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La consommation halal à l'épreuve de l'immigration : cas de la deuxième génération maghrébine en France

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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La consommation halal à l’épreuve de l’immigration

Cas de la deuxième génération maghrébine en France

Thèse

Khaoula Ellafi

Doctorat en sciences de l’administration

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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La consommation halal à l’épreuve de l’immigration

Cas de la deuxième génération maghrébine en France

Thèse

Khaoula Ellafi

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

«Halal/ »: une prescription de la religion musulmane qui circonscrit ce qui est permis, mais surtout un marché en croissance exponentielle. Le marché du halal pèse près de 700 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel et intéresse 1,6 milliard de musulmans dans le monde (Bel Hadj, 2015). Entre 2014 et 2015, les dépenses alimentaires du monde musulman ont affiché une progression de 4,3% en atteignant 1158 milliards de dollars soit 16,7% des dépenses alimentaires de la planète1. Ces dépenses dépasseront la barre symbolique des 2000 milliards de dollars d’ici 2025. En France, le marché est en constante croissance à deux chiffres (entre 17 à 20 % les cinq dernières années), il est estimé à 5,5 et 7 milliards d’euros par an2.

Face à l’évidence de l’ampleur et du potentiel du marché du halal dans le monde et en particulier en France, plusieurs tentatives d’élucidation du phénomène sont avancées. En observant de près les pratiques marketing, nous constatons un «déni» total des origines religieuses et une préférence pour la carte du purement ethnique. La recherche, quant à elle, reste fragmentée. Si dans certaines disciplines on préfère encore parler d’un phénomène purement religieux, d’autres tiennent encore à l’étiquette communautaire. Ce flou persiste avec la vision monochrome et surtout cloisonnée entre plusieurs domaines d’études. La recherche dans la discipline du comportement du consommateur, qu’elle s’intéresse à l’essence de la proscription religieuse ou qu’elle se focalise sur la dimension ethnique, n’investigue pas automatiquement toutes les raisons pour lesquelles un individu respecte les règles du halal. La sociologie semble être la discipline qui a su arpenter les chemins les plus sinueux pour tenter d’apporter plus de compréhension à ce phénomène qui ne cesse de prendre de l’envergure et d’attirer les controverses les plus acerbes. C’est aussi la discipline qui a su capturer l’évolution des générations d’immigrants et a su exprimer la complexité de l’expression alimentaire de la deuxième génération mais aussi le défi que relève la communauté maghrébine à cohabiter avec la stigmatisation. Cette deuxième génération d’«immigrants» maghrébins qui n’ont jamais immigré, décide de «manger pour croire3» en «se nourrissant de nostalgie4» pour une culture qu’ils vivent par procuration à défaut de pouvoir s’intégrer entièrement dans la société française.

1 Agence Ecofin (2015). 2 Euromonitor (2012). 3 Rodier (2012). 4 Vasquez (1986).

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iv

Il devenait pour nous fondamental de considérer cette pratique alimentaire dans une perspective plus large qui favorise l’élan de l’engagement et de la revendication identitaire affichée. Dans cette voie, et dans la ligne directrice des travaux en sociologie qui ont été notre principale inspiration tout au long de ce travail, notre projet s’inscrit dans une volonté de saisir cette consommation à travers un héritage à la fois culturel, migratoire, familial et une trajectoire propre à chaque individu.

Pour arriver à cette fin, nous avons privilégié l’enquête par questionnaire (432 observations) auprès des immigrants de deuxième génération habitant la région parisienne. Pour l’analyse, nous avons opté pour les méthodes des équations structurelles, avec l’ambition de démêler la toile d’araignée à la fois culturelle, sociale et personnelle sans s’enliser dans les a priori, les polémiques et les partis pris. Pour ce faire, nous avons, tout au long de ce travail abordé le halal sous l’angle d’un fait religieux comportant de multiples facettes, à la fois collectives et individuelles, conservatrices et modernistes, désintéressées ou engagées. Nos résultats confirment cette relation de conviction étroite avec la consommation halal. Outre la religion, construit de prédilection des principales recherches en comportement du consommateur, le présent travail doctoral confirme les apports de certaines valeurs (sécurité, stimulation/hédonisme) de l’acculturation mais aussi de la socialisation alimentaire. Cette dernière a cristallisé l’impact de la composante comportementale de l’apprentissage sur la consommation, mais a surtout révélé l’impact de la composante affective sur cet apprentissage. Du côté de l’acculturation, seul l’attachement à la culture hôte a prouvé son influence négative sur la consommation alimentaire halal. Les polémiques récurrentes qui collent au halal nous ont également suggéré la voie de la confiance en la certification, qui a elle aussi confirmé qu’il s’agit désormais d’un phénomène de conscience, de revendication mais aussi d’un engagement responsable du consommateur pour harmoniser ce qu’il incorpore avec ce qu’il est.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES TABLEAUX ... viii

LISTE DES FIGURES ... ix

DÉDICACE ... x

REMERCIEMENTS ... xi

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 1

CHAPITRE 1 - REVUE DE LA LITTÉRATURE ET CADRE CONCEPTUEL ... 11

Introduction ... 12

Section I- Le comportement de consommation halal ... 17

I.1. Définition du halal: Entre étymologie, religion, histoire et mercantilisme ... 17

I.2. Le halal: un marché mondial en effervescence mondiale et pleine expansion en France ... 20

I.3. Le halalet la recherche en Marketing: littérature peu abondante et réduite aux produits carnés... 25

Section II- Les déterminants de la consommation halal ... 30

II.1 Concept de valeurs ... 30

1. Valeurs collectivistes : Valeurs de conservatisme ou continuité ... 39

1-1 La Sécurité ... 39

1-2 Conformité... 43

1-3 Tradition ... 44

2. Valeurs individuelles : Valeurs d’ouvertures au changement : ... 46

2.1 L’autonomie ... 46

2.2 Stimulation ... 48

2.3 Hédonisme ... 48

II.2 Croyances religieuses ... 50

1. Religion et comportement du consommateur ... 50

2. Islam et comportement du consommateur ... 54

II.3 L’acculturation ... 61

1. Prémisses, genèse historique et nuances linguistiques ... 61

2. L’acculturation: du collectif à l’individuel ... 67

3. Acculturation du consommateur ... 71

4. Les modèles d’acculturation ... 74

4.1. Le modèle unidirectionnel ... 75

4.2. Le modèle bidimensionnel et bidirectionnel (interactif) ... 77

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vi

1. Définition de la socialisation ... 94

2. Les mécanismes de la socialisation ... 99

II.5 Confiance en l’authenticité de la certification halal ... 103

Section III: Rappel des hypothèses et présentation du cadre conceptuel ... 109

Conclusion ... 116

CHAPITRE 2 - MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ... 118

Introduction ... 119

Section I: Le type du design de recherche et choix méthodologiques ... 120

I.1 Position épistémologique ... 121

I.2 La méthodologie de l’enquête... 122

1. Les «Beurs», immigrés maghrébins de deuxième génération. ... 124

2. Les jeunes adultes franciliens ... 128

3. Enquête en «face à face» ... 129

4. Échantillon de convenance et boule de neige ... 130

5. Taille de l’échantillon ... 131

Section II. L’instrument de collecte des données: le questionnaire ... 132

II.1. Mesure des variables indépendantes ... 134

1. Mesure de l’acculturation ... 134

2. Mesure de l’attachement aux croyances religieuses ... 136

3. Mesure des valeurs ... 139

4. Mesure de la socialisation alimentaire ... 142

5. Mesure de la confiance en l’authenticité de la certification ... 145

II.2. Mesure de la variable dépendante: comportement de consommation halal 146 II.3. Variables sociodémographiques ... 147

Section III: Pré-test du questionnaire et préalables au recrutement ... 148

Conclusion ... 150

CHAPITRE 3 ─ RÉSULTATS ... 151

Introduction ... 152

Section I : Analyse des statistiques descriptives ... 152

I.1 Âge ... 153

I.2 Sexe ... 153

I.3 Niveau d’éducation ... 153

I.4 Origine des parents ... 154

I.5 Statut civil ... 155

Section II: La modélisation par les équations structurelles ... 155

II.1. Validation des instruments de mesure ... 157

1. L’analyse factorielle ... 158

1.1. La dimensionnalité ... 159

1.2. Normalité des données ... 161

1.3. Qualité d’ajustement aux données ... 161

1.4. La fiabilité ... 163

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vii

2. La structure et la cohérence interne des instruments de mesure ... 166

2.1. L’échelle de mesure de l’acculturation ... 166

2.2. L’échelle de mesure de l’attachement aux croyances religieuses ... 169

2.3. L’échelle de mesure des valeurs ... 171

2.4. L’échelle de mesure de la socialisation alimentaire ... 174

2.5. L’échelle de mesure de la confiance en l’authenticité de la certification ... 177

2.6. L’échelle de mesure du comportement de consommation halal ... 178

3. La validité discriminante des échelles de mesure ... 179

II.2. Validation du modèle analytique: analyse du modèle par les équations structurelles ... 182

1. Le modèle structurel ... 183

2. Respécifications... 184

II.3. Résultats du test des hypothèses de la recherche ... 192

1. Test des hypothèses en lien avec la variable dépendante ... 192

1.1. Les valeurs et le comportement de consommation halal ... 193

1.2. L’attachement aux croyances religieuses et le comportement de consommation halal ... 194

1.3. L’acculturation et le comportement de consommation halal ... 195

1.4. La socialisation alimentaire et le comportement de consommation halal 196 1.5. La confiance en l’authenticité de la certification et le comportement de consommation halal ... 196

2. Le test du deuxième groupe d’hypothèses: les liens entre variables indépendantes ... 197

Section III: Synthèse et discussion des résultats ... 205

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 218

Section I: Perspective théorique hybride et nouveaux concepts ... 220

Section II: Implications managériales ... 224

Section III: Limites de la recherche ... 226

Section IV: Avenues de recherche futures ... 228

Mot de la fin ... 231

RÉFÉRENCES BIBILIOGRAPHIQUES ... 232

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1: Principaux substituts au terme « acculturation » ... 64

Tableau 2: Grille de Berry ... 79

Tableau 3: Principales recherches sur les modèles d'acculturation ... 84

Tableau 4: L'immigration en Europe (INSEE, 2012) ... 125

Tableau 5: Répartition des immigrés par pays de naissance (INSEE, 2012) ... 126

Tableau 6: Répartition des immigrants de deuxième génération par département .... 128

Tableau 7: L’échelle de Likert ... 133

Tableau 8 : Définition des domaines motivationnels (Schwartz, 1994) ... 140

Tableau 9: Niveau d'éducation des répondants ... 154

Tableau 10: Origine des parents des répondants ... 154

Tableau 11: Statut civil des répondants ... 155

Tableau 12: Indices d'ajustement retenus ... 163

Tableau 13: Statistiques descriptives «Attachement à la culture d'origine» ... 166

Tableau 14: Qualité d'ajustement «Attachement à la culture d'origine» ... 167

Tableau 15: Statistiques descriptives «Attachement à la culture hôte» ... 168

Tableau 16: Qualité d'ajustement «Attachement à la culture hôte» ... 168

Tableau 17: Statistiques descriptives «Attachement aux croyances religieuses» ... 169

Tableau 18: Qualité d'ajustement «Attachement aux croyances religieuses» ... 170

Tableau 19: Statistiques descriptives «Valeurs» ... 172

Tableau 20: Qualité d'ajustement « Valeurs »... 173

Tableau 21: Récapitulatif de l’AF sur les «Valeurs» ... 174

Tableau 22: Statistiques descriptives «Socialisation alimentaire » ... 174

Tableau 23 : Qualité d’ajustement « Socialisation alimentaire» ... 176

Tableau 24: Statistiques descriptives «Confiance en l’authenticité de la certification» . 177 Tableau 25: Qualité d'ajustement «Confiance en l’authenticité de la certification» . 178 Tableau 26: Statistiques descriptives «Consommation halal» ... 178

Tableau 27: Qualité d'ajustement «Consommation halal» ... 179

Tableau 28: Validité discriminante des construits ... 181

Tableau 29: Les indices d'ajustement du modèle global après respécifications ... 190

Tableau 30: Résultats des tests d'hypothèses (en lien avec consommation halal) ... 192

Tableau 31: Résultats des tests d'hypothèses entre variables indépendantes ... 197

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LISTE DES FIGURES

Figure 1: Schéma des niveaux d’influence sur la consommation halal ... 6

Figure 2: Modèle conceptuel de base ... 9

Figure 3: Structure des valeurs selon Schwartz (2006) ... 35

Figure 4: Structure circulaire des valeurs de Schwatz et alii (2001)... 36

Figure 5: Cadre conceptuel complexe ... 115

Figure 6: Respécification 5 ... 187

Figure 7: Repécification 6 ... 188

Figure 8: Cadre conceptuel après AF et respécifications ... 191

Figure 9: Résultats d'estimation ... 203

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DÉDICACE

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REMERCIEMENTS

Au-delà du défi scientifique que représente une thèse, elle a été pour moi une expérience humaine et spirituelle des plus intenses. Aujourd’hui, je ne suis plus la même que celle qui s’est inscrite à sa première session de cheminement doctoral. On dit que le parcours du doctorant est des plus anxiogènes; je le confirme : il l’est. Le doute et la tentation de l’abandon ont été les fantômes que j’ai appris à chasser au fil des années. Mes armes étaient la quête du savoir mais surtout une foi inébranlable en Dieu qui a su me donner la force qu’il faut pour que ce travail aboutisse. Ainsi, mes premiers remerciements lui sont naturellement adressés.

Je profite aussi de ces quelques lignes pour adresser mes remerciements aux personnes qui ont, de près ou de loin, contribué à ma persévérance. Sur le plan académique, j’exprime ma profonde gratitude et ma reconnaissance au Professeur Riadh Ladhari pour l’aide précieuse qu’il m’a apportée. Je le remercie également pour m’avoir encadrée, pour ses conseils, son soutien, sa disponibilité et surtout pour ses qualités humaines. Encore une fois MERCI. Je tiens également à témoigner ma reconnaissance au professeur Benny Rigaux-Bricmont, pour ses encouragements et ses conseils. Marie-Josée Lachance, que je remercie d'avoir accepté d’évaluer ce travail, depuis l’étape du projet jusqu’à la phase finale, mais également Naoufel Daghfous pour avoir accepté d’être l’examinateur externe de ma thèse.

Au-delà de l’expérience académique, mon parcours a été jalonné d’épreuves que je n’aurais pas pu surmonter sans le soutien de certaines personnes: Ilhem Hajjem, Ousseima Belghith, Amel Chakroun, Maguil Gouja et Salma Naccache. Merci d’avoir été là, merci de m’avoir poussée à y croire.

À ma famille et plus particulièrement à mon soutien indéfectible, mon père Salah Ellafi de qui j’ai appris toutes les belles valeurs humaines et morales. J’espère qu’à travers cette thèse, j’aurai pu, ne fusse que par ces quelques lignes que je lui adresse, alléger le poids de toutes les années d’éloignement.

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1

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Grand nombre de recherches ont souligné l’intérêt manifeste à comprendre les sous-cultures, plus précisément les minorités ethniques et l’importance de la compréhension de l’expression de l’identité culturelle dans le comportement de consommation (Cleveland, Laroche et Papadodoulos, 2015; Cleveland, Laroche et Hallab, 2013; Belakziz, 1998; Bouchet, 1995; Burton, 2000; Costa et Bamossy, 1995; Deshpande et alii, 1986; Jamal et Sharifuddin, 2015; Penaloza et Gilly, 1999). Cet intérêt certain est le résultat d’un débat qui a longtemps animé la recherche marketing, celui de l’uniformatisation versus la particularité de la consommation, et qui a mené à l’abandon de l’idée de l’uniformité et de la nécessité d’une différenciation et d’une parcellisation des marchés (Cazes-Valette et Bernard, 2011; Cleveland, Laroche et Hallab, 2013; Rana, 2015). Ce qui explique l’engouement des chercheurs, sans cesse nourri et soutenu par l’attrait de ces segments (taille et pouvoir d’achat) (Pires et Stanton, 2015).

Parmi ces consommations, nous retenons l’intérêt porté à une consommation en particulier: la consommation alimentaire. Cette dernière l’emporte haut la main et représente la consommation de masse la plus caractéristique de l’attachement identitaire (Cleveland et Chang, 2009; Garry et Hall, 2015; Grauel, 2014; Mathe et alii, 2012; Rana, 2015; Rodier, 2015). Cette position lui est due grâce au rôle important joué par cette consommation dans la construction sociale de l’être humain dépassant les fonctions utilitaires, gastronomiques ou encore hédoniques qu’on lui impute dans la plupart des cas (Belorgey, 2011; Boubekeur, 2005; Vasquez, 1986). Les routines alimentaires, qu’elles se tiennent en famille, entre collègues ou entre amis, représentent, une situation idéale d’échange, de partage, mais aussi d’influence identitaire (Kaufmann, 2005; Rodier, 2012; Vasquez, 1986). Ainsi, les individus marquent leur appartenance à une culture, entre autres, par l’affirmation de leurs spécificités alimentaires (Fischler, 1993). L’absorption d’une nourriture, a dans ce sens, la caractéristique de pouvoir intégrer ou exclure le consommateur d’un système

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alimentaire mais également du groupe qui respecte ses normes (Belorgey, 2011, Kaufmann, 2005).

Notre intérêt a également été dirigé par les pratiques marketing des produits et services. Dans ce contexte, nous ne manquons pas de souligner que certains marchés ont été plus avant-gardistes que d’autres. Aux États-Unis, l’idée de prise en compte des minorités ethniques dans la consommation a été au plus vite intégrée et traduite en actions marketing. C’est ainsi que nous retrouvons une littérature assez dense s’intéressant aux minorités asiatiques (Devi et alii, 2015; Hamlett et alii, 2008; Lai et alii, 2010; Nguyen, 2013; Sai et Fischer, 2016; Xu et alii, 2003), ou encore latines (Kara et Kara, 1996; Penaloza, 1994; Segev, Ruvio et Shoham, 2010; Umana-Taylor et alii, 2002; Valencia, 1985).

En Europe cependant, les praticiens n'ont pas été aussi volontaristes en matière de réalisation de l'impact de la diversité culturelle sur leurs programmes marketing (Burton, 2000; Nwankwo et Lindridge, 1998). À ce niveau, il est important de souligner qu’en matière de consommation alimentaire, parler encore de consommation purement ethnique, dans certains cas pourrait être réducteur. En effet, dans plusieurs de ces consommations, le marqueur d’attachement identitaire s’exacerbe davantage lorsqu’il se mêle aux proscriptions religieuses (Grauel, 2014; Rana, 2015; Jamal et Sharifuddin, 2015; Rodier, 2015): le cas de la consommation halal dans le cadre de la foi musulmane en est un excellent exemple. À ce propos, toujours aux États-Unis, cette tendance se confirme davantage dans le cas des consommations religieuses. Le marché du Kasher a été depuis longtemps considéré comme un enjeu principalement religieux. Tout ce qui pourrait compromettre sa véracité a toujours fait l’objet de sérieuses investigations (Rana, 2015). En Europe, on vit encore dans un certain «déni» de cette particularité, en essayant par tous les moyens de profiter de cette tendance sans reconnaitre ni afficher sa source religieuse (Pras et Vaudour-Lagrâce, 2007). Ce choix managérial puise ses arguments dans la sécularisation et la laïcité des instances publiques qui théoriquement auraient dû suffire à distendre les liens entre l’alimentation et la religion musulmane (Rodier, 2012). Mais selon les sociologues, ce déni marketing ainsi que la stigmatisation

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sociale générale qui l’enveloppe n’ont fait que consolider l’attachement identitaire à l’alimentation à travers l’attachement au divin par la revendication identitaire (Boubekeur, 2005; Rodier, 2015). Nous soulignons également que toutes ces constatations se font dans un contexte des plus équivoques: celui de l’immigration, où la différence est sans cesse défiée par la dualité majorité /minorité ethnique.

Le contexte européen, nous a ainsi spécialement intrigué et passionné, le contexte français encore davantage. Consciente qu’il n’est point possible d’étudier le phénomène sur tout le continent européen du fait de la différence entre les communautés d’immigrants mais aussi à cause des différences politiques et historiques, et des traditions migratoires entre pays, nous avons choisi d’investiguer ce phénomène dans le pays qui a une expérience des plus anciennes en matière d’immigration mais qui a également fait des choix en cette matière d’immigration des plus équivoques: la France. Le halal aujourd’hui en France est une prescription, un principe religieux, une qualification, une certification, un logo, un marché, une polémique, et plus encore.

La popularité du halal en France naîtrait avant tout de la proscription mais également de la quête de transparence et d’une nourriture plus saine. A l’égard des deux derniers critères, la marché du halal n’est pas le seul à proposer des produits capables de les satisfaire, le Bio est un sérieux concurrent (Rana, 2015; Verbeke et Viaene, 2000). Néanmoins, les chiffres montrent que le halal représente deux fois le marché des produits biologiques dans l’hexagone avec 5,5 à 7 millions d’euros de chiffre d’affaires (Polémia, 2013). Le marché de la viande dans les grandes surfaces est en baisse de 3%, alors que celui du halal croît de plus de 17 % (Bel Hadj, 2015). Ce volume du marché du halal, sa maturité, son parcours exemplaire qui se cristallise par une croissance et un développement continus de la gamme des produits halal (Bergeaud-Blackler, 2005), mais également l’évolution des générations d’immigrations ont réussi à affûter notre curiosité.

Outre le potentiel financier qu’offre le marché du halal, ce phénomène s’avère être un excellent marqueur de différenciation entre les générations d’immigrations. Les recherches en sociologie s’accordent toutes à dire que «manger halal» pour un

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immigrant de première génération n’a pas la même signification que «manger halal» pour la seconde génération. Cette caractéristique est encore plus intéressante lorsqu’il s’agit de la communauté maghrébine, première origine des immigrants musulmans arabes en France. Cette communauté de deuxième génération porte encore l’étiquette d’immigrant sans jamais avoir immigré. Même si cela apparaît paradoxal, elle cherche à asseoir sa francité à travers ses particularités culturelles, en les affichant fièrement par la revendication et non en les réprimant à travers le sentiment de honte vécu par la première génération (Morsy, 1993). Ainsi, nous nous intéressons, à l’étude de la consommation alimentaire halal en France auprès des immigrants maghrébins de seconde génération.

À partir de l’ensemble de ces constatations, et dans une tentative de combler le manque de recherches et d’intégrations conceptuelles relatives à la compréhension des déterminants de la consommation des produits alimentaires halal, nous avons envisagé la présente étude pour répondre à la problématique de recherche suivante :

Quels sont les déterminants de la consommation alimentaire halal dans un contexte d’immigration ?

Pour investiguer théoriquement cette problématique, nous nous sommes armée de lectures hybrides sur plusieurs concepts. La rétention de ces derniers s’est fait à la lumière de la compréhension des logiques d’identification et de différenciation ethnique et religieuse par l’alimentation. Celles-ci brillent par leur complexité complexité en situation de migration et ainsi d’acculturation (Cazes-Valette et Bernard, 2011). Il faut noter que la littérature portant sur les études culturelles ou ethniques est très variée, partant de celles plutôt simplistes qui ne retiennent que des éléments «superficiels» et rigides comme la langue, la religion, ou la race (Webster, 1994; Weber, 1968), jusqu’aux courants qui soutiennent que l’identité culturelle est plutôt un construit subjectif (Chung et Fisher, 1999; Deshpande, Hoyer et Donthu, 1986; Laroche, Kim et Tomiuk, 1998). Dans cette perspective, le courant de l’acculturation propose l’idée que les individus d’origine étrangère choisissent une stratégie d’acculturation plus ou moins liée à l’une ou

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l’autre des cultures (Berry, 1980, 1989; Mendoza, 1989; Jun, Ball et Gentry, 1993; Peñaloza, 1994). Les degrés d’attachement à l’une ou l’autre des cultures influencent le degré d’attachement aux principes de l’alimentation ethnique et semblent ainsi affecter l’effet de l’identité ethnique sur le comportement de consommation.

Étudier l’acculturation, nous a mené à nous intéresser aux valeurs. Selon les psychologues interculturels (Berry, 1997), aussi bien les valeurs individuelles que les valeurs collectives se voient ainsi modelées à travers le temps, les échanges et les situations, pour influencer l’attitude de consommation. Les valeurs, qu’elles soient individuelles ou collectives, participent à la dualité qui oppose le traditionalisme au modernisme et semblent jouer un rôle important dans ce comportement de consommation très particulier. En croisant cette dichotomie (individuelle/collective) déjà élaborée par Rokeach (1973) avec la classification des valeurs de Schwartz (2005), nous obtenons un canevas de valeurs des plus intéressants dans notre contexte d’étude.

Au-delà de ces valeurs, il est important d’accorder une attention particulière à la religion, essence de cette consommation. Pour cela, nous veillerons à l’élaboration d’une revue de littérature des plus complètes sur les sources religieuses du phénomène du halal, en y apportant la nuance de religiosité à travers le respect de certains principes de la religion musulmane.

Notre intérêt pour les valeurs et les dynamiques d’acculturation nous a également suggéré la prise en compte d’un deuxième processus, celui de la socialisation. Il est très intéressant de relever que dans le noyau familial, l’une des premières expressions culturelles d’influence et de transmission tourne autour du principe de la définition du licite (halal)/illicite (haram) d’alimentation. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de considérer la socialisation alimentaire comme variable d’envergure dans cette transmission d’habitudes alimentaires particulières. Ce concept, même s’il connait une ébauche de conceptualisation en sociologie, reste encore absent dans la littérature du comportement du consommateur (Belorgey, 2011).

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La consommation halal se présente donc dans un cadre culturel, comme un cas particulier qui cristallise les liens théoriques entre les valeurs culturelles, les croyances religieuses, l’acculturation, la socialisation alimentaire et la consommation alimentaire. Elle met aussi en exergue la dichotomie religieuse du «licite, permis, halal» versus l’«illicite, péché, haram », qui obéit selon Rodinson (1993) aux mêmes règles que les classifications culturelles d’identification.

La consommation alimentaire halal auprès des immigrants de foi musulmane semble être au cœur de choix individuels, d’une dynamique de transmission et de perpétuation sociale et culturelle, mais aussi le marqueur d’un attachement culturel défié par la culture hôte. Dans la Figure (1), nous résumons toutes ces influences par les niveaux d’influence qui ont clarifié notre vue d’ensemble du phénomène. Le niveau culturel regroupe aussi bien l’acculturation que les valeurs culturelles transmises. Le niveau social englobe la socialisation alimentaire, les valeurs collectivistes et la pratique religieuse au sein de la société. Le niveau individuel, quant à lui, suggère l’expression individuelle à travers des croyances religieuses personnelles, des valeurs individualistes, un engagement et une revendication personnelle.

Figure 1: Schéma des niveaux d’influence sur le comportement de consommation halal Niveau individuel Niveau social Niveau culturel Consommation alimentaire halal

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Outre les variables culturelles et sociales, le contexte particulier nous a suggéré d’autres considérations. En effet, comme nous l’avons précédemment souligné, le halal devient un marché incontournable en pleine effervescence et croissance. Il l’est encore plus dans l’hexagone. Le halal est omniprésent et sous presque toutes les formes de distribution; les boucheries halal sont presque omniprésentes dans tous les quartiers, les épiceries exclusivement halal aussi, des rayons exclusivement halal sont de plus en plus nombreux en grandes surfaces généralistes, les marques authentiques (exclusivement halal) deviennent incontournables et leurs ventes progressent, des marques nationales s’y mettent aussi en lançant des lignes de produits halal, certaines enseignes proposent même une offre sous marque de distributeur (Cazes-Valette et Bernard, 2012). La variété, la disponibilité ou encore le prix qui étaient auparavant les principaux freins à l’expression d’une consommation halal plus prononcée, ont laissé peu à peu la place à d’autres préoccupations qui sont celles de l’authenticité du halal et de la confiance en une distribution qui joue la carte du marketing pour «appâter» ce segment, plutôt que sur la religiosité de cette consommation (Bonne et Verbeke, 2008; Zemmour, 2007).

Il faut également souligner que tous les produits entrant sous l’égide du halal ne suscitent pas autant la même attention des fervents protecteurs de cette consommation. En effet, l’offre varie entre viandes, produits laitiers (sans gélatine de porc), confiseries (sans gélatine de porc), boissons (sans alcool), toutes sortes de pâtes (sans gélatine animale), sauces (sans extraits de viandes) et plusieurs autres produits purement ethniques (non religieux) qui se greffent à cette offre (couscous, toutes sortes de semoules, feuilles de bricks, etc). Nous avons néanmoins tenu à considérer l’offre complète de produits alimentaires halal, dans le but d’investiguer le maximum de construits.

À ce stade, il est important de souligner que le principal défi de ce travail réside dans la multidisciplinarité de l’approche théorique et dans l’intégration méthodologique. Il ne s’agit pas que d’une nouvelle lecture de l’acculturation du consommateur immigré, mais d’une approche hybride de compréhension qui emprunte sa logique aux disciplines du comportement du consommateur, de la

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psychologie interculturelle, de la sociologie ou encore de l’anthropologie. Ces champs d’étude sont d’autant plus importants qu’ils évoquent des pistes de recherche ayant créé la polémique, à savoir l’immigration, l’identité culturelle ou la religion et leur impact sur la population migrante.

Le deuxième défi serait d’enrichir une littérature peu abondante, qui dépasse le sujet de la segmentation ethnique et la transmission générationnelle de la consommation ethnique, pour essayer de comprendre le comportement de consommation halal.

Pour relever ces défis et pour répondre à notre problématique principale, nous explorons le lien central entre la consommation alimentaire halal, le niveau d’acculturation de la personne, certaines de ses valeurs, son degré d’attachement à sa religion, l’importance de sa socialisation alimentaire ainsi que sa confiance en la certification. Nous allons ainsi pouvoir mieux positionner la problématique de recherche que nous venons de définir, et ce par la présentation d’un modèle conceptuel de base (Figure (2)) dans lequel elle s’inscrit. Ce modèle nous permettra en outre de mieux définir les composantes spécifiques de la problématique ainsi que les interrelations qui pourraient exister entre elles. Les résultats que nous convoitons seront très importants pour la recherche, du fait que peu d’études ont été menées dans ce contexte précis.

La problématique principale, les grandes lignes de la revue de la littérature et le cadre conceptuel, permettent d’émettre des questions de recherche précises auxquelles la présente étude tente de répondre et qui se formulent ainsi :

 Question1: Quel est l’impact des valeurs culturelles sur la consommation des produits halal?

 Question2: Quel est l’impact de l’attachement aux croyances religieuses sur la consommation des produits halal?

 Question3: Dans quelle mesure l’acculturation influence-t-elle la consommation des produits halal?

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 Question4: Quel est l’impact de la socialisation alimentaire sur la consommation des produits halal?

 Question5: Quel est l’impact de la confiance en l’authenticité de la certification sur la consommation halal?

Figure 2: Modèle conceptuel de base

Sur le plan de l’organisation de la revue de la littérature, nous commencerons par approfondir les notions de consommation halal et souligner l’importance du marché du halal en France, pour ensuite passer aux déterminants de cette consommation. Nous poursuivrons par un ensemble de valeurs semblant apporter plus d’éclaircissements sur les domaines motivationnels qui forgent les principes du halal. Nous passerons ensuite à la religion et son importance dans la compréhension de la sacralité symbolique de ce choix gastronomique, pour continuer avec l’acculturation et enfin finir avec les variables culturelles en évoquant la socialisation alimentaire de l’individu et son impact sur les habitudes alimentaires de celui-ci. Nous conclurons ensuite avec une variable non culturelle, la confiance en la certification halal.

La présentation de cette étude sera organisée autour de quatre chapitres. Nous commencerons par la présentation des axes théoriques dans lesquels elle s’inscrit dans le chapitre qui suit cette introduction. Les aspects méthodologiques de la présente étude, en termes de design de recherche et des choix et stratégies de mesure

Socialisation alimentaire Valeurs Attachement aux croyances religieuses Acculturation Confiance en la certification Consommation alimentaire halal

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constitueront le cadre opératoire adopté qui est présenté dans le troisième volet. Le dernier chapitre sera, quant à lui, consacré à la présentation, à l’analyse et à la discussion des résultats. Finalement, dans une conclusion générale, nous énumérerons les principaux apports et implications, ainsi que les limites et voies futures de recherche.

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CHAPITRE 1 - REVUE DE LA LITTÉRATURE ET CADRE CONCEPTUEL « Il nous faut donc affronter les deux injonctions contradictoires: sauver l’extraordinaire diversité culturelle qu’a créée la diaspora de l’humanité et, en même temps, nourrir une culture planétaire commune à tous ». Edgar Morin (1993, p25)

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12 Introduction

Dans les pays où une offre de produits halal existe, il devient incontournable de comprendre les enjeux de ce phénomène. Cette offre, même si elle touche à presque tous les produits et services, brille par sa complexité dans la sphère alimentaire (Cazes-Valette et Bernard, 2011). Ce travail en fait son objet central de recherche. Nous rappelons également que le principal attrait de notre recherche est le décalage entre ce qui se fait en pratique dans le domaine du marketing et la recherche théorique. Si la recherche stagne encore dans le cadre théorique de la segmentation religieuse, la pratique semble se confronter à une résistance identitaire. Cette résistance n’est pas tout à fait imperméable aux stimuli marketing (Bonne et alii, 2007). Ce qui rend l’homme de marketing quelque part responsable d’une partie de la construction identitaire des immigrants (Özçağlar-Toulouse et alii, 2009). Sans entrer dans le débat éthique de cette responsabilité, nous nous proposons avant tout de mieux cerner cette complexité, de rapprocher la théorie et la pratique mais aussi de fusionner les disciplines pour faire profiter la discipline du comportement du consommateur des avancées en sociologie et en anthropologie dans ce domaine.

L’étude de la consommation alimentaire est en effet complexe, elle l’est davantage en contexte d’immigration. L’alimentation est l’une des premières expressions culturelles transmises à l’enfant par les habitudes alimentaires familiales souvent très conservatrices (Belorgey, 2011). Cette expression évoluera tout au long de la progression dans le cycle de vie de l’individu jusqu’à l’âge adulte. Elle sera sans cesse défiée par l’évolution des agents de socialisation mais aussi par le poids de l’environnement culturel majoritaire dans lequel baigne l’individu issu d’une culture minoritaire. Ce processus, à la fois individuel, social et culturel, devient encore plus complexe lorsqu’il se mélange à la religion et plus spécifiquement à la religion musulmane, qui a des principes des plus stricts en matière de proscription et de prescription.

Ce petit survol des défis, plutôt complexes, que nous ambitionnons de relever, suggère qu’un raisonnement par palliers ne peut que bonifier notre vue d’ensemble.

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Nous proposons donc, avant toute chose, de souligner l’importance de la construction identitaire à travers la consommation alimentaire en général, pour nous intéresser par la suite à la consommation des produits halal en particulier.

Pour comprendre la portée de la consommation alimentaire, il faut d’abord souligner qu’il y a deux visions dominantes dans la recherche. La première considère la consommation alimentaire comme une expression conservatrice, la deuxième comme un acte individualiste.

Dans le schéma traditionnel et dans une perspective classique de conditionnement, on considère que tout individu, dès sa naissance, est aggloméré à un groupe qui lui associe une identité et lui inculque des normes et des règles à respecter; comment s’alimenter en fait partie. L’acte de se nourrir se présente ainsi comme une excellente expression d’adhésion communautaire: « Chez Homo sapiens, la prise alimentaire est le marqueur systématique des rites de la vie sociale (…). Partout, s’alimenter ensemble est source de réjouissance, de partage et scelle l’appartenance à la communauté » (Lahlou, 1998). Dans cette perspective classique, le contexte de consommation alimentaire, tisse l’individu dans une structure sociale. Il ne s’agit pas de considérer l’alimentation comme un acte exclusivement individuel, mais bien comme une situation de partage et d’échange (Belorgey, 2011). Les individus signent ainsi leur appartenance à une culture ou un groupe par l’affirmation de leur singularité alimentaire, en soulignant leur particularité et assumant leur différence des autres (Fischler, 1993).

Dans une perspective plus moderne, l’individualisation et le particularisme sont encensés. Les rôles traditionnels définis dans les familles et les communautés, sont ainsi révisés, donnant plus d’élan à l’expression individuelle:« Nous allons

naturellement, au cours de cette époque, vers un déclin des pratiques fortement identificatrices d’appartenances collectives au bénéfice d’achats personnalisés qui flattent la capacité de chacun à choisir ses objets de prédilection, à s’attribuer aussi une sphère d’autonomie.» (Rochefort, 1995). Dans le domaine de la consommation

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alimentaire, la recherche de différenciation apparaît ainsi comme l’expression d’un besoin d’affirmation identitaire, appuyée par une pratique plus ostentatoire (Kaufmann, 2005; Mathe et alii, 2012). Dans cette perspective, la consommation alimentaire est considérée comme l’une des formes d'expression de soi publiques de l’individu (Mennell et alii, 1993; Warde, 1993).

Ces deux horizons d’expression (collectif et individuel) qu’offre la consommation alimentaire, contribuent à la fonction structurante symbolique d’une sphère sociale d’un groupe d’individus (Bonne et alii, 2007; Özçağlar-Toulouse et alii, 2009; Poulain, 2002). Cette caractéristique vient s’ajouter à sa dimension fonctionnelle classique (absorption de nourriture) en dépassant ainsi les fonctions utilitaires, diététiques ou encore hédoniques qu’on lui prête le plus spontanément. Cette dimension structurante et disciplinante aide à l’installation des habitudes alimentaires et représente une des premières routines du quotidien de l’individu (Kaufmann, 2005). Cette discipline ne sert pas uniquement à souligner l’altérité ou s’identifier aux autres. Elle représente, dans la société contemporaine, une expression d’individualité quotidienne que la personne affiche, dans la masse des produits impersonnels qu’elle consomme au quotidien (Kaufmann, 2005). Dans une perspective de comportement du consommateur, il s’agit d’une attitude individuelle et volontariste dans une société de consommation. Il apparaît donc que l’individu est sans cesse sollicité par deux logiques qui à la fois s’équilibrent et s’opposent, dans une relation d’ajustement permanent. La première, contemporaine, prône l’individualité, la deuxième, celle de la discipline collective, est inhérente aux sociétés traditionnelles.

En plus d’être un outil d’expression de soi et un marqueur d’appartenance sociale (Bourdieu, 1979), comme nous venons de l’expliquer brièvement, l’alimentation représente intrinsèquement un legs culturel (Douglas, 1977). Elle l’est, non seulement parce qu’elle représente une manifestation ostentatoire de la cohésion interne d’une culture (éléments culturels en commun entre les membres d’une même culture), mais surtout parce qu’elle souligne les frontières par rapport aux autres cultures, dans un contexte et une époque donnés (Thiesse, 2001). En conséquence, la

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consommation d’un certain type de nourriture, peut être acceptée ou au contraire rejetée selon le groupe social auquel l’individu veut appartenir. Chez les immigrants, la consommation alimentaire prend une dimension symbolique particulièrement intéressante, non seulement pour des raisons d’habitudes et de conditionnement social mais également à cause de l’attachement à l’identité ethnique. De surcroît, il s’avère que chez les immigrés, la nourriture est l’une des spécificités culturelles dont l’immigré se défait en dernier (Mennell et alii, 1993). Cette dimension symbolique d’identification et de différenciation est d’autant plus exacerbée dans les groupes d’affiliation religieuse, puisque certaines religions, incluent des règles alimentaires qui obéissent aux lois de ce qui est permis et interdit. Soulignons également que les les classements ainsi obtenus par les religions en cette matière respectent les mêmes règles que ceux adoptés dans les cultures. Il s’agit de s’identifier au groupe qui partage les mêmes pratiques ou normes et se dissocier de ceux qui en adoptent d’autres (Rodinson, 1993). La sacralité de la source serait le seul critère qui distingue les prescriptions et proscriptions religieuses des autres appartenances sociales. La transgression des règles relève non pas du simple rejet du groupe mais du «péché», c’est pour cette raison qu’elle représente une véritable ligne rouge pour ceux qui y croient. De surcroît, comme nous l’avons déjà souligné, le contexte contemporain vient étoffer cette logique collective, à la fois sociale et culturelle, de l’immigrant en y greffant l’individualité. La religion ne serait plus vécue comme une évidence sociale mais plutôt comme une revendication individuelle. Elle est signe d’appartenance mais aussi marqueur de différenciation (Mathe et alii, 2012; Pras et Vaudour-Lagrâce, 2007).

Étant donné que nous nous limitons dans ce travail doctoral à la sphère alimentaire, il s’avère donc important de considérer la nourriture et la religion comme contribuant à la construction de l’identité sociale mais aussi individuelle. En contexte d’immigration, les logiques d’identification et de différenciation ethnique et religieuse s’exacerbent. Le cas particulier des produits halal pour la communauté musulmane illustre parfaitement la sacralité religieuse de l’alimentation. L’immigration en général, et celle de deuxième génération en particulier, ouvrent la

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voie à l’expression de l’interprétation individuelle du sacré et du religieux. Elle serait un terrain propice à l’étude de la complexité sociale et individuelle de cette consommation. Il devient ainsi nécessaire de sortir du simple cadre théorique marketing que représente la notion de segmentation religieuse car à lui seul, il ne saurait refléter la complexité du contexte (Cazes-Valette et Bernard, 2011; Özçağlar-Toulouse et alii, 2009).

Ces évidences de la prépondérance sociologique, culturelle et psychologique, mais aussi la complexité du contexte, ne sont pas les seuls arguments à une revue de la littérature sur ce sujet. Notre intérêt nait aussi du taux de croissance de la population musulmane dans le monde et de l’augmentation relative des revenus de celle-ci. On estime que ces produits représentent de nos jours jusqu’à 17 % du commerce mondial de produits alimentaires selon le World Halal Forum (2011). Ce marché ne serait qu’aux prémisses de déploiements majeurs qui laissent présager une croissance rapide et soutenue. Ces chiffres sont encore plus importants dans le cas particulier de l’hexagone. La France, l’un des pays les plus accueillants en termes d’immigration, et aussi l’un des points culminants du marché du halal, offre à notre sens un terrain idéal à l’expression et à l’étude des mécanismes qui tournent autour de la consommation alimentaire du halal.

A cet effet, nous nous adonnons dans ce qui suit, à une lecture hybride du sujet métissant les apports de la sociologie, de l’anthropologie, de la psychologie interculturelle mais aussi des recherches en acculturation, en psychologie du consommateur, pour apporter plus de compréhension à ce phénomène hétéroclite, mêlant à la fois l’alimentation, la religion et l’immigration. De plus, notre contexte d’étude s’enrichit encore plus avec la démonstration de l’importance du marché du halal en France, mais aussi de la portée, certes récente mais spectaculaire, des études sur le halal.

Pour ce qui est de la structure du travail, dans une première section, nous définissons la consommation halal pour ensuite discuter de la croissance de ce marché; dans la deuxième, nous énumérons les déterminants de la consommation halal retenus.

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Section I- Le comportement de consommation halal

I.1. Définition du halal: Entre étymologie, religion, histoire et mercantilisme

«Le label halalest une création industrielle mais la nourriture halal qui en est à l’origine doit plutôt

être considérée comme une invention diasporique» (Bergeaud-Blackler, 2012) À l’instar de toute doctrine religieuse, l’Islam se présente comme un ensemble de règles, guidant les fidèles aussi bien dans la sphère privée/publique que sur le plan individuel/collectif. Dans la tradition musulmane, plusieurs sous-ensembles de règles (Coran, la Sunna5 et la Shari’a6) contribuent à dessiner les fondements de l’Islam. Le

Coran représente la forme la plus ancienne de classification des actes, mais aussi celle qui reflète exclusivement les paroles de Dieu sans interprétation savante de l’humain aussi éclairée et objective soit elle. Ce livre saint fait une séparation nette entre le licite (Halal) et l’illicite (Haram). Etymologiquement, halal est un mot arabe signifiant licite, autorisé, profane, son antonyme est haram, illicite, interdit, proscrit en respectant la règle: « est licite ce qui n’est pas prohibé » (Berque, 1990) tout en nuançant que « la nécessité lève l’interdiction » (Qaradhawi, 1995).

Dans le Coran, le terme halal est utilisé une douzaine de fois pour évoquer des aliments permis. Dans ces douze reprises, il est accompagné à sept reprises d’une négation pour désigner ce qui est proscrit dans la vie sociale en général (Bergeaud-Blackler, 2015). Le halal est l’une des recommandations, aussi bien du Coran que de la Shari’a, qui circonscrivent ce qui est obligatoire ou conseillé en interdisant par la négation le répréhensible ou le suspect (Cazes-Valette et Bernard, 2011). Dans l’un des hadiths7 du prophète Mohammed, il dit: « Le Halal (permis) est clair et le Haram

(interdit) est clair: entre les deux là, il y a le suspect ou «shubha»8». En effet, le halal

5 La Sunna représente les enseignements tirés de la morale et des comportements du prophète Mohamed.

6 La Shari’a représente divers décrets et normes doctrinales, sociales, culturelles, révélés au IXe siècle, deux siècles après la mort du prophète. Son origine vient essentiellement de recommandations tirées et réinterprétées, souvent subjectivement aussi bien du Coran que de la Sunna.

7 Un hadith est un texte rapporté du Prophète Mohamed, retraçant sa vie et apportant des réponses sur différentes situations problématiques que peuvent rencontrer les musulmans dans leur quotidien.

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clair et manifeste devrait être sans équivoque. Quant au «Haram» pur, il a des particularités claires, chassant tout doute. La règle du halal/haram légifère donc tous les domaines de la vie des musulmans, les règles alimentaires en font partie. Ainsi, conformément aux exigences religieuses, les musulmans ne doivent manger, boire et consommer que des produits halal. Les produits halal se présentent comme des produits «prescrits», exempt d’ingrédients non halal. Les aliments sont préparés selon un ensemble de prescriptions et de normes islamiques en matière d‘alimentation, qui détermine ce qui est permis, légal et propre.

La composition n’est pas le seul principe que gère la règle du halal/ haram; les aliments ne doivent pas non plus entrer en contact avec quoi que ce soit considéré comme impur (par exemple charogne, alcool, porc, sang, fèces ou urine) (Shafie et Othman, 2006). Les aliments doivent également être préparés, transformés et conditionnés en utilisant un équipement non vicié ou souillé par des contenants, ustensiles ou machines impurs. Les locaux pour la fabrication, la préparation et la vente d'aliments et de boissons doivent être propres et exempts d'éléments qui peuvent causer une infestation ou contamination. Le matériel utilisé doit être désinfecté fréquemment pour assurer la propreté (Shafie et Othman, 2006). Les règles du halal les plus strictes sont liées à l’abattage des animaux dans la religion musulmane, et donc à la viande halal. L'abattage devrait être effectué par un musulman adulte sain d'esprit, qui saisi parfaitement la symbolique et les conditions liées à cette activité. L'animal doit être vivant au moment de l'abattage et sa viande ne doit pas être proscrite (exemple: le porc). L'abattage doit être effectué avec un dispositif pointu et la veine respiratoire des animaux, de l'œsophage et la jugulaire doit être sectionnée, afin de purifier l’animal, en le vidant de son sang (Shafie et Othman, 2006).

Au delà des définitions savantes ou purement théologiques qui proposent des définitions aussi variables les unes que les autres, parfois au gré des « fatwas9 », il est

9 La fatwa est à la religion musulmane ce qu’est la jurisprudence est à la loi. Dans une absence de légitimité religieuse et dans le but de faciliter la compatibilité du fondamental avec le contextuel, les fatwas se présentent comme des exceptions à la règle pour une pratique au quotidien plus facile.

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indispensable d’investiguer les origines historiques de l’évolution du marché portant ce qualificatif. La naissance de ce marché pourrait être retracée dès le dernier quart du XXème siècle. Elle désignait, à l’époque, principalement les produits carnés pour s’étendre à tous les produits et services commerciaux dès le début du XXIème siècle (Bergeaud-Blackler et Bernard, 2010). D’où l’abus de langage résiduel, dans les pays occidentaux avec tradition migratoire musulmane, qui réduit le halal à la viande d’un animal abattu selon les rites, en limitant l’usage du qualificatif aux produits carnés.

Deux causes possibles pourraient expliquer les origines de ce marché. La première est économique, à travers l’élargissement des échanges commerciaux, entre autres alimentaires, entre pays de fois différentes. La deuxième est migratoire, à travers les flux massifs de musulmans immigrant vers des pays non musulmans. Le marché du halal n’est donc pas né dans les pays musulmans. Les produits étiquetés halal dans certains pays musulmans sont généralement importés (Maroc, Algérie, Tunisie, Turquie, etc.) ou s’inscrivent dans des stratégies moralisatrices (Jakarta ou à Kuala Lumpur) (Bergeaud-Blackler, 2012; Chapellière, 2009; Fischer, 2012). La «tradition» d’étiquetage est ainsi contemporaine à l’immigration mais est aussi l’expression d’une «réassurance» du consommateur après les scandales alimentaires des années 90 (Bergeaud-Blackler, 2012).

De nos jours, nous observons également un élargissement sémantique de ce terme. Sous cet égide, et dans l’extension la plus large de cette définition, nous remarquons une panoplie de produits mais aussi de services de finance halal proposés par les banques et assurances islamiques (crédits halal) ou encore des hôtels ou restaurants « sharia-compatibles » (Blackler et Bernard, 2010; Bergeaud-Blackler, 2012; Arslan, 2014). Cet abus de langage est aussi la conséquence de la rareté des travaux qui définissent ou étudient les conditions industrielles de production des aliments halal (Bergeaud-Blackler, 2012). Au delà de la production industrielle, les études sérieuses qui auscultent les fondements et les mécanismes religieux de cette production sont aussi rares (Bergeaud-Blackler, 2005; Marei, 2001).

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Ce dernier paragraphe, qui soutient notre lecture hybride des considérations conservatrices et des tendances modernes, nous pousse toujours à adopter une compréhension mixte de tous les concepts pris en compte. A cet égard, nous avons adopté une perspective moderne qui envisage le concept du halal comme un ensemble de comportements dessinant une normativité islamique définissant une «halal

attitude» (Papi, 2015) ou encore un «Halal way of life» (Amghar, 2013). L’expression ostentatoire volontariste des habitudes alimentaires serait, quant à elle, une sorte d’ «Islam Pride» (Mathe et alii, 2012), signant l’affranchissement du musulman moderne d’une « pratique religieuse auparavant privée, intériorisée,

parfois même honteuse » (Morsy, 1993). Cet élargissement et cet intérêt pour cette normativité ont été poussés par les enjeux économiques possibles, grâce à la population assujettie à cet ensemble de règles qui ne cessent de s’élargir pour étendre le marché à une infinité de possibilités.

La section suivante illustre, dans ce sens, l’importance de ce marché aussi bien sur le plan international qu’en France.

I.2. Le halal: un marché mondial en effervescence mondiale et pleine expansion en France

«Addressing the muslim market, can you afford not to?» (AT Kearny, 2010) Partout dans le monde, grâce aux différents flux migratoires connus par les différentes contrées à forte attractivité, de nouvelles débouchées communautaires ont généré de nouveaux segments de consommation attractifs: le halal en est le parfait exemple (Bahri, 2006; Bergeaud-Blackler, 2012). Dans un contexte économique stagnant et menaçant, les leaders de l’agroalimentaire et des enseignes de la grande distribution s’intéressent à cette opportunité de différenciation et y voient une possibilité de récidive du succès du l’expérience du Kasher. Ils profitent ainsi du potentiel du crénau lucratif en adoptant leurs offres aux segments visés (Bergeaud-Blackler, 2004).

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L’immigration mais aussi l’importance démographique des pays musulmans (25% de la population mondiale soit près de 1,6 milliard de consommateurs (Pew research forum, 2011)) et l’intérêt que portent d’autres consommateurs, non musulmans, à la tendance halal rendent ce marché très attractif pour les acteurs agroalimentaires de tout pays. La nourriture halal, qui représente actuellement environ un cinquième du commerce mondial de l'alimentation (Euromonitor International, 2010), de la nourriture et des boissons dans le monde entier, montre l’attractivité considérable de l’industrie du halal. Cette dernière pèse environ 700 milliards de dollars américains (World Halal forum, 2011), représentant 16,7% de l’industrie alimentaire mondiale (Bergeaud-Blackler, 2012) avec une personne sur quatre consommant des produits halal (Alliance international integrity, 2011). Il s’agit d’un marché qui attise l’appétit des plus grandes multinationales, spécialisées dans les produits alimentaires et non alimentaires (Agroligne, 2011), notamment à l’égard des estimations de sa croissance.

Selon le rapport exploratoire du Ministère de l’agriculture et de l’agroalimentaire du Canada sur les tendances du marché mondial des aliments halal en 2011, les pays musulmans, naturellement les premiers à qui profite cette progression, sont caractérisés en général par des économies et revenus en nette croissance à l’inverse des pays développés qui sont confrontés à une baisse de leur population en raison de familles moins nombreuses. Les pays musulmans enregistrent une croissance rapide et un taux de natalité plus élevé. Ces deux tendances stimulent encore plus la croissance sur le marché des produits halal. Toujours selon le même rapport, les pays de foi musulmane majoritaire ne sont pas les seuls à qui profite cette progression; le marché halal des pays non musulmans est très étendu en considération des flux d’immigration. Notons néanmoins que cet attrait plutôt récent du marché islamique signe la délivrance de l’ère accusatrice et suspicieuse du post 11 septembre, qui éloignait le monde des affaires de ce secteur dont le potentiel et la croissance étaient incertains (Bergeaud-Blackler, 2012).

En Europe seulement, le marché représente 67 milliards de dollars US, et compte une progression de 15% par an, ce qui laisse à penser que le marché des aliments halal dans les pays de foi non musulmane est très étendu et que ces pays

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offrent d’énormes opportunités pour les producteurs d’aliments halal: les viandes totalisent 10 % et les aliments préparés et conditionnés, les liqueurs sans alcool 35 % de tous les produits halal à l’échelle planétaire (Agriculture et agroalimentaire Canada, 2011).

Toutefois, notons que le marché européen du halal ne peut être assimilé à un marché unique, il est singularisé par une constellation de marchés disparates. Cette variété est le résultat des habitudes de consommation des populations d’origine et de l’importance de la tradition musulmane dans ces pays. Sa portée dépend de la présence et de l’importance migratoire dans certains pays plutôt que d’autres dans tout le vieux continent. Il est à ce titre presque anecdotique dans certains pays (exemple: la Pologne).

De surcroit, notons qu’il y a une difficulté à peser le juste poids économique de ce marché halal qui, à priori, devrait toucher une diaspora communautaire dont l’importance et la prépondérance déteignent sur les populations d’origine qui se convertissent au halal. Les chiffres statistiques restent, donc, des estimations.

Dans le cas particulier de la France, au delà des chiffres qui illustrent l’immensité de ce marché, celui-ci a pris une telle envergure qu’il est devenu un phénomène social, parfois instrumentalisé et présenté comme une menace à l’homogénéité de la société française. Dans un pays où la population se déclare majoritairement chrétienne, où l’Islam est issu de l’immigration minoritaire et récente et l’État se déclarant constitutionnellement laïque, il devient presque naturel que tout ce qui touche à cette religiosité minoritaire puisse susciter une polémique (Cazes-Valette et Bernard, 2011). Le sujet épineux du halal a dans ce sens servi comme argument politique dans les dernières campagnes présidentielles pour souligner la menace de l’identité culturelle de la France. La candidate de l’extrême droite a même soutenu que «Cent pour cent de la viande vendue en Ile-de-France était halal». Et ce, à «l'insu des consommateurs.» (TF1 news, 2012). Ses propos, s’ils ont été bien démentis par la suite (Le Monde, 2012), montrent l’importance de ce marché mais aussi son irrévocabilité.

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Loin des affirmations politiques fallacieuses, les décideurs marketing ont bien compris qu’il s’agit désormais d’une réalité avec laquelle ils doivent composer mais surtout qu’ils peuvent faire fructifier10, c’est d’ailleurs pourquoi l’offre halal dans sa

version française est l’une des plus variées et développées au monde. C’est ainsi qu’on constate en France, une expansion annuelle du marché de l'ordre de 10 à 15 % depuis 5 ans (INSEE, 2012). Notons que le marché français compte une capacité de 7 millions de consommateurs potentiellement concernés (soit 10 % de l’ensemble des consommateurs français11). Mise à part la croissance démographique des immigrants

ou encore celle très relative des nouveaux arrivants, la croissance vient essentiellement du développement, ces dernières années, de gammes de produits répondant aux règles de la religion musulmane, pas seulement dans le secteur alimentaire mais également dans les produits cosmétiques, pharmaceutiques (Bergeaud-Blacker, 2005) ou encore les services (restaurants, cafés, etc) (Arslan, 2013).

Concernant la consommation alimentaire, le halal représente 10 à 15% de la consommation bovine, ovine et avicole nationale soit en volume 400.000 tonnes par an. Le marché hexagonal est le premier marché européen en volume, talonné par la Grande Bretagne et la Belgique, dont la densité moyenne des musulmans est supérieure à celle de la France, de l’Allemagne et des Pays Bas (Halal expo, 2012). Selon les dernières données du cabinet spécialisé dans les sondages ethniques Solis, le marché des produits halala atteint 5,5 milliards d'euros en 2012 (environ deux fois plus que les produits biologiques), répartis entre la consommation des ménages (82%) et la restauration (18%)12. Soulignons que les boucheries et épiceries traditionnelles

détiennent encore la grande majorité du marché, avec 80 % (Solis, 2012). En plus d’être considéré comme le plus volumineux, le marché français est le plus mature par rapport au voisinage européen. Il est aussi très différent des autres offres halal du fait que l’immigration qui le caractérise est issue majoritairement de l’Afrique du Nord

10 Nous nuancerons le dilemme auquel les hommes de marketing doivent faire face (à cause de la réalité politique et sociale) dans la conclusion.

11 Du fait de l’interdiction empêchant l’INSEE de recenser des données de caractère religieux ou ethniques il est impossible de faire une estimation juste de la population musulmane en France. Ce chiffre se compose donc de personnes se disant d’origine musulmane, personnes se disant musulmanes et d’autres d’origine musulmane mais se déclarant non pratiquantes.

12 L’offre Halal en restauration se limite principalement aux restaurants fast food « Halal », kebab ou restaurant dits « turques ou pakistanais ».

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(maghrébine), très différente de celle du Royaume-Unis (indienne, pakistanaise), ou encore allemande (turque) (Solis, 2012).

Notons également que le consommateur français typique du halal est caractérisé par une forte consommation carnée (2 fois plus de viande en moyenne que le consommateur français non musulman), et de volaille (3 fois plus que la moyenne française) (IFOP, 2007). La part moyenne du budget alimentaire des ménages musulmans est de 30% contre seulement 14% pour la moyenne nationale française (INSEE, 2012). Cette consommation remarquable et supérieure à la moyenne de volaille et autres viandes halal revient à la composition des plats ethniques du pays d’origine, souvent composés de viande (Ak-a, 2012).

Face à ce marché attrayant la grande distribution ne pouvait rester inerte. Même si la majorité des produits suivent encore à 70 % le circuit traditionnel, à savoir les boucheries halal et épiceries ethniques, notons, néanmoins qu’il y a eu une progression d’un petit créneau représenté par les boucheries islamiques de proximité à un marché structuré que les plus grands industriels de l’agroalimentaires et distributeurs convoitent. La puissante évolution du marché et l’engouement pour ces produits ont fait entrer le halal dans l’arène de la grande distribution. Les rayons exclusivement halal fleurissent et deviennent presque incontournables sous presque toutes les enseignes de la grande distribution (Livoreil, 2012). Certains géants, n’ayant pas peur de s’aventurer dans les sentiers communautaires du halal, se sont mis à avoir leurs propres produits sous leur marque de distributeur (MDD), tel que Carrefour ou Leclerc. Ces distributeurs s’adressent particulièrement aux musulmans issus de l’immigration, bien intégrés structurellement, avec un bon pouvoir d’achat. Les fabricants ont donc du s’adapter à ces nouveaux consommateurs exigeants et proposer des gammes de produits qui dépassent le best seller du halal: la viande. Leur but étant de retenir le consommateur le plus longtemps possible dans le rayon halal. Ainsi, en plus de la classique viande halal (la viande rouge), une multitude de produits (viandes froides, plats cuisinés, friandises, produits laitiers, cosmétiques, etc) se multiplient dans les rayons. Cette évolution suivrait l’évolution naturelle du comportement de consommation de l’immigrant dans sa progression à mi-chemin entre les exigences religieuses de sa foi et ses nouvelles habitudes de style de vie. Ces

Figure

Figure 1: Schéma des niveaux d’influence sur le comportement de consommation halal Niveau individuel Niveau social Niveau culturel Consommation alimentaire halal
Figure 2: Modèle conceptuel de base
Figure 3: Structure des valeurs selon Schwartz (2006)
Figure 4: Structure circulaire des valeurs de Schwatz et alii (2001)
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