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LES ÉGOUTS DU PARADIS

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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LES ÉGOUTS DU PARADIS

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Albert Spaggiari

LES ÉGOUTS DU PARADIS

Sans haine, sans violence

et sans arme

Albin Michel

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© Éditions Albin Michel, France et Pierre-Marcel Favre, Suisse, 1978.

ISBN Albin Michel : 2-226-00658-3 ISBN Pierre-Marcel Favre : 2-8289-0028-X.

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Jeudi soir, vendredi, samedi, dimanche, la Saint Glin-glin.

Chaque semaine, chaque jour, je me suis préparé à sauter par la fenêtre du bureau du juge. Entre-temps, j'écris ce livre. Je sais qu'une fois dehors, avec ma rage de vivre, je n'aurai plus jamais le temps de le faire.

J'écris et j'attends. Depuis trois semaines, l'ami doit venir et ne vient pas.

Oui..., « l'ami » doit venir.

Il y a bien des années, nous nous sommes juré de nous entraider. Je l'entends encore me dire : « Si tu es en taule un jour, rien ne m'arrêtera. Parole d'homme ! » Que ce fût une dette, ou un geste à charge de revanche, ça n'a pas d'impor- tance. Il était le seul, dans cette bande de bras cassés que je fréquentais, à ce moment-là, à être capable d'aller jusqu'au bout de ses engagements.

Je me souviens de cette époque, de nos ardeurs, de nos folies...

J'ai du temps devant moi ici... Suffisamment de temps pour comprendre, comme dit le poète, que « les ans se sont enfuis d'un vol mystérieux ». Aujourd'hui, il ne reste plus guère du héros d'antan qu'une colonne vertébrale fatiguée et un quintal de tripes faisandées.

Au point où j'en suis, la taule, ça n'est pas trop grave. Ce

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qui me turlupine, c'est toutes ces bougies que je trimbale sur mon gâteau. J'ai encore tellement de choses à faire...

La liberté, je sais comment ça se passe avec les amis ; on est heureux de se retrouver, d'être ensemble, on parle, on promet, on trinque, et..., on oublie. Ça arrive.

Moi, je n'ai rien oublié, l'ami. Rien.

J'ignore ce qui arrivera dans quelques heures, dans quel- ques jours. Je sais seulement, et toi aussi tu dois le savoir, que tous les jeudis je me rends chez le juge. Et qu'un de ces jeudis, je ne sais pas encore lequel, je vais sauter par une de ces putains de fenêtres qui se trouvent dans son burlingue. Je sauterai parce que tu seras venu, l'ami — ou parce que j'en aurai marre d'attendre.

Pour ce que j'en sais aujourd'hui, il y a des chances pour que ce bouquin, s'il est jamais publié, le soit à titre posthume.

Ma dédicace, c'est amen !

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Première partie

LA PRÉPARATION

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1

Ne cherchez pas...

Mon nom est Albert Spaggiari. Comme je vous l'ai dit, je suis en taule. Une cellule au rez-de-chaussée. A peu près deux mètres sur trois. Je m'entraîne à ouvrir une fenêtre imaginaire

— celle qui se trouve dans le bureau du juge — d'un seul mouvement, et je bondis aussitôt sur la paillasse pour m'apprendre à bien positionner mes pieds avant de sauter dans le vide.

Comme vous le savez, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a quelques semaines, je faisais la UNE de tous les journaux du monde. Et, il y a seulement un mois, tous les flics de cette planète avaient ma photo dans leur poche. Je suis l'auteur-cerveau du « casse de Nice ».

La presse a parlé de six milliards d'anciens francs, et même de onze. Je n'ai rien à dire sur ce sujet. Je ne sais rien. Eux, ils savent.

Par exemple, si je vous disais, j'ai toujours été pauvre pour la simple raison que le fric ne m'intéresse pas. Ça vous ferait sans doute sourire. Vous n'avez pas fini de sourire...

En fait, je pense qu'il est inutile que vous perdiez votre temps à essayer de me définir ou à me classer dans une de vos catégories-codes. Ça menace d'être plus compliqué que ça. A moins que vous teniez à court-circuiter un ordinateur, dans ce cas je suis l'élément idéal.

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Autrefois, j'attachais de l'importance à ce que les gens pensaient de moi. Mais, je m'en suis aperçu, les gens pensent rarement. Puis, les années ont passé. Aujourd'hui, je m'en fous. Vous pouvez même faire de moi une statistique si ça vous chante.

Les dossiers, les réquisitoires, les paperasses de police sur lesquels mon nom a traîné au hasard de mes exploits sont aussi importants pour moi que des vieux papiers de bonbons.

Des types instruits vous diront que lorsque le voyageur fait face au sud, il a le nord dans le dos. Ils prétendront qu'on ne peut pas échapper à ça. Ces types-là vous abusent. Quelqu'un qui domestique ses départs n'est pas un voyageur — c'est un navigateur.

Je vous parle de ça parce que je suis un voyageur. Un voyageur sans boussole, sans carte, sans filet.

Je voyage et je rêve. J'ai passé ma vie à rêver. Un rêve, pour moi, c'est une réalité qui se situe quelque temps avant les gros emmerdements.

Comme vous le voyez, la seule chose que j'ai vraiment en commun avec le reste des assurés sociaux, c'est que je suis génétiquement leur semblable. Ça dérange pas mal de monde. Éventuellement, ça n'est pas pour me déplaire.

Pour quelle raison suis-je en train d'écrire ce bouquin ? Parce que je me suis porté volontaire pour raconter l'histoire aux flics — et pas pour aller au-delà. Alorssss, autant que vous en profitiez si ça vous intéresse. D'ailleurs, on a rapporté tellement de conneries sur mon compte — certains ont presque été jusqu'à me sublimer. Ce n'est pas ce qui m'a mis le plus en rogne. Ainsi, avant qu'un gars, en mal de sensationnel, « réinvente » mon histoire, je préfère l'écrire moi-même. C'est logique.

Albert Spaggiari, dit Bert. Soldat de fortune, militant, voleur, taulard... J'ai des bas-côtés humbles et des bas-côtés mégalomanes. En principe, je roule au milieu de la route.

Des fois que vous voudriez en savoir davantage, je vous

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avouerai que je suis né sous le signe du Sagittaire. « B », c'est mon groupe sanguin. La forme de mon crâne : dolichocé- phale. J'ai la jambe longue, et le bras aussi quelquefois. A part ça, j'ai les yeux secs : ma pointure, c'est la lune, ou la boue — ça dépend.

Sur le plan sentimental, j'aime les femmes. Toutes sortes de femmes, mais surtout les brunes, les blondes et les rousses.

J'aime les bêtes aussi. Toutes sortes de bêtes, mais surtout celles qu'on pourchasse parce que je partage leur sort entre la chair et l'os — à la vie, à la mort.

Comme les autres, j'ai mes racines. Ça m'a toujours étonné d'ailleurs. On m'aurait dit : « T'es pas né comme tout le monde, Bébert, on t'a trouvé », je l'aurais cru. Bref, à ce qu'on m'a raconté, mon arrière-grand-père maternel aurait fait la valise le jour de ses quatre-vingts ans pour aller griller toutes les économies d'une vie à la roulette de Monte-Carlo.

Son fils, le père de ma mère, un chançard, propriétaire et dans l'aisance dès trente ans, aurait, lui, glissé un baluchon au bout d'une canne en plaquant là femme et enfants et serait allé finir sa vie sur le trimard.

Côté paternel, c'est tout aussi folklorique. Un jour, une bande de sept ruffians débarque d'Italie chez les gavots des berges de la Durance et se fait une place au soleil à coups de manivelle et de manche de pioche. Les guerres, les accidents de parcours et le cinoche disperseront plus tard ce petit monde à la Garibaldi, à la Giono. Il ne reste plus que moi aujourd'hui dans la branche mâle. Une espèce de grande asperge debout sur des semelles de vent.

Mes pères étaient ruffians et trimards de Provence. Au départ, ç'a été ma seule chance.

J'ai été jugé et condamné mille fois. J'étais innocent.

Quand on est sincère, on est toujours innocent.

« Spaggiari, à quoi rêves-tu? Cent lignes ! »

« Spaggiari, quinze dont huit ! »

« Spaggiari, au cachot ! »

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« Spaggiari, cinq ans de travaux forcés ! »

« ... Dégradation militaire... Interdiction de séjour... » A force, il a fini par se rebiffer le petit Rital. Il en a eu marre. Il en avait trop vu, trop entendu. C'est vous, les planqués, les trafiquants de piastres et de sang, qui m'avaient fait déborder. Vous n'auriez pas dû me retrancher du corps des mercenaires, mes frères. Je ne trichais pas, j'étais un pur ! bande d'enfoirés ! Vous, n'étiez venus dans cette guerre que pour vous en mettre plein les poches..., nous, pour trinquer ! Albert Spaggiari ne fera plus la grimace, messieurs. Vous lui avez assez rabâché qu'il avait tout juste le droit de la boucler, qu'il n'était qu'un parasite. A force, il l'a cru. Il a décidé de faire bande à part. Il est devenu un hors-vos-lois définitif. Un marginal endurci.

D'ailleurs, je crois que tout acte contre la société est une action politique. Au premier chef le vol — je ne parle pas du vol crapuleux qui consiste légalement ou illégalement à détrousser les pauvres, mais du Vol — à la fois vertu héréditaire et art traditionnel... Et suprême espoir de l'homme d'atteindre son but par ses propres moyens. L'autre route, c'est le tiercé ou le loto.

Offusquez-vous hypocrites ! Tout le monde vole. Ça va du larcin journalier — un p'tit boulon par-ci par-là — à l'abus de confiance organisé et officiel. Autrement dit, du manœuvre au ténor.

Je suis un voleur. C'est par honnêteté que je vous dit ça.

Bon, comme le disait un grand poète finlandais : « C'est pas l' tout ! »

Avant cette aventure — ou ce casse, si vous préférez — je m'étais assoupi pendant huit longues années. Le commerce.

J'ai essayé ça aussi. J'ai tout essayé. Il s'agissait d'un magasin de photo. Un vrai coma. Le revenu, la T.V.A., les alloca- tions, la Sécurité sociale, les assurances obligatoires, les impôts locaux, les vignettes, les autoroutes, les parkings, les contraventions, les contributions, la voirie, les enseignes, les

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balayeurs, la télé, les ristournes, les petits cadeaux, les passe- droit, les flics, les hôpitaux, les fêtes patronales, les cotisa- tions, les mutuelles... J'ai payé pour tout. Pour les enfants que je n'ai pas eus, pour la bêtise universelle. On me faisait même payer pour ma merde qui aurait dû enrichir la terre.

Les percepteurs et polyvoleurs défilent chez moi, me pressent, m'acculent. Je n'y comprends rien. Jusqu'à présent je n'ai fait commerce que de ma vie. On m'embrouille, on me bouscule. Attention ! je dois être poli, sinon gare !

« Pas savoir : majoration 10 %. »

« Pas sourire : majoration 10 %. »

Paye, connard ! Crache ! Rampe ! Lèche, vieille pute ! Huit ans... Huit ans !

Au début, ce magasin de photo avait été l'occasion pour moi de tirer mon épingle du jeu sans éclat et sans casse. J'en avais ras l' bol du militantisme politique ! ras l' bol d'entendre toujours les mêmes discours interchangeables ! ras l' bol de taper toujours sur les mêmes crânes ! de mendier, d'afficher, d'attendre, de dire : « oui, mais... » !

Je m'étais trompé de rêve une fois de plus, quoi. Quel foutoir !

Pourtant, au début, je n'avais pas à me plaindre. Un tas d'organismes, contents pas contents, me faisaient crédit.

Audi, ma femme, travaillait comme trois. De surcroît, je n'avais pas de goûts dispendieux. Je m'habillais de peu.

Dînais tous les jours chez moi. Passais les fêtes en famille.

Quant à ma voiture, c'est une Land-Rover inusable.

Bien sûr, on s'est offert quelques voyages pour ne pas devenir fou. Le Sahara, tu te souviens Audi, ma biche. Ce Sahara où je rêvais que nous vivrions un jour tous les deux, sans chaîne et sans toit.

Te souviens-tu d'Arlit, ma biche? On y a trouvé de l'uranium. Te souviens-tu d'Iférouane ? Iférouane au fond de l'Aïre, où quelqu'un construisait une H.L.M. ! Il y a un gendarme et un poste. Te souviens-tu de R'guiba, ce vieux

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sergent français que nous avons rencontré sur la piste de Bir- Moghrein ? Il chassait pour nourrir tout un village affamé.

Mais les voyages ne sont pas parvenus à détruire ce goût amer du temps perdu. Bien au contraire. Les années pas- saient au fil de mes déconfitures. L'inéluctable échec de ma vie était là, au fond de tous mes verres, de tous mes lits, de toutes mes soupes. Moi, Spaggiari, l'aventurier, je m'étais mis en carte avec cinq mètres de trottoir sous une enseigne de photographe !

Bien sûr, il me restait « Les Oies sauvages », mon fief.

Mon ermitage de la forêt de Bezaudin, dans le haut pays vençois. Une ancienne bergerie que j'avais aménagée. Je m'y rendais de plus en plus souvent, délaissant l'appartement que nous avions loué à La Vallière dans l'immeuble, au-dessus du magasin. Mais, même ces matins triomphants de Bezaudin, même tes yeux d'alors, ma biche ; même mes chênes centenai- res, ma montagne et mes chiens ne pouvaient effacer la honte de n'être rien d'autre qu'une vieille pute. Honte de vieillir, d'accepter de cracher au bassinet du proxénétisme d'État.

Honte de renier mes serments, de ne plus être sur les routes comme autrefois, de me voiler la face pour ne plus voir mes vieux rêves engloutis derrière les rêves des autres.

Et puis, un beau matin, un ami débarqua à Nice. Sa visite soudaine devait chambouler toute ma vie. Son nom était Claude, mais j'avais pris l'habitude de l'appeler « 68 » en souvenir de mai 68.

Mai 68, vous vous souvenez ? Les anciens d'Algérie plan- taient des fraises, ceux d'Indochine les sucraient. Les derniers rescapés de l'O.A.S. faisaient des lessives au quatre coins de la planète, pour le compte de tout le monde. Arpint Pont, coupé en petits morceaux par les Viets, était jeté à la gueule des Américains. Thierry bouffé cru par les nègres du Congo.

Zoffner déchiqueté dans l'explosion de sa voiture en Argen- tine. Pépin, chez les Kurdes, prenait une balle dans la tête.

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André Perez était instituteur chez les bérets verts et Carco enseignait la contre-guérilla aux enfants de Boers.

Les plus désespérés s'étaient suicidés, comme Michel Garcia, d'une balle dans le cigare ; ou Cassou, d'une over- dose. Il y avait aussi les morts inexplicables, mystérieuses, comme celle de Ruiz ou de Lods.

Les plus sages s'étaient convertis à la limonade. Les plus aventuriers cherchaient des trésors sur le banc d'argent des Caraïbes. Les plus fous braquaient des banques et se retrou- vaient en taule. Moi, je revenais de je ne sais plus où ; j'étais sous le soleil de Nice faisant le compte des copains et des illusions perdues.

C'est à cette époque que mai 68 éclata tel un orage d'été.

Bordel, je prends le train en marche. Me voilà à Paris. Je téléphone partout. Cours à travers toute la ville. Hurle aux quatre horizons pour ameuter la vieille garde. Ces cons-là n'ont rien compris une fois de plus et fui. C'était pourtant une occasion unique pour baiser les communistes et la C.G.T., leur mafia légale.

J'étais sur place. J'ai quand même pris part à la castagne.

Par habitude. Gratuitement. Presque pour rire. N'importe comment, c'était foutu d'avance — mais je n'ai pas pu m'en empêcher.

Je n'ai pas pu m'en empêcher parce que je suis un loup. J'ai grandi et j'ai vécu comme un loup. Être un loup, c'est ma loi naturelle, mon premier réflexe. J'en avais marre de tous ces communards d'alors avec leur manifs de pleurnichards à pancartes. Marchais et sa clique ont châtré des régiments de moutons en leur promettant des réfrigérateurs et des couver- tures chauffantes. Et ça marche ! Pauvre France ! Ces lunati- ques parlent de justice et d'égalité sociale pour une « vie » soi-disant meilleure. Mon cul ! On vous a seulement anesthé- sié à coups de congés payés, on fait de vous des ventres mous, des êtres sans fierté, avilis par la certitude d'avoir toujours à bouffer aussi longtemps que vous gueulerez assez fort pour

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emmerder tout le monde. Mon cul ! Camarades, gardez vos moutons ! Je préfère les grands dégueulasses de l'autre bord ; eux au moins, ils montrent la couleur !

J'avais fait le voyage pour rien, alors mieux valait en rire, gueuler et chanter avec la bonne graine. Un soir de grande chauffe, j'ai été pris en sandwich. Obligé de battre en retraite.

Dans la débandade du sauve-qui-peut, une voix, derrière, a crié :

« Au 31..., y a une cour... Le mur n'est pas très haut. » J'ai pris dare-dare la direction de ladite porte cochère sans me retourner. Les C.R.S. couraient vite cette nuit-là. Le type qui m'avait éclairé devait me coller aux talons. Je me suis engouffré dans l'immeuble. J'ai traversé le hall jusqu'à la cour. Effectivement, sur le côté droit d'un appentis, il y avait un muret d'environ un mètre cinquante qui donnait sur un jardin.

« Allons-y ! » j'ai crié en me hissant avec les bras.

En cinq sec, j'étais à califourchon sur le mur, prêt à...

Merde ! J'étais seul ! J'avais paumé mon éclaireur !

Qu'est-ce qu'on fait, quand on a trouvé un frère dans la mêlée et qu'il est manquant? On ne réfléchit pas. On fait demi-tour et on ressaute dans le tas.

Je suis à nouveau dans la rue. Chauffe maximum. Les C.R.S. casqués tapent à bras raccourcis sur les jeunes qui n'ont pas pu passer. Les gourdins pleuvent de toutes parts.

Merde ! Je reviens dans l'immeuble. Vite, les poubelles. J'en renverse une, deux..., dans la troisième, il y a des bouteilles.

J'en prends une dans chaque main.

Rebelote ! Le gros des voltigeurs matraque à l'opposé maintenant. A une dizaine de mètres sur la droite, deux C.R.S. traînent un manifestant vers les camions. C'est sûrement mon frère.

Sus ! J'éclate une des boutanches sur le genou du flic de gauche. Le deuxième, qui tient son fusil d'une main et de l'autre agrippe l'épaule du blessé, n'a pas le temps de

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rabaisser sa visière qu'un cul de bordeaux lui percute la poire.

Mais il a quand même eu le temps de me balancer un coup de crosse dans la poitrine. Mes jambes ont cédé sous moi. Me voilà à quatre pattes en train d'essayer de reprendre mon souffle. Je suis sonné. Les deux C.R.S. aussi. Ça y est ! Toute une escouade court vers nous ! J'agrippe mon pote à la ceinture. Je le porte et je le traîne à moitié. Je suis dans les vapes mais je sais que si les types me rattrapent ils vont me tabasser avec un G.M.C. J'ignore comment j'arrive jusqu'au 31. Les derniers centimètres sont terribles. D'un coup de reins, avec ce qu'il me reste de force, je balance le môme à l'abri et, en faisant ça, je me casse la gueule. Heureusement, sinon je prenais un coup de crosse en pleine tête. Me revoilà, une fois de plus, à quatre pattes. Instinctivement, je pistonne mon talon vers l'arrière pour cueillir le C.R.S. vers la hanche.

Pas terrible comme coup, mais le temps qu'il reprenne son équilibre, je peux m'engouffrer sous le porche et fermer la lourde en m'arc-boutant derrière. Une volée de coups de crosse s'abat aussitôt sur le battant. Tout ça me résonne dans le crâne. Je ne vais pas pouvoir tenir longtemps...

Puis, d'un seul coup, plus rien !... J'attends. C'est sûrement une feinte, ou alors un coup de bélier va me catapulter dans les étoiles... Toujours rien. Je dresse l'oreille. Les locataires de l'immeuble sont en train de leur balancer des seaux de flotte. Ça gueule par toutes les fenêtres maintenant :

« Gestap ! Propriété privée!... Arrière! Z'êtes là pour protéger les biens ou pour les défoncer?... C'est pour ça qu'on paie des impôts?... »

Puis, des coups de sifflet stridents résonnent sur le tohu- bohu et, une voix dans un haut-parleur proclame :

« Section deux et trois rassemblement près des camions ! » Aussitôt, des bruits de pas précipités crépitent sur la chaussée..., s'éloignent.

Une trentaine de minutes plus tard, deux volontaires

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m'aident à transporter mon blessé chez Katie. Une fille chez qui je logeais. Après, j'ai fait venir un toubib.

C'était une gentille fille, Katie. Elle était vive et ferme au tour, mais, hélas ! toujours ficelée comme une vieille valise.

Elle avait aussi des côtés emmerdants et des griffes à tous les doigts. Une vraie femelle quoi. L'un dans l'autre, ça marchait entre nous. Elle habitait sous les toits ; et le bois des charpentes occupait la plus grande partie de son appartement.

Par exemple, pour se rendre dans la cuisine, il fallait y aller à quatre pattes. Je me souviens, ça sentait le piment et la réglisse ; et, à part les deux lits, tous les meubles étaient faits de caisses et de planches. Je garde un bon souvenir de cet endroit, de cette époque...

Huit jours passèrent avant que « 68 », c'est-à-dire Claude, se retape. Dehors, le fracas du monde s'apaisait. La routine reprenait le dessus. C'était définitivement foutu. Les gavés se torchaient le cul et les héros de la dernière défilaient sur les Champs. Et moi, en discutant, j'apprenais que mon 68 de Claude n'était pas celui qui m'avait indiqué l'issue de secours.

Je m'étais gouré de mec. J'en avais ramassé un autre.

N'importe comment, c'était un chouette petit gars. Il était plein d'une fougue obscure. Il était inquiet aussi : on l'avait photographié en train de balancer un cocktail. Il était peut- être recherché pour meurtre, pensait-il avec sa manie de tout envenimer. Je lui ai proposé de l'amener à Nice. Il n'y tenait pas, refusant de croire que la révolution était déjà terminée.

Il avait commencé une émeute avec les ouvriers en grève d'une usine de banlieue et c'est là qu'il retourna un matin, les yeux brillants et la démarche dansante. Il revint vers midi, abattu, l'air chagrin. Je ne lui ai rien demandé. J'ai attendu qu'il parle de lui-même. Il a parlé. Il a dit :

« Si ça tient toujours, je suis d'accord pour descendre à Nice. »

Plus tard, j'ai appris que les ouvriers ne l'avaient pas reconnu ou, à cause de ses cheveux trop longs, n'avaient pas

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voulu le reconnaître. On l'avait renié. Et, comme il insistait, on en était même venu aux mains.

Peu après, il y eut les législatives à Nice. Je le fis engager pendant deux mois pour coller des affiches pour un nanti qui payait d'avance pour sa défaite.

Puis, un lundi matin, 68 partit en dansant sur les traces d'Alexandre le Grand. Huit ans plus tard, un loup passait chez moi sans crier gare, c'était lui. Il avait bien changé. Oui, il avait bien changé. Moi aussi, j'avais changé.

Il avait écopé d'une balle dans l'épaule et d'éclats dans le ventre sur les frontières de l'Irak, où la contrebande devenait de plus en plus difficile. Deux seulement, sur quatorze pirates, s'en étaient tirés. Il lui fallait changer d'hémisphère.

Il était en transit pour Caracas et ne séjourna que deux jours à Nice.

Je ne tenais que par des ficelles et sa visite me chamboula le cigare. Ce n'est pas tellement ce qu'il m'a dit ; c'était surtout la preuve qu'il m'apportait que les années avaient passé. Et puis, c'était son regard. Son regard lorsqu'il a levé les yeux vers mon enseigne « Photo La Vallière », quand il les a promenés dans la boutique..., puis, lorsqu'il a regardé à travers la vitrine l'autobus charger deux personnes et s'éloi- gner sur la route de Marseille.

Ensuite, on est allé prendre un verre au tabac en face. Il faut peu de chose des fois pour tout déclencher. Ça se passe vite ces trucs-là. Un jour, en revenant de pisser, on croise son image dans un vieille glace de bistrot. On s'aperçoit que les années se sont fait la malle. A part votre binette, rien ne semble avoir changé. Vous retournez près de votre crème, près de votre ami. Un type qui ne fait que passer ; qui est en pleine aventure et vous en plein caca. Et ça vous déchire les tripes.

Je crois que c'est à cette minute précise, devant le zing, que le « casse du siècle » a germé dans ma tête.

Le lendemain soir, en accompagnant 68 à l'aéroport, je lui

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ai demandé de me laisser son adresse, que j'aurais peut-être besoin de lui pour une affaire qui en valait la peine. Il me la laissa.

... Et les choses ont commencé à se précipiter.

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2

Un projet

pas comme les autres

Le temps efface, malheureusement, autant les bruits que les silences. Je n'aurais jamais voulu parler de mon ami Plantier, caissier dans un des bureaux de la Société Générale. Ancien gendarme en retraite, il s'était lavé de toute la bêtise inhérente à la profession et n'avait gardé de cette vie-là qu'une santé de fer, un rire inextinguible et un vocabulaire à vous faire dresser les cheveux sur la tête.

C'est lui, involontairement, par ses bavardages entre pastis et rigolade qui m'avait indiqué, sur la rose des vents, le cap à suivre pour diriger mon vaisseau sur le dernier galion. Le plus lourd. Le plus chargé. Chaque homme, une fois ou mille, a pointé ses rêves dans cette direction. Moi, j'ai fait un pas. Et puis, encore un autre...

Le dernier galion c'est la Société Générale de l'avenue Jean-Médecin à Nice.

C'est là que je me suis rendu un jeudi matin pour louer un coffre. Mon compte commercial était déjà dans cette société mais ma succursale ne possédait pas de salle de coffres. Je n'ai donc eu aucun mal à en louer un.

Dans les semaines qui suivent, je fais trois visites à mon nouveau coffre. L'une d'elles n'est pas portée sur le cahier des

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mouvements. J'essaie toutes les ficelles. Je regarde. Je tâte.

J'écoute. Je fouine. Je me familiarise.

C'est un clan à part, la banque. C'est aussi silencieux et calme qu'une église où les suisses auraient des flingues. Les officiants furtifs pratiquent le rite financier dans le recueille- ment et la ferveur. Leurs joues blafardes sont rasées de près ; leurs pauvres yeux sont éteints à force d'être exposés aux radiations des lingots et des pierres précieuses. Leurs mains sont plus blanches que celles des lavandières à les plonger sans cesse dans les liasses de saintes images. Vénérés défen- seurs du saint capital, moins payés qu'un chaouch arabe de l'époque coloniale, ils célèbrent inlassablement les mystères de l'office divin en complet veston, cravate terne et souliers vernis. Ils perpétuent ainsi l'image de l'humble banquier de légende tentant d'évangéliser les gros financiers en se frottant les mains avec béatitude. Pour peu que le client soit impor- tant, ils lui réciteraient la liste des saints martyrs de la profession :

« Ducon, mort en défendant sa banque bien-aimée ! »

« Dugland, mort étouffé en avalant un blanc-bleu plutôt que de le livrer à l'assaillant. »

« C'est comme ça que ça se passe dans la banque : notre devise, c'est " viva la muerte " ! pour sauver le pognon des clients. »

On sait écouter lorsqu'on est avide d'apprendre et je le suis. Et j'en apprends des choses. Lorsque je dis : la banque, c'est un clan à part, ce n'est pas au hasard. Kafka a connu la bonne époque des employés de banque. Aujourd'hui, quand l'un d'eux commet une erreur de compte — au désavantage de sa société — on lave le linge sale en famille. La banque possède ses propres inquisiteurs, sa gestap' privée. Rien de commun avec nos flics d'État descendant de Paris, parfumés, distingués, psychologues. Ceux-là débarquent chez le mec

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avec la gégène sous le bras ; ils fouillent les culottes à madame, brassent la merde des gosses. Des fois, ils balancent un peu d'électricité ou quelques patates velues et hop ! « T'as d' la chance que c'est pas toi, connard ! Mais, fais gaffe ! on t'a à l'œil maintenant ! »

Ça, c'est le folklore — beaucoup de folklore dans ce milieu.

Je ne m'y attarde pas. J'ai d'autres choses en tête.

Je continue à poser des questions, souvent les mêmes à différentes personnes. Des questions innocentes que je laisse planer dans l'air. C'est facile de m'en mettre plein la vue, je m'extasie pour un rien. Pendant ce temps, j'enregistre, je copie, je dessine.

Je m'intéresse aux systèmes de protection. La salle des coffres a été construite dans les années 1900. Je dévore les prospectus : Science et Vie, revues bancaires, littérature ad hoc. Ça devient de plus en plus excitant. Je me promène de banque en banque, changeant ici un billet de cinquante francs, faisant l'opération inverse ailleurs.

J'observe et je note toujours.

A l'heure de l'apéritif, je suis le client le plus assidu des bistrots autour des banques. Et les renseignements affluent : de l'intéressant, du bon, du moins bon, du pire...

Je classe au fur et à mesure.

Et puis, un soir, mes projets prennent forme. J'en ai deux.

C'est du sérieux : dessins, photos, plans, liste du matériel, devis.

Le premier projet est facile, familial, peinard, rapide. Pas de compétence technique, ni de gros frais. L'autre, c'est le rêve, la démence, la caverne d'Ali Baba : c'est le « casse du siècle » !

J'avais gambergé le premier pour financer le second. Parce que pour ce dernier, il fallait être outillé jusqu'aux dents.

Plan numéro un : une succursale d'agence coquette et replète, sur rue tranquille d'un quartier riche. Une chambre

1. Appareil pour « faire parier » à l'aide d'électrodes « survoltées ».

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forte en rez-de-chaussée sous un atelier de mode. Coffre sans armoires, en acier dont on fait les boîtes aux lettres chez Manufrance. Coffiots qualifiés de deux minutes, récréation et dînette comprises.

Deux équipes de deux pour le travail, y compris les guetteurs extérieurs. En douze heures, on pouvait évacuer les locaux fortune faite — sans éclaboussure, sans ramdam.

L'atelier de couture était vide du vendredi soir au lundi.

Pas de concierge, pas d'autres occupants à l'étage. Pour être à pied d'œuvre, il suffisait d'entrer tranquillement avec le matériel le samedi matin. Masquer de couvertures portes et fenêtres. Brancher une forte aspiration d'air sur une des cheminées et s'atteler au travail délicat de la « lance ». La lance thermique, baguette de fée des cambrioleurs, n'est pas un outil : c'est une matière. Un tube d'acier doux contenant de l'oxyde ferrique en fil. A une des extrémités, on branche une forte pression d'oxygène ; à l'autre, on chauffe au chalumeau et, au rouge-blanc, on ouvre l'oxygène. On peut alors fondre le béton par perçages successifs autour d'un périmètre choisi.

Il existe de multiples inconvénients dans l'utilisation de cette lance. Mineurs d'abord quant à l'encombrement. Deux mètres de demi-lance. Il faut, de plus, la tenir de loin en se protégeant de la flamme par une combinaison ignifugée, donc sans grande précision quant à l'objectif visé. Collage, désé- quilibre, fatigue. Ensuite, il y a l'énorme quantité de gaz utilisé — environ six à sept bouteilles d'oxygène pour un trou de cinquante centimètres de diamètre sur quarante de profon- deur. Enfin, suprême inconvénient : la fumée.

Arrivé à ce point de mes projets, comment ne pas vous parler de Charlotte. Elle devait avoir soixante-dix-huit ans lorsque je l'ai connue — elle en paraissait à peine soixante.

C'était l'époque où j'allais mendier de porte en porte pour les besoins d'un mouvement nationaliste. Je n'étais pas doué pour ce genre de baratin. La « chine », oui; la « chave »,

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non. (Chez les gitans, les femmes mendient, c'est la chave ; les hommes volent, c'est la chine.)

J'étais un ancien de l'Indo. Elle aussi, fille de fonction- naire, avait vécu là-bas une vingtaine d'années. Elle en avait ramené, comme tout le monde, le vocabulaire paternaliste des colons, le goût pour les thés forts et pour l'opium.

Les paradis artificiels, ce n'est pas mon truc. Mais, comme elle me l'avait proposé, ça ne m'empêcha pas de tirer avec elle sur le bambou, le soir même dans un décor de Grand-Orient.

« Faut plus mendier, elle m'avait dit. L'argent, ça se gagne ou ça se vole. »

Au cours des années, nous avions fini par devenir compli- ces. Elle était seule depuis longtemps et j'avais pris l'habitude de venir la voir assez régulièrement. Elle me faisait jouer à combiner des coups, à monter des crimes parfaits — comme les écrivains. On s'est offert de sacrées parties de rigolade.

Il était logique que je lui fasse profiter de mon rêve fabuleux.

Ainsi, après moi, elle loua un coffre à la Société Générale de l'avenue Jean-Médecin. Je lui appris à se servir d'un appareil photo miniature — un Minox en l'occurrence. Et elle devint mon premier collaborateur ; récoltant inlassablement photos, cotes, et disposition des lieux. Rien que je n'avais déjà d'ailleurs, mais ça lui plaisait tellement. Par contre, il y avait une foule d'informations qu'elle seule était en mesure de glaner.

Pensez, une vieille dame, ça se fait du souci pour son argent, ça en pose des questions :

« C'est sûr ici ? Ah ! écoutez, jeune homme, faut pas me raconter des bobards ! Je pourrais être votre grand-mère ! En haut, ils m'ont dit que c'était sûr, évidemment ! Ils veulent ma clientèle ! Mais vous, qui êtes en bas, qu'est-ce que vous dites?... Oui oui, je vois bien que c'est blindé, que c'est épais..., poussez-vous que je voie ça de plus près. Bon, vous êtes là le jour et vous avez l'air assez costaud, mais la nuit ?

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Est-ce que vous êtes aussi là, la nuit ?... Je sais bien que vous devez aller dormir, c'est pas moi qui vous le reprocherai...

Dites, un peu, s'il n'y a pas de garde la nuit, ça veut dire que la chambre forte se remplit d'eau en cas de cambriolage, comme pour la banque de France... Qu'est-ce que vous avez à rire, non mais alors ! Toutes les économies de ma vie sont réunies dans ce coffre. Y en a pas lourd peut-être, mais c'est tout ce que je possède ! Où sont vos alarmes ? Allez, sortez- les, je veux tout voir ! Non mais alors quoi !... Quoi, en haut, en haut ! Je m'en fiche des alarmes qu'ils ont en haut : c'est en bas qu'est mon argent!... Comment, il faut passer d'abord par en haut avant d'accéder ici, et les passe-muraille alors ? Vous n'avez jamais entendu parler des passe-muraille ?... La plupart des murs sont piégés, vous dites. Tenez, prenez un petit gâteau. La plupart, la plupart, c'est bien beau, mais je préférerais qu'ils le soient tous ! D'abord pourquoi qu'i'y en a qui sont piégés et pas d'autres ?... Y en n'a qu'un qui l'est pas.

Et pourquoi ça?... Il est trop épais, blindé, infranchissable...

Je l'espère pour vous ! Je sais bien que je vous ennuie avec mes questions. Vous habitez dans le coin?... La Madeleine, bon, si vous m'avez raconté des bobards, je vous ferai honte dans tout le quartier. Vous avez vu quel est mon coffre ? Ne le perdez pas des yeux, c'est votre travail ! non mais alors quoi ! »

En fait de magot, Charlotte bourrait son coffre de bonbons fourrés, mêlant ainsi le goût de l'aventure aux sucreries de son enfance.

Elle avait rajeuni de vingt ans.

Charlotte était plutôt fluette et d'aspect fragile. Son visage était aussi flétri que si elle avait passé l'hiver dans un bocal à cornichons. Mais ses yeux bleu pâle reflétaient une douceur infinie. Si Dieu est un gai luron, elle est assise aujourd'hui à sa droite.

Ainsi, grâce à elle, j'accumulais une quantité fantastique de renseignements complémentaires. De mon côté, j'avais

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acquis la quasi-certitude d'une absence totale d'alarme sismi- que ou de système de surveillance. Et pour cause, j'avais bricolé un gros réveille-matin muni d'une sonnerie infernale que j'avais été placer dans mon coffre. Dix essais, tous réglés sur minuit. Et dix fois, rien n'était venu troubler la quiétude nocturne de la banque et du quartier. Le hic, c'étaient les murs. D'après les indications de Charlotte, un seul n'était pas muni d'alarme. Il était si épais et blindé, paraît-il, que l'employé lui avait dit que pour en venir à bout, il faudrait faire sauter tout le quartier. Lequel était-ce ?

En tout cas, l'affaire était réalisable ; et la faille de la chambre forte, c'était ce mur si on décidait d'accéder par là.

Ce n'était pas la seule solution. Une fois j'étais parvenu à descendre à mon coffre sans que ma visite ait été enregistrée sur le cahier des mouvements. Les sous-sols étaient vastes et la chambre forte n'en occupait qu'une petite partie. Je pourrais sûrement trouver un endroit pour me cacher et attendre la fermeture de la banque. Avec un homme à l'intérieur, c'est toujours plus facile. Toutefois, arrivé à ce point de mes réflexions, j'envisageais surtout de pénétrer dans la chambre forte par les caves d'un immeuble voisin ; celui où habitait le concierge de la banque ; ou, par celles du magasin qui était enclavé dans le bâtiment de la Société Générale.

Bref, mon objectif numéro un fut alors d'en connaître un peu plus long sur les alarmes murales. Comment fonctionnaient-elles, comment étaient-elles branchées, com- ment se déclenchaient-elles ? — par des vibrations ou par une trouée ?

Quand je repense à cette époque, bien qu'elle ne soit pas très éloignée, j'ai du mal à la définir. J'étais désarmé. La frénésie de m'en sortir à tout prix et la honte m'avaient empoigné. J'avais déserté mon magasin. J'en avais par-dessus la tête. Elle me sortait par les yeux, cette boutique en alignement avec un commerce de vins fins, une droguerie

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cadeaux-ménage, un chausseur et une succursale de la Société Générale. Cet ensemble, légèrement en retrait de la route de Marseille — à cet endroit bruyante — s'ouvre sur une double chaussée faisant office de parking. En face, l'arrêt du bus La Vallière qui va du port à l'aéroport ou vers Saint- Laurent, de l'autre côté du Var. Sur le côté droit de la bouti- que, la permanence médicale où continuait de travailler Audi.

Un petit coin comme les autres. Un univers où tout le monde se connaît, où tout le monde se sourit. Où tout le monde paraît vous aimer et où l'angoisse que vous ne vous en sortirez jamais vous serre la gorge certains soirs et vous empêche de dormir.

C'est surtout quand le jour tombe et qu'on « fait » sa caisse que c'est le plus terrible. On rêvait de conquérir le monde et on se retrouve derrière un petit comptoir à compter les centimes. Puis c'est une bonne femme qui frappe à la porte.

C'est fermé, vous êtes à des milliers de kilomètres de là. Elle s'en fout, elle insiste. « Comment se fait-il que mes photos soient toujours floues ? Je l'ai acheté chez vous, l'appa- reil... ! » Oui, il y a une foule de détails, de petites circons- tances sans importance qui vous font transpirer et qui finissent par se coaguler ensemble. On ne peut pas expliquer ça. Alors, on hausse les épaules. On regarde autour de soi. Le magasin est bas de plafond ; c'est à moitié boutique, à moitié bureau... On se demande combien de temps encore on tiendra le coup avec toutes ces factures, ces commandes en souffrance, ces photos voilées, ces mariages, tous ces reporta- ges à venir...

On hausse une nouvelle fois les épaules et on met la boutique en gérance. On se replie vers Bézaudun, vers « Les Oies sauvages ». On fait de longues randonnées à travers bois en compagnie de ses deux dobermans, Parka et Vespa. On

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Albert Spaggiari défie la chronique depuis maintenant près de 2 ans. A la une des journaux du monde entier, cet ancien baroudeur qui, de l'In- dochine à l'Algérie, a toujours bataillé sur le front des causes perdues, n'est pas un truand comme les autres. L'argent ne l'intéresse guère. Les mau- vaises fréquentations non plus. La recherche d'un idéal introuvable, le goût inné de l'aventure, justifient mieux cet Arsène Lupin de notre époque.

"Sans haine, sans violence et sans arme" fut l'inscription laissée par les cambrioleurs avant de quitter les coffres de la Société Générale à Nice. Et c'est toujours "sans haine, sans violence et sans arme" que le jeudi 10 mars 1977 à 17 h 05, Albert Spaggiari, maître du "casse du siècle", enjambe une fenêtre du Palais de Justice à la vitesse de l'éclair et saute dans son destin.

Le "cerveau" n'a subi aucun dommage, hormis ses lunet- tes tombées de sa poche. Il les dédaigne et préfère s'offrir le luxe de perdre un temps précieux pour saluer le magistrat d'un geste large de la main. Ensuite il détale. Quelques secondes plus tard 4 000 gendarmes et C.R.S. se lancent à sa poursuite.

Albert Spaggiari court toujours...

Dans ce livre il raconte son histoire. Avec un vrai talent d'écrivain. Il n'a pas fini de nous étonner.

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