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Endormir pour ne pas laisser souffrir : des enjeux éthiques de la sédation continue en fin de vie

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Academic year: 2021

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DIDIER CAENEPEEL

ENDORMIR POUR NE PAS LAISSER SOUFFRIR :

DES ENJEUX ÉTHIQUES DE LA SÉDATION CONTINUE EN FIN DE VIE

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de !’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître es arts (M.A.)

FACULTÉ DE THÉOLOGIE ET DE SCIENCES RELIGIEUSES UNIVERSITÉ LAVAL

MARS 2002

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RÉSUMÉ

La médecine palliative a pour finalité le suivi médical et humain de la personne en phase terminale en cherchant à lui prodiguer, le plus possible, un confort physique et psychologique. Ce confort est en grande partie hé au contrôle de la douleur physique au moyen d’analgésiques dont le dosage est constamment ajusté. Dans la plupart des cas, le contrôle de la douleur et un accompagnement humain pourront assurer au patient en phase terminal un apaisement physique et psychologique, tout en le laissant pleinement conscient. Il arrive cependant que des situations peuvent échapper au contrôle médical et pour lesquelles il n’est plus possible de soulager la souffrance avec les moyens courants disponibles, fussent-ils les plus efficaces. Une pratique qui est alors utilisée est celle d’induire le patient dans un sommeil artificiel au moyen de sédatifs puissants, afin de lui faire perdre la conscience de sa souffrance. Cette mise en sommeil pharmacologiquement induit pour une période déterminée est appelé sédation active ou sédation continue. Les situations extrêmes sont rares mais pas exceptionnelles. La pratique de la sédation continue soulève de nombreux enjeux éthiques. À partir d’une topologie des lieux éthiques que nous proposerons, nous explorerons un certain nombre de pistes qui peuvent éclairer ces enjeux. Nous situerons, en particulier, la sédation continue par rapports aux pratiques euthanasiques et par rapport aux soins palliatifs.

Didier Caenepeel Étudiant

Bernard Keating Directeur de recherche

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AVANT-PROPOS

Je voudrais, tout d’abord, chaleureusement remercier le professeur Bernard Keating qui m’a proposé le sujet de cette recherche et qui m’a dirigé dans cette dernière. Je tiens à remercier également les professeurs Anne Fortin et Raymond Brodeur pour leurs conseils et encouragements, de même que le professeur Bruno Cadoré pour ses suggestions concernant l’articulation entre la sédation et l’accompagnement. Je remercie les professeurs Pierre Gaudette et Raymond Ibe mieux pour leur évaluation du mémoire en tant que membres du jury. J’exprime ma plus vive et amicale gratitude à Maxime Allard pour ses conseils, ainsi que pour sa lecture critique des premières ébauches. J’aimerais également exprimer tout spécialement ma reconnaissance et mon amitié à José Pereira pour son appui, pour les discussions et les échanges partagés, ainsi que pour sa lecture appliquée du manuscrit final. Enfin, je témoigne ma reconnaissance et mon affection à mes parents pour leur soutien constant au long de mes cheminements académiques.

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Page

RÉSUMÉ ... iii

AVANT PROPOS ... ... y TABLE DES MATIÈRES ... ... ...vii

LISTE DES FIGURES ... xi

INTRODUCTION... 1

CHAPITRE 1 : LA PRATIQUE DE LA SÉDATION I. Terminologie et définitions ... 6

1. Petit florilège de définitions... 7

2. Les avatars d’une terminologie ... 11

II. Typologie et indications ... 13

1. Les caractéristiques du sommeil induit ... 13

2. Les types de sommeils induits ... 15

3. Les indications de la sédation ... 16

4. Le recours à la sédation en fin de vie : enquête empirique et statistique ... 20

III. Topologie, problématique et enjeux éthiques...21

1. Le lieu de la souffrance ... 21

2. Les enjeux éthiques liés au lieu de la souffrance ... 25

3. Le lieu du vouloir dormir... 27

4. Les enjeux éthiques liés au lieu du vouloir dormir ... 29

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CHAPITRE 2 : REPÈRES ÉTHIQUES SUR LA DOULEUR ET LA SOUFFRANCE

I. Douleur et souffrance ... 35

1. Explorations étymologiques et sémantiques... 35

2. Distinguer entre douleur et souffrance ... 38

3.. . Sémiologie de la douleur et de la souffrance... 39

4.. . L’horizon socio-culturel et symbolique de la souffrance ... 40

5.. . La souffrance comme inscription temporelle de la douleur ... 41

6.. . Les limites de la distinction ... 43

IL Penser la souffrance : Phénoménologie du souffrir ... 44

1. L’axe du rapport soi-autrui ... 44

2. Le paradoxe de la souffrance ...45

3. L’axe de l’agir-pâtir... 46

4. Souffrance et souffrant ... 47

5. La problématique du sens de la souffrance...49

6. Le sens de la souffrance : le rapport à soi et à l’autre ... 53

ΙΠ. Médecine, douleur et souffrance... 55

1. Médecine et douleur : une histoire houleuse ... 55

2. Médecine et douleur : un combat... 57

3. Médecine et souffrance : de l’oubli à l’illusion ... 58

IV. Conscience et souffrance... ... ... 61

1. Souffrance totale et occlusion de la conscience... 62

2. Souffrance, conscience et mort ... 63

3. De la dignité de l’endurant à la dignité du souffrant... 64

CHAPITRE 3 : REPÈRES ÉTHIQUES SUR LA MORT ET LE SOMMEIL I. Penser la mort et le mourir?... 68

1. Penser la mort... ... 68

2. Les attitudes de l’homme devant la mort... 70

3. La mort en déplacement ... 72

4. Les conceptions de la « bonne mort » ... 73

5. La mort au pluriel... 74

II. Éthique de la mort et milieu médical ... 75

1. Échec et mort ... 76

2. Une mort pas si « naturelle » : mort évitée et mort provoquée... 78

3. De la mort imprévisible à la mort attendue ... 78

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2. Le « sommeil de mort » dans les Écritures... 84

3. « Il était une fois... » : le conte de la Belle au bois dormant... 86

4. La métaphore du sommeil dans le langage courant ... 88

89 90 93 94 96f IV. Mourir et dormir « entre la vie et la mort »... ... 1. De l’expression « fin de vie » ... 2. La métamorphose du temps ... 3. La vie et la mort sur l’axe de la présence-absence 4. Dignité, autonomie et conscience ... CHAPITRE 4 : PENSER LA SÉDATION PAR RAPPORT À L’EUTHANASIE I. La question de l’euthanasie : examen des définitions et des typologies ... 99

1. Définir l’euthanasie ... 99

2. Les typologies usuelles... 102 ,

3. Les positions juridiques ... 105 |

H. Dormir à défaut de mourir... 106 11 1. Le contexte juridique du débat... 106'

2. La sédation assimilée à l’euthanasie ... 109

3. La sédation examinée comme alternative à l’euthanasie... 113

4. La sédation opposée à l’euthanasie ... 117

5. La sédation proposée comme compromis dans le débat sur l’euthanasie ... 118

III. Quelques clés pour une lecture et une analyse de la question ... 121

1. De quoi parle-t-on?... ... 122

2. La focalisation sur le risque létal ... 123

3. Le légal et le moral... 124

4. Le recours à des conditions cliniques... 125

5. Approche critique du recours au principe du double effet ... 126

6. L’algèbre des principes?... 130

7. L’utilisation de la doctrine du double effet dans les discours de Pie XII... 130

CHAPITRE 5 : PENSER LA SÉDATION PAR RAPPORT AUX SOINS PALLIATIFS I. Médecine et soins palliatifs ... 136

1. Retour aux sources de la médecine?... 136

2. Le développement des soins palliatifs modernes ... 138

3. Soins palliatifs et prise en charge de la douleur... 140

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Π. Sédation et soins palliatifs ... 144

1. La sédation : défi ou risque pour les soins palliatifs ... 144

2. La sédation : un conflit de valeurs ... 145

3. La sédation : échec ou chance pour la médecine palliative... 146

4. Soulager toute souffrance à tout prix : le risque de Γ acharnement palliatif... 148

III. La sédation en fin de vie : dormir accompagné? ... 150

1. Accompagner... 150

2. L’appel et l’écoute : accompagner l’autre souffrant ... 152

3. Le dialogue : accompagner la volonté de dormir... 154

4. Le regard et le souffle : accompagner l’autre qui dort ... 156

CONCLUSION ... 158

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Figure 1. Le lieu éthique de la souffrance Figure 2. Le lieu éthique du vouloir dormir

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 José,

l’ami qui a permis que mon regard dépasse les horizons de sécheresse.

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Requiem aeternam dona eis

« Endormir pour ne pas laisser souffrir »... L’expression qui compose le titre de ce mémoire peut apparaître surprenante. L’usage transitif du verbe « endormir » est peu courant dans le langage quotidien, tantôt évoquant le geste d’une mère à l’endroit de son enfant pour l’aider à trouver le sommeil, tantôt désignant l’acte d’anesthésie réalisé par le médecin lors d’une chirurgie. Nous sommes davantage enclin à utiliser ce verbe dans sa forme pronominale « s’endormir ». Alors que dans ce dernier cas, nous en sommes le sujet, dans le premier, en revanche, le sujet du sommeil apparaît être l’objet de l’acte, et il y a donc présence d’un tiers.

Le sommeil nous coupe de la réalité dans laquelle nous évoluons normalement. Le temps se retrouve suspendu. Nous perdons conscience de ce que nous vivons, et en particulier de ce qui nous fait souffrir. Le sommeil, pour celui qui le trouve dans les moments d’agitation et d’angoisse, se révèle un havre d’oubli et de tranquillité momentanés. Mais il ne s’agit pas ici du sommeil « naturel » qui fait partie de notre cycle biologique et qui est indispensable à notre survie même. Le sommeil dont il est ici question est un sommeil induit en fin de vie. En s’inscrivant sur cet horizon, l’acte d’endormir nous interpelle et nous questionne. Le voisinage tant réel que symbolique du sommeil avec la mort a de quoi nous laisser quelque peu perplexe. L’acte

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d’endormir ne peut plus être perçu comme un geste banal. Il prend une dimension éthique et commande une réflexion approfondie.

Les soins palliatifs ont pour finalité le suivi médical et humain de la personne en phase terminale en cherchant à lui prodiguer, le plus possible, un confort physique et psychologique. Ce confort est en grande partie lié au contrôle de la douleur physique au moyen d’analgésiques dont le dosage est constamment ajusté. Dans la plupart des cas, le contrôle de la douleur et un accompagnement humain pourront assurer au patient en phase terminale un apaisement physique et psychologique, tout en le laissant pleinement conscient. Il arrive cependant que des situations peuvent échapper au contrôle médical et pour lesquelles il n’est plus possible de soulager la souffrance avec les moyens courants disponibles, fussent-ils les plus efficaces. Une pratique qui est alors utilisée est d’induire un sommeil artificiel au moyen de sédatifs puissants afin de faire perdre au patient la conscience de sa souffrance. Cette mise en sommeil pharmacologiquement induit pour une période déterminée est appelée sédation active ou sédation continue. Les situations extrêmes sont rares mais pas exceptionnelles. La pratique de la sédation continue soulève de nombreux enjeux éthiques. Nous chercherons à explorer un certain nombre de pistes qui peuvent éclairer ces enjeux, à l’aide d’une argumentation prenant en compte les divers aspects de la problématique éthique soulevée, tant au plan des principes sous-jacents qu’au plan de la prise de décision ainsi qu’à celui de l’impact social du recours à cette pratique.

De manière plus générale, ce mémoire de maîtrise en théologie s’inscrit dans le champ de la bioéthique. Ce terme est apparu récemment dans le champ théologique. Il se présente comme un mot inusité d’un point de vue sémantique, aux frontières et connotations plutôt floues et qui, bien que familier du vocabulaire moderne, interroge par sa présence et son association avec une discipline plus que traditionnelle. La bioéthique est un domaine jeune qui se présente comme un carrefour de réflexion éthique au confluent de plusieurs disciplines. Les problèmes qui la concernent sont, pour une bonne part, hérités des développements techniques qu’a connus la biomédecine, toujours en quête d’une plus grande maîtrise des limites et des

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contingences de l’être humain dans ses dimensions biologique et psychologique. Si les questions éthiques que ces pratiques soulèvent sont récentes et souvent inédites, les réponses peuvent, en revanche, s’inspirer des grandes traditions philosophiques et théologiques qui ont cherché, de tout temps, à apporter des pistes pour penser les mystères de la vie, de la souffrance et de la mort.

La bioéthique, par sa nature même de champ d’interaction au carrefour de plusieurs disciplines, propose des visées et des méthodes particulières et diverses. Il n’existe pas un axe unique, ou encore une seule façon, pour mener une réflexion éthique dans ce domaine particulier. La bioéthique ne se présente pas sous la forme d’une discipline mais davantage comme une structure de réflexion et d’action qui s’alimente des approches et des savoirs d’une multitude de disciplines. C’est ce qui fait sa particularité et sa richesse pour aborder les problèmes éthiques difficiles et complexes que suscitent les avancées techniques des sciences biomédicales. Parmi les acteurs de ce débat, le théologien est interpellé. Riche de sa tradition qui s’est toujours préoccupée des questions fondamentales auxquelles doit faire face l’être humain, et fort d’une ouverture vers l’altérité qui permet à l’homme de se décentrer d’une introspection risquant de le mener dans des impasses, il peut apporter un éclairage propre et particulier à des questions complexes, inédites et revêtant souvent un caractère tragique pour les personnes impliquées.

Si ce mémoire recèle une quelconque utilité, celle-ci vise avant tout son rédacteur pour qui ce travail s’inscrit dans une démarche d’apprentissage du domaine de la bioéthique et en particulier en ce qui a trait aux questions de la fin de la vie. L’objectif est donc avant tout académique. Il n’est pas de présenter des réponses définitives aux questionnements éthiques autour de la sédation active, mais d’identifier et de poser les enjeux éthiques propres à cette question, et de soumettre des hypothèses de réponse. Nous porterons le souci constant de clarifier la typologie et la topologie des concepts étudiés. Au moyen d’un croisement de diverses perspectives et pistes de réflexion, nous chercherons à identifier les enjeux et les limites de la question, en particulier ceux qui échappent souvent à une analyse éthique

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lorsque Γattention est fixée sur les enjeux éthiques immédiats ou les plus sujets à controverse. L’objet de ce mémoire n’est donc pas de présenter un traité exhaustif sur la question éthique de la sédation continue mais d’examiner cette problématique sous divers angles et avec divers points de vue pour tenter de sonder plutôt que cerner ce qui est en jeu au niveau éthique. Nous tenterons de bien poser les questions sur leurs bases anthropologique et éthique, et de montrer l’importance de porter les divers questionnements en les gardant constamment en tension. Nous garderons ainsi en permanence le souci d’élargir l’horizon du problème au-delà de ce qui peut apparaître à première vue comme des évidences éthiques, et de mettre en perspective cette pratique par rapport aux sphères et aux débats dans lesquelles elle s’inscrit aujourd’hui. Nous espérons ainsi donner à cette réflexion la consistance d’un « poumon » éthique permettant de sortir de l’asphyxie provoquée par l’enfermement d’un contexte immédiat trop lourd, marqué souvent par le tragique et l’incertitude du bien faire.

Au premier chapitre, nous exposerons la pratique de la sédation en précisant la terminologie et la typologie relatives à cette question. Nous formaliserons ensuite notre problématique en construisant une topologie des lieux éthiques du souffrir et du vouloir dormir. Nous utiliserons cette structure pour identifier et dégager un certain nombre d’enjeux éthiques reliés à la question de la sédation.

Dans les deux chapitres suivant, nous dégagerons, au moyen d’une approche heuristique, quelques repères éthiques significatifs qui peuvent éclairer les lieux éthiques identifiés précédemment, en portant une attention particulière aux structures anthropologiques qui sous-tendent les enjeux éthiques. Le chapitre 2 sera consacré aux questions relatives à la douleur et à la souffrance, tandis que le chapitre 3 abordera celles de la mort et du sommeil. Nous tenterons de montrer l’importance des représentations et des conceptions que les divers acteurs se font de la mort et de la souffrance lorsqu’ils sont confrontés à des décisions en fin de vie concernant autrui ou eux-mêmes.

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Aux chapitres 4 et 5, nous approcherons la question des enjeux éthiques de la sédation en interrogeant cette pratique à partir des deux paradigmes dans lesquels elle émerge et à partir desquels elle est pensée, soit les soins palliatifs et les débats sur l’euthanasie. Nous montrerons que la sédation, en retour, questionne fortement les cadres, les principes et les convictions qui animent ces deux sphères particulières d’application et de réflexion concernant les questions de fin de vie. Nous terminerons cette recherche en posant quelques pistes de réflexion explorant les possibilités et les limites de penser la sédation comme un acte de soin singulier, commandant un réexamen de la notion même d’accompagnement qui lui est attachée.

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Chapitre 1

La pratique de la sédation en fin de vie

« L’homme dans la nuit s’allume pour lui-même une lumière, mort et vivant pourtant. Dormant, il touche au mort, les yeux éteints ; éveillé, il touche au vivant. »

Héraclite, Fragment 26

Dans ce premier chapitre nous tentons de clarifier la terminologie utilisée pour définir la sédation en fin de vie. Nous établissons une typologie des différents sommeils induits ainsi que des indications qui conduisent aux pratiques de sédation. Nous proposons une formalisation de la problématique éthique du sommeil induit en établissant et en développant la topologie des lieux éthiques concernés par cette pratique. À partir de cette topologie, nous essayerons de dégager les enjeux éthiques. Ce chapitre est de nature quelque peu technique. Il est cependant essentiel pour poser la problématique et les bases conceptuelles de la question sur lesquelles s’appuieront les chapitres subséquents de ce mémoire.

I. Terminologie et définitions

Lorsque nous parcourons la littérature traitant du sujet de la sédation en fin de vie, nous constatons, d’une part, que plusieurs termes sont utilisés pour désigner cette pratique et d’autre part, que le même terme ou des termes apparentés n’ont pas

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toujours la même signification ou ne renvoient pas à la même réalité. Il existe donc à la fois une pluralité dans la terminologie utilisée pour évoquer cette pratique et une polysémie dans la définition de cette pratique. Il nous apparaît donc important, en ce début d’étude, d’essayer de dresser un état du vocabulaire et des définitions utilisés. Au cours de ce survol, nous constaterons également les différences et nuances qui se retrouvent dans les définitions émanant des milieux médicaux francophones et celles en provenance des milieux médicaux anglophones, en particulier américains.

1. Petit florilège de définitions

Dans le milieu médical francophone, le terme « sédation » et « sommeil » sont utilisés en étant accompagnés, le plus souvent, d’un qualificatif. Le docteur Marie- Sylvie Richard, dans un des premiers articles spécifiquement consacrés au sujet, utilise l’expression « sommeil pharmaco-induit ». Elle en donne la définition suivante :

Ce sommeil provoqué correspond à un sommeil accordé au malade qui le demande; il est induit par !’administration d’une benzodiazépine sédative ou d’un neuroleptique. Il est de durée variable, ponctuel ou continu. Il est toujours associé à d’autres traitements symptomatiques. Il a pour but de soulager le patient en détresse.1

Pour évoquer cette pratique, comme en témoigne le titre de son article, elle utilise également l’expression beaucoup plus équivoque de « faire dormir le malade » sur laquelle nous reviendrons. Dans un article plus récent, elle souscrit à une définition révisée de la sédation comme « utilisation de moyens altérant la conscience dans le but de soulager un patient dans une situation de détresse incontrôlée » pour laquelle le docteur Richard précise qu’il s’agit de « moyens pharmacologiques » et à laquelle elle ajoute « l’indication de la résistance d’un symptôme à un traitement adéquat1 2 ». Nous traiterons de ce dernier point lorsque nous aborderons la question de l’indication.

1 Marie-Sylvie Richard, « ‘Faire dormir les malades’ », Cahiers Laennec, Juin 1993, p. 2. 2 Marie-Sylvie Richard,, « La sédation en fin de vie », Cahiers Laennec, Juin 2001, p. 12.

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Les médecins de l’unité de soins palliatifs La Mirandière utilisent, quant à eux, le terme « sédation active » pour désigner la pratique qui « consiste à induire un sommeil artificiel qui fasse perdre au malade la notion de sa souffrance3 ». Dans le même article, ils évoquent les termes « mini-anesthésie » et « Benzodiazep- analgésie4 ». Cette définition sera reprise littéralement par le docteur Révélart qui l’associe au terme de « sommeil pharmacologiquement induit » ou « sommeil pharmacologique5 » et qui spécifie l’objectif de la pratique comme étant de « soulager les patients en détresse grâce à !’administration de médicaments choisis dans l’unique

but de les ‘faire dormir’6 ». Pour sa part, le professeur Mauron utilise l’expression

« sédation complète, induite par les moyens pharmacologiquement appropriés7 ». Une autre définition est donnée par le docteur Sylvain Pouchet qui détermine la sédation comme « une technique destinée à apaiser un patient dans un état critique au moyen, le plus souvent, d’une altération de la conscience, provoquée par un sédatif et a priori réversible8 ». Malgré la diversité lexicale à laquelle ont recours les différents auteurs cités jusqu’à présent, nous pouvons noter parmi ceux-ci l’existence d’une certaine convergence vers une définition commune plus ou moins unique, mis à part certaines nuances ou précisions.

3 J. Girar dier, J.L. Beal et V. Alavoine, « Les situations extrêmes en soins palliatifs », Info Kara., No 38, 1995, p. 35-45; également disponible en document électronique, In Site ‘La Mirandière’. Unité de Soins Palliatifs et de Formation, [En ligne], http://perso.wanadoo.fr/usp-lamirandiere/extremes.htm (Page consultée le 10 avril 2001). Le terme « conscience » nous apparaîtrait plus approprié que celui de « notion » utilisé par les auteurs dans leur définition de la sédation.

4 Ces termes évoquent directement le lien avec les pratiques d’anesthésie générale utilisées en chirurgie desquelles s’inspirent les techniques de sédation. Les produits pharmacologiques utilisés sont le plus souvent les benzodiazépines. Pour plus de détails au niveau de la technique elle même on pourra consulter J. Girar dier et al., Op. Cit.\ de même que ...

5 Emma Révélart, « ‘Faire dormir’ les malades, une autre réponse face aux morts ‘difficiles’? Point de vue d’un anesthésiste », Ethica Clinica, No 9, 1998, p. 13.

6 Emma Révélart, Op. Cit., p. 13. Souligné en italique dans le texte.

7 Alex Mauron, « La sédation complète et ses enjeux éthiques », InfoKara, No. 43, 1996, p. 42. 8 Sylvain Pourchet, « Sédation et soins palliatifs », In Symposium « L’apport des soins palliatifs à la médecine de fin de vie », Site de la Clinique Générale Saint-Jean, [En ligne], http://www,clinique- saint-jean.be/pallia/textes/pour.pdf (Page consultée le 10 octobre 2000).

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L’exploration terminologique se complexifie lorsque nous nous tournons vers les définitions véhiculées par les intervenants du milieu médical anglophone. Dans ce milieu, le terme « terminal sedation » est largement utilisé. Nous pouvons également retrouver les expressions « palliative sedation » et « sedation in the imminently dying ». Comme sa dénomination l’évoque bien, cette pratique se réfère à une sédation induite chez des patients en phase terminale proche de la mort. Le qualificatif « terminal » qui est joint au mot sédation évoque plusieurs aspects de cette pratique. D’une part, il peut se référer à la situation clinique dans laquelle on a recours à la pratique de la sédation. Il peut être rapproché de l’expression « phase terminale » qui est utilisée pour parler de la dernière période de vie précédant la mort d’un patient diagnostiqué comme porteur d’une maladie mortelle et incurable. D’autre part, il renvoie à la typologie de la sédation à laquelle on a recours. Il décrit alors, presque toujours, une sédation continue et profonde maintenue jusqu’à la mort du patient. Nous n’avons pas vu, dans la littérature nord-américaine traitant du sujet, de discussions éthiques sur les autres formes de sommeils induits, différant notamment par leur fréquence, leur durée et leur profondeur.

Si un consensus semble exister sur !’utilisation de l’expression « sédation terminale », nous pouvons constater en revanche une polysémie dans ses définitions. La sédation est souvent mise directement en rapport avec d’autres pratiques telle l’euthanasie. La façon d’envisager la sédation dans les débats autour de ces pratiques influence alors directement l’énoncé même de la définition. Le docteur Quill et ses collaborateurs donnent la définition suivante de la sédation « terminale » :

With terminal sedation, the suffering patient is sedated to unconsciousness, usualy through ongoing administration of barbiturates or benzodiazepines. The patient then dies of déshydration, starvation or some other intervening complication, as all life- sustaining interventions are withheld. Although death is inevitable, it usually does not take place for days or even weeks, depending on clinical circumstances. Because patients are deeply sedated during this terminal period, they are believed to be free of suffering.9

9 Timothy E. Quill et Bernard Lo, « Palliative Options of Last Resort. A Comparison of Voluntarily Stopping Eating and Drinking, Terminal Sedation, Physician-Assisted Suicide, and Voluntary Active Euthanasia », JAMA, 1997, Vol. 278, No 23, p. 2100.

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Comme nous pouvons le voir, de nouvelles questions apparaissent dans cette définition, en particulier concernant les techniques et les soins de maintien en vie. Nous retenons également deux autres définitions : Celle du philosophe Torbjörn Tannsjö :

By ‘terminal sedation’ I denote, in the present context, a procedure where through heavy sedation a terminally ill patient is put into a state of coma, where the intention of the doctor is that the patient should stay comatose until he or she is dead.10 11 12

et celle du docteur Paul Rousseau :

While definitions are occasionally ambiguous and open to interpretation, palliative sedation can be defined objectively as the intention of purposely inducing and maintening a sedated state, but not deliberately causing death, in specific clinical circumstances complicated by refractory symptoms.11

Dans ces énoncés, apparaissent de nouveaux éléments, en particulier la notion importante d’intention. Ces définitions s’apparentent à celle émise par le Comité sénatorial canadien sur l’euthanasie et l’aide au suicide qui, dans son rapport de 1995, définit la sédation complète comme « le fait de rendre une personne totalement inconsciente en lui administrant des médicaments non susceptibles d’abréger sa

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vie ».

Dans ce mémoire nous utiliserons indifféremment les termes « sédation », accompagnée du qualificatif adéquat selon la typologie visée, et « sommeil induit » qui nous apparaissent appropriés pour qualifier la pratique qui consiste à provoquer un sommeil pharmacologiquement induit chez une personne en réponse à une

10 Torbjörn Tännsjö, « Terminal sedation - a possible compromise in the euthanasia debate? », Bulletin of Medical Ethics, No. 163, 2000, p. 13.

11 Paul Rousseau, « The Ethical Validity and Clinical Experience of Palliative Sedation », Mayo Clinic Proceedings, October 2000, p. 1064.

12 Sénat du Canada, De la vie et de la mort. Rapport du Comité sénatorial spécial sur Γeuthanasie et l’aide au suicide, 1995, p. 35.

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indication médicale. Nous préciserons, sous peu, ce que nous entendons par « indication médicale ».

2. Les avatars d’une terminologie

Commentant l’article du docteur Richard de 1993, le théologien Patrick Verspieren relève la complexité de la question de la terminologie, liée en partie au « fait que le vocabulaire n’est pas encore fixé [et qu’] il n’est pas sûr que les mêmes mots évoquent chez tous les mêmes réalités13 ». S’il donne son aval au terme « sommeil induit » tel qu’utilisé par le docteur Richard, il note en revanche la prolifération dans les discours d’autres expressions, telles que « inconscience provoquée » ou « déconnexion14 » utilisées de manière plus ou moins indifférente par les soignants. Ces termes évoquent des réalités bien différentes selon leur utilisateur et ils sont, pour la plupart, chargés de connotation issues de leur usage dans d’autres contextes. Le Père Verspieren souligne également l’ambiguïté et la polyvalence de l’expression « faire dormir le malade » qui est très souvent utilisée pour désigner des pratiques pourtant fort dissemblables, expression qui se révèle être ainsi un véritable panier à crabes pour la question de la sédation en fin de vie. « Il serait cependant regrettable, écrit-il, de rester prisonnier d’expressions non critiquées et de ne pas percevoir, sous les mêmes mots, des attitudes notablement différentes.15 »

Une dizaine d’année plus tard, nous pouvons constater que le terme sédation et les autres expressions qui sont utilisées pour désigner la pratique de provoquer un sommeil induit recoupent encore des réalités bien différentes. Le bref tour d’horizon lexical et sémantique que nous venons de faire à propos du concept de sédation nous permet de mesurer l’ampleur de la difficulté d’arriver à une définition commune et opératoire de ce concept. Par ailleurs, comme nous le verrons, l’ambiguïté attachée à

13 Patrick Verspieren, « Profondeur et durée du ‘sommeil induit’ », Cahiers Laënnec, Juin 1993,

14 Ibid., p. 8. p. 7.

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la terminologie même de cette pratique entraîne et renforce Γ ambiguïté que nous retrouvons au niveau des enjeux éthiques.

Le flou lexical, que provoque Γutilisation d’un grand nombre de termes aux connotations souvent diverses et liées à des usages dans d’autres situations et contextes, s’étend également à certains termes clés du vocabulaire, pourtant largement accepté et utilisé dans le milieu. C’est le cas pour le terme « sédation » lui- même. Ce terme, de par son étymologie latine sedare, désigne Γ action de calmer et d’apaiser. Il est largement utilisé dans le jargon populaire pour décrire l’effet calmant de certains produits pharmacologiques. Son utilisation pour désigner une technique qui altère la conscience apparaît donc, à bien des égards, comme une extension sémantique qui ne va pas de soi. Ainsi, une sédation pourrait aussi bien être vigile, la conscience étant préservée bien que légèrement atténuée, que profonde, la conscience étant altérée jusqu’à provoquer un état d’inconscience maintenue.

Dans une note attachée à la définition qu’il propose, Torbjörn Tannsjö mentionne l’ambiguïté de la terminologie « sedation » alors qu’il préconise l’usage de la dénomination « anesthésie générale » qui, selon lui, correspond mieux pour décrire la technique qui place le patient dans un « coma » (oblivation)16. Il se rallie toutefois à l’expression sédation terminale, bien établie dans le milieu médical. Nous pouvons, toutefois, noter que l’usage du terme « coma », s’il évoque bien l’apparence physiologique du patient qui est sous sédation profonde avec perte de conscience, se présente lui-même porteur d’une ambiguïté, peut-être encore plus grande, pouvant mener à des confusions sur la nature et sur les objectifs du sommeil induit. Il nous apparaît important d’éviter de recourir à des terminologies que leurs usages dans d’autres situations ont chargé d’un poids sémantique, et qui peuvent venir obscurcir plus qu’éclairer une situation déjà fort complexe en elle-même. Leur utilisation pourrait même se révéler encore plus problématique du fait qu’elle renvoie, d’une part, à des états de patients plongés involontairement et parfois de manière

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irréversible dans des états d’inconscience et, d’autre part, elle évoque directement des pratiques médicales tout à fait différentes qui ont eu cours dans d’autres contextes, comme par exemple l’usage des « cocktails lytiques ».

Le terme « narcose » que certains auteurs utilisent pour désigner l’état dans lequel une personne se retrouve sous l’effet d’une sédation profonde, et que l’on retrouve en particulier dans les discours de Pie XII aux anesthésistes en 1957, nous apparaît être plus approprié. Son étymologie (du grec narkôsis venant de narkê signifiant « engourdissement », « sommeil ») en fait un terme probablement plus adéquat à en juger par les définitions qu’en donnent les dictionnaires usuels comme le

Petit Robert, « sommeil provoqué artificiellement par un narcotique », et le Petit Larousse, « sommeil artificiel obtenu par !’administration de médicaments, en

particulier au cours d’une anesthésie générale ». Cette expression a, en revanche, le désavantage de restreindre la sédation à un type particulier. Cependant, comme nous le verrons, ce sont les sédations qui conduisent à des états de narcose, autrement dit les sédations profondes et continues, qui posent le plus de questions éthiques.

II. Typologie et indications

La section précédente a permis de mettre en place la terminologie utilisée pour définir la sédation. Dans la présente section, nous allons établir une typologie des différents sommeils induits, ainsi qu’une typologie des indications qui conduisent à la pratique de la sédation.

1. Les caractéristiques du sommeil induit

Lorsque nous considérons l’ensemble des énoncés proposés pour définir la sédation, nous pouvons extraire des caractéristiques de cette technique de sommeil induit. Nous sommes ainsi en mesure d’établir une certaine typologie de cette pratique médicale en fin de vie.

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Une première caractéristique de la pratique de la sédation, comme tout traitement, est son utilisation en réponse à une indication. La plupart des définitions que nous venons de voir présentent la sédation en rapport avec une situation de détresse, une souffrance ou un symptôme réfractaire non maîtrisable. Pour comprendre les enjeux que cette pratique soulève, il faudra donc explorer attentivement les différentes indications invoquées lorsqu’on a recours à cette technique. L’indication, dont il est ici question, se présente sous la forme d’une indication médicale, donc d’une situation clinique reconnue et validée par le corps soignant, et qui commande de prendre une décision et de poser un acte médical17.

Une deuxième caractéristique de cette pratique est le fait que sa visée est d’induire volontairement une sédation chez le patient. Il s’agit d’un sommeil provoqué au moyen d’un ou de plusieurs agents pharmacologiques dont l’action principale est l’effet « anesthésique ». Ils peuvent être combinés à des analgésiques conventionnels utilisés pour soulager la douleur, mais ce ne sont pas ces derniers qui sont les agents pharmacologiques actifs du sommeil induit. La sédation active doit donc être distinguée des états de somnolence dans lesquels les patients peuvent être plongés lorsque sont augmentées graduellement les doses d’analgésiques centraux, tels que les opoïdes comme la morphine, ou d’autres médicaments utilisés dans le soulagement de la douleur. L’état sédatif induit est également à distinguer des états de confusion d’un patient à l’approche de la mort dus à une dégradation de son métabolisme ou causés par une médication particulière. Dans le cas du sommeil induit, la sédation est délibérément provoquée et maintenue par un agent actif répondant spécifiquement à cet objectif.

Une troisième caractéristique de la sédation, liée aux propriétés des agents pharmacologiques utilisés, est sa réversibilité. L’utilisation du sédatif ou du narcotique (narcoleptique) peut être suspendue ou arrêtée et par le fait même l’état de

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sédation reste en tout temps réversible. La sédation se présente sous la forme d’une anesthésie, plus ou moins profonde, tout comme celles auxquelles l’on recourt en chirurgie.

Une quatrième caractéristique est le maintien d’un contrôle ou « monitoring » de la part du personnel soignant, même dans le cas d’une sédation continue. Cependant, il sera important de déterminer en quoi consiste ce « monitoring ». La question devient particulièrement délicate dans le cas d’une sédation profonde maintenue jusqu’à la mort, où peuvent être suspendus les moyens de sustentions comme l’hydratation et l’alimentation artificielles18. Nous reviendrons sur cette question au quatrième chapitre lorsque nous aborderons les rapports entre la sédation et l’euthanasie.

2. Les types de sommeils induits

À partir des différentes définitions, en particulier celles émanant du milieu médical français, nous pouvons constater qu’il existe des paramètres de modulation de l’état de sédation. Trois paramètres variables peuvent être ainsi ajustés selon les conditions d’utilisation et les propriétés de l’agent pharmacologique employé.

Il y a d’abord la nature du sommeil induit. Ce dernier peut être temporaire, comme c’est le cas pour une anesthésie conventionnelle. Il peut être intermittent ou discontinu, avec des périodes de sommeil entrecoupées par des périodes d’éveil. Il peut être également continu. La mort du patient en est l’échéance. Un paramètre important à prendre en compte est donc la fréquence de la sédation. Celle-ci peut s’étaler d’un sommeil induit intermittent, reproduisant plus ou moins un cycle de sommeil normal, jusqu’à un sommeil induit continu qui se prolonge jusqu’à la mort du patient.

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Le deuxième paramètre à prendre en compte est celui de la durée du sommeil induit. Celle-ci peut-être très variable suivant l’état du patient. On peut observer un spectre temporel s’étalant de sédations très courtes de quelques heures, voire de quelques minutes en cas de situations d’urgence en extrême fin de vie, à des sédations longues de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines. Ce paramètre renvoie donc également au moment où la sédation sera entreprise en fin de vie, et par le fait même au sens et au caractère opératoire que l’on peut donner à la notion de « fin de vie ».

Le troisième paramètre qui peut varier est la profondeur du sommeil pharmacologiquement induit. Certains articles font mention de sédations légères se rapprochant des états d’anxiolyse ou de somnolence. D’autres font, en revanche, mention de sédations profondes produisant un véritable état de narcose. Ainsi, « selon les auteurs, la sédation peut correspondre à une altération plus ou moins marquée de la conscience, de la légère somnolence au ‘profond sommeil’19 ». L’altération de la conscience ira de pair avec une altération des compétences relationnelles et communicationnelles du malade avec son entourage.

3. Les indications de la sédation

Le recours à la sédation s’effectue dans diverses situations que l’on peut regrouper au sein d’un certains nombre de catégories. Différents auteurs ont identifié une série d’indications possibles pour la sédation. Nous dresserons une brève typologie de ces indications en les regroupant en cinq familles.20

19 Claudia Mazzocato, « À propos de la ‘sédation’ en phase terminale. Le point de vue clinique », InfoKara, No. 43, 1996, p. 33.

20 Nous suivrons la typologie des indications donnée dans E. Révélart, « ‘Faire dormir’ les malades, une autre réponse face aux morts « difficiles »? Point de vue d’un anesthésiste», Ethica Clinica, 1998, No 9, p. 13-17. Des typologies similaires ou avec certaines variantes peuvent être consultées dans Marie-Sylvie Richard, « La sédation en fin de vie », Cahiers Laennec, Juin 2001, p. 13 ; Danièle Lecomte, « Utilisation du midazolam en unité de soins palliatifs », InfoKara, No. 43,

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Un premier type d’indications possibles correspond à l’exécution de procédures et de soins difficiles ou douloureux pour un patient en fin de vie. On peut alors avoir recours à une sédation temporaire, de profondeur variable et de durée généralement assez courte pour assurer le confort du patient au cours des soins.

Un deuxième type d’indications concerne les situations d’urgence ou les symptômes en extrême fin de vie qui vont conduire inévitablement à la mort. C’est le cas, par exemple, pour une hémorragie cataclysmique soudaine ou une détresse respiratoire terminale. Ces indications, plutôt rares, conduisent à opérer très rapidement une sédation complète, continue et profonde, qui est généralement de très courte durée. Le décès du patient survient rapidement comme conséquence directe de !’aggravation rapide du symptôme.

Un troisième type d’indications regroupe les situations correspondant à ce que l’on pourrait qualifier de « caps » difficiles à passer. Ces indications peuvent être, par exemple de l’ordre de « symptômes somatiques intolérables et reconnus comme transitoires » pour lesquelles « le recours au sommeil induit est alors destiné à passer le cap d’une angoisse ou d’un état anxieux important21 ». Ces situations de sommeil induit s’apparentent quelque peu aux cures de sommeil que l’on retrouve en psychiatrie. Ces indications conduisent à opérer une sédation temporaire, généralement profonde et de durée plus ou moins longue.

Un quatrième type d’indication comprend ce que l’on qualifie, dans le vocabulaire médical, par symptômes réfractaires. Nous développerons plus longuement ce type d’indications, particulièrement importantes au plan des enjeux éthiques. Ces symptômes peuvent être par exemple de l’ordre de la douleur, de la dyspnée, d’états d’agitation ou de délirium. On peut également compter parmi ces symptômes réfractaires les détresses psychologiques sévères ou les états d’angoisse extrêmes. Certains auteurs utiliseront une autre terminologie pour décrire ce type

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d’indications. On retrouve ainsi les expressions « situation extrême en soins palliatifs22 » et « symptômes incontrôlables23 ».

Plusieurs auteurs soulèvent la difficulté inhérente à définir ce qu’est un « symptôme réfractaire ». Le docteur Révélart définit celui-ci comme un symptôme qui « échappe à un contrôle par les traitements n’altérant pas la conscience et n’altérant donc pas la fonction de relation24 ». Elle reprend ainsi la définition de Chemy et Portenoy qui furent les premiers à identifier et à utiliser le terme « réfractaire » dans les indications de la sédation. Ils écrivent : « The term ‘refractory’ can be applied when a symptom cannot be adequately controlled despite aggressive efforts to indentify a tolerable therapy that does not compromise consciousness25 ». Les questions cruciales sont celles de l’évaluation du symptôme possiblement et potentiellement à caractère réfractaire et celle de la distinction entre un symptôme réfractaire et un symptôme difficile à prendre en charge. La frontière entre ces deux types est ténue et floue.

Parmi les symptômes identifiés comme potentiellement réfractaires, nous porterons une attention particulière aux deux suivants : la douleur et la détresse psychologique, que nous associons pour le moment à la souffrance. Ces deux types de symptômes méritent notre attention, non seulement en raison de leur fréquence de manifestation chez des personnes en fin de vie, mais en raison de la difficulté à les identifier et à les évaluer. Notons tout de suite la difficulté à séparer la part somatique et la part psychologique de ces symptômes. Nous consacrerons le deuxième chapitre de cette recherche à l’étude des notions importantes de douleur et de souffrance et des problèmes éthiques qui leurs sont liés.

22 J. Girar diet, J.L. Beal et V. Alavoine, Op. Cit., p. 35. 23 Marie-Sylvie Richard, Op. Cit., p. 13.

24 Emma Révélart, Op. Cit., p. 14.

25 Nathan I. Cherny et Russel K. Portenoy, « Sedation in the Management of Refractory Symptoms : Guidelines for Evaluation and Treatment », Journal of Palliative Care, Vol. 10, No 2, 1994, p. 31.

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La sédation est présentée comme une réponse possible à ces types d’indications. Le docteur Révélart note :

Face à ces symptômes réfractaires en fin de vie, le sommeil pharmacologiquement induit peut alors présenter une alternative thérapeutique, la seule à apporter un soulagement adéquat de façon certaine et rapide. C’est bien alors le soulagement qui devient l’objectif thérapeutique prioritaire, au détriment du maintien intégral de la vie de relation.26

Le sommeil pharmacologiquement induit en réponse à un symptôme réfractaire peut être discontinu ou continu. Sa profondeur et sa durée sont variables suivant la situation et normalement adaptées et constamment réévaluées en fonction de la condition du malade. Il est clair, comme nous le verrons, que selon le type de sommeil induit, discontinu ou continu, les enjeux éthiques soulevés se différencient.

Un cinquième type d’indications regroupe les demandes d’euthanasie de la part de patient en fin de vie. Ces indications correspondent à un vouloir mourir exprimé par le patient et auquel le médecin ne veut ou ne peut pas répondre. Généralement, la sédation, opérée en réponse à ce type d’indication, maintient un sommeil induit profond et continu jusqu’à la mort. Il apparaît clairement qu’une telle indication est complexe et problématique du point de vue éthique. La reconnaissance même de ces situations comme indications potentielles pour la sédation est loin de faire l’unanimité au sein du corps médical. Elle met directement en lien la sédation et l’euthanasie, présentant la première comme une alternative à la seconde. Elle questionne les présupposés qui se dissimulent derrière le vouloir mourir. Nous aborderons la question de manière transversale dans ce mémoire, en réfléchissant notamment à la question de la souffrance (chapitre 2), aux liens entre la mort et le sommeil (chapitre 3) et, plus directement, à la façon dont la sédation s’insère dans les débats sur l’euthanasie, ainsi qu’à la manière dont les problématiques éthiques de ces deux « pratiques » s’articulent les unes aux autres (chapitre 4).

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20

Mentionnons dès maintenant l’existence d’enjeux éthiques de nature différente selon les divers types d’indication énumérés. En général, les trois premières indications n’apparaissent pas générer d’enjeux éthiques particuliers. La plupart des auteurs soulignent en effet que ces indications relèvent davantage d’enjeux spécifiquement cliniques et qu’il n’y a pas à proprement parler d’enjeux éthiques. Il en est, cependant, tout autre en ce qui concerne les deux derniers types d’indications. Ce sont ces indications que nous garderons à l’esprit tout au long de notre étude.

4. Le recours à la sédation en fin de vie : enquête empirique et statistique

Avant de nous lancer dans la problématique éthique, il nous apparaît opportun de faire quelques remarques concernant la fréquence des indications requérant la sédation. La consultation des études empiriques, menées à partir des données recueillies dans différents centres de soins de fin de vie, conduit à faire le constat de l’existence de variations considérables dans les statistiques de fréquence du recours à la sédation. Dans la littérature, les différents auteurs font état d’une fréquence allant de 4,5 % à plus de 50 % selon les études menées.27

Cette disparité s’explique par l’existence, à la fois, d’un problème de terminologie à propos de la définition de la sédation et de typologie concernant la sédation et ses indications, et d’un problème de méthodologie dans les études menées. Claudia Mazzocato note que « la méthodologie n’est pas comparable d’une étude à l’autre (prospective/rétrospective - méthodes d’évaluation différentes ou non précisées) » et que « les populations étudiées sont différentes en termes de pathologies/symptômes et de prise en charge (milieu hospitalier et/ou domicile)28 ». Nous partageons l’avis de T auteur selon laquelle ces divergences importantes dans les statistiques des fréquences de recours à la sédation soulignent le caractère profondément complexe et controversé de cette pratique au sein du milieu médical.

27 Voir le tableau des fréquences présenté par Claudia Mazzocato, Op. Cit., p. 32 ; J. Giradier et al., Op. Cit., p. 35 ; M.-S. Richard, « ‘Faire dormir les malades’ », Op. Cit., p. 2-3.

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III. Topologie, problématique et enjeux éthiques

À partir des différentes définitions du sommeil induit et de la typologie que nous venons de mettre en évidence, nous formalisons la problématique éthique de cette pratique. Dans un premier temps, nous construisons une topologie du lieu de la souffrance en mettant en lumière le sujet éthique du souffrir. Nous explorons par la suite des enjeux éthiques liés à ce lieu du souffrir. Dans un deuxième temps, nous élaborons une topologie d’un second lieu, celui du vouloir dormir, et tentons de décrire l’identité du sujet éthique de ce vouloir. Nous serons alors en mesure d’identifier les enjeux éthiques spécifiques soulevés par la pratique du sommeil induit.

1. Le lieu de la souffrance

Afin de bien circonscrire le terrain duquel se dégageront les enjeux éthiques, nous devons tout d’abord nous interroger à propos du lieu de la souffrance. Pour le moment nous utilisons le mot souffrance dans un sens générique recouvrant différentes réalités que nous tenterons de mieux cerner au prochain chapitre. Ce lieu de la souffrance est plus complexe que ce que nous serions spontanément portés à le penser. Il met en jeu non pas un sujet singulier, mais bien plusieurs sujets entre lesquels se construit un ensemble de relations. Ainsi, le lieu de la souffrance peut se formaliser autour de trois pôles : la souffrance du patient, celle de son entourage et celle du médecin ou du corps soignant. Ces différents acteurs sont impliqués et apparaissent manifestement partie prenante de la problématique. Les rapports intersubjectifs entretenus définissent un espace complexe qui constitue le lieu du souffrir et qui se retrouve marqué par des dimensions éthiques.

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Au point de départ de la problématique il y a le patient qui exprime, à travers une plainte, un souffrir et qui est reconnu par autrui. C’est ainsi qu’il initie un processus de construction du lieu de la souffrance et de la problématique éthique de la réponse à lui apporter. En disant sa douleur, en exprimant une plainte29, il fait appel à l’autre et se met en rapport avec lui. Cette ouverture à l’altérité crée un espace au sein duquel un ensemble de relations et de rapports intersubjectifs s’établiront entre lui et d’autres sujets, et du même coup entre ces sujets qui, à leur tour, auront été mis en rapports les uns avec les autres.

Le médecin est la personne sollicitée à répondre, par son savoir et par son art, au corps souffrant de la personne qui le sollicite. Il se retrouve alors inséré et partie prenante du lieu de la souffrance non pas à titre d’une personne choisie dans un rapport d’élection affective mais dans un rapport professionnel. C’est par le biais de son rôle de soignant qu’il entre dans l’univers d’un patient. Il sera donc important d’explorer en quoi consiste ce rôle. La relation patient-médecin est un axe fondamental de l’espace éthique qui se crée à partir des rapports inter subjectif s. Mais en entrant en « dialogue » avec un patient, le médecin volens nolens entre également dans l’espace définissant le lieu du souffrir. Il devient lui-même un élément constitutif de cet espace en formant un des pôles. Il devient également lui-même sujet souffrant en lien avec le patient souffrant. On ne cessera de mettre en garde le personnel soignant de ne pas s’attacher à son patient, de garder une saine distance affective, adjectif à prendre dans son sens étymologique, sans laquelle aucun acte professionnel ne pourrait être posé30. Ce dogme qui a longtemps fait autorité dans le milieu médical peut conduire, comme nous le verrons, à des impasses et à des situations conflictuelles. Aujourd’hui, il est largement remis en question, ou du moins fortement atténué, et une dose d’empathie se retrouve souhaitée et même encouragée

29 Pour une étude de la notion de plainte et sa dimension intersubjective, voir Jean-Jacques Kress, « L’efficacité de la plainte », Psychiatrie française, numéro spécial, juin 1992, p. 305-307.

30 C’est le leitmotiv des soins cliniques modernes. Cette conception de « saine distance » est aujourd’hui questionnée par de nombreux intervenants du milieu de la santé.

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dans la relation patient-médecin31. Les harmoniques d’un discours sur l’empathie réinvestie au cœur des soins résonnent davantage que celui de la saine mise à distance de son affect. Le médecin peut donc souffrir de voir un être humain souffrant se retrouvant face à lui. Mais là ne réside pas nécessairement la source principale de sa souffrance. Cette souffrance naît davantage de l’impuissance qu’il ressent à pallier à la souffrance qui lui est adressée et à laquelle il se sent en devoir de répondre.

Si le médecin entre, la plupart du temps, en maintenant une distance émotive dans une relation avec un patient qui le sollicite pour son art et son savoir, il en est tout autrement pour l’entourage du patient. Cet entourage, qu’il soit familial ou amical, a établi depuis longtemps des relations étroites avec le patient. Plusieurs expériences de vie se retrouvent partagées par le patient et son entourage au sein d’une histoire commune. Cette histoire est souvent marquée de moments forts. Elle est faite de joies comme également de blessures. Lorsque survient la maladie, lorsqu’une souffrance est exprimée par une personne, son entourage se retrouve naturellement projeté dans le lieu de souffrance qui se dessine et devient sujet participant et constitutif de ce lieu. Les rapports intersubjectifs complexes développés par le patient et son entourage durant de longues années se retrouvent projetés dans cet espace. À la souffrance exprimée du patient, fait écho la celle de son entourage. Souffrance née de la compassion pour l’être aimé et souffrance résultant de l’impuissance à lui venir en aide.

C’est à partir de ces trois pôles que nous décrivons l’espace éthique complexe du lieu du souffrir. Les rapports intersubjectifs à l’intérieur de ce lieu sont, il faut le souligner, asymétriques. Relevons plusieurs modes sur lesquels ces relations apparaissent asymétriques. Il y a une asymétrie au niveau du pouvoir dire sa souffrance, du pouvoir soulager ou être soulagé, du pouvoir compatir à la souffrance.

31 Voir Jean-François Malherbe, Pour une éthique de la médecine, Namur-Montréal, Ed. Artel- Fides, collection « catalyses », 1997, p. 125-137.

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24 Le patient Douleur et souffrance Vouloir ne pas souffrir Lieu éthique

de la

souffrance

Le médecin L’entourage Vouloir ne pas laisser souffrir

Ψ

Vouloir ne pas voir souffrir 4 Renvoyé à sa Renvoyé à sa

propre souffrance propre souffrance

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Tripolaire dans sa structure de base et triangulaire dans ses rapports intersubjectifs, le lieu du souffrir est également doté d’une dimension trilogique dans la mesure où chaque sujet est porteur de discours sur la souffrance, celle de soi et celle de l’autre. Trois sujet du « dire » sa souffrance ou celle de l’autre se font face et élaborent chacun, depuis leur position respective, un discours sur la souffrance qu’ils ressentent et sur celle à laquelle ils assistent.

2. Les enjeux éthiques liés au lieu de la souffrance

Les enjeux éthiques liés au lieu du souffrir se déploient principalement selon deux axes : celui le la nature de la souffrance qui se résume par la question : « À quel niveau se situe le caractère insupportable d’un symptôme ou d’une situation ? » et celui du sujet de la souffrance qui renvoie à la question : « Pour qui est-ce insupportable ? ».

La première question entraîne !’identification d’une série d’enjeux éthiques reliés, d’une part, à la définition que les sujets du lieu du souffrir׳ se donnent de la souffrance et du caractère insupportable d’une situation ou d’un vécu et, d’autre part, à l’évaluation que ces mêmes sujets font de leur souffrance ou de la souffrance de l’autre. Elle renvoie directement à la question de savoir quelles sont les indications acceptables et selon quels critères. Devons nous (pouvons nous) traiter les détresses morales et existentielles de la même façon que les détresses physiques ? Devons-nous (pouvons-nous) distinguer des niveaux de souffrances : physique, psychologique, spirituel, etc.? Lorsqu’on parle de caractères insupportables, se réfère-t-on au vécu du symptôme ou bien au sentiment de diminution et de déchéance qui lui est souvent associé? Qui peut mesurer le degré de douleur et de souffrance, de soi et de l’autre? Est-il véritablement mesurable ou quantifiable? Peut-on répondre à l’indication d’une détresse psychologique de la même façon que l’on répond à Vindication d’un symptôme réfractaire, comme la douleur? Toutes ces questions doivent être intégrées au contexte de la « fin de vie » d’un individu. Nous devrons nous interroger si ce

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26

caractère de finitude (ou façon d’appréhender les limites) modifie la manière avec laquelle ces questions seront abordées.

Nous consacrerons le prochain chapitre à l’étude de la notion de souffrance et nous tenterons de poser certains points de repères éthiques pour sa reconnaissance et sa prise en charge. Nous verrons qu’il existe une intrication très forte entre la douleur et la souffrance. Nous montrerons également que la séparation de ces deux concepts ne va pas de soi et qu’il existe, dans toute situation « insupportable », une superposition des différentes dimensions. La souffrance et la douleur sont des réalités fort complexes. Nous tenterons de mieux comprendre la réalité qu’est la souffrance (un des objectifs du prochain chapitre). Nous devrons également nous interroger sur la possibilité de tracer une ligne de démarcation entre souffrance et douleur somatique.

Une autre question fondamentale touchera la place du langage dans la souffrance (douleur ressentie et douleur exprimée). Comment entendre et recevoir la parole «c’est insupportable»? «Prendre au pied de la lettre la parole : ‘C’est insupportable’, écrit Daniel Oppenheim, risque de la figer, et d’en faire un bloc intouchable dont la massivité écrase les interlocuteurs concernés, rendant impossible tout dépassement de l’intolérable de cette parole.32 ».

Le lieu du souffrir met en jeu plusieurs sujets souffrants. Le deuxième axe concerne les enjeux éthiques autour du sujet de la souffrance. Nous aurons à nous poser un certain nombre de questions : À qui revient-il de déterminer le caractère insupportable de la détresse? Qui est soulagé lorsqu’on a recours à la sédation? Quelle place, mais surtout quel contenu, doit-on donner à l’autonomie des sujets souffrants? Qui fait le choix de l’apaisement et quel acteur concrétise ce choix ?

32 Daniel Oppenheim, « La mort demandée, la mort donnée, la parole discréditée », Les temps modernes, No. 582, 1995, p. 111.

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3. Le lieu du vouloir dormir

Dans la problématique du sommeil induit, sur le lieu du souffrir se greffe ou s’insère un autre lieu qui est celui du vouloir dormir ou endormir. La topologie de ce lieu s’édifie à partir des mêmes pôles que le lieu du souffrir, à savoir le patient, son entourage et le médecin. Les deux lieux se recoupent donc au niveau des pôles qui les constituent, d’où la difficulté de bien saisir leur articulation. Le lieu du vouloir dormir est également le lieu d’un éventuel vouloir ne plus souffrir ou vouloir ne plus laisser souffrir. Il est aussi le lieu d’un possible vouloir mourir ou voir/faire mourir. Les trois réalités que sont le souffrir, le mourir et le dormir se retrouvent donc être l’objet d’un vouloir appartenant à un même lieu tripolaire.

Ce lieu constitue un sujet éthique porteur d’une volonté de dormir. Le sujet éthique de cette volonté se retrouve identifié à l’un des pôles de ce lieu du vouloir. Il se retrouve par le fait même relié aux autres pôles et son identité se construit à partir des rapports intersubjectifs qu’il entretient avec les différents pôles qui composent le lieu du vouloir dormir. Les relations entre les différents pôles qui constituent le lieu du vouloir dormir ou endormir sont marquées par des rapports asymétriques, tout comme le sont celles qui prévalent entre les mêmes pôles dans le lieu du souffrir. Ici l’asymétrie peut se rendre jusqu’à une discontinuité apparente lorsque la personne est endormie et ne peut donc plus exercer son vouloir. La question est de savoir si cette discontinuité en est réellement une ou si un des autres pôles peut assurer le relais du vouloir de la personne endormie en devenant le sujet éthique du vouloir dormir. Nous devrons donc explorer l’identité de ce sujet éthique de la volonté de dormir ou de « faire dormir » comme réponse à une souffrance exprimée.

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28 Le patient Vouloir dormir Vouloir ne pas souffrir Lieu éthique

vouloir dormir

Le médecin L’entourage

Vouloir ne pas Vouloir ne pas

voir souffrir laisser souffrir

Ψ

ψ

Vouloir Vouloir

voir dormir endormir

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4. Les enjeux éthiques liés au lieu du vouloir dormir

Du lieu du vouloir dormir émanent un certain nombre d’enjeux éthiques directement liés à la sédation. En premier lieu se pose la question : Qui est véritablement le sujet éthique du vouloir dormir? De cette question en découle une série d’autres : Qui est le sujet de la décision? Est-ce le patient en tant qu’individu- patient ou bien le patient en tant que pôle d’un sujet éthique à triple polarité? Comment le sujet du vouloir dormir se situe-t-il par rapport aux deux autres sujets qui, eux aussi, ont une volonté à l’égard de celui-ci? Qu’est-ce que les autres sujets retirent du vouloir dormir du patient?

Une fois le patient endormi, qui devient le sujet du vouloir dormir? Sommes- nous dans une situation où il existerait un sujet qui deviendrait le substitut de la personne endormie, au même titre que le serait un substitut légal pour une personne inapte à exercer son consentement libre et éclairé en matière de décision médicale qui le concernerait? Le sujet du vouloir dormir ne serait-il pas sur un tout autre plan éthique, se situant davantage sur le plan du témoin que du garant de la volonté du sujet endormi? Il y a là un ensemble de questionnements éthiques par rapport au véritable sujet du vouloir dormir et du déplacement de ce sujet entre les différents pôles qui constituent ensemble le lieu du vouloir dormir. Il serait certes questionnable d’isoler la volonté du patient et de ne se concentrer que sur l’acte de la décision de vouloir être endormi. Si tout l’enjeu éthique est placé dans ce moment singulier, le sujet du vouloir dormir s’éteint au moment de l’action d’endormir. Comment alors pourrions nous concevoir, par la suite, l’accompagnement d’une personne endormie?

Des auteurs ont abordé la question de la sédation à partit d’un autre point de vue que le nôtre, notamment en mettant l’accent sur l’existence de plusieurs modalités de sédation ayant chacune des enjeux éthiques particuliers. C’est le cas de Patrick Verspieren qui établit une classification des enjeux éthiques selon la durée, l’intensité

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30

ou la profondeur du sommeil, et selon si l’on a à faire à une sédation continue ou

33

non .

Le lieu du vouloir dormir peut également se révéler être un lieu du vouloir mourir. Nous aurons à nous interroger sur la proximité éthique et symbolique de ces deux lieux qui se superposent. Le vouloir dormir ou endormir est-il, en réalité, un vouloir mourir ou voir mourir masqué ou déguisé? Ou alors, se révèle-t-il être un vouloir mourir ou voir mourir atténué? Est-il un vouloir mourir ou vouloir voir mourir souhaité? Le professeur Mauron soulève la question en écrivant :

Si le but de la sédation est le soulagement de la souffrance, il peut paraître incongru d’y voir un problème éthique particulier. Pourtant, le dilemme éthique existe bel et bien, au moins à première vue : provoquer délibérément, et peut-être définitivement, l’extinction de la conscience, n’est pas se placer dans le voisinage éthique de l’euthanasie ?33 34

Sédation et euthanasie sont en voisinage sémantique (expressions utilisées dans les deux contextes), polémique (sédation pensée et questionnée à partir du contexte polémique de l’euthanasie donc, en quelque sorte, pris en otage dans ce débat qui se retrouve de plus en plus figé), conceptuel (par exemple, qu’est ce qui définit la mort d’une personne: arrêt des fonctions biologiques ou de la conscience?) et éthique (qu’est-ce qui distingue au plan moral l’euthanasie de la sédation? La distinction est- elle d’ordre moral?). Pour comprendre ce voisinage à dimension multiple, nous devrons explorer les liens symboliques et éthiques entre le sommeil et la mort (chapitre 3). Nous aurons également à nous pencher sur la question des liens entre sédation et pratiques euthanasiques et en particulier à comprendre comment la sédation est envisagée dans le contexte du débat actuel sur l’euthanasie (chapitre 4).

33 P. Verspieren, « Profondeur et durée du ‘sommeil induit’ », Op. Cit., p. 7-10. Voir également, de manière plus synthétique : P. Verspieren, « Éthique et soins palliatifs », dans Soins palliatifs : réflexions et pratiques, Montpellier, Formation et Développement, 1993, p. 115-117.

(42)

La sédation nous conduit à nous interroger sur de nombreux concepts et distinctions faites au sein des problèmes de fin de vie. En particulier, elle remet en cause, à juste raison, certaines distinctions que nous aurons à examiner. Nous pensons en particulier à celles entre mort naturelle et mort provoquée, entre mort voulue et mort prévue, entre action et omission, en caractère volontaire et involontaire d’un acte, etc. Elle incite également à réviser certains principes et concepts éthiques comme la règle du double effet et le principe d’autonomie. C’est surtout !’utilisation et la portée de ces principes qui devront être analysés de manière critique.

Comme nous pouvons le voir à partir des définitions, il existe un flou clinique autour de la pratique de la sédation en elle-même : La sédation hâte-t-elle la mort? Peut-on considérer la sédation indépendamment des autres moyens thérapeutiques utilisés en parallèle, comme les moyens de sustention (alimentation, hydratation, arrêt d’un respirateur)? Au plan de l’analyse éthique doit-on les lier? Quels sont les liens entre la problématique éthique de la sédation avec celles de l’euthanasie, du suicide médicalement assisté, du refus de traitement, du refus volontaire de se nourrir, de l’ordonnance de non-réanimation ? Le flou au niveau clinique et conceptuel se répercute aux plans éthique et juridique.

Nous devrons également nous interroger sur la place de la sédation au sein des soins palliatifs et son impact sur ces derniers. Il existe un certain malaise des milieux de soins palliatifs à l’endroit de la sédation. Nous tenterons de cerner les sources de ce malaise face à la sédation dans le contexte des soins palliatifs. Le malaise a un aspect positif puisqu’il appelle à une vigilance éthique au sujet de cette pratique. Il est également symptomatique des conceptions implicites que l’on retrouve derrière les principes et les cadres des soins palliatifs. En particulier, la sédation met à jour celles qui sont à la base de certaines philosophies ou pratiques de soins en fin de vie, comme par exemple la conception palliativiste de la souffrance, la conception mentaliste de la mort (relation entre inconscience et mort), les représentations de la « bonne mort » (dans les milieux palliatifs, dans la société, ou au sein des groupes

Figure

Figure 1. Le lieu éthique de la souffrance
Figure 2. Le lieu éthique du vouloir dormir

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