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Géographie Économie Société: Article pp.365-380 of Vol.7 n°4 (2005)

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Lavoisier

Géographie, Économie, Société 7 (2005) 365–380

Proximités lourdes, proximités légères : une trajectoire de l’appareil productif dans l’aire métropolitaine marseillaise

Heavy proximities, light proximities : a trajectory of productive activities in a french big city

Jacques Garnier

Université de la Méditerranée/Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST-UMR 6123) 35, avenue Jules Ferry 13626 Aix-en-Provence

Résumé

Le processus de métropolisation en voie de généralisation fait apparaître un espace productif très segmenté dont les composantes paraissent évoluer indépendamment les unes des autres et selon des temporalités disjointes. Cette communication entend mettre en évidence que, par-delà le désordre apparent de ce processus, l’appareil productif — en l’occurrence celui de l’aire métropolitaine mar- seillaise/France — observé sur la moyenne période, épouse une trajectoire dont les paramètres peu- vent être identifiés. Cette trajectoire « chemine » depuis des situations de forte spécialisation indus- trielle dans lesquelles la forte densité institutionnelle génère des rigidités et des irréversibilités très contraignantes jusque vers des situations peu spécialisées dans lesquelles des formes ouvertes de coor- dination en réseau génèrent, à l’inverse, une capacité collective des acteurs productifs à s’engager dans des démarches innovantes. Cette trajectoire se révèle être un parcours d’« apprentissage territorial ».

En introduisant pour la circonstance les notions de « proximité lourde » et de « proximité légère », on met à profit et on valide en même temps les outils d’analyse de l’« économie de proximité », notam- ment sur le statut des institutions dans la coordination économique.

© 2005 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

* Adresse e-mail : garnier@univ-aix.fr

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Abstract

The development of big cities (or wide megapolis) makes appearant very segmented “patch- works” of productive areas evolving separately, each one close to the others, without any clearly appearent order. This communication aims to highlight that, in spite of an appearant disorder, pro- ductive activities in such wide cities evolve according to an historical trajectory the determinants of which can be pointed out. This trajectory is progressing from very specialized clusters in which highly institutional density creates rigidities and irreversibilities unfavorable to the capacity of adapt- ing toward weakly specialized clusters in which, reversely, very open social networks leads to a col- lective ability of local productive actors in adapting and in engaging themselves in innovative ways.

This trajectory appears as a “territorial collective learning”. By using the concepts proposed by the Economics of Proximity, we will point out the determinants of the trajectory and of the collective learning related to it. By proposing the terms of “heavy proximity” and “light proximity”, we will try to produce a better understanding of the links between proximity, network, coordination and local economic development in some big cities of developed countries. We will use the empirical results of several research realized in Marseille area (south of France) since the middle 70’s.

© 2005 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : Industrie ; Institutions ; Métropolisation ; Proximité ; Trajectoire.

Keywords: Industry; Institution; Global city region; Proximity; Trajectory.

1. Dans le désordre de la métropolisation : comprendre la dynamique de l’appareil productif

1.1. Organisation productive, organisation territoriale et processus de métropolisation Parmi les analyses formulées concernant l’évolution du rapport entre l’organisation pro- ductive et l’organisation territoriale, un champ particulier s’est ouvert sur lequel s’esquisse aujourd’hui une rencontre entre les efforts de recherche des économistes, ceux des socio- logues et ceux des géographes : le champ de la métropolisation. Il résulte de cette rencontre un constat commun formulable en trois propositions. La première est que la croissance éco- nomique a tendance à se concentrer désormais dans et autour des très grandes aggloméra- tions urbaines au sein desquelles les fonctionnalités économiques et sociales ont tendance à se recomposer selon des modalités difficilement lisibles et dont le développement est généralement qualifié de « processus de métropolisation » (Rossel et Bassand, 1995). La deuxième est que le nombre et la diversité des ressources accumulées dans ces aggloméra- tions constituent ces dernières en milieux propices à l’accélération des flux information- nels, à la densification des possibilités relationnelles, à la réversibilité des engagements, à l’articulation du local et du global et, par suite, à l’évolutivité et à la diversité des combi- natoires productives indispensables au fonctionnement de l’économie post-fordiste (Veltz, 1997, Quevit, Van Doren, 1993, Scott, 1992). La troisième est que la constitution des gran- des métropoles génère des disjonctions spatiales, des exclusions, des micro-différences et que, loin de susciter l’uniformité, elle a tendance, au plan social aussi bien qu’en matière d’organisation de l’appareil productif, à se manifester sous la forme de « patchworks »

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désordonnés, inégalitaires et rigides, défiant les intentions et les institutions de gouver- nance locale (Scott, Storper 1986, Veltz, 1996).

Instance de fluidité, de liquidité et de réversibilité, la métropolisation est donc, en même temps, de manière duale, instance de segmentation, de rigidité et d’irréversibilité. Proces- sus lisible du fait de sa localisation géographiquement circonscrite, elle est aussi, en même temps, processus peu lisible du fait de sa forme chaotique. Pour les géographes autant que pour les sociologues et les économistes, elle se présente donc comme un objet aussi dérou- tant au premier regard que stimulant pour l’analyse. Pour ces deux raisons, les uns et les autres tentent aujourd’hui de construire des analyses concourantes (Leresche, Joye, Bas- sand, 1995). Mais, dans ces concours inter-disciplinaires, les économistes ont probable- ment une contribution motrice à apporter. Les matériaux empiriques qu’ils ont accumulés et les conceptualisations qu’ils ont proposées au cours des vingt-cinq dernières années les dotent, en effet, d’une faculté d’analyse plus particulièrement outillée pour tout ce qui con- cerne l’analyse du rapport entre les dynamiques productives et les dynamiques territoriales.

C’est dans cette perspective que se situera le contenu de cet article.

On fera l’hypothèse que, par-delà le désordre apparent et les évolutions erratiques du processus de métropolisation, il est possible d’y discerner et d’y expliquer le développe- ment d’une trajectoire de l’appareil productif. On adoptera un point de vue centré sur les interactions dynamiques entre les différents protagonistes opérant dans le développement de cet appareil productif. Et l’on sollicitera plus particulièrement, dans cette perspective, les outils élaborés dans le cadre de l’« économie de proximités » (Pecqueur, Zimmermann, 2004).

1.2. Par-delà le désordre de la métropolisation, saisir une trajectoire de l’appareil productif

Il s’agira ici de mettre à profit un matériau empirique accumulé au cours des vingt-cinq dernières années sur la question de l’évolution de l’appareil productif dans le milieu urbain en voie de métropolisation de la région marseillaise. Celui-ci n’a jamais cessé d’être cons- titué de complexes industriels, de villes-usines, de zones industrielles, de sites scientifiques et de parcs technologiques puis, de technopôles. De phases d’expansion en crises, de recon- versions en débordements, d’émergences en redéploiements, ces différents segments de l’appareil productif se sont recomposés et ont redéfini les relations qu’ils entretenaient les uns avec les autres selon des mouvements apparemment désordonnés, erratiques et dis- joints qu’il est difficile, à priori, d’inscrire dans une dynamique organisationnelle ou dans une dynamique territoriale clairement lisibles. Il s’agira ici, par-delà le désordre apparent de ces mouvements, de mettre en évidence la trajectoire — ou du moins une trajectoire — de l’appareil productif de l’aire métropolitaine marseillaise : une trajectoire qui s’avère être à la fois et de manière indissociable, re-composition de l’appareil productif et re-territoria- lisation.

Les démarches habituellement mises en œuvre pour analyser les dynamiques producti- ves territorialisées se manifestent sous forme de monographies. Elles tendent à mettre en évidence ce qui pérennise ces entités dans leurs logiques endogènes propres plutôt qu’à mettre en valeur leur rapport à l’environnement extérieur. Et lorsqu’elles adoptent une perspective comparative, elles tendent à opérer par comparaisons terme à terme des divers éléments présentés dans ces monographies (Storper, Harrison, 1992). Mais très rarement

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ces analyses articulent dans une même démarche dynamique l’observation des évolutions conjointes, concurrentes ou entrecroisées des plusieurs entités connexes, interdépendantes ou en filiation les unes par rapport aux autres, à l’intérieur d’un même espace métropoli- tain.

Ce type de démarche avait été esquissé par les pionniers de l’« organisation industrielle » (Piore, Sabel, 1984). Il a ensuite été emprunté par les tenants de l’analyse en termes de districts technologiques (Antonelli, 1986, Bianchi, Henrietti, 2000). Et il a été adopté plus récemment en France par les économistes de la proximité (Zimmermann et al., 1998). Si l’on excepte les tenants de l’analyse en termes de districts technologiques, la plu- part d’entre eux, cependant, n’accordent que peu d’importance au processus de métropoli- sation et aucun ne prend vraiment en compte des situations de grande hétérogénéité de l’appareil productif. On se placera ici dans la filiation de ces travaux tout en insistant davantage qu’ils l’ont fait, sur la dimension métropolitaine des dynamiques productives et sur l’hétérogénéité de l’appareil productif. Les outils de compréhension mobilisés seront ceux élaborés par les économistes de la proximité, en particulier ceux qui mettent en rap- port les dynamiques productives et celles de la construction territoriale.

1.3. Solliciter les outils d’analyse de l’économie de proximités

Rappelons que les économistes de la proximité (Colletis, Pecqueur 1993, Dupuy, Bur- meister, 2003), considèrent la dynamique territoriale de l’appareil productif comme un produit des multiples interactions opérant entre les acteurs individuels et collectifs parties prenantes au développement de l’appareil productif dans un espace géographique donné et dans la perspective de résolution de problèmes productifs particuliers. Ces interactions pro- cèdent d’un principe de proximité, celle-ci pouvant être qualifiée de trois manières : géo- graphique, organisationnelle et institutionnelle. La première est l’instance des coûts, des temps, des infrastructures et des relations sociales inscrites dans la matérialité de l’espace.

La deuxième est celle de la structuration durable et finalisée des relations inhérentes à l’activité productive. La troisième celle de l’adhésion aux règles et coutumes, aux modes de comportements aux représentations et aux projets. Le territoire est alors défini comme une modalité toujours singulière de recouvrement de ces trois types de proximités. Et la dynamique du territoire est définie comme une construction, elle aussi singulière, fondée sur les modalités de recouvrement de ces trois types de proximités.

Trois types de dynamiques de l’appareil productif, sont identifiés : l’agglomération, la spécialisation et la spécification (Zimmermann, 1998). « L’agglomération » est le proces- sus par lequel des activités productives différentes et peu complémentaires se juxtaposent en un même lieu sur la base des externalités pécuniaires qu’elles y trouvent. Les entreprises y coopèrent très peu et sont peu ancrées dans le territoire. Elles s’inscrivent dans une proxi- mité géographique. La « spécialisation » est le processus par lequel se concentrent en un même lieu des activités liées entre elles par la similitude ou la complémentarité de leurs activités ou de leurs produits. Les entreprises y sont en mesure de spécifier des ressources génériques ou de combiner des actifs déjà spécifiés par d’autres entreprises. Elles sont ancrées dans le territoire à la construction duquel elles contribuent. Mais elles peuvent aussi le « verrouiller » par excès de spécialisation. La proximité géographique s’y conju- gue avec la proximité organisationnelle. La « spécification » est le processus par lequel les entreprises concentrées en un même lieu créent entre elles des relations institutionnalisées

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tellement denses et ouvertes qu’elles acquièrent collectivement la capacité de multiplier les combinaisons de ressources et d’actifs spécifiques. Elles construisent un territoire capable de répondre de manière innovante à des problèmes productifs nouveaux. Proximité géogra- phique, proximité organisationnelle et une forte proximité institutionnelle s’y conjuguent.

L’évolution des interactions entre les acteurs parties prenantes à l’appareil productif peut conduire un territoire à emprunter successivement ou alternativement les trois modes de développement, passant de l’agglomération à la spécialisation ou a la spécification. Des trajectoires peuvent alors être mises en évidence, des bifurcations ou des blocages peuvent être expliqués. Tels sont les principes méthodologiques qu’il s’agira ici d’appliquer et de tester sur l’histoire de l’appareil productif de l’aire métropolitaine marseillaise.

2. Des « proximités lourdes » aux « proximités légères » : les quatre séquences de la trajectoire métropolitaine

L’évolution de l’appareil productif de l’aire métropolitaine marseillaise est exposée ici à partir des résultats de diverses opérations de recherche conduites dans cette aire depuis le milieu des années 70 jusqu’à aujourd’hui et qui ont concerné respectivement sept seg- ments territoriaux : 1) la crise de la construction navale, 2) le cycle de l’industrie de l’off- shore, 3) la régression et la fermeture des activités minières, 4) l’évolution du complexe industrialo-portuaire de Fos/étang de Berre, 5) le développement des zones industrielles et des parcs d’activités, 6) l’émergence d’un milieu de hautes technologies dans le Pays d’Aix-en-Provence, 7) la création d’un technopôle. Ces diverses opérations de recherche couvrent à peu près complètement les zones à forte implantation industrielle de l’aire métropolitaine à l’exception des activités intra muros de la ville de Marseille, notamment des activités portuaires 1.

Nous avons pu établir entre les évolutions de ces segments des relations de rupture, de filiation et d’interaction dont il a été possible ensuite de déduire l’existence d’une trajec- toire. Celle-ci procède de l’articulation entre quatre phases/processus : 1) Un processus de spécialisation, 2) Un processus d’effondrement des tissus productifs anciens, 3) Un proces- sus de reconversions et de débordements, 4) Un processus de densification institutionnelle.

2.1. Les processus de spécialisation : le poids des « proximités lourdes » 2.1.1. Villes-usines et complexe industriel

Créé en 1830 à l’est de Marseille, le chantier naval de La Ciotat avait structuré son envi- ronnement économique et social. Le marché du travail interne dans lequel était organisé un collectif de 6 000 salariés constituait un espace de stabilité auquel s’ordonnait l’organisa-

1En plus des opérations recherche réalisées par l’auteur depuis 1977 dans ces différents segments de l’appa- reil productif, il faut indiquer la recherche collective réalisée dans le cadre du LEST-UMR 6126 : Garnier J., Lamanthe A., Lanciano C., Mendez A., Mercier D., Rychen F., (2003) Les modes de transition du tissu productif régional en Provence Alpes Côte d’Azur, Rapport au Conseil régional de PACA, à la DRTEFP/PACA, au conseil général des Bouches du Rhône. L’observation de tissu lié à la mine de Gardanne et l’observation récente des zones d’activités d’Athélia-Gémenos résultent de cette dernière étude, notamment des investigations réalisées en collaboration avec Caroline Lanciano et Delphine Mercier.

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tion urbaine et dont les règles se reproduisaient pour partie dans la vie sociale locale, notamment dans les domaines de l’habitat, du système de soins ainsi que de la vie associa- tive et politique. La Ciotat était une ville-usine et son évolution du point de vue du rapport entre l’organisation productive et l’organisation territoriale s’inscrivait dans la catégorie de la « spécialisation ».

L’exploitation du bassin minier de Gardanne, à 15 kilomètres de Marseille, avait égale- ment structuré son environnement économique et social. L’organisation de l’habitat, les rythmes urbains, le métier et l’organisation des entreprises sous-traitantes s’ordonnaient eux aussi aux rythmes et à l’organisation de l’établissement minier et les normes constitu- tives de la professionnalité minière y informaient largement l’organisation, les projets et les imaginaires sociaux. Gardanne était une ville-usine et son évolution du point de vue du rapport entre l’organisation productive et l’organisation territoriale s’inscrivait, elle aussi, dans la catégorie de la « spécialisation ».

Le complexe industriel de Fos/étang de Berre, déployé à 30 kilomètres à Marseille, ne possédait ni la même homogénéité sectorielle ni la même unicité organisationnelle. Cons- titué de quelque 30 établissements sidérurgiques, pétroliers, pétrochimiques et aéronauti- ques 2, il n’en était pas moins structurant de l’organisation urbaine et de l’organisation du tissu de sous-traitance. Le caractère lourd, massif et parfois dangereux des équipements productifs conditionnait fortement les règles d’occupation de l’espace. Les professionnali- tés ouvrières qui se reproduisaient parmi les 20 000 salariés directs du complexe infor- maient également l’organisation et les normes de la vie sociale. Le complexe industriel n’était pas une ville-usine. Il n’en procédait pas moins, lui aussi, du processus de spéciali- sation.

2.1.2. Spécialisation et « proximités lourdes »

Chacune de ces trois composantes de l’appareil productif marseillais était bien caracté- risée par une concentration d’activités semblables ou complémentaires opérant dans un même domaine d’activité. Dans les trois cas, l’usage commun des mêmes infrastructures, d’un même bassin de sous-traitance et d’un même marché du travail constituait une proxi- mité organisationnelle caractéristique du processus de spécialisation. Mais dans les trois cas, aussi, les proximités géographiques et organisationnelles poussées se conjuguaient avec une proximité institutionnelle également très poussée.

Dans les trois cas, l’évolution du tissu productif avait produit un cadre conventionnel d’une grande richesse sur lequel il prenait appui pour se pérenniser. Les conventions de tra- vail (Salais, Storper, 1993) à La Ciotat aussi bien qu’à Gardanne et autour de l’étang de Berre, fortement empreintes des exigences de fiabilité et de sécurité des installations et des hommes, informaient l’organisation du travail et celle des relations inter-entreprises. Liées à l’impératif de mobilisation d’une main-d’œuvre professionnelle spécialisée, des conven- tions « locales », généralement portées par des réseaux syndicaux ou familiaux régissaient les différents aspects de la vie urbaine. Dans les trois cas, le tissu productif se trouvait ainsi fortement territorialisé par la vertu de ce qu’on peut qualifier des réseaux sociaux à « liens

2Établissements sidérurgiques des groupes ARCELOR et LUCCHINI. Raffineries de pétrole et établisse- ments pétrochimiques des groupes SHELL, BP, ESSO, ATOFINA/ELF, LYONDELL, BASF. Établissements aéronautiques des groupes DASSAULT et EADS.

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forts » (Granovetter, 1973) : des liens tellement forts qu’ils risquaient de déboucher sur des rigidités, des irréversibilités et qu’ils risquaient de bloquer les possibilités d’adaptation et d’innovation du tissu productif.

Les proximistes insistent sur ce que le processus de spécialisation présente d’avantages du point de vue de la capacité des entreprises à spécifier les actifs préexistants dans le tissu productif d’une manière qui contribue à la fois à asseoir leur performance productive et à pérenniser leur insertion dans le territoire. Mais ils insistent aussi sur les irréversibilités qui risquent, dans ce cas, de bloquer l’adaptabilité du tissu et d’en « verrouiller » l’évolution.

Ils rappellent que la spécification des ressources et des actifs ne peut déboucher sur des combinatoires productives multiples et innovantes, c’est-à-dire sur la capacité collective des acteurs du territoire à produire des solutions à des problèmes productifs nouveaux, que si les proximités géographique et organisationnelle se conjuguent à une très dense proxi- mité institutionnelle. Or, nous sommes précisément ici, à La Ciotat, à Gardanne et autour de l’étang de Berre, dans des cas où le recouvrement entre ces trois types de proximité con- tribue, au contraire, à une très faible capacité adaptative du territoire. Au lieu de permettre à celui-ci de dépasser ses inerties, le recouvrement des trois types de proximité — notam- ment le haut degré de densité institutionnelle — les renforce, au contraire, d’une manière bloquante. Au lieu d’alléger le territoire, il l’alourdit. Il y crée une situation que nous qua- lifierons de « proximité lourde ».

2.2. La « proximité lourde » et l’effondrement des tissus productifs anciens 2.2.1. Spécialisation, rigidités, irréversibilités

Dans les trois composantes, des événements vont déclencher des crises dont les consé- quences seront d’autant plus critiques que le processus de spécialisation y a introduit les rigidités et les irréversibilités que l’on sait. À La Ciotat, la décision prise par l’État en 1986 de supprimer ses aides aux chantiers navals provoque la fermeture du grand établissement.

À Gardanne, le processus de régression de l’exploitation charbonnière accompagné par l’État depuis trente ans aboutit, de 1964 à 2003, à la fermeture de tous les puits provençaux.

Aucune fermeture n’intervient au sein du complexe industriel de Fos/étang de Berre, mais les chocs pétroliers de 1973 et 1978 conduisent la majorité des firmes à diminuer de moitié les investissements prévus et à y annuler ceux qui auraient permis une diversification des activités. Les trois tissus productifs connaissent alors des crises d’envergure qui vont avoir deux types de conséquences. D’abord, des conséquences locales sur la structure du tissu productif. Ensuite, des conséquences qui se manifestent, par débordement ou filiation, dans plusieurs autres segments territoriaux de l’aire métropolitaine.

Localement, ces événements produisent l’effondrement ou la stagnation durable du tissu productif. Elles marquent le territoire au point de le rendre tellement répulsif ou inat- tractif pour les investisseurs qu’il devient pour longtemps peu propice aux bifurcations et aux adaptations et, par suite, impropre à la mise en œuvre de combinatoires productives innovantes.

À La Ciotat, la brusque fermeture du site du chantier suscite à la fois la déstructuration sociale, la révolte violente des anciens ouvriers, la désarticulation du tissu de sous- traitance, l’altération du marché du travail ainsi que la répulsion des investisseurs suscep- tibles de réoccuper le site. À Gardanne, la fermeture progressive de l’exploitation minière

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suscite à la fois un climat social tendu, la désarticulation du tissu de sous-traitance, une pro- fonde altération des régulations sociales ainsi que la répulsion de la part des investisseurs potentiels qui préfèrent s’implanter à dix kilomètres au moins de l’ancienne ville-usine.

Autour de l’étang de Berre, la rupture inattendue du développement du complexe inscrit durablement celui-ci dans une spécialisation fermée sur elle-même qui le verrouille quasi- ment à toute tentative de diversification et qui confine une large partie de son bassin de sous-traitance dans des métiers routiniers. Le complexe se pérennisera mais à aucun moment il ne pourra créer les « ressources spécifiques inappropriables » (Colletis, 1997) sur lesquelles auraient pu se construire de nouvelles combinatoires productives.

2.2.2. La lourdeur des proximités institutionnelles

Les liens très « forts » qui avaient présidé à la superposition des trois types de proximité dans chacun des trois tissus productifs avaient abouti à ce que les éléments qui les consti- tuaient — métiers des entreprises, compétences des salariés, nature des infrastructures, ins- titutions de gestion de l’emploi, règles d’occupation de l’espace, politiques d’habitat, ins- titutions de coordination inter-entreprises, conventions de travail — s’étaient ordonnés les uns aux autres d’une manière tellement spécialisée qu’ils avaient élevé au maximum pos- sible les irréversibilités inscrites dans le territoire et qu’ils avaient rabaissé au minimum la capacité de celui-ci à attirer de nouveaux investisseurs et à opérer des combinatoires pro- ductives nouvelles. La force des liens établis et la « lourdeur » des proximités superposées étaient telles que ces territoires, au lieu de se construire s’étaient sclérosés, au lieu d’attirer avaient repoussé et au lieu d’innover avaient accumulé des formes d’institutionnalisation routinières et fermées.

Les proximistes mettent en évidence le fait qu’une forte densité institutionnelle est une condition essentielle de la capacité d’un territoire à redéployer ses actifs spécifiques selon des combinatoires productives nouvelles. Et, de ce point de vue, on peut être tenté de leur reprocher de ne pas avoir suffisamment pris en compte les cas de très forte institutionnali- sation comme ceux qu’on vient d’évoquer et qui se révèlent être, au contraire, préjudicia- bles au redéploiement innovant des actifs spécifiques. Mais ils mettent bien en évidence aussi le fait que cette institutionnalisation doit être construite autour de visions, de projets et d’exigences requises par la perspective de résolution de problèmes productifs inédits. Et de ce point de vue, on doit plutôt leur donner acte de la pertinence de leurs propos. Les cas de La Ciotat, de Gardanne et de Fos/étang de Berre illustrent bien, en effet, des situations dans lesquelles les proximités géographiques et organisationnelles se conjuguent avec des proximités institutionnelles davantage porteuses de routines exclusives et de réseaux fer- més que de visions et de projets de développement territorial tournés vers la résolution de problèmes productifs inédits.

2.3. Reconversions, débordements et filiations : l’émergence de la « proximité légère » 2.3.1. Du lourd au léger : conversions, débordements, filiations

En même temps qu’elle y suscite la sclérose ou la stagnation, la crise des trois anciens tissus productifs donne lieu à divers mouvements de transfert de ressources en direction de plusieurs autres segments territoriaux de l’aire métropolitaine : des mouvements qu’on qualifiera ici de débordements ou de filiations. Les efforts de reconversion et les démarches de diversification qui accompagnent la trajectoire de chacun des trois tissus en crise débou-

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chent sur des transferts ou des délocalisations d’activités en direction de portions du terri- toire relativement éloignées, principalement, les grandes zones industrielles préexistantes de l’aire métropolitaine. Ces zones d’activités, notamment celles du Pays d’Aix-en-Pro- vence, essentiellement occupées jusque-là par les établissements industriels et logistiques sortis des centre-villes depuis la fin des années 60, accueillent aussi, désormais, des entre- prises provenant, par filiation directe ou indirecte, des trois tissus productifs en crise.

Le territoire du Pays d’Aix-en-Provence a été construit, des années 60 aux années 80, par l’implantation conjointe de deux grands établissements technologiques : le Centre d’Études Nucléaires du CEA sur le site de Cadarache et le Centre d’Études Techniques de l’Équipement sur le site des Milles. Installés tous deux à moins de 30 kilomètres d’Aix, ils ont suscité l’irruption de plusieurs milliers d’ingénieurs et techniciens de haut niveau. Ils ont généré, soit par essaimages en cascade soit par sous-traitance, l’éclosion ou le dévelop- pement de plusieurs dizaines de petites entreprise technologiques. Le pays d’Aix est ainsi devenu, en deux décennies, le lieu d’émergence d’un « milieu technique » (Garnier, 1992) au sein duquel se sont esquissés divers réseaux de coopération 3. Ce milieu et ces réseaux se sont alors trouvés enrichis par les débordements et filiations en provenance des trois tis- sus en crise.

Au cours des années qui avaient précédé sa fermeture, le chantier naval de La Ciotat, comme les autres grands établissements de construction navale provençaux, avait tenté une diversification dans les activités industrielles d’off-shore. À cette occasion, il avait conti- nué d’entretenir des relations de sous-traitance avec un grand nombre d’entreprises à tech- nologie traditionnelle (chaudronnerie, mécanique, électricité, etc.) implantées sur le littoral industriel provençal. Mais il avait également suscité le redéploiement de certaines de ces sous-traitantes vers des activités d’instrumentation, de mesure ou de contrôle, beaucoup plus technologiques et plus tournées que les autres vers les démarches technologiques innovantes. Cette deuxième catégorie de sous-traitances avait eu tendance à s’implanter alors, non pas sur les sites traditionnellement industriels du littoral provençal mais, de manière privilégiée, dans le Pays d’Aix.

Au cours des quinze années de régression du bassin minier de Gardanne, les incitations mises en place par les pouvoirs publics en vue de compenser les pertes d’emploi avaient conduit à l’implantation dans le Pays d’Aix de deux grands établissements de fabrication de semi-conducteurs 4 et avec eux, créées par essaimage ou transfuges d’autres régions, une cohorte de petites entreprises technologiques, associées aux activités de traitement du silicium, s’étaient également implantées à proximité. Elles aussi orientées par des exigen- ces de redéploiement de leurs actifs vers des secteurs et des problèmes productifs nou- veaux, avaient choisi de s’implanter, à l’écart de Gardanne, dans ce segment territorial déjà pourvu d’externalités attractives.

Pendant les longues années de pérennisation stagnante du complexe industriel de Fos/

étang de Berre, des tendances analogues avaient conduit les entreprises sous-traitantes du

3Ces réseaux sont notamment : 1. Des réseaux informels de coopération entre entreprises, notamment dans la micro-électronique, 2. Des clubs de créateurs d’entreprises, 3. Des associations de transfert de technologie, 4.

Des associations de promotion commerciale d’entreprises.

4Une filiale de Saint Gobain et de National Semi Conducteurs et une entreprise à capitaux européens : Euro- pean Silicon Structure.

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complexe à se localiser selon les mêmes principes. Pendant que les sous-traitantes les plus traditionnelles (chaudronnerie, électricité, levage, etc.) continuaient à se localiser autour de l’étang de Berre et dans les villes du littoral, d’autres prestataires de services, nettement plus technologiques, préféraient s’implanter dans le Pays d’Aix. Désireuses de diversifier leurs métiers et leurs clientèles, soucieuses de recruter des salariés mieux formés, cette deuxième catégorie d’entreprises avait tendance, elle aussi, à se rapprocher du milieu tech- nique qui y était apparu.

2.3.2. L’indétermination du mode de développement du Pays d’Aix et la genèse du technopôle

Circonscrit dans une aire de quelques dizaines de kilomètres carrés, le Pays d’Aix était ainsi devenu, en quelques années, le siège du déploiement d’activités nouvelles opérant dans les domaines de la transmission des données, du logiciel, de l’intelligence artificielle, de l’électronique, de l’instrumentation, de la robotique, etc. Il s’y était concentré plusieurs centaines d’entreprises technologiques entre lesquelles s’étaient créées diverses associa- tions de coopération ou de promotion et au sein desquelles les essaimages avaient suscité diverses dynamiques de transfert de technologie et de mobilité des ingénieurs. Entre ces entreprises s’était développé un monde de réseaux superposés. Il s’agissait de réseaux à liens « faibles » propices aux nouvelles combinatoires technologiques et au sein desquels les entreprises en filiation avec les anciens tissus métropolitains en crise, libérées de leur contexte originel (Offner, Pumain, 1996) trouvaient l’occasion de s’affranchir des rigidités organisationnelles et des trappes institutionnelles qui avaient verrouillé l’évolution de leurs environnements précédents pour s’insérer désormais dans un milieu de grande densité ins- titutionnelle beaucoup plus propice au développement de leurs démarches innovantes.

Le Pays d’Aix était bien doté, en effet, d’une superposition de proximités géographique, organisationnelle et, surtout, d’une proximité institutionnelle naissante d’une densité et d’une ouverture qui contrastait avec la superposition fermée et alourdissante des anciens tissus métropolitains. Constitutive d’une proximité qualifiable de « légère », cette superpo- sition et cette institutionnalisation y instauraient des conditions telles qu’il aurait dû s’y déclencher rapidement un processus de spécification territoriale avec ce qu’il comporte, en principe, de capacité collective des acteurs à susciter des combinatoires productives inno- vantes en réponse aux problèmes productifs inédits. Rien de tel, pourtant, ne se passa. Les conditions de la spécification n’étaient, semble-t-il, pas toutes réunies. De fait, le territoire du Pays d’Aix avait épousé une trajectoire ambivalente qui procédait tout autant du pro- cessus d’agglomération que du processus de spécification et surtout, qui n’était portée par aucun projet.

Les quelque 700 entreprises agglomérées sur les différentes zones d’activités du Pays d’Aix constituaient un tissu dans lequel opérait tout autant une logique de juxtaposition qu’une logique d’intégration ou de réseau. La majorité des entreprises y avait été attirée tout autant par les aménités et externalités pécuniaires que par l’opportunité de s’insérer dans un territoire en construction. Les manifestations naissantes de proximité organisation- nelle n’y avaient pas permis l’émergence du processus de spécification. Et surtout, les for- mes naissantes de densification de la proximité institutionnelle n’y avaient généré ni ne s’y trouvaient portées par aucun projet collectif. Les trois types de proximité y étaient super- posés de manière telle que le tissu productif s’y trouvait en tension incertaine entre les trois

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modes de développement d’agglomération, de spécialisation et de spécification. En ce début des années 90, le milieu technique du Pays d’Aix, réceptacle de ce que l’aire métro- politaine avait accueilli ou généré de plus technologique et de plus innovant, n’était engagé sur aucune trajectoire clairement lisible. Soucieux de valoriser ce potentiel, plusieurs acteurs publics locaux allaient entreprendre de l’insérer dans un projet collectif ambitieux : la création d’un technopôle.

2.4. Le technopôle de l’Arbois comme recherche de densification institutionnelle 2.4.1. Le technopôle et la densification institutionnelle

Le technopôle de l’Arbois est une opération voulue par le conseil général des Bouches du Rhône. Le projet qui le porte vise à contrebalancer, à l’ouest de la région Provence Alpes Côte d’Azur, le technopôle de Sophia Antipolis développé à l’est. Situé au centre de l’aire métropolitaine marseillaise, il est aussi destiné à attirer des investisseurs nouveaux pour compenser par une démarche moderniste les effets sociaux des crises qui viennent d’affecter les anciens tissus productifs de cette aire. Mais, situé en bordure du Pays d’Aix, il est conçu aussi par les chefs d’entreprises, ingénieurs, cadres, chercheurs et universitai- res locaux qui le portent, comme un moyen de fixer les activités déjà installées, d’en relan- cer le dynamisme et d’y démultiplier les coopérations entre les entreprises et avec les ins- titutions de recherche et d’enseignement supérieur. Il s’agit d’intégrer le tissu productif préexistant du Pays d’Aix dans un projet collectif. Il s’agit de doter ce segment territorial du supplément de proximité institutionnelle indispensable à la relance de la construction territoriale que les acteurs privés n’ont pas pu, à eux seuls susciter jusqu’ici. Il s’agit de dépasser les principes d’agglomération et de spécialisation qui y opèrent déjà pour l’enga- ger dans une dynamique de spécification qui n’en est encore qu’aux prémices.

Rapidement cependant, les acteurs protagonistes du projet doivent composer entre deux démarches : le technopôle a-t-il pour vocation de féconder le tissu productif du Pays d’Aix en l’engageant dans les voies institutionnalisantes qui y rendront irréversible le processus de spécification ou bien a-t-il pour vocation d’attirer sur son propre site des investisseurs nouveaux selon une stricte logique d’agglomération ? Les décideurs s’efforcent de conju- guer les deux vocations. La forte attractivité du site — bientôt doté d’une gare de TGV — permet d’envisager l’accueil de certains grands équipements scientifiques ainsi qu’un grand nombre d’entreprises à la recherche d’aménités et d’infrastructures de qualité. De fait, la perspective de faire du technopôle l’instance principale des efforts de spécification du territoire cesse d’être centrale. Le projet prend peu appui sur les réseaux naissants appa- rus entre les entreprises du Pays d’Aix. Il s’inscrit davantage dans une perspective de concurrence des territoires en vue d’attirer des investisseurs allogènes 5 que dans l’ambi- tion de favoriser des coopérations productives innovantes au moyen d’une densification institutionnelle fondée sur un projet collectif. Aux proximités géographiques, il superpose des proximités organisationnelles réduites et des proximités institutionnelles encore for- melles. Il n’en contribue pas moins à la densification institutionnelle d’ensemble de l’aire métropolitaine dans un cadre géographique qui s’émancipe du seul Pays d’Aix.

5L’objectif est, notamment d’attirer des investisseurs spécialisés dans les activités dédiées à l’Environne- ment.

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2.4.2. La densification institutionnelle au niveau métropolitain

Elle va se réaliser dans le cadre élargi de l’ensemble de l’aire métropolitaine. Les pre- miers réseaux de coopération apparus dans le Pays d’Aix dans le domaine de la micro-élec- tronique se renforcent et se redéploient en intégrant des acteurs productifs ou scientifiques localisés dans les zones d’activité ou les technopôles des autres segments territoriaux de l’aire métropolitaine (Zimmermann, 1998). De même en est-il des réseaux de coopération esquissés dans un premier temps dans le Pays d’Aix en matière d’environnement. Et de même en est-il des relations instaurées entre différents partenaires industriels et scientifi- ques en matière de mécanique énergétique.

Ainsi, traversé par des réseaux de coopération de plus en plus actifs au niveau de l’ensemble de l’aire métropolitaine, participant de proximités organisationnelles et institu- tionnelles à ce même niveau, le tissu productif du Pays d’Aix a tendance à s’inscrire pro- gressivement dans un espace élargi. L’extension de ces réseaux esquisse, dès lors, un nou- veau territoire (Offner, Pumain, 1996) au sein duquel un processus de spécification pourrait progressivement émerger pourvu qu’un projet mobilisateur vienne en précipiter le déclenchement.

Au total, des anciens tissus productifs aux formes récentes de déploiement métropo- litain en passant par le développement du Pays d’Aix et par la création du technopôle, on peut dire qu’une trajectoire métropolitaine de l’appareil productif s’est profilée au cours des 25 dernières années. Se « déplaçant » en quelque sorte d’un segment à l’autre du territoire métropolitain, ponctuée de crises, de débordements et d’initiatives publi- ques, cette trajectoire s’est déroulée sous l’effet des comportements — intentionnels ou non intentionnels — des différents acteurs parties prenantes. Successivement mus par la nécessité de fuir les blocages de la spécialisation et des proximités lourdes qui lui étaient associés, poussés par le besoin d’activer l’agglomération des entreprises de haute technologie et les proximités légères qui leur étaient associées ou encore motivés par l’intention de mettre à profit ces dernières pour susciter des processus productifs collectifs innovants, les comportements de ces acteurs, dessinent en fait un chemine- ment. Par-delà le désordre apparent des segmentations métropolitaines et erratiques des évolutions de l’appareil productif, nous pouvons dégager l’ordre et le sens d’une trajec- toire collective.

3. Trajectoire métropolitaine et « apprentissage territorial »

Notre démarche permet de tirer quatre types d’enseignements. Elle permet : 1) d’ébau- cher une contribution à l’approche économique du processus de métropolisation. 2) d’apporter une contribution à l’approche de l’apprentissage territorial. 3) de préciser les conditions de cet apprentissage. 4) de mieux saisir le statut du « projet » dans la trajectoire de l’appareil productif métropolitain.

3.1. Une contribution supplémentaire à l’approche du territoire comme construction sociale La démarche séquentielle choisie, consistant à saisir l’articulation historique entre plu- sieurs segments territoriaux d’un appareil productif métropolitain, nous a conduits à dépas-

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ser la posture monographique courante. Elle nous a permis d’approcher les principes opé- rant dans la rencontre entre une dynamique de re-composition productive et une dynamique de re-composition territoriale, l’une et l’autre étant l’envers et endroit d’un même processus. En révélant certains aspects saillants de la trajectoire de l’appareil pro- ductif d’une aire métropolitaine, elle a permis d’ébaucher une contribution supplémentaire à l’approche économique du processus de métropolisation et à celle de la construction sociale du territoire.

Dans cette perspective, les outils proposés par les économistes proximistes nous ont été précieux. La combinatoire évolutive des trois types de proximité a constitué le principe auquel nous avons pu ordonner aussi bien les différenciations entre segments territoriaux, les séquences historiques de leurs évolutions respectives. Aux concepts élaborés par les proximistes nous avons rajouté les notions de « proximité lourde » et de « proximité légère ». Ces notions nous ont été utiles et vont encore nous aider à tirer maintenant quel- ques enseignements de la démarche adoptée.

3.2. Des « proximités lourdes » aux « proximités légères » : la trajectoire métropolitaine projection locale d’une mutation générale

La proximité que nous avons qualifiée de lourde est celle qui caractérise des segments territoriaux dans lesquels le recouvrement entre les trois types de proximité se manifeste à un degré élevé de congruence et dans lesquels les manifestations très denses de proximité institutionnelle sont moins constituées par des réseaux souples et ouverts que par des

« liens forts » et fermés sur eux-mêmes. Les vertus de ce type de proximité résident dans l’adéquation entre les ressources mobilisées localement avec les exigences de stabilité d’un tissu productif spécialisé. Ses limites, en revanche, résident dans les inerties, rigidités et irréversibilités quelle génère.

La proximité légère est celle qui caractérise les segments territoriaux dans lesquels le recouvrement entre les trois types de proximité, plutôt que d’être rigidifié dans une con- gruence close, peut donner lieu à des combinaisons changeantes, la proximité institution- nelle s’y manifestant par des réseaux ouverts à « liens faibles ». Les vertus de ce type de proximité résident dans les potentialités offertes à des combinatoires productives innovan- tes. Ses limites apparaissent, en revanche dans le fait que les réseaux existant dans ce cas ne peuvent pas participer à un processus de construction territoriale s’ils ne sont pas mobi- lisés dans le cadre d’un projet et plus particulièrement d’un projet visant à la résolution de problèmes productifs particuliers.

De la fin des années 1960 au début des années 2000, il apparaît que la trajectoire de l’appareil productif métropolitain marseillais a cheminé du « lourd » au « léger ». Alors que les territoires lourds disparaissent ou entrent en crise, les ressources mobilisées se con- centrent ou se déplacent vers des territoires légers. Ce cheminement n’est pas une particu- larité locale. Il n’est rien d’autre que la projection locale d’un cheminement plus général observé au cours du dernier siècle dans les pays européens : le cheminement depuis les for- mes massives du « site industriel » — ville-usine ou site industrialo-portuaire — vers les formes beaucoup plus décentralisées et diffuses des zones d’activités (Piore, Sabel, 1984).

Ce cheminement est erratique. Il émane d’acteurs privés ou publics nombreux dont les comportements intentionnels ou non intentionnels sont souvent hésitants. Ce cheminement consiste en un apprentissage.

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3.3. La trajectoire de l’appareil productif : manifestation d’un « apprentissage territorial »

Dans son cheminement du lourd vers le léger, l’appareil productif métropolitain est mis en mouvement à l’occasion de choix opérés par les acteurs, notamment les entreprises, les collectivités locales et les organismes professionnels. C’est l’agencement de ces choix, des atermoiements, des essais et erreurs qui y ont présidé qui constitue ce qu’on appellera ici l’« apprentissage territorial ».

Les acteurs publics et privés des anciens tissus productifs de La Ciotat, Gardanne et Fos/

étang de Berre ont peu appris pendant longtemps parce que les acteurs privés et publics y avaient inscrit leurs tissus productifs respectifs dans un temps long indéterminé et quasi- ment éternel qui les empêchait d’anticiper et de gérer la crise. Ce n’est que trop tard qu’ils ont appris l’intérêt qu’ils auraient eu à favoriser l’émancipation de leur territoire d’une spé- cialisation excessive et de sa lourdeur. Pour leur part, les acteurs publics locaux concernés par le développement du nouveau tissu productif du Pays d’Aix ont appris assez rapide- ment que le principe de l’agglomération devait être dépassé par une démarche institution- nalisante volontariste débouchant sur la création du technopôle. Les mêmes acteurs publics apprennent aujourd’hui qu’une telle démarche ne peut, à elle seule, déclencher un proces- sus de spécification si elle ne prend pas appui sur les réseaux productifs préexistants.

Les différents acteurs ont appris, en somme, par essais-erreurs, après hésitations et ater- moiements, à juger les situations dans lesquelles se trouvaient leurs tissus productifs. Mais ils l’ont fait souvent trop lentement, trop tardivement et sans en tirer les enseignements.

L’apprentissage territorial inhérent à la trajectoire de l’appareil productif métropolitain aurait gagné à être régulièrement observé et évalué afin d’être mieux piloté. L’apprentis- sage territorial aurait gagné, en somme, à être lui aussi institutionnalisé. Car ce qui a le plus fait défaut, tout au long du cheminement de la trajectoire, relève de l’instance institution- nelle.

3.4. De la nécessité du « projet »

Les proximistes insistent bien sur le fait que le passage au processus de spécification du territoire nécessite non seulement le recouvrement des trois types de proximités et une forte densité des proximités institutionnelles, mais encore l’existence d’institutions porteuses de projet. Il importe d’insister ici sur ce dernier élément. L’existence du projet ne nous paraît pas être seulement une condition de réalisation du processus de spécification. Elle apparaît aussi comme une question centrale à toutes les étapes de cheminement de la trajectoire.

À La Ciotat comme à Gardanne et à Fos/étang de Berre, la crise ou la stagnation aurait pu être prévenue si une volonté concertée de diversification ou de re-composition avait rompu l’extrême cohérence et la lourdeur du processus de spécialisation. Dans le Pays d’Aix, aujourd’hui, et plus largement dans l’ensemble de l’aire métropolitaine, les réseaux émergents apparaissent peu susceptibles de déboucher sur le processus de spécification tant qu’un projet métropolitain ne viendra pas les orienter durablement sur la résolution de problèmes productifs inédits. Réciproquement, l’évolution du technopôle révèle bien que la mise en place d’un projet ne suffit pas à lui seul pour déclencher un processus de spéci- fication s’il ne prend pas appui sur les institutions, notamment les réseaux préexistant loca- lement.

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Absence de projet dans les anciens tissus. Urgence d’un projet dans le nouveau tissu du Pays d’Aix. Disjonction entre le projet et les réseaux préexistants lorsque les acteurs publics créent de nouvelles institutions technopôlaires. Urgence, à nouveau, d’un projet lorsque les acteurs se rendent compte que les réseaux de coopération désormais déployés sur l’ensemble de l’aire métropolitaine sont susceptibles de définir un nouveau territoire innovant. La question du projet se trouve bien présente à tous les stades de la trajectoire de l’appareil productif métropolitain. En le constatant au terme de cet article, on peut suggérer qu’en ce qui concerne une aire métropolitaine, le pilotage du développement de l’appareil productif requiert aussi un apprentissage du projet.

4. Conclusion

Nous pouvons conclure à deux points de vue : celui des outils d’analyse et celui de l’analyse de la trajectoire métropolitaine marseillaise.

4.1. Du point de vue des outils d’analyse

La référence aux propositions des économistes de la proximité s’avère très utile. Leurs outils se trouvent validés par notre analyse. Celle-ci nous permet d’émettre quelques sug- gestions concernant les conditions d’usage de ces outils.

Un excès de proximité institutionnelle peut constituer une entrave au renouvellement ou à la re-composition d’un tissu productif local.

La dimension « projet » de la proximité institutionnelle est centrale dans tous les cas de figure du mode de développement, en particulier si l’on se place dans une perspec- tive de cheminement de la trajectoire de l’appareil productif métropolitain.

Dans la perspective d’un meilleur pilotage de cette trajectoire, la proximité institu- tionnelle gagnerait à intégrer une dimension proprement cognitive : celle de l’évalua- tion permanente.

La trajectoire de l’appareil productif métropolitain relève de l’apprentissage collectif et son analyse est de nature à conforter une conception du territoire comme instance où se construisent des « dispositifs cognitifs collectifs » (Courlet, Pecqueur, Soulage, 1993). À ce titre, la catégorie « proximité institutionnelle » gagnerait à intégrer les trois dimensions projet, apprentissage et évaluation.

4.2. Du point de vue de la dynamique productive de l’aire métropolitaine marseillaise On a pu vérifier que, par-delà le désordre apparent du processus de métropolisation, il était possible de discerner dans cette aire, sur une moyenne période de 25 ans, une trajec- toire de l’appareil productif. Trois traits saillants se dégagent de notre analyse.

Les segments anciens de l’appareil productif métropolitain ont été caractérisés par une trop grande densité institutionnelle.

Les segments nouveaux de cet appareil productif sont caractérisés jusqu’à ce jour, par une trop faible densité institutionnelle.

Dans tous les cas et à chacun des stades de la trajectoire, l’aire métropolitaine a souf- fert à la fois d’une absence d’évaluation de sa trajectoire et d’un manque de « projet » collectif.

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