Syndicats : la rupture des années 1978-1988, les raisons d'une hémorragie
Dominique LABBE
PACTE (CNRS et Université de Grenoble-Alpes)
Résumé
Au cours des années 1978-1988, le mouvement syndical français a perdu la moitié de ses
adhérents. La CFDT ne fait pas exception. Les raisons de cette hémorragie sont connues grâce
à plusieurs enquêtes, notamment auprès d’anciens adhérents de la CFDT. Le syndicalisme
français en a été profondément transformé. D’un syndicalisme de militants, centrés sur la
défense individuelle des membres et financé essentiellement par les cotisations, on est passé à
un cartel de partenaires sociaux composé de professionnels de la représentation, financés par
les entreprises, les administrations et par l’impôt.
Pour la CFDT, la décennie 1978 1988 est une période charnière. Elle s’ouvre avec le rapport Moreau (janvier 1978) et se termine avec le départ d’E. Maire (Strasbourg, nov.
1988). Pendant cette période, elle déménage de Montholon à Belleville, la ligne confédérale passe du socialisme autogestionnaire à la "resyndicalisation", la direction confédérale devient homogène et, à partir de 1988, elle ne traduit plus la diversité des courants qui, à cette époque encore, traversent l’organisation.
En même temps, d’autres changements sont survenus. Ils sont plus profonds, mal connus et largement sous-estimés. Le principal symptôme : en neuf ans, de 1978 à 1986, le nombre des adhérents à la CFDT a été pratiquement divisé par deux (de 830 000 à 440 000 1 ).
Après avoir montré l’ampleur de l’hémorragie, nous présenterons quelques explications.
On verra que, au cours de ces années cruciales, la France a changé de modèle syndical.
I. L’hémorragie des années 1978-86
Au moins autant que le nombre absolu de syndiqués, ce qui compte c’est leur densité dans la population active salariée française. Il est convenu d’appeler "taux de syndicalisation", cette densité :
Taux de syndicalisation = nombre de syndiqués / population active salariée
Examinons l’évolution de ce taux depuis la Libération, d’abord pour l’ensemble du mouvement syndical, puis pour la CFDT.
1. Le taux de syndicalisation en France depuis la Libération
Les résultats du calcul sont retracés dans le graphique ci-dessous.
La courbe ne commence qu’en 1949 car, pour 1945-48, les statistiques sur la population active salariée sont assez peu fiables. Cependant, on admet habituellement que, entre 1945 et 1947, environ un salarié sur deux est syndiqué et que la baisse s’amorce en 1948.
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