 REVEL1995, p. 79.

35 Voir la discussion de Marc Bloch sur l’«obsession embryoge´nique», BLOCH1997 [1949], p. 54.

36 CERUTTI1990, p. 14.

37 REVEL1996a, p. 19.

(20)

des discours et des repre´sentations, avant d’eˆtre e´tudie´e a` un niveau biogra- phique. De meˆme, apre`s avoir montre´ comment la biologie mole´culaire s’est impose´e en tant que nouvelle discipline a` Gene`ve, nous ferons a` nouveau

«varier la focale» pour aborder, a` la fin de cet ouvrage, les rapports entre l’iden- tite´ disciplinaire au niveau local et sa signification a` l’e´chelle europe´enne.

3.L’histoire des disciplines scientifiques

L’histoire de la biologie mole´culaire a souvent e´te´ envisage´e comme l’his- toire d’une discipline dont les contours seraient e´tablis d’avance par les objets auxquels elle s’inte´resse.38 Nous aborderons l’histoire de la biologie mole´culaire sous un angle diffe´rent. En nous concentrant sur la question des identite´s, nous pourrons suivre nos acteurs par-dela` les frontie`res disciplinai- res e´tablies, la physique, la biologie, la me´decine notamment. Nous conside´- rerons les disciplines scientifiques comme des «institutions politiques qui de´limitent les frontie`res des territoires acade´miques»,39ces territoires repre´- sentant le re´sultat tardif du processus d’institutionnalisation des identite´s. En d’autres termes, les disciplines circonscrivent des questionnements intellec- tuels, des manie`res d’expe´rimenter et des modes de sociabilite´. Nous examine- rons pre´cise´ment comment les limites entre ces territoires ont e´te´ ne´gocie´es, a`

travers ce que Thomas Gieryn a appele´ le «boundary work» ou travail de de´marcation.40

Pour Marc Bloch:

les physiciens et les chimistes sont plus sages [que les historiens, car nul ne les a jamais vus] se quereller sur les droits respectifs de la physique, de la chimie, de la chimie physique ou – a` supposer que ce terme existe – de la physique chimique.41

38 C’est d’ailleurs un des traits dominants de l’historiographie des sciences d’avoir suivi les lignes de de´marcation disciplinaires des objets qu’elle e´tudiait. Journaux, congre`s et associations pro- fessionnelles en histoire des sciences refle`tent ge´ne´ralement les divisions des sciences naturelles. Dans le domaine de la biologie, il suffit de mentionner les journaux commeJournal for the History of Bio- logyetBiology and Philosophy, ainsi que les socie´te´s savantes, comme l’International Society for the History, Philosophy and Social Study of Biologyou la Socie´te´ d’histoire et d’e´piste´mologie des sciences de la vie en France. A ce sujet, JOERGESet SHINN2001a.

39 KOHLER1982, p. 1. Citation originale: «disciplines are political institutions that demarcate areas of academic territory, allocate the privileges and responsibilities of expertise, and structure claims on resources». Plus re´cemment, l’historien des sciences Timothy Lenoir comple´tait cette de´finition en insistant davantage sur les pratiques scientifiques: «Disciplines are dynamic structures for assembling, channeling, and replicating the social and technical practices essential to the functioning of the political economy and the system of power relations that actualize it». LENOIR1998, p. 47.

Nous ne nous inte´ressons pas ici aux diffe´rences entre discipline, spe´cialite´ et champ. Sur ce the`me, MESSER-DAVIDOWet al.1993 et une perspective plus ancienne dans LEMAINEet al.1976.

40 GIERYN1995.

41 BLOCH1997 [1949], p. 49.

(21)

En re´alite´, les chercheurs dans les sciences naturelles se disputent autant les frontie`res de leurs disciplines que les historiens. Les «droits respectifs» de la biologie, la physique, la biochimie, la biophysique et la biologie mole´culaire ont meˆme repre´sente´ des enjeux particulie`rement dispute´s par les acteurs que nous e´tudions. La raison en est que les disciplines, en tant que territoires, sont si bien coordonne´es au sein des institutions acade´miques qu’il n’existe pour ainsi dire aucun espace hors des disciplines e´tablies. La formation de nouvelles disciplines doit donc se penser a` partir ce celles qui existent de´ja`.

C’est en leur sein qu’il faut chercher les ressources mate´rielles et symboliques a` l’aide desquelles les acteurs inventent de nouvelles identite´s. Il n’en va pas autrement du champ politique, ou` meˆme une rupture comme la Re´volution franc¸aise ne peut se penser qu’a` partir de la culture politique de l’Ancien Re´gime.42

Pour comprendre la formation de la biologie mole´culaire, notre e´tude commencera donc par mettre en e´vidence les ressources du champ auquel appartenaient les premiers promoteurs de la nouvelle discipline: celui de la phy- sique d’apre`s-guerre. Elle se tournera ensuite vers les innombrables ne´gocia- tions visant a` e´laborer un discours capable de servir de levier au changement social. Ces ne´gociations portent notamment sur la de´finition de cate´gories dis- cursives aussi fondamentales que «science» et «technique», «objectif» et

«subjectif», «fait» et «artefact», qui permettent, une fois reformule´es, de construire de nouvelles disciplines, et a` partir de la` de transformer l’ordre social et institutionnel. Le paralle`le avec l’historiographie de la Re´volution est a`

nouveau e´clairant, car comme le rappelle Keith Baker: «Les acteurs politiques ne peuvent rendre [leurs] revendications intelligibles et astreignantes que dans la mesure ou` ils de´ploient des ressources symboliques communes a`

eux-meˆmes et aux autres membres de la socie´te´ politique». En d’autres ter- mes, «la contestation politique prend [...] la forme d’efforts concurrents pour mobiliser et maıˆtriser les possibilite´s du discours politique et social, efforts graˆce auxquels ce discours est e´largi, refondu et meˆme – a` l’occasion – radi- calement transforme´».43

42 Keith Baker se demande: «comment le sce´nario re´volutionnaire fut invente´ du sein meˆme de la culture politique de la monarchie absolue, d’une culture dont il he´rita a` la fois la puissance et les contradictions». BAKER1992, p. 13.

43 Ibid., p. 46.

(22)

B. E´TAT DE LHISTORIOGRAPHIE

1.L’historiographie de la biologie mole´culaire

L’historiographie de la biologie mole´culaire refle`te les transformations qui ont affecte´ plus largement l’e´tude des sciences.44 Les premiers travaux sur l’histoire de la biologie mole´culaire datent des anne´es soixante-dix, a` un moment ou` cette discipline triomphait dans les de´partements de biologie et ou`

elle semblait pouvoir offrir, graˆce aux techniques du ge´nie ge´ne´tique, des pos- sibilite´s quasiment infinies d’intervention sur le vivant.45Les travaux de cette e´poque sont marque´s par la volonte´ de retracer une e´volution des sciences biologiques qui culminerait avec l’ave`nement de la biologie mole´culaire. Le livre de l’historien des sciences Robert Olby,The Path to the Double Helix, paru en 1974, illustre bien cette perspective.46Il offre une minutieuse recon- struction du cheminement des ide´es qui ont conduit en 1953 a` la de´couverte de la structure en double he´lice de l’ADN par James Watson et Francis Crick, une de´couverte qui e´tait devenue un symbole de la nouvelle discipline, un de ses premiers «lieux de me´moire».47 D’autres auteurs publient au meˆme moment des re´cits sur l’histoire des ide´es en biologie mole´culaire, dont des titres commeA Century of DNA, ouThe Eighth Day of Creationannoncent bien les intentions apologe´tiques, voire hagiographiques.48Ces re´cits ont en commun une volonte´ d’histoire totale de la «re´volution mole´culaire»,49 centre´e sur les de´couvertes effectue´es de`s l’entre-deux-guerres, qui ont permis d’expliquer au niveau mole´culaire les processus du vivants, et l’he´re´dite´ en particulier.

La de´cennie suivante, celles des anne´es quatre-vingt, est domine´e par deux the`mes qui indiquent un changement de perspective: le roˆle de la Fon- dation Rockefeller, et celui des physiciens, dans l’essor de la biologie mole´- culaire. Ces nouveaux objets marquent la transition d’une histoire intellec- tuelle vers une histoire sociale50 et vers des objets plus restreints. On doit a` l’historien des sciences Robert Kohler d’avoir ouvert le premier chantier

44 Sur l’historiographie de la biologie mole´culaire, MORANGE2003; ABIR-AM1985; ABIR-AM

1991; ABIR-AM1995; OLBY1990; JUDSON1980.

45 On fait ge´ne´ralement remonter les origines du ge´nie ge´ne´tique aux premie`res expe´riences sur l’ADN recombinant re´alise´es en 1972. Voir MORANGE2003, chapitre 16.

46 OLBY1994 [1974].

47 STRASSER2003b;DECHADAREVIAN2003.

48 PORTUGALet COHEN1977; JUDSON1996 [1979]. On trouvera un excellent compte rendu de ces ouvrages et de quelques autres dans ABIR-AM1985.

49 OLBY1990.

50 Voir par exemple les travaux de Edward Yoxen, un des seuls auteurs a avoir explicitement adopte´ une perspective marxiste YOXEN1981; YOXEN1982.

(23)

en 1979.51 Diverses e´tudes se sont concentre´es sur la question du patronage et de l’impact des politiques de la recherche sur la production scientifique.

La majorite´ des auteurs attribuent un roˆle essentiel a` la Fondation Rockefeller dans le de´veloppement de la biologie mole´culaire,52et seule l’historienne des sciences Pnina Abir-Am a qualifie´ la politique de la Fondation

«d’e´chec».53 Ces de´bats ont pris une ampleur renouvele´e avec la parution, en 1993, du livre de Lily Kay, The Molecular Vision of Life. Caltech, the Rockefeller Foundation and the Rise of the New Biology.54 Cet ouvrage a replace´ la politique de la Fondation a` l’e´gard de la biologie mole´culaire dans un contexte plus large. Il inscrit en effet cette politique dans la volonte´ affiche´e par la Fondation Rockefeller de de´velopper une «science de l’homme» qui puisse fournir des outils de controˆle social, y compris par des mesures euge´- nistes. Le questionnement sur le roˆle de la Fondation Rockefeller se poursuit, notamment sous l’angle de son impact sur les sciences biome´dicales en France,55 ou celui de l’immigration scientifique aux E´tats-Unis dans l’en- tre-deux-guerres.56

Le deuxie`me the`me qui domine l’historiographie de la biologie mole´cu- laire dans les anne´es quatre-vingt est le roˆle des physiciens dans l’e´mergence de cette discipline. En 1969 de´ja`, l’historien Donald Fleming attirait l’atten- tion sur le fait que nombre de physiciens europe´ens e´migre´s aux E´tats-Unis dans les anne´es trente s’e´taient tourne´s vers l’e´tude du vivant et avaient contri- bue´ de manie`re de´cisive a` la formation de la biologie mole´culaire.57Un certain nombre d’entre eux, comme le physicien allemand Max Delbru¨ck, s’oriente`- rent en effet vers les sciences de la vie de`s leur arrive´e aux E´tats-Unis;58d’au- tres, comme le physicien hongrois Leo Szilard, qui ont participe´ a` la mise au point de la bombe atomique ame´ricaine, se de´tourne`rent de la physique apre`s Hiroshima et Nagasaki.59 De`s les anne´es soixante, nombre de biologistes mole´culaires affirment avoir de´cide´ d’e´tudier l’he´re´dite´ au niveau mole´culaire apre`s avoir lu le livre du physicien Erwin Schro¨dinger,What is Life?, paru

51 KOHLER1979; KOHLER1991.

52 Voir notamment FUERST1984; BARTELS1984; YOXEN 1984; OLBY1984; MORANGE 2003, chapitre 8.

53 ABIR-AM1994, p. 141. Pnina Abir-Am avait exprime´ ses re´serves de`s le de´but de ce de´bat, ABIR-AM1982a; ABIR-AM1984; ABIR-AM1988; ABIR-AM2002.

54 L.E. KAY1993b.

55 ZALLEN1989; ZALLEN1991; ZALLEN1999; PICARD1999.

56 GEMELLI2000b; DOSSO2000.

57 FLEMING1969; OLBY1971.

58 L.E. KAY1985.

59 On trouvera un discussion sur les enjeux de ce de´bat dans MORANGE2003, chapitre 7.

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en 1944.60 Alors que les premiers travaux des historiens attribuaient un roˆle conside´rable aux physiciens, et notamment a` Schro¨dinger, dans l’e´mergence de la biologie mole´culaire, les e´tudes ulte´rieures ont montre´ que ce roˆle avait vraisemblablement e´te´ surestime´.61En effet, si les biologistes mole´culaires ont souligne´ l’influence de la physique sur leur propre discipline, c’e´tait davantage pour renforcer le prestige de leurs travaux que pour reconnaıˆtre une influence intellectuelle re´elle.

La production historiographique des anne´es quatre-vingt-dix a confirme´

la tendance a` se concentrer sur des monographies portant sur des sujets plus circonscrits, en ge´ne´ral des chercheurs individuels ou des institutions particu- lie`res. L’ouvrage de Lily Kay, pre´ce´demment cite´, s’inscrit dans ce de´place- ment et constitue un exemple re´ussi d’une histoire locale ancre´e dans son contexte social, culturel et politique.62 Apre`s le California Institute of Tech- nology et d’autres institutions ame´ricaines,63 l’Institut Pasteur de Paris64 et le laboratoire du Medical Research Council a` Cambridge65 ont repre´sente´

des objets d’e´tude privile´gie´s pour les historiens. Comme pour l’historiogra- phie des autres sciences de cette pe´riode, les e´tudes sur la biologie mole´culaire ont accorde´ une attention soutenue aux pratiques expe´rimentales et aux ins- truments utilise´s dans la recherche.66 L’utilisation, pour expe´rimenter sur le vivant, de nouveaux instruments issus de la physique ou de la chimie (l’ultra- centrifugeuse, le microscope e´lectronique et l’e´lectrophore`se par exemple) a e´te´ conside´re´e comme un trait distinctif de la biologie mole´culaire. Cette ten- dance culmine avec le livre de l’historien des sciences Frederic Holmes Meselson, Stahl, and the Replication of DNA: A History of ‘‘The Most Beautiful Experiment in Biology’’ (2001) consacre´ tout entier a` une seule expe´rience

60 SCHRO¨ DINGER 1986 [1944]. A ce sujet, OLBY1971; YOXEN 1979 et pour une discussion re´cente sur ce question, MORANGE2003, chapitre 7.

61 E.F. KELLER1990; ABIR-AM1987; ABIR-AM1985.

62 L.E. KAY1993b.

63 CREAGER1996.

64 MORANGE 1991; GAUDILLIE`RE 1991. Jean-Paul Gaudillie`re ne restreint pas son analyse a`

l’Institut Pasteur, bien que ce dernier y occupe une place importante.

65 DECHADAREVIAN1994;DECHADAREVIAN1996;DECHADAREVIAN1998b;DECHADAREVIAN

2002.

66 RHEINBERGER1997. Pour un bon aperc¸u des proble´matiques aborde´es, voir le nume´ro du Journal for the History of Biology, e´dite´ par Soraya de Chadarevian et Jean-Paul Gaudillie`re, consacre´

aux «outils de la discipline»,DECHADAREVIANet GAUDILLIE`RE1996; CREAGERet GAUDILLIE`RE1996;

DECHADAREVIANet GAUDILLIE`RE1996; RHEINBERGER1996; L.E. KAY1996a; BURIAN1996. Sur les instruments utilise´s en biologie mole´culaire, ELZEN1986 pour l’ultracentrifugeuse; L.E. KAY1988 et L.E. KAY1993a pour l’e´lectrophore`se; RASMUSSEN1997b pour le microscope e´lectronique; RABINOW

1996 pour la PCR, et RHEINBERGER2001 pour le de´tecteur a` scintillation. Sur les organismes mode`- les, CREAGER2002 pour le virus TMV; RADER2004 pour la souris; KOHLER1994 pour la drosophile etDECHADAREVIAN1998b pour le ne´matode.

(25)

scientifique re´alise´e en 1958.67 L’historien des sciences Michel Morange a repris les principaux re´sultats de ces diffe´rentes e´tudes dans une monographie qui couvre les travaux d’histoire intellectuelle et sociale de la biologie mole´cu- laire aussi bien que celle de ses pratiques expe´rimentales.68Dans la mouvance des cultural studies, plusieurs auteurs ont par ailleurs analyse´ les discours sur le vivant issus de la biologie mole´culaire.69 Finalement, dans une perspective d’histoire politique, plusieurs e´tudes ont porte´ sur la question de la re´gulation par l’E´tat des techniques du ge´nie ge´ne´tique.70

Les ouvrages les plus re´cents portant sur l’histoire de la biologie mole´cu- laire prolongent les tendances que nous avons e´voque´es, en centrant leurs analyses sur des exemples locaux. Ils semblent e´galement amorcer un tour- nant vers des perspectives plus larges inscrites dans des contextes natio- naux,71 notamment en raison du roˆle important joue´ par l’E´tat dans le de´ve- loppement des sciences d’apre`s-guerre. La publication des livres Inventer la biome´decine de Jean-Paul Gaudillie`re et Designs for Life de Soraya de Chadarevian, qui portent respectivement sur la France et le Royaume-Uni, constituent de bons exemples d’une inte´gration re´ussie de l’histoire politique, sociale et culturelle.72

Les trente anne´es d’historiographie de la biologie mole´culaire que nous avons brie`vement esquisse´es ici peuvent encore se caracte´riser par trois traits particuliers. Le premier est la pre´ponde´rance, jusqu’a` tre`s re´cemment du moins, des e´tudes portant sur les E´tats-Unis et sur deux institutions europe´en- nes que sont les laboratoires du Medical Research Council (MRC) a`

Cambridge et de l’Institut Pasteur a` Paris.73Ces deux institutions ont occupe´, il est vrai, une place assez particulie`re sur le plan europe´en et ont be´ne´ficie´, en particulier, d’une inte´gration internationale exceptionnelle. En raison du

67 HOLMES2001, et pour une mise en contexte historiographique, STRASSER2003a.

68 MORANGE2003. Voir e´galement, RHEINBERGER1998.

69 E.F. KELLER1995; NELKINet LINDEE1998; BOYLE1997; HARAWAY1997; L.E. KAY2000.

70 WRIGHT1994; GOTTWEIS1998.

71 Par exemple en remplac¸ant l’e´mergence de la biologie mole´culaire dans une «longue dure´e»

de la «mole´cularisation» des sciences biome´dicales au XXesie`cle,DECHADAREVIANet KAMMINGA

1998.

72 GAUDILLIE`RE2002;DECHADAREVIAN2002. Voir e´galement l’histoire du code ge´ne´tique, L.E. KAY2000.

73 Il existe au moins une exception, l’e´tude de Richard Burian et Jean Gayon sur le laboratoire de Gif en France, BURIANet GAYON1990. Les autres travaux sont plus re´cents, SANTESMASESet MUNOZ1997a; SANTESMASESet MUNOZ1997b sur l’Espagne; les contributions au nume´ro deHistory and Philosophy of the Life Science, e´dite´ par Richard Burian et Denis Thieffry, 18(2), 1997, sur le groupe de Jean Brachet en Belgique; STRASSER2002c sur la Suisse et les contributions au nume´ro deStudies in the History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences, e´dite´ par Bruno J. Strasser et Soraya de Chadarevian, 33C(3), 2002, sur la biologie mole´culaire dans l’Europe d’apre`s-guerre.

(26)

choix de ces exemples, un certain nombre de facteurs essentiels pour comprendre le de´veloppement de la biologie mole´culaire en Europe sont res- te´s longtemps invisibles, comme l’importance des e´changes trans-atlantiques, celle des politiques nationales de la recherche et le roˆle de la reconstruction d’apre`s-guerre.74

Le deuxie`me trait est la faible inte´gration de l’historiographie de la biolo- gie mole´culaire dans des proble´matiques plus larges de l’histoire politique, sociale ou culturelle. Cette caracte´ristique, partage´e par toute l’historiographie des sciences contemporaines, re´sulte a` la fois de l’accent longtemps porte´

sur l’histoire intellectuelle et de la difficulte´ de contextualiser l’histoire du temps pre´sent dans le domaine scientifique. Ce n’est que tre`s re´cemment que quelques tentatives de rapprochement entre l’histoire de la biologie mole´- culaire et l’histoire ge´ne´rale ont e´te´ entreprises.75

Un dernier trait caracte´rise l’historiographie de la biologie mole´culaire: la production extreˆmement abondante des acteurs eux-meˆmes. Nombre de chercheurs ont retrace´ les origines de leur spe´cialite´, leur parcours personnel ou celui de leurs maıˆtres. Articles, ouvrages et rituels comme´moratifs se sont succe´de´s depuis le de´but de l’institutionnalisation de la biologie mole´culaire dans les anne´es soixante. L’historienne des sciences Pnina Abir-Am a analyse´

la fonction de le´gitimation de ces re´cits comme´moratifs et leur roˆle dans la constitution d’une me´moire collective.76

Notre travail s’inscrit dans les de´veloppements que nous venons d’e´vo- quer. L’e´tude de la formation de la biologie mole´culaire a` Gene`ve permet de re´examiner un certain nombre de questions centrales de l’historiographie de cette discipline, en particulier celles de ses origines, du roˆle des physiciens, de l’E´tat et des instruments de recherche. Nous introduirons e´galement de nouvelles proble´matiques, en particulier celle des identite´s sociales. Nous envisageons la construction de la biologie mole´culaire comme la formation d’une identite´ nouvelle plutoˆt que comme la re´alisation d’un programme dis- ciplinaire pre´existant. Cette identite´ constitue l’aboutissement de la mutation professionnelle d’un petit nombre de physiciens re´unis autour de la pratique d’un nouvel instrument: le microscope e´lectronique. Nous examinerons cette question identitaire sous l’angle des pratiques cognitives, expe´rimentales et socia- les qui la constituent, concevant en d’autres termes l’identite´ comme une cer-

74 DECHADAREVIANet STRASSER2002.

75 En plus des re´fe´rences de´ja` cite´es, voir ABIR-AM1997; ABIR-AM2001; STRASSER2002a.

76 ABIR-AM1982b; ABIR-AM1992b; ABIR-AM1991; ABIR-AM1998b; ABIR-AMet ELLIOTT2000.

Certaines contributions de scientifiques constituent ne´anmoins des sources fort utiles, notamment pour des questions biographiques ou intellectuelles. Dans ce dernier cas, voir en particulier FRUTON

1999.

(27)

taine manie`re de penser, d’expe´rimenter et d’interagir avec les autres. Nous accorderons une place particulie`rement importante a` la culture mate´rielle (instruments, mate´riaux et organismes) sur laquelle repose cette nouvelle constitution identitaire.

Une telle histoire est naturellement tributaire de l’existence de sources qui te´moignent au plus pre`s des pratiques intellectuelles, sociales et mate´rielles des acteurs e´tudie´s. En l’absence de fonds d’archives constitue´s, nous avons rassemble´ un corpus documentaire constitue´ d’imprime´s, de correspondances diverses, de cahiers de laboratoires et de rapports scientifiques et administra- tifs conserve´s dans des institutions publiques et prive´es. Cette fragmentation du corpus, de meˆme que la disparition des archives de l’entreprise Tru¨b, Ta¨uber et Co, qui a produit les microscopes e´lectroniques helve´tiques, a repre´sente´ une difficulte´ majeure dans la re´alisation de ce travail.

Le groupe de chercheurs que nous e´tudions a joue´ un roˆle pe´riphe´rique dans la construction intellectuelle de la biologie mole´culaire.77 La reconnais- sance dont il a fait l’objet dans les milieux scientifiques est reste´e modeste en comparaison de centres de recherche comme l’Institut Pasteur a` Paris, le laboratoire du MRC a` Cambridge ou le California Institute of Technology. Ces trois centres ont en effet accueilli de nombreux chercheurs dont les travaux seront re´compense´s par le prix Nobel. Ils ont e´galement repre´sente´ des «lieux de passages oblige´s» pour quantite´ de chercheurs europe´ens et ame´ricains.

C’est justement en ce qu’il repre´sente un exemple moins central que le cas de Gene`ve peut eˆtre inte´ressant. L’excellence scientifique des recherches conduites par les physiciens locaux dans le domaine des sciences de la vie e´tant plus difficile a` e´tablir, la question de la le´gitimation de leur entreprise se pose avec plus de force. Ainsi, nous nous efforcerons de mettre en e´vidence les diffe´rents «espaces de le´gitimation»78 dans lesquels s’est inscrite la forma- tion de cette nouvelle science. De meˆme, la marginalite´ de Gene`ve sur la sce`ne scientifique internationale met en e´vidence sa de´pendance par rapport a` des ressources acquises graˆce a` la circulation internationale des chercheurs, des objets et des ide´es. En e´tudiant ce cas particulier, il devrait sembler encore moins e´vident que la biologie mole´culaire ait pu eˆtre l’aboutissement logique d’une e´volution naturelle des sciences de la vie.

77 Du moins dans la pe´riode que nous examinerons de plus pre`s, entre 1945 et 1964. Les contributions scientifiques majeures de Werner Arber, notamment la de´couverte des enzymes de res- triction, qui lui vaudront le prix Nobel en 1978, ont e´te´ re´alise´es un peu plus tardivement, entre 1960 et 1969, STRASSER2002d. Elles n’apportent aucun e´clairage supple´mentaire sur l’institutionnalisation de la biologie mole´culaire a` Gene`ve, STRASSER2002c.

78 REVEL1995, p. 63.

(28)

2.L’historiographie des instruments scientifiques

L’inte´reˆt renouvele´ pour l’e´tude des instruments scientifiques s’inscrit dans le mouvement historiographique e´voque´ pre´ce´demment, qui, a` coˆte´ des ide´es et des the´ories scientifiques, accorde une attention particulie`re aux pratiques de recherche et a` la culture mate´rielle qu’elles supposent. Depuis le de´but des anne´es quatre-vingt-dix, les apports conjugue´s de l’histoire et de la socio- logie des sciences ont permis de renouveler l’e´tude de l’instrumentation scien- tifique. Les travaux anciens relevaient surtout d’une tradition muse´ologique, dont les seuls acteurs e´taient les fabricants d’instruments.79 Ces e´tudes s’atta- chaient a` de´crire les caracte´ristiques des instruments sans les inscrire dans une histoire des sciences ou dans des contextes plus larges. L’ouvrage classique de Marcel Daumas, paru en 1953, repre´sente un bon exemple de cette appro- che.80Les proble´matiques ont aujourd’hui change´. Pour les historiens, les ins- truments scientifiques constituent des objets ide´aux pour aborder d’autres the`- mes, comme par exemple les relations entre la science et l’industrie. Pour les sociologues des techniques, les instruments repre´sentent, apre`s la connaissance scientifique, un de´fi pour l’analyse constructiviste.

La sociologie des techniques s’est profonde´ment renouvele´e, au milieu des anne´es quatre-vingt, au contact de la sociologie de la connaissance scientifique (lesSocial Studies of Knowledge ou SSK).81 Les sociologues Trevor Pinch et Wiebe Bijker ont donne´, en 1984, une vision programmatique de ce chan- tier.82Auparavant, de nombreux auteurs s’e´taient de´ja` inte´resse´s a` la question du de´terminisme technologique, ou a` la place des technologies dans le chan- gement social.83 Cependant, ils ne questionnaient pas la construction ou le designdes techniques, mais seulement leur impact sur le social, tout comme la sociologie des sciences externaliste ne questionnait pas le contenu des connaissances scientifiques, mais seulement ses conditions de production.

La sociologie des techniques des anne´es quatre-vingt et quatre-vingt-dix a montre´ que le de´veloppement des objets techniques ne s’inscrit pas ne´cessai- rement dans une logique de perfectionnement ou d’ame´lioration des perfor-

79 Tout au plus, les instruments e´taient-ils contextualise´s dans l’histoire des the´ories scientifi- ques. On doit a` Gaston Bachelard d’avoir inverse´ cette perspective, avec sa notion bien connue d’ins- truments comme «the´ories mate´rialise´es», BACHELARD1963 [1934], p. 16. Cette proble´matique ne modifie toutefois pas les deux termes de l’analyse, la connaissance scientifique et les instruments.

80 DAUMAS1953.

81 FLICHY2003.

82 PINCHet BIJKER1984 et WOOLGAR1991. On trouvera un bon aperc¸u de ces proble´matiques, dans BIJKERet al.1999 [1987] et le volume desAnnales HSS, dirige´ par Yves Cohen et Dominique Pestre, Y. COHENet PESTRE1998.

83 Pour une excellente introduction a` cette question, WINNER1980.

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