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Section II- Les déterminants de la consommation halal

II.3 L’acculturation

2. L’acculturation: du collectif à l’individuel

La définition claire du concept d’acculturation est tributaire du temps et des disciplines. En effet, le passage du temps et l’évolution des conceptions ont tout deux contribué à beaucoup changer les premières définitions données au concept. L’étude pluridisciplinaire du concept a aussi ouvert d’autres voies de recherche et d’enrichissement de la compréhension du phénomène. Cette caractéristique représente justement un avantage pour ce travail doctoral qui tente d’apporter une lecture pluridisciplinaire des plus ouvertes à l’étude du phénomène du halal.

Avant de commencer à démêler les différents apports des multiples disciplines, notons qu’une distinction, en termes de définition, est nécessaire selon qu’on se positionne du point de vue la psychologie sociale ou de celui de l’anthropologie et de la sociologie.

D’après la littérature en psychologie sociale, le concept désigne le processus par lequel un individu fait l’apprentissage et assimile les valeurs, les codes et les normes de son environnement direct d’influence. Néanmoins, le phénomène n’a lieu ni à travers une pression exercée sur l’individu par son environnement, ni par simple imitation de comportement17. Il s’agit d’un acte volontaire d’apprentissage plus large

que celui de la socialisation, prenant place dans le cadre de l’expérience de la vie quotidienne. Du point de vue de l’anthropologie culturelle, l’acculturation désigne le phénomène qui se déclenche lorsque deux cultures entrent en confrontation. Comme nous l’avons auparavant précisé Powell est considéré comme son inventeur, en 1880. La première théorie formelle de l’acculturation a, quant à elle, été proposée par Thomas et Znaniecki (1918), qui ont investigué les valeurs et les attitudes d’immigrants polonais aux États-Unis ainsi que de paysans polonais. (Brami, 2000) Le construit devient par la suite concept scientifique en 1936 et est formellement circonscrit par la première définition formelle proposée par Redfield et alii dans le

Mémorandum pour l’étude de l’acculturation (1936, p. 149):

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L’acculturation est l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes (……) L'acculturation peut être définie comme un changement de culture qui est lancé par la conjonction de deux ou plusieurs systèmes culturels distincts. Sa dynamique peut être vue comme adaptation sélective des systèmes de valeurs, processus d'intégration et de différenciation, génération d’ordres de développement, et opérationnalisation des déterminants de rôle et des facteurs de personnalité.

Dans un premier temps, nous commençons par reconnaître la «vertu» de cette première définition, qui apporte un consensus sur trois caractéristiques essentielles à la circonscription du concept. Cette distinction est utile pour la singulariser de toutes les autres nuances dont regorge la littérature, mais aussi pour marquer le dépassement des définitions primitives polémiques qui attestaient de l’existence d’une hiérarchie civilisationnelle et d’un tutorat culturel de certaines cultures sur d’autres. Celles-ci jugées encore à la traîne de la modernité. Ces trois caractéristiques sont: le contact continu, le changement et la réciprocité. De surcroît, retenons que cette définition met en lumière l’orientation de l’époque à considérer l’acculturation comme un processus exclusivement et expressément collectif. La définition de Linton (1940, p.501) en est la preuve: «(….) ensemble de phénomènes qui résultent de contacts continus entre

deux groupes d’individus ayant deux cultures différentes».

Herskovits (1937) parle aussi d’interactions de groupes culturels. Les travaux de Bogardus (1949) évoquent un pluralisme culturel purement collectif. D’autres chercheurs comme Devereux et Loeb (1943), évoquent le groupe comme une entité unique (Wagner.2010)

D’un autre côté, dans le domaine de la psychologie, il est tout à fait possible qu’un individu seul puisse s’acculturer, sans qu’il y ait de changement dans l’une ou l’autre des cultures (Rudmin, 2009). L’acculturation ne suppose donc pas uniquement, l’intégration de la culture et la tradition de la société dominante, elle prévoit le cas du le déni et l’opposition face aux éléments de cette même culture

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(Sam, 2006). Ce concept a donc évolué chronologiquement et disciplinairement, partant d’applications purement sociales ou anthropologique vers des voies plus personnelles et individuelles. La psychologie a ainsi ouvert des pistes d’applications psychologiques, à tel point que dans la littérature récente le processus d’acculturation est plus souvent étudié au niveau individuel que collectif (Weigers et Sherraden, 2001; Sirgi, 2002): au niveau individuel, on parle alors de «psychological

acculturation» (Graves, 1967;Piquet, 2007; Sirgi, 2002; Ward et Rana-Deuba, 1999). Cette variante a été par la suite adoptée par plusieurs auteurs qui avaient relevé l’existence d’une tension vécue sur le plan psychologique suite à l’oscillation et au tiraillement entre deux cultures (Phinney, 1996). L’acculturation psychologique ne rend pas nécessairement tous les individus identiques. Elle fait référence aux comportements visibles mais aussi aux traits de caractère camouflés, qu'un individu possède au moment de l'acculturation (Sirgi, 2002). Ces comportements correspondent à diverses prédispositions, dispositions, statuts et traits de personnalités à partir desquels s’exprimeront les individualités. Ces éléments délimitent une large sphère collective dans laquelle, une large majorité d’individus se conformera aux exigeances et normes de la culture du groupe. Des disparités mineures persisteront toujours mais n’entâcheront pas l’homogeinité du groupe. Néanmoins, certains individus feront le choix de transgresser cette conformité en défiant la règle. Ces individus qui entrent dans une logique de défiance continue des limites définies par le groupe, seront condidérés comme des marginaux. Ces personnes sont victimes sur le plan psychologique de déstabilisation. Celle-ci est tellement importante dans ce cas de figure qu’elle n’aboutira jamais à un rétablissement à la normale ou selon les termes de Bastide de restructuration; les personnes s’égarent du groupe, elles peuvent développer des pathologies mentales ou des pratiques délinquantes carcatéritiques des marginaux (Bastide, 1968; Schnapper, 2007).

Loin de la psychologie psychanalytique, une deuxième variante de la distinction entre niveau collectif et niveau individuel doit aussi être mise en évidence. Spiro (1955) et Broom et Kitsuse (1955) ont cristallisé dans leurs travaux les effets de l’acculturation de groupe sur l’acculturation individuelle. D’autres recherches,

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comme celles de Gillin et Raimy (1940), Eaton (1952) ou encore Dohrenwend et Smith (1962) montrent définitivement que l’acculturation peut avoir lieu sur le plan individuel. Ils perçoivent l’individu comme, un élément aussi important pour cerner la complexité du concept d’acculturation, que le groupe. Ces auteurs ont ainsi explicitement mis l’emphase sur la possibilité que l’acculturation puisse être un phénomène purement individuel. Les travaux relativement plus récents de Barry (2005, p.197) soulignent dans le même sens que le phénomène est purement individuel et définissent l’acculturation comme: «des styles de communication et

d’interactions qu’adoptent les individus lorsqu’ils entrent en contact avec des individus ou groupes d’autres cultures».

Sans être aussi incisif, Berry (1990), quant à lui, montre que la dichotomie (groupe/individu) doit être prise en compte du fait que les deux notions n’évoquent pas forcément les mêmes domaines ni les mêmes intérêts d’études et n’impliquent pas non plus la même cadence (Sam et Berry, 2006). Au niveau du groupe, les métamorphoses concernent l’organisation sociale, l’échange économique ou la structure institutionnelle du groupe, tandis qu’au niveau de l’individu, les changements renvoient à l’identité, aux valeurs, aux dogmes, aux attitudes et aux comportements. D’une manière générale, toutes ces recherches pionnières et bien d’autres qui les ont suivies, montrent qu’il y a un consensus sur la mise en relief du rôle de l’individu en situation de contact. Retenons finalement, le travail fédérateur de Chirkov (2009), qui a analysé plus de 42 articles publiés entre 2001 et 2006 sur l’acculturation. Cette méta-analyse retient que la définition de Redfield et alii (1936), largement répandue, ne tient pas compte de la dimension individuelle de l’acculturation. À la lumière de ces constatations, Chirkov propose la notion d’acculturation individuelle dans une tentative d’atténuer le problème dû à la multitude de définitions dans la littérature de la psychologie de l’acculturation. Sa nouvelle définition a l’avantage d’apporter une vision positive, dynamique et continue du processus.

Cette profusion de définitions et distinctions interdisciplinaires sont en une véritable preuve de la richesse de la littérature s’intéressant à l’acculturation, mais

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aussi de la versatilité de la définition du concept qui est souvent confondue avec d’autres modes de transmission. Le domaine du marketing, et celui du comportement du consommateur en particulier, donnent une importance particulière à l'acculturation, surtout pour la compréhension des modèles de comportement et de consommation.