S TÉPHANE C ALLENS
Ensemble, mesure et probabilité selon Émile Borel
Mathématiques et sciences humaines, tome 110 (1990), p. 27-45
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ENSEMBLE, MESURE ET PROBABILITE SELON EMILE BOREL
Stéphane
CALLENSRÉSUMÉ -
Pourquoi Emile Borel s’est-il subitement consacré à la théorie des probabilités vers 1905 ?Trois réponses semblent valables ; aussi, est-il proposé un
fil
conducteur unique, les usages des fractionscontinues dans les écrits de Borel. Ce qui fait l’unité de la démarche de Borel s’éclaire alors. Cavaillès avait
souligné l’importance de la création cantorienne. Après Cantor, il resterait néanmoins à fabriquer les outils utiles pour le mathématicien. Là, réside l’oeuvre de Borel. Par l’intermédiaire de Borel, la création cantorienne réanime indirectement la notion de probabilité. Cependant, c’est surtout le cheminement de Borel, bien qu’il soit amené à
s’écarter progressivement de Cantor, qui a été particulièrement fertile en nouvelles notions pour la théorie des
probabilités.
I. Trois
biographies
imaginaires - II. Un récit des commencements : ensemble, mesure,probabilité -
II.1.Borel et la création cantorienne - II.2. Fractions continues et
probabilité :
un exemplegénérateur
des conceptions contemporaines en théorie desprobabilités -
II.3. La raréfaction.SUMMARY - Set, measure and probability according to Borel.
Why Emile Borel dedicated himself to the theory of probability, suddenly about 1905 ? Three replies seem valid ; so, it is proposed a single clue, the uses of the continued fractions in the Borel’s writings. The unity of
the Borel’s approach appears thereby. Cavaillès has stressed the importance of the Cantor’s creation. After Cantor, nevertheless it remained to produce useful toolsfor the mathematicians. The Borel’s work stays there. By
the Borel’s intercession, the Cantor’s creation
indirectly vivifies
the notion ofprobability.
However, Borel’s itinerary was the mostfruitful
in new notions for the theoryof probability,
though he departs from Cantor progressively.I. Three
imagined biographies -
II. A storyof beginning :
set, measure,probability -
II.1. Borel and the Cantor’s creation - II.2.Continuedfractions
andprobability :
an instance generative of contemporaries notionsin the
theory of probability -
II.3. The rarefaction.Borel a
opéré
lerapprochement
entre la notion deprobabilité
et celle de mesure d’ensemble. Ce geste est décisif dans l’histoire du corpusstatistico-probabilitaire,
aussi bien pour ce corpusmathématique
en lui-même - Borel amène une rénovationcomplète -
que pour la marche à suivre dans lesapplications.
Le XIXème siècle
couplait
avant tout la notion deprobabilité
avec celle de la mesure d’unegrandeur physique,
comme laposition
d’un corps céleste ou la taille des hommes.Or,
chacunsait
qu’aujourd’hui
cetteexploitation
des mesures degrandeurs physiques
n’aplus
laplace primordiale qui
lui était accot ’ée au dix-neuvième siècle dans la mise en oeuvred’applications.
Cette transformation radicale peut être racontée de diverses manières. L’extrême diversité des écrits de Borel sur les
probabilités
permetd’imaginer
comment diversbiographes
ayant chacun leur domaine deprédilection pourraient
raconter cette inflexion à la foisunique (quelques
articlesdéterminants d’un seul
auteur)
etplurielle (portant
sur des domaines très divers:mathématiques, physique mathématique,
sciences sociales etpolitiques).
Pour éviter cettepluralité
desrécits,
notre propos sera
plus
limité: tenir unechronique
à travers lespremiers
articles de Borel sur lesprobabilités
en suivant un filconducteur, qui
est le recours auxdéveloppements
des nombres en fraction continue. Cettechronique partielle
nous amènera à établir une relation entre les débatssur la théorie des ensembles et la rénovation du calcul des
probabilités opéré
par Borel et ses successeurs.1 - TROIS BIOGRAPHIES IMAGINAIRES.
Émile
Borel a laissé un ensemble considérable de travaux et de réflexions sur lesprobabilités.
Pourtant,
il nes’y
est intéresséqu’après
de très nombreux travaux sur la théorie desfonctionsl.
Ses
premiers
travaux sur lesprobabilités
dénotent unepluralité d’approche.
Les trois articles lesplus importants
dans cettepériode
de 1905-1909 où Borel aborde le calcul desprobabilités
traitent de
questions
absolument distinctes l’une de l’autre:quoi
de commun entre une réflexionsur les
principes
de la théoriecinétique
des gaz, une sur la valeurpratique
du calcul desprobabilités
et une sur lesprobabilités
dénombrables?2
Dans la dizaine
d’ouvrages
que Borel a consacré àpartir
de 1909 auxprobabilités,
il estpossible
de détailler trois itinéraires de Borelqui, ensemble,
par leurs entrelacs s’additionnent pour constituer unimposant
corpus.Pour
dégager
la notion deprobabilité
deBorel,
lesopinions
formulées dans desdialogues
avec des
personnalités marquantes
du début de ce sièclepeuvent également
servir de base dedépart. L’originalité
desconceptions
sur la notion deprobabilité
de Borel est mise en relief par desprises
deposition
devant des interlocuteurs très divers :mathématicien, économiste, philosophe.
Borel marque ses distances par rapport aux trois ensembles de travaux sur la notion de
probabilité
del’entre-deux-guerres.
Eneffet,
il formule des réserves à l’encontre du courantaxiomatique.
Puis il fournit une étude très détaillée de la notion deprobabilité
chezKeynes,
et sereconnaît peu,
semble-t-il,
dans la notion deprobabilité
telle que ladéveloppe
Reichenbach.Trois
types
de réflexion peuvent encore une fois êtredistingués,
celle interne auxmathématiques
duprobable,
celleplutôt
liée à une"mathématique
sociale"comprise
dans unsens assez
large,
et celle liée à des travaux dephysique mathématique.
Ce
rapide
inventairepermet
des’apercevoir
que les documents existent pour concevoir troisbiographies
de Boreldistinctes,
selon que l’accent sera mis surl’aspect "mathématique
duprobable", l’aspect
"sciences sociales" oul’aspect "physique mathématique".
Notre
première biographie pourrait s’appuyer
sur letémoignage
de Borel en personne. A la fin de savie,
Boreldéclare,
dansL’imaginaire
et le réel enmathématique
et enphysique,
queses travaux ont
porté principalement
sur les fonctions de variablecomplexe.
Cettepremière biographie
serait un peuéquivalente
dans sonintrigue
à celle que Poincaré trouvait dans la vie de1 Le
premier
article de Borel sur lesprobabilités
porte le numéro 93 dans la liste de ses travaux par année depublication.
Émile
Borel, Remarques sur certainesquestions
deprobabilités,
Bulletin de la SociétéMathématique
de France, t.33,
p.123-8.
2 Émile
Borel, Sur lesprincipes
de la théorie cinétique des gaz. Annales del’École
Normale, 3ème série, tome 23, p. 9-32; La valeurpratique
du calcul desprobabilités,
Revue du Mois, t. 1, p. 424-437; Les probabilitésdénombrables et leurs
applications arithmétiques,
Rendiconti del Circolo Mat. di Palermo, t. 27, p. 247-270.Weierstrass. Poincaré résumait la vie de Weierstrass par la
poursuite
d’une théorie des fonctionselliptiques ;
demême,
l’itinéraire intellectuel de Borelprend
sa source dans une réflexion surl’extension
qu’il
pensepossible
de la théorie des fonctionsanalytiques
de Weierstrass. Borelpoursuit pendant
unquart
desiècle,
de 1892 à1917,
les Fonctionsmonogènes uniformes
devariables
complexes
dont il cherche à montrerl’existence,
niée parWeierstrass;
cequ’il
finit par faire effectivement dans un ou iage paru en1917,
alors que dans sathèse,
en1894,
il avaitréfuté
l’opinion
de Weierstrass sans construire effectivement une telle fonction. Pour rendre cetteconstruction
possible,
il a besoin de théoriser lesmanipulations mathématiques qu’il
fait sur lesdomaines où la condition de
monogénéité
est vérifiée. Enparticulier,
il a dûpréciser
dès sathèse,
cequ’il
entendait par mesure d’ensemble.Dans ce
premier
itinéraire Borels’approche uniquement
defaçon
formelle de la notion deprobabilité, qui
est aussi une mesure d’ensemble. Probabilité et mesure sont toutes deux des fonctions additivesd’ensemble,
et c’est sous lesigne
d’un telrapprochement
que Borel écrit sonpremier
article sur lesprobabilités
en 19053.
Voilà la trame d’une
première biographie qui pourrait
êtreamplement développée.
Mais letémoignage
de Fréchet permetdéjà
d’enimaginer
une autre : Fréchet établit une corrélation entrela dérive de Borel de
l’analyse mathématique
pure vers le calcul desprobabilités
et saparticipation
deplus
enplus
active à la viepublique.
Notre
premier biographe
était versé dans l’histoire del’analyse mathématique;
notre secondbiographe
sera donc un historienspécialiste
des débatslégislatifs
et de la viepublique.
Il nemanquerait
pas de noter, à la suite deFréchet,
que Borel commence à s’intéresser auxprobabilités
au moment où il crée une revue, la Revue dumois, première
fédération d’unerépublique
desprofesseurs
dont émaneront Painlevé et le Cartel des Gauches.Admettons donc que
je
sois cet historienspécialiste
des constitutions et de lapolitique
del’entre-deux-guerres
et queje
veuille raconterpourquoi
Borel s’est autant intéressé auxprobabilités.
Borel serait pour
moi,
un bonreprésentant
des courants rationalisateurs de l’entre-deux- guerres ;quelqu’un qui
adéveloppé
unemathématique
sociale dont le programme est, selon lestermes même de
Borel,
de "rechercher des modesd’organisation
suffisammentsimples
pour améliorer des institutionspolitiques, économiques
et intellectuelles du pays, en faisantappel
àune consultation des
compétences
et de lareprésentation professionnelle".
Ce programme s’inscrit dans unestratégie
défensive du fonctionnementparlementaire
etdémocratique
devantles tendances dictatoriales de
l’Europe
d’alors. Je citerai les débats surl’organisation
institutionnelle de la
statistique,
sur lessondages,
sur la théorie desjeux,
et les débatspsychologiques
etlogiques
sur la notion deprobabilité.
Je noterai comment Borel sedémarque
de la
conception subjective
etlogiciste
de laprobabilité
parKeynes,
parexemple,
tout enacquiesçant
à saconception
de laprobabilité" qui
n’existe pas abstraitement mais relativement àun certain corps de connaissances"
4.
Force est de constater que nous n’avons pas pour autant avec ces deux
biographies épuiser
toutes les ressources du corpus borélien. Nous avons
quasiment ignoré
la filiationspirituelle
entre Poincaré et Borel et pour ne s’en tenir
qu’au premier
article paru dans chacun desdomaines,
nous avons totalementpassé
sous silence celui sur lesprincipes
de la théoriecinétique
des gaz.
3 Émile
Borel, Remarques sur certaines questions deprobabilité,
Bulletin de la SociétéMathématique
de France,t. 33, p. 123-128.
4 Émile
Borel, Probabilité et Certitude, chapitre 1, Paris, 1950.On est conduit à
imaginer
un troisièmebiographe
féru desimplications philosophiques
desdébats
physico-mathématiques.
Dès sathèse,
Borelcritique
le matérielmathématique
mis enoeuvre en
physique ;
ilpoursuit
pard’importantes
contributions aux débats sur lesmécaniques statistiques ; enfin,
il est le maître oeuvre d’un Traité du calcul desprobabilités, entreprise qui
a pour
précédent
celle deLaplace
etqui s’accompagne également
d’un essaiphilosophique.
L’ouvrage
sur le Hasard que Borel faitparaître
en 1914pourrait
êtrelargement
commenté parce troisième
biographe :
alors que Bertand mettait l’accent sur lesrégularités
issues d’actions noncoordonnées,
sur les Lois duhasard,
Borel insiste sur la notiond’entropie
d’unsystème
et surune "loi
unique
du hasard"qui
dit que les miracles bien quepossibles
sont ànégliger
enpratique,
cequ’il
illustre par lemythe
dessinges dactylographes~, pfllant
un stock de machines àécrire et
reproduisant
tous les volumes de laBibliothèque
Nationale.Probablement,
lecolloque
de nos troisbiographes pourrait
sepoursuivre
trèslongtemps.
Souvent les ouvrages de Borel
présentent
unaspect composite, puisant
des thèmes dans les trois domaines : pourprendre l’exemple
de son ouvrage intitulé Probabilité et certitude dans lepremier chapitre,
ilparle
de la définition de laprobabilité
selonKeynes,
dans le second dessondages
del’opinion publique,
dans le troisième et lecinquième
dequestions mathématiques,
tandis que le
quatrième
est consacré à la théoriecinétique
des gaz et le sixième àl’expansion
del’Univers... Ce
grand brassage suggère
que la réflexion sur un thème peut se nourrir d’une réflexion sur unequestion
d’un domaine très différent pour peuqu’on
consacre la notion deprobabilité
dans un rôle fédérateur. Cejeu
de va-et-vient est enquelque
sorte constitutif de sesouvrages.
Les trois thèses brièvement
esquissées
ici meparaissent
tout-à-fait défendables : Borel s’est intéressé au calcul desprobabilités,
il adéveloppé
unephilosophie civique
àpartir
de la "valeurpratique"
du calcul desprobabilités ; enfin, l’interrogation
sur lesgrandes
théories dephysique statistique
ne l’ajamais quitté.
Bienplus, négliger
un de ces aspects fait tout de suiteapparaître
un manque que ressentira
plus
fortement le mathématicien si l’onnéglige l’aspect mathématique,
l’historien si l’on
néglige
tous ses écrits sur laphilosophie pratique qu’il
tire du calcul desprobabilités ; enfin,
l’historien dessciences,
si l’onnéglige
les contributions dephysique mathématique.
Comment concilier ces
points
de vue ? Comment centrerl’exposé
de l’ensemble desopinions
de Borel sur ce
qui
confère leur indéniable unité ?Nous nous proposons maintenant de revenir sur
quelques-uns
despremiers
textes de Borelen
essayant
de retrouver la trace du cheminementqui
l’a amené auxprobabilités.
Unexposé
deCantor était fondé sur
l’expression
d’un nombre dans sondéveloppement
en fraction continue.En notant les références de Borel à cette théorie des fractions continues
arithmétiques,
il noussemble
apparaître
un double mouvement chez Borel de détachementprogressif
des théoriescantoriennes et d’intrusion de
plus
enplus
franches dans le domaine du calcul desprobabilités.
Le cheminement de Borel nous semble donc résumé par le titre de cet
exposé : ensemble,
mesure,
probabilité.
II - UN
RÉCIT
DES COMMENCEMENTS :ENSEMBLE, MESURE, PROBABILITÉ.
Les derniers ouvrages de Borel relèvent d’une thésaurisation
progressive,
dont on peut assez aisémentdistinguer
lesgrandes étapes. Jusqu’en 1905,
date du célèbre débat sur la théorie desensembles,
la totalité de ses articles portent sur la théorie des fonctions. En1906, paraît
l’articlesur la théorie
cinétique
des gaz et uneexposition
sommaire de saconception
du calcul desprobabilités, démarquée
de celle de Bertrand. L’actualitéscientifique
est alors dominée par les nouvelles théoriesphysiques.
Celle d’unemathématique
sociale estplus tardive;
la citationprogrammatique
faiteprécédemment
de Borel date de1920,
dans le Journal de la Société deStatistique
de Paris. ~’~roisgrands
momentponctuent
les travaux de Borel: le débat sur les ensembles en1905,
l’énoncé des nouvelles théoriesphysiques
etchimiques
avant1920,
enfinl’actualité
européenne après
lapremière
guerre mondiale.Mais nous laisserons ici de côté ces
questions
liées à laphysique mathématique,
ou à unephilosophie civique,
pour nous consacrer au centrepremier
des réflexions de Borel - centreunique
même dans ses écritsjusqu’en
1905 - c’est-à-direl’analyse mathématique.
Un instrument des débats lors de la création de la théorie des ensembles est la théorie des fractions continues
arithmétiques.
Bapparaît
comme un leitmotiv dans les ouvrages deBorel,
etj’ai pris
comme fil conducteur toutes les mentions faites de cet instrument. Iln’y
a pas chez Borel de construction formelle de l’ensemble des nombres réels àpartir
des nombres entiers : parcontre le "meilleur" moyen de
s’approcher
d’un nombre irrationnel àpartir
des nombres rationnels est donné par les fractions continues.Tout réel
positif
r peut sedévelopper
en fractioncontinue ;
unalgorithme simple
fournit lesquotients incomplets
an successifsavec
les an sont des entiers
quelconques
à la différence de lareprésentation
endéveloppement
décimal. On
écrit,
parexemple :
.Les fractions obtenues
quand
on s’arrête à un ordre donnés’appellent
les réduites(par exemple 22Î1
est la réduite d’ordre 1 pourn )..
zOn démontre que
l’approximation
par une réduite est meilleure quel’approximation
par d’autres fractionsplus simples qu’elle.
En suivant ce fil
conducteur,
on peutrépartir
les usagesqui
sont faits de l’instrument en troispériodes :
1 )
Borel et la créationcantorienne,
,2)
lesprobabilités dénombrables,
3)
la théorie de lararéfaction
et laclassification
des ensembles de mesure nulle.Dans chacune de ces
périodes,
les fractions continues interviennent defaçon
différente :1)
De la thèse(en 1894)
auxpremiers
écrits sur lesprobabilités (après 1905),
deuxconsidérations essentielles
apparaissent
dès la thèse de1894,
celle de mesured’ensemble,
et lapropriété
fondamentale des espaces que Fréchet vaappeler
en 1906 compacts. Les fractions continues y sont un instrumentexploratoire
ducontinu,
un moyen de mettre un peud’ordre,
deranger les
approximations
successives d’un nombre.2)
L’article de Palerme sur lesprobabilités
dénombrables paru en1909, présente
des nouvellesconceptions
ens’appuyant
sur de nouveauxexemples,
dont celui desprobabilités
desquotients incomplets
des fractions continues.3)
Enfin Borel faitplusieurs présentations
de sa classification des ensembles de mesure nulle.L’une d’entre elles
figure
dans Méthodes etproblèmes
de la théorie desfonctions qui paraît
en1922 et
qui
est le douzième ouvrage deBorel, les premiers exposés
datant de19125.
Lesfractions continues interviennent pour
générer
des ensembles de mesure nulle d’unegrande
diversité.
1- Borel et la création cantorienne.
Borel n’est pas l’introducteur des travaux de Cantor en France. Ceux-ci sont
présentés
par Hermite et utilisés par Weierstrass et Poincaré. Fréchet le nommel’initiateur,
celuiqui
est à lasource de nouveaux commencements.
L’ouvrage Leçons
sur la théoriedes fonctions,
paru en1898,
est en celaexemplaire, puisqu’il inaugure
une série deséminaire, qui
constituedéjà
en soiun mode de travail tout-à-fait nouveau, avec pour
principaux
intervenantsBorel, Drach, Baire, Lebesgue.
Dans cesLeçons
sur la théoriedes fonctions,
ils’agit,
pourBorel,
de consituer des Elémentsd’analyse : intégrer
les derniers travaux dans une vuesynthétique,
enprésentant
leplus simplement possible
les notionspremières.
Les troispremiers chapitres
portent sur les ensembleset
l’approximation
descommensurables,
les trois autres sur la notion de fonction de variablecomplexe
et leprolongement analytique.
Contentons-nous de suivre notre fil
conducteur, c’est-à-dire, l’emploi
de fractionscontinues : elles interviennent dans les trois
premiers chapitres
deces’Leçons
sur la théorie desfonctions.
Dans le
chapitre 1,
il définit lapuissance
d’unensemble,
à la suite de Cantor : deux ensembles sont dit avoir mêmepuissance lorsqu’on
peut établir entre leurs éléments unecorrespondance
tellequ’à
tout élément de chacund’eux, corresponde
un élément et un seul del’autre
(p.5).
Ilprésente
desexemples
d’ensembles dénombrables et de ceuxqui
ont lapuissance
du continu. Il
reprend
la démonstration de Cantorqui
permet l’affirmation que l’ensemble despoints
intérieurs au carré a mêmepuissance
que l’ensemble despoints compris
entre 0 et 1.L’ensemble des
points
à coordonnées incommensurablescompris
entre 0 et 1 a mêmepuissance
que l’ensemble de tous les nombrescompris
entre 0 et 1. On peut, à toutsystème
dedeux nombres incommensurables x, y
compris
entre 0 et 1 fairecorrespondre
un nombreincommensurable z
compris
entre 0 et1,
de manièrequ’à
toutcouple
x, ycorresponde
un seulnombre z et, à tout nombre z, un seul
couple
x, y. Il est très aisé d’établir cettecorrespondance, (et
c’est comme celaqu’elle
était établie dans l’article de Cantor écrit en 1877 etpublié
enfrançais
dans les Acta mathematica de1883)
en réduisant en fraction continue illimitée unnombre z
compris
entre 0 et1,
z =(a,,
a2,an, ...)
et d’en extraire 2 suites ai,aj d’après
uneloi déterminée pour avoir deux nombres x =
(a~),
y =( aj).
La démonstration est valable pour n
quelconque
de dimensions. Borel remarque que cela met à mal unprésupposé
des traités delogique
selonlequel
"le tout esplus grand
que lapartie".
Maisle
projet
de Borel dans cesleçons
consiste àrédiger
des éléments valables dans divers domainesmathématiques. L’important
n’est donc pas la cohésionlogique
de théorie des ensembles même si elleappelle
une nouvellelogique
en subvertissant leslogiques traditionnelles,
mais "l’utilité5 Au moment où il en "termine" avec Weierstrass. Il a alors mis au point sa démonstration sur l’existence de fonctions monogènes non
analytiques,
cequi
sape un des piliers de l’édifice Weierstrassienpuisque
cela conduit à l’incomplétude nécessaire duprojet
d’arithmétisation de l’analyse qui faisait découler la fonctionanalytique
desséries.
pratique" qu’il
définit comme le lien avec d’autresparties
desmathématiques. Rédiger
desÉléments
et non rechercher des fondements dans une démarchelogique ;
telle est sonoptique.
Pourquoi
la hiérarchie despuissances
d’ensemble selon Cantor est-elledigne
defigurer
dans ceséléments ? parce
qu’elle
intervient dans de "nombreux travauxoriginaux"
danslesquels
ons’autorise à
négliger
un ensemble dénombrable devant un ensemble ayant lapuissance
ducontinu. Chez
Borel,
il y atoujours
cette démarche derepli
vers la constitution du tronc commundes différentes
études,
démarche visible dans tous les titres de ses ouvrages intitulés:"Leçons
de ...,
Introduction à Élements de
...".L’économie
générale
duchapitre
2 repose sur la démonstration de la dénombrabilité de l’ensemble des nombresalgébriques,
cela amène à se poser laquestion
de savoir si et commenton peut définir une infinité non dénombrable de nombres transcendants. Liouville avait
proposé
un
procédé qui
amène effectivement à un ensemble de nombres de Liouvillequi
a lapuissance
du continu. Les fractions continues permettent à Borel d’affirmer
qu’on peut
trouver une infinité de nombres transcendants se comportant aupoint
de vue del’approximation
comme les nombresalgébriques.
Le recours à la théorie des fractions continues lui
permet simplement
d’affirmer l’existance deréels,
dans unintervalle,
parexemple,
que l’ensembletriadique
de Cantor contient des nombres incommensurables(p. 39).
Borel n’a pas besoin d’uneaxiomatique
de l’ensemble desréels,
les fractions continues lui permettent enquelque
sorte cette économie.Dans le mémoire sur la Contribution à
l’analyse arithmétique
du continu de1903,
il déclareque dans ses travaux et dans ceux de
Lebesgue
surl’intégrale,
encore inédits au moment où ilécrit,
"notre méthode" commune aux deux mathématiciens est différente : "on construit le continu au moyen depetits
intervalles entourant despoints isolés,
au lieu d’arriver à cespoints
par la subdivision indéfinie de l’étendue donnée
d’avance ;
la construction estfaite,
si l’on peut ainsidire,
du dedans et nonplus
dudehors"6.
Non pas une théorie decontinu,
mais diversesapproches exploratoires qui
conduiront aux résultats connus en théorie de la mesure del’intégration
et pour la définition de lacompacité.
Pour ce
qui
est des fractionscontinues, le principal
résultat contenu dans ce mémoire etqu’1/V5
est leplus petit
nombre limitantsupérieurement
l’écart d’uncouple
de réduites consécutives ou ducouple
suivant. Cequi peut
se dire autrement : sur trois réduites consécutives l’une au moins vérifiel’inégalité :
Il étudie
également l’éloignement
des nombres irrationnels et rationnels. Les fractions continuespermettent
de définir aisément des classes étendues de nombres irrationnels relativementéloignés
ourapprochés
des nombres rationnels. Les diversdéveloppements qu’il
adonné à ces calculs se trouvent
également
dans lesLeçons
sur la théorie de lacroissance,
et lesÉléments
de la théorie des ensembles.Dans le texte Contribution à
l’analyse arithmétique
ducontinu,
Borel donnequelques explications
sur la formation de son programme de recherche de cetteépoque auquel
il associe la théorie des fractions continuesnumériques 7.
6 Émile Borel, Contribution à l’analyse arithmétique du continu, reproduit dans les 0152uvres, t. 3, p. 1445
7 L’encart n° 1 reproduit les quatre premiers paragraphes de l’introduction à cet article de Borel.
Le
point
dedépart
en est Weierstrass et son affirmation que "toutes lesmathématiques
peuvent se déduire de la seule notion du nombre entier". Henri Poincaré résumait ainsi l’oeuvre
mathématique
de Karl Weierstrass :"Tout dérive donc du nombre entier
(...)
le continu lui-même se ramène à cetteorigine
et toutesles
égalités qui
fontl’objet
del’Analyse
et oùfigurent
desgrandeurs
continues ne sontplus
que dessymboles, remplaçant
une multitude infinied’inégalités
entre nombresentiers"8 .
A
partir
delà,
deuxpoints
de vue, deuxapproches
ont étéempruntées.
L’une fondée sur ladéfinition
logique
desnombres,
l’autre ne "sepréoccupe
que des valeursnumériques,
de lagrandeur
des nombres". Dans celle-ci : "la théorie des fractions continuesnumériques joue
iciun rôle
capital.
Elle fournit les nombres rationnels lesplus approchés
d’un nombrequelconque"
(paragraphe 2).
Mais surtout la théorie des fractions continues permet de concilier les deuxapproches :
ilinterprète
comme tel le théorème deLagrange qui
dit que tout nombrepositif
racine d’une
équation
du seconddegré
à coefficients entiers admet undéveloppement
en fractioncontinue
périodique.
Le théorème deLagrange
met en relation lacomplexité
duprocédé
d’obtention d’un nombre
algébrique
et uneparticularité
del’approximation
de ce même nombre par undéveloppement
en fraction continue.Encart n° 1 : CONTRIBUTION A L’ANALYSE ARITHMETIQUE DU CONTINU
par M. Emile BOREL
Introduction
1. Toutes les Mathématiques peuvent se déduire de la seule notion du nombre entier ; c’est là un fait aujourd’hui
universellement admis. Voici ce que l’on entend
généralement
par là : les notions fondamentales où intervient l’idée de limite (nombres incommensurables, dérivées, intégrales définies, intégrales d’équations différentielles, etc.) sont définies successivement à partir du nombre entier ; ces notions une fois acquises, on peut les utilisersans qu’il soit nécessaire de faire intervenir dans toutes circonstance leur définition au moyen des nombres entiers.
Telle est, dans ses grandes lignes, la méthode de Weierstrass.
On peut se
placer
à unpoint
de vue strictement arithmétique, comme l’a fait Kronecker en Algèbre, et commeM. Jules Drach a récemment tenté de le faire en
Analysel.
Ce nouveau point de vue peut êtrre caractérisé par le fait que l’on ne faitjamais
intervenir dans chaquequestion
qu’un nombre limité de nombres entiers au moyendesquels tous les éléments de la
question
sontexplicitement
définis. On arrive ainsi à définir les nombresalgébriques
et certains nombres transcendants uniquement au moyen des relations parlesquelles
il sont reliés aux entiers, les signesopératoires
étant définis uniquement par leurspropriétés
fondamentales. Dans cetteconstruction, l’idée de grandeur n’intervient en rien. On ignore d’ailleurs
complètement
ce que peut être un nombre incommensurable non défini logiquement et, d’après la marche même suivie, on n’en peut définir qu’une infinitédénombrable. Certains
esprits
verront là une lacune ; d’autres penseront, au contraire que, pratiquement, tout nombre, pour être connu effectivement, doitpouvoir
être caractérisé par un nombre fini de mots et, par suite, doittrouver sa
place
dans le système de M. Drach (convenablementcomplété).
8Acta
Mathematica, t.22,1899, p. 16.1 M. Jules Drach a
exposé
ses idées dans la secondepartie
de l’Introduction à la Théorie des nombres et del’Algèbre
supérieure
(d’après des Conférences de M. Jules Tannery, par Emile BOREL et Jules DRACH ; Paris, Nony ; 1895) et dans sa Thèse : Essai sur la théoriegénérale
del’intégration
et sur la classification destranscendantes (Paris, Gauthier-Villars ; ;1898, et Annales de l’Ecole Normale supérieure,1898).
Ces idées me