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aux faibles disponibilités en nutriments : couplage d’approches d’écologie isotopique et de transcriptomique
chez des isopodes épigés et hypogés
Clémentine François
To cite this version:
Clémentine François. Évaluation des stratégies adaptatives des métazoaires aux faibles disponibilités
en nutriments : couplage d’approches d’écologie isotopique et de transcriptomique chez des isopodes
épigés et hypogés. Evolution [q-bio.PE]. Université Claude Bernard - Lyon I, 2015. Français. �NNT :
2015LYO10140�. �tel-01298543�
N
◦d’ordre : 140-2015 Ann´ ee 2015
TH` ESE
pr´ esent´ ee devant l’UNIVERSIT´ E CLAUDE BERNARD - LYON 1 pour l’obtention du DIPLOME DE DOCTORAT (arrˆ et´ e du 7 Aoˆ ut 2006)
ECOLE DOCTORALE 341 - E2M2 ´
pr´ esent´ ee et soutenue publiquement le 25 Septembre 2015 par
Cl´ ementine FRANCOIS
TITRE :
Evaluation des strat´egies adaptatives des m´etazoaires ´ aux faibles disponibilit´es en nutriments :
couplage d’approches d’´ ecologie isotopique et de transcriptomique chez des isopodes ´ epig´ es et hypog´ es
Th` ese dirig´ ee par : M. Christophe DOUADY M. Tristan LEF´ EBURE
M. Florian MERMILLOD-BLONDIN M. Laurent SIMON
Jury : M. Michael DANGER, examinateur
M. Emmanuel DESOUHANT, examinateur
M. Christophe DOUADY, examinateur et directeur de th` ese M. Nicolas GALTIER, examinateur
Mme Gwenael PIGANEAU, rapportrice
M. Pascal RIERA, rapporteur
R´ esum´ e
L’objectif g´ en´ eral de ce travail de th` ese est d’´ etudier les r´ eponses adapta-
tives des m´ etazoaires ` a une diminution de la disponibilit´ e en nutriments dans
leur environnement, tout en consid´ erant de potentielles interactions entre ces
diff´ erentes r´ eponses. Ce travail, couplant des approches d’´ ecologie isotopique et
de transcriptomique haut-d´ ebit, est bas´ e sur l’analyse comparative d’isopodes
de surface (´ epig´ es) et souterrains (hypog´ es) ´ evoluant depuis plusieurs millions
d’ann´ ees dans des environnements pr´ esentant des disponibilit´ es en nutriments tr` es
contrast´ ees (les milieux souterrains ´ etant caract´ eris´ es par une quasi-absence de
productivit´ e primaire). La singuli` ere histoire ´ evolutive de ces isopodes (multiples
colonisations ind´ ependantes du milieu souterrain) permet de d´ efinir 13 couples
compos´ es d’une esp` ece ´ epig´ ee et d’une esp` ece hypog´ ee partageant un ancˆ etre com-
mun ´ epig´ e. Ces couples repr´ esentent ainsi 13 r´ eplicats ind´ ependants d’une tran-
sition environnementale vers un milieu plus pauvre en nutriments. Les r´ esultats
de ce travail ont mis en ´ evidence lors de cette transition environnementale des
adaptations en termes d’am´ elioration de l’acquisition des nutriments (diminu-
tion de la s´ electivit´ e trophique, potentielle s´ election de strat´ egies sp´ ecialistes)
mais ´ egalement en termes de diminution de la demande m´ etabolique en nu-
triments (diminution du taux de croissance). Certaines hypoth` eses adaptatives
ont cependant ´ et´ e r´ efut´ ees (pas de r´ eduction de la taille de g´ enome par allo-
cation pr´ ef´ erentielle du P aux ARN, ni de s´ election
stoechiog´ enomique
des
nucl´ eotides et acides amin´ es les plus ´ economes en N). L’ensemble des r´ esultats
sugg` ere un d´ ecouplage entre un r´ egime s´ electif au niveau comportemental, mor-
phologique et physiologique (choix trophiques, efficacit´ e de l’assimilation, taux de
croissance) et un r´ egime neutre au niveau g´ enomique (taille de g´ enome, compo-
sition ´ el´ ementaire du transcriptome et prot´ eome). Il est possible que la s´ election
naturelle soit inop´ erante sur la composition ´ el´ ementaire et la structure des macro-
mol´ ecules majeures (ADN, ARN et prot´ eines) de par les faibles tailles efficaces
de population (Ne) des m´ etazoaires. Cependant, on peut ´ egalement faire l’hy-
poth` ese que la s´ election serait non pas inop´ erante mais inexistante ` a ce niveau,
de par l’existence d’interactions entre les diff´ erentes r´ eponses adaptatives des
organismes. Sous cette hypoth` ese, l’adoption de certaines r´ eponses adaptatives
assez efficaces et / ou rapides ` a mettre en place pourrait suffire ` a att´ enuer la
limitation trophique subie par les organismes et ainsi relˆ acher ou mˆ eme annuler
la pression de s´ election sur les autres types de r´ eponses adaptatives. Nos r´ esultats
confirment l’existence de ces interactions, l’absence de r´ eduction de la taille de
g´ enome pouvant en effet s’expliquer par la diminution du taux de croissance qui
relˆ acherait la pression de s´ election sur l’allocation du P aux ARN.
iii
Remerciements
Ce manuscript de th` ese ne serait pas complet sans que je remercie tous les gens qui m’ont accompagn´ ee et soutenue pendant ces 4 ann´ ees, avec une bonne dose de patience, et sans qui cette th` ese n’aurait, pour reprendre la formule consacr´ ee, pas ´ et´ e la mˆ eme !
Tout d’abord, je tiens ` a remercier tout particuli` erement les membres de mon jury de th` ese, mes 2 rapporteurs Gwenael Piganeau et Pascal Riera, ainsi que mes examinateurs Michael Danger, Emmanuel Desouhant et Nico- las Galtier, pour avoir accept´ e d’´ evaluer ce travail de th` ese et l’avoir enrichi de leurs commentaires. J’ai beaucoup appr´ eci´ e que vous vous soyez tous aventur´ es sur des th´ ematiques autres que celles que vous d´ eveloppez habi- tuellement, et que cela ait r´ esult´ e en une discussion enrichissante lors des questions !
Ensuite, je tiens vraiment (non mais vraiment !) ` a remercier mes 4 chefs,
Christophe, Florian, Laurent et Tristan, pour tout ce que vous m’avez ap-
pris, pour le soutien et la bonne humeur sur le terrain comme dans les
manips, pour avoir support´ e (dans tous les sens du terme) mon humour
et mes blagues mˆ eme au bord de la mort (ou du cimeti` ere des ´ el´ ephants),
pour les charmants petits surnoms dont vous m’avez gratifi´ e, et pour le
confiance que vous m’avez accord´ ee en me laissant de la libert´ e et de l’au-
tonomie pour d´ evelopper ce projet de th` ese en or ! Derri` ere les excellents
chercheurs, rigoureux et exigeants, qui ont form´ e la docteure que je suis
maintenant, j’ai d´ ecouvert 4 personnes qui ont toujours ´ et´ e tr` es pr´ esentes,
patientes et impliqu´ ees, et j’esp` ere qu’on aura encore l’occasion de travailler
(et de rigoler) ensemble ! Christophe, merci de m’avoir soutenue mˆ eme dans
les moments de doutes ou de grosses d´ eroutes (
glaciaires
). Ton esprit de
synth` ese et ta grande culture scientifique ont ´ et´ e indispensables tout au long
de cette th` ese ! Laurent, merci de m’avoir fait d´ ecouvrir la beaut´ e (insoup-
conn´ ee) d’un IRMS, chapeau pour ton calme face ` a mes triplicats r´ ep´ et´ es
de mesures (mais l` a tu ne peux blˆ amer que la rigueur scientifique que tu
m’as transmise), et encore une fois merci pour ta disponibilit´ e ! Tristan,
merci de m’avoir initi´ ee aux joies (l` a aussi insoupconn´ ees) de la bioinfo ; ta
p´ edagogie, ton implication, ta z´ enitude (face aux r´ esultats n´ egatifs / WTF) et ton humour ont ´ et´ e indispensables pour survivre ` a ces milliers de lignes de code (et soit dit en passant, bravo d’avoir r´ eussi ` a garder cette blouse si propre h´ eh´ e). Et enfin Florian, merci pour le phosphore, ton implication de chaque instant et de chaque manip, le phosphore, ces tonnes de biblio que tu as lu pour ce projet de th` ese, le phosphore, tes blagues, le phosphore, ton sto¨ıcisme face ` a mes blagues, le phosphore, ta perp´ etuelle bonne humeur, le phosphore, ta patience et ta pers´ ev´ erance, mais aussi le phosphore ! Derri` ere toutes ces rigolades, j’ai ´ enorm` ement appris avec toi, et sache que tu ne m’as jamais d´ ecu ! Une bonne citation r´ esumant de grandes tirades lyriques et larmoyantes (chose que je maitrise autant que toi), voici la citation de ma th` ese :
They have done studies you know. 60% of the time, it works all the time
(feat. P). Et il y aurait encore tant d’anecdotes ` a raconter et de mercis ` a distribuer...
Au gr´ e des p´ erip´ eties de cette th` ese, j’ai aussi eu l’occasion de travailler avec deux autres chercheurs qui m’ont beaucoup aid´ e et que je tiens encore une fois ` a remercier pour leur temps et leur disponibilit´ e : Florian Ma- lard, pour toutes ces discussions o` u l’on d´ ebattait des moindres d´ etails des th´ eories ´ ecologiques et o` u tu m’as forc´ e ` a tout, mais alors vraiment tout, clarifier dans ma tˆ ete avant d’´ ecrire la moindre ligne ; et Laurent Duret, pour toutes ces fois o` u l’on a
caus´ e
de mes r´ esultats et o` u tu as vu de la lumi` ere (ou plus pragmatiquement une solution simple et ´ el´ egante) l` a o` u je tˆ atonnais.
Je tiens aussi ` a remercier Michael Danger et Ludovic Orlando pour leur investissement dans mes comit´ es de pilotage, leurs remarques contructives m’ont aid´ e ` a faire le point et ` a avancer tout au long de cette th` ese.
Je voudrais remercier de tout coeur trois personnes qui m’ont ´ enorm` ement
aid´ ee dans tous les aspects de la vie d’une th´ esarde : Lara, mon phare dans
les (nombreuses) tempˆ etes que j’ai essuy´ ees ` a la paillasse, merci pour ta
disponibilit´ e, ta patience, ton efficacit´ e surhumaine, et pour avoir ´ et´ e mon
dernier rempart contre la folie lors de ces fameuses extractions d’ARNs ;
Dominique, pour ton humour, ton f´ eminisme et tes coups de gueule (apr` es
ton d´ epart il va manquer un petit quelquechose de l’ˆ ame de cette ´ equipe !) ;
v et Nadjette, notre bonne f´ ee de l’administration, pour ta bonne humeur ` a toute ´ epreuve.
Une pens´ ee sp´ eciale pour Laurence, qui n’est malheureusement arriv´ ee dans notre couloir qu’` a la fin de ma th` ese mais qui s’est vite r´ ev´ el´ ee avoir un sens de l’humour ` a toute ´ epreuve, ˆ etre un pr´ ecieux soutien de chaque instant, et accessoirement une personne ´ epatante. En un mot comme en mille, merci pour tout !
Merci aussi ` a tous les gens de l’´ equipe E3S et du LEHNA, j’ai pass´ e de joyeuses et enrichissantes ann´ ees parmi vous ! Je pense tout particuli` erement
`
a Pierre Marmonier, qui le premier m’a fait d´ ecouvrir ce fameux couloir du 3e Forel qu’il fait r´ esonner de ses vannes et autres coups de gueule, et ` a Fred pour sa bonne humeur communicative.
Et enfin, merci aux organismes qui ont permis de financer ces travaux (Minist` ere de l’Education Nationale, de l’Enseignement Sup´ erieur et de la Recherche, ENS de Lyon, ANR et CNRS APEGE/EC2CO), ainsi qu’aux concepteurs et contributeurs des diff´ erents logiciels libres que j’ai abondam- ment utilis´ es durant ma th` ese.
Il est maintenant temps de rendre justice ` a tous ceux qui m’ont sup-
port´ ee (dans tous les sens du terme) au labo pendant toutes ces ann´ ees :
les amis du Domus (` a qui j’ai pu
emprunter
quelques frites), ceux des
ap´ eros To¨ı To¨ı et des pauses caf´ e, ceux des grandes discussions scientifiques
comme ceux des craquages nerveux, ainsi que les (innombrables) personnes
qui m’ont nourrie lors de ma r´ edaction. . . Une ´ enorme pens´ ee pour David
qui a ´ et´ e ` a la fois une oreille attentive, un cerveau de tr` es bon conseil et
une sacr´ ee paire de mollets pour aller vadrouiller en montagne. Nos sessions
th´ e-conseils biblio me manquent beaucoup mec ! Natacha, un ´ enorme merci
pour ta capacit´ e ` a me faire prendre de la distance sur tous les mini-drames
de la th` ese, j’ai ´ et´ e chanceuse de t’avoir dans les parages pendant toutes ces
ann´ ees. Et merci pour tous ces moments et ces Causette partag´ es cocotte !
C´ ecile, tu m’as toujours impressionn´ ee par ta capacit´ e ` a f´ ed´ erer et ` a orga-
niser la vie sociale du labo, merci pour tous ces moments et pour tous ces
gens que j’ai rencontr´ e grˆ ace ` a toi. Sache qu’une th` ese sans Tatie Danielle
bis aurait ´ et´ e bien moins drˆ ole ! Je me dois aussi de remercier ici Mathilde
pour sa filiation ´ evidente avec la lign´ ee des Danielles, je ne doute pas qu’elle se montrera digne de cet h´ eritage. Et merci pour le tr` es attendu (et tr` es appr´ eci´ e) mojito de fin de r´ edaction ! Merci aussi ` a J´ erˆ ome pour ses grands
´
eclats / grincements de rire et sa tol´ erance face ` a mes surnoms plus ou moins inspir´ es ; et ` a J´ er´ emy pour sa gentillesse et sa bonne humeur constantes ! Enfin, respect ´ eternel pour l’humour d’Arnaud, tellement caustique qu’` a cˆ ot´ e je passe pour un bisounours... Et merci pour tous tes coups de main sur LaTeX, et surtout pour tes dons
volontaires
de frites et de desserts ! Je pense aussi ` a Claire (Morvan), Chlo´ e, Julia, les Juliens, Ross, Antonin, Ludovic, Hugo, Louise, Pierre-Axel, Soraya, Barbara, M´ elissa, Yannick, Si- mon, Pierre, Mathieu, J´ erˆ ome (Le Grand), et tant d’autres ! Un merci tout particulier ` a mes multiples co-bureaux Simon, Raoul, Pauline, Mathilde, Kathleen, Margot, Nathana¨ elle qui n’a pas eu peur de me recueillir dans son bureau pour la derni` ere ligne droite de ma r´ edaction, et le petit der- nier Val´ erian ! Cher compagnon de labo / caf´ e / to¨ı to¨ı / vol de frites, si je t’ai oubli´ e dans cette liste, sache que j’en suis navr´ ee et que je me ferai pardonner cette bourde ` a coup de pintes la prochaine fois qu’on se verra !
Ces ann´ ees de th` ese auraient ´ et´ e beaucoup plus solitaires (et calmes) sans mes chers et innombrables petits colocs : Laura mon pilier et r´ econfort pendant ces 3 belles ann´ ees de coloc (to be continued...), Gautier mon four- nisseur officiel de pancakes (eh non, ce ne sont toujours pas des crevettes cavernicoles !), Dorine, Ulrike, J´ er´ em, Romaric, Ju, Yannick, Laia, Richard, Marius et enfin Nico, qui m’a soutenue et m’a chang´ e les id´ ees jusque dans les derniers soubresauts de la r´ edaction (et ca vaut bien tous les volets du monde !).
Merci ` a tous mes amis, sur Lyon ou ailleurs, sans vous j’aurais certai-
nement soutenu beaucoup plus rapidement (mais moins joyeusement) ! Une
pens´ ee toute particuli` ere pour Diane et son ind´ eboulonnable joie de vivre, et
pour Charlotte, mon roc dans la tempˆ ete. Je pense aussi ` a tous mes compa-
gnons de voyages / week-ends / soir´ ees / marathon-terrasse-Beers (Cl´ ement,
si tu m’entends. . . ), Mathias, Agn` es, ma camionette, Marion, Adrien, Repi,
Fabian, Anais, Suzanne, Claire, Alice, Ivan, L´ ea, Claire (Mallard), Eug´ enie,
Mailys,. . . Et un ´ enorme merci ` a Am´ elie, pour avoir endur´ e avec le sou-
vii rire et avec (une relative) patience toutes ces interminables discussions de th´ esards monomaniaques. Merci d’ˆ etre l` a.
Et enfin, un gigantissime merci ` a ma famille : Charlot, qui a support´ e vaillamment toutes les discussions sur mes
cloportes cavernicoles
et a assur´ e sans faillir l’approvisionnement de ma cave ` a vins au moment o` u j’en avais le plus besoin ; ma seurette, qui me soutient ` a sa fa¸con depuis in utero et sans qui tous nos baroudages (avec ou sans genoux) auraient ´ et´ e un peu fades ; et mes parents, PouMou, qui supportent mes stress chroniques et autres paniques de boulot depuis bien trop longtemps mais qui ont encore la patience de les prendre au s´ erieux et de me soutenir inconditionnellement.
Je ne sais pas comment vous faites, mais chapeau !
Sur ce,
pouet pouet la galette
et bonne lecture.
Table des mati` eres
Introduction 1
1 Cadre conceptuel 3
1.1 Comment d´ efinir un environnement ` a faible disponibilit´ e en nutriments ? . . . . 3 1.2 Adaptations des organismes aux faibles disponibilit´ es en nu-
triments : ´ etat de l’art . . . . 8 1.2.1 Am´ elioration de l’acquisition des nutriments . . . . . 10 1.2.2 Diminution des besoins en nutriments . . . . 21 1.3 Interactions entre ces diff´ erentes r´ eponses adaptatives . . . . 28 1.4 Limites des ´ etudes publi´ ees . . . . 30
2 Mat´ eriel & M´ ethodes 33
2.1 Les isopodes de la famille Asellidae, un mod` ele biologique original . . . . 33 2.2 Ecologie isotopique : assimilation des nutriments et r´ ´ egimes
alimentaires . . . . 37 2.3 Transcriptomique haut-d´ ebit : un snapshot de la transcrip-
tion des ARN . . . . 44
3 Objectifs de la th` ese 51
4 Sp´ ecialisation trophique en milieu souterrain 55 4.1 Article 1 : Trophic ecology of groundwater species reveals
specialization in a low-productivity environment. . . . 57
ix
5 S´ electivit´ e trophique et disponibilit´ e en ´ energie 71 5.1 Article 2 : Trophic selectivity increases with energy availa-
bility in aquatic ecosystems . . . . 74
5.1.1 Introduction . . . . 74
5.1.2 Material & Methods . . . . 78
5.1.3 Results . . . . 89
5.1.4 Discussion . . . . 93
6 Coˆ ut en azote du transcriptome et du prot´ eome 99 6.1 Article 3 : Low nitrogen availability does not influence the elemental composition of metazoa transcriptomes and pro- teomes. . . 106
6.1.1 Introduction . . . 106
6.1.2 New Approach . . . 111
6.1.3 Results . . . 112
6.1.4 Discussion . . . 121
6.1.5 Material & Methods . . . 128
7 Synth` ese, discussion et perspectives 137 7.1 Synth` ese des r´ esultats marquants . . . 137
7.2 R´ esultats compl´ ementaires . . . 141
7.2.1 Taille de g´ enome . . . 141
7.2.2 Taux de croissance . . . 142
7.3 Discussion g´ en´ erale . . . 143
7.4 Perspectives de recherche . . . 160 A Mat´ eriel suppl´ ementaire, Article 1 171 B Mat´ eriel suppl´ ementaire, Article 2 177 C Mat´ eriel suppl´ ementaire, Article 3 183
D Annexe D 193
Table des figures
1.1 Sc´ enario hypoth´ etique des r´ eponses adaptatives d’un orga- nisme lors d’une diminution de la disponibilit´ e en nutriments 11 1.2 S´ electivit´ e trophique : ad´ equation entre l’abondance des res-
sources et leur proportion dans le r´ egime alimentaire. . . . . 13 2.1 D´ efinition des couples d’esp` eces ´ epig´ ee/hypog´ ee . . . . 36 2.2 Exemple de reconstruction de r´ egime alimentaire (` a l’´ echelle
de la population) . . . . 40 2.3 Couplage analyseur ´ el´ ementaire – spectrom` etre de masse iso-
topique pour la mesure de l’abondance relative de deux iso- topes stables. . . . 42 2.4 Principe de la transcriptomique haut-d´ ebit. . . . 48 5.1 Phylogenetic tree of the 16 isopod species and energy availa-
bility in their environments. . . . 90 5.2 Diets and environmental resources availabilities for the 16
isopod species. . . . 91 5.3 Relationships between the selectivity index PS’ and the en-
vironmental variables. . . . . 93 6.1 Principe des deux niveaux d’analyse des transcriptomes. . . 101 6.2 Test du biais brin-sp´ ecifique de substitutions : exemple des
deux substitutions compl´ ementaires C → T et G → A. . . . 103 6.3 Chronogram of the 13 pairs of isopod species . . . 110 6.4 Asymmetries in substitution rates under the N-economy stoi-
chiogenomic hypothesis. . . . 112
xi
6.5 Distribution of NARSC and NAB3 in the 26 species. . . . . 117 6.6 Parity plots of the complementary substitutions rates. . . 122 7.1 Bilan des r´ eponses adaptatives des isopodes lors de la colo-
nisation du milieu souterrain . . . 158 C.1 Decrease of NARSC in the 10 % most-expressed proteins . . 184 C.2 Distribution of VNARSC for the 26 species. . . 185 C.3 Distribution of VNAB3 for the 26 species. . . 186 D.1 Relation entre choix trophiques et qualit´ e stœchiom´ etrique
des ressources . . . 195
Liste des tableaux
5.1 Description of the 16 isopod species. . . . . 79 5.2 Environment characterization : abundance and elemental com-
position of available trophic resources. . . . . 81 5.3 Diet determination : median and 95% credibility interval of
resource contributions to the diet (in %) . . . . 84 6.1 Environmental parameters for the 26 isopods species. . . 113 6.2 Summary of the phylogenetic generalized least-squares mo-
dels testing the influence of environmental parameters on the N cost of the proteome / transcriptome. . . . 115 6.3 Statistical models testing the influence of the habitat on the
number and usage frequency of optimal codons. . . 118 6.4 Medians of VNARSC and VNAB3 for the 26 species. . . 119 6.5 Test of the stoichiogenomic expectations regarding VNARSC
and VNAB3 within each species pair. . . 120 6.6 Bootstrap tests of the stoichiogenomic expectations regarding
ΔAT and ΔGC within each species pair. . . 123 A.1 C and N isotope composition of individuals and labelled food
sources during the laboratory experiment . . . 174 A.2 C and N isotope composition of isopods sampled in the ten
caves. . . . 175 A.3 C and N isotope composition of food sources in the ten caves 176 B.1 Environmental variables and indices of selectivity. . . 179
xiii
C.1 Description of the 13 isopod species pairs. . . 187 C.2 Relative N budget of the bulk transcriptome and proteome
for the 26 species . . . 188 C.3 Number and usage frequency of the two classes of optimal
codons in the 26 species. . . 189 C.4 Statistical models testing the association between the nu-
trient availabilies and the number / usage frequency of opti- mal codons . . . 190 C.5 Substitution rates and measures of the strand asymmetry in
the 26 species. . . 191 C.6 Parameters of the transcriptome and proteome analyses for
the 26 species. . . 192 D.1 Param` etres ´ ecologiques et ratios stœchiom´ etriques C:N des
26 esp` eces d’isopodes . . . 194
Introduction
Afin de documenter la complexit´ e du monde vivant et d’en comprendre l’´ evolution, les scientifiques se sont depuis longtemps int´ eress´ es aux pa- trons de biodiversit´ e ` a l’´ echelle plan´ etaire. Au del` a de leur description, de multiples ´ etudes cherchent maintenant ` a comprendre quels processus
´
ecologiques sont ` a l’origine de ces patrons globaux de biodiversit´ e (pour une review, voir Gaston (2000)). Cette compr´ ehension est d’autant plus importante que nous cherchons ` a pr´ edire les effets que pourraient avoir de brusques changements climatiques et environnementaux (li´ es aux activit´ es anthropiques) sur la biodiversit´ e actuelle.
Plusieurs pistes de r´ eflexion ont ´ et´ e propos´ ees, dont l’une a re¸cu beau- coup d’attention (la ‘species-energy theory’) et repose sur l’observation d’une corr´ elation entre ´ energie environnementale et richesse sp´ ecifique (Evans et al. 2005, Cusens et al. 2012, Entling et al. 2012). Cette relation pourrait s’expliquer par une corr´ elation entre la quantit´ e d’´ energie d’un milieu (ou sa productivit´ e) et sa disponibilit´ e en ressources trophiques, sachant que cette disponibilit´ e trophique peut influer sur les strat´ egies trophiques adopt´ ees par les esp` eces r´ esidentes (c’est-` a-dire leurs strat´ egies d’acquisition et d’uti- lisation des nutriments) et permettre ` a plus ou moins d’esp` eces de cohabiter dans un milieu donn´ e (Evans et al. 2005, 2006, Birkhofer & Wolters 2012).
Ainsi l’´ energie d’un milieu impacterait le nombre d’esp` eces qui peuvent s’y maintenir, de par l’influence du niveau en ressources trophiques sur les strat´ egies d’acquisition de ces ressources.
D´ eterminer les crit` eres de s´ election entre les diff´ erentes strat´ egies tro- phiques est fondamental pour notre compr´ ehension des ´ ecosyst` emes, tout d’abord parce que c’est l’ad´ equation entre la strat´ egie trophique d’un or-
1
aussi car ces strat´ egies vont se r´ epercuter sur l’ensemble de l’´ ecosyst` eme, que ce soit en termes d’interactions biotiques ou de transferts des nutriments
`
a l’int´ erieur du r´ eseau trophique.
Cela nous permettrait ainsi de pr´ edire (tout du moins qualitativement) comment des changements environnementaux modifieraient ces strat´ egies trophiques, ainsi que leurs potentielles r´ epercussions sur les ´ ecosyst` emes.
S’inscrivant dans le cadre du r´ echauffement climatique, beaucoup d’´ etudes se sont int´ eress´ ees ` a l’effet d’une augmentation de la disponibilit´ e trophique, en partant du principe qu’une augmentation de la temp´ erature moyenne ter- restre et des concentrations de CO
2atmosph´ erique entraˆınerait une augmen- tation globale de la productivit´ e des ´ ecosyst` emes (Melillo et al. 1993, Keeling et al. 1996). Ces ´ etudes abordent par exemple des questions d’eutrophisation avec de fortes implications soci´ etales (Correll 1998, Smith et al. 1999, Khan
& Ansari 2005, Daggett et al. 2015). Cependant, certaines ´ etudes semblent indiquer que les r´ eponses des ´ ecosyst` emes aquatiques ` a un r´ echauffement global seraient plus complexes que pr´ ec´ edemment envisag´ ees et n’iraient pas syst´ ematiquement dans le sens d’une augmentation de la productivit´ e (O’Reilly et al. 2003) et de la disponibilit´ e en ressources trophiques (Durant et al. 2007). Ce r´ esultat contre-intuitif est li´ e au fait qu’un r´ echauffement glo- bal pourrait modifier les r´ egimes des vents ainsi que la couverture nuageuse, r´ eduisant le m´ elange vertical des diff´ erentes couches d’eau et l’efficacit´ e de la photosynth` ese (Carpenter et al. 1992). Pourtant, peu d’´ etudes abordent cette probl´ ematique sous l’angle d’une diminution des ressources trophiques.
De plus, ces ´ etudes se sont g´ en´ eralement focalis´ ees sur les micro-organismes
avec des approches d’´ evolution exp´ erimentale, n´ egligeant les organismes
pluricellulaires. C’est pr´ ecis´ ement l’objet de cette th` ese d’´ etudier com-
ment les strat´ egies trophiques d’eucaryotes pluricellulaires h´ et´ erotrophes,
les m´ etazoaires, ´ evoluent lors d’une transition environnementale vers
un milieu ` a faible disponibilit´ e en nutriments.
Chapitre 1
Cadre conceptuel
1.1 Comment d´ efinir un environnement ` a faible disponibilit´ e en nutriments ?
Les nutriments englobent l’ensemble des compos´ es organiques et in- organiques indispensables ` a la maintenance, la croissance et la reproduc- tion d’un organisme vivant. Dans cette introduction, nous nous focaliserons sur les macro-nutriments, c’est-` a-dire les nutriments n´ ecessaires en grande quantit´ e car constituants de base des principales macromol´ ecules de toute cellule (prot´ eines, acides nucl´ eiques, glucides et lipides). Ces nutriments comprennent le carbone (C), l’hydrog` ene (H), l’azote (N), l’oxyg` ene (O), le phosphore (P) ainsi que le soufre (S). Les organismes h´ et´ erotrophes ex- traient ces nutriments des diff´ erentes ressources trophiques disponibles dans leur environnement.
Selon les environnements consid´ er´ es, la nature ainsi que l’abondance de ces sources de nourriture varient fortement, que ce soit en termes de quan- tit´ e absolue (par ex. en grammes de ressource par unit´ e de surface) ou en termes de quantit´ e relative (par ex. en fraction de la quantit´ e totale de C contenu dans une ressource donn´ ee). Selon leur nature biologique, ces sources de nourriture ne sont pas non plus ´ equivalentes en termes d’ap- ports de nutriments pour l’organisme, leur valeur nutritionnelle d´ ependant de leur composition ´ el´ ementaire. Cette composition ´ el´ ementaire est tr` es
3
souvent exprim´ ee en proportions (en masse) de chaque ´ el´ ement, le % X correspondant au pourcentage massique de l’´ el´ ement X dans la ressource consid´ er´ ee (le mˆ eme raisonnement s’applique aux organismes). De plus, les nutriments contenus dans une ressource donn´ ee peuvent ˆ etre faiblement biodisponibles, par exemple si cette ressource est peu digestible par l’or- ganisme ( ressource
r´ efractaire
). Par exemple, Dodds (2014) a estim´ e que seulement 30 ` a 35 % de du N contenu dans les ressources disponibles ´ etait r´ eellement assimil´ e par les organismes de diff´ erents cours d’eau. ` A masses
´
egales, certaines ressources contiennent donc plus de nutriments potentiel- lement extractibles par l’organisme que d’autres, l’efficacit´ e de cette extrac- tion d´ ependant intrins` equement de chaque organisme et pouvant ´ evoluer, comme nous y reviendrons plus tard.
Les milieux naturels pr´ esentent donc de forts contrastes en termes de quantit´ es de nutriments disponibles. Parmi les nutriments consid´ er´ es, la quantit´ e de C organique (c’est-` a-dire le C contenu dans des compos´ es or- ganiques fabriqu´ es par des ˆ etres vivants) est par ailleurs un proxy de la quantit´ e d’´ energie
productive
disponible dans un environnement (sensu Evans et al. (2005)), c’est-` a-dire l’´ energie produite par les organismes auto- trophes (par ex. par photosynth` ese) et disponible sous forme de ressources trophiques pour les organismes h´ et´ erotrophes. Une description exhaustive de la gamme de disponibilit´ es en nutriments dans les ´ ecosyst` emes fait d´ efaut dans la litt´ erature. Cependant, certaines mesures existantes des quantit´ es de ressources trophiques dans un environnement donn´ e permettent d’ap- proximer les quantit´ es de nutriments correspondantes. ` A titre d’exemple, la disponibilit´ e en C dans les ´ ecosyst` emes aquatiques varie d’environ 0.5 g / m
2dans les grottes les plus profondes en l’absence de production pri- maire (‘standing stock’, Venarsky et al. (2012)) ` a plus de 3 kg / m
2dans certains cours d’eau de surface (‘standing stock’, Webster & Meyer (1997)).
Les ´ ecosyst` emes terrestres sont g´ en´ eralement plus riches en C de par leur
couverture v´ eg´ etale ; la disponibilit´ e en C peut y varier de 250 g / m
2dans
les zones semi-arides ` a plus de 15 kg / m
2dans les forˆ ets tropicales humides
(‘aboveground biomass’, Nieder & Benbi (2008)). De mˆ eme, la disponibi-
lit´ e en N varie fortement entre ´ ecosyst` emes, d’environ 0.18 g / m
2dans
1.1. UNE FAIBLE DISPONIBLIT ´E ? 5 certains ´ ecosyst` emes aquatiques souterrains (‘standing stock’, donn´ ees de cette th` ese) ` a 75 g / m
2dans les forˆ ets tropicales humides (‘aboveground biomass’, Nieder & Benbi (2008)).
Certains environnements pr´ esentent donc de tr` es faibles disponibilit´ es en nutriments qui peuvent potentiellement contraindre les organismes r´ esidents.
Cependant, au-del` a de la quantit´ e absolue de nutriments disponibles dans leur environnement, les organismes peuvent ´ egalement ˆ etre contraints par l’´ equilibre entre ces diff´ erents nutriments.
L’´ equilibre entre deux nutriments X et Y dans une ressource donn´ ee peut ˆ etre estim´ e grˆ ace au ratio molaire X:Y (par exemple, un ratio C:N de 7 indique qu’il y a 7 moles de C pour 1 mole d’N dans la ressource consid´ er´ ee). Ces ratios molaires (principalement C:N, C:P et N:P), aussi appel´ es ratios ´ el´ ementaires ou stœchiom´ etriques, sont abondamment utilis´ es dans la cadre th´ eorique de la stœchiom´ etrie ´ ecologique (Sterner & Elser 2002, Frost et al. 2005, Sardans et al. 2012, Hessen et al. 2013). Cette th´ eorie s’int´ eresse ` a l’´ equilibre des diff´ erents ´ el´ ements chimiques (ici, les nutriments) dans les ´ ecosyst` emes, afin entre autres d’´ etudier comment cet
´
equilibre affecte le fonctionnement des organismes. Elle repose sur deux grands principes : l’hom´ eostasie des consommateurs et la loi de conservation de la mati` ere.
L’hom´ eostasie d’un consommateur caract´ erise sa capacit´ e ` a main- tenir sa composition ´ el´ ementaire (globale) stable quelle que soit la composi- tion des ressources trophiques utilis´ ees. Les esp` eces diff´ erent dans leur degr´ e d’hom´ eostasie, les organismes autotrophes ayant par exemple tendance ` a ˆ
etre non-hom´ eostatiques, c’est-` a-dire que leur composition ´ el´ ementaire (et donc leurs ratios ´ el´ ementaires) suit celle (ceux) de leurs ressources tro- phiques (Sterner & Elser 2002, Persson et al. 2010). Les organismes h´ et´ erotro- phes sont plus hom´ eostatiques, avec cependant de grandes variations selon les esp` eces (Sterner & Elser 2002, Evans-White et al. 2005, Persson et al.
2010).
Le second pilier de la stœchiom´ etrie ´ ecologique est la loi de conser-
vation de la mati` ere, de laquelle il d´ ecoule que lorsqu’un consommateur
hom´ eostatique se nourrit sur des ressources ayant des ratios ´ el´ ementaires
diff´ erents des siens, le d´ ecalage entre la composition de ses ressources et ses besoins va engendrer des contraintes stœchiom´ etriques (‘stoichiometric mismatch’). Ces contraintes traduisent un d´ es´ equilibre ´ el´ ementaire (‘ele- mental imbalance’) plus ou moins fort selon l’amplitude du d´ ecalage entre le consommateur et ses ressources. Plus ce d´ ecalage est grand et plus l’or- ganisme doit adapter son fonctionnement physiologique pour g´ erer ` a la fois le(s) nutriment(s) en exc` es et le(s) nutriment(s) limitant(s), par exemple en modifiant la composition des substances excr´ et´ ees (Knoll et al. 2009).
Il en d´ ecoule que chaque ressource disponible dans l’environnement d’un organisme repr´ esente un d´ es´ equilibre ´ el´ ementaire sp´ ecifique, ind´ ependant de la quantit´ e absolue de cette ressource. Ce d´ es´ equilibre ´ el´ ementaire est fr´ equemment calcul´ e comme la diff´ erence arithm´ etique entre le ratio stœ- chiom´ etrique de l’organisme et celui de la ou des ressource(s) consid´ er´ ee(s) (Elser & Hassett 1994, Hassett et al. 1997, Dobberfuhl & Elser 2000, Cross et al. 2003, Liess et al. 2009, Mehler et al. 2013). Ce d´ es´ equilibre varie selon la composition ´ el´ ementaire de l’organisme et celle de la ressource (le ratio C:N de restes animaux ´ etant par exemple beaucoup plus faible que celui de la liti` ere v´ eg´ etale). Les consommateurs concentrant les nutriments ing´ er´ es (N, P) dans leur organisme, leurs ratios C:X sont en g´ en´ eral inf´ erieurs ` a ceux de leurs ressources. Lorsque ce d´ es´ equilibre est calcul´ e ` a l’´ echelle du r´ egime alimentaire d’un organisme (c’est-` a-dire int´ egr´ e sur toutes les res- sources utilis´ ees), il refl` ete aussi la strat´ egie trophique adopt´ ee. A titre d’exemple, les d´ es´ equilibres ´ el´ ementaires (en termes de ratios C:N) aux- quels sont confront´ es les organismes aquatiques peuvent ainsi varier de 0-1 pour des pr´ edateurs (qui se nourrissent sur des ressources ayant une com- position ´ el´ ementaire similaire ` a la leur) ` a plus de 65 pour des d´ echiqueteurs se nourrissant en partie sur de la mati` ere organique r´ efractaire (Cross et al.
2003). Par comparaison, ce d´ es´ equilibre est d’environ 30 pour les herbivores terrestres (Elser et al. 2000).
Tout comme la quantit´ e de nutriments disponibles, ces d´ es´ equilibres
´
el´ ementaires peuvent impacter les strat´ egies trophiques adopt´ ees par les
organismes et donc in fine leur performance, sachant que la pr´ epond´ erance
de l’un ou de l’autre de ces facteurs (quantit´ e/qualit´ e) d´ epend des condi-
1.1. UNE FAIBLE DISPONIBLIT ´E ? 7 tions environnementales (Sterner 1997, Frost & Elser 2002). Ainsi, Sterner
& Elser (2002) (p.31) affirment que ‘the C:P of food, for exemple, is basically irrelevant to animal growth if there is next to nothing to eat’. Au contraire, Urabe et al. (2002) ont soulign´ e l’effet de la qualit´ e stœchiom´ etrique en d´ emontrant que la performance de certains herbivores aquatiques diminuait quand l’intensit´ e de la lumi` ere augmentait. Ce r´ esultat peut sembler para- doxal quand on r´ efl´ echit en termes de productivit´ e primaire algale (et donc de la quantit´ e de ressources pour ces herbivores) car celle-ci devrait augmen- ter avec l’intensit´ e lumineuse. Cependant, ce r´ esultat doit ˆ etre interpr´ et´ e en termes de qualit´ e stœchiom´ etrique de cette ressource ; en effet, le d´ ecouplage entre la fixation photosynth´ etique de C par les algues et leur assimilation de nutriments (ici, le P) provoque une augmentation de leur ratio C:P avec l’intensit´ e lumineuse et donc une augmentation du d´ ecalage ´ el´ ementaire pour les herbivores. Enfin, Boersma & Kreutzer (2002) ont d´ emontr´ e que la croissance de Daphnia pouvait ˆ etre limit´ ee par la qualit´ e de ses ressources trophiques mˆ eme lorsque celles-ci ne sont pr´ esentes qu’en tr` es faibles quan- tit´ es.
Dans ce travail, la disponibilit´ e en nutriments est donc envisag´ ee sous ces deux aspects compl´ ementaires de quantit´ e de nutriments et de qualit´ e stœchiom´ etrique des ressources. Nous sommes conscients qu’il existe par ailleurs de multiples fa¸cons de consid´ erer la qualit´ e d’une ressource, que ce soit par des approches univari´ ees (par ex. contenu en acides amin´ es es- sentiels) ou multivari´ ees (la ‘nutritional geometry’ ; Raubenheimer (2011), Rothman (2015)). Cependant, de par l’attention qu’a re¸cue cette th´ eorie de l’´ ecologie stœchiom´ etrique et l’importance du corpus de litt´ erature s’y r´ ef´ erant, nous nous sommes focalis´ es sur cette d´ efinition de la qualit´ e d’une ressource par ses ratios stœchiom´ etriques.
Une faible disponibilit´ e en nutriments peut ainsi se traduire par une
faible quantit´ e de nutriments contenus dans les ressources disponibles
et/ou par une faible qualit´ e stœchiom´ etrique de ces ressources. Dans
ces conditions, l’organisme ´ eprouve potentiellement des difficult´ es pour ex-
traire de son environnement les nutriments indispensables ` a son fonction-
nement, dans les quantit´ es et les proportions n´ ecessaires.
C’est ici qu’il nous faut faire une distinction entre environnements ` a faible disponibilit´ e en nutriments (environnements pauvres) et environ- nements limitants pour l’organisme. Les premiers correspondent ` a des environnements situ´ es dans l’extr´ emit´ e inf´ erieure de la gamme de dispo- nibilit´ es environnementales, ils sont d´ efinis comme des milieux extrˆ emes sans consid´ eration des besoins physiologiques des organismes y r´ esidant, au contraire des environnements limitants. En effet, un milieu est consid´ er´ e li- mitant si la composition de ses ressources trophiques limite la performance des consommateurs, en termes de productivit´ e, de croissance ou encore de reproduction. Une telle limitation est ais´ ement mise en ´ evidence par des exp´ eriences de suppl´ ementation en nutriments en laboratoire (cf. toutes les
´
etudes sur Daphnia, par ex. Sterner et al. (1993), DeMott et al. (1998), El- ser et al. (2001), Boersma & Kreutzer (2002)), mais les ´ etudes in situ sont par d´ efinition d´ elicates ` a mener. Un environnement tr` es pauvre n’est pas forc´ ement limitant actuellement pour les organismes y r´ esidant, car ils peuvent s’ˆ etre adapt´ es ` a ces conditions trophiques qui seraient d´ efavorables pour tout autre organisme (par ex. Tessier & Woodruff (2002)). Cependant, les ancˆ etres de ces organismes r´ esidents ont tr` es certainement ´ et´ e limit´ es par les conditions trophiques r´ egnant dans ces environnements pauvres s’ils les ont colonis´ es depuis des environnements plus riches. Lors de cette tran- sition environnementale, ces ancˆ etres ont probablement d´ evelopp´ e des r´ eponses adaptatives aux faibles disponibilit´ es en nutriments, r´ eponses que nous allons maintenant aborder.
1.2 Adaptations des organismes aux faibles disponibilit´ es en nutriments : ´ etat de l’art
En effet, des conditions environnementales inhabituelles pour l’orga-
nisme colonisateur peuvent entraˆıner la s´ election de certains traits biolo-
giques qui lui conf` erent une meilleure fitness (valeur s´ elective) dans ce nouvel
environnement. Ce processus adaptatif repose sur des modifications de traits
pr´ e-existants ou sur l’apparition de nouveaut´ es (les mutations) qui seront
1.2. R ´EPONSES ADAPTATIVES 9 transmises et se r´ epandront dans la population en fonction de l’avantage s´ electif qu’elles conf` erent ; c’est le processus de s´ election naturelle th´ eoris´ ee par Darwin il y a plus de 150 ans (Darwin 1859). Le maintien d’une mutation avantageuse apparue dans une population d´ epend de la balance entre l’effi- cacit´ e de la s´ election naturelle (tri des mutations en fonction de leur valeur s´ elective) et la force de la d´ erive g´ en´ etique (tri al´ eatoire de ces mutations).
L’´ equilibre de cette balance est r´ egl´ e par la taille efficace de population (Ne), d´ efinie th´ eoriquement comme la taille d’une population id´ eale (c’est-
`
a-dire de Wright-Fisher) qui montre le mˆ eme comportement ´ evolutif (par ex.
degr´ e de d´ erive g´ en´ etique) que la population r´ eelle non-id´ eale. Ce param` etre peut ˆ etre vu comme une mod´ elisation du nombre de reproducteurs
effec- tifs
d’une population, c’est-` a-dire le nombre de reproducteurs
id´ eaux
de la g´ en´ eration n r´ esumant toute la diversit´ e g´ en´ etique qui sera transmise ` a la g´ en´ eration n+1. Une faible taille efficace de population entraˆıne une forte d´ erive g´ en´ etique et une faible efficacit´ e de la s´ election, les mutations sont donc retenues al´ eatoirement dans la population, ind´ ependamment de leur avantage s´ electif (r´ egime neutre). A l’inverse, un grand Ne indique une forte efficacit´ e de la s´ election naturelle et une faible d´ erive, les mutations avan- tageuses ´ etant alors retenues s´ electivement dans la population alors que les mutations d´ esavantageuses sont filtr´ ees (r´ egime s´ electif).
Sous ce r´ egime s´ electif, une transition environnementale vers de faibles disponibilit´ es en nutriments serait accompagn´ ee de r´ eponses adaptatives des organismes, r´ eponses qui sont pr´ ecis´ ement l’objet de ce travail de th` ese.
Des modifications non adaptatives de certains traits biologiques peuvent aussi ˆ etre observ´ ees lors de ces transitions environnementales, mais elles ne sont pas le sujet de ce chapitre. Par ailleurs, cette introduction ne se veut pas exhaustive sur tous les types d’adaptations observ´ es ou th´ eoriquement observables lors d’une transition environnementale (cf. Frost et al. (2005), Merchant & Helmann (2012), Wagner et al. (2013) pour un aper¸cu complet de ces adaptations). En particulier, nous ne nous appesantirons pas ici sur les m´ ecanismes de d´ etection et d’´ evaluation des contraintes nutritionnelles ainsi que sur les m´ ecanismes d’ajustement de l’excr´ etion.
La premi` ere cat´ egorie d’adaptations que nous allons consid´ erer concerne
l’acquisition des nutriments et l’efficacit´ e de leur assimilation ` a par- tir des ressources trophiques disponibles dans l’environnement. Cette partie correspond au cadre A de la Figure 1.1.
La seconde cat´ egorie d’adaptations concerne les besoins en nutri- ments de l’organisme et les strat´ egies d’
aust´ erit´ e
, c’est-` a-dire de r´ eduction de cette demande m´ etabolique (cadre B de la Figure 1.1).
Nous allons maintenant aborder en d´ etail ces deux types de r´ eponses adaptatives et examiner les diff´ erentes hypoth` eses propos´ ees dans la litt´ erature existante (tous types d’organismes confondus).
1.2.1 Am´ elioration de l’acquisition des nutriments
Dans cette partie, nous allons traiter de concepts de sp´ ecialisation et de s´ electivit´ e trophiques, ainsi que de dissimilarit´ e inter-individuelle. Ces concepts ´ etant centraux ` a ce travail mais abord´ es et d´ efinis de mani` eres tr` es disparates dans la litt´ erature, il paraˆıt tout d’abord n´ ecessaire d’en expliciter la d´ efinition.
Nous allons ici consid´ erer qu’une esp` ece sp´ ecialiste maximise sa per-
formance sur une ou quelques-unes des ressources disponibles, alors qu’une
esp` ece g´ en´ eraliste pr´ esente des performances similaires mais moindres sur
toutes les ressources disponibles (Devictor et al. 2010, Poisot et al. 2011). Le
degr´ e de sp´ ecialisation d’une esp` ece est donc quantifiable par des exp´ eriences
en laboratoire, o` u les performances des individus sur leurs diff´ erentes res-
sources trophiques peuvent ˆ etre mesur´ ees et compar´ ees. Le choix du proxy
de la performance doit ˆ etre adapt´ e aux caract´ eristiques biologiques de l’or-
ganisme ´ etudi´ e (taux de croissance, survie, reproduction ...). Avec cette
d´ efinition, nous nous d´ etachons du concept de largeur de la niche trophique
(‘niche breadth’) qui est souvent utilis´ e dans la litt´ erature pour d´ efinir les
strat´ egies trophiques des organismes en se basant uniquement sur la com-
position de leur r´ egime alimentaire. Cependant, ce concept de largeur de la
niche n’int` egre pas la sp´ ecificit´ e de chaque ressource pour le consommateur,
que ce soit en termes de performance du consommateur sur cette ressource
1.2. R ´EPONSES ADAPTATIVES 11
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Figure 1.1 – Sc´ enario hypoth´ etique des r´ eponses adaptatives d’un orga-
nisme lors d’une diminution de la disponibilit´ e en nutriments.
Les hypoth`eses sont indiqu´ees en vert. Les doubles fl`eches mat´erialisent les potentielles interactions entre ces diff´erentes r´eponses.ou encore d’abondance de cette ressource dans l’environnement (Irschick et al. 2005).
Prendre en compte les abondances relatives des ressources quand on s’int´ eresse ` a la niche trophique r´ ealis´ ee d’un organisme, c’est-` a-dire ` a son r´ egime alimentaire, revient ` a ´ etudier la s´ electivit´ e trophique de cet or- ganisme. Le degr´ e de s´ electivit´ e trophique refl` ete l’ad´ equation entre l’abondance des ressources dans l’environnement et leur utilisation par l’or- ganisme (Jones & Norman 1986, Pennings et al. 1993, Zandon` a et al. 2011).
Ainsi, un organisme non-s´ electif consomme les ressources disponibles dans les proportions o` u elles sont pr´ esentes dans l’environnement (Figure 1.2, sc´ enario A en vert), alors qu’un organisme s´ electif d´ ecouple son utilisa- tion des ressources de leurs abondances dans l’environnement (Figure 1.2, sc´ enario B en rouge), ce d´ ecouplage pouvant aller jusqu’au cas de s´ electivit´ e extrˆ eme o` u l’organisme se concentre sur une ou deux ressources relative- ment rares (ici les ressources 5 et 6) et ´ evite les ressources relativement abondantes (ici les ressources 1, 2 et 3 ; Figure 1.2, sc´ enario B en rouge). Ce concept de s´ electivit´ e trophique est similaire au concept de ‘niche position specialist / generalist’ d´ evelopp´ e par Evans et al. (2005), mais nous avons pr´ ef´ er´ e ´ eviter cette terminologie pour ´ eviter toute confusion avec le concept de sp´ ecialisation d´ efini ci-dessus. Ces deux concepts de sp´ ecialisation et de s´ electivit´ e sont compl´ ementaires, un organisme peut donc ˆ etre ` a la fois non- s´ electif (il se nourrit indiff´ eremment sur toutes les ressources disponibles dans l’environnement) et sp´ ecialiste (sa performance est maximale sur une seule de ces ressources).
Enfin, il faut distinguer la strat´ egie trophique d´ efinie ` a l’´ echelle de l’in- dividu de celle d´ efinie ` a l’´ echelle de la population ou de l’esp` ece. En effet, une population consid´ er´ ee comme g´ en´ eraliste peut ˆ etre compos´ ee d’indivi- dus eux-mˆ emes sp´ ecialis´ es sur des ressources diff´ erentes (Roughgarden 1974, Bolnick et al. 2003). De la mˆ eme fa¸con, une population non-s´ elective peut ˆ
etre compos´ ee d’individus se nourrissant s´ electivement sur des ressources
diff´ erentes. Quand nous abordons ces diff´ erences trophiques entre individus
d’une mˆ eme population/esp` ece, nous ´ eviterons le terme de
sp´ ecialisation
inter-individuelle
(Bolnick et al. 2002, Svanb¨ ack & Persson 2004, Svanb¨ ack
1.2. R ´EPONSES ADAPTATIVES 13
ENVIRONNEMENT R É GIME ALIMENT A IRE
Abondance relative des ressourcesUtilisation des ressources(B) (A)
1 2 3 4 5 6
1 2 3 4 5 6
1 2 3 4 5 6