L’ouvrage La mondialisation, stade suprême du capitalisme ?, édité par Wladimir Andreff aux Presses universitaires de Paris Ouest, est le premier ouvrage en langue française dédié à la crise de la mon- dialisation. Il offre au lecteur l’occasion de prendre la mesure de la vigueur de l’école française de l’économie de la mondialisa- tion. L’ouvrage, qui vise à rendre hommage à l’un des plus éminents représentants de cette école, Charles-Albert Michalet, dis- paru voici plus de 5 ans à l’âge de 68 ans, associe de nombreux auteurs sur les théma- tiques chères à ce dernier, parmi lesquelles : les stratégies des firmes multinationales, la dynamique de la mondialisation, le mana- gement international de la technologie, l’attractivité des investissements étrangers, le développement économique.
Pour de nombreux lecteurs profanes en la matière, la référence à Michalet requiert un éclairage complémentaire du bel éloge de Christian de Boissieu. Le Professeur Michalet fut un économiste iconoclaste, possédant tout à la fois un sens fin de l’ob- servation, une plume inspirée, une faculté oratoire hors du commun doublée d’un panache digne des plus grands acteurs.
Dans la grande tradition académique fran- çaise, Charles-Albert Michalet a formé des générations entières d’étudiants à la firme multinationale et au processus de la mon- dialisation, qu’il avait très tôt entrevu. Dès la fin des années soixante, il s’affranchit du cadre étroit de l’économie politique, l’arène d’alors des États-nation, c’est-à- dire des espaces clos pour les facteurs de production, suivant la formule consacrée
N O T E D E L E C T U R E
La mondialisation,
stade suprême du capitalisme ?
Sous la direction de Wladimir Andreff
Presses universitaires de Paris Ouest, 2013, 394 p., 25 euros
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de François Perroux. Se démarquant de ses contemporains, il adopta la firme transna- tionale pour objet d’étude et fonda le Centre d’études et recherches sur les entreprises multinationales (CEREM) à l’université de Nanterre. Un choix téméraire pour l’époque – largement dominée par l’État-nation – mais rétrospectivement clairvoyant. Selon lui, la dynamique naissante de l’écono- mie mondiale ne pouvait émaner que de jeux d’acteurs transcendant les barrières protectionnistes. Le nombre croissant des émules contemporains de Charles-Albert Michalet, y compris parmi ses collègues autrefois acquis à l’orthodoxie de l’éco- nomie politique et tardivement reconverti à la dynamique de l’économie mondiale, constitue d’ailleurs une marque évidente de la justesse de ses intuitions pionnières.
À l’heure où la mathématisation des sciences économiques s’arrogeait progres- sivement le monopole du mérite scien- tifique, conduisant à l’émergence d’une pédagogie souvent désincarnée, l’approche dialectique tenait lieu à la fois de démarche scientifique et de cadre pédagogique pour Charles-Albert Michalet. Suivant l’optique Bachelardienne selon laquelle le réel ne se montre pas, mais se démontre, Michalet épuisa tous les recours théoriques possibles pour expliquer les multiples facettes de la mondialisation. En décalage avec cer- tains de ses contemporains aux convictions très affirmées, il manifesta une ouverture intellectuelle à la mesure de la complexité du phénomène. Se plaçant tout à la fois au niveau de la sphère de la production et de la sphère du marché, il emprunta aux divers paradigmes des sciences écono- miques – classique, néoclassique, marxiste, keynésien – en proportion de leur pouvoir explicatif. Certains apports essentiels de la
discipline encore embryonnaire du mana- gement – cycle de vie du produit, théorie comportementale des organisations, théorie des coûts de transaction – furent également mis à contribution. Au total, la perspective proprement fédératrice de Michalet débou- cha sur la transposition des cycles écono- miques de Marx au capitalisme mondial, dont l’ouvrage édité par Wladimir Andreff souligne la pertinence à travers l’analyse de la crise actuelle.
Vers le milieu des années quatre-vingt, commença à se dessiner une tendance encore bien incertaine de partenariats et d’alliances interentreprises. Charles-Albert Michalet fût l’un des rares économistes de l’époque à prédire l’amplification et la pérennisation de ce mouvement. Il n’en fût pas autrement.
Ainsi, par exemple, le revenu global généré par la coopération interentreprise au niveau des 1 000 plus grosses entreprises améri- caines est passé de 2 % en 1980 à 21 % en 1997 (J.R. Harbison et P. Pekar Jr., Smart Alliances: A Practical Guide to Repea- table Success, Jossey-Bass, 1998). Selon Michalet, la coopération interentreprise devait progressivement devenir une force essentielle de régulation du capitalisme mondial contemporain qui, tout en consti- tuant une alternative viable à l’option concurrentielle, en altérerait le principe même. Un tel scénario rend évidemment plus difficile, ainsi que le suggère le titre du présent ouvrage, toute tentation prophé- tique, qu’elle soit sombre, à la Lénine, ou candide, à la Kautsky, sur l’issue du mouve- ment dialectique de l’économie mondiale. À sa manière, Michalet incarnait un marxisme sans effusion, mais sans reniement, un marxisme schumpétérien en somme.
En qualité de consultant auprès d’orga- nisations internationales (FMI, Banque
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Note de lecture 177
mondiale, OCDE), Michalet fut également un homme de terrain et évita ainsi les pièges d’un ésotérisme stérile auxquels s’expose parfois l’enseignant-chercheur en sciences économiques. À l’heure où l’envi- ronnement commençait de susciter un alar- misme général justifié, Michalet soulignait avec pertinence combien la mondialisation offrait une opportunité sans précédent de constitution d’un dispositif multilatéral de gouvernance de lutte contre le réchauf- fement climatique. Son expertise de la firme multinationale devait naturellement le porter à servir de conseil auprès d’instances gouvernementales sur l’identification et la mise en œuvre des leviers de l’attractivité économique territoriale et nationale.
Son influence fût significative aux plus hauts niveaux de responsabilité dans les secteurs publics et privés. Dans les sémi-
naires de recherche qu’il animait à l’uni- versité, le caractère magistral de sa pres- tation résidait dans sa capacité à initier ses étudiants à forger des problématiques pertinentes. Si, suivant l’aphorisme de Paul Valéry, « l’homme de génie est celui qui m’en donne », Michalet fut prodigue en la matière pour ses multiples auditoires.
En somme, l’œuvre de feu Charles-Albert Michalet fût à l’image de celle de son contemporain outre-Atlantique John Kenneth Galbraith, tout à la fois intel- ligente, hétérodoxe et prolifique. À ses collègues réunis à l’occasion du présent ouvrage, il lègue sa démarche d’éclaireur méthodique et sincère, de pédagogue passionné et bienveillant.
Fouad El Ouardighi
ESSEC
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