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Section II- Les déterminants de la consommation halal

II.3 L’acculturation

1. Prémisses, genèse historique et nuances linguistiques

Le terme «Adculturation», duquel est dérivé celui d'acculturation, est composé à partir du latin «ad» qui exprime le rapprochement, de «culture» au sens de civilisation et du suffixe «ation» qui marque l’action, soit, littéralement «mouvement vers la culture» (Wikipédia, 2013). Powell (1880) a été le premier à utiliser le terme «adculturation», pour caractériser les transformations subies par les immigrants lors de leur contact avec la société américaine dominante. Ses travaux se sont poursuivis jusqu’en 1883, où il conclua que l'acculturation renvoie également aux changements psychologiques qui dérivent du conditionnement interculturel (Sam, 2006). Le terme acculturation à été par la suite officiellenent introduit et reproduit par les anthropologues nord-américains pour décrire le processus qui nait entre les cultures de deux groupes culturels différents en confrontation (Wagner, 2010).

Suite aux travaux de Powell, ce concept a été officiellement introduit et étudié en psychologie. Hall (1904) fut le premier à aborder ce domaine d'étude (Sam, 2006). Peu de travaux ont par la suite pu être sondés, comme la première théorie psychologique de l’acculturation attribuée à Thomas et Znaniecki (1918). La littérature a commencé à connaître son effervescence sur le concept à partir des années cinquante (Wagner, 2010).

Un rapide survol de la littérature cernant le concept depuis ses débuts atteste qu’il n’y a pas toujours eu consensus sur le terme «acculturation». On pourrait croire qu’initialement la littérature s’y intéressant, plutôt internationale, souffrait d’un consensus terminologique purement linguistique dû aux langues et aux traductions. Dans ce sens, dans la littérature anglophone, on préférait parler de «cultural change» pour décrire les mêmes phénomènes (Malinowski, 1945); dans la littérature hispanophone, celui de «transculturation» (Ortiz, 1881, 1969); dans la littérature francophone, un débat sur l’«ethnocentricité» du concept est à retenir. Ce débat

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représente la première cause de la carence des articles académiques qui font référence à l’acculturation (Sabatier et Boutry, 2006). On lui préfère les termes

«interpénétration», «entrecroisement des civilisations» (Bastide, 1968),

«interculturalité» (Clanet, 1990), «intégration» (Cohen, 1999) ou encore

«créolisation» (Hannerz, 1992), pour éviter d’utiliser le terme assimilation ou acculturation, tous deux considérés comme péjoratifs et ayant une connotation colonialiste (Sam, 2006). La principale cause de cette substituabilité remonte à l’histoire et aux origines d’utilisation du terme. En effet, notons qu’historiquement, en anthropologie, le concept a longtemps été lié à une stigmatisation des autochtones (manque d’éducation, incubation de maladies, insalubrité, démence, criminalité, barbarie ….), mais aussi à l’évocation de la «supériorité» de certaines civilisations par rapport à d’autres considérées comme «primitives» (Sam, 2006). L’assimilation de ces minorités, dans les sociétés dites «civilisées», représentait un moyen «salvateur» à travers la modernisation de leurs modes de vie (Mc Gee, 1898). Selon cette vision des choses, l’acculturation est ainsi considérée comme la solution à un «retard» civilisationnel (Sam, 2006).

Tout à fait à l’opposé, d’autres études ont montré que cette assimilation était le début de troubles psychiques, de perte d’identité et de désintégration des schémas mentaux traditionnels (Redfield et alii, 1936). Notons à cet égard, que dans la littérature francophone en général, et particulièrement en France dès les années 70, comme nous venons de le préciser un peu plus haut, une connotation péjorative s’est souvent greffée à la signification donnée au concept; le terme «assimilation» est devenu tabou dans la mesure où assimiler, c’est avant tout imposer les normes de conduites et les valeurs de la culture dominante. Cette littérature a été historiquement liée au colonialisme. Les chercheurs francophones préférent le terme «intégration» (Cohen, 1999). Mais cette substitution a toujours gardé cette influence d’un dominant sur un dominé (Shnapper, 2007). En effet, les termes «insertion» et «intégration» sont préférés, du fait qu’ils présentent, sur le plan étymologique, une connotation plus positive plus volontariste et moins sévère.

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Au début des années 80, le terme «insertion» est le plus utilisé. Il désigne le fait de se réserver une place dans un collectif. Il renvoie à un état d’implication institutionnelle et d’une certaine insertion strcuturelle qui n’est pas forcément valable dans la vie sociale. Dans la décennie suivante, le terme «intégration» est préféré. Concernant le processus d’intégration, la littérature s’accorde en général sur la multidimensionnalité du processus et dénombre plusieurs conceptions. Si dans un souci de clarté et clairvoyance linguistique, les chercheurs ont eu un penchant pour cette appellation, il n’en reste pas moins que cette dernière présente, elle aussi, des nuances des plus variées, ambiguës, et parfois contradictoires (Amitié entre les peuples, 2008).

En conclusion, la nécessité, notamment en raison des conceptions théoriques sous-jacentes au choix des termes, de distinguer le concept d’acculturation d’un certain nombre de termes substituts, que nous retrouvons un peu partout dans la littérature. Cette distinction est d’autant plus importante dans la littérature francophone. La théorie portant sur l’acculturation montre que plusieurs termes sont souvent utilisés parfois comme synonymes ou tout simplement pour éviter d’utiliser le terme «acculturation». Nous récapitulons les différents substituts dans le tableau (1):

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Tableau 1: Principaux substituts au terme « acculturation »

Terme Principaux auteurs Définitions et nuances

Interculturation

Clanet (1990)

De Villanova, Hily et Varro (2001) Denoux (1992)

Série de processus par lesquels les individus et groupes interagissent quand ils s’identifient comme culturellement distincts. L’accent est mis sur la réciprocité grâce au suffixe «inter».

Enculturation

Hilly (2001) Manço (2002)

Tout ce qui est appris délibérément, sans effort particulier du sujet. Il s’agit de possibilités offertes grâce au contexte. L’enculturation a lieu grâce à l’observation. Si la personne passe à l’imitation, on parle de socialisation.

Socialisation

Bugental et Goodnow (1988) Berry (2006)

Valencia (1985)

La socialisation renvoie à une approche linéaire du processus émergeant à la suite d’un contact entre individus ou groupes de cultures différentes : l’un des individus ou groupes en contact se plie au mode de vie et modifie sa culture pour ressembler à un second groupe, en traversant différentes phases qui se succèdent de manière uniforme d’un individu ou groupe à l’autre. Il s’agit de reproduction de comportement après observation et par apprentissage de la culture qui est différente de celle dans laquelle une personne a été élevée.

Multiculturalisme

Taylor (1992) Bissoondath (1993) Gros et Kervan (2011)

Le terme désigne la cohabitation de différentes cultures dans un contexte particulier, sans qu’il y ait de combinaison ni d’assimilation, au sens de

métissage. Il souligne une vision volontariste anti discriminatoire, identitaire ou communautaire.

Interpénétration et

entrecroisement Bastide (1968)

Termes utilisés pour éviter le caractère méprisant et discriminatoire des définitions primitives données par les anthropologues au terme acculturation, pour souligner la réciprocité des influences des deux groupes en contact.

Altérité Krewer(1999) Sabatier, Malewska-Peyre et Tanon (2002)

Il s’agit de comprendre l’adaptation à d’autres cultures en tenant compte des attitudes qu’entretiennent les groupes les uns avec les autres

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Transculturation Vasquez (1984) Ortiz (1995)

La notion décrit le processus à travers lequel il y a émergence d’une «culture native » et une « culture conquérante ».

Selon la première définition d’Ortiz en 1940: « Il s’agit d’un ensemble

de transmutations constantes; elle est créatrice et jamais achevée; elle est irréversible. Il s’agit un processus dans lequel on donne quelque chose en échange de ce que l'on reçoit: les deux parties de l'équation s'en trouvent modifiées. Il en émerge une réalité nouvelle, qui n'est pas une mosaïque de caractères, mais un phénomène nouveau, original et indépendant ».

Identité ethnique

Sam (2006)

Rothe, Pumariega et Sabagh (2011)

Il s’agit de la conception qu’a l’individu ou le groupe de lui même. Avant de se confronter à une sollicitation culturelle, le groupe ou l’individu pourraient ne pas avoir une idée bien précise de leur singularité ethnique ou du moins ne valoriseraient pas leurs différences. Toutefois, lorsque l'individu ou le groupe entre en contact avec un autre groupe qui est culturellement différent, ils peuvent être contraints de définir un sens de l'identité en fonction de leur origine ethnique. L'identité ethnique peut donc être considérée comme un aspect de l'acculturation.

Une des principales définitions formelles données au concept d’après Rothe, Pumariega et Sabagh (2011) : « l’identité ethnique est englobée dans le

concept plus large d’identité culturelle qui se réfère aux valeurs spécifiques, aux idéaux et aux croyances d’un groupe culturel particulier ».

Créolisation Hannerz (1996)

Le phénomène renvoie au métissage et mélange de deux ou plusieurs cultures à la base très distinctes dans un contexte de colonisation (déracinement et déplacement d'un grand nombre de personnes dans les économies de plantation de certaines colonies, comme la Louisiane, la Jamaïque, Trinidad, l’île de la Réunion et l'île Maurice). À l’origine, la créolisation désigne un processus socio- ethnique s’intéressant aux changements linguistiques (par référence au créole). On y détourne la notion de culture dominante (majoritaire) et dominée (minoritaire) par l’évocation de culture du centre et culture périphérique.

66 Intégration ou insertion Berry (1980) Bourhis et alii (1997) Boski (2008) Gordon (1967) Merton (1957)

du processus d’acculturation. L’intégration correspond à l’acquisition de la culture d’accueil conjointement au maintien de la culture d’origine pour les personnes d’origine étrangère, et, de la même manière, l’attente de la part de la majorité d’accueil que ces dernières conservent leur culture d’origine tout en adoptant la culture d’accueil.

Dans le processus d’intégration, on regroupe plusieurs conceptions; elle peut être assimilée à une fusion, à une séparation ou encore à une marginalisation.

L’intégration en société peut être culturelle ou structurelle.

Assimilation LaFromboise et alii (1993). Gordon (1964) Ruiz (1981) Gans (1973) Sandberg, (1973) Portes et Rumbaut (2001) Zhou (1997) Berry (1980) Bourhis et alii (1997)

L'assimilation représente un cas extrême d'acculturation. L'assimilation est la dissolution complète des particularités d'un groupe qui s’imbibe de la culture d’autre groupe avec lequel il entre en contact. L'acculturation se manifeste à travers l’intégration de la plus grande partie des us et coutumes d'une culture dominante ou du groupe dominant. L’effacement progressif de toute différence, entre certaines minorités et le groupe dominant, témoigne de leur assimilation.

L’assimilation est une stratégie (ou orientation) possible, parmi d’autres, du processus d’acculturation.

Dans cette orientation le groupe minoritaire repousse sa culture d’origine pour s’identifier à la culture de la société dominatnte. En retour, la société d’accueil prévoit une fusion complète des personnes immigrantes dans la culture majoritaire, en rejetant leur culture d’origine.

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