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Le paradis de l'Enfiane

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Academic year: 2022

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LE PARADIS DE L'ENFIANE

par M. Michel Jaccard, anc. Cons. Nat., Directeur de « La Nouvelle Revue » Lausanne

Passé le coude de Martigny, où le Rhône projette son monstrueux cimeterre d'argent, vous découvrez, à main droite, le village de Charrat dont les maisons vétustés se dissimulent comme des bolets dans le pelage fauve des « dailies » et des mélèzes roux.

S'insérant entre les vignes hautes, où le feuillage des abricotiers allume ses verdures acides, un chemin grimpe contre le mont, à travers la forêt, en direction des mayens de Saxon, semés au pied du moignon desséché de la Pierre à Voir. Si vous suivez cette sente, jonchée de racines sournoises et de cailloux jaunes, vous parvenez à un surplomb d'où l'œil embrasse toute l'étendue de la plaine du Rhône, véritable tapis des Mille et une nuits, où le pays étale orgueilleusement ses richesses. Ce surplomb rocheux, qui fait comme une blessure dans l'ordonnance forestière, les gens d'ici l'appellent le Paradis de l'Enfiane.

Pourquoi le Paradis, et pourquoi l'Enfiane ? C'est ce que mon vieux vendeur de poix, qui récolte toute l'année la résine des pinèdes et l'histoire des gens et des villages, m'a conté un jour.

L'Enfiane, je crois que tout le monde l'avait connue vieille. Sans doute était-elle de ces êtres sans jeunesse, sur qui la destinée dépose, dès le berceau, des soucis et des peines au-dessus de leur force et qui, leur vie durant, portent sur leurs traits, en même temps que la fatigue et la tristesse des années vécues, la fatigue et la tristesse des années qu'ils ont encore à vivre.

Ainsi, l'Enfiane, qu'on avait précisément baptisée de ce nom parce qu'il signifie « la vieille », en patois.

Vieille, bancale, contrefaite et, avec tout ça, un peu simple d'esprit, (ce qui l'éloignait d'une vie .de société pourtant bien mince, puisque mon histoire remonte à des centaines d'années au moins) à quoi occu- pait-elle ses journées ? A ramasser du bois tout simplement. A moins qu'on lui confiât quelques besognes mineures, lors des boucheries ou d'une de ces lessives qui, une seule fois l'an, mettaient sur le pré tout le linge des maisonnées. Ne parlant guère, mangeant peu, vivant on ne sait trop où, l'Enfiane eût achevé paisiblement son existence étriquée

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si l'événement ne s'était produit. Et l'événement, ce fut cette guérison extraordinaire dont on lui attribuait, à tort ou à raison, le mérite.

Un enfant était tombé gravement malade dans une famille de la région. Avec cette résignation qui était souvent, alors, la seule et der- nière médecine, les parents attendaient, sans plus d'espoir que le petit eût regagné le Paradis.

Et voici que l'Enfiane, qui faisait du bois pas bien loin de la demeure du malade, entendit parler de ce malheur. Elle s'approcha timidement, demanda, autant avec les gestes qu'avec la parole, de voir le garçonnet, et lorsqu'elle fut au chevet de celui-ci, elle demeura longtemps plongée dans une muette contemplation. Puis elle s'en fut et revint bientôt avec une écuelle dans laquelle macéraient d'étranges herbages. Elle offrit ce breuvage au malade, lequel, sous l'oeil inquiet des parents, l'absorba avidement. L'Enfiane se signa et disparut. Quel- ques jours plus tard, le petit allait mieux, et fut bientôt sur pieds.

Vous pensez si le bruit de cette guérison se répandit comme une trainée de poudre. D'autres que l'Enfiane y eussent gagné fortune et considé- ration. Mais, parce qu'elle était simple et de mœurs bizarres, on l'accusa vite de sorcellerie. Aucune porte ne s'ouvrit plus pour elle. On cessa de l'occuper aux champs ou à la Potasse, qui est le point d'un bras de l'ancien Rhône où l'on s'en allait laver le linge. Les enfants du village, quand ils rencontraient l'Enfiane, s'écartaient de son chemin, peureu- sement, mais à peine avait-elle tourné le dos qu'ils lui lançaient des injures et se riaient d'elle. Dans les familles, quand le dernier refusait sa potée, on lui disait: « Si tu n'es pas gentil, on ira chercher l'Enfiane » Et cela suffisait à calmer les plus turbulents.

Honnie, moquée, suspectée par tout le village, l'Enfiane, un beau jour s'en alla. Où donc ? Personne ne le sut jamais. Des bûcherons assuraient bien l'avoir rencontrée çà et là dans la forêt, mais leurs déclarations surprenaient, car, tandis que les uns affirmaient l'avoir vue du côté de l'Arbaret, les autres juraient l'avoir croisée, au même moment tout à l'opposé, vers le Lens. On préféra n'en plus parler.

Mais c'est alors qu'il se produisit, dans le village, des choses pour le moins incompréhensibles. Les vaches tombaient malades et les veaux périssaient. A la laiterie et dans les alpages, le fromage tournait sans qu'on sut pourquoi. Une maladie se mit à la vigne et ravagea si bien les ceps qu'il fallut les arracher. Les blés donnèrent mal et, faute de pluie, le foin fut malingre et insuffisant.

Cette série de malheur fit réfléchir bien des gens. De bonnes âmes,

qui n'avaient rien osé dire, jugèrent que le tort fait à l'Enfiane n'était

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peut-être pas é t r a n g e r à ces tristes circonstances. On en p a r l a dans les veillées et, u n b e a u j o u r , on décida q u ' i l fallait r a p p e l e r la vieille. Des b û c h e r o n s se m i r e n t à sa r e c h e r c h e . Mais ce fut p e i n e p e r d u e . Des semaines d u r a n t , bien q u ' o n eut b a t t u s c r u p u l e u s e m e n t tous les bois d ' a l e n t o u r , on n ' a p e r ç u t a u c u n e t r a c e de l ' E n f i a n e .

On c o m m e n ç a i t à désespérer, l o r s q u ' u n berger, n o m m é G a s p a r d , et qui était l u i - m ê m e u n p e u s i m p l e , r e n t r a u n soir terrorisé au village.

I l avait, affirmait-il, a p e r ç u l'Enfiane sur le sentier de S a p i n h a u t . E l l e était devenue vieille, vieille, vieille, à croire qu'elle avait au moins deux cents ans. G a s p a r t s'était a p p r o c h é d'elle, mais elle n ' a v a i t pas p a r u l'apercevoir. Q u a n d il fut à la t o u c h e r , elle t o u r n a l e n t e m e n t sa t ê t e d é c h a r n é e vers le berger : « Q u e veux-tu encore ? » demanda-t-elle d ' u n e voix faible, p r e s q u e i m p e r c e p t i b l e .

— « Rien, l'Enfiane, r é p o n d i t g a u c h e m e n t G a s p a r d , seulement vous d i r e b o n j o u r , et vous d i r e que le village vous r e g r e t t e . Le village, et m o i aussi, l ' E n f i a n e ».

La vieille p a r u t surprise, et, après avoir h o c h é u n i n s t a n t la tête, elle fouilla dans son fagot et en r e t i r a u n b â t o n avec des racines.

« Tiens, dit-elle à G a s p a r d , j e l u i d o n n e cela, au village ». G a s p a r d saisit la b r a n c h e et s'enfuit le long de la p e n t e .

Son récit n e t r o u v a guère de crédit. G a s p a r d le simple devait avoir inventé cette h i s t o i r e p o u r se r e n d r e intéressant. Mais le berger offrit de c o n d u i r e les sceptiques, q u i p e n s a i e n t q u e G a s p a r d le simple avait inventé cette histoire au p o i n t où il avait vu la sorcière. Quelques j e u n e s gens du village, p a r m i les plus h a r d i s , l ' a c c o m p a g n è r e n t u n d i m a n c h e . On g r i m p a le long du m o n t et, l o r s q u ' o n p a r v i n t au lieu précisé p a r G a s p a r d , les h o m m e s furent stupéfaits de constater q u e plusieurs arbres é t a i e n t a b a t t u s et q u e l e r o c h e r sur l e q u e l ils reposaient s'était fendu. T a n d i s qu'ils observaient l ' e n d r o i t avec i n q u i é t u d e , u n e fumée sortit de la r o c h e et, dans ce n u a g e épais et b l o n d , ils virent s'élever dans le ciel u n e f e m m e m e r v e i l l e u s e m e n t belle, qui b i e n t ô t d i s p a r u t dans l'azur.

Sidérés, les h o m m e s furent pris de p a n i q u e et, en se b o u s c u l a n t , ils dégringolèrent vers le village,

Cette a v e n t u r e sema l'émoi dans les foyers. P o u r u n peu, on eût fait u n m a u v a i s sort à Gaspard,' p r o v o c a t e u r involontaire de cette étrangeté. Mais c o m m e depuis les m a l h e u r s s'interrompirent* on oublia bien vite l ' a v e n t u r e des bergers. Seul, G a s p a r d avait conservé, avec u n e t e r r e u r superstitieuse, la b r a n c h e q u e l u i avait remise l'Enfiane.

C o m m e elle p o r t a i t encore ses racines, il la m i t en t e r r e et constata

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avec surprise q u ' u n arbuste se d é v e l o p p a i t , p o r t a n t des feuilles incon- nues et, bientôt, d'étranges fruits veloutés et durs.

G a s p a r d laissa venir ses fruits à m a t u r i t é . Il se r é j o u i t de les voir grossir et p r o s p é r e r , et lorsqu'ils furent devenus rouges et or, il les cueillit soigneusement. L ' a r b u s t e n ' a y a n t guère q u e trois ou q u a t r e ans, il n ' e n vint q u ' u n e poignée. Le berger les goûta, les fit voir aux gens du village q u i s'émerveillèrent de leur succulence et de leur beauté.

I g n o r a n t ce q u ' é t a i e n t ces fruits de l'Enfiane, on envoya q u e l q u e j o u r après u n messager à la ville, auprès d'un h o m m e qui avait b e a u c o u p voyagé et q u i , disait-on, connaissait t o u t e chose. Après avoir p a l p é les fruits m o r d o r é s , en avoir h u m é l ' a r ô m e et a p p r é c i é la fraîcheur, le savant r é p o n d i t : « Ce fruit là vient de loin, d'un pays où on l ' a p p e l l e d'un drôle de n o m : l'abricot ».

E t c'est ainsi q u ' a u d i r e de m o n v e n d e u r de poix, n a q u i t , sur cette belle et n o b l e t e r r e , le p r e m i e r abricotier.

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA FLORE ET LA VEGETATION DU SANETSCH

A l'occasion de la course de la Murithienne le 1er octobre 1961 par Pierre Villaret

La nouvelle r o u t e qui a t t e i n t le sommet du Sanetsch traverse tout d ' a b o r d les vignes au-dessus de Sion, puis le p l a t e a u v e r d o y a n t de Savièse i r r i g u é p a r les bisses. Après C h a n d o l i n , nous p é n é t r o n s dans la vallée de la Morge aux pentes escarpées, dans l a q u e l l e on p e u t observer la succession des étages suivants. Dans le bas, la c e i n t u r e du p i n silvestre (Pinus silvestris) m o n t e j u s q u ' à 1200 m. environ, puis plus h a u t , celui-ci est r e m p l a c é progressivement p a r l'épicéa (Picea Abies) et le sapin blanc (Abies alba) qui f o r m e n t le plus souvent des forêts mélangées.

C e p e n d a n t , sur le versant des Barres, Abies constitue de vieux p e u p l e - ments p r e s q u e p u r s q u i r a p p e l l e n t ceux de D e r b o r e n c e et qui mérite- r a i e n t peut-être d'être p a r t i e l l e m e n t protégés. D a n s la p a r t i e s u p é r i e u r e de la vallée, vers la l i m i t e de la forêt, le mélèze (Larix decidua) devient très f r é q u e n t et forme u n e ceinture presque continue. Signalons en passant les très b e a u x arbres aux troncs ramifiés q u i se t r o u v e n t au-

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