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H Ä I T I L'ENFER AU PARADIS

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L'ENFER AU PARADIS

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Yves SAINT-GÉRARD

H Ä I T I L'ENFER AU PARADIS

Mal Développement et Troubles de l'Identité Culturelle

Toulouse Eché Rue Délieux, 19

MCMLXXXIV

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du même auteur, Haïti, l'état de mal. Ed. Eché, 1984

OUVRAGES A PARAITRE L'Homme morcelé Haïti : L'espoir en captivité

Copyright «Rosée d'Haïti» et Eché Editeur. Toulouse, 1984 Tous droits de reproduction réservés.

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En hommage à Charlemagne Péralte, patriote et premier anti-impérialiste du conti- nent américain. Nous dédions cet essai à tous ceux qui aspirent à une Haïti démocra- tique. Qu'il leur soit permis de poursuivre cette lutte émancipatrice pour une société de liberté et de justice sociale.

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AVANT-PROPOS

La question culturelle en Haïti, périodiquement soulevée, n'a pourtant jamais été étudiée de manière globale. L. Denis et F. Duva- lier, qui se sont lancés dans l'étude des «civilisations négro-africaines et du problème haïtien» se demandent encore si «notre mentalité est africaine ou gallo-latine».

En 1951, l'UNESCO faisait allusion pour sa part à «l'expérience témoin d'Haïti». Plus tard, en 1963, J.-M. Salgado publiait «le culte africain du vodou et les baptisés en Haïti». P. Pompilus étudiait le

«vodou dans la littérature haïtienne» (1963) et A. Métraux «le vaudou haïtien». M. Marcelin (1950) publiait sa «mythologie du vaudou».

Les écrits sur cet aspect de notre culture ne manquent pas. Nous éviterons l'aspect fastidieux d'une véritable revue de la littérature, mais nous tenons à citer, pour mémoire les travaux de :

- J.-C. Dorsainvil, tels : «une explication philosophique du vo- dou» (1924), «vodou et névrose» (1931), «vodou et magie» (1937);

- A. Holly «Les démons du culte voudo», 1918 (1);

- J. Hergoz «L'expulsion des vaudoux», 1921;

- L. Bijou «Aspects psychiatriques du vodou haïtien», 1963;

- J. Kerboull «Le vaudou, magie ou religion», 1973;

- L. Mars «La crise de possession dans le vaudou», 1946; «La crise de possession dans le vaudou», 1972; «Psychopathologie du vaudou», 1948;

- L. Maximilien «Le vodou haïtien», 1945;

- L. Hurbon «Dieu dans le vodou haïtien», 1972;

- A. Aristide «Les croyances des masses haïtiennes», 1956;

- W. Apollon «Le vaudou, un espace pour les voies», 1976.

C. Planson fait parler un initié du vaudou dans cette «Ile magi- que» décrite par W. Seabrook.

M. Rigaud étudie «la tradition voudoo et le voudoo haïtien» et n'a pas manqué d'intriguer ses lecteurs, autant par la hardiesse de son ap-

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proche que par l'orthographe de son mot «voudoo».

Au demeurant, le vaudou est-il ou demeure-t-il une nécessité culturelle en Haïti? C'est cette question qui nous a incité à aborder la culture haïtienne, et nous a amené à relever et à analyser l'évidence de ce qu'il est convenu d'appeler «les ghettos de la dernière chance».

Car enfin, si «les préjugés, les lieux communs, les jugements de va- leur, le militantisme, les idéologies et les religions ont une valeur thé- rapeutique certaine», pourquoi ne pas aborder aussi, avec réserves certes, ces «nouveaux ghettos culturels»?

Que sont-ils? Pour parodier H. Laborit, nous dirons qu'ils four- nissent à l'Haïtien «désemparé un règlement de manœuvre qui lui évite de réfléchir, classe les informations qui l'atteignent dans un ca- dre préconçu; mieux encore, lorsque les informations n'entrent pas dans ce cadre, elles ne sont pas signifiantes pour lui; en quelque sorte, il ne les entend pas».

La notion de «ghettos de la dernière chance» peut subjectivement choquer le chauvinisme de nos compatriotes mais prise dans une ac- ception simple et large, elle peut refléter certains aspects phénoméno- logiques et neuropsychologiques de la stagnation propres à la Répu- blique d'Haïti.

Interpréter la culture haïtienne à travers des rapports de domination sera donc l'orientation de cet essai. Nous ne prétendons pas tout expli- quer mais les travaux de H. Laborit, de W. Reich, de B. Malinowski, de G. Roche, de S. Freud seront - entre autres - largement exploités.

On s'est largement adonné au jeu de la différence : celui de l'afri- canité, de la négritude, ou celui de la marginalisation des couches so- ciales défavorisées. Certains intellectuels honnêtes ont été victimes eux aussi de leur conscience, elle-même faussée, troublée par l'em- preinte du colonialisme : ce dernier opérait hier encore à visage dé- couvert; aujourd'hui, plus subtilement il manipule des concepts sup- posés scientifiques. G. Politzer (2) remarque combien «un rationalis- me» devient perméable à l'irrationalisme lorsqu'il se limite par l'idéalisme et qu'il aide celui-ci à s'établir, tout en alimentant, par ses étroitesses, le «procès de l'intelligence». Il nous rappelle ce que Des- cartes écrivait (Discours de la méthode, 6ème partie) : «Toutefois leur façon de philosopher est fort commode, pour ceux qui n'ont que des esprits fort médiocres, car l'obscurité des distinctions et des principes dont ils se servent est cause qu'ils peuvent parler de toutes choses aussi hardiment que s'ils les savaient, et soutenir tout ce qu'ils en di- sent contre les plus subtils et les plus habiles, sans qu'on ait moyen de

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les convaincre : en quoi ils me semblent pareils à un aveugle qui, pour se battre sans désavantage contre un qui voit, l'aurait fait venir dans le fond de quelque cave fort obscure». C'est à juste titre que F. Fanon nous dit (3) qu'il «y a une constellation de données, une série de pro- positions qui, lentement, sournoisement, à la faveur des écrits, des journaux, de l'éducation, des livres scolaires, des affiches, du ci- néma, de la radio, pénètrent un individu - en constituant la vision du monde de la collectivité à laquelle il appartient. Aux Antilles, cette vision du monde est blanche parce qu'aucune expression noire n'exis- te». Pour notre part, nous ne pensons pas que «l'expression haïtien- ne», à travers son ambivalence, ait pu métamorphoser cet «autre» qui nous hante. L'Occident convoité et l'Afrique perdue nous conduisent tout droit à ces ghettos culturels : ne faudrait-il pas laisser tomber nos

«masques blancs»? Mais la négritude, en définitive, n'est-elle autre qu'une image caricaturale de nos «masques blancs», maquillés par le rationalisme «vulgaire»? D'ailleurs, plusieurs anciens combattants de la négritude prônent maintenant le métissage aussi bien biologique que culturel. Or le racisme, ce refus général de la différence, ne s'est- il pas construit sur une «fabulation biologique qui doit lui servir de pièce justificative»? La réponse à ces questions n'apporte aucune so- lution aux problèmes d'Haïti. Toutefois, elle peut susciter un débat capable de faire éclore une pensée haïtienne nouvelle. L'actuel mode de pensée ne peut que maintenir le «statu quo». Aussi, comprendre le processus de marginalisation des «masses populaires» à travers les chansons, les danses, le vaudou, l'organisation de la famille ou autres

«spécificités» socio-culturelles est la tâche que nous nous assignons ici.

Le fait que la chanson haïtienne, d'une époque à l'autre, reflète certaines constantes nous a rendu attentif à ce répertoire : mythes, image ensorcellante de la femme, mécanismes d'interprétation di- vers, le choc des deux mondes socio-économiques... s'y retrouvent.

Source d'informations non négligeable, ce répertoire nous a offert un champ d'exploration socio-culturelle et nous nous en tenons aux prin- cipaux aspects de l'altération de l'identité culturelle en Haïti. La pré- sentation de la géographie humaine et physique d'Haïti permettra de cerner la phénoménologie du «mal développement», à l'origine de tant de dominantes socio-pathologiques.

Après avoir présenté la géographie et l'histoire d'Haïti, nous don- nons un panorama complet et détaillé de la culture haïtienne : ce que cache le dilemme Français/Créole (langue de prestige/langue inculte);

la littérature et les arts; le vaudou, cette religion nationale, véritable

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«potomitan» (force d'appui) de la culture haïtienne avec ses pratiques médicales traditionnelles et ses conséquences - Magie (Wanga) et Zombification...

Dans la seconde partie nous étudierons longuement la phénomé- nologie du mal développement à travers les modes de vie, les occupa- tions, les travaux, l'habitat, les coutumes alimentaires des popula- tions haïtiennes, dont l'écrasante majorité vit dans des conditions abominables. Enfin, avant d'aborder les perspectives culturelles, nous évoquerons quelques aspects de l'altération de l'identité cultu- relle en passant en revue les principaux éléments contradictoires d'un conditionnement socio-culturel aberrant (4).

Il faut aussi admettre que cet essai offre quelques limites, pour la plupart indépendantes de notre volonté. D'abord, nous nous sommes imposés une sorte d'auto-censure, en raison des aspects de la réalité haïtienne encore trop mal vécus par certains compatriotes. De plus, nous avons évité certaines interprétations abusives dans l'espoir qu'une expérimentation ultérieure viendrait nous apporter le complé- ment d'informations indispensables. Comme le disait Claude Bernard : «Quand le fait qu'on rencontre ne s'accorde pas avec une théorie régnante, il faut accepter le fait et abandonner la théorie». Or, Haïti, perle des Antilles, pays du chant et de la danse, pour les minorités pri- viligiées un paradis sur terre, est aussi un exemple tristement classi- que de «mal développement» et un véritable enfer pour la grande ma- jorité de sa population qui vit dans des conditions d'extrême misère et endure des souffrances autant physiques que psychiques.

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NOTES

1. L'orthographe de vodou, vaudou, voudoo, varie selon les auteurs.

2. G. Politzer, Ecrits I La philosophie et les mythes, éd. Sociales, 1969.

3. F. Fanon, Peau noire, masques blancs, éd. Seuil, 1975.

4. Environ un cinquième de la population de Haïti est aujourd'hui en exil éco- nomique ou politique. Cette poussée migratoire est la conséquence de l'existence d'un pouvoir dictatorial; ainsi l'opposition utilise-t-elle souvent le mot diaspora, pour désigner la communauté haïtienne de l'étranger. Et c'est aussi ce mot que nous utiliserons pour parler de ces Haïtiens établis hors de l'île.

Par ailleurs, nous signalons que les mots créoles ne prenant pratiquement pas la marque du pluriel, nous les laisserons le plus souvent invariables.

Enfin les notions abordées dans Haïti : l'Etat de Mal (les dominantes pathologi- ques et le SIDA) ne seront pas reprises. Toutefois, il ne nous sera pas possible d'éviter quelques répétitions, surtout lorsqu'il s'agit pour nous de décrire et d'étu- dier les principaux aspects de la mentalité haïtienne.

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INTRODUCTION

«J'ai réinventé le passé pour voir la beauté de l'avenir».

Aragon

A la suite de la commotion politique de 1956, le général P.E. Ma- gloire fut renversé du pouvoir. Parti en exil en décembre 1956, le pré- sident déchu laissa le pays en pleine crise économique et politique : les gouvernements provisoires - non moins de cinq jusqu'à la masca- rade électorale de septembre 1957 - ne purent maîtriser la situation politique qui faisait naître en Haïti un espoir de renouveau. Le prési- dent élu F. Duvalier, ancien médecin de campagne, avait axé tout son programme sur une hypothétique émancipation de l'arrière-pays. Cepen- dant, le «grand obstacle au bonheur, c est de s'attendre à un trop grand bonheur» (Fontenelle) et la «révolution duvaliériste» n'a cessé depuis de dévorer ses propres fils, ouvrant ainsi la voie à un régime totalitaire fort répressif. Dès lors, l'attitude rocambolesque de la classe politique traditionnelle et la tragi-comédie vont inspirer les journalistes et les écrivains.

Il sera souvent question des «Comédiens» pour parler de papa-dok et de ses tonton makout dans cette «République du cauchemar» que fuient les boat people pour «de si jolies plages», en Floride, où ces misérables sont très mal accueillis par les autorités américaines.

La situation socio-économique et politique de la république d'Haïti, cette «Mère-Solitude», se détériore de plus en plus malgré la présence de «trente ans de pouvoir noir» (1946-1976).

La revalorisation des aspects magiques du vaudou par le pouvoir duvaliériste donne une ampleur sans précédent au processus de la zombification et fait parler à tort de «la république des morts vivants».

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En revanche, dans ce pays en état de catastrophe, le peuple re- cherche sa propre voie d'émancipation qui lui permettrait de «Briser les chaînes» car, de «1804 à nos jours», le pays a perdu son Indépen- dance nationale.

Décembre 1492 mettait un terme à la communauté indienne primi- tive haïtienne déjà perturbée par la virulence des luttes tribales. Les

«civilisateurs» devinrent très vite les artisans d'un génocide déguisé;

en effet, dissocier l' «Homme» de l'esclave dans la peau des indiens n'était pas compatible avec leurs appétits féroces. La sauvegarde de ces esclaves indiens écrasés par le poids de la servitude était à l'ori- gine des élans pseudo-philanthropiques du Père Las Casas qui propo- sait leur remplacement par des noirs enlevés d'Afrique. Les aberra- tions du système esclavagiste pousseront de nombreux esclaves noirs à fuir les plantations. Ce phénomène connu sous le nom de marron- nage, résistance d'abord passive, leur imposera bien vite des descen- tes nocturnes pour se ravitailler. Les combats qui découlaient d'une élémentaire auto-défense pour s'assurer la survie n'ont rien de com- mun avec la guerilla, forme de lutte armée sectorielle, coordonnée ou non (1). L'extension du marronnage transformera progressivement cette résistance passive individuelle en un mouvement de masse pre- nant l'allure d'une résistance active de type foquiste dont la finalité primitive fut la conservation de l'individu. Ceci n'enlève en rien la valeur historique à ce phénomène qui allait secondairement jouer un rôle politico-militaire très important dans la guerre de l'indépen- dance. Toutefois, ils serait erroné de considérer la poussée migratoire actuelle de ces vingt-sept dernières années comme la réédition du marronnage, car, le phénomène «boat people» (2) compris, cette mi- gration conduit à une déstructuration profonde du pays. La classe diri- geante actuelle ne l'a jamais ignoré et le slogan des années soixante -

«Je n'ai d'ennemis que ceux de la Nation» - explique les hésitations de l'opposition. De plus, nos compatriotes de la diaspora - le cin- quième de la population - troublés par la dure réalité quotidienne, vont réagir différemment face à la question du retour. Certains font du tourisme dans leur propre pays mais loin du regard angoissant de leurs compatriotes des bidonvilles. D'autres, refusant la vérité de la mi- sère, prétendent rompre définitivement avec la mère-patrie. Enfin, les derniers, progressistes et patriotes, se trouvent souvent neutralisés dans leurs actions par les idéalistes et les politiciens ambitieux.

Le 18 mai 1803, à L'Archaaie (3), les généraux de la guerre de l'Indépendance «ôtant le blanc du tricolore français», rapprochèrent

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le bleu du rouge pour symboliser «l'union des affranchis et des an- ciens esclaves». Pourtant, dès le lendemain de l'Indépendance, ce bi- colore devint le support d'un mythe racial; les caractériels de la classe politique traditionnelle changèrent périodiquement le bleu par le noir.

Durant ces années, une lutte sans merci entre partisans de la couleur

«raciale» et partisans de la «fidélité à l'histoire», donnera deux dra- peaux à Haïti : l'un noir et rouge, emblème des forces armées; l'autre bleu et rouge, emblème de la nation. Progressivement, l' «homme- drapeau» (4) imposait au peuple «son» drapeau et un serment de fidé- lité répété chaque matin sur les ondes et dans la cour de récréation des écoles. Secondairement, les passeports eurent comme couverture le symbole noir et rouge qui, les jours de fête, pavoisait aussi bien les édifices que les moyens de locomotion et les brouettes (bourèt).

Le duvaliérisme a su exploiter les mythes qui piègent notre his- toire afin de créer une fausse conscience de réelle condition. Au mo- ment de la rupture, un choix s'imposera entre décantation de la culture et renforcement de ces mythes, si l'on désire mettre enfin un terme à la résurgence permanente du passé colonial.

Loin des dogmes et des fantasmes, l'accentuation de la politique du pire appliquée par le pouvoir en place depuis plus d'un quart de siècle engage tout un chacun et l'apolitisme est lourd de conséquen- ces pour le pays. Si certains revivent béatement et inlassablement le bon vieux temps, d'autres bâtissent un monde utopique de châteaux de cartes, d'autres encore se réfugient dans d'artificielles nostalgies.

Le bon vieux temps le plus reculé correspondrait à la communauté primitive où tout était simple parce que mystères et miracles rendaient aisée la compréhension des phénomènes de la nature... Mais, en 1984, peut-on encore fuir la réalité en revivant dans la nostalgie le bon vieux temps? La science a marqué le pas; l'homme, dans plu- sieurs domaines, maîtrise la nature. L'esprit scientifique et les vieil- les croyances se font encore «pacifiquement la guerre» au point que, aujourd'hui, personne (sinon quelques paysans des sociétés féodalo- coloniales) n'attend plus la mane du ciel. Ceci pourtant n'autorise nullement une «guerre religieuse» entre les partisans des doctrines politiques et ceux des doctrines religieuses car la foi en soi ne consti- tue pas un obstacle à la mobilisation politique des chrétiens honnêtes.

L'approche mécaniste de notre réalité nous conduit à une concep- tion intolérante. Par fanatisme, on voit condamnée toute appartenance à une classe sociale «privilégiée», sans qu'il soit tenu compte de la réa- lité objective. On oublie que certains peuples, à un moment donné de

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leur histoire, ont su intégrer des féodaux patriotes et des bourgeois na- tionalistes alors qu'ouvriers et paysans, inhibés par leur conscience fausse, se sont retrouvés aux côtés des forces anti-populaires.

L'armée est la conservatrice du statu quo. Elle est composée de sol- dats issus en majorité des classes sociales défavorisées. Malgré la persis- tance, dans ses rangs, de courants politiques divers, elle n'a pas hésité à massacrer les peuples. Rappelez-vous : le Chili de Pinochet, l'Argentine de Videla, Cuba sous Batista, Haïti et Duvalier, la République domini- caine de Trujillot, le Viet-nam de Thiu, le Nicaragua de Somoza... Ceux qui mourraient en Indochine pour la France ou les Etats-Unis d'Améri- que l'ont-ils fait d'un commun accord avec les opprimés indochinois qu'ils massacraient ou simplement pour sauvegarder les intérêts d'une bourgeoisie internationale qui n'avait avec eux rien de commun?

Au nom de quelle culture populaire doit-on astreindre, de manière dogmatique, les intellectuels à l'empirisme et au populisme, à la base des mythes dont se nourrit l'obscurantisme avant d'enfanter le fascisme?

Doit-on réduire l'anti-conformisme à un conformisme de type nouveau où les «sentiments bourgeois», les «sports bourgeois»...

sont combattus de manière empirique et grotesque sans tenir compte de la fausse conscience des masses populaires, état d'esprit diffus différent de l'idéologie?

Faut-il poursuivre cette vie d'illusions où la minorité, aujourd'hui de droite et demain de gauche, impose à une majorité silencieuse ré- calcitrante sa vision simpliste, de nos jours bourgeoise et réaction- naire, plus tard révolutionnaire et dogmatique? Le peuple haïtien sera-t-il toujours disposé à supporter les dures conditions infrahumai- nes qu'un noyau de bureaucrates lui impose depuis bientôt deux siè- cles au profit d'une bourgeoisie décadente? Sera-t-il encore disposé, après satisfaction de ses besoins primaires, à supporter les sacrifices et devoirs qu'au nom du prolétariat lui imposeront ceux qui, pourtant honnêtes, agissent sans appel pour cette majorité supposée oublieuse de ses désirs individuels au profit de ceux de la communauté?

L'expérience nous a appris que seuls le réalisme et la lucidité peu- vent éviter ces faux pas irréversibles. Le dogmatisme et le fascisme, toutes proportions gardées, sont les revers de l'incapacité de la classe politique à aborder et résoudre convenablement les principaux problè- mes économico-politiques posés par la société.

Quant aux fantasmes de quelques idéologues, ils permettent d'inté- grer un futur lointain dans un présent immédiat où les damnés de la terre ne se retrouvent pas selon leur niveau de conscience et leurs instincts.

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Craignant le démon communiste, ils sont prêts à rentrer dans les rangs, à vivre d'espoir tout en crevant dans la misère que les «libé- raux» leur imposent au nom de la civilisation. Cerner une telle réalité passe par l'éveil de la conscience nationale et populaire, expression d'un travail politique patient et assidu dans tous les domaines.

Bien souvent, on n'accorde que peu d'intérêt aux phénomènes culturels que l'on croit toujours figés dans les structures socio- économiques qui les induisent. Ainsi voit-on négliger l'évolution se- condaire de la culture qui peut elle-même favoriser une mentalité ré- trograde propre à bloquer le système économique et politique. Alors, que peut donc cacher ce mot culture?

L'usage courant fait de la culture un ensemble englobant aussi bien les œuvres culturelles que «les normes, valeurs et modèles cultu- rels propres à une société ou à une époque», et «l'assimilation person- nelle des œuvres de l'esprit». D'un point de vue ethnologique, cer- tains y voient «un ensemble complexe qui regroupe les croyances, les mœurs, les normes d'une société donnée». Il s'agit, selon G. Rocher, de cet ensemble «lié de manières de penser (5), de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent d'une manière à la fois objective et sym bolique, à constituer ces personnes en une collectivité particu- lière et distincte». La culture est mouvance et, dans sa dynamique, elle n'échappe pas aux «déterminismes économiques, sociaux, politi- ques et idéologiques». La culture haïtienne n'a de singulier que le fait d'être bloquée, incapable, depuis bientôt deux siècles d'être le moyen devant permettre à l'Haïtien de parvenir à ses fins, c'est-à-dire à une véritable émancipation, à la dignité humaine. Cette culture, à travers les traditions et les institutions s'est révélée inapte à assumer les be- soins élémentaires de ces millions d'hommes qui croupissent dans les taudis sordides à la porte des grandes villes. Pourtant ce peuple, dit- on, chante et danse dans un pays où l'article 405 du code pénal (1953) considère les danses comme des sortilèges et les punit d'amendes et d'emprisonnement. Ce code pénal, qui accuse les danses d'entretenir dans les populations l'esprit de fétichisme et de superstition, semble ignorer que notre patrimoine folklorique est issu du vaudou.

Le Vaudou est une croyance populaire haïtienne qui a doté la culture d'un riche patrimoine folklorique, notamment par ses rythmes, danses et symboles. La grande cérémonie du Bois Caïman (6), en 1791, catalysa les énergies des esclaves qui jurèrent de mettre fin au système esclavagiste. De nos jours encore, on voudrait la reproduire

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parce qu'on pense qu'elle pourrait jouer un rôle moteur important. La religion vaudou, largement dominée par la tradition magique, inféo- dée au pouvoir, reste un facteur primordial de la stagnation du pays et de son immobilisme politique. Elle est, en effet, le creuset de la pen- sée naïve et elle enferme l'Haïtien dans un fatalisme invraisemblable (que l'on prend d'ailleurs pour de la résignation). Cette particularité psychologique rend difficile la rupture; actuellement, les privilégiés haïtiens, comme les colons de 1789, «dorment sur les bords du Vésu- ve». Et pourtant, on «chante et danse», encore dans ce «baril de pou- dre que la moindre étincelle fera sauter».

Conscients de tous ces problèmes, nous tentons cet essai qui s'in- tègre - modeste participation - à l'œuvre gigantesque qui attend les Haïtiens. Le temps est passé où les seuls mythes pouvaient s'expri- mer. En effet, il ne reste pour le pays que deux solutions :

- disparaître sous le poids des minorités favorisées qui condam- nent notre peuple à des conditions d'existence infrahumaines

- renaître en rompant avec les mythes et ces traditions qui perpé- tuent le ghetto du «Mal Développement» depuis bientôt deux siècles.

Loin de toute idée d'arrière-garde, nous nous contentons de préve- nir les «exclusivistes» qui proposent des solutions unilatérales. Tout est soumis à la prise du pouvoir par une nouvelle équipe politique : prise du pouvoir comment? Pour qui? Pour quoi? Questions naïves

peut-être, mais qui répondra?

Pour certains, prendre le pouvoir se résume à susciter un mouve- ment armé ou réussir un coup d'Etat; pour d'autres, il naîtra de la consultation populaire. On retouve là l'explication de nombreux mou- vements éphémères et de candidats providentiels spontanés pour les- quels aucune perspective électorale n'existe puisque nous vivons sous une dynastie, dans une république où l'on refuse de poser le problème essentiel de l'alternance. Bien que le bruit des armes semble la seule issue, il ne constitue pas une solution en soi; la question primordiale est celle de la rupture tant politique, qu'économique et sociale. Pour- tant, le système économico-politique haïtien, très fissuré, présente un tel état de crise que si aucune renaissance ne se dessine rapidement, la nation est condamnée dans un avenir proche à disparaître du globe.

Aussi convions-nous tous ceux qui se sentent encore concernés à ne négliger aucun effort de réflexion en vue de l'instauration d'une nou- velle pensée : celle-ci devrait permettre non seulement la rupture du système, mais, surtout, l'émancipation de l'Haïtien, en dehors de toute frustration ou assistance.

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NOTES

1. Guerilla : C'est le nom actuel donné à deux types de lutte armée se manifes- tant par des actions intermittentes de groupes armés.

Quand on fait allusion aux groupes armés mobiles, agissant de manière coordonnée dans le but de créer une prise de conscience populaire, on parle de guerre populaire.

Non coordonnée, cette guerilla correspond à une prolifération de foyers de lutte dans le but de susciter une spontanéité «révolutionnaire». C'est alors le foquisme.

2. Boat-people : non donné à ceux qui fuient le pays sur de frêles embarcations.

Ce phénomène touche à l'heure actuelle plusieurs populations.

3. Archaaie : petite plaine côtière non loin de la capitale.

4. «Je suis le drapeau haïtien un et indivisible» disait le président F. Duva- lier, qui jouait énormément sur la couleur de l'épiderme pour s'allier les gens de couleur.

5. G. Rocher, L'action sociale, éd. HMH, Ltée, 1968, p. 111.

6. Bois Caïman : lieu historique situé dans la région montagneuse de la plaine du Nord.

En août 1791, Boukman, prêtre du vaudou, organisateur d'une révolte des es- claves, donna une cérémonie vaudou au Bois Caïman afin d'obtenir des esclaves le serment de fidélité à la lutte anti-esclavagiste.

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LE VISAGE

D'HAÏTI

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SA GÉOGRAPHIE HUMAINE ET PHYSIQUE Environnement et facteurs climatiques

A l'est de «Cuba libre», dans le bassin des Caraïbes, se trouve une île anciennement appelée Haïti (Ayiti) ou Quisquéya (Kiskéya) (1).

Deuxième grande Antille de l'Amérique centrale, cette île est divisée en deux républiques : la république Dominicaine ou Santo-Domingo et la république d'Haïti. La république d'Haïti, au climat tropical nuancé, occupe le tiers occidental de l'île et mesure 27.750 km2; ac- tuellement peuplée de cinq à six millions d'habitants, ruraux à 85 %, Haïti, après 178 ans «d'indépendance», est l'un des pays les plus dés- hérités du globe : la plupart des Haïtiens vivent dans des conditions abominables, sans aucune protection médico-sociale. Pays aux trois- quarts montagneux, il est voué, comme les autres îles de la région, à des intempéries variables dans leur fréquence et dans leur intensité.

Son orientation est-ouest est prédominante pour les cyclones souvent dévastateurs pour le sud et une partie de l'ouest.

En Haïti, le territoire se répartit globalement ainsi : les plaines et les plateaux recouvrent 5800 km2; les îles adjacentes ont une superfi- cie totale de 950 km2; les montagnes occupent 21.000 km2 et leurs al- titudes s'échelonnent entre 200 mètres et 2000 mètres dans les pro- portions suivantes : 79 % des «mornes» (Mon) (2) sont supérieures à 200 mètres, 39 % des montagnes dépassent 500 mètres et 17 % sont de plus de 800 mètres. Habituellement, la terre des montagnes est ri- che en argile latérique alors que les plaines et les plateaux sont recou- verts d'une terre riche en calcium. La politique de déboisement anar- chique des montagnes déjà minées par l'eau souterraine s'est soldée par une érosion à l'origine de la baisse de notre production agricole et par un épuisement du stock de bois, source d'énergie fondamentale en Haïti où on l'utilise à la campagne pour la cuisson des aliments et en

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ville sous la forme de charbon de bois.

En Haïti, les régions sont très isolées les unes des autres : les moyens de communication sont en effet quasiment inexistants. Seule- ment 10 % des routes sont supposées praticables par tous les temps (si nous ne prenons pas en considération les paramètres de sécurité de ces trois mille kilomètres). Le système portuaire est inopérant et il n'existe pas de marine marchande apte à compenser l'inefficacité du réseau routier (alors que le pays possède trois mille kilomètres envi- ron de côtes).

Haïti est un pays subtropical bénéficiant comme les autres pays de la Caraïbe d'une température moyenne annuelle de 24° à 28°, dont l'amplitude thermique annuelle est de l'ordre de 4° alors que l'ampli- tude thermique diurne se situe entre 8° et 12°. On note une diminution de la température en altitude et pendant la saison pluvieuse. Cette baisse de température serait de 0°75 par cent mètres d'élévation au- dessus du niveau de la mer.

Haïti a une population très dense. Théoriquement, cette densité est d'environ 187 habitants au km2 mais, de par sa configuration aux trois quarts montagneuse, elle varie d'une région à l'autre au point d'atteindre quelquefois 600 habitants au km2.

A tout cela s'ajoute la présence d'un réseau audiovisuel morcelé et inapte à assurer la liaison entre quelques grandes villes et 1'«arrière pays». La présence de quelques stations de radiodiffusion évangéli- que véritablement puissantes permet aux sectes et aux religions de proliférer et de consolider leur influence sur les masses rurales très peu informées, maintenues dans leur situation aberrante au moyen d'un discours absurde, qui ritualise leur fatalisme au point d'en faire des «résignés».

Ressources naturelles

Devant cette misère qui sévit, les observateurs non avisés parlent vite de «pays pauvre». Pourtant, en 1492 déjà, les colons espagnols étaient frappés par sa richesse (ils y trouvèrent entre autres beaucoup d'or). De nos jours encore, Haïti a un sous-sol vraiment riche et, en 1975, des firmes comme la «Pennaroya» ou la «Kennecott» s'apprê- taient à faire «main basse» sur des gisements d'argent, de cuivre, d'or et de molybdène tandis que du côté de Pestel, dans le sud, on faisait allusion à un gisement de manganèse.

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Des concessions scandaleuses pleuvaient de toutes parts et on al- louait les 4/5 du sous-sol pétrolifère à la Wendel Phillips (comme l'indique le contrat qui la liait pour 38 ans à l'Etat Haïtien). D'après son discours du 12 octobre 1976, le président Duvalier a signé un au- tre accord d'exploitation avec l'agence gouvernementale vénézué- lienne «hydrocarburos y derivados». La Sedren, à Terre Neuve, ex- ploitait les mines de cuivre jusqu'au glissement de 1972, tandis que la Reynolds Mining s'occupe de la bauxite du sous-sol de la région de Jérémie, concession qui lui a été accordée pour plus de cinquante ans!

Cela au mépris de toute revalorisation réelle, malgré les luttes achar- nées d'un autre pays producteur, la Jamaïque. La Reynolds Mining n'offre que peu d'emplois (moins de trois cents), mais sa production annuelle atteint près de 730.000 tonnes. La presqu'île du sud, le plateau central et Maïssade sont très riches en lignite. Notre forêt, bien que très déboisée, offre encore des bois d'acajou et des bois de campêche.

Ces ressources naturelles, assez limitées certes, nous paraîssent nettement suffisantes pour permettre la mise en place d'activités éco- nomiques viables utilisant une main d'œuvre disponible : plus de 60 % de chômeurs. Le pays, dit-on, est pauvre parce que sa dette extérieure ne cesse de s'accroître, des poussées périodiques de famine s'abattent sur la population; le produit national brut augmente pendant que le revenu par habitant baisse et que de nombreuses petites entrepri- ses d'assemblage expatrient des millions de dollars à l'étranger.

Enfin, les eaux constituent des réservoirs naturels de richesse : il existerait plus de trois mille espèces de poissons en Haïti où l'on compte une trentaine de chutes d'eau et cascades aptes à produire de l'énergie électrique. De plus, on note la présence de sources chaudes dont la température des eaux se situe au delà de 35°. Ces eaux sont ri- ches en éléments minéraux et leurs vertus thérapeutiques sont loin d'être convenablement exploitées.

Le bilan de faillite de la classe politique traditionnelle est une lourde hypothèque qu'on ne saurait lever en rêvant ou en donnant un blanc-seing à ces hommes providentiels qui nous promettent «des len- demains qui chantent».

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NOTES

1. Ayiti, Quisquéya ou Bohïo sont les noms indiens d'origine.

2. Mornes (Mon) se dit couramment en Haïti et signifierait d'abord les «petites montagnes » - collines pour ainsi dire.

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LES ORIGINES DE LA POPULATION Les Indigènes : origine, caractéristiques et organisation A l'arrivée de Christophe Colomb, l'île d'Haïti était habitée par les Indiens dont la communauté primitive se désagrégeait progressi- vement. La situation de cette Quisqueya, devenue Hispaniola ou pe- tite Espagne, allait vite dégénérer : les conquistador s imposèrent aux Indiens un système esclavagiste qui se solda par le génocide de la po- pulation indigène. Ces indigènes étaient des Indiens, pour la plupart

«Taïnos» de culture «Arawak». Venus, au début de l'ère chrétienne, des côtes du Vénézuela, ils avaient conquis puis assimilé les Indiens d'origine, en majorité des «Ciboneys», qui peuplaient ces îles de la Caraïbe. D'autre part, vers la fin du XVème siècle, les Caraïbes, In- diens belliqueux, se seraient emparés de la partie est de l'île.

Cette population indigène ne portait aucun vêtement; seule les femmes mariées revêtaient un cache sexe ou une jupe de coton. A l'occasion de certaines cérémonies, les Indiens se barbouillaient le corps de peinture rouge d'origine végétale ou minérale et dessinaient des figures «géométriques» de couleur noire ou blanche.

Les taïnos, petits et trapus, de teint foncé, utilisaient souvent di- vers ornements, amulettes, colliers et bracelets de coquillages, d'or, de coton ou d'os qu'ils portaient aux chevilles, aux poignets, aux bras. Les amulettes de pierre taillée ou de terre cuite dont ils s'entou- raient le cou avaient pour but d'attirer le bon sort tout en protégeant des mauvais esprits. Cheveux noirs et longs, généralement bien pei- gnés, les Taïnos avaient une vision esthétique qui les portait à vouloir déformer la tête des enfants en y passant un bandeau. Ils vivaient dans des ajoupas ou cases faits de planchettes de bois de palme maintenues par des cordes avec une toiture de feuille ou de paille. Cependant, les privilégiés, surtout les responsables ou caciques, habitaient dans des

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maisons d'un style particulier appelées bohio. Ces Indiens organi- saient leur communauté surtout au voisinage des côtes ou à proximité des rivières. Les ajoupas s'agençaient autour des batteys, sorte de places centrales qui servaient aussi bien de marchés que de lieux pu- blics et où se déroulaient jeux et fêtes. Ces ajoupas abritaient un mo- bilier discret, souvent réduit à un hamac de fibres de coton. Quelques récipients culinaires en terre cuite, très artistiques, servaient pour les cé- rémonies religieuses ou funéraires. Chez les Bohios, on notait en plus un petit banc en bois ou en pierre taillée, le dujo, utilisé par les caciques et les notoriétés pour les cérémonies ou les fêtes qu'ils organisaient.

Aucun indice ne laisse supposer d'édifices en pierre. Ces indigè- nes, hormis la défense habile et courageuse de leur terre, de leur li- berté ou de leur famille, n'avaient aucune coutume guerrière. Leurs principales armes étaient l'arc et la flèche, le bâton de bois et la hache de pierre. Avant l'arrivée de Christophe Colomb en 1492, ces indigè- nes n'avaient à se battre que contre les Caraïbes qui séquestraient les femmes et les enfants et sacrifiaient les hommes capturés au combat au cours de cérémonies magico-religieuses. Manger ces victimes était pratique courante dans de telles cérémonies puisque les Caraïbes comptaient aussi s'approprier les qualités de leurs victimes. C'est à la nature belliqueuse des Caraïbes qui reçurent Christophe Colomb avec une pluie de flèches que l' île doit son nom de «Golfe des flèches». La région géographique correspondant aux descendants des Caraïbes est celle de Samana et du Nord-Est.

A leur arrivée, les Espagnols imposèrent aux indigènes, sans bien sûr tenir compte de leur ethnie, un système esclavagiste. Mais dès 1494, Caonabo, cacique de la sierra du sud, se lançait dans une lutte acharnée contre les occupants qui, en 1496, fondèrent la ville de Santo Domingo. D'autres caciques (comme Guarionex, dans le Ma- nagua) étendirent les foyers de résistance alors que l'Espagne, en 1502, confiait au gouverneur Frey Nicolas de Ovando la triste mis- sion de pacifier l'île : guerre et travaux forcés aboutirent au génocide.

Vers la deuxième partie du XVIème siècle, la population indigène est décimée, ou d'un nombre insignifiant. C'est alors que le père Fray Bartolomé de las Casas, sous le fallacieux prétexte de sauvegarder les Indiens, préconisa l'esclavage en demandant la traite des Noirs : «phi- lanthropie» de myopes qui, on le sait, sous couvert «d'impératifs éco- nomiques» inhumains, refuse à l'esclave, indépendamment de toute autre considération de race, la dignité même d'homme.

Quisqueya était une île très riche, aux terres fertiles et regorgeant

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d'or; les Indiens se servaient de cet or pour réaliser de fins ornements.

Ils travaillaient aussi la pierre, l'os et le bois. Ils chassaient munis d'arcs et de flèches ou bien utilisaient des pièges. La pêche et la chasse restaient l'affaire des hommes alors que les femmes s'occu- paient d'une agriculture rudimentaire. Primitivement, ces activités in- diennes avaient pour but primordial la satisfaction des besoins ali- mentaires de la population. Leurs principales cultures étaient le ma- nioc amer, le tabac, le coton et le maïs, ajoutés aux fruits tels que la banane, la goyave (gouyav), l'ananas, la caïmite et le corossol (1).

Les plantations situées dans les zones d'habitation étaient cultivées par les femmes et les enfants. A la récolte, par exemple, on utilisait la racine de manioc une fois débarassée de son jus vénéneux pour faire la cassave ou le pain de manioc (pan' nistik) qui constituaient l'élé- ment principal de la diététique communautaire. Le tabac entrait dans la fabrication des cigares et de la poudre qu'on chiquait pendant les cérémonies.

Les Taïnos croyaient en des êtres supérieurs qu'ils pensaient im- mortels et habitant les cieux : les Tureys. On exposait leurs statuettes dans des temples de culte. Entre les «dieux» et les hommes, il existait des êtres intermédiaires, esprits protecteurs auxquels on destinait des cérémonies connues sous le nom de Cemies et que l'on représentait par des statuettes de boue ou de pierre taillée.

Leur croyance religieuse s'est toujours manifestée à travers cha- que aspect de la vie; ils s'adonnaient ainsi à de très nombreuses prati- ques superstitieuses au point d'en imprégner lourdement leurs coutu- mes et leurs activités quotidiennes. Les Indiens trouvaient une expli- cation mystique ou magique à tous les phénomènes naturels. Au cours de leurs cérémonies, ils accordaient un rôle primordial à la consom- mation de la poudre de tabac et à l'utilisation de certaines plantes. Ils prisaient ces poussières végétales pour arriver à un état hallucinatoire propice à des visions prémonitoires. Ils ne considéraient pas la mort comme la fin de la vie et enterraient les morts avec leurs objets per- sonnels et des provisions pour la «vie dans l'au-delà».

Les Taïnos célébraient en communauté, dans un battey ou sur la place centrale de leur village, une manifestation complexe à la fois culturelle et religieuse : l'Areito, sorte de bal dramatique que diri- geait le cacique. Une telle manifestation permettait la transmission di- dactique des traditions et coutumes pendant qu'hommes, femmes et enfants, respectivement groupés, chantaient et dansaient aux rythmes des tambours, des maracas... mêlés aux mélodies des flûtes.

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A ces manifestations culturelles et religieuses, teintées de rites magiques, s'ajoutaient les activités sportives dont la principale était le jeu de la pelote : habituellement, les gens d'un même village, re- groupés en deux équipes de vingt à trente Indiens, s'efforcent de maintenir en l'air la boule de résine une fois lancée. L'intervention de la main n'étant pas autorisée, chaque fois qu'un joueur la laissera tomber, il fera perdre un point à son équipe.

L'organisation socio-politique des Taïnos paraissait s'articuler autour de trois groupes sociaux :

Les couches privilégiées constituées par les caciques, des nobles et des patriarches, formaient avec leurs serviteurs deux groupes mino- ritaires par rapport au peuple. Ces privilégiés ou Nitaïnos possédaient une situation socio-économique telle qu'ils pouvaient entretenir plu- sieurs foyers. Les caciques avaient la responsabilité de l'organisation politique, sociale et économique de leur région ou caciquat. Ils exer- çaient un pouvoir absolu et contactaient les autres Nitaïnos qui ser- vaient d'intermédiaire entre les caciques et le peuple. Le pouvoir semble être héréditaire et transmis dans la lignée maternelle, ainsi, parfois, on a vu certaines femmes assumer la responsabilité d'un caci- quat. Dans la Quisqueya, on comptait cinq caciquats ou petits royau- mes gouvernés chacun par un cacique qu'assistaient, au niveau de la région, des sous-caciques.

étaient originaires, selon plusieurs historiens, des tribus d'origine, les Ciboneys qu'avaient vaincu les Taïnos.

, il était constitué de divers groupes qui surve- naient eux-mêmes à leurs besoins, grâce aux activités agricoles des femmes et des enfants, à la chasse et à la pêche et enfin à l'artisanat.

Il faut aussi ajouter les guérisseurs qui se recrutaient parmi les prin- cipaux personnages du village, les Nitaïnos, pour qui les obligations religieuses et l'utilisation médicinale des plantes représentaient un vé- ritable sacerdoce. Ils jouissaient d'une position sociale confortable.

Ainsi vivait la population indigène de l'île d'Haïti au moment de l'arrivée des Espagnols en décembre 1492. Par la suite, l'île sera la proie des puissances européennes qui y déploieront une concurrence acharnée pendant que des aventuriers, les flibustiers, y tenteront leur chance. Quant aux Indiens décimés, ils seront vite remplacés par des

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esclaves noirs que la traite, dès 1517, fournit aux colons. Clans et na- tions s'y affrontant sans cesse, l'Espagne ne pouvait garder à elle seule Hispaniola et décida, par le traité de Ryswick de 1697, de concéder à la France le tiers occidental de l'île. Partie gagnée mais non sans peine pour les Français qui donnèrent à leur nouvelle colonie le nom de Saint-Domingue.

Colons et esclaves noirs

Les premiers colons espagnols, après avoir dépossédé les indigè- nes, les réduisirent à l'esclavage en vue d'exploiter notamment les importantes mines d'or d'Hispaniola; la petite histoire rapporte que les visiteurs, en échange de leur pillage, avait fait don à la population indigène des épidémies de variole.

Par la suite, des Noirs furent enlevés d'Afrique avec la complicité des responsables locaux, rémunérés en nature par les négriers. A leur arrivée dans l'île, les mines étant épuisées, ils furent surtout utilisés comme esclaves agricoles. Ils venaient pour la plupart de la région du Golfe de Guinée et la diversité des ethnies constituait un «melting pc dont les dominantes étaient béninoises et guinéennes.

C'est dans cette Hispaniola en pleine mutation que les flibustiers (2) français se lancèrent à l'aventure : ils prirent comme repère l'île de la Tortue et de là, appuyés par les puissances européennes en quête de nouvelles colonies, harcelèrent les Espagnols. Les boucaniers fran- çais de la petite île de la Tortue, bien située par rapport à Cuba où transitaient les marchandises espagnoles - s'installèrent sur la terre d'Hispaniola. Menant leurs activités agricoles sur cette partie occi- dentale, ces boucaniers ont donné à la France le prétexte à l'occupa- tion en acculant l'Espagne au traité de Ryswick qui leur concédait of- ficiellement la partie occidentale de l'île, Saint-Domingue (1697).

Les Français en difficulté, «engagés» dans la colonie pour une cer- taine période au profit des propriétaires, s'établirent secondairement à leur propre compte; des filles «de petite vertu» furent transplantées dans cette nouvelle colonie.

L'étau administratif ne tarda pas à faire du Cap la capitale de Saint-Domingue et à y créer un port. Les «engagés» et les fonction- naires coloniaux prirent en charge l'administration coloniale avec les esclaves noirs. L'économie de Saint-Domingue ne cessait de prospé- rer grâce à la mise en valeur des plantations, favorisant un commerce

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florissant avec l'Europe. Les principaux produits proposés sur le mar- ché européen étaient le cuir, le tabac, le coton, l'indigo et les épices.

Vers 1700, l'industrie sucrière commence à s'affirmer grâce à l'intro- duction par les Espagnols de la culture de la canne à sucre. Deux pô- les d'activité économique intéressants s'offraient aux colons : le sucre et les produits de distillerie (gildiv) comme le tafia (clairin ou rhum blanc). D'autre part, Saint-Domingue se couvrit de plantations de café. R. Lacombe (3) rapporte qu'en 1789, on comptait dans la colo- nie 793 sucreries, 2950 indigoteries, 789 cotoneries et 3117 cafète- ries. A l'aube de 1789, trois grands groupes sociaux déterminaient le profil des classes sociales de Saint-Domingue. Les Blancs, les Affran- chis et Noirs dira-t-on pour englober grossièrement la problématique socio-économique à travers la question de couleur, cet arbre qui cache la forêt.

Il y avait des Blancs grands planteurs, des Blancs «engagés» de- venus petits planteurs et les Blancs fonctionnaires qui n'avaient de commun avec les premiers que la couleur de leur épiderme; tout comme il y avait des Noirs affranchis et des Noirs esclaves (soit do- mestiques, soit travailleurs agricoles). Chaque classe sociale va pren- dre une direction différente et la présence de castes au sein de ces classes va compliquer encore le problème haïtien. La classe des af- franchis regroupait par exemple des affranchis mulâtres nés libres d'un colon et d'une négresse, des affranchis noirs qui avaient reçu leur liberté comme cadeau de leur maître ou qui l'avaient acheté - ce qui suppose des économies réalisées à force d'exercer des tâches su- balternes mais lucratives et réservées à une minorité d'entr'eux.

Débarqués à Saint-Domingue au rythme annuel de vingt à trente mille, les esclaves étaient estimés à 452.000 environ. Mis à part le

«nègre marron» (4) qui représente une réalité historique bien particu- lière, idéologiquement, le groupe des esclaves se scindait au fil des temps : ceux qui naissaient à Saint-Domingue par exemple, appe- laient nèg bosal (sauvages) ceux qui venaient d'Afrique.

La classe des Blancs avait aussi ses dénominations péjoratives puisque les petits planteurs s'appelaient blan-man'nan ou blan-poban, ce qui signifiait «pseudo-blanc» ou «batard de la race blanche».

Par ailleurs, on comptait quarante mille blancs fonctionnaires, soldats ou artisans et quarante mille affranchis. A cette époque déjà les observateurs pensaient que Saint-Domingue était au bord de l'ex- plosion sociale et les colons assis sur les bords d'un volcan.

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HAÏTI, perle des Antilles, pays du chant et de la danse, pour beaucoup un paradis sur terre, est aussi un exemple tristement classique de «mal développement» et un véritable enfer pour la grande majorité de sa population qui vit dans des conditions d'extrême misère et endure des souffrances à la fois physiques et psychiques.

Après quelques chapitres consacrés à la géographie et à l'histoire, Yves Saint-Gérard nous donne un panorama complet et détaillé de la culture haïtienne dans tous ses aspects, y compris le vaudou et le phénomène zombi.

Ayant analysé ensuite l'état politique, économique et social d'Haïti, les modes de vie, les occupations, les travaux, l'ha- bitat, les coutumes alimentaires des populations haïtiennes dont une énorme majorité vit dans des conditions abomi- nables, l'auteur étudie longuement les principaux problè- mes du mal développement et des troubles de l'identité culturelle en Haïti.

Le docteur Saint-Gérard ne se contente pas de faire un bilan : il propose des solutions qui devraient permettre de remédier à ces problèmes et de favoriser, leur identité culturelle retrouvée, l'émancipation et l'épanouissement des Haïtiens.

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