• Aucun résultat trouvé

LA NOUVELLE ARCHE DE NOE

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "LA NOUVELLE ARCHE DE NOE"

Copied!
38
0
0

Texte intégral

(1)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOE

T R O I S I E M E P A R T I E (1)

I

E

NCORE une- pluie qui charge notre mâture gémissante.

Pourvu qu'aucune tornade n'accoure de l'horizon et ne surprenne nos vieilles toiles ! Le véritable hivernage n'est pas proche, mais je crains tout de même. Que devien- drait ce petit peuple de bêtes attachées, encagées dans les vieilles caisses à claire-voie que j ' a i pu récolter au hasard des escales ?

L'hippo renifle la joie qu'il éprouve dans l'humidité.

Les singes acceptent la pluie en silence, tout recroquevillés.

Grand Dieu, que de singes ! De quoi amuser les enfants de plusieurs capitales et tenir compagnie, avec nies perroquets, à une société de vieilles filles... Ils approchent de la centaine.

Leur état n'est pas mauvais. A peine trois ou quatre d'entre eux sont-ils enrhumés. S'ils toussent, je dois éviter qu'ils ne contaminent tous les autres. Les soigner moi-même est un métier dangereux. M. Corvadier m'a bien recommandé de me laver après les avoir touchés : leurs maladies de poi- trine se transmettent aux hommes. E t Dieu sait s'il est diffi- cile de guérir même un rhume sous les tropiques... ! Je ne veux pas les compter : si l'équipage se trouve dans l'obli- gation d'en détruire, j'ignorerai à jamais le nombre des victimes.

Copyright by André Demaison, 1937.

(1) Voyez la Revue des 1=' et 15 juillet.

TOME XL. — l *1 AOUT 1 9 3 7 . Si

(2)

482 REVUE DES D E U X MONDES.

E t c'est ainsi que le remords s'installe à nouveau dans ma pensée. Mes bêtes sont-elles heureuses ? Sont-elles vraiment malheureuses ? Quelle va être leur vie dans les jardins et les parcs zoologiques ? N'e^t-il pas cruel de les séquestrer ou bien l'état de nature leur est-il plus cruel encore ?

6i je récapitule tna jeune expérience e t «i je réfléchis, je constate que la nature est souvent une marâtre envers ses enfants. Sans compter les multiples désagréments de la vie, au cours de laquelle beaucoup d'animaux sauvages, sauf l'élé- phant, le rhinocéros, le boa et le lion, sont persécutés par la peur d'être attaqués, privés de sommeil par l'angoisse de chaque minute, la nature se montre terrible aux petits. Quel est le déchet parmi les nouveaux-nés des animaux ? Considérable, énorme. Un couple de rats, si la famille ne subissait pas de pertes, donnerait plusieurs centaines de milliers de rats en très peu d'années. Et ce serait la fin de notre monde, à nous.

Or, dans la réalité, il n'échappe guère que quelques individus.

Un couple de lions, à raison de six lionceaux par portée, devrait fournir à la brousse, en douze ans, une tribu de près de quatre cents lions. Quel bétail, quelle tribu d'hommes serait capable de s'opposer à ce déchaînement de forces ? En réalité, fl en reste deux ou trois. E t ce ne sont pas les fusils ni les flèches des chasseurs qui font tout ce massacre. Il n'est que de voir téter une portée de ces futurs rois : ce sont toujours les deux plus forts qui accaparent les tétines de la mère. Et cette mère ne se mêle jamais de défendre les plus faibles et de les empêcher de mourir d'inanition.

Que dire aussi des mâles d'antilopes qui, aux premières gambades sérieuses des faons, s'empressent de crever, à coups de cornes, la panse des futurs concurrents... Non, tout n'est pas tendre dans la nature 1 A suivre les drames de la plaine, de la savane et de la forêt, on comprend parfois pourquoi certaines espèces se sont soumises à l'homme et lui restent fidèles, malgré les colères du maître, malgré l'abattage à jour fixé, au centre même de la brousse à travers laquelle la fuite serait chaque jour si aisée...

Voilà ce que je me dis souvent, lorsque les heures s'écoulent doucement comme la petite brise à travers mes voiles, pendant qu'Emile joue devant moi, grimpe sur mes genoux, déjà familier, quémandeur et si léger, le panache de sa queue en .

(3)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 4 8 3

point d'interrogation, comme celle de nos écureuils. Son œil

futé m'assure que k navigation près d'un homme est moins

périlleuse que la recherche des gfaines dans les pâlmiêrl...

Quant à Kdfïî, détaché, il a passé l'inspection des singes, l'œil méfiant, les muscles en défense : il n'a jamais vu tant d'espèces réunies. A là première occasion, je prendrai parmi

ces derniers les individus les plus, sauvages et leS tfêmettf fti dans là bfôuâséj sur le bord d'une rivière ou d'un Marigot.

Nous verrons bien Comment ils apprécieront là liberté.

Nine, traînée par son grand frète en exploration, tti goûte

pas du tout la présence de ces singés aux gestes innombrable*,

de i'hyène hagarde, du pore-épic vraiment trop rflôbilê, des sangliers d'éâu rapidement turbulents. La Calao même l'effraie,

car rhabitant de la forêt prend moins peur du danger véritable

et coutumier que des objets et des êtres même ÎHdffëfiSifs qui lui sont inconnus.

Entre lés mille réflexions qui m'assaillent, le* menus soins

donnés a mes bêtês et lés discours qUê je leur tiens pour lés distraire et lés habituer à hlâ v o k , je Cultive avec âffiôtîç quelques plantes à fleurs tfUe j ' a i mises en pots, Ou plutôt êta touques vidés à pétrole, devant ma Cabine. Certaine de ces plantés n'a jamais dé fleurs. Ce SOnt \êb feuilles des bouts de branches qui se font plus clàîres, plue tendres et semblables à des pétales. De plus, on dirait que tout l'arbuste a été âàpérgé de gouttelettes àûiduïèêS, tant 11 y à dé tâches blanches SUr le fond vert sombre du feuillage.

Le cuisinier consent à tirer de lJèaU douce de HOs bàrriqtiês avec le carton dé fusil coudé qui sert dé siphôrt. Il le fait sans hâté, par qUôi il manifesté son mauvais gré. Pour lui, c'est de l'eau perdue. Le Nôïr né comprend pas la fleur. Je n'ai

encore pu découvrir ce mot dans leurs langages que j'entends»

En revanche, on y parle autant de.fruits que d'enfants.

Après ïe Libéria, le temps fraîchit un peu VéTS le SOft\

La goélette se balance, les mâts frémissent, ïés cordages crissent. Domingo fait raidir lès haubans. Si j'étais riche, je changerais les ridoirs et quelques autres agrès.

Cette brise me comblé d'aisé. Riëtt n'est plus pénible ici que de naviguer Vent arrière OU trois-quârts arrière. La cha- leur devient alors écrasante, il est vrai que je më tiré d'affaire en me faisant inonder souvent aVéc de î'eaU de rtlêr. Utt dés

(4)

4 8 4 REVUE DES DEUX MONDES.

matelots, qui me sert de doucheur, prétend toujours que j'ai le corps blanc comme de la chaux. Il dit « la sô », et manque chaque fois d'imagination. Il me demande :

— Si on te gratte un peu fort, le sang ne jaillira-t-il pas ? E t il rit de toutes ses dents pointues, ses dents de fils de cannflwde.

Cependant, comme la brise ne mollit pas et que nous éprouvons pour la première fois de notre traversée l'effet conjugué du tangage et du roulis, voici qu'un grand silence tombe sur le bateau. Plus de singes dans les haubans ni sur les basses vergues : ils se sont réfugiés dans les encoignures, à ras du pont. Ceux qui sont en cage deviennent subitement tristes. Chacun d'eux se contracte pour tenir le moins de place possible.

Les mouvements du navire sont vraiment bien mesurés, mais leur régularité semble affecter tous les êtres qui, pour- tant, dans leur brousse, usaient à longueur de journée de la souplesse des branches, et dont les longues chutes, d'un arbre à l'autre, favorisaient plutôt la digestion.

Nine languit, accroupie à l'entrée de ma cabine. Koffi ne gambade plus, ne plaisante plus. Il flaire le pont pour y retrouver son centre de gravité. Puis, il finit par s'écrouler contre le bastingage, la tête dans les épaules, la lippe molle, l'œil à demi voilé, le poil un peu fou, une main à terre et retournée, l'autre qui gratte mélancoliquement un pied, puis l'autre pied, sans doute pour rétablir la circulation du sang...

Je lui offre une cigarette. Il soupire et me dit, d'une voix éteinte et l'oeil vitreux, que je suis cruel. Koffi, les singes et la plupart des animaux sont malades : ils ont le mal de mer.

Le petit hippopotame du Niger n'est peut-être pas atteint.

Mais comme il glisse, il s'est couché, la tête à plat sur le pont, sans pensée. Ses gros yeux rouges regardent je ne sais quoi à travers moi.

Le chevrotin, les antilopes et le potamochère essaient de maintenir leur aplomb et oscillent sur leurs sabots fendus et pointus. Aucune fierté dans leur regard.

Je me penche sur le panneau de la cale : le buffle oscille dans son box, l'œil vague, les cornes à plat, le cou tendu, comme un muet qui voudrait prononcer un discours. Le ias d'herbe, devant lui, est intact. J'en profite peur descendre lo

(5)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 4 8 5

caresser. Il demeure indifférent à mes avances, sans même la réaction de force qui marquait jusque-là nos colloques.

La panthère est pelotonnée dans un coin de sa cage, le poil bourru, l'œil mystérieux. Souffre-t-elle ? Pense-t-elle à ses sous-bois ombreux ? En a-t-elle assez de mes volailles plumées et rêve-telle de viandes surprises et saignantes ? Si elle éprouve pour la première fois la sensation qui met à mal les autres bêtes, sait-elle comment et pourquoi elle n'est pas à son aise ? La souffrance des bêtes est-elle capable de révéler l'état de leur âme obscure ? Ce qui demeure obscur pour nous, l'est-il entre les animaux d'une même espèce, entre les repré- sentants d'espèces diverses ?

Les questions arrivent encore en cohue devant cette bête que je n'ai pas encore rencontrée en liberté, quand, soudain, je me sens repoussé de la caisse contre laquelle je suis appuyé.

Une violente secousse : c'est l'hippo nain qui a projeté ses trois cents kilos contre les parois, à seule fin de me faire sentir que je suis un intrus.

Celui-ci n'est pas abordable, mais c'est au moins une brute en bonne santé.

Je remonte sur le pont. La brise se maintient. Nous taillons de la route. La vieille goélette devient un noble coursier. Elle dépasse ses possibilités. Toutefois, l'escale ne fera de mal à personne : la manœuvre de la pompe ne laisse guère de répit aux deux hommes disponibles de l'équipage.

Les grues couronnées ont rabattu leur toupet et agrandi leurs yeux d'or. Samô, l'éléphanteau que je n'avais pas aperçu, à l'abri d'une vieille toile se tient assez bien. Le pas oscillant de ses ancêtres et la fréquentation des marécages lui ont donné un cœur plus solide. Il ne fait plus mine de me fouailler avec sa trompe quand je lui présente des bananes mûres. J'ai passé bien du temps à les lui choisir, dans les régimes verts : il n'est pas ingrat. Avant son départ pour l'Europe, il sera mon ami.

L'hyène bave, mange, vomit, remange : aucune maladie, encore moins un malaise, n'est capable de diminuer sa vora- cité. Je la caresse au passage, sans conviction. Elle tire sur sa chaîne, par habitude. Elle agissait ainsi avec son maître chéri, le médecin militaire. Il est des êtres qui ne savent pas se rendre amicaux. •

(6)

4 8 6 REVUE DES DEUX MONDES.

Porte-pipe s'est caché dans sa forêt de piquants. Seul, un plat de petits pois fins pourrait le tirer de sa torpeur. Je préfère le laisser jeûner. Il en sera de même pour les autres animaux. Le jeûne est une excellente médication. Beaucoup

<të bêtes capturées périssent par un régime alimentaire mal compris, établi d^près des sentiments d'homme et non d'après la coutume de la brousse.

Tout à l'heure, mon buffle me faisait penser à ce bœuf qu'un cargo avait embarqué pour la provision de viande dû bord. La pauvre bête, saisie par lé tangage entre Dakar et Bordeaux, resta huit jours sans avaler une poignée de foin.

Je n'aurais jamais supposé une telle résistance à la famine.

Pain, son, grain, sel même, tout avait échoué. De dépit, un des maletots présenta au bœuf un paillon de bouteille. Ce fut ce rebut qui rendit au brave animal son appétit, alors qu'on lui avait déjà offert de la paille fraîche. Pourquoi ? Par quel mécanisme de ce cerveau encorné ? Encore des questions sans réponse.

tJne des conséquences dé ce jeûne, pour le bœuf, fut qu'on ne l'abattit point : il avait trop maigri.

Le nouveau python ne bâille pas : il dort. Il a repris son sommeil interrompu par sa capture. 11 se peut aussi que l'air de la mer, auquel il n'est pas habitué, l'engourdisse. 11 forme un tas jaune et noir. Les couleurs sont si bien réparties à travers ses écailles que j'admire la nature qui les lui a données, non seulement pour l'aider à surprendre ses proies, mais eh même temps pour qu'il soit dissimulé auX yeux de ses adversaires pendant les longues journées de digestion et de sommeil.

Mes petits pythons apprivoisés de Ouîdah, je les nourris avec des œufs de poule. Leur grand frère doit mesurer près de cinq mètres de longueur :" je ferai mettre dans sa cage deux poulets vivants. Il a passé l'âge et la taille des simples douceurs...

Un des beaux souvenirs de ma traversée -sera l'aubade

que m'ont donnée ce matin les oiseaux du bord ; non pas les

perroquets, mais les petits chanteurs que j'ai recueillis dans

les escales, fis n'ont pas eu l'honneur d'une mention pour

la raison qu'ils ne se vendent guère : ils servent plutôt de

(7)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 487

gratification aux capitaines qui s'occupent des bêtes qu'ils ont prises en charge. Les indigènes les attrapent ave* des pièges^

cages qu'ils confectionnent eux-mêmes et 'dans lesquels l'appât est une poignée de grains aux pays de forêt, une calebasse d'eau dans les pays de savanes.

On dirait que ces oisillons sentent l'approche d'une de leurs terres préférées. La grande fqrêt se montre surtout propice aux perroquets qui fréquentent la cime des ajbres, décortiquent aisément les dures amandes et sont amateurs de grands voyages. Plus hospitalière aux oiseaux chante*»»

.est la demi-savane de Guinée, la forêt claire où l'es gramin^

ont le droit de vivre, où poussent le riz et le mil des indigènes- L'oisillon ne se nourrit»pas,de bananes, comme les *inges, ni d'ignames comme les sangliers et les lièvres, ni d'amande à coques dures comme Emile mon écureuil de palmier Malgré les rapaces dont le vol est pins large, plu* menaçant, la savane est vraiment la patrie des bêtes et des oiseau

Tout mon petit monde ailé a compris, ou..plutôt .senti.

Les oiseaux de mer, plus nombreux, nous avertissent de la présence d'îles et de rochers, Leurs cris stridents orchestrant assez bien les roulades des chanteurs gris, dont la merveilleuse voix compense la légère disgrâce du plumage. Ce rév«ii«|

mer, au milieu des chant» et des pépiement* d'oiseaux, est une faveur du destin. Je suis sûr que c'est là un bonprésagà Ma croisière est heureuse. Elle va finir en beauté... ;

La seule ombre au tableau vient de la toux de Nine. 3*

lui applique de la teinture d'iode sur h. poitrine, entre les poils noirs, sur sa peau bistrée. Elle se laisse faire et tnf témoigne de la reconnaissance par des embrassements d'uft*

tend?esse maladroite qui me mouille les yeux.

Conakry. C'est h grande ville ; deux bonnes douzamâ de maisons à étages, y compris la résidence du Gouvemém», la mission catholique et les anciennes maisons de commerce une suite de jolies baraques en forme de villas distribuées le long de larges avenues, 1« tout dans *yn immense parc teopical qui sert de décor à cette petite capitale de la Guinée.

Une lettre de M. Corvadier m'y attendait, ainsi qu'tte

avis du consignataire de navires qui s'occupe du vapeur

Ternoe. Ce cargo, sur lequel je devais embarquer tous mes

(8)

488 REVUE DES D E U X MONDES.

passagers à destination du nord de l'Europe, aurait du retard, nié dit-on, et ne toucherait pas Conakry. En revanche, je dois aller accoster le Sophia Kouppa, cargo grec qui sera en charge dans quinze jours en Casamance. Encore peu habitué à mon commerce, je ressens de la joie à l'idée que mon « Arche de Noé » ne va pas encore se vider de son contenu, animal, alors qu'une réalisation prochaine devrait seule me rejouir.

Je reçois des nouvelles de France, qui datent de trois mois. On m'annonce des morts. On meurt donc aussi en Europe, même en pleine jeunesse ! Paris a été inondé'par sa vieille petite Seine. Tout arrive... Je voudrais que les morts et lés catastrophes de « là-haut » m'affectent : je n ' y parviens pas. Nous vivons vraiment ici dans un autre cycle de préoc- cupations. Je ne m'en plains pas et réserve ma pitié pour ceux que tourmentent outre mesure les absents.

Notre correspondant me livre un pauvre chacal, deux chats-tigres et un magnifique lionceau du Soudan. Il s'excuse.

•— Le caoutchouc est en hausse, me dit-il. C'est pourquoi les indigènes ne se dérangent plus pour chercher et apporter des bêtes. C'est une marchandise de temps malheureux.

Aujourd'hui, l'indigène qui raftiasse une livre de caoutchouc gagne plus qu'en faisant un long voyage pour nous apporter un guépard... Et puis, ils sont devenus orgueilleux... Ils me rient au nez quand je leur parle de ce trafic. Attendez un peu que le caoutchouc baisse ! Alors, M. Corvadier en aura, des betes, et pour rien...

C'est un Grec qui tient une petite boutique et un bistrot pour indigènes. Rien de son ancêtre Ulysse. Nos affaires sont vite réglées.

Après un dimanche passé en ville, un des seuls dimanches à terre de cette croisière, je repars. Nous avons embarqué les bêtes, de l'eau douce, de l'herbe fraîche'et de nombreux paniers d'oranges et de citrons, des régimes d'excellentes bananes, des provisions de bouche, des cabris pour mon jeune lion, pour la panthère et les autres carnassiers.

Il est temps que je transborde ma cargaison. Si mes nou- velles recrues en sont encore à la surprise, mes premières-bêtes finissent par s'ennuyer à mon bord. Ce n'est pas toute lai vie que de recevoir de la nourriture. On voudrait bien aussi parti- ciper «ux bruissements dé la brousse, entendre les feuilles

(9)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 4 8 9

mortes glisser entre les feuilles vertes, les voir faire une descente en spirale, jouir des ombres et des rayons de la forêt, aller, revenir, s'arrêter, faire croire que l'on pense, comploter des projets énormes et ridicules. Quand on est un animal, on ne s'ennuie pas comme les hommes, pour les mêmes objets.

Surtout, on ne sait pas que l'on s'ennuie. E t l'on s'ennuie t o u t de même, par les pattes, par les poils, par les griffes, les oreilles, les cornes, par le ventre et le museau...

*

* *

Combien de kilomètres avons-nous parcourus jusqu'ici ? Je joue au marin en calculant les distances, à l'aide de mon vieux petit atlas scolaire. Notre croisière animale compte déjà entre deux mille cinq cents et trois mille kilomètres.

Les îles de Loos, que les Anglais nous donnèrent en échange de Fachoda, ont disparu à l'horizon. Il me faut surveiller les rations des bêtes et l'arrimage des provisions.

, Au moment où j'arrive vers mon petit hippo, que j'appelle toujours Old Calabar, en souvenir des pontons, je lève sou- dain la tête : jamais un matelot n'a pompé avec t a n t d'ar- deur. Je regarde l'homme et ne le reconnais pas. Je l'interroge : il s'arrête de pomper et me répond par des cris indistincts.

Le second, Bilima, me rejoint et m'explique que c'est un volon- taire. En Europe, nous appelons ce genre de voyageurs : un passager clandestin. Il est muet, mais pas sourd. Il comprend le patois portugais et le mandingue. Son intention, me fait-on comprendre, est de retourner dans son pays, quelque part, plus haut. Et il montre vaguement le nord.

En réalité, il a été accepté par mon équipage, comme pompier de remplacement, car notre vieille Henriette fait eau chaque jour davantage. L'homme est presque nu, seule- ment protégé à la ceinture par une bande de vieille toile à voile. Il est magnifiquement bâti, un hercule moyen à tête bestiale, tout juste à deux échelons au-dessus de Kpffi.

Mais dans ses yeux brille une flamme de bonté étonnée, d,e dévouement suave qui me touche directement. Un enfant de la nature, un homme primitif est devant moi, en pleine confiance. C'est un beau spectacle, antique et très pur.

Pour me témoigner sa bonne volonté, il se remet à pomper avec une vigueur à laquelle nous ne sommes pas accoutumés.

(10)

490 REVUE DES DEUX MONDES.

J'appelle le capitaine et veux discuter d'une paye, si minime sort-elle. Au mot de diniero, qui en patois portugais de la Côte signifie : argent, mon sauvage se met à hurler, à gestieuler, comme si on le forçait à mareher sur des braises. Par signes, par onomatopées, il me fait comprendre qu'il ne veut que manger et s'habiller,

A regret, je lui donne un vieux pyjama : il va être laid, autant que moi, tandis que, nu, il offre au soleil un corps de demi-dieu. Quel est son nom ? A-t-il même un nom ? On l'interroge. Il essaie d'exprimer des mots, il bégaie :

— Assissicio !

Nous raccourcissons. On l'appellera : Assicip. Dès que je prononce son nom, il lâche la pompe pour sauter en l'air et danser. Il est heureux, il répète :

— Assicio ! Assicio !

Nous n'avons jamais su la signification de ee mot étrange.

D'où vient-il ? Quelle est sa race ? L'énigme sera peut-être résolue si, un jour, dans une eseale, des parents ou des amis le reconnaissent. Je vais lui confier la charge de nourrir le lionceau : un tel garçon doit être inconscient et impavide. Cela va très bien ensemble.

Ce sauvage qui méprise l'argent possède une faculté d'in- gurgitation qui dépasse toute idée. Il boirait l'huile de palme 4 l'écuelle, s'il osait ; il y plonge les doigts avec volupté.

Le chat du Cameroun le regarde faire, curieusement, en atten- dant sa part de poisson et de riz.

Quant au chien, méprisé par ses anciens maîtres depuis des siècles, il se tient assis, les oreilles basses, le nez en l'air, â l'écart des hommes. Il est plus à l'aise lorsque le cuisinier m'apporte mon plat de riz au poisson arrosé de citron. Le pauvre animal au poil jaunâtre, bien que toujours secoué dé frissons, a vite compris que la race des hommes à peau claire fournit de meilleurs amis que les hommes à peau sombre.

Entre les deux espèces, peut-on confondre ceux qui vous mettent dans une cage de fer en face d'une panthère et ceux qui vous en retirent ?...

Je dois prendre beaucoup de précautions pour le caresser : il redoute chaque fois d'être battu. Sa timide confiance finit par me faire plaisir. Je l'amène près du jeune lion. Aucune frayeur supplémentaire : il sait aussi que ces grosses bêtes ne

(11)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOBJ

m

mangeât pas. toujours les chiens maigres et tremblants. Les rapports de causalité sont courts, mais solides dans la cervelle d'un chien que la suprême injustice du sort a mis dans la brousse africaine plutôt que dans ie château d'un squire écossais...

Le vent de mer est plus vif au cours de nqs nuits. La fraî- cheur augmente. Cet abaissement de température me fait l'effet d'une cure de montagne. H y a trois mois que je n*ai pas respiré un air frais. Je serais parfaitement heureux si Nine ne toussait pas en dépit de la teinture d'iode et des couvertures dont je la protège.

* * *

Ce qyi vient d'arriver au gros serpent me confirme dan»

la conviction que tous les êtres vivants n'ont pas une commune mesure de sensibilité. Qu'on n'aille, done pas me parler d*éga- lité dans la douleur ! Rien ne me fera croire que le serpent boa et une femme nerveuse sont sur le même plan. Voici plutôt

l'événemçnt, ;

Pqur nourrir mon grand reptile, j*avais donc fait mettre deu.x poulets vivants dans sa cage. Au bout de deux jouçs, il ne les a même pas regardés, La fraîcheur lui est-elle plus pénible qu'à me\s petits pytb.ons fétiches de Ouidah ? Le fait est que ceux-ci avalent régulièrement, sans le casser, un œuf de poule. Ils ne le font éclater que dans l'arrière-gorge, gonflée comme une de ces cloques obtenues par les enfants en aspirant un caoutchouc, et rejettent ensuite la coquille.

Notre grand serpent, lui., dédaigne les œufs et ne voit pas ses deux poulets. II dort. Bfôn entendu, le cuisinier ainsi que le matelot qui soigne ce côté du pont se sont bien gardés de donner du riz aux volailles. Quand on doit être avalé par

un serpent, on n'a pas besoin de manger... ' Alors, qu'ëst-il a r r i v é ? J'ai ^out simplement troùyéîlé^

de,ux pqulets en train de tuer bel et bi«û(^^and,i'imri!ïëiisq serpent. "' ,''; ' "', " •'• '•'" '' " '

L'affaire a dû commencer à l'aube, p a r . û h Cpup de ISeé, drqit sur la boucle la. plus rondfe, sur l'^hnè^U le |pKis pu&sa»^

du reptile, Je suis arrivé trop tard pour savo|r fequé^ifês^'é^l»

a osé le premier : jje l'aurais gardé pôyr la Reproduction,;; ' Une fois la peau crevée, la question n*â pas traîné. Maln-r tsnant, les dégâts sont irréparables. €'èst même pourquoi

(12)

4 9 2 REVUE DES DEUX MONDES.

j'ai laissé continuer l'expérience. Chez ces poulets, la cruauté a été un auxiliaire de la faim. Désormais, je dirai : cruel comme une poule, plutôt que : cruel comme un tigre. .

L'un après l'autre, les poulets ont ainsi picoré le dos,du grand serpent, lequel n'a pas réagi. Est-il engourdi par la fraîcheur? Je ne veux pas croire qu'il soit dégoûté de sa captivité, car je me refuse toujours à prêter aux bêtes dés . sentiments proches des nôtres. Ce sont rarement les mêmes raisons, en dehors des fonctions élémentaires, qui nous font agir dans les mêmes circonstances, elles et nous.

Les poulets ont donc percé la peau, taillé dans la chair blanchâtre. Pas une goutte de sang n'a coulé. Un trou s'est creusé, à loger le poing d'un homme fort, dans l'énorme.

muscle dorsal du serpent. Encore une autre pièce perdue!

Le reptile n'a même pas dérangé un de ses anneaux pendant que les volailles picoraient l'étoupe grasse de sa chair, jus-

qu'aux vertèbres... . Les poulets se redressent, tout ragaillardis. Je les donne

à l'équipage avec défense au cuisinier de me servir du riz qu?ijs auront assaisonné. Le serpent va crever. Je leur en fais aussi cadeau, avec un sac de sel. Il va crever sans s'en douter.

La mort ne paraît pas être cruelle aux reptiles.

Allongé sur le pont, celui-ci mesurait plus de quatre mètres. Koffi a été pris d'une frayeur panique à sa vue.

Pauvre Koffi ! Que va-t-il devenir, lui, en Europe ? Acteur ou cycliste dans u n cirque. Il oubliera les cigarettes que je lui donne de temps en temps et dont il renvoie la fumée, au grand éhàhissement des singes et de l'équipage...

Tout va bien, excepté l'état de Nine. Je crains pour sa vie, je suis même très inquiet. Le serpent n'était pas quelqu'un.

C'était une longue bande de vertèbres, de chair et de peau . bien dessinée, une étroite cervelle et une gueule extensible.

Nine est plutôt une epfant. C'est terrible de voir mourir u n enfant. J'en ai vu mourir, que m'apportaient des négresses abandonnées et silencieuses : elles ont leur manière à elles d'être affolées dans leur tendresse maternelle. E h bien ! ces petits noirs semblaient déjà dominés par la fatalité.

Ds ne bougeaient pas, ne cherchaient même pas un recours près de leur mère.

(13)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 4 9 3

Nine représente assez bien, dans son espèce, une fillette de quatre ans ; tandis que Koffi est un gaillard qui tiendrait tête facilement à un de nos garçons de douze et mênie de quatorze ans. Elle ne tousse plus, mais crispe ses mains sur sa poitrine. Elle a lacéré le petit vêtement que je lui avais fait confectionner par le cuisinier du bord avec un coupon de finette acheté dans un comptoir.

Toute une histoire, cette minuscule canrisole, mauve et et rose comme pour une jeune négresse convertie... Koffi a été très jaloux. Il est resté nu, lui : et ça ne lui convenait pas du tout. Alors, il tourmentait Nine, par des agaceries à demi distraites.

Pour remonter le moral de la petite, je lui ai payé un de ces colliers de perles de verre dorées que les Syriens vendent aux négresses. Cela fait des parures pour femmes coquettes et pauvres, et remplace les bijoux d'or fin, d'or filigrane, d'or forgé, que portent à leur cou et à leurs oreilles les femmes du Sénégal, vaniteuses au possible.

Nine a beaucoup admiré mon cadeau. Toutes les femelles- de chimpanzés sont folles de perles dorées. Cela lui a donné de la joie pour deux jours. Elle en a oublié de tousser.

E t puis, le mal est revenu, un mal que ne mettent pas en fuite les perles du cou, les perles d'oreilles, ni les gros paquets de verroterie dont les femmes noires s'entourent aussi les hanches pour se rendre opulentes.

Depuis quelques jours déjà, Nine n'absorbe que des bois- sons chaudes, de mon lait condensé que ne boit plus guère aucune de mes bêtes. Chaque fois que la douleur la saisit, elle s'efforce d'arracher le mal installé dans sa petite poitrine velue et carrée. Elle a maigri, terriblement. Sa tête est déme- surée. La proportion de la calotte crânienne et des mâchoires est presque à notre honte. Une seule mais essentielle diffé- rence : je n'ai jamais senti, sur le devant, cette fontanelle qui palpite chez nos bébés et qui m'effrayait tant, quand j'étais jeune, chez un de mes petits cousins. Le cousin est en passe de devenir ingénieur, tandis que Koffi est toujours un grand enfant qui fumera peut-être un jour des cigares et prendra ses repas devant deux mille personnes, — mais qui restera toujours un enfant.

Les expressions de Nine sont démesurées, comme son

(14)

4 9 4 REVUE DES DEUX MONDES.

cr%e, §qs yeux marrons, se. voilent à moitié dès qvej la

S,QU|»

fronce monte, Elle. grince des dents, s'arrache les poils du torse, C'^çt terrible de voir ça et ne pouvoir rien qui soulage ce petit être J..,

4e suis comme le» Noirs, je ne comprends pas la mort, Malgré les tombes d'Européens que, j'ai trouvées un peu partout an cours de mes randonnées, malgré la mort récente 4e Pelmotte

e t w

démission sans, paroles, je ne peux, pas Qosc§voir un instant que la vilaine histoire me touche de près,, 4$ «'ai point peur de ma propre mort, non, point par courage, mais parce que je suis attiré seulement par le positif $% qu$

le négatif me fait horreur-, Comme les, Non», je n'imagine. pas 1* «éant de, la mort. Ici, h vie éclate, victorieuse et simple, ism les grande?, forêts, dans la savane où lçs herbes et les ç&éalej pqusRent à vue d'ceil au moment des pluies, Et si u,n.ç mort puçvi«nt> chez, un arbre, par exemple, c'est pour fournir de l'engrais nécessaire à un autre arbre, ou lui laisse?

V w w s 4a.n§ aa montée vers. la lumière-

Nous voici à la % d'un, de ee? jQurs. tprrides auxquels s,uçç^lent <Je§ heures de frafcheur lU^itSn ka mer ne, garde pa% longtemps les, rayons du soleil,, comme font les masses du. §Q1, L,e couchant est rouge, L/hivemage s'annonce par des couleurs violentes. La surface d

es

- faux gst n°i

r e

ÇO^nm§

dç la poix

t

4'ai l'impression que, nous, flottant par miracle,

$Uï U

n

ujnivers en géminé,

La petite camarade de Koffi souffre toujours., L^.s crise?, d'abord espacées, reviennent maintenant tous le

s

quarts.

d'heure. Mors, ce petit être, qui ne m'a pas jusqu'ici montré beaucoup d'affection, que je croyais stupide, me tçnd les hra? dans les. moments, d'accalmie, veut m'embrasser pour me remercier des soins que je lui donne, Nine me tend ses lèvres, qui s'allongent démesurément et se posent sur

mon CQU.,,

Et quand la crise revient, elle fait affreusement grincer ses mâchoires;, tandis qu'un rietus de douleur découvre, ses, gen- cives. où ne sçtnt pas encore placées toutes ses d

e

nts.

Au dehors, mes Noirs se perdent en palabres. Je n'appelle

personne au secoua de Nine, Lequel d'entre eux compren-

d r a i ma sollicitude envers une bête qui n'est pas un cheval ?

(15)

• LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 4 9 5

Leurs bœufs mêmes, si utiles mais peu glorieux, ils ne les soignent guère...

Nine agonise. Ses crises reviennent toutes les cinq minutes, si violentes qu'elle casse son beau petit collier de perles creuses, plus brillantes que de l'or vrai. Je le remonte, pour lui faire plaisir, encore une fois. Je ne sais si elle s'en aperçoit.

Dana les moments de répit, je n'ose plus soutenir son regard anxieux. J'

8

* beau imaginer qu'elle ne pense rien, affirmer qu'elle ne souffre pas comme nou,s, je ne puis arriver à croire qu'elle ne maudit pas les hommes qui l'ont arrachée à la forêt, qui lui ont donné des habitudes auxquelles rien ne la préparait. Je sais bien que d'autres petits de sa race sont atteints par les fraîcheurs de l'aube, le jour où les mères ne les abritent plus de leur poitrine carrée, de leur sein penché ; je sais, bien que je lui ai, pour ma part, toujours fourni un asile oonfortabîe, alors que les membres de sa tribu en'sont restés, depuis de§ millénaires, au nid plat, fait de branchages et d'herbes, sur lequel on s'étend pour dormir, la tête appuyée sur un bras en guise de coussin ; je sais parfaitement que, n'ayant jamais su construire un toit de chaume, même aussi simple que celui des derniers parmi les hommes noirs, un abri comparable, même de loin, à celui des omhrettes, QU àea castors, ces imitations d'hommes sont trpp souvent secouées paria toux au cours de leurs palabres.et de leurs discussions ; je sais enfin que, certains jours, la tribu s'éloigne d'un corps noir et refroidi après l'avoir recouvert de feuilles et de branchages pour qu'il soit dérobé à la vue des grands rapaoes ; je sais aussi que la famille s'enfuit alors dans un autre district emportant une tendresse perdue, mais qu'elle oublie vite les jeux futiles d'un petit qui avait jusque là échappé à la pan- thère et au serpent. Je n'ignore rien de tout cela, et pourtant je ne peux m'empêcher de frémir en face de cette mort qui n'est petite que pour nous, les hommes, et qui, pour Nine, est totale. Je suis peiné, rempli de gêne, comme si j'étais vrai- ment responsable.

Voilà, tout est fini. J'ai même éprouvé une sensation d'apaisement quand la petite n'a plus souffert, quand elle n'a plus bougé, quand elle est restée là, sur ses couvertures, — un petit corps noir et gris, avec une grosse tête d'enfant séparée du reste par un collier d'or bien net, bien brillant

u

,

*

(16)

496 REVUE DES DEUX MONDE.:». 11

Le besoin d'eau douce, de fruits, de poulets et d'herbe fraîche, nous a fait aborder la terre dans un petit rio dont l'embouchure est située en face de l'archipel des Bissagos.

C'est une vieille femme qui règne sur ce district, plus par la sorcellerie que par le pouvoir que lui laissent les Portugais.

Sa résidence est en retrait de la côte, suivant la précaution que prenaient autrefois les villages noirs bâtis hors de la vue des frégates et des corvettes.

Le nom de la vieille femme, Djitébo, est marqué de rouge par M. Corvadier. Je ne devais donc pas beaucoup compter sur ses ressources. Or, elle m'a vendu un jeune guépard, un serval, deux petits phacochères, un couple de chiens de prairie, ani- maux fort rares, un jeune chimpanzé qui remplacera Nine, un marabout qu'elle a gardé dans sa cour et que l'on nourrit de poisson frais.

Plusieurs de ces bêtes oui été capturées à des journées de marche dans l'intérieur : la vieille sorcière a dû les exiger d'un chef plus reculé qui ne trafique jamais avec la mer.

On la croit visitée par le dieu suprême qui, chez les Papèles, dépasse en autorité les génies de toute espèce et les mânes des morts. Elle profite avec bonhomie,en présence des Blancs, de ses prérogatives divines, mais n'oublie pas de discuter âprement ses intérêts. Tout ce qui me restait de tabac en feuilles^ de savon, de sucre, de poudre et de plomb n'a pas suffi à payer ses bêtes. A vrai dire, ma cargaison n'était plus importante. En fin de compte, j ' a i dû me défaire d'un de mes fusils. Ce n'est pas trop cher pour réparer mes dernières pertes.

A voir la joie d'un vieil homme qui assiste Djitébo, j'acquiers la certitude que j'ai fait un grand honneur à un prince consort nourri d'huile et de vin de palme, gras comme un porc à l'engrais, qui transpire sans trêve et s'évente avec une queue de bœuf.

La déesse m'a pris la main et m'a donné une corde. Au bout de la corde se trouvait un cochon noir. C'est un cadeau de satisfaction. Elle me donne aussi le tabouret de bois sculpté sur lequel je suis assis pendant nos palabres : les lignes en sont pures et magnifiques.

(17)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 497 Malgré ces élans d'une hospitalité crasseuse et malodo- rante, bien que divine, je n'ai qu'une hâte : gagner l'estuaire de la Casamance. Les raisons d'optimisme que m'apportent mes dernières acquisitions n'empêchent pas u n certain malaise physique de m'envahir. Je suis très fatigué. La quinine même ne chasse pas les angoisses de mon corps. Je ne sais plus ce que je veux. Je cherche à mettre un terme à mon aventure et j'espère pourtant qu'elle durera encore. La terre m'attire et je me sens plus léger d'avoir quitté les hommes avec qui je viens de traiter.

— Sauvages beaucoup trop ! me dit Domingo Mendy qui a déjà oublié les calebasses de leur vin de palme. Où nous allons, maintenant ?

— Carabane ! Il faut y rattraper le Sophia Couppa.

— Celui qui charge des arachides... Tant mieux!

— Pourquoi, tant mieux ?

— C'est à Carabane que j ' a i été élevé, chez les Pères de la Mission. J ' y ai aussi un enfant...

Ce qu'il ne dit pas, et que je sais pour avoir surpris des conversations, c'est qu'il s'y est marié, qu'il a répudié sa femme, la mère de son enfant. Un point de sa vie m'échappe : où a-t-il perdu la main qui lui marque ? Dans quelles cir- constances ?... Le vieux Samory n'hésitait pas, pour main- tenir l'ordre dans ses territoires, à couper la main d'un homme à son premier larcin ; et je sais que certains petits potentats usent encore de cette répression. Si mon vieux Domingo avait dépassé le vol, s'il avait tué chez ses voi- sins au temps de sa jeunesse, cela expliquerait aussi là coquetterie qu'il affiche parfois de mettre une fleur rouge à son chapeau crasseux... Cette humanité noire ne manque pas de secrets.

De toute manière, nous allons vivre, attendre un autre navire en pays de connaissance, non loin de l'escale où habite le Syrien propriétaire de la goélette. Il me semble que le destin nous sera plus favorable qu'enterre étrangère. Je laisse donc Bissao et Cachéo, où nous devions relâcher. Possibilités plus grandes de rattraper le cargo grec, ligne directe qui me permet d'éviter des petites îles et des hauts fonds dangereux : tous les calculs sont pour nous. Il nous reste la part de chance qui, en Afrique plus qu'ailleurs peut-être, pèse dans la balance.

IOHI XL. — 1937. 3J

(18)

4 9 8 REVUE DES PEUX MONDES.

Mes bêtes sont, chaque jour davantage, hrisées par la traversée. Loin de les exqiter, l'air de la mer les rend apa- thiques, PeuVêtre aussi la peur atavique des grandes surfaces d'eau les. maintient-elle en état de moindre action, Seul, l'éléphanteau se démène un peu plus. Je le gave de manioc que j'ai trouvé à ma dernière escale et dont le goût de châ- taigne sucrée lui plaît infiniment. Cependant rien ne le calme.

A quoi est due cette agitation ? Se rend-il compte, dans ses fibres profondes, que ses parents libres sont capables de nager pendant des heures et de traverser de vastes étendues d'eau ? Regrette-t-il sa mère que les homme» ont tuée ou prise au piège ? Je n'approuve pas les chasseurs d'éléphants.

Il est vrai qu'un troupeau de ces grosses bêtes, détruit jour- nellement un tonnage considérable dp verdure, qu'ils ne se gênent pas pour déraciner, broyer, avaler les plantations des indigènes, bananiers, arbres fruitiers et céréales. Cependant, je ne puis m'empêcher de blâmer celui qui les surprond dans leur sommeil et qui s'offre un beau coup de fusil, alors que ces puissantes masses n'attaquent pas l'homme sans provoca- tion- Il vaut mieux que ce soit la mère qui soit morte, Elle serait inconsolable de la perte de ce gros garçon noir qui se balance aujourd'hui sur le pont de mon bateau. Tandis que lui l'a probablement oubliée.

Cependant, pourquoi élève-t*il la trompe à chaque ins- tant pour prendre le vent ? Sent-il la terre, maintenant plus proche de nous ? Regrette*t'il l'atmosphère lourde dans laquelle il baigna dès sa naissance, les lueurs vertes qui descendent de la voûte de verdure et les grands fûts grisâtres des arbres qui virent ses ébats d'enfant ? Je suis certain que, si je le gardais à terre, je m'attacherais fort à ce jeune élé- phanteau. Ne me rappelle-t-il pas aussi, d'une autre manière que Koffi, cet excellent M. Rey de Sassandra ?...

Le propre de l'homme, s'il n'est pas amoindri dans ses

fibres intimes, est d'oublier la fatigue, l'épreuve, et de chevau-

cher à nouveau l'avenir. Pendant que nous avançons, dou-

cement appuyés sur tribord par la brise du large, rien ne peut

m'empêcher de songer à cette escale de Carabane où nous

allons faire halte, nous reposer, ressentir les mêmes apai-

sements qu'à mes premiers voyages. Joal, Conakry, Sassandra,

(19)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÊ.

499 Cârabane : oes nom.s évoquent pour moi des villégiatures antiques, comme sonnaient aux oreilles des navigateurs d'au- trefois, Capdie, Palerme, Alexandrie, Majorque et, plus tard, Lisbonne et Cadix. Je revois déjà les grandes bâtisses en piçrre blanchie à, la chaux; qu'avaient construites les esolava- gistçs de la fin du xvjii

e

siècle. La pierre et les dalles venaient d'Europe à fond de cale dçs vaisseaux négriers, auxquels elles servaient de lest. Les monceaux de coquilles et d'huîtres que l'on trouve à certains confluents de marigots, cuits au moyfen de troncs d'arbres, de la grande forêt, fournissaient la chaux.

Les toitures étaient faites de planchettes en bois dur, en manière d'ardoises, tellçs qu'on les utilise dans les pays dit nord de l'Europe,

ï] m,ç tarde d'être nonchalant, le soir, sur leurs terrasses

et d'écouter le bruissement des cocotiers qui aiguisent leurs feuilles au vent de mer, rythmé par de lointains tam-tams, ou les décharges, des fusils au eours de cérémonies funèbres.

C'est un des, pays qù j'ai perdu ma montre sans regret, o$>

j'ai fermé mes livres, où j'ai laissé mon encrier se dessécher, mes vêtements se moisir. On y est entouré de vastes supersti- tions, on y vit parmi les ténébreuses entreprises de nègres qui' possèdent des richesses incroyables en bœufs et en rizières, et qui jouent avec la mort. Partout, dans ce pays fantastique, la divinité s'incarne dans une fille noire, pour lutter contre les génjes des arbres, de Peau, de l'air et de la terre, pou»

libérer des. êtres puissants et nus de l'oppression des forées invisibles. La chair y est forte et l'esprit très faible. Le*

1

limites de la vie et de la mort y sont assez mal établies.., N'est-ce pas à camuse de ces étranges détails que mes nerfs et' ma pensée sont émus au souvenir des heures passées dan»

cette escale, à l'idée d'y revenir,?

* * *

Un coup de vent, une fausse tornade, une sorte de boy*»

rasque sèche a bousculé nos barriques d'eau potable. Trois se sont éventrées. La moitié de notre provision est perdue ; et lés bêtes, les singes surtout, consomment beaucoup d*eéu.

Mendy se rapproche doucement de la'côte que nous n'avons

plus .qu'à suivre pour arriver à l'embouchure de la Casamance,

De temps à autre, un cotre nous croise, venant 4u nordy

(20)

500- REVUE DES D E U X MONDES.

bon vent portant, alors que nous naviguons péniblement

« au plus près ». Nous échangeons des signaux, des appels, des salutations. La navigation est plus dense dès que l'on approche du Sénégal, les routes de mer plus fréquentées.

. , La côte est percée, par endroits, de petits estuaires bordés de noirs palétuviers. C'est au fond de teMes découpures de la terre qu'autrefois les négriers arrivés d'Amérique venaient s'embosser, à l'abri des poursuites des frégates anti-esclava- gistes. Les multiples canaux qui relient entre eux les estuaires permettaient aux pirogues des potentats nègres d'amener leurs captifs à bord des voiliers sans éveiller l'attention des gar,de-côtes.

Rien n'est changé depuis un siècle, ni la forêt qui dissi- mulait les mâts, ni les marées qui portaient les petits navires à l'intérieur et les remettaient en mer, ni les paquets d'huîtres qui s'accrochent toujours aux racines extérieures et aux branches retombantes des palétuviers, ni les lourds crocodiles qui se traînent sur la vase grisâtre inaccessible à l'homme.

Rien n'est changé que le trafic : contrebande de tabac, de kola et de poudre au lieu de « pièces d'ébène ». A terre, à Carabane, à Cachéo, à Bissao, les magasins sont restés les mêmes, avec leurs vieux anneaux fixés aux murs et devenus inutiles.

— Nous devrions entrer dans un des marigots pour cher- cher de l'eau, me dit Domingo Mendy. Les bêtes et les hommes vont en manquer. Nous avons le temps de rentrer dans la passe demain matin, avant midi. Essayer de franchir la barre pen- dant la nuit n'est pas sûr... J'ai des amis, à terre, qui nous donneront de l'eau et chez qui nous pourrons dormir tout à fait tranquilles... Je ne me fie pas au ciel... Il y aura du vent mêlé à l'obscurité...

»

Toutes ces raisons me paraissent excellentes. Aucun vapeur ne pénétrera dans le chenal avant le matin. Nous sommes assurés de le rattraper dès demain à midi, en face des wharfs de Carabane.

Et nous voici, deux heures après, mouillés devant un débar- cadère à peu près net de vase, le dos aux palétuviers, face aux premiers arbres de la forêt qui borne l'horizon, tout pareils aux forbans de jadis. Une case rectangulaire surmontée d'une croix sert de chapelle au missionnaire de Carabane

(21)

LA NOUVELLE ARCHE DE N O É . 501 quand il visite ses catéchumènes. A moitié dissimulées dans la broussaille, les longues cases d'un petit village laissent échap- per de leur chaume des nappes de fumée. Cela sent la terre humide, le bois demi-vert, le riz chaud et le poisson grillé.

Je fais cueillir des huîtres dans les palétuviers. En un instant, j'en ai cent douzaines devant moi. Je dînerai ce soir de coquillages. Le cuisinier fabrique un riz aux huîtres. Pour les ouvrir, il flambe les paquets jusqu'au moment où lés mol- lusques bâillent. La pointe d'un couteau fait le reste. Une calebasse est vite remplie. C'est une friandise appréciée..

Avant la chute du soleil, sur cette eau calme qui glisse vers là mer, installé près du jeune lion, je mange des dou- zaines de ces petites huîtres qui ont l'aspect et le'goût de nos portugaises. Quand je suis rassasié de les manger crues, je les fais rôtir par le cuisinier, et je continue.

Kpffî me regarde et se méfie de ces nourritures qui sortent de la pierre. Le chien les avale cuites : il mangerait n'importe quoi. Le chat sans queue, attiré par l'odeur, se souvient dé son ancien état de loutre ; dégoûté de l'eau mais non des fruits de la mer, il dévore les huîtres crues ou cuites dès que je les lui jette sur le pont. Assicio se gave de ces coquillages. Il me fait imaginer les tribus primitives, aux millénaires passés, qui ne se nourrissaient que de mollusques, praires, huîtres, palourdes, et qui rejetaient toujours les coquilles au même endroit, à l'entrée du village ou aux débarcadères, et que nous retrouvons aujourd'hui en véritables collines.

Les singes nous considèrent tous avec une envie imprécise : ils choisiraient, pour nous tenir compagnie, des bananes.

Auemr de ceux qui sont en demi-liberté ne tend ses désirs vers la berge.

Koffi fraternise avec son camarade sauvage. C'est lui qui fait toutes les avances d'amitié. L'éléphanteau lève la trompe : il sèât le marécage et la forêt. En bas, l'hippo nain est tou- jours aussi taciturne et coléreux; la panthère subit son sort en iilence et je me demande ce que doit être son système nerveux, ce que devient le jeu de ses muscles. Les petits serpents sont lovés à cause du vent plus frais; le porc-épic s'agite sur le pont ; un tour à terre lui ferait le plus grand plaisir. Les chiens de prairie sont renfrognés, les biches inquiètes, l'hyène bave. Le buffle sauvage souffle, mais se

(22)

50& REVUE DES DEUX. MONDES.

souvient d'un© malheureuse expérience h jour okl'eaupion»

tait dans la cale et lui mouillait les sabots ; les ombrettes, et;

lea grues font preuve de circonspection. Le calao présente à gratter son cimier et son bec. Ce n'est plus un calao de brousse mais un ami des hommes. Quant à Emile, il devient encom- brant à force de. familiarité : si je ne m'en défendais, il ne quitterait plus mes genoux. On dirait, en revanche, que le jeune lion s'ennuie. L'odeur des bœufs lui vient-elle aux narines ? Il va, vient, retourne s'accroupir, se relève. Je •cou- drais être riche pour le garder dans ma propre maison,,.'

Maintenant, je suis moins pressé de réaliser mon opération.

Tout me. paraît plus facile, Partout ailleurs» j'étais en voyage, Ici, je me sens mieux, cheç moi, tant les premiers qc-ntaçts de. Phomme qui a débarqué sur une. terre, ont frappé leur marque sur son âme en quête d'émotions, Je voudrais que, cette soirée plantureuse et paisible se renouvelle.

...Mendy m'annonce qu'il a retrouvé son ancien beau-pèrç pariai son bétail qu'il tient éloigné de la ville, eij que cet homme, <pai»t du tout fâché de aon divorce unilatéral» va tuer- un heeuf peur n§us, ojfrir un. festin de riz et de viande»

k notre déjeuner.

Lea crapaud? du voisinage orga.m>enj

? k la m\\, m c9#c&%

énorme et dissonant,

r-. Ils. appellent la pMe, me dit. ï&lima, le, second du feqwlU

*

. '.. ' . * . . . * .

Bèa huit heures du matin, asus, aoimmes, desçen^u^ W*$>

Le* hommes 8c>ntendimajîQMsi co,mn*e.des,pi^ysa.ns

UHJQVVC

<ÏS frairie. Ils ont même cet air gauche de gens qui vont;, entamer, une partie de betulça. Les senteur* lourde d© H brousse, humectée* de rosée,. gfc m.êje.nt % 'V°4çw i°4é,e de W m a ^ montante. Au loin, dans, la. plaiae où l'on ya bientôt semqç le MZ, la foule des bœufs meugle, Leurs g^a^des çqïnè^.;s,e heurtent. Les taureaux défjen,t les puissances de \§ foçg|^pe^

dant que les veaux et les génis,ses preufienj leurs ,éba^

v

Ç'e^i un véritable fleuve de dos roux, jaunâtres, npirs, QÙ,.^Jan^&^

qui. s'écoule avec lenteur. Toute la richesse de ce pays fcrjQute et piétine le sol. .. ,. . t,

Sous les arbres du village, grande cuisine, Les entraxes 4ji

(23)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. S 0 3

bœuf sont déversées à terre. Des gamins noirs, tout nus, jouent avec les boyaux. Une odeur de sang et de bouse fraîche s'insinue à travers la fumée des cuisines. Perohés sur les arbreSj les vautours surveillent ce déballage de victuailles, A terre, les oisillons cueillent le riz échappé des calebasses.

Des jeunes gens pressés font griller des morceaux suifîeux qui grésillent sur les braises. Affairés, les femmes à tête, rase et aux- seins flasques ont l'air de démons. L'huile de palme revient me poursuivre ici : c'est un luxe auquel les invites ne peuvent rester indifférents... Les gourdes de vin de palme sont rangées sous l'arbre à palabres dont les racines, dénudées par les, pieds, de plusieurs générations, vont servir de sièges,

Le soleil maintenant nous domine. L'ombre de» arbre»

est un bienfait. Pour marquer mon rang, je m'installe fc l'écart sur une vieille ancre de marine. Trophée ou épave de quelque naufrage. A défaut de forgeron capable de la découper, elle doit encore servir de fétiche. Notre héHe nous comble '$*

prévenances. Nous sommes soignés par des jeunes filles et des garçonnets qui disposent devant nous des calebasses pleines de riz et de morceaux de viande. Les mains noires plongent toutes dans le riz blanc et fumant. Pour nous faire plus d'hon- neur, l'ancien beau-père de Mendy nous offre un condiment qu'il réserve, dit-il, à ses hôtes préférés. C'est du jus de citron bouilli mélangé de piment rouge.

Il en verse un peu sur le côté de sa calebasse, comme par discrétion, et largement sur le riz de ses invités. Je regrette qu'Assicio soit demeuré à bord pour garder le bateau et sur- veiller les bêtes. Ses camarades mangent maintenant à pleine main, comme les Noirs g3uls sont capables de manger. Leurs joues se gonflent : on dirait des cynocéphales devant un tas de bananes.

Les oiseaux chantent, les bruits de la brousse saluent la brise qui soulage les hommes et les bêtes de la chaleur méri- dienne. Le vin de palme coule à flots dans une calebasse qui fait le tour des invités. Cette ripaille barbare me comble d

?

aise. Curieux de goûter ce jus de oitron conservé dont on ne m'a pas offert, à cause de sa force et de son goût peu fait pour les Européens, je profite d'une absence de notre hôte pour en assaisonner, mon riz.

Sous les tropiques, l'estomac devient vite paresseux, et

(24)

504 REVUE DES DEUX MONDES.

j ' a i déjà pris l'habitude des condiments féroces ou même malodorants comme certaines graines d'arbres, le poisson fumé et les huîtres séchées au soleil. Celui-ci est agréable, bien qu'une légère amertume gâte la saveur acidulée de la mixture.

Cela me remet en mesure de bien terminer le repas.

Hélas ! que n'ai-je été plus circonspect ! Que n'ai-je eu un moindre appétit ! En Afrique, il semble que, plus qu'ailleurs, tout soit écrit d'avance sur le grand livre de la destinée...

Il est près de trois heures à la hauteur du soleil, quand la marée descendante nous remet en mer. Encore quelques heures de navigation. On devine déjà au loin les hauteurs qui dominent l'entrée du fleuve. Nous allons nous présenter à la barre avec la marée montante, et nous nous glisserons dans cette entrée avec la majesté tranquille d'honnêtes gens qui rentrent enfin chez eux... Quel succès de curiosité ne.

vais-je pas obtenir dans cette escale de Carabane !...

Sûr le pont, près de la pompe, Assicio racle un fond de calebasse de riz garni de viande assaisonné de jus de citron que ses camarades lui ont rapporté de terre.

* * *

De ma vie, je n'oublierai les heures qui ont suivi ce repas.

Le ; malheur a commencé par Domingo Mendy. Il a appelé son second, Bilima, et lui a dit :

— Prends la barre. Gouverne sur Diembéring, puis Dio- gué. Moi, ma tête me fait trop mal.

Bilima a pris la barre. Il gouverne en force, tandis que Mendy manœuvre en souplesse. La goélette « abat » comme un cheval qui change de pied.

Mendy va se coucher dans sa cabine. Je me dis : « Il a trop bu ! »

.. Une demi-heure après, Bilima appelle un matelot et lui confie la barre. Je me dis encore : « Celui-ci a trop bu, autant que le patron. » E t Bilima va s'allonger à l'avant, tout contre le guindeau, près du buffle.

Comme sous l'empire d'un avertissement secret, je me lève et fais le tour du pont. Le cuisinier, qui a beaucoup plus mangé que d'ordinaire de cette cuisine qu'il n'avait pas faite,

(25)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 5 0 5

est- affalé sur le pont, non loin de l'hyène, prostré, la if ace grise, les deux mains à son ventre.

Je retourne à la barre, j'appelle les deux matelots et Assicio.

lies deux matelots ont l'air d'être ivres. Soudain, l'un d'eux nous quitte sans rien dire et va s'accroupir près du panneau de eale. L'autre résiste mieux. Qu'est-ce qu'ils, ont; donc tous ? La seule ivresse n'explique pas leurs gestes, leur lassi- tude, la décomposition de leurs traits...

Voilà que tout s'éclaire dans mon cerveau qui, jusqu'ici, refusait la lumière : nous avons été empoisonnés... Nous sommes empoisonnés !... Ma tête, je la sens lourde. J e m'as- seois devant Assicio qui reste là, planté devant moi, bouche béé. Il me reste assez de pensée pour me souvenir qu'en ren- trant à bord, ce citron pimenté m'ayant donné soif, j ' a i bu une demi-bouteille de vin rouge. Bonne inspiration; Excellent contre-poison. J'espère tenir le coup. Au surplus,.je n'arrive pas; à croire que cet excellent homme, riche de bœufs,-ait eu de si noires intentions à l'égard de mon capitaine.

Je me suis relevé, pour réconforter deux des hommes qui paraissent moins atteints et leur faire croire que nous, ne sommes pas tous terrassés. Je suis allé vers le lion, qui deman- dait son cabri quotidien, auquel nul ne songeait plus. Le jeune animal est sans colère, mais comme un chat qui a faim.

L'homme de barre tourne les yeux en tous sens, devient grisâtre. Je me saisis du gouvernail et le renvoie s'asseoir centre le bastingage. Par bonheur la brise est régulière et;la barré assez douce à maintenir.

Alors, ma mémoire fonctionne, comme dans les circons- tances graves. Je me souviens de cette fameuse rancune que garda pendant dix-neuf ans un vieux chef de la. Côte d'Ivoire dont le fils avait été dévoré par des hommes d'une tribu lointaine de passage sur son territoire. Notre présence avait empêché le vieux guerrier d'organiser une expédition de représailles. Un soir, amené par les routes ouvertes du libre trafic, un jeune étranger s'arrêta dans son village.et vint manger dans la calebasse du chef. Il demeura plusieurs jours dans le pays, se créa des amitiés par son heureux carac- tère. Jusqu'au jour où il raconta des histoires, ne fût-ce que pour payer l'hospitalité dont il profitait. Le malheureux jeune homme donna même des nouvelles de sa tribu, juste-

(26)

506 REVUJ5 DIS DEUX MONDES.

ment celle dont les guerriers avaient.absorbé, dix-neuf a»s plus tôt, le fils de son hôte d'aujourd'hui. \# pauvre garçon n'était pas né au moment du crime : il lut pourtant égorgé dans la nuit même, dépecé et mangé le lendemain, Le vieillard n'avait jamais abandonné sa vengeance : il avait compté sur les génies de sa tribu, qui lui amenaient, tardivement mais sûrement, une victime expiatoire sous son couteau,

Ainsi le beau-père de Mendy s'était donc vengé. Peut-êtr»

même a-t-il réparé un tort plus grave fait autrefois à une famille devenue entre temps son alliée... Il n'avait pae voulu me mêler à sa rancune : c'est moi qui étais allé donner dan»

le piège qui ne m'était pa$ destiné,

Telles sont, à peu près, les dernières idées consistantes qui me sont venues ce soir-là. J'ai encore pensé qu'Assicio avait peu mangé de ce riz d'enfer, que le beau-père n'avait pas touché au côté empoisonné de sa propre calebasse, J'ai eu la force de montrer à mon demi-fou muet la roue du gou- vernail et la direction à tenir. Puis, je me suis traîné, à quatre patte* (je ne pouvais mieux faire), du côté de la cuisine. Et j'ai, en souvenance de mes études de chimie, écrasé des charbons que j'ai avalés comme j'ai p

vg

en grinçant des dents, J'an ai fait avaler à Bilima, au cuisinier, à un autre encore, Assicio m'a aidé. Il n'était pas encore touché- J'ai rempli mes poches de eharbons pour en avaler encore. « Corps réducteur...

C'est un corps réducteur. » Voilà ce que je ne cessais de me répéter.

Assicio m'a aidé à me traîner du côté de l'arrière... Où est le patron ? J'essayais de crier, de'l'appeler. Ce n'était qu'Assiçio qui me répondait par des cris insensés. Où étions-nous?

Que faisions-nous ? Mes yeux ont cru apercevoir Bilima qui donnait de grand» coups de poing au mât contre lequel il râlait. Puis, je suis tombé dans une demi-conscience...

Je voyais les choses se déplacer sans qu'il me fût possible de les en empêcher. Je subissais les faux coups de ban»

&

?

Assicio, j'entendais ses cris désordonnés sans que je pusse comprendra si c'était pour me réconforter, m'avertir ou me confier sa propre détresse. J'étais en perdition... Par moments, quand je reprenais un peu de lucidité, affalé entre le bastin?

gage et la paroi de ma cabine, j'apercevais le lionceau et

Koffi et les autres bêtes, et j'entendais un perroquet qui

(27)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 5 0 7

poussait des cris éperdus dont je ne distinguais plus la folie.

Car je me raccrochais à ces cris, comme aux seules sonorités capables de correspondre avec ma raison.

E t 8ur ce bateau sans hommes, jô me figurai» la victime d'une vaste Sorcellerie au milieu de laquelle je tournais à Vide, à vide, à vide...

III

La nuit. J'ai été pris d'un grand frisson. C'est le vent qui s'est levé. Je n'étais pas mort, mais tout mon système nerveux me refusait son service. Mes fils télégraphiques étaient Coupés. J'ai biêfi vu qu'Assicjo gouvernait mal, qu'il s'affolait, que les Voiles, mal bordées au changement du vent, enga- geaient notre pauvre goélette. J'ai voulu me lever pour nie rendre compte de nottte position, appeler le patron, BUima, Un matelot..; Je n'ai pas pu. Ni ma voix, ni mes organe» ne pouvaient suivrele peu dépensée qui me restait après les inter- minables instants où j'ai subi l'angoisse de l'anéantissement.

Je mè souviens vaguement, comme dans un rêve ararieux, que nous avons talon»© à plusieurs reprises. Ces ohods ont un peu réveillé ma conscience, ou plutôt ont agi sur ce qu'il m'en restait à la façon d'Une discussioô que l'on entend dans la maison d'en iâCêi Je me suis dit : « Nous ne coulerons pas très bas, pas plus ba> que les roGhers... » Et mon instinct Vital me faisait «ouvéair que des cailloux trouent le sable, juste devant les buttes qui cachent le village de Diembéring aux vues de la mer, q«e l'on y pêche des langoustes, et qu'en grimpant aux mâts on y peut toujours se maintenir au-dessus de l'eau.

Les chocs Ont Continué, sont devenus plus terrible* à mesure que les rouleaux de la barre grossissaient. Nos vieux cordages n'ont pas longtemps résisté. Entraînés par le poids des voiles, ébranlés par les chocs qui les ont chassés de leurs emplantures, les deux mâts sont .tombés, l'ut» après l'autre, ouvrant le pont à moitié pourri, démolissant I© bastingage.

Je me suis dit : « Pas d'importance, je serais incapable de

grimper à une échelle de cordes... Qu'est«ce donc qu'ils nous

OWt flanqué dans l'estomac avec ce jus de citron pour que §a

nous coupe ainsi les nerfs et les muscles ?.*. »

(28)

5 0 8 REVUE DES DEUX MONDES.

Dans le fracas, j'entendais l'hyène qui jappait de terreur, à petits cris, comme si elle expectorait des os avalés trop vite.

Pas d'autre cri de bête. Au point que j'aurais douté de mon existence si je ne m'étais senti tout gluant, tout souillé...

Nuit sombre. Pas de feu de position. Pas de lampe-tem- pête. Le vent sur nos membres impuissants et mouillés. Les rouleaux de la barre se renvoyaient le bateau. Je sentais vaguement que nous avancions vers la terre. Nous quittions une roche pour en retrouver une autre qui s'amusait, elle aussi, avec le ventre de la goélette. Nous devenions de plus en plus lourds. Je ne me rendais pas compte exactement pour- quoi, mais je le sentais aux secousses qui avaient moins d'amplitude. Un seul point de comparaison me venait à l'esprit : celui du f e r a repasser que les tailleurs reposent bruyamment, lourdement, sur la grille.

Et puis, le mouvement s'est ralenti. On aurait dit que les rouleaux s'éloignaient. Nous sommes devenus immobiles.

J'ai cru voir des ombres sur le pont, des ombres qui circu- laient du côté de la terre, l'ombre d'un homme. J'ai cru en- tendre pousser des cris aussi inarticulés que ceux de l'hyène et que le bruit de la mer tout à l'heure. Tout a eu 1!air de s'évanouir, de s'éloigner de moi...

Pourtant, mes efforts, je ne les considérais pas comme perdus. Les quelques lueurs de raison qui me restaient, dans mon impuissance à me mouvoir, me portaient à l'espoir : je pensais à réparer le désastre, à rassembler mes bêtes, à sauver mes caisses, à recommencer... Je voulais tout transporter à Carabane, à Carabane... Ce nom sonnait dans mon cerveau comme une cloche lointaine...

Un grand apaisement s'est produit en moi, comme il s'était produit sur notre bateau devenu inerte, sur notre bateau de plomb.

*

* #

Me voici réveillé, à terre, devant un grand feu d'herbes et de broussailles qu'Assicio entretient comme un démon.

Dans mes vêtements souillés de vomissures, je frissonne en me séchant. Je suis dans des conditions de débâcle impossible à,décrire, au point que je vais me récurer, me rincer dans une flaque d'eau que la marée a laissée derrière elle. Je ne m'en

(29)

LA NOUVELLE ARCHE DE NOÉ. 5 0 9

désole pas : c'est cette débâcle générale qui a sauvé ma pauvre carcasse.

Et, tout nu dans les premières lueurs de l'aube qui monte derrière moi, se mêlant aux flammes du brasier, la vérité, la grande vérité m'apparaît. L'Henriette, notre pauvre goé- lette, est là, devant moi, à quelque cent mètres, comme uiïè baleine rongée par les poissons, déchiquetée par les squales.

Il me faut un effort de ma triste imagination pour me figurer que je viens de naviguer plusieurs mois sur ces planches disloquées, décapitées...

Pauvre Arche de Noé, déjà vieille de cent ans ! C'est infi- niment déplorable un navire à la côte, un navire vaincu... Je ne sais même plus si ce fut un brick, une goélette ou un simple cotre, cet amas de grisailles parmi les roches têtues qui ont joué avec nous comme des brutes.

Je reviens au feu. Assicio n'est plus là : il a dû partir à l'assaut de la dune, au pied de laquelle je vis et je respiré, pour y cueillir de quoi entretenir la flamme... Le pauvre chien jaune profite de ma solitude pour s'approcher de moi. D'où vient-il ? Comment a-t-il pu quitter le bord ? Assicio m'a porté ici, j'en suis sûr, car je ne vois aucun être humain près de nous. Mais le chien ?... Il a la queue entre les jambes et grelotte. Ça ne le change pas. Oui, c'est Assicio qui m'a porté ici à marée basse et qui a pris mes allumettes dans la pochette supérieure de mon pyjama...

Il a moins mangé que nous. Seulement quelques bouchées des restes du festin. Quelle chance ! S'il ne nous avait pas échoués ici, nous nous perdions corps et bien sur la grande barre à l'entrée du fleuve, où les requins ne nous eussent pas épargnés. Peut-être son instinct d'homme primitif l'a-t-il sauvé... Il a dû avaler du charbon de bois, pour m'imitér...

Il a bien fait.

Le voici qui revient avec une brassée de combustibles.

E t il entretient le feu. Nulle consolation, ne pouvait venir mieux à propos.

A peine séché, j'appelle mes hommes.

— Domingo ! Mendy ! Domingo !

Nul ne répond. Assicio me fait le geste de dormir, et il irie montre le bateau. Oui, c'est entendu, nous allons réveiller le patron, qui dort sur l'épave éventrée. Mon cri a pourtant

(30)

5 1 0 REVUE DES DEUX MONDES.

réveillé quelqu'un : c'est le calao qui s'approche avec méfiance, car il a peur du feu. Par où est-il venu, lui aussi ?...

Le jour naissant me renseigne : la goélette est éventrëe ; un grand trou fait une tache noire dans ses flancs et se raccorde mal avec le doublage en cuivre. C'est par là que t o u t le monde est passé.

J e continue l'appel de l'équipage.

—- Bilima ! Bilima !

Assicio me montre des traces sur le sable. Traces humaines : elles se dirigent vers l'intérieur des terres et se perdent dans la forêt.

J'appelle le cuisinier. Un grognement me répond, du haut de la dune. Le gamin n'est pas mort et s'est réfugié dans les herbes* Il descend, lamentable. Le feu le réconforte. C'est lui qui m'explique ce qu'Assicio est impuissant à dire. Il précise assez bien mes vagues souvenirs. 11 s*est réveillé, après avoir évacué le poison, tard dans la nuit. Il s'est sauvé comme il a pu à travers les dernières vagues.

*— E t les autres hommes ?

— Je n'ai pas vu le capitaine. Il dormait, je crois, dans

*a cabine. Les autres ont fait comme moi.

—*- Et les bêtes ?

L© gamin écarte les deux bras et les laisse retomber, pour manifester son ignorance, comme nous haussons les épaules. Une chose est certaine, qu'il he dit pas : dans une telle aventure, un homme noir ne se soucie guère des animaux.

Je donne un ordre.

—- Allons-y voir ! Il faut les sauver.

Le jour est très clair, maintenant. Alora, Assicio me prend par la main, me mène le long de la plage, se courbe sur le sable. Oh î c'est très facile de retrouver des traces stlr Une plage que ne fréquentent que les goélands, des courlis, sur une plage habitée seulement par les crabes roses et les poux de mer.

E t je demeure stupéfait.

Voici des traces de singes. Non pas des traces de singes au pas, de singes qui jouent, qui vont à 1* abreuvoir, qui s'assoient, font de la mimique et des espiègleries et repartent, mais des traces de gens pressés, poursuivis par la peur ou par des voraces, de gens en désarroi. Il y a là de larges mains, de

Références

Documents relatifs

Alors qu’un médecin du service l’avait un jour questionné sur un proche qui avait cessé de lui rendre visite, il paraît qu’il avait répliqué qu’il n’avait

Indicateurs sur les progrès de l’intégration de critères de responsabilité sociale, environnementale et de gouvernance dans les décisions de gestion de l’épargne des

Suite à la concertation de l’ensemble des acteurs lors d’une réunion technique le 8 juin dernier et à la consultation du conseil départemental de l’eau, ce lundi 15 juin,

ﺾﻌﺑ ﰲ ﺪﳒ ﺎﻨﻧأ ذإ ،ﺞﺘﻨﳌا ﻒﻴﻟﺎﻜﺗ ﺎﻬﻌﻣ ﺖﻌﻔﺗرا ةدﻮﳉا ﺖﻌﻔﺗرا ﺎﻤﻠﻛ ﻪﻧأ ﻰﻠﻋ ﻢﺋﺎﻘﻟا مﻮﻬﻔﳌا ﺾﻔﺨﻨﻣ ﺔﻴﻟﺎﻌﻟا ةدﻮﳉا وذ ﺞﺘﻨﳌا نﻮﻜﻳ يأ ﻒﻴﻟﺎﻜﺘﻟاو ةدﻮﳉا ﲔﺑ ﺔﻴﺴﻜﻋ ﺔﻗﻼﻋ

Gary, en effet, ne s’est pas contenté de l’exploiter et de le transposer dans certains de ses textes (notamment : Les Racines du ciel, La Promesse de l’aube, Les

Le petit lac artificiel du Platy, à Villars-sur-Glâne, est en hiver comme en été un véritable havre de paix et de détente pour les personnes âgées toujours plus nombreuses à

- Il s’agit d’un poème écrit en prison (juillet 1873) à la suite de son arrestation, et désigné par l’incipit « Je ne sais pourquoi »2. Il appartient au

 SCPI spécialisées : SCPI dont au moins à 70% du patrimoine est composé d’actifs autres que les bureaux et les commerces..  SCPI diversifiées : SCPI dont le patrimoine