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Le juge non professionnel – Réflexion sur la fonction de juger

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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DE LUCA Manuela

UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS PARIS II

Magistère Juriste d'Affaires – DJCE, Master II Droit des Affaires

2011 – 2012

Le juge non professionnel

Réflexion sur la fonction de juger

Sous la Direction de Monsieur le Professeur

Luc-Michel Nivôse

1

1 « Au lieu de recueillir et de publier les perles des cancres, qui réjouissent tant de salles de professeurs, on devrait écrire une anthologie des bons maîtres. La littérature ne manque pas de ces témoignages : Voltaire rendant hommage aux jésuites Tournemine et Porée, Rimbaud soumettant ses poèmes au professeur Izambard, Camus écrivant des lettres filiales à monsieur Germain, son instituteur bien-aimé, Simone Weil chantant les louanges de son maître Alain, lequel n'oubliera jamais Jules Lagneau qui l'ouvrit à la philosophie, J-B Pontalis célébrant Sartre, qui tranchait tellement sur tous ses autres professeurs... Si, outre celui des maîtres célèbres, cette anthologie proposait le portrait de l'inoubliable professeur que nous avons presque tous rencontré au moins une fois dans notre scolarité, nous en tirerions peut-être quelque lumière sur les qualités nécessaires à la pratique de cet étrange métier », Daniel Pennac, Chagrin d'école

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L'Université Panthéon-Assas (Paris II) Droit – Économie – Sciences Sociales n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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Sommaire

INTRODUCTION…………... 6

CHAPITRE I : ÉTUDE JURIDIQUE PARTIE I : L'introduction des juges non professionnels dans l'organisation judiciaire : multiplication et diversification des figures du profane …... 10

I- Des juges tirés au sort …... 11

A- Un choix traditionnel : les jurés d'assises …... 11

1- Composition de la Cour d'assises …... 13

2- L'audience …... 14

B- Un choix nouveau : du criminel au correctionnel, l'élargissement de la pratique des jurés ….... 14

II- Des juges élus …... 15

A- Les juridictions à composition homogène : les juridictions commerciales …... 15

1- Organisation …... 16

2- Compétence …... 19

B- Les juridictions à composition hétérogène …... 19

1- Le Conseil de prud'hommes …... 20

a- Organisation …... 20

b- Compétence …... 23

2- Le tribunal paritaire des baux ruraux …... 23

III- Des juges nommés …... 24

A- Nomination par l'autorité publique …... 24

1- Le tribunal des affaires de la sécurité sociale …... 24

2- Les assesseurs du tribunal pour enfants …... 25

B- Nomination après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ... 27

1- Les conseillers à la Cour de cassation en service extraordinaire …... 27

2- De nouveaux intervenants non professionnels : les juges de proximité …... 28

a- Création du juge de proximité …... 28

b- Statut du juge de proximité …... 28

PARTIE II : Les fondements de la légitimité de juger …... 30

I- Protection du juge non professionnel …... 30

A- Les juges non professionnels sont-ils indépendants ? …... 30

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2- Les garanties d'indépendance des juges non professionnels …... 31

3- Les limites à l'indépendance des juges non professionnels …... 33

B- Les juges non professionnels sont-ils inamovibles ? …... 36

1- Définition …... 36

2- L'absence d'inamovibilité des juges non professionnels : une durée limitée des fonctions …... 37

II- Protection du justiciable …... 37

A- Comment juger objectivement ? …... 38

1- La démarche objective …... 38

2- Les limites à l'objectivité des juges non professionnels …... 39

B- Comment apprendre l'impartialité ? …... 43

1- Définition …... 43

2- Moyens assurant l'impartialité …... 45

a- Moyens limitant les risques de partialité …... 45

b- Moyens éliminant les risques de partialité : la procédure de récusation …... 47

C- La responsabilité personnelle des juges non professionnels …... 48

1- L'intervention limitée du Conseil supérieur de la magistrature …... 48

2- Une procédure spécifique : la prise à partie des juges non professionnels …... 49

D- L'exclusion des juges non professionnels au second degré : les limites du peuple qui juge …... 50

CHAPITRE II : ÉTUDE SOCIOLOGIQUE PARTIE I : Essai sur une typologie des juges non professionnels …... 52

I- Le juge « notable » …... 52

A- Une mutation profonde de la fonction sociale de justice …... 53

B- L'appréciation du système : entre résistances et soutien …... 54

II- Le juge « spécialiste » …... 55

A- La controverse relative aux juges consulaires …... 55

B- Une controverse inachevée ?... 57

III- Le « citoyen-juge » …... 58

A- Les jurés d'assises …... 58

B- Les citoyens assesseurs …... 59

1- Une réforme ambitieuse …... 60

2- Une réforme décevante …... 60

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PARTIE II : Regard des juges non professionnels sur leur activité …... 63

I- Le juge « notable » : regard porté par deux juges de proximité …... 63

II- Le « citoyen-juge » : regard porté par deux jurés d'assises …... 65

III- Le juge « représentant » : regard porté par un conseiller prud'homal employeur …... 68

CONCLUSION …... 73

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Dans Protagoras2, Socrate s'adresse ainsi au sophiste : « La justice est-elle quelque chose ou

n'est-elle aucune chose ? Elle me semble à moi être quelque chose. Et à toi ? ». « À moi aussi, dit-il ». Quelque chose. Mais quelle chose ?

Il était une fois l'injustice... Ainsi faudrait-il commencer à écrire l'histoire de la justice car

c'est par son contraire que la notion de justice se laisse le plus facilement saisir. Serments trahis, partages inégaux, punitions injustifiées, tissent ce sentiment d'injustice qui appelle une aide, une parole consolatrice et réparatrice, capable de redonner à chacun le sien et de rétablir le juste. La justice suppose donc un conflit et un tiers pour départager les intérêts qui se heurtent ; elle se situe dans cette médiation du tiers, nécessairement impartial, qui crée la juste distance entre les protagonistes. « Le triangle est le symbole de la justice, si trois (2 + 1) est le chiffre du procès »3.

De tout temps, la justice est considérée comme un attribut essentiel de la souveraineté. Dès les premiers temps du Moyen-Âge, la justice est une prérogative régalienne : le Roi, « fontaine de justice », investi de la sagesse divine, est juge et peut manifester la vérité du droit. La Révolution française opère ensuite un bouleversement des valeurs ; de nos jours, la justice est rendue « au nom du Peuple français », mais l'idée reste la même : seul le Souverain est habilité à rendre la justice et, dès lors, il serait inconcevable que l’État ne s'en réserve pas le monopole exclusif. Cela emporte une conséquence importante : aucune autre autorité que les cours et les tribunaux légalement institués ne peut rendre la justice au moyen de jugements ayant autorité de chose jugée et force exécutoire. La justice de l’État s'incarne d'abord à travers les juges qu'il institue. Le juge est l'instrument de cette justice ; il est « pour ainsi dire, la justice incarnée […], l'homme du juste milieu »4.

Être juge, c'est en effet être investi du pouvoir de juger, c'est-à-dire de trancher les litiges ; la fonction de juger, partant la notion de juge et, au-delà, l'institution judiciaire, s'identifient donc à la

juris dictio, au pouvoir de dire le droit, au pouvoir juridictionnel. Ce pouvoir est une fonction de

l’État, une attribution de la souveraineté étatique qu'organise la Constitution au titre de l'autorité judiciaire. La fonction de juger, au sein de l’État, est cependant partagée entre deux ordres de juridiction distincts : d'une part, les juridictions de l'ordre judiciaire qui sont les juridictions traditionnelles soumises au contrôle de la Cour de cassation et, d'autre part, les juridictions de l'ordre administratif qui, sous le contrôle du Conseil d’État, tranchent les difficultés de droit public opposant les administrés aux collectivités publiques. L'existence des juridictions administratives possède un fondement constitutionnel qui se rattache au principe de la séparation des fonctions administratives et judiciaires posé par la loi des 16 et 24 août 1790 : « Les fonctions judiciaires sont 2 Platon, Protagoras, La Pléiade

3 M. A. Frison-Roche, « 2 + 1 = la procédure », in Justice – L'obligation impossible 4 Aristote, Éthique à Nicomaque, livre V

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distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives ». Récusant ainsi l'autorité des juges, l'administration échappait à tout contrôle juridictionnel. Cette origine marque toute la différence qui existe aujourd'hui entre les juridictions administratives et les juridictions de l'ordre judiciaire, dont il sera seul question dans cette étude. C'est ainsi que les juges administratifs se trouvent notamment privés des garanties réservées par l'Ordonnance du 22 décembre 1958 aux magistrats de l'ordre judiciaire.

Mais la fonction de juger échappe parfois aux organes de l’État, et laisse une vraie place pour une justice en dehors de l’État.

Tout d'abord, la parole départageante du tiers peut être certes tantôt parole qui tranche, mais aussi tantôt parole qui compose, phénomène d'autorité ou phénomène de conciliation. En effet, la régulation des rapports juridiques ne se limite pas aux procédures de type juridictionnel. La période contemporaine paraît même être caractérisée par le développement d'une déjudiciarisation des rapports, consistant dans un règlement du différend négocié par les parties elles-mêmes. Si le juge rend des décisions juridictionnelles, le médiateur ou le conciliateur n'appliquent pas une règle de droit mais conduisent progressivement, avec le consentement des parties, à sortir du conflit. Plus que le jugement, la médiation vise à permettre le maintien de liens de droit qui ont été mis en danger par le conflit.

Le juge peut ensuite avoir le sentiment, encore parfois, d'être dépossédé d'une part croissante de sa mission traditionnelle lorsque la solution de certains litiges est confiée à des organes extra-judiciaires. La prolifération, depuis une trentaine d'années, d'autorités administratives indépendantes, généralement instituées dans des secteurs sensibles de la vie économique et sociale, est aussi le signe de la naissance d'une nouvelle justice rendue en dehors des juges. Investies de pouvoirs quasi-juridictionnels, ces autorités concourent en effet à la régulation de secteurs spécifiques, en exerçant une véritable activité de résolution des litiges qu'un organe judiciaire pourrait tout aussi bien accomplir. Les juridictions françaises et européenne attendent même d'elles qu'elles accomplissent leur mission comme le feraient de véritables juges, c'est-à-dire avec impartialité et objectivité5.

Dans ce même esprit, la justice peut encore être rendue, au-delà des juridictions de l’État, par la voie de l'arbitrage. Elle est un mode de juridiction à base conventionnelle, par lequel les parties conviennent d'attribuer le pouvoir de trancher le litige, au besoin en équité, à un ou plusieurs particuliers choisis en raison de leur autorité morale ou technique. Pour autant, l'arbitrage ne déroge

5 CEDH, Piersack c/ Belgique, 1er octobre 1982 ; et Cubber c/ Belgique, 26 octobre 1984 Cass., Ass. Plénière, 5 février 1999

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pas totalement à la nature étatique de la fonction juridictionnelle : à défaut de l'assurer lui-même, le service public de la justice a vocation à contrôler l'activité juridictionnelle lorsqu'elle prend la forme d'un arbitrage. La sentence arbitrale, notamment, n'est susceptible d'exécution forcée que si l'exequatur lui est conférée par un juge étatique qui retrouve alors sa compétence et offre à l'arbitrage un service d'appui, favorisant l'articulation entre justice étatique et justice privée6.

Enfin, la dernière forme de justice rendue en dehors des juges institués par l’État résulte de l'introduction, en droit français, de la question prioritaire de constitutionnalité, qui figure depuis 2010 à l'article 61-1 de la Constitution. Utilisée par le justiciable dans une stratégie de défense contentieuse, cette nouvelle voie de recours oblige le Conseil constitutionnel, qui intervient désormais directement dans le litige, à se comporter comme un véritable juge du procès. Cette transformation du Conseil en nouvel organe juridictionnel semble rendre difficiles, à terme, d'une part le maintien, parmi ses membres, d'anciens présidents de la République signataires des lois contestées, au regard notamment des exigences du procès équitable et, d'autre part, l'absence d'exigence de qualification juridique requise pour siéger au sein de cette institution.

Mais si le tiers qui départage est le plus souvent un tiers qui fait profession de juger, désigné comme magistrat de métier, ou encore un tiers arbitre requis de juger dans un cas particulier, il est d'autres juges qui, pour un temps déterminé plus ou moins long, reçoivent mandat de rendre la justice. Il n'est plus question ici de justice rendue en dehors des juges, mais d'un questionnement, au sein de la justice étatique, sur l'opposition entre justice professionnelle et justice non professionnelle et, au-delà, sur les frontières entre les différentes formes de justice.

L'opposition entre juges professionnels et juges non professionnels soulève une série de difficultés relatives à son origine, sa valeur et sa portée. Elle suppose d'abord l'établissement d'une frontière entre le monde des professionnels et celui des non professionnels, présentés comme deux catégories distinctes et se faisant face. Les non professionnels incarnent pourtant des formes particulières de justice, qui s'imposent grâce à des éléments spécifiques de légitimité et pouvant ainsi faire douter de la pertinence du jeu de miroir conduisant professionnels et non professionnels à se définir les uns par rapport aux autres. Cette frontière reste donc encore un objet de débats et un enjeu de lutte pour les différents acteurs – professionnels et non professionnels – qui, au nom d'une certaine conception de la justice, œuvrent tantôt à la renforcer, tantôt à la contester ou à la déplacer, voire à la faire disparaître.

Il est donc nécessaire d'assimiler cette opposition entre deux formes de justice, très présente dans les esprits, les discours et les pratiques, mais, dans le même temps, de garder une distance avec

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elle, afin de s'affranchir du schéma classique et simpliste dans lequel le modèle de justice professionnelle constituerait le référent unique permettant de définir et d'apprécier les formes alternatives, souvent perçues comme dégradées, de justice. Ainsi, poser la question des conditions d'établissement de cette frontière ne doit pas conduire à la nier car, ce qui est vrai dans de nombreux espaces sociaux traversés par une opposition entre professionnels et profanes, l'est d'autant plus dans le domaine juridique, marqué par une séparation étanche entre le droit et le reste de la société. Mais si la « force du droit »7 produit des effets sociaux très puissants de fermeture et d'intimidation

envers les profanes, ces derniers parviennent tout de même à s'y introduire.

Il ne s'agit donc pas seulement d'étudier l'opposition entre juges professionnels et juges non professionnels, mais aussi et surtout, d'apprécier la contribution de ces profanes à la définition même des formes de justice. La problématique est d'autant plus intéressante que, depuis quelques années, la question des profanes est apparue dans de nombreuses réformes du système judiciaire, qui réintroduisent le non professionnel dans l'exercice de la fonction judiciaire, qu'il s'agisse de la création du juge de proximité en 2002, ou encore l'entrée très récente des citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels.

Une approche sociologique permettra de mettre en évidence le fait que, aussi bien dans les discours et les pratiques, que dans les représentations que s'en font les acteurs – magistrats de carrière ou juges non professionnels – la figure du profane qui y apparaît n'est pas identique (Chapitre II). C'est pourquoi il convient dans un premier temps de répertorier, sur un plan juridique, les différentes figures du juge non professionnel et de comprendre la légitimité qui fonde leur participation à l'exercice de la justice (Chapitre I).

7 P. Bourdieu, « La force du droit – Pour une sociologie du champ juridique », in Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, septembre 1986

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CHAPITRE I : ÉTUDE JURIDIQUE

Les magistrats de carrière sont au cœur de l'institution judiciaire ; ils représentent le service public de la justice. Afin de garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire, ces magistrats professionnels sont des agents de l’État, formant un corps particulier au sein de la fonction publique. Mais il est d'autres juges qui, ayant une expérience des réalités quotidiennes et sans appartenir à la fonction publique, sont appelés à exercer occasionnellement des activités judiciaires pour une durée limitée. Les juridictions spécialisées, ainsi qualifiées par le Code de l'organisation judiciaire, présentent la caractéristique commune d'être composées, partiellement ou totalement, de juges non professionnels.

Ces juridictions originales sont à la fois nombreuses et diversifiées (Partie I), et posent la question de la légitimité de leurs membres à exercer la fonction de juger (Partie II).

PARTIE I : L'INTRODUCTION DES JUGES NON PROFESSIONNELS DANS L'ORGANISATION JUDICIAIRE : MULTIPLICATION ET DIVERSIFICATION DES

FIGURES DU PROFANE

Le système judiciaire français repose sur la prééminence des juges de métier, mais laisse une assez large place aux juges non professionnels pour des raisons qui tiennent à l'Histoire et que renforcent souvent d'impérieux soucis d'économie budgétaire.

Ainsi, aucun magistrat de carrière ne siège au sein des juridictions à composition homogène, qui sont exclusivement composées de juges extérieurs ; tel est le cas notamment des tribunaux de commerce. On peut certes craindre que ce système n'offre pas toutes les garanties souhaitables et que des litiges, dont l'enjeu est parfois considérable, ne soient finalement tranchés que par des juges n'ayant aucune connaissance juridique. Mais cette formule a toutefois le mérite de préserver l'esprit de la juridiction en la faisant échapper à toute interférence du juge professionnel qui risquerait d'en dénaturer la fonction.

On appelle au contraire « échevinage » une composition qui consiste à faire siéger, au sein d'une même juridiction, un ou plusieurs magistrats de carrière et des juges extérieurs non professionnels. On en connaît de nombreux exemples : Cour d'assises, tribunal paritaire des baux ruraux, tribunal des affaires de la sécurité sociale, ou encore tribunal pour enfants. Le système de l'échevinage est parfois présenté comme la formule idéale permettant de réunir au sein d'une même formation les garanties juridiques (par l'intermédiaire du juge de carrière) et l'expérience pratique

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(par la présence de juges extérieurs). Toute composition échevinale est cependant exposée à une double perversion : ou bien le magistrat professionnel intervient comme simple arbitre pour faire respecter les principes essentiels de la procédure – et dans cette hypothèse, sa présence n'infléchit réellement aucune décision – ou bien le magistrat professionnel est doté d'une forte personnalité, et l'échevinage risque alors de créer une situation de conflit permanent.

Quoi qu'il en soit, l'exercice de la fonction judiciaire nécessite de nombreuses qualités très diverses : des connaissances techniques et pratiques, des qualités personnelles de sagesse, d'écoute, de bon sens et d'indépendance. La mise en place d'un système idéal de recrutement permettant de déceler tant d'aptitudes n'est pas aisée. La question est d'autant plus complexe que le système de recrutement de ces juges occasionnels est étroitement lié à des considérations politiques et sociales, à la conception que l'on peut avoir de l'administration de la justice. Si l'on attache par exemple une grande importance à la connaissance et à la technicité juridiques, on recrutera volontiers les juges par voie de concours ; si l'on préfère des juges ayant une expérience des problèmes pratiques, on ouvrira l'accès aux fonctions judiciaires à des personnes ayant déjà exercé une autre activité professionnelle ; si l'on estime enfin que la confiance du justiciable doit l'emporter sur les connaissances juridiques, ou que la justice est un élément du pouvoir, une place sera plutôt faite à l'élection des juges.

Il existe donc une grande diversité dans les modalités de recrutement de ces juges : certains sont tirés au sort parmi les citoyens (I), d'autres sont élus par leurs pairs (II), ou font l'objet d'une nomination (III). Le fait que ces juges occasionnels soient d'origine semblable ou au contraire d'origines différentes exerce une influence déterminante sur l'organisation des juridictions auxquelles ils appartiennent.

I- Des juges tirés au sort

Le système du tirage au sort n'est pas une pratique récente : dans la Grèce antique, Athènes disposait d'un tribunal populaire, l'Héliée, dont les membres étaient tirés au sort parmi les citoyens pour juger les affaires les plus graves. La souveraineté du peuple implique en effet à cette époque que les citoyens puissent exercer des fonctions juridictionnelles. Le droit positif a gardé des traces de cette pratique ancienne, en consacrant depuis 1978 le tirage au sort des jurés d'assises (A) et, de façon beaucoup plus récente, en instituant les citoyens assesseurs (B).

A- Un choix traditionnel : les jurés d'assises

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incontestablement la plus originale de toutes les juridictions françaises, du fait notamment de son caractère mythique : composée d'un jury populaire, elle est une institution d'origine anglaise introduite en France au moment de la Révolution et qui, depuis lors, est devenue le refuge de toute une série de symboles : symbole de la souveraineté nationale, symbole d'une justice qui exprime le sentiment d'un peuple, symbole de l'indépendance d'esprit, de la lutte contre l'arbitraire.... Montesquieu rappelait en ce sens que « la puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple dans certains temps de l'année de la manière prescrite par la loi pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la nécessité le requiert »8. Le jury criminel est donc, en France, enraciné dans une longue tradition historique. Il fut

introduit par les lois des 16 et 21 septembre 1791 sous l'influence des philosophes, notamment Voltaire qui avait été révolté par le fonctionnement de la justice criminelle sous l'ancien régime et qui voyait dans le jury à la manière anglaise le symbole de l'indépendance de la justice criminelle, le moyen de libérer la justice de toute pression extérieure9. Mais le jury véritablement « populaire »

et démocratique est né avec la loi du 28 juillet 1978 qui remplace le système de sélection par celui du tirage au sort des jurés.

Le jury incarne donc un système consistant à investir temporairement du pouvoir de juger de simples citoyens, appelés « jurés », désignés par le sort pour se prononcer sur des questions de fait. Plusieurs éléments caractérisant le jury ressortent de cette définition. D'une part, les jurés sont de simples citoyens appelés occasionnellement à rendre la justice pour une durée très limitée, généralement pour une affaire déterminée. D'autre part, le mode de recrutement de ces citoyens juges constitue l'aspect le plus original de l'institution : les jurés sont désignés à la suite d'un tirage au sort. Le système du jury présente en cela un fondement mystique : les personnes désignées le sont par le « doigt de Dieu », et apparaissent ainsi comme un substitut civilisé des ordalies du très ancien droit. L'explication s'est aujourd'hui laïcisée : les jurés, choisis par l'effet du hasard, sont dépositaires de la souveraineté nationale. À travers eux s'exprime l'opinion publique. Mais quelque soit l'explication retenue, l'idée demeure que la désignation du jury échappe à toute volonté humaine pour dépendre des seuls caprices du hasard, auxquels chacun peut donner le sens que lui dictent ses convictions. Enfin, le jury est appelé à statuer sur des questions de fait (l'accusé est-il coupable?). Les questions de droit relatives à l'application et l'interprétation des textes demeurent trop complexes pour être mises à la charge de personnes désignées par le sort.

En France, le système du jury n'existait, jusqu'en 201110, que devant la Cour d'assises et

8 Montesquieu, De l'Esprit des Lois, Livre XI, Chapitre VI

9 Notamment l'affaire Calas qui, sous l'ancien régime, avait beaucoup ému Voltaire.

10 Cf : l'introduction en France, par la loi du 10 août 2011, des citoyens assesseurs devant les tribunaux correctionnels, Chapitre I, Partie I, III, B.

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n'intervenait devant aucune autre juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire, pas même devant les autres juridictions pénales. On le comprend aisément : outre la méfiance que peut inspirer le jury dans son principe même, sa présence ne peut se concevoir que dans les matières où les questions de fait occupent une place prépondérante. Dans les affaires criminelles qui sont les affaires les plus graves, chaque citoyen peut avoir une idée sur les faits indépendamment de l'application d'une règle de droit, tandis que dans le contentieux administratif et le contentieux privé, la dissociation entre le droit et le fait est malaisée : les questions de droit sont souvent d'une grande technicité, impossibles à appréhender pour un juré qui ne dispose d'aucune connaissance juridique.

1. Composition de la Cour d'assises

À la différence des autres juridictions de droit commun qui siègent de façon continue, conformément au principe de permanence de la justice, les Cours d'assises siègent de façon intermittente, par sessions (en principe, une session de quinze jours au plus, tous les trois mois). Ce particularisme tient à la composition originale de la Cour d'assises, qui comprend pour partie des jurés citoyens que l'on ne peut distraire de leurs occupations professionnelles pendant une durée trop longue.

La Cour d'assises est ainsi une juridiction échevinale, associant magistrats professionnels formant la Cour (le président des assises qui dirige les débats, siégeant aux côtés de deux assesseurs), et juges citoyens, au nombre de neuf, qui forment le jury. Les jurés sont tirés au sort selon une procédure longue et complexe, exposée aux articles 255 et suivants du Code de procédure pénale. Plusieurs opérations successives sont en effet indispensables pour parvenir à la désignation de neuf noms.

Sont d'abord établies dans chaque commune, à partir des listes électorales, des listes préparatoires comprenant un nombre donné de citoyens remplissant objectivement les conditions pour devenir juré : être âgé de plus de vingt-trois ans, savoir lire et écrire en français, et jouir de ses droits civils, politiques et de famille. De ces listes, adressées à la Cour d'appel, est extraite par tirage au sort la liste annuelle définitive, à laquelle s'ajoute une liste spéciale de jurés suppléants. Trente jours avant l'ouverture de la session, un nouveau tirage au sort est organisé, permettant de désigner quarante jurés sur la liste annuelle et douze jurés suppléants sur la liste spéciale. Le jury de session est ainsi obtenu. Le jury de jugement est composé ultérieurement lorsque débute la procédure : pour chacune des affaires inscrites à la session, le président de la Cour d'assises procède à un nouveau tirage au sort parmi les quarante noms de la liste de session ; les neuf noms qui sortent de l'urne sont désignés comme jurés, sous réserve de la possibilité offerte, tant au ministère public qu'à l'accusé,

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d'exercer un droit de récusation en écartant certains noms de façon purement discrétionnaire11.

2. L'audience

L'audience a pour but de reprendre les différents éléments qui résultent de la mise en état du dossier de la procédure pour permettre aux magistrats professionnels et jurés de se forger une intime conviction. Les rapports entre la Cour proprement dite et les jurés, au cours des débats et des délibérations, feront l'objet de développement ultérieurs12.

B- Un choix nouveau : du criminel au correctionnel, l'élargissement de la pratique des jurés C'est dans un contexte particulier que le gouvernement a annoncé, fin 2010, sa volonté d'associer davantage les citoyens au fonctionnement de la justice pénale. L'actualité était alors riche d'affaires impliquant des récidivistes et faisant naître un fort sentiment d'insécurité. La loi n°2011-939 du 10 août 2011 « sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs » institue alors les citoyens assesseurs, qui font désormais partie de la composition de plusieurs juridictions pénales et qui siègent aux côtés de juges professionnels. Pour officialiser cette nouvelle catégorie de juges non professionnels, la loi divise l'actuel titre préliminaire du Code de procédure pénale en deux sous-titres : le premier reprend les dispositions relatives à l'action publique et à l'action civile ; le second, s'intitulant « De la participation des citoyens au jugement des affaires pénales », s'ouvre par un article 10-1 qui énonce que les citoyens peuvent participer au fonctionnement de la justice pénale, soit comme jurés, soit comme citoyens assesseurs.

Si, de la même manière que les jurés d'assises, les citoyens assesseurs sont tirés au sort sur une liste annuelle élaborée à partir des listes électorales, ils se distinguent en revanche nettement des jurés d'assises sur de nombreux points, et ne sont donc qu'improprement surnommés « jurés populaires correctionnels ». En effet, contrairement aux jurés d'assises qui sont compétents pour juger l'ensemble des crimes et délits connexes13, le domaine d'application de la réforme de 2011 est

limité à certaines infractions en matière correctionnelle. Le Conseil constitutionnel a, par exemple, décidé d'écarter du champ d'application du dispositif l'usurpation d'identité prévue par le Code pénal et les infractions prévues par le Code de l'environnement passibles d'une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à cinq ans14. Ces infractions nécessitent en effet des compétences

11 Cf : Chapitre I, Partie II, II, 2°. 12 Cf : Chapitre I, Partie II.

13 A l'exception du contentieux technique relevant de juridictions particulières, notamment la Cour d'assises spécialisée en matière de terrorisme, exclusivement composée de magistrats professionnels.

14 Décision n° 2011-635 du 4 août 2011 : ces infractions sont « de nature telle que leur examen nécessite des compétences juridiques spéciales qui font obstacle à ce que des personnes tirées au sort y participent ».

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souvent pointues dans des domaines techniques et juridiques ; elles sont donc difficiles à appréhender pour un non-professionnel. Par ailleurs, à la différence des jurés d'assises, les citoyens assesseurs sont minoritaires dans les tribunaux correctionnels : seuls deux citoyens assesseurs siègent aux côtés des trois magistrats professionnels, ce qui ne leur donne que peu de poids dans les décisions. A cela s'ajoutent l'absence d'un vote à bulletin secret et l'impossibilité de récuser les citoyens tirés au sort15.

Le législateur a prévu une mise en place progressive des nouvelles dispositions : le dispositif des citoyens assesseurs est appliqué « à titre expérimental à compter du 1er janvier 2012 dans au moins deux Cours d'appel et jusqu'au 1er janvier 2014 dans au plus dix Cours d'appel ». Après quatre mois d'expérimentation, un bilan sur ce nouveau tribunal citoyen pourra être dressé16.

Au fond, le système du jury désigné par le hasard n'a de sens que dans une civilisation à caractère mystique, et semble de ce fait ne plus correspondre à nos mentalités contemporaines. Si l'on souhaite que des personnes étrangères au corps judiciaire participent effectivement au fonctionnement de la justice, le système de l'élection semble plus rationnel.

II- Des juges élus

Parce qu'il semble nécessaire, dans certaines matières, de confier la mission de juger à des personnes qui n'appartiennent pas au corps judiciaire, de nombreuses raisons justifient le recours au système de l'élection. Il est tout d'abord le plus démocratique. Il permet ensuite de recruter des juges qui sont présumés avoir la confiance du justiciable. Mais ce mode de recrutement soulève cependant certaines difficultés17 qui en font un système de recrutement exceptionnel : l'élection des

juges ne se rencontre en France que dans des domaines limités, où le souci de conciliation et la technicité professionnelle de la matière imposent la présence de juges issus de la profession elle-même.

A- Les juridictions à composition homogène : les juridictions commerciales

Les tribunaux de commerce sont les juridictions les plus anciennes de notre organisation judiciaire18. Ces tribunaux ont pour origine lointaine une juridiction qui avait été créée dès la fin du

Moyen Âge, dans les Républiques marchandes de Gênes et Venise à l'occasion des grandes foires, pour trancher les litiges entre marchands faisant le commerce de produits et denrées en provenance

15 Cf : Chapitre I, Partie II.

16 Cf : Chapitre I, Partie II ; Chapitre II, Partie II.

17 Ces difficultés seront développées au sein de la Partie II du Chapitre I.

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de l'Orient. Pour vider rapidement ce contentieux, avait été instituée la juridiction des « juges consuls », qui avait cette particularité d'être composée de juges élus par les commerçants de la place. De là, d'ailleurs, l'expression de « juridictions consulaires » utilisée aujourd'hui pour désigner les tribunaux de commerce.

Alors même qu'au moment de la Révolution française toutes les structures judiciaires de l'ancien régime s'effondraient, les tribunaux de commerce furent les seules juridictions qui survécurent à la tourmente révolutionnaire, ceci en raison de leur composition élective, conforme à l'idéologie de l'époque, qui leur valut grâce aux yeux du législateur de 1790. Depuis lors, les tribunaux de commerce n'ont cessé de se développer : on compte actuellement cent trente-cinq tribunaux de commerce19, comptant près de trois mille juges consulaires, répartis à travers le France

métropolitaine20.

Ces juridictions ont fait l'objet, pendant longtemps, d'une réglementation dispersée. Désormais, depuis l'Ordonnance du 8 juin 2006, toute la réglementation relative aux tribunaux de commerce a été déplacée du Code de l'organisation judiciaire21 dans le Code de commerce aux

articles L. 721-1 à L. 732-7.

Il conviendra d'étudier successivement l'organisation (1°) et la compétence (2°) de ces tribunaux, en lien avec le caractère non professionnel de ces juges élus.

1. Organisation

Implantation territoriale. Contrairement aux tribunaux d'instance ou de grande instance qui sont institués de façon générale sur l'ensemble du territoire, les tribunaux de commerce sont en nombre variable selon l'activité juridictionnelle et n'existent que dans les lieux où l'activité commerciale en impose la présence. Chaque juridiction consulaire est instituée par décret qui fixe le siège et le ressort du tribunal.

Ainsi, dans certaines régions, il n'existe aucun tribunal de commerce ; les affaires commerciales sont alors jugées exceptionnellement par le tribunal de grande instance.

Des juges exclusivement élus. Chaque tribunal de commerce est exclusivement composé de juges élus pour une durée déterminée. Ce sont des commerçants ou industriels qui sont investis temporairement, par la voie de l'élection, de la fonction de juger les litiges commerciaux de leur 19 Regroupés en une Conférence nationale des tribunaux de commerce (Décret n° 2005-1201 du 23 septembre 2005), installée auprès du Ministre de la Justice, qui la préside et qui peut la consulter sur les questions tenant à la formation et à la déontologie des juges consulaires, à l'organisation, le fonctionnement et l'activité des tribunaux de commerce.

20 Ces chiffres tiennent compte de l'Ordonnance n° 2011-337 du 29 mars 2011 qui réorganise les juridictions à Mayotte devenu département au 1er avril 2011.

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circonscription. Ainsi, aucun magistrat de carrière ne participe au règlement des contentieux devant les juridictions commerciales, qui constituent de ce fait des juridictions corporatives par excellence.22

Le principe de l'élection se justifie par la nature particulière de cette juridiction : les juges consulaires sont des personnes qui connaissent bien les usages du commerce et apparaissent ainsi comme mieux à même de trancher les litiges commerciaux. Par ailleurs, la présence de juges choisis parmi les personnes qui ont la confiance des parties s'inscrit dans la logique d'une recherche de solutions de conciliation qui anime ces juridictions. Mais si le principe de l'élection n'a jamais été discuté, ses modalités ont été en revanche souvent modifiées, selon le régime politique en place. Tandis que les gouvernements d'autorité restreignent généralement le corps électoral aux seuls commerçants « notables » (Code de commerce de 1807), les régimes démocratiques privilégient l'extension électorale à tous les commerçants remplissant certaines conditions.

S'agissant des conditions de l'électorat, les juges consulaires ne sont pas directement élus par les commerçants. Le Décret du 3 août 1961 a institué le principe de l'élection à deux degrés23 : les

juges sont élus par un collège électoral comprenant des membres précédemment désignés par les commerçants eux-mêmes, afin de remédier à l'absentéisme des électeurs, donc au risque d'une élection par des minorités de faveur dynamiques mais nuisant à l'autorité des juges ainsi élus. Grâce à cette réduction du collège électoral, les personnes spécialement désignées pour élire les juges consulaires ont certainement plus à cœur de participer effectivement au scrutin. Ce collège électoral est composé de trois catégories de personnes, énumérées à l'article L. 723-1 du Code de commerce : les délégués consulaires, les membres en exercice des tribunaux de commerce et les anciens membres. Les délégués consulaires, élus au premier degré24, sont choisis parmi les

commerçants immatriculés au registre du commerce et des sociétés, les chefs d'entreprise, les conjoints de ces personnes qui collaborent à l'activité de leur époux sans être rémunérés, les cadres d'entreprise..., et doivent remplir les conditions prescrites à l'article L. 723-2 du Code de commerce. Les membres en exercice des tribunaux de commerce sont, en raison des fonctions qu'ils exercent, bien placés pour désigner ceux qui leur paraissent aptes à exercer les fonctions de juge consulaire. Enfin, compte tenu de leur expérience passée, les anciens membres des tribunaux de commerce ayant demandé à être inscrits sur la liste électorale, qui veulent bien encore s'intéresser au fonctionnement de la justice commerciale, peuvent encore être élus au sein de la juridiction commerciale.

22 Il faut toutefois réserver le cas des départements d'Alsace-Moselle et celui des départements d'outre-mer où les juridictions commerciales sont composées de commerçants élus qui siègent sous la présidence d'un magistrat de carrière : articles L. 731-1 à L. 732-7 du Code de commerce

23 Article L. 723-1 du Code de commerce

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Quant aux conditions d'éligibilité, l'article L. 723-4 du Code de commerce dispose que sont éligibles aux fonctions de juge consulaire toutes les personnes inscrites sur la liste électorale pour désigner les délégués consulaires, à condition d'être âgées d'au moins trente ans, et de justifier d'au moins cinq ans d'activités commerciales. Ces conditions se justifient par une nécessaire maturité et expérience de la vie des affaires. Sont en revanche inéligibles ceux qui ont fait l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires. Élus pour un mandat de deux ans, ils sont rééligibles ensuite pour des mandats de quatre ans25. La durée réduite du premier mandat est une

solution pertinente : le premier mandat de deux ans est une sorte de période probatoire permettant aux électeurs d'apprécier si leur choix a été judicieux, et au juge élu d'évaluer s'il a les aptitudes requises pour exercer ces fonctions. Après leur quatrième mandat, soit quatorze ans de fonction, les juges ne sont plus rééligibles pendant un an26. Il s'agit d'éviter que certains juges ne s'imposent dans

leur fonction, sans laisser la possibilité aux plus jeunes de se faire élire.

Les fonctions consulaires. A la tête du tribunal se trouve placé un président, élu pour quatre ans non renouvelables au scrutin secret, parmi les juges ayant au moins six ans d'ancienneté27. Ses

fonctions sont comparables à celles du président du tribunal de grande instance : il participe au jugement des affaires en tant que juge mais il dispose, comme tout chef de juridiction, de pouvoirs juridictionnels qui lui sont propres, notamment le pouvoir de rendre des ordonnances sur requête (par exemple des injonctions de payer), et des ordonnances de référé (désignation d'un expert, allocation d'une provision...).

Le président du tribunal est assisté d'un vice-président, désigné par le président lui-même parmi les juges du tribunal ayant déjà exercé des fonctions judiciaires depuis au moins trois ans, et appelé à le suppléer en cas d'empêchement. Ce juge doit avoir la confiance du président, dont il est le collaborateur direct et immédiat. C'est la raison pour laquelle cette désignation peut être modifiée en cours d'année.

Sur le plan juridictionnel, le tribunal de commerce est, comme toute juridiction, divisé en chambres spécialisées, placées chacune sous la responsabilité d'un président de chambre, statuant en formation collégiale et impaire (trois juges au moins). Les affaires sont débattues et les jugement sont rendus en audience publique28. Sur le plan administratif, le tribunal peut, comme toute

juridiction, se réunir en assemblée générale (tous les juges du tribunal sont présents), qui a un rôle purement administratif et non juridictionnel : l'assemblée délibère sur les questions relatives à

25 Article L. 722-6 du Code de commerce 26 Article L. 723-7 du Code de commerce 27 Article L. 722-7 du Code de commerce 28 Cf : Chapitre I, Partie II, II, B.

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l'administration du tribunal.

Statut et discipline des juges consulaires. Les juges des tribunaux de commerce sont soumis à un statut très particulier, qui se distingue sensiblement de celui des magistrats de carrière.

Tout d'abord, les juges consulaires exercent leurs fonctions gratuitement sans percevoir aucune rémunération29. Ensuite, certaines règles particulières ont été édictées concernant la

discipline de ces juges, même si cette question a été négligée pendant longtemps. On pensait en effet que s'agissant de juges élus, leurs fautes éventuelles seraient naturellement sanctionnées par leur non-réélection. L'expérience a prouvé que cette solution était regrettable et que, parfois, une sanction immédiate était nécessaire. A cette fin, la loi du 16 juillet 1987 a institué une Commission

nationale de discipline des membres des tribunaux de commerce qui peut prononcer, contre le juge

poursuivi, des sanctions pouvant aller jusqu'au blâme voire la déchéance de l'intéressé avant l'expiration de son mandat dans les hypothèses les plus graves30. Cette commission intervient en cas

de manquement « à l'honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs » du juge consulaire31.

2. Compétence

Le tribunal de commerce est le juge naturel des commerçants et des activités commerciales. Juge d'exception non professionnel, sa compétence est limitée par la loi32. Ainsi, conformément à la

tradition, il ne peut connaître des litiges qu'entre commerçants ou qu'entre associations d'une société commerciale, ainsi que les contestations relatives aux actes de commerce entre toutes personnes33.

Enfin, pour la même raison, les juges consulaires des tribunaux de commerce sont seuls compétents en matière de redressement ou de liquidation judiciaires lorsque ces procédures concernent un débiteur commerçant ou artisan, ou une personne morale commerçante34.

B- Les juridictions à composition hétérogène

Il s'agit de juridictions dont les membres, appelés à siéger, sont des juges non professionnels élus, issus de catégories sociales aux intérêts antagonistes. Leur composition est donc nécessairement paritaire, ce qui peut exposer ces juges à un risque de blocage en cas de partage des voix. C'est pourquoi ces juridictions ont une vocation naturelle à l'échevinage, de manière

29 Article L. 722-16 du Code de commerce

30 Articles L. 724-1 à L. 724-7 du Code de commerce. La Commission nationale de discipline est présidée par un président de chambre de la Cour de cassation et comprend un conseiller d’État, deux magistrats de Cour d'appel et quatre juges consulaires.

31 Article L. 724-1 du Code de commerce

32 Giverdon, « Le droit commercial, droit des commerçants », JCP, 1949.I.770 33 Article L. 721-3 du Code de commerce

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occasionnelle pour les juridictions prud'homales (1°), et de façon structurelle pour les juridictions rurales (2°).

1. Le Conseil de prud'hommes

L'organisation actuelle de la juridiction prud'homale est le fruit d'une longue évolution qui rapproche sensiblement le Conseil de prud'hommes du tribunal de commerce. L'origine des Conseils de prud'hommes se situe à Lyon où existait, sous l'ancien régime, une juridiction paritaire chargée de concilier et, à défaut, de juger les différends pouvant s'élever entre les soyeux et leurs canuts. Supprimée à la Révolution, en raison de son inspiration corporatiste et en dépit de son caractère électif, elle fut rétablie sous Napoléon par une loi du 18 mars 180635 qui lui attribua son

appellation actuelle.

Si plusieurs réformes ont fait évoluer l'institution depuis cette époque (en 1848, 1905 et 1907 pour l'essentiel), plusieurs questions n'avaient pas été réglées et valaient aux Conseils de prud'hommes de sérieuses critiques (désaffection croissante des électeurs, implantation et composition irrégulières, manque d'homogénéité...). Aussi la juridiction prud'homale fit-elle l'objet d'une profonde réforme réalisée par la loi du 18 janvier 1979, dite loi Boulin, complétée à plusieurs reprises depuis lors36. Ces différents textes ont déplacé la réglementation du Code de l'organisation

judiciaire vers le Code du travail (articles L. 1411-1 à L. 1462-1 et R. 1412-1 à R. 1463-1).

Il existe aujourd'hui deux cent onze Conseils de prud'hommes, regroupant près de quinze mille juges prud'homaux élus37.

a- Organisation

Une juridiction paritaire. Les Conseils de prud'hommes, ainsi que leurs différentes formations, sont composées d'un nombre égal de salariés et d'employeurs38. La parité est une règle

essentielle : le législateur a voulu éviter qu'un élément puisse l'emporter sur l'autre. Cette préoccupation légitime entraîne deux dispositions particulières spécifiques à la juridiction du travail.

L'alternance de la présidence constitue la première spécificité : à la tête du Conseil se trouve placé un président, assisté d'un vice-président, élus chacun pour une durée de un an par l'assemblée générale. Si le président est un conseiller employeur, le vice-président doit être un conseiller salarié, et inversement. En outre, l'alternance doit être observée d'année en année si bien que si au cours

35 http://www.justice.gouv.fr/actualites/bicentenairecph/bicentenairecph.htm 36 Notamment les lois du 6 mai 1982 et du 30 décembre 1986

37 Http://www.justice.gouv. Annuaire de la justice 2011 38 Article L. 1421-1 du Code du travail

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d'une année le président est un conseiller salarié, il sera nécessairement un conseiller employeur l'année suivante39.

Par ailleurs, afin de respecter le principe du paritarisme, tout jugement doit être rendu par quatre conseillers prud'homaux : deux conseillers employeurs et deux conseillers salariés40. Une

difficulté surgit alors en cas de partage des voix. Il n'est pas possible dans cette hypothèse d'accorder une voix prépondérante au président ; ce serait porter atteinte au principe de parité. Aussi, pour surmonter cet obstacle et vider le partage, il est fait appel à un magistrat professionnel qui présidera l'instance de départage. Ce « juge départiteur » – magistrat du tribunal d'instance dans le ressort duquel est situé le siège de la juridiction prud'homale – a pour mission de se rallier à l'une des deux solutions en présence pour dégager une majorité dans un sens ou dans un autre41.

Le recrutement des conseillers prud'homaux. La question des modalités de recrutement des conseillers fut vivement discutée lors de l'adoption de la loi de 1806. L'idée d'une désignation des conseillers par les organisations professionnelles ou syndicales les plus représentatives, ou le projet d'accorder un droit de vote plural aux employeurs dans les grandes entreprises, furent écartés. Le principe de l'élection est désormais inscrit au sein de l'article L. 1423-1 du code du travail42. Les

articles L. 1441-1 à L. 1441-40 précisent les conditions de l'élection des conseillers.

L'élection a lieu tous les cinq ans, dans le cadre de la section et par collège (salariés et employeurs), au scrutin de liste et à la représentation proportionnelle. Sont électeurs tous ceux, français ou étrangers, âgés d'au moins seize ans, qui exercent une activité professionnelle en qualité de salarié ou d'employeur, ou qui sont à la recherche d'un emploi, à condition de ne faire l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à leurs droits civiques43. Les électeurs sont

inscrits et votent dans une seule des cinq sections (encadrement, industrie, commerce, agriculture et activités diverses), en fonction de la nature de leur activité principale.

Sont éligibles, aux termes de l'article L. 1441-16 du Code du travail, les électeurs français, âgés de vingt-et-un an au moins et n'ayant encouru aucune des condamnations prévues par le Code électoral. Ainsi, un étranger, même ressortissant de l'Union européenne, ne peut être élu en raison de la nature des fonctions exercées. Élus pour un mandat de cinq ans, les conseillers sont rééligibles.

Les formations du Conseil pour examiner les litiges. Ces formations sont de trois sortes : 39 Articles L. 1423-4 et L. 1423-6 du Code du travail

40 Article R. 1423-35 du Code du travail 41 Article L. 1454-2 du Code du travail

42 Poumarède, « Les tribulations d'un principe républicain : l'élection des juges », in Justice et République, 1993 43 Article L. 1441-1 du Code du travail

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bureau de conciliation, bureau de jugement, référé. Chaque section – ou le cas échéant chaque chambre s'il en existe plusieurs dans une section – comprend un bureau de conciliation et un bureau de jugement. Le bureau de conciliation est composé d'un conseiller salarié et d'un conseiller employeur qui président le bureau alternativement. La conciliation est une caractéristique majeure de la juridiction prud'homale : ce bureau est nécessairement saisi de tout litige afin de tenter de concilier les parties et ordonner le cas échéant des mesures provisoires. En cas d'échec de cette première phase, le litige est alors porté devant le bureau de jugement, composé d'au moins deux conseillers de chaque catégorie, afin de maintenir l'égalité entre les deux catégories de juges. Il n'est pas exclu que les mêmes conseillers membres du bureau de conciliation soient membres au sein du bureau de jugement pour un même litige44.

Il existe enfin une formation de référé dans chaque Conseil de prud'hommes ; composée d'un conseiller de chaque catégorie, elle est donc commune à l'ensemble des sections45.

Statut et discipline des conseillers prud'homaux. Les conseillers prud'homaux, du moins les conseillers salariés, disposent d'un statut particulier qui tient compte de leur double qualité de juge élu et de salarié.

En leur qualité de juges, ils sont soumis, comme tout magistrat de métier, aux conditions inhérentes à la fonction juridictionnelle46. Le régime disciplinaire a été aménagé afin de sanctionner,

non seulement les fautes disciplinaires « classiques » mais aussi celles qui sont propres à ce type de juridiction : incidents d'élection, mandat impératif qui serait donné à l'un des juges par ses électeurs47, obstruction dans l'exercice des fonctions ou refus de remplir le service. Les peines

applicables sont énumérées par l'article L. 1442-14. Ainsi, le refus par un conseiller de remplir son service, sans motif légitime et après mise en demeure par le président du Conseil, entraîne par exemple sa démission d'office, déclarée par le tribunal de grande instance48.

En leur qualité de salariés – juges occasionnels exerçant par ailleurs une activité professionnelle – les conseillers salariés bénéficient d'une protection particulière. L'employeur d'un conseiller salarié a l'obligation de laisser à celui-ci le temps nécessaire à l'exercice de ses fonctions judiciaires, sans diminution de rémunération, ni des avantages qui y sont attachés49. La participation

aux activités du Conseil ne peut par ailleurs constituer une cause de rupture du contrat de travail50.

Réputés « salariés protégés », ils ne peuvent être licenciés qu'après l'autorisation de l'inspecteur du 44 Article L. 1423-12 du Code du travail

45 Article L. 1423-13 du Code du travail 46 Cf : Chapitre I, Partie II, II.

47 Article L. 1442-11 du Code du travail 48 Article L. 1442-12 du Code du travail 49 Article L. 1442-6 al. 2 du Code du travail 50 Article L. 1442-19 al. 1 du Code du travail

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travail, conformément aux règles applicables aux délégués syndicaux. Quant aux conseillers employeurs, le principe d'une modeste vacation payée par l’État est prévu par les articles R. 1423-55 et suivants du Code du travail51.

b- Compétence

La compétence matérielle des Conseils de prud'hommes s'explique par l'identité particulière des juges qui la composent. Juges occasionnels élus, représentants d'un groupe professionnel, les conseillers prud'homaux ont une compétence exclusive pour connaître des litiges nés entre employeurs et salariés à l'occasion de tout contrat individuel de travail soumis aux dispositions du Code du travail. Par extension, ils connaissent également des différends entre salariés à l'occasion du travail52.

2. Le tribunal paritaire des baux ruraux

Inspirés par une loi du gouvernement de Vichy, en date du 4 septembre 1943, les tribunaux paritaires des baux ruraux ont été institués à la Libération, par une Ordonnance du 4 décembre 1944, afin de connaître des litiges s'élevant entre les propriétaires des immeubles ruraux, bailleurs, et leurs fermiers ou métayers, preneurs. Cette Ordonnance instaure un double degré de juridiction en créant une commission de première instance et une commission paritaire d'arrondissement, tout en confiant la présidence de ces juridictions à un magistrat professionnel. Mais la physionomie actuelle de ces juridictions remonte à la réforme de 1958, dont les dispositions sont aujourd'hui contenues aux articles L. 491-1 et L. 492-1 à L. 492-9 du Code rural. Ce décret supprime les juridictions d'appel spécifiques : les tribunaux paritaires des baux ruraux n'existent désormais qu'au premier degré ; l'appel des décisions est porté devant la Chambre sociale de la Cour d'appel53.

Au nombre de trois cent six, et comprenant près de deux mille assesseurs élus54, les

juridictions rurales existent au siège et dans le ressort de chaque tribunal d'instance. Le rapprochement entre tribunal d'instance et juridiction rurale est d'autant plus justifié que le tribunal paritaire des baux ruraux est présidé exclusivement par un juge d'instance, magistrat de carrière, assisté, selon le système de l'échevinage, de quatre assesseurs titulaires : deux représentants des bailleurs et deux représentants des preneurs. « Le tribunal paritaire des baux ruraux est ainsi organisé dans le sillage du tribunal d'instance »55 ; la seule différence consiste à lui associer des

assesseurs élus. Ce lien étroit entre juridiction d'instance et juridiction rurale explique quatre 51 Sur l'appréciation de cette indemnité : cf Chapitre I, Partie II, II

52 Articles L. 1411-1 et s. du Code du travail 53 Cf : Chapitre I, Partie II, II, D.

54 Http://www.justice.gouv. Annuaire de la justice 2011

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spécificités du tribunal paritaire des baux ruraux.

D'une part, le tribunal paritaire des baux ruraux est une juridiction élective, composée de juges élus pour six ans par leurs pairs56 – bailleurs et preneurs – et qui siègent en tant qu'assesseurs

du juge d'instance. Les conditions de l'électorat et de l'éligibilité sont fixées par les articles L. 492-1 et suivants du Code rural. Pour être électeur, il faut avoir la nationalité française ou être ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, être âgé de dix-huit ans au moins, avoir son domicile ou sa résidence dans le ressort du tribunal, et jouir de ses droits civils, civiques et professionnels. Sont éligibles les électeurs âgés de vingt-six ans au moins et ayant depuis au moins cinq ans la qualité de bailleur ou de preneur.

D'autre part, la juridiction rurale a une composition paritaire : les bailleurs et les preneurs y sont représentés à égalité.

Ensuite, le tribunal paritaire des baux ruraux, présidé par le juge d'instance, présente une structure échevinale, et se distingue ainsi des tribunaux de commerce et Conseils de prud'hommes où ne siège aucun magistrat professionnel. Lorsque le tribunal ne peut se réunir au complet en raison de l'absence, la récusation ou la démission de ses membres assesseurs, le président statue seul car le mauvais fonctionnement du tribunal dans sa formation normale ne doit pas paralyser le cours de la justice. Dans cette hypothèse, le tribunal paritaire des baux ruraux se confond presque avec le tribunal d'instance.

Enfin, sous réserve de dispositions particulières, la procédure applicable devant le tribunal paritaire des baux ruraux est celle qui est suivie devant le tribunal d'instance57. Ces règles

manifestent le caractère très particulier de ce tribunal « dont l'organisation judiciaire française pourrait, sans dommage, faire l'économie »58.

III- Des juges nommés

Les juges extérieurs sont parfois désignés par l'autorité publique (A), ou après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (B).

A- Nomination par l'autorité publique

1. Le tribunal des affaires de la sécurité sociale

Le droit de la sécurité sociale est de création récente : il n'apparaît qu'à la Libération, avec l'organisation de la Sécurité sociale en 1945. Mais c'est aussi un droit spécifique qui, depuis

56 Article L. 491-1 du Code rural

57 Articles 880 à 892 du Code de procédure civile 58 Loïc Cadiet, Découvrir la justice, Dalloz, 1997.

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l'origine, relève de juridictions spécialisées59. Le contentieux général de la sécurité sociale a été

réorganisé par un Décret du 22 décembre 1958 qui consacra la suppression des commissions régionales d'appel : l'appel est désormais porté devant la Chambre sociale de la Cour d'appel60.

Ainsi, depuis 1958, il n'existe plus que des juridictions du premier degré que l'on appelait autrefois « commissions de première instance de la sécurité sociale » et que l'on appelle désormais, depuis la loi du 3 janvier 1985, « tribunaux des affaires de la sécurité sociale ».

Ces juridictions sociales sont en charge du contentieux des questions spécifiquement juridiques relatives aux litiges entre les organismes de sécurité sociale et leurs usagers. Chacun des cent dix tribunaux61 a un ressort territorial couvrant tout ou partie de la circonscription d'un

organisme de sécurité sociale. La juridiction sociale est présidée par le président du tribunal de grande instance, dans le ressort duquel elle a son siège, assisté de deux assesseurs représentant l'un les salariés, l'autre les employeurs et les travailleurs indépendants. Elle présente donc un caractère paritaire et échevinal puisque la présidence appartient à un magistrat de métier.

Cependant, à la différence des autres juridictions spécialisées comme les tribunaux de commerce ou les Conseils de prud'hommes, les assesseurs des juridictions sociales ne sont pas élus. Ces juges non professionnels sont désignés pour trois ans, par le premier président de la Cour d'appel, sur une liste dressée par l'administration sur proposition des organisations syndicales les plus représentatives62. Les conditions requises pour exercer la fonction d'assesseur sont posées à

l'article L. 142-5 du Code de la sécurité sociale : les candidats doivent jouir de leurs droits politiques et ne pas être frappés de certaines incapacités ou déchéances.

Les fonctions des assesseurs sont gratuites. Seul le remboursement des frais de déplacement et de séjour est possible, outre une indemnité pour perte de salaire ou de gain.

2. Les assesseurs du tribunal pour enfants

Les mineurs qui commettent des infractions ne sont pas, en raison même de leur minorité, des délinquants comme les autres. Le droit pénal, depuis toujours, contient des dispositions propres à la délinquance juvénile. La justice pénale, depuis moins longtemps, lui réserve des juridictions particulières63 : les mineurs de dix-huit au moment des faits sont soustraits aux juridictions pénales

de droit commun. La justification est aisée : certes le jeune âge n'immunise pas contre toute sanction, mais il serait inopportun de faire comparaître un délinquant mineur devant des juridictions

59 Loi du 24 octobre 1946, anciens articles 190 à 239 du Code de la sécurité sociale 60 Cf : Chapitre I, Partie II, II, D.

61 Http://www.justice.gouv. Annuaire de la justice 2011 62 Articles L. 142-4 et L. 142-5 du Code de la sécurité sociale

63 Lois du 12 avril 1906, du 22 juillet 1912 et, surtout, Ordonnance du 2 février 1945, véritable charte de la délinquance juvénile

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qui ont à juger des comportements d'adulte, sans tenir compte du particularisme attaché à la délinquance juvénile. En effet, ce type de délinquance est souvent le fruit d'une éducation défectueuse. Punir, au sens strict du terme, ne ferait dans cette hypothèse qu'ancrer le jeune délinquant dans ses mauvais penchants. La philosophie de l'Ordonnance de 1945, qui apparaît explicitement dans l'exposé des motifs, consiste avant tout à sauvegarder l'avenir du mineur en combinant la peine avec une mesure d'assistance éducative : « La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». Par ailleurs, l'âge du mineur est un élément important : il n'est pas possible de traiter pénalement de la même manière un enfant de douze ans et un jeune homme de dix-sept ans.

Ces différentes raisons expliquent l'existence d'une justice pénale à part pour les mineurs, par l'intervention de juridictions spécialisées composées de juges qui ont avant tout une vocation d'éducateurs, et opérant dans une relative discrétion, selon des formes simplifiées exemptes de tout cérémonial traumatisant.

En ce domaine, le tribunal pour enfants constitue l'une des principales juridictions, réglementée par les articles L. 251-4 à L. 251-6 et R. 251-5 à R. 251-13 du Code de l'organisation judiciaire. Cette juridiction est compétente pour connaître des contraventions les plus graves, celles de cinquième classe (blessures ou violences légères) et des délits commis par les mineurs de dix-huit ans, ainsi que les crimes perpétrés par des mineurs mais seulement jusqu'à l'âge de seize ans au moments des faits. Tout en étant parfaitement autonomes, ces juridictions, qui sont au nombre de cent quarante-cinq aujourd'hui64, se rattachent aux tribunaux de grande instance par leur

organisation administrative, ceci à double titre. Par leur siège et leur ressort d'une part : il existe en principe un tribunal pour enfants par département, ayant son siège au tribunal de grande instance et le même ressort territorial que celui-ci. Par leur composition d'autre part : le tribunal pour enfants est composé d'un ou plusieurs juges, selon l'importance du tribunal, appelés « juges des enfants », qui sont des magistrats professionnels du tribunal de grande instance, présidant l'audience du tribunal et spécialement désignés pour exercer cette fonction. Mais l'originalité du tribunal pour enfants tient au fait que le juge des enfants ne siège pas seul : il siège aux côtés de deux assesseurs titulaires, juges non professionnels qui sont de simples particuliers de nationalité française, résidant dans le ressort du tribunal, âgés d'au moins trente ans et connus pour leurs compétences et l'intérêt qu'ils portent aux questions de l'enfance. Ils sont nommés pour quatre ans par arrêté du garde des Sceaux, sur une liste de candidats établie par le premier président de la Cour d'appel65.

64 Http://www.justice.gouv. Annuaire de la justice 2011 65 Article L. 251-4 du Code de l'organisation judiciaire

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B- Nomination après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature 1. Les conseillers à la Cour de cassation en service extraordinaire

Le législateur de 1992 s'est efforcé d'ouvrir la magistrature sur le monde extérieur, en offrant à des personnes, qualifiées par leurs activités antérieures, la possibilité d'exercer des fonctions judiciaires pour un temps limité. En effet, depuis la loi n° 92-189 du 25 février 1992, il existe deux sortes de conseillers au sein de la Cour de cassation : aux côtés de ceux qui ont fait toute leur carrière dans la magistrature selon la règle traditionnelle, dont la fonction constitue généralement un « couronnement de carrière qui récompense les meilleurs »66, peuvent siéger des conseillers en

service extraordinaire, directement nommés à titre temporaire par le Conseil supérieur de la magistrature, au moyen d'un détachement de leur corps d'origine, pour une durée de cinq ans non renouvelables67.

Cette pratique se rattache au souci d'associer au fonctionnement de la Haute juridiction des personnes susceptibles de lui apporter le fruit d'une expérience antérieure dans un domaine précis. L'idée de faire appel à des personnalité extérieures en « service extraordinaire » existe depuis longtemps au Conseil d’État, mais à la différence des conseillers d’État en service extraordinaire qui n'exercent leurs fonctions que devant les formations administratives – jamais devant les formations contentieuses – les conseillers à la Cour de cassation sont appelés à juger les affaires, ce qui soulève davantage de difficultés. C'est pourquoi, afin de sauvegarder la nécessaire indépendance de la magistrature et veiller à la parfaite objectivité du nouveau venu, des dispositions minutieuses ont été édictées par la loi de 1992.

Le détachement judiciaire est, d'une part, soumis à des conditions rigoureuses qui sont fixées par l'Ordonnance du 22 décembre 1958. La liste des personnes admises à en bénéficier se limite à celles dont le bagage intellectuel a déjà été éprouvé. La loi ne subordonne pas le recrutement de ces conseillers à l'exercice antérieur d'une activité professionnelle déterminée : peuvent être nommées, si par ailleurs elles remplissent les conditions requises pour être magistrat conformément aux dispositions de l'Ordonnance de 1958, les personnes qui « justifient de vingt-cinq années au moins d'activité professionnelle » et que « leur compétence et leur activité qualifient particulièrement pour l'exercice des fonctions judiciaires à la Cour de cassation ». Les candidatures sont adressées au Conseil supérieur de la magistrature qui exerce un contrôle rigoureux sur l'aptitude du candidat à exercer des fonctions68.

Le statut des juges ainsi détachés est, d'autre part, original à double titre. À la différence des juges des tribunaux de commerce ou des conseillers prud'homaux qui continuent d'exercer leurs 66 Roger Perrot, Institutions judiciaires, Montchrétien, 2010, 14° éd.

67 Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, articles 40-1 à 40-7, ajoutés par la loi du 25 février 1992 68 Article 31 du Décret n° 93-21 du 7 janvier 1993

Références

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