M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
E. C OUMET
Logique, mathématiques, et langage dans l’œuvre de G. Boole - II
Mathématiques et sciences humaines, tome 16 (1966), p. 1-14
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LOGIQUE, MATHEMATIQUES, ET LANGAGE
DANS L’OEUVRE DE G. BOOLE- II E. CO UMET
Boole avait
rédigé
enquelques
semaines The Mathema,ti calAna,1 sis of.J:£.giEJJ1.
Ce n’est
qu’après plusieurs années
de lecturesétendues
et deréflexionr; qu’il
publia
en1854,
AnInvestigation
c,f the Laws ofThoueht
on which axe Founded theMathematical Theories
ofLogic
and Probabilities(2). Dans
la secondepartie
decet ouvrage, dont nous n’allons pas
parler ici,
Booleenvisage d’une manière très originale
le calcul desprobabilités auquel
il consacra par ailleurs de nombreux articles: il montra que la doctrinegénérale
et laméthode qu’il
avait introdui- tes enLogique
servent de fondement à unethéorie
et à uneméthode correspondante
dans le domaine des
Probabilités. Quant
ausystème
des loi.slogiques
fondamen-tales,
donttraite
lapremière partie,
il reste pour l’essentiel cequ’il était
dans
l’exposé
de1847;
mais il vaapparaître
sous un nouveléclairage:
lesmé-
thodes en seront
présentées d’emblée
dans toute leurgénéralité,
lesapplications
en seront
plus étendues; et,
cesystème
va trouver jcison véritable
fon- dement: dans les loi.s mêmes de lapensée
dont il seramontré
par ailleursqu’il
est
l’expression
laplus adéqu,ate possible.
N’y a-t-il
en tout cela quegloses superflues?
I1 ne nous semble pas(3).
Boole a tout de
même abordé
defror.t,
cef ai.sant,
desdifficultés qui
pour avoir ététues,
ou êtremême restées inaperçues
dans sonpremier n’y étaient
paae; moins
présentes.
Il a,essayé
de rendrecompte
aussi lucidement quepossible
du succès de son
entieprise;,et
de cequ’elle impliquait phi
Sansdoute un
créateur
n’est-il pas nécessairement à mêmed’analyser
les conditionsvérita,bles
de son invention. Maislorsqu’est
en cause l’institution d’une nouvellediscipline seientifique,
il ne se que l’actecréateur
soit entièrement aveu-gle
sur cequai.
motiva cetteinstauration,
et en fit une instauration ra-tionnelle.
Il ne sepeut,
y dar’s le cas deBoole, qu’il
n’ait rien, à nous appren-dre,
par cequ’il
ncus en dit ludmême,
sur lesrapports
nouveauxqu’il
ne ua en-tre
Logique
yMathéme..t.iqnes,
etLangage.
Aussi nous à
sujet,
tout enesquissant
lesgrandes lignes
de 1 améthode logique générale
dorit nous n’avonsanalysé
dansque
la genèse
un peu tâtonnante. Nosinterrogations
s’inscriront
cependant
dans uneperspective
biendéterminée.
Pourréussir,
Boole(1 )
Qu.e nous dés!gnons Ici en abrégé p3r: 1-1.A.L.(2)
En abrégé: L.T.(3)
’ ûon t ra 1 rein g n t à i’opinian de et . ’.(neala, iheDéve io#zen t
ofLogic,
Oxford, Clarendon Press, 1961.i., p. n:)6.devait rompre avec la
logique traditionnelle,
y mais resterpourtant
assezproche
d’ e lle . pour en. rendrecompte
demanière
satisfaisante. Il devaitpoursuivre
aussi que
possible
leparallèle
desméthodes algébriques
et desméthodes logiques,
mais savoirreconnaître
lespoints
où se ma-nifestaitl’originalité
del’univers
logique. Bref ,
il lui fallaitjouer
trèsserré
lejeu
desanalogies.
C’est ce
jeu
trèscomplexe,
où Boole neréussit qu’à demi,
dont nous allons ten-ter de
démêler
lespéripéties principales.
A
Ces
analogies
ne sont pas conduites au hasard. Nous avonsdéjà
entendu Boolese
référer
à une "doctrinegénérale
dessymboles".
Dans The Laws ofTho
ilaccuse encore
davantage l’importance
de cettedoctrine,
en tantqu’elle assigne
ses
règles
et son but à la construction de laLogique.
Mais ilprécise
mieux enmême
temps
le statutparticulier
dessymboles logiques,
et les modes selon les-quels
on accède à la connaissance de leurs lois.- 1 -
Curieuse situation que celle de la
Logique,
science à construire conformé- ment à uneMéthode générale
admise aupréalable.
Boolejugera
chacune desétapes
de sa construction selon les
critères
de cetteMéthode;
retenons seulement ici leschéma, susceptible
d’êtreesquissé
àpriori,
de cette construction.L’exemple
doitêtre cherché
dans lesmathématiques "qui
suW lesplus
par- f aitsexemples
de méthode connus"( 1 ) .
La méthode commande tout d’abord de re- monter auxéléments
lesplus simples;
or, "lesyllogisme,
les lois de la conver-sion, etc... ne sont pas les
procédés
ultimes de laLogique" (2). D’entrée
dejeu, prenant
acte durésultat
obtenu dans sonpremier
ouvrage. Boolerécuse
ainsiavec assurance les
prétentions
de lalogique aristotélicienne.
Il faudradonc,
enun
premier temps
y sans se soucier d’autre chose que de la fidélité del’analyse,
atteindre lesopérations élémentaires,
et formuler leurs lois.En second
lieu, après qu’on a,it,
parexemple
enarithmétique,
y défini lesopérations élémentaires,
il faut que la méthode assume saplus
ha.utefonction, qui
est dediriger
la, succession de cesopérations:
ce pourquoi
on fonde unCalcul doté de
procédés généraux.
De cepoint
de vue, y lalogique
traditionnellea encore
plus gravement
failli à sa tâche(3), puisqu’elle
s’est contpniée de rè-gles
trèsparticulières.
Contrairempnt àelle,
il faut non seulement éla,horer unCalcul,
ma,is viserd’emblée
à laplus grande généralité,
et poser d’ ava,ncele problème général, résumant
tous lesproblèmes particuliers possibles,
àrésoudre
ce Calcul: étant donné un ensemble deprémisses exprimant
des relationsqu’ont
entre eux certainséléments,
on demande que soitexprimée explicitement
dans sa
totalité
la relationqui
enrésulte
entre certains de ceséléments, quelles
( 1 )
~. T. , p. 11.(2)
1 d. p. 10.(3)
ld-, p. 11.que soient les conditions
imposées,
etquelle
que soit la forme où on demander que- soitexpri.mée
cette relation(1).
L
Le but est
fixé :
la nouvelle science serajugée
selonqu’elle parvient
àl’atteindre
(2);
et il conviendra, detoujours
avoir devantl’esprit
"le modèled’une
perfection idéale" (3).
Si le Calcul
logique approche
d’un telmodèle
y nous auronsplus
loin à le dire.Quant
aux Lois desopérations élémentaires,
Boole dissocie très nettementdans The Laws of
Thou ht
les deuxaspects
souslesquels
onpeut
lesenvisager:
soit comme lois du
langage,
soit comme lois de lapensée.
- 2 -
’’Ce
qui
rend laLogique possible,
y c’est l’existence dans nosesprits
de no-tions
générales, -
notrecapacité
de concevoir uneclasse,
et dedésigner
sesmembres individuels par un nom commun. La
théorie
de la,Logique
est ainsi inti- mement liée à celle duLan.ga,ge" (4).
Booleétait
revenu dans unPostscri t
surcette
déclaration qu’il
avait faite dans l’ Introduction à The Ma-thema,-ticalAna.- lysis
ofLogic:
"LeLangage
est un instrument de laLogique,
ma,is non un instru-ment
indispensable" (5).
Est-ce à dire que Boole va sedésintéresser complète-
ment du
Langage
pour ne s’attacherqu’aux
"notionsgénérales"
que nous avons- dansl’esprit ?
Il n’en est rien. Il soutientsimplement
que, dupoint
de vue où ils’est
placé,
il n’a pas àrépondre
à lacélèbre question
de savoir si leLangage
doit ou non être considéré comme un instrument
essentiel
du raisonnement(6).
Ils’en tient au fait que le
L an.g.a,ge
sert d’instrument au. raisonnement At Lelangage étant
ainsi considéré comme unsystème répondant
a-une findéterii-née,
on
peut s’interroger
sur leséléments
de cesystème,
sur leursrelations,
et surleur contribution au fonctionnement du
système (7).
Il
s’agit
bien sûr dulangage naturel,
dulangage
de tous lesjours,
àl’égard duquel
Boole vaadopter
une attitudeoriginale.
Sans doute leslogiciens
avaient-ils
analysé
avant lui lelangage
à l’aide decatégories logiques.
Sansdoute,
sur unpoint capital.
Boole ne fa,it-il quereprendre
uneposition
tradi-tionnelle: le
type
fondamental deProposition
est laproposition
attributive oùun
sujet
et unprédicat
sontreliés par.le
verbe être sous la forme"est",
ou,
"sont":
tous les autres verbespeuvent
êtreana,lysés
de manière àréduire
touteproposition
à la forme attributive. En revanchr ,reconstruire
leLangage
commeun système c’ ét,ait
là une tâche d’unstyle
nouveau. Reconstruire : Boole selivre à
une classification des mots en trois classes; ma,is re- tient dans leLanga.ge
que leséléments qui
entrent dans lesopérations
du rai-sonnement,
et il se propose d’aboutir à une classification suffisante pour ren- drecompte
ensuite entièrement de la fonction queremplit
leLangage
en tant(1)
Id., p. 10.(2)
Ultérieurement, on pourra même se demander si 1 elle répond à des exigencesplus
élevées, d’ordre ésthétique, etla
juger sur sa beauté(Cf.
d. , p.150).
(3)
1 d., p. 154 - Cf. p. 109.(4)
M.A.L., p. 5. ’(5)
ld:, p. 81.~ 6 )
L. T., p. 24. :(7)
bid. ,qu’instrument
du raisonnement. Montrer en second lieuqu’il
estlégitime de
±±éà- ,duire les mots par des
si nes, c’était
assurer doublement lapossibilité
et lesuccès
d’uneLogique symbolique:
par lasimple description
dephénomènes i.~nguis- tiques,
par le biais donc d’une observationempirique,
on pourraaccéder
aux lois dessymboles logiques (il
faut bien que ces lois se manifestent dans les raison- nements conduits avec le secours duLangage);
et si leLangage
seprête ainsi,
sans
artifice,
à êtretransposé
ensymboles (1 ),
on coupera court à toutes lesprotestations hostiles
à laprésentation d’une Logique
sous forme de Calcul(2,) ~
«système
enfin: cequi compte
avant tout dans laclassification
dessignes
du Lan-gage, ce sont les "lois formelles" de combinaison de ces
signes;
cesystème
pourradonc alors être considéré en
lui-même, indépendamment
de sa relation avec desphé-
nomènes
linguistiques,
y et pourraêtre comparé
avec d’autressystèmes.
Le
projet était ambitieux,
les intentionsmultiples; et,
àparler
sanstrop
de
précision,’on pourrait
dire que Boole seproposait
de forma.liser cequi,
dansle langage naturel~ permet
de conduire des raisonnements valides.On ne
s’étonnera
passi,
dans laréalisation
effective due sonprojet,
Booleretrouve les lois
qu’il
avaitdégagées
dans The MathematicalAnalysis of Logic.
Aussi ne ferons-nous que les énumérer
rapidement.
’
"Les
symboles littéraux x.,
y, ...représentent
des choses en tantqu’ob- jets
de nosconceptions. (3)
!Les
signes d’opérations
commee
-, X, tiennentplace
de cesopérations
del’esprit
parlesquelles
lesconceptions
des choses sontcombinées
ou réduitesde
manière à former de nouvelles
conceptions comprenant
les mêmeséléments" (4)."
Le
signe = exprimera
la relationd’égalité
entre les élémentsqu’il relie,
et toute
Proposition
seraexprimée
par uneéquation.
Ceci dit, les
signes
duLangage
seplacent
sous troisrubriques:
lère classe :
lessignes appellatifs
oudescriptifs, exprimant
soit le nomd’une
chose,
soit,quelque qualité
oudétail qui
luiappartient.
Sont
compris
dans cette classe lesadjectifs
et les substantifs.(Un adjec-
tif
auquel
on rattache le substantif universellement sous-entendu "être" ou"chose" devient virtuellement un
substantif).
Représentons
par x la classe des individusauxquels
estapplicable
un nomparticulier,
ou unedescription particulière ; x
Yreprésentera
la classe des chosesauxquelles
sontsimultanément applicables
les noms oudescriptions repré-
sentées par x ’
yY ;
etc...L’interprétation linguistique
dessymboles x,
ypermet
de poser les lois :.
id., p. 6.(2) A
ce genre de protestations, Bmo 1 e répond par un argument de fait. Ce n’est pas fantaisie demathématicien si -la Logique devient Calcul. C’est que les lois de la pensée rendent effective-
ment possible ce mode d’exposition
(r d.
p.11).
’.. .(3)
Bien que ce mot ne soi t pas très fami 1 ier en français dans le vocabulaire de lalog ique
et dela
psychologie,
nous retranscrivons parlui le
mo,t ariglais "concept.ion" qui, dans l’esprit de Boole, a un. s,ens’ fortement(4) Id . P.
27.Deuxième
cl a,sse : lessignes
de cesopérations
mentales parlesquelles
nousassemblons des
parties
en untout,
y ouséparons
un tout en sesparties.
Lorsque
nous formons leconcept
d’un grouped’objets
consistant en groupespartiels,
chacun de ceux-ciétant décrit
et nomméséparément!
nous utilisonspour
exprimer
ceconcept
lesconjonctions "et",
’~ou’B Boole estime - nous auronsà y revenir - que,
prises
au sensstricte
cesdernières impliquent
que les ter-mes
qu’elles
relientdésignent
"des classes tout à faitdistinctes,
de sortequ’on
ne,trouve
aucun membre de l’une dansl’autre" (1).
Sous cettehypothèse,
ces
conjonctions
sontanalogues
à touséga,rds
ausigne
"±"utilisé
enalgèbre,
yet nous avons les lois :
’
L"’opération positive"
consistant à rassembler lesparties
d’un tout noussuggère l’idée
d! "uneopération opposée
ounégative ayant
pour effet dedéfaire
ce que la
première
avait fait. Ainsi nous ne pouvons concevoirqu’il
soitpossi-
ble de rassembler des
parties
en untout..
sans concevoirqu’il
soitpossible
deséparer
unepartie" (2).
Boole nous donnebien
le mot dulangage
courantqui
ex-prime
une telleopération:
le mot"excepté",
ma,is il estpatent
quel’analyse
desopérations l’emporte
ici de loin surl’analyse linguistique;
et que Booledésire
avant tout mettre en lumière cequi
luiparait
être une dualité fondamentale en-tre une
opération "positive"
et uneopération "négative".
Celle-ci seraexprimée
par le
signe "-",
etlorsqu’or.
dit "Tous leshommes, excepté
lesAsiatiques",
cela
implique
que la classe desAsiatiques
est contenue dans celle des hommes.Avec la convention
qu’il
avaitadoptée
deprendre
le "ou" au sensexclusif,
Boolepouvait
passerlégitimement
dea
et c’est
précisément
pour assurer lalégitimité
de ce passagequ’il
a sans douteopté
pour le "ou" exclusif."Nous avons, comme dans
l’algèbre
communeet
Troisième classe: les
signes
parlesquels
estexprimée
larelation,
et àl’aide
desquels
nous formons despropositions
« Ils’agita
nous levons vu, detous les
verbes,
danslesquels
on retrouvetoujours présent,
lacopule
"est"®Celle-ci est
représentée
par lesigne "-",
destiné àsignifier
que deux classes ont les mêmes membres.(1)
I d. p. 33.(2)
1 bid.(3)
Id. p. 3~. Boole justifie cette identité en disant que, eu égard à tows les buts essentiels duraisonnement, il est indifférent que, dans l’ordre du discours, nous exprimions les cas excep- tés en premier ou en dernier. Selon C.I. Lewis, cette identité résulte d’une "convention arbi-
traire:
la première moitié de l’expression donne le sens de la deuxième(A
surveyof
London, Dover Publ ications, 1960, p.
5~~.
Ce que nous avons dit
jusqu’ici
ne concerne àvrai
dire que lesPropositions
"prima,ires" ~ propositions
detype attributif, qui
énoncent des relations entre des choses. Booleappelle "propositions
secondaires" lespropositions qui
"concernent ou relient entre elles des
propositions considérées
commevraie,s
ou f a,us se s °’~ 1 )
sExemples :
"Il est vrai que le soleil brille"..
"Il n’ e st pas vrai que les
planète s
brillent par leur propre lumière"."Si le soleil
brille,
lajournée
sera belle". ."Ou le soleil
brillera,
ou le voyage sera remis" tAux trois classes de
signes énumérées plus haut,
il faut doncajouter
les ter-mes
(2)"si"
et(ce
"ou"exprimant
ladisjonction
entrepropositions);
lathéorie
despropositions
secondaires va se révélerétroitement analogue
à lathéo-
rie des
propositions prima,ires.
Une fois cettethéorie élaborée,
nous pourrons dire que nous avons abouti à une classifi-cationcomplète
des"parties
constituan- tes" duLangage ordinaire,et
que num -p uns mis aujour
tes lois fondamentales aux-quelles
obéissent celles-ci.°
- 3 -
Ainsi
quon
le verraplus loin,
ces loispeuvent
sedévelopper
en un Calcul.Ma,is un tel Calcul desservira surtout les fins de la
Logique pratique (3).
Maisla
Logique
a aussi une finspéculative:
elle nousapporte
des lumières sur lesdifférentes
facultés del’esprit~
sur leursopérations
et sur leursrapports.
Elle
peut
nousrévéler
"les lois secrètes et les relations de ces hautes facultés de lapensée grâce auxquelles
est atteint oudéveloppé
tout cequi dépasse
laconnaissance
simplement perceptive" (4).
Ellepeut
ainsi ouvrir la voie à une en-quête sur
les lois de lapensée
nQu’on
prennega.rde
auxméprises
quepeut
entraîner une telleexpression.
On aura vite fait de
parler d’idéalisme
ou depsychologisme.
Or il n’est nulle-ment da,ns les intentions de Boole
d’emprunter
à laMétaphysique
des lois fonda- mentales pour bâtir sur elles laLogique,
ni nonplus
de faire dériver celle-cide
quelque
déduction transcendantale. Il n’est pasplus question
pour lui de s’attacher exclusivement à ladescription,
issu.e del’introspection,
des lois dudéroulement
des états de conscience. Boole veut mener sonenquête
en dehors desquerelles métaphysiques
sur la na,ture desfacultés
del’esprit.
Non pa,squ’il
soit,
selon certaine tradition del’empirisme anglais,
hostile parprincipe
àtoute
spe-’ctjlation métaphysique:
il ne s’interdira pas de méditer sur lasignifi-
cation du
duali.sme,
et dereprendre
à sa manièrel’antique problème
de l’Un et duMultiple.
Mais lamétaphysique
a sontemps,
yqui
vientaprès
celui de la science qOr, "l’objet proprement
dit d’une science consiste dans la connaissance des lois et desrelations" (5);
z et de même que les conclusions de l’astronomiephysique
ne
dépendent
nullement des thèsesphilosophiques
favorables à telle ou telle(1)
Id, p. 160. Cf. p. 7 et Chap. XIet
XI 1 . Il nous faut dire, puisque nous n’en parierons pas pluslon uement
ici, le très haut intérêt de la théorie des "propositions secondaires": avec elle,Boo?e
inaugure 1 e Ca lcul propos i t ionnel au sens moderne du mot.,
(2)
Auxquels dû ajouter les expressions: "il l est vraique...",
et "il n’est pas vrai que.... .(3)
Id, p. 2 et p. 10.(4)
I d. p. 3.~51
n., p. 39.théorie
de lacausalité,
cette connaissance ne doitêtre subordonnée
à aucunpré- supposé métaphysique.
Booleajoute
toutefois à cet interdit destyle positiviste
une clause
originale qui
lui estinspirée
parl’idée qu’il
se fait d’unsystème
de lois formelles: ce
qui
estscientifiquement
vrai dans ur. telsystème.
c’estce
qui
demeurevrai, quelle que
soitl’interprétation métaphysique qu’on
en don-ne ; c’est en
quelque
sorte l’invariant que n’affectent pas les variationsméta- physiques auxquelles
on se livre sur cesystème.
Telest.
leprincipe qu’il
fau-dra
appliquer,
y enparticulier,
y àl’étude
des loi.s de la sera.jugé
comme fruit d’une observationvéritable, "l’élément
devérité scientifique"
qu’aucune hypothèse
ou.critique métaphysiques
ne pourra remettre enquestion
»( 1 )
®Qu’on
aillejusqu’à
accorder auscepticisme
leplus raffiné
quel ’esprit, n’est
rien d’autre
qu’une
suited’impressions fugitives,
lesrésultats auxquels
a con-duit l’observation devraient encore, en tant que lois de succession de ces im-.
pressions,
demeurer tout aussi vrais(2).
Si de tels
résultats
sont"positifs",
c’estqu’il
nou.s mettent er, face defaits
incontestables: un.e foisqu’on
aconstaté
que les lois de lapensée
sonttelles et
telles,
leproblème
de savoir si lesopérations
de1 !espri t
sont en unsens
réel
soumis à deslois,
etsi,
paxconséquent,
une science del’esprit
estpossible, apparaît
bien vain(3).
Mais si de telles lois demeurentinchangées
àtravers les
différentes
traductionsqu’on peut
en donner selon le vocabulaireparticulier
dechaque théorie métaphysique possible (4),
c’est que ces lois sont des relations don.t lavérité
n.edépend
pas du contenumétaphysique qu.’on assigne
aux
éléments qu’elles
relient. Oncontinuera
àparler,
à l’ o ccasion, des "facul-tés
del’esprit",
mais ce sera sans accorder par là quel’esprit possède
tels ettels
pouvoirs
oufacultés
comme éléments distincts de son activité. Et Boolepréfère
pour lesdésigner
le termebeaucoup plus
neutred’"Opérations
de l’es-prit
humain"(5).
Cequ.’ il importe d’atteindre,
c’est les stème
selonlequel
,s’organise
l’exercice de cesfacultés; système formel,
si l!an.entend par làqu’on écarte
touteconsidération
touchant à la nature de cesfacultés,
f etqu’on
en cherchera la formulation
rigoureuse
dans lelangage symbolique.
Pourgénéra-
liser une
expression
que Boole utilise enpassant (6),
la, science des lois de lapensée
a pourobjet
lesystème
formeldes conditions ’ ’ ales d’exercice des
facultés
de’
Quel
sera lerapport
de cette science avec laLogique?
Ona l’impression
que Boole
conçoit
par momentscelle2013ci~(plus précisément
laLogique symbolique qu’il
est en train deconstituer)
comme l’instrument(7) qui
dotel’enquête
surles lois de la
pensée
deprocédés plus
raffinés etplus
féconds que ceux d’uneréflexion livrée
à,elle-même,
etprivée
du secours dessymboles. Mais,
à d’autresmomefits,
il dit trouverl’origine
réelle(8)
d’une loisymbolique
dans une loide la
pensée,
etprésente
les loisden
lapensée
comme le fondement dusystème
oude la
méthode
de laLogique (9).
Cetteambiguïté
ne vient pasd’une
incertitude depensée,
mais de la manière trèsoriginale,
pour son dont Booleconçoit
(1 )
lbid. , °(2)
p. 40.(3)
n. p. 3.(4)
I d . p. 40.(5)
1 d. p. 41.(6 ) ~
Id. p. 45.(7)
Cf. Préface.($ )
i d, p. 45.( 9 )
p. 66.le rvlp de la formalisation; -, rôle
qui
ne se borne pas à rendreplus rigoureuse 1 ’ e-zpre ssion
dequelque
chosequ i on
connaîtdéjà: formaliser.
celapeut. permettre
aussi de
découv’rir,
derévéler
les lois"secrètes"
de lapensée, d’assigner
l’or-dre selon
lequel
ellesdérivent
les unes des autre, et dedétruire
par là les illusionsauxquelles s’était laissée prendre
toute la tradition.philosophique’ (1).
Une fois ces lois ainsi mises en
place,
ce sont elles dont il faut chercher àquelles
conditions d’exercice desfacultés
intellectuelles ellescorrespondent:
ces conditions nous font
accéder
à la source_réelle
de ces lois, à unepensée opérante;
ces lois sont du même coupfondées, dan la
mesure où elles s’identi- fient auxrègles
que suit cettepensée, lorsqu’elle
s’exerce.Bref. Boole fait entièrement confiance au
langage symbolique
pour neutrali-ser les
préjugés métaphysiques
et des erreursd’optique consacrées
par la tra- dition: la cohérence propre du nouveausystème.
obtenue en imitant laméthode
desMa,t,hémat~iques~
attestequ’on
atteint 11n niveau de lapensée plus profond
que celui quedécrivait
laLogique
de ’B,; 3. en un seccndtemps,
il suffit de liresur les
règles
dessymboles Inactivité
depensée qui s’y
inscrit en.filigrane
Il ne sera pas utile de nous attarder sur ce
déchiffrement,,
car ncus savonsdéjà
par le dÉbut, deThe Mathematical Ana,l.ysïs-of Logic
que cetteactivité
seprésente
essentiellement sous la formed’opérations de sélection d’objets.
No-tons
simplement qu’ici.
Booleparle explicitement
d-"universdu
discours"(2,) , qu’il
insiste fortement sur cequi
nous avait semblé êtrel’ originalité
laplus grande
de sonanalyse :
des loisgouvernent déjà
les combinaisons deconcepts (3).
Enfin, il n’a pas de
peine
à montrer que les lois formelles dessymboles logiques
sont les mêmes
qu’on
lesinterprète,
ou comme lois de lapensée.
ou comme lois dulangage.
unepremière application
duprincipe
selonlequel
un mêmesystème
de
symboles peut
avoir desinterprétations
distinctes.Possïbili t,é,
dont,, commenous avons tenté de le
montrer.
Boole a tiréparti.
pour instituer un enrichissant va-et-vienl, entresystème
et,interprétations.
Par l’observation dulangage,
onpeut dégager
aposteriori (4)
les lois dusystème
desymboles: puis
cesystème
peut
êtreréinterprété
en termesd/opérations
depensée:
enfin on pourra direque si les lois du
larga,ge
sont les mêmes que celles de lapensée,
c’est que, en fait. celles-ci viennent s’incarner dans lelangage (5).
( 1 )
I d. p. 49.(2,)
1 d ., p. 42.(3)"Les
opérations,.par lesquelles l’esprit, dans l’exercice de son pouvoir d’ imaginatian ou de con-ception, combine et modifie les idées simples
de choses
ou de qualités, sont soumises, non moinsque
ces opérations de la5ison
qui 1 sont effectuées sur les vérités et les propositions, à des is générales’(Id.,
p.45).
(4)
1d. p. 44.( 5 )
I d, p. 45.Se donnant maintenant pour tâche la constitution d’un Calcul
Logique,
Booleva tenter de donner de
son "système
desymboles logiques"
uneinterprétation mathéma,tique .
-1 -
Ici commence un
chassé-croisé complexe
entreLogique
etMathématiques
ouplutôt
entre unsystème logique
construitprogressivement
et ce que Booleappelle
tantôtArithmétique,
tantôtAlgèbre,
y tantôt Science du Nombre. Boole s’interditvigoureusement certaines analogie s: ,il
ne faut pasqu’interfèrent
entre elles 1 esinterprétations
dessymboles propres
àchaque système.
Ma,Ls . eu fai 1cet interdit a une
portée plus
étroite que celle que nous serions enclins a luiaccorder,
et Boole -qui,
ne l’oublions pas constitue icipièce
àpièce
le sys-tème logique -
va non seulementprendre
pourguide
la Science duNombre,
mais laréintroduire
e nLogique
pour l’aider àrésoudre
sesproblèmes.
Voyons
tout d’abord comment lessymboles logiques
sedistinguent
des sym-boles
qu’utilise l’Algèbre communément
reçue. Momentdécisif
dans l’invention de Boolequi,
d’unmême mouvement ~
vadéfinir
face à cetteAlgèbre,
ditel’Algèbre,
une
Algèbre particulière,
et va doter laLogique
de sonAlgèbre: l’Algèbre
de laLogique.
Des lois dont nous savons
déjà qu’elles
sont celles dessymboaes logiques,
nous pouvons tirer que si nous avons
léquation:
nous aurons aussi :
quelle
que soit la classereprésentée
par r ,Mais si nous nous avisons de vouloir
procéder
en sensinverse,
c’estàdice
deretrouver "l’axiome des
algébristes
selonlequel
les deuxcôtes
d’uneéquation peuvent être divisés
par lamême quantité"~
lesponts
sont rompus: cet "axiome"n’est pas ici valable
~1 ) ~ Supposons
en effet que les membres d’une Classe xqui possèdent
une certainepropriété
z soientidentiques
aux membres d’une classe yqui possèdent
lamême propriété
z : il n’enrésulte
pas que les membres de la classe x,pris
dans leurensemble,
y soientidentiques
aux membres de la classe y.De
l’équation :
on ne
peut inférer
que1’ équation :
soit vraie.
Mais de cette
analogie
rompue vasurgir
uneanalogie
nouv;lle .Car,
à par- lerprécisément~
si nous revenons à "l’axiome desalgébristes" mentionné plus haut
y nous nous aperçevonsqu’il
sedistingue
des autresaxiomes,
y en cequ’il
n’a(1)
1 d., pp. 36-37. ,pas leur
généralité:
-. "Ladéduction qui
fait passer del’équation
x =y l’équa-
tion z x = z y e st valide seulement
lorsqu’on
saitque z
n’est paségal
à 0 HSi on suppose alors que la
valeur? =
0 soit admissible dans lesystème algé- brique,
l’axiomeénoncé
ci-dessus cessed’être applicable,
etIl anaj-ogie présen-
tée précédemment
demeure au moins intacte"(1). L ~ analogie demeure,
mais il fautavouer
qu’elle
est bien boiteuse : d’uncôté
1’"axiome" enquestion
n’estjamais applicable;
de l’autre. on diraqu’il
n’est pasapplicable.-,
pa,rcequ’il
y..a uncas où il ne
s’applique
pa,s. Aussi lacomparaison
tourne-t-elle court, et Boole y met-il un terme de manière embarrassée pourrétabli.r
unecomparaison
sur unautre
plan: "Cependant,,
ce n’est pas avec lessymboles
dequa,nt,it,é. considérés
en
général, qu’jl
est dequelque importance,
sinon à titre despéculation,
detracer de telles affinités"
~2,) .
Boole laissel’ impression
que c’est pour une tout autre raisonqu’il
va limiter lacomparaison
auxsymboles
0 et 1. On ne tra-hirait pas son mouvement de
pensée
en disantqu’il
renverse en fait le sens de lacomparaison précédente:
au lieu derapprocher
lessymboles logiques
de tous lessymboles qu’utilise l’Algèbre,
il isole an contraireparmi
ceux-ci. ceuxqui
véri-fient les lois des
symboles logiques.
Quoiqu’il
ensoit,
voici le textecapital
où Boole va identifier les sym- bolesayant
cettepropriété particulière
comme étant 0 et 1:"Nous avons vu que les
symboles
de laLogique
sontsujets
à la loispéciale :
Or, parmi
lessymboles
de Nombre, il en est deux. à savoir 0 et1, qui
sontsujets
à la même loi formelle* Nous savons que0~
=0,
et que1~ = 1 :
et1 ’équa-tioa
x~
= x,considérée
commealgébrique.
n’a pas d’ autre s racines que 0 et 1. * Au lieu de chercherjusqu’à quel degré
il y a concordance formelle entre lessynibo-
les de la
Logique
et lessymboles
de Nombreconsidérés
engénéral,
cela nous sug-gère plus
directement de comparer lespremiers
auxsymboles
dequantité admettant
seulement les valeurs 0 et 1.
Imaginons
alors uneAlgèbre
danslaquelle
les sym- boles x , y, y z . etc.. admettenti.ndifféremment
les valeurs 0 et1,
et ces va-leurs seulement. Les
lois,
lesaxiomes,
et lesprocédés,
d’une telleAlgèbre
se-ront
complètement identiques
auxlois,
aux axi-omes, et auxprocédés
d’uneAlgèbre
de la
Logique.
Seule lessépare
unedifférence d’int~erprétati.on" (3)
Pour le coup.
après
tant de tâtonnements et dedemi-clartés vozlâ,
pensera-t-on,
uneposition
ferme et lumineuse: Booleenvisage
bi.en ici. une"Algèbre
deBoole" et il fonde ce
qu’il
estcla,ssique
maintenantd’appeler "l’Algèbre
de laLogique".
Envérité.
Boole lance des motsqui
lui devront, certes pourbeaucoup
le sens
qu’ils prendront plus tard,
maiR force nousest,
si nous voulons conti-nuer à lire son oeuvre, en
acceptant
sesdétours,
d’oublier ici ce sens ulté- rieur. Le chemin est encorelong qui
conduit Boole del’Algèbre envisagée
ici àun Calcul
Logique ayant
à ses propres yeux lacohérence
souhaitable. *Et tout
d’abord,
ilfaut,
conformément auxprincipes qu"il
s’estdonnés, justifier
maintenant l’int,roduct,ion dessymboles
0 et 1parmi
lessymboles
Je"gique s.
En unpremier tempes,
a été introduitel’idée
d’uneAlgèbre qui
auraitles mêmes lo-is formelles