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Le vieux c'est l'autre

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Academic year: 2022

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Le vieux c'est l'autre

HUMMEL, Cornelia, TETTAMANTI, Manuel

HUMMEL, Cornelia, TETTAMANTI, Manuel. Le vieux c'est l'autre. In: Au fil du temps, le jeu de l'âge. Infolio, 2009. p. 122-126

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:83325

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Le vieux est un autre

Cornelia Hummel, sociologue, Département de sociologie, Université de Genève.

Manuel Tettamanti, psychologue, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Université de Genève, et Centre Lémanique d’Etude des Parcours et Modes de Vie, Universités de Lausanne et Genève

Dans les sociétés occidentales, l’image de la vieillesse se présente majoritairement comme négative et fondée sur le déclin, voire la dégradation physique. Fait remarquable, les représentations négatives de la vieillesse sont partagées tant par les jeunes que par les personnes vieillissantes. L’enquête suisse Stéréotypes et solidarité dans le cadre des relations entre générations1 (1994), montre ainsi que lorsqu’il s’agit de décrire la population âgée (« les vieux »), les répondants, eux-mêmes âgés de 65 à 74 ans, insistent particulièrement sur les difficultés physiques (la fatigue, les maladies, les handicaps) et leurs conséquences sous forme de pertes, de manques, d’impossibilités. Les personnes âgées sont avant tout définies par la négative, par ce qu’elles ne sont pas, par ce qu’elles ne font plus. Comparativement, le groupe de répondants âgés donne une description de la population âgée plus sombre que celle donnée par le groupe des répondants jeunes (20-24 ans). Une étude actuellement en cours2 confirme cette tendance : tant chez les jeunes que chez les aînés, les mots « maladie » et « sagesse » sont les mots les plus fréquemment associés à la vieillesse. Les aînés et les jeunes ne se distinguent pas dans leur mention du premier terme – connoté négativement –, alors que le second mot – connoté positivement – est plus souvent proposé (?) par les jeunes que par les aînés.

Comment est-il possible que l'on se représente négativement une population dont on fait, a priori, partie ? Constatant que la plupart des personnes participant à l’enquête sont en bonne forme physique, Patricia Roux et al. suggèrent que « peut-être les " vieux ", ce ne sont pas

1ROUX Patricia, GOBET Pierre, CLEMENCE Alain, DESCHAMPS Jean-Claude, DOISE Willem, Stéréotypes et solidarité dans le cadre des relations entre générations, Rapport final de recherche pour le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (FNS-PNR 32 « Vieillesse »), Lausanne : Université de Lausanne, mimeo, 1994.

2 TETTAMANTI Manuel, Vieillissement et attention sélective : Impact des stéréotypes négatifs, Thèse de doctorat, Genève : Université de Genève, mimeo, 2008.

Pour citer : Hummel C., Tettamanti M. (2008), « Le vieux c’est l’autre », Au fil du temps, le jeu de l’âge, Lausanne : Fondation Claude Verdan, 122-126.

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2 eux »3. La perception de la vieillesse que restituent les personnes âgées se construirait tant sur leur propre expérience du vieillissement, que sur celle de leur environnement familial et social. La vieillesse à laquelle elles se réfèrent est celle d’un parent ou d’un ami dont la santé décline, et celle qui, peut-être, les guette dans un futur proche. Cette hypothèse est corroborée par les résultats d’un autre volet de la même étude : l’âge auquel on estime qu’une personne est âgée augmente en parallèle de l’âge des répondants. L’âge d’entrée dans la vieillesse est sensiblement plus bas lorsque les répondants sont âgés de 20 à 24 ans que lorsque les répondants ont entre 65 et 74 ans.

Le même phénomène est à l’œuvre dans une vaste enquête européenne menée en 20064. Nos analyses du cas de la Suisse montrent que l’entrée dans la vieillesse est située en moyenne à 60 ans par les répondants âgés de 15 à 19 ans, à 69 ans par les 40-49 ans, à 72 ans par les 60-69 ans puis à 73 ans par les personnes âgées de plus de 80 ans5. Cette étude nous montre que l’âge d’entrée dans la vieillesse est repoussée au-dessus de son propre âge, et ceci jusqu’à 70 ans. Cet âge semble faire office de frontière à partir de laquelle la vieillesse est associée à sa propre position sur l’échelle des âges. Lorsqu’on compare l’âge d’entrée dans la vieillesse donné par les personnes interrogées avec leur propre âge, on constate que seuls 17 % des 60-69 ans s’identifient à la vieillesse, pourcentage qui monte à 60 % chez les 70-79 ans, puis à 95 % chez les plus de 80 ans6. Lorsqu’on demande à des octogénaires (peu ou pas affectés dans leur santé et vivant à domicile) de définir la vieillesse, l’analyse de la syntaxe des réponses indique que la vieillesse fait partie de leur propre vécu au quotidien, voire de leur identité : ils usent fréquemment des pronoms « je » et « moi », ainsi que des adjectifs possessifs « mon »,

« ma », notamment en faisant état de leur (mauvais) état de santé (Hummel, 2001).

Des études nord-américaines attestent également que les personnes vieillissantes ne s’identifient que peu à la catégorie des « âgés » et préfèrent plutôt le groupe d’appartenance des jeunes (Kite et al, 2005 ; Greenwald et al., 2002), du moins tant que la représentation de soi ne se voit pas contredite par des signes manifestes de sénescence. Tout se passe donc comme si, tant que la dissonance entre la perception de soi et la réalité (la manifestation ostensible de signes de sénescence ou de pathologies liées à l’âge) n’est pas trop importante, personne ne se perçoit comme vieux. En témoignent les diverses stratégies mises en œuvre par les personnes âgées pour échapper à la catégorisation

« vieux » (Hummel, 2000) : la négation de la catégorie « vieux » ou « vieillesse » (« vieux, ça veut rien dire, ce n’est qu’un mot »), la négation des indicateurs « extérieurs » de la vieillesse

3 ROUX Patricia et al., cf. note 1, p. 77.

4 http://www.europeansocialsurvey.org/

5 Voir Tableau 1.

6 Voir Tableau 2.

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et l’insistance sur les indicateurs « intérieurs » ou « invisibles » (« l’âge, c’est dans la tête »,

« l’âge, c’est dans le cœur »), la restriction de la vieillesse à des indicateurs extrêmes liés à des pathologies (« la vieillesse c’est quand plus rien ne fonctionne », « la vieillesse c’est quand on est sourd et qu’on perd la tête »). Dans cette perspective, la vieillesse n’est pas une catégorie d’identification, mais tout au plus une catégorie « d’acceptation » ou d’appartenance forcée, dont la représentation négative fait l’objet d’un consensus d’autant plus fort et plus négatif que l’on avance en âge.

Nous posons alors l'hypothèse que la représentation de la vieillesse est une représentation de l'altérité. Nous la qualifions d'« altérité du dedans », en reprenant le terme de Denise Jodelet (1989) : celle-ci est située à l'intérieur de la société, se différenciant de « l'altérité de l'ailleurs » qui définit d'autres pays, d'autres peuples, d'autres sociétés. La vieillesse peut être considérée comme « altérité du dedans » à double titre : d'une part, la vieillesse est une étape de la vie touchant les individus à l'intérieur d'une même société, c'est donc de la vieillesse dans les sociétés occidentales postindustrielles dont il est question ; d'autre part, la vieillesse est une étape potentielle de la vie de chaque individu. Non seulement, la vieillesse se situe à l'intérieur de la société, mais également en chaque membre de la société. Cet aspect est particulier à la vieillesse, à la différence d'autres altérités comme le handicap ou la folie : par définition, chacun est amené à vieillir et à devenir vieux. Considérant la représentation de la vieillesse comme production, expression et instrument d'un groupe dans sa relation à l'altérité (Jodelet, 1989 : p. 40), il nous faut alors poser la question de l'identité.

Quel socle identitaire de nos sociétés la vieillesse met-elle en péril ?

Une réponse est offerte par la distinction, désormais classique dans la recherche sur le vieillissement, entre autonomie et dépendance. L’autonomie est en effet bien plus qu’un concept permettant d’étudier le statut de santé fonctionnelle/psychique et les besoins d’aide d’une personne, c’est une des valeurs cardinales des sociétés contemporaines. Comme l’écrivent Eric Fuchs et al. (1997), l’autonomie est une valeur se présentant sous la forme d’une épée de Damoclès : l'aptitude à l'autonomie, c'est-à-dire l'aptitude à décider et à organiser la gestion de sa vie, peut être entravée, altérée voire perdue. Nous voilà au cœur d’une distinction que l’on peut lire en filigrane dans les études présentées plus haut : une personne âgée n’est pas forcément une personne vieille, la vieillesse ne se superpose pas à un marqueur social tel que l’arrêt du travail professionnel. L’expression-même de « personne âgée » (ou « retraité » ou « senior ») signale que la catégorie sociale désignée est distincte de la catégorie « vieux » : la personne âgée est une figure sociale récente, née de la disjonction entre la retraite et la sénescence (Lalive d’Epinay, 1996) ; la personne âgée a certes plus de 65 ans et est retraitée, mais elle est encore… autonome. Le vieux, c’est celui dont la fatigue, la maladie, le handicap, en tant que perte d'autonomie, ont marqué l'entrée

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4 dans la vieillesse. L'aptitude à l’autonomie, le « pouvoir faire », marque la frontière entre ce qui est socialement valorisé et attendu et ce qui est rejeté, redouté et combattu dans le but de retarder son apparition – la dépendance. La représentation sociale de la vieillesse est alors à comprendre dans un contexte où l'affirmation de l'identité d'un groupe passe par la définition en termes opposés d'un autre groupe. Le caractère négatif de la représentation s'explique mieux si l'on considère que l'identité doit non seulement être affirmée, mais aussi préservée. Ainsi, la représentation se construit sur la peur des individus – en particulier des individus âgés – de perdre leur autonomie, leur liberté, leur indépendance, leurs capacités, leur intégrité physique, psychique et morale ; cette perte prenant la forme d'une chute hors du normal et du valorisé. Nous tirons ainsi un parallèle entre la représentation sociale de la vieillesse et la représentation sociale de la folie mises en lumière par D. Jodelet, en les considérant toutes deux comme des représentations à travers lesquelles se mettent en scène et en actes la peur d'une altérité et la défense d'une intégrité.

Bibliographie

FUCHS Eric, LALIVE D’EPINAY Christian, MICHEL Jean-Pierre, SCHERER Klaus, STETTLER Martin, « La notion d’autonomie, Pour une reformulation interdisciplinaire », in Cahiers médico-sociaux, n° 41, 1997, pp.161-180.

GREENWALD Anthony G., BANAJI Mahzarin R., RUDMAN Laurie A., FARNHAM Shelly. D., NOSEK Brian A., MELLOT Deborah S., « A Unified Theory of Implicit Attitudes, Stereotypes, Self-esteem, and Self-concept », in Psychological Review, n° 109, 2002, pp. 3-25.

HUMMEL Cornelia, Images de la vieillesse, représentations de l'altérité, Mémoire de DESS, Genève : Université de Genève, mimeo, 1995.

HUMMEL Cornelia, Représentations sociales de la vieillesse. Une étude qualitative menée auprès de jeunes adultes, Thèse de doctorat, Genève : Université de Genève, mimeo, 2000.

HUMMEL Cornelia, « Représentations de la vieillesse chez des jeunes adultes et des octogénaires », in Gérontologie et Société, n°98, pp. 239-251.

JODELET Denise, Folies et représentations sociales, Paris : PUF, 1989.

KITE Mary E., STOCKDALE Gary D., WHITLEY Bernard E., JOHNSON Blair T., « Attitudes Toward Younger and Older Adults : An Updated Meta-Analytic Review », in Journal of Social Issues, n°61, 2005, pp. 241-266.

LALIVE D'EPINAY Christian, Entre retraite et vieillesse, Lausanne : Réalités sociales, 1996.

ROUX Patricia, GOBET Pierre, CLEMENCE Alain, DESCHAMPS Jean-Claude, DOISE Willem, Stéréotypes et solidarité dans le cadre des relations entre générations, Rapport final de recherche pour le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (FNS-PNR 32

« Vieillesse »), Lausanne : Université de Lausanne, mimeo, 1994.

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Tableau 1 : Age du début de l’entrée dans la vieillesse donné par des personnes de différents âges (Suisse, 2008)

Source : European Social Survey (vague 3, 2008) mise en forme par Karine Henchoz et Manuel Tettamanti

Tableau 2 : Pourcentage de personnes de différents âges qui s’identifient à la vieillesse (Suisse, 2008)

Source : European Social Survey (vagues 3, 2008) mise en forme par Karine Henchoz et Manuel Tettamanti

0 0 0 1.6 3.5

17.1

59.4

94.4

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

% de personnes s'identifiant à la vieillesse

15-19 (n=129) 20-29 (n=182) 30-39 (n=250) 40-49 (n=320) 50-59 (n=230) 60-69 (n=210) 70-79 (n=101) 80-99 (n=53) Classes d'âge des répondants

S'identifie-t-on ou non à la vieillesse?

60.17

65.5 68.33

69.43 71.55 72.24 72.38 73.23

0 10 20 30 40 50 60 70 80

Age moyen auquel le répondant estime que l'on atteint la vieillesse

15-19 (n=129) 20-29 (n=182) 30-39 (n=250) 40-49 (n=320) 50-59 (n=230) 60-69 (n=210) 70-79 (n=101) 80-99 (n=53) Classes d'âge des répondants

A quel âge atteint-on la vieillesse?

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