Éditorial
L’information au XXI
esiècle : deus ex machina
Une révolution silencieuse se produit. Celle-ci ne déroule pas dans les espaces feutrés des multinationales et des cabinets fantômes. Elle envahit notre modeste quotidien pour ériger chacun de nous en analyste en herbe. Cette révolution, c’est l’évolution rampante et perpétuelle d’Internet. Ce formidable « tout », sur lequel on imagine que tout ou presque a déjà été fait, qu’il n’y a plus rien à y inventer. Mais c’est sans compter sur la créativité de l’homme et les potentialités qui émergent de l’interaction sociale, voire des rapports psychosociologiques, parfois. Le Web, ce « brainstorming géant » (le « web squarred » anticipé par O’Reilly et Battelle1), aboutit à ce que chaque utilisateur projette une « ombre d’information », une aura de données qui, quand elle est capturée et traitée intelligemment, offre des opportunités extraordinaires et des implications hallucinantes.
Or les chercheurs et les praticiens de l’IE savent aujourd’hui conceptualiser et manier les trajets de construction du sens, grâce aux apports de la psychologie cognitive et de la sociologie des organisations notamment. Par contre l’implication de la technologie dans la survenance de biais cognitifs, lors de la recherche d’information sur le web par exemple, reste une question en suspens.
L’interrogation essentielle réside donc aujourd’hui dans l’analyse relationnelle : comment le « consommacteur » d’information régit-il son attitude et modèle-t-il ses comportements face au progrès technique ? Car via internet, nous sommes entrés de plain pied dans l’ère de la métadonnée, sous le joug de la dictature du « tag ». Par conséquent, on ne peut faire abstraction des usages qui sont faits des outils d’intelligence économique sur Internet ; à plus forte raison lorsque l’infostratégie, devenue prégnante, consiste à contrecarrer l’objec- tivité du journaliste, du concurrent, ou de l’opinion. Rien n’est plus naturel : l’internaute ne cherche plus l’information, le web sémantique la lui apporte, désormais.
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estompent pour laisser place à un entonnoir vide de sens, où s’engorgent des données de valeurs indifférenciées. La quête de l’exhaustivité est un piège. Mais ironie du sort, les solutions logicielles de veille nous promettent justement de ne plus rien rater. La course
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à l’armement, par la surenchère informationnelle, a bel et bien commencé. Il appartient au veilleur, à l’analyste, de préserver une posture critique et rigoureuse face à l’intelligence DUWLÀFLHOOHHWDX[WHFKQRORJLHVpPHUJHQWHVGH©OLQNHGGDWDªTXLQ·RQWGHUHODWLRQTXHFHOOH que les machines ont daigné leur attribuer.
Car sous ces vagues d’innombrables données, a fortiori lorsqu’elles sont stratégiques, le biais d’interprétation guette. Un tant soit peu déconcentré, on y perd vite son latin. Dans l’absolu, l’étude de la technique informationnelle, en soi, est une chose. Mais parvenir à en révéler les modes d’appropriation, à travers ses usages (leviers de leur performance), en est une autre.
À travers son troisième numéro, la Revue Internationale d’Intelligence Économique a donc souhaité entamer ce questionnement : comment l’analyste ou le stratège domestiquent- t-ils les systèmes d’information, le web sémantique, les réseaux sociaux, ou bien encore les technologies analytiques ? Cette problématique est, et restera centrale pour l’intelligence économique ; car ces instruments sont un socle décisionnel désormais incontournable.
Nous tenons à cette occasion à remercier Nicolas Moinet, sans le soutien et sans O·H[SHUWLVHGXTXHOQRWUHUpÁH[LRQHXWpWpLQFRPSOqWH1LFRODV0RLQHWVHORQOHTXHOWURLV dimensions analytiques principales peuvent très justement être relevées en IE : l’analyse relationnelle qui permet de reconstituer l’activité collaborative par laquelle le phénomène que l’on observe a pu être créé ; l’analyse syntaxique dont l’idée est d’arriver à décortiquer un texte pour en extraire des informations (veille d’image sur internet par ex.) ; l’analyse abductive, approche très féconde pour découvrir des connexions latentes entre des phé- nomènes actuellement disjoints2.
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Nous vous souhaitons une agréable lecture.
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Ludovic François, DirecteurDamien Bruté de Rémur, rédacteur en chef Nicolas Menguy, secrétaire général de la rédaction
1 O’Reilly T & Battelle J., Web Squared: Web 2.0 Five Years On, Web 2.0 Summit, San Fransisco, 2009 Téléchargeable sur le site www.web2summit.com
2 Appel à communication Usages et performances des outils d’intelligence économique, R2IE (www.revue-r2ie.com)
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