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Évolution des discours de l'État québécois en matière de condition féminine

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Academic year: 2021

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© Naelie Bouchard-Sylvain, 2018

Évolution des discours de l'État québécois en matière

de condition féminine

Mémoire

Naelie Bouchard-Sylvain

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Évolution des discours de l'État québécois en matière

de condition féminine

Mémoire

Naélie Bouchard-Sylvain

Sous la direction de :

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iii

Résumé

Ce présent mémoire explore le changement de perspective de l’État québécois en matière de condition féminine, en lien avec le passage d’un État-providence vers un État néolibéral. Tout d’abord, un bref historique de la création du ministère de la Condition féminine (1979) ainsi que des gouvernements qui se sont succédé, au Québec, est dressé. Cela permet d’illustrer les transformations qui ont eu lieu sur le plan de la conduite des affaires de l’État québécois. En effet, ce ministère a été mis sur pied par le Parti québécois de René Lévesque (1976) grandement inspiré du modèle de l’État-providence puis, en particulier sous le gouvernement de Lucien Bouchard (1996), un glissement s’est opéré vers un État inspiré par la rationalité néolibérale.

C’est en utilisant la méthode de l’analyse critique du discours que les manifestations de la rationalité néolibérale sont identifiées dans l’ensemble des plans d’action gouvernementaux traitant de l’égalité entre les femmes et les hommes produits par le ministère associé à la Condition féminine de 1979 à 2016. L’analyse s’appuie sur un cadre conceptuel au cœur duquel se trouve le néolibéralisme et plus précisément, les dimensions de la responsabilité individuelle et de l’entrepreneuriat de soi. Les résultats de l’analyse montrent comment l’État-providence, interventionniste, aborde les inégalités entre les femmes et les hommes comme découlant d’un fait structurel alors que l’État néolibéral, non-interventionniste, traite de la condition des femmes et des inégalités de genre dans une perspective individualisante.

Mots-clés : Néolibéralisme, Condition féminine, Féminisme d’État, Québec, État-providence, Égalité entre les femmes et les hommes

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Abstract

This thesis explores the change of perspective of the Quebec government concerning the status of women, in connection with the transition from a welfare state to a neoliberal state. First of all, a brief historical portrait of the creation of the Ministry of the Status of Women (ministère de la Condition

feminine) (1979) as well as the successive governments in Quebec is drawn. This illustrates the

transformations that have taken place in the conduct of the affairs of the Quebec State. Indeed, this ministry was set up by René Lévesque’s Parti Québécois (1976), which was largely inspired by the welfare state model and later on, particularly under the government of Lucien Bouchard (1996), a shift was made towards a state inspired by neoliberal rationality.

Using the method of critical discourse analysis, this thesis then identifies the manifestations of neoliberal rationality in the set of government action plans dealing with equality between the women and men produced by the ministry associated with the Status of Women from 1979 to 2016. The analysis is based on a conceptual framework at the core of which is neoliberalism and more specifically, the two dimensions of individual responsibility and entrepreneurial self. The results of the analysis show how the welfare state, interventionist, addresses inequalities between the women and the men as arising from a structural fact while the neoliberal, non-interventionist, state deals with the status of women as well as gender inequalities in an individualizing manner.

Key words: Neoliberalism, Status of Women, State feminism, Quebec, Welfare state, Equality between women and men

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Tables des matières……….v

Liste des abréviations ... vii

Liste des tableaux ... viii

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Mise en contexte ... 5

1.1 Le changement de cap des années 1990... 7

1.2 Proposition de recherche ... 10

Chapitre 2 : Cadre conceptuel ... 15

2.1 Néolibéralisme ... 15

2.2 Responsabilité individuelle et entrepreneuriat de soi ... 17

Chapitre 3 : Méthodologie ... 20

3.1 Analyse de discours ... 20

3.2 Corpus d’analyse ... 22

3.2.1 Les principales exigences dans la constitution du corpus ... 23

3.2.2 Brève description des documents du corpus ... 25

3.3 Stratégie d’analyse ... 30

Chapitre 4 : Analyse ... 33

4.1. Réalisations gouvernementales et expertise des groupes de femmes : de concertation féministe et actions globales à concertation générale et actions spécifiques ... 34

4.2 Passage d’un État partenaire des femmes aux femmes partenaires de l’État. ... 42

4.3 La définition de l’égalité entre les femmes et les hommes : d’enjeux structurels à enjeux individuels. .. 47

4.4 Du féminisme d’État à l’antiféminisme dans l’État ... 53

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vi

Bibliographie ... 63

Annexe I : Liste des ministres de la Condition féminine depuis 1979 ... 75

Annexe II : Mandats des différentes ministres chargées de la Condition féminine de 1979 à 2016 ... 77

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Liste des abréviations

ADS Analyse différenciée selon les sexes CSF Conseil du statut de la femme CSQ Centrale des syndicats du Québec FFQ Fédération des femmes du Québec MMF Marche mondiale des Femmes SCF Secrétariat à la Condition féminine

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Liste des tableaux

Tableau no 1 : Résumé des questions d’analyse……….…31 Tableau no 2 : Liste des ministres de la Condition féminine………..75

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Pour Hélène et Jacques, qui avez planté en moi ces valeurs de solidarité, de justice sociale et d’empathie

que je chéris tant et qui sous-tendent ce mémoire.

Pour Fannie, ta vivacité, ta curiosité et ta joie de vivre m’émerveillent et m’inspirent.

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Remerciements

Je voudrais tout d’abord remercier Élisabeth Mercier, ma directrice de mémoire, pour sa disponibilité, sa flexibilité, sa confiance et ses précieux commentaires qui ont contribué à alimenter ma réflexion. Si, en moins de deux ans, j’ai pu faire ma maîtrise, c’est surtout grâce au précieux cadeau que m’ont offert ma cousine Émily et mon père, Jacques : leur temps. Sans cet apport précieux, la conciliation famille-étude n’aurait pas été de tout repos. C’est pourquoi je tiens à les remercier sincèrement. Un gros merci à ma mère, Hélène, toujours disponible pour un appel le temps que je trouve les mots justes. Merci en plus à mes parents pour leur attention et leur confiance. Merci à mon frère, Fan, qui a su réunir les conditions nécessaires afin que je trouve ma voie. Merci à mes enfants qui ont su être patients et qui m’ont accompagnée, à leur manière, dans ce mémoire. Merci à mes tantes, Lina et Chantal pour leurs judicieux conseils et leurs encouragements.

Aussi, un remerciement tout spécial à mon amoureux, Stéphane, pour sa confiance, sa patience, son soutien et son amour.

Enfin, merci à toutes les femmes qui se sont battues et qui se battent encore pour que nos filles et nos fils aient un avenir égalitaire, et ce, peu importe leur ambition.

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« N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes

soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. » Simone de Beauvoir

Introduction

« Tu veux prendre ta place ? Faire ton chemin ? Let’s go, vas-y! » Tel est le conseil que la ministre québécoise de la Condition féminine, Lise Thériault, a donné aux femmes à l’approche de la Journée internationale des femmes en 2016. Dans un entretien accordé à La Presse canadienne, elle a également affirmé être « plus égalitaire que féministe » et croire « à l’individu » qui décide de « prendre sa place » (Richer, 2016). C’est en cohérence avec ces idées, a-t-elle confié, qu’elle décidera des actions à prioriser au cours de son mandat. Les déclarations de la ministre Thériault n’ont pas manqué de faire réagir au moment de leur sortie et elles ont occupé une place prépondérante dans l’espace médiatique durant plusieurs journées. Parmi les réactions suscitées, de nombreuses femmes ont dénoncé le rejet de l’étiquette « féministe » par la ministre de la Condition féminine (Radio-Canada, 2016). Des groupes de femmes dont le groupe des Treize (Presse canadienne, 2016) qui rassemble notamment la Fédération des femmes du Québec (FFQ), les Femmes Autochtones du Québec et le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, des personnalités publiques connues pour leurs prises de position féministes telles qu’Aurélie Lanctôt (Gaudreau, 2016), Francine Pelletier (Pelletier, 2016) et Judith Lussier (Lussier, 2016), ainsi que des personnalités politiques dont Manon Massé (Sioui, 2016), Agnès Maltais (Oti, 2016) et Alexa Conradi (Caillou, 2016) ont reproché à la ministre son manque de cohérence, de connaissance des enjeux féministes et de solidarité à l’égard des femmes en général.

Une partie de la controverse soulevée vient du fait qu’il est sous-entendu qu’une ministre de la Condition féminine adhère aux principes féministes, dont ceux d’égalité et de solidarité. En effet, bien qu’il existe une pluralité de féminismes, il y a de grands principes fondateurs qui reposent d’abord sur

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une prise de conscience des inégalités structurelles entre les hommes et les femmes (Fougeyrollas-Schwebel, Lépinard et Varikas, 2005). Les féministes visent l’égalité et soutiennent que les femmes doivent avoir les mêmes chances et jouir des mêmes droits que les hommes. De plus, la plupart des mouvements féministes militent en faveur d’une plus grande justice sociale et d’une solidarité à l’échelle nationale et internationale. Ils cherchent à obtenir des gains au nom de toutes les femmes par la transformation d’un ordre social inégalitaire : « Il s’agit bien d’un combat en faveur des femmes, il n’est […] pas question d’une ‘guerre des sexes’, d’une mobilisation ‘contre les hommes’, mais bien de changements dans l’organisation des rapports sociaux de sexe finalement profitable à tous » (Vans Enis, 2012 : 19) et à toutes. L’enjeu est donc politique et l’ennemi principal, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Christine Delphy (1998), est « le patriarcat : à savoir un système autonome d’exploitation et de domination » (19) des femmes par les hommes. Ainsi, les féministes dites matérialistes ou de la deuxième vague ont démontré que les inégalités sont d’ordre structurel et que le sexisme est inhérent aux systèmes sociaux en place.

Les déclarations controversées de la ministre Thériault ont donc servi de point de départ à cette recherche. Comment expliquer les propos d’une ministre de la Condition féminine qui fait porter le poids des réussites et des échecs sur les femmes elles-mêmes tout en ignorant les inégalités et les obstacles structurels qu’elles peuvent rencontrer ? En refusant de reconnaitre l’aspect systémique du sexisme et des inégalités de genre, pourtant abondamment documenté, les propos de la ministre détonnent avec l’esprit dans lequel le ministère de la Condition féminine a été créé au départ, afin « d’accélérer ce[s] grande[s] et profonde[s] métamorphose[s] de la société » (Secrétariat à la Condition féminine, 1985 : 2) que sont l’égalité et l’indépendance des femmes. Cette citation de René Lévesque fait suite au rapport déposé par le Conseil du statut de la femme (CSF) en 1978, documentant l’aspect structurel des inégalités de genre et recommandant la création d’un ministère de la Condition féminine. Près de quarante ans plus tard, force est de constater que la ministre ne semble pas adhérer à cette vision et met plutôt l’accent sur la responsabilité individuelle comme facteur de changement.

J’avance que ce changement de ton dans le discours étatique à l’égard de la Condition féminine doit se comprendre en regard des transformations dans la rationalité gouvernementale qui accompagne le passage d’un État-providence à un État néolibéral. M’appuyant sur le travail de Nancy Fraser (2012) qui montre les liens entre le féminisme et les phases du capitalisme (le capitalisme d’État et le

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néolibéralisme), j’explorerai dans ce mémoire les changements du féminisme d’État incarné par le ministère de la Condition féminine en regard de la rationalité gouvernementale prédominante à différentes époques au Québec.

Dans le premier chapitre, je dresserai un portrait sociohistorique du ministère de la Condition féminine, de sa création à aujourd’hui, en tant qu’organe représentant le féminisme d’État. Cette vue d’ensemble permettra également de contextualiser l’évolution de ce ministère en regard de la transformation de rationalité gouvernementale qui s’est opérée au Québec dans les dernières décennies. En prenant notamment appui sur l’analyse de Fraser (2012), j’énoncerai ensuite ma proposition de recherche qui établit un lien entre le passage de l’État-providence vers l’État néolibéral et le changement de perspectives de l’État québécois en matière de Condition féminine. Puis j’aborderai, dans le deuxième chapitre, le cadre conceptuel qui me servira à explorer ce lien, soit le néolibéralisme et plus précisément, les dimensions de la responsabilité individuelle et l’entrepreneuriat de soi. Dans le troisième chapitre, je discuterai de la méthodologie employée et je montrerai comment l’analyse de discours me permettra d’identifier les manifestations de la rationalité néolibérale dans l’ensemble des plans d’actions gouvernementaux traitant de l’égalité entre les femmes et les hommes produits par le ministère associé à la Condition féminine. Aussi, je ferai ressortir la pertinence du corpus d’analyse en question et je détaillerai les documents qui le composent.

Dans le quatrième chapitre, je présenterai les résultats de l’analyse de discours. Ceux-ci témoignent de plusieurs transformations dans le traitement par l’État des enjeux reliés à la condition féminine. Il y a d’abord la nature changeante des réalisations soulignées dans les différents plans d’action gouvernementaux ainsi que la prise en considération variable de l’avis des groupes de femmes dans l’élaboration de ces plans d’action. L’analyse montre également que le partenariat entre les femmes et l’État n’est plus le même aujourd’hui que dans les débuts du ministère de la Condition féminine. De plus, l’analyse met en lumière le changement de vocabulaire utilisé pour définir l’égalité entre les femmes et les hommes. En dernier lieu, elle montre comment les plans d’action gouvernementaux en sont venus à ne plus traiter exclusivement de condition féminine et à s’ouvrir progressivement aux hommes. Dans la conclusion, je reviendrai brièvement sur les changements concernant le féminisme d’État dans le contexte québécois des dernières décennies en plus de rappeler les principaux résultats

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de mon analyse de discours. Enfin, je terminerai par une réflexion sur la situation actuelle du féminisme en tant que mouvement social qui prend son essor, semble-t-il, indépendamment de l’État.

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Chapitre 1 : Mise en contexte

Dans ce mémoire, j’aborderai le ministère de la Condition féminine comme la principale forme que prend le féminisme d’État au Québec. Le féminisme d’État fait référence aux « activités des structures gouvernementales qui sont officiellement chargées de faire progresser le statut et les droits des femmes » (Mc Bride Stetson et Mazur, 1995 : 15). Il s’agit donc des instances gouvernementales consacrées aux femmes. Au Québec, l’instance gouvernementale qui est responsable de promouvoir les intérêts des femmes à travers, entre autres, des politiques publiques et sociales, est le ministère de la Condition féminine. Celui-ci est donc investi de ce mandat spécifique contrairement aux autres acteurs politiques à l’intérieur ou à l’extérieur du gouvernement qui peuvent, tout de même, œuvrer pour améliorer la condition des femmes. C’est pourquoi la présente mise en contexte se concentrera particulièrement sur ce ministère. À travers un bref portrait historique de la création du ministère de la Condition féminine, ses mutations au fil du temps et des gouvernements successifs, je souhaite mieux asseoir ma proposition de recherche qui porte sur les transformations du féminisme d’État au regard des différentes rationalités gouvernementales et qui s’appuie notamment sur les travaux de Nancy Fraser (2012).

Le ministère de la Condition féminine a été créé par le Parti québécois qui a été porté au pouvoir pour la première fois en 1976. À l’intérieur de son premier mandat, ce parti qui se qualifie de social-démocrate (Jones, 1981 : 12) instaure différents programmes sociaux dont plusieurs visent à améliorer la condition des femmes. Il met en place la loi relative au salaire minimum, institutionnalise les congés de maternité, crée un réseau de garderies subventionnées et reconnaît l’égalité juridique des conjoints au sein du mariage avec la loi 89 : « Aucun parti au Québec n’a[vait] mis autant l’accent sur le rôle interventionniste de l’État » (Jones, 1981 : 12). Le gouvernement du Parti québécois de l’époque croyait, en effet, que l’État était responsable du bien-être collectif. Je reviendrai, plus loin dans ce mémoire, sur cette croyance typique de l’État-providence (Esping-Andersen, 2007 : 31).

C’est dans ce contexte, qu’en 1979, le premier ministre René Lévesque propose à Lise Payette de s’occuper de la Condition féminine à temps plein à titre de ministre d’État. Or, celle-ci veut s’assurer que l’appellation « ministre d’État » vienne avec un pouvoir véritable. Elle raconte, dans son autobiographie, avoir négocié avec M. Lévesque pour faire siéger son ministère au Comité des priorités

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et elle estime que cette participation a été « un gain incroyable pour les femmes en général » (Payette, 2014 : 561). Son premier mandat à titre de ministre d’État à la Condition féminine est de « s’assurer, par voie de concertation, de la cohérence des initiatives du gouvernement dans le domaine de la Condition féminine, d’élaborer en collaboration avec les ministères concernés, les grandes orientations du gouvernement en Condition féminine et de s’assurer de leur mise en œuvre » (Secrétariat à la condition féminine, 1985 : 2). Ainsi, la féministe Lise Payette a su profiter de l’ouverture du Parti québécois envers la condition féminine pour renforcer « l’ancrage gouvernemental de la cause des femmes à travers la mise en place d’une fonction ministérielle, corollaire d’un engagement du chef du gouvernement en faveur d’une politique d’ensemble en matière de condition féminine » (Revillard, 2007 : 150)1.

En 1981, Pauline Marois est nommée ministre d’État à la Condition féminine par le gouvernement de René Lévesque (voir Annexe I pour la liste des ministres). Un an plus tard, elle est rétrogradée alors qu’on lui donne le titre de ministre déléguée à la Condition féminine. Sa fonction ne fait désormais plus partie du cercle restreint du Comité des priorités, et cela malgré les vives protestations des groupes de femmes (Marois citée dans Revillard, 2007 : 141). Néanmoins, au cours de sa carrière politique, madame Marois, qui s’identifie comme féministe, a initié des mesures sociales favorables aux femmes comme la création du réseau des Centres de la petite enfance à 5$ par jour et l’obligation d’une maternelle à temps plein pour les enfants de 4 ans venant de milieux défavorisés (Association québécoise des CPE, 2013 : 4). Par ailleurs, le début des années 1980 est marqué par une crise économique mondiale « qui met un frein aux visées expansionnistes de l’État providence au Québec. Cette crise impose un douloureux examen de conscience quant au rôle que l’État devrait jouer dans le développement économique » (Durocher et al., 1989 : 647). L’idéal social-démocrate, qui prône un État fort et capable d’assurer une large protection sociale, est donc fortement remis en question à partir de cette période.

La fonction associée à la Condition féminine perdure néanmoins avec l’alternance des gouvernements, bien qu’elle ne cesse de perdre de l’importance. Lors de la réélection du Parti québécois en 1994, la

1Cette fonction a été reconduite depuis lors par les gouvernements successifs qui y ont toutefois apporté certaines

modifications comme je le montrerai plus loin. La mise sur pied du Secrétariat à la condition féminine en 1979, qui soutient le travail de la ministre, a sans doute aidé à cette pérennisation (Revillard, 2007 : 139).

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Condition féminine devient une « responsabilité » ajoutée à la fonction ministérielle initiale. C’est ainsi que Jeanne Blackburn, en 1994, est responsable de la Condition féminine en plus d’assumer le poste de ministre de la Sécurité du revenu. En 1996, Louise Harel devient responsable de la Condition féminine en tant que ministre de l’Emploi et de la Solidarité. La responsabilité incombe ensuite à la libérale Linda Goupil qui est ministre de la Justice (1998 à 2001) puis ministre d’État à la Famille et à l’Enfance (2001 à 2003). Son mandat, à titre de responsable de la Condition féminine se lit ainsi :

Tous les ministères et les organismes du gouvernement du Québec partagent la responsabilité d’agir en faveur de l’égalité des femmes et des hommes. C’est la ministre responsable de la Condition féminine qui, au nom du gouvernement, assume la cohérence des orientations et la coordination des interventions en cette matière. Elle veille également à ce que les lois, les règlements, les politiques et les programmes proposés par ses collègues prennent en compte les réalités, les aspirations et les intérêts différents des hommes et de femmes du Québec (Secrétariat à la condition féminine, 1998 : 6)2.

1.1 Le changement de cap des années 1990

Le gouvernement du Parti québécois de Lucien Bouchard (1996 à 2001) est l’un des premiers à être explicitement dénoncé pour sa politique néolibérale qui mise sur « l’élimination du déficit budgétaire de l’État » (Côté, 1998 : 183), et ce, malgré l’implantation de certains programmes sociaux favorables aux femmes tels le programme des centres de la petite enfance et La loi sur l’équité salariale durant son mandat. Plusieurs analystes, dont l’économiste Ianik Marcil (2017), ciblent le gouvernement Bouchard et son Sommet socioéconomique de 1996 comme des éléments-clés qui ont favorisé l’implantation d’une politique néolibérale au Québec :

[Le] Sommet socio-économique de 1996 [du] gouvernement Bouchard est considéré par de nombreux analystes politiques comme un moment charnière dans la mise en place du modèle néolibéral au Québec, alors qu’il était déjà enclenché ailleurs dans le monde occidental. Il a ouvert la voie à une restructuration profonde de l’administration publique québécoise et ses conséquences sur les services publics et les programmes sociaux mis en place depuis les années 1960 ont été importantes (Raymond, 2003 : 11).

Par ailleurs, l’année 2000 est marquée par une importante mobilisation féministe qui se prépare au sein de la société civile. Il s’agit de la Marche mondiale des femmes (MMF) qui s’organise au Québec sous le thème de la pauvreté et de la violence. À cette occasion, dix-sept revendications mondiales

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sont portées à l’attention des décideurs politiques. Pour leur part, les groupes de femmes3 québécois

en ont proposé vingt sur les thèmes de « l’accès à l’emploi, la citoyenneté et les droits fondamentaux, les conditions de travail, l’éducation, la lutte contre la violence et la pauvreté, le logement, l’orientation sexuelle, la santé, etc. » (Simard, 2008 : 20). Bien que les militantes s’avèrent déçues du peu de résultats concrets suite à leurs revendications, « elles ont une conscience claire de l’insertion de leur mouvement (et de la lutte des femmes) dans un mouvement mondial de résistance au néolibéralisme » (Dufour, 2008 : 66).

En 2003, le Parti libéral est porté au pouvoir et la Condition féminine n’échoit à aucune ministre. Toutefois, Michelle Courchesne, alors ministre des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, est nommée responsable du Secrétariat à la condition féminine (SCF). Plusieurs groupes de femmes s’insurgent de la perte de la Condition féminine et exigent la nomination d’une ministre de la Condition féminine qui soit féministe. Ces groupes dénoncent aussi la « réingénierie » de l’État mise en place par le gouvernement de Jean Charest qui fait en sorte que l’État réduit ses responsabilités et ses structures, ce qui nuit à l’atteinte de l’égalité. C’est « sous prétexte d’efficience, [que] la gouvernance québécoise penche vers une plus grande intégration des forces autorégulatrices du marché et des libertés individuelles […] au détriment des enjeux collectifs de soutien au développement économique, de solidarité et de redistribution de la richesse portés par le rôle de l’État dans la société » (Fortier, 2010 : 807).

En réponse aux multiples contestations des groupes de femmes, le gouvernement Charest reconduit le poste de ministre de la Condition féminine en 2005 et par la suite, différentes élues reprennent, en plus de leur assignation ministérielle principale, le flambeau de la Condition féminine. C’est ainsi qu’en 2016, Lise Thériault devient ministre responsable de la Condition féminine et ministre responsable des Petites et Moyennes Entreprises, de l’Allègement réglementaire et du Développement économique régional sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard. Les mandats de ce gouvernement sont nombreux. Pourtant, au sein du rapport annuel de ce dernier, on ne trouve aucune mention du mandat associé à la Condition féminine (Gouvernement du Québec, 2016 : 12). Ce gouvernement, qui ne prend pas la peine de nommer ses attentes à l’égard de la condition féminine, s’inscrit dans la même

3À l’instar de la proposition de Bereni (2012), je considèrerai l’ensemble des collectifs qui luttent principalement au nom

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lignée que ces prédécesseurs, soit la « réinvention » de l’État. En effet, avec ses politiques d’austérité, le premier ministre Couillard présente la gouvernance néolibérale comme ultime recours face à la crise des finances publiques auquel le Québec fait face (Robitaille, 2014).

Ce désinvestissement de l’État des questions sociales au nom de l’équilibre budgétaire traduit une certaine vision du monde qui exclut l’idée que l’État puisse s’avérer un allié important dans la lutte aux inégalités de genre de par sa portée d’intervention. C’est pourtant ce que croient et revendiquent bon nombre de syndicats, économistes et féministes. Pour ces dernières, encore une fois, les inégalités de genre sont d’ordre structurel avant tout. Par exemple, la FFQ (2016) et le CSF (2014), les deux principaux organes politiques de regroupement de femmes, documentent l’existence de rapports d’oppression et de domination de genre dont la nature est structurelle. Aussi, plusieurs féministes rappellent que, à l’intérieur même de la dimension de genre, se reproduisent des inégalités de race, de classe, d’orientation sexuelle, d’ethnicité (Lamoureux, 2006 : 67). La Centrale des Syndicats du Québec (CSQ) (2014) va dans le même sens et lutte activement afin que les femmes puissent, collectivement et individuellement, jouir des mêmes privilèges que les hommes. La Fédération des Travailleurs et Travailleuses du Québec (2017) a, quant à elle, dénoncé l’inaction du gouvernement face aux discriminations systémiques à l’égard des femmes. Des économistes témoignent également des rapports de genre inégalitaires au niveau structurel. Par exemple, Marie-Pier Roberge (2017) arrive à la conclusion que les écarts salariaux qui persistent entre les hommes et les femmes sont le résultat de discriminations systémiques de genre et ne peuvent se réduire à de simples choix individuels. La chercheuse Eve-Lyne Couturier et le chercheur Simon Tremblay-Pépin (2015) ont démontré comment les politiques gouvernementales d’austérité affectent davantage les femmes de par leur secteur d’emploi (elles comptent pour 75% de la main d’œuvre dans le domaine de la santé, de l’éducation et des services sociaux) et de par leurs besoins spécifiques (ce sont elles qui bénéficient principalement de ces services). Ainsi, les femmes font principalement les frais des mesures économiques du gouvernement.

Cette brève mise en contexte historique de la création du ministère de la Condition féminine ainsi que des gouvernements qui se sont succédé au Québec met en lumière des transformations sur le plan de la conduite des affaires de l’État. En effet, ce ministère a été mis sur pied par le Parti québécois de René Lévesque (1976) grandement inspiré du modèle de l’État-providence (Bernard, 1995 : 116) et,

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en particulier sous le gouvernement de Lucien Bouchard (1996), un glissement s’est opéré vers un État inspiré par la rationalité néolibérale. J’explorerai ainsi, dans la suite de ce mémoire, les impacts de ce changement sur les actions et la conception de l’État en matière de condition féminine.

1.2 Proposition de recherche

Avant d’en arriver à la formulation de ma proposition de recherche, il importe de présenter les travaux de Nancy Fraser (2012) qui lui donne son assise théorique. Dans son ouvrage intitulé « Le féminisme en mouvements : Des années 1960 à l’ère néolibérale », Fraser examine l’évolution du féminisme en regard de l’histoire du capitalisme4. Elle théorise les liens entre les modes de gouvernance et de

rationalité politiques et les changements dans la vision du féminisme et de ses enjeux dans les dernières décennies. Plus précisément, elle montre comment les contestations, revendications et idéaux féministes se sont organisés et transformés dans leur rapport à l’État. Ce dernier fait également l’objet de mutations et c’est pourquoi Fraser situe son analyse du féminisme à trois différents moments. Le premier est le « capitalisme organisé par l’État » (282), caractérisé par l’État-providence et les revendications féministes de la deuxième vague, le deuxième est le « capitalisme néolibéral » (285) qui prend son essor avec le féminisme de la troisième vague et le troisième est le début « d’un déplacement du néolibéralisme vers une nouvelle forme d’organisation sociale » (282) où le féminisme est appelé à se transformer et à renouer avec sa radicalité. Aussi, Fraser énumère trois perspectives féministes qui présentent le concept de justice de genre, en termes de « redistribution, [de] reconnaissance [ou de] représentation » (285). Bien que les États-Unis soient le lieu de cette analyse socio-historique, celle-ci peut s’appliquer dans le contexte québécois, tel que le suggère Diane Lamoureux (2016). Cette dernière, à l’instar de Fraser, rapporte les changements du féminisme à l’égard des transformations politiques du Québec en trois périodes. La première est l’État-providence des années 1970. Destinataire principal des revendications féministes, l’État-providence québécois a mis sur pied des politiques publiques, changé des articles de loi et a élargi son filet social afin de favoriser l’autonomie des femmes (Lamoureux, 2016 : 227). Puis, vient la remise en cause néolibérale de l’État-providence qui correspond à la deuxième période à partir du milieu des années 1990. La

4 Bien que l’analyse de Fraser débute avec les années 1960 et le féminisme dit de la deuxième vague, il est à noter qu’une

première vague féministe a émergé au milieu du 19e siècle et elle est principalement associée aux luttes pour le droit de

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régulation sociale ne passe plus tant par l’État que par les individus considérés comme libres et égaux. Les inégalités entre les femmes et les hommes sont présentées non pas comme résultant d’obstacles structurels, mais plutôt comme un manque d’ambition personnelle (Lamoureux, 2016 : 231). Le féminisme perd ainsi un de ses alliés en l’État qui considère désormais qu’il n’y a pas de rapports sociaux inégaux à corriger, mais plutôt des différences individuelles à gérer. Dans une logique néolibérale, l’intervention de l’État vient brimer la liberté des individus sans compter que l’État se désengage des services et programmes sociaux. C’est pourquoi bon nombre de revendications féministes s’attèlent à défendre les acquis sociaux durement gagnés. Par exemple, le Québec a connu une hausse des tarifs des services de garde en 2014 touchant directement la condition socioéconomique des femmes (Posca, 2014). Finalement, la troisième période identifiée par Lamoureux rejoint aussi celle de Fraser en ce sens qu’elle est à venir. Pour Lamoureux, les revendications du féminisme contemporain doivent être pluriverselles et ce féminisme doit être radical, intersectionnel et solidaire. Et cette solidarité n’est possible que « si l’enjeu est le monde, c’est-à-dire en politisant les localisations sociales non pas pour mettre l’accent sur l’identité, l’appartenance ou la catégorisation sociale des personnes qui vivent des situations inacceptables, mais pour identifier et combattre les diverses figures de l’injustice » (Lamoureux, 2016 : 261).

Aussi, l’État-providence, incarné dans le Parti québécois à son élection de 1976, correspond au premier moment défini par Fraser (2012), celui du « capitalisme d’État » (285). Cela se traduit par l’État qui intervient et qui réglemente dans tous les domaines sociaux et économiques. D’autre part, au Québec et ailleurs en Occident, les années 1970 sont marquées par un mouvement féministe fort, appelé féminisme de la deuxième vague (Lamoureux, 1986). Ce mouvement qui lutte contre les inégalités de genre se construit dans son rapport à l’État dans le sens où il vise une transformation politique. Les féministes de la deuxième vague cherchent « moins à démanteler les institutions de l’État qu’à les transformer en organes qui favorise[nt] et exprime[nt] la justice de genre » (Fraser, 2012 : 292). Leurs revendications visent à renforcer la responsabilité de l’État envers la question des inégalités de genre. C’est d’ailleurs en réponse à ces mobilisations que René Lévesque a créé le ministère de la Condition féminine au sein de son gouvernement.

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L’élection du gouvernement de Lucien Bouchard en 1996 marque, quant à elle, l’avènement d’une rationalité néolibérale dans la gouvernance du Québec (Lamoureux, 2016). À la même époque, les revendications féministes s’organisent de plus en plus autour de l’identité et des libertés individuelles bien que différents courants existent, comme en témoignent les revendications de la MMF. Plusieurs critiques reprochent néanmoins à cette « troisième vague » de promouvoir un féminisme axé sur la réalisation personnelle de chaque femme au détriment des volets politiques et collectifs (Descarries, 2013 : 17). Fraser (2012) a identifié ce glissement dans les revendications féministes comme un symptôme du passage de l’État-providence à l’État néolibéral. Elle parle même d’une transformation du féminisme « en variante de la politique de l’identité » (296), en ce sens que c’est au nom de l’identité « femme » que la mobilisation s’organise et non plus au nom des intérêts de classe, par exemple. Aussi, l’injustice fondamentale qui est ressentie n’est plus tant l’oppression que la dépréciation culturelle des femmes (Fraser, 2004 : 152). Fraser démontre comment les notions d’empowerment, de liberté et de participation citoyenne, ardemment défendues par les féministes de la troisième vague, et qui sont au cœur de nouvelles luttes apparues à la fin du XXe siècle, coïncident avec le nouveau mode de gouvernance néolibérale dans laquelle le rôle l’État est réduit.

Fraser (2012) défend l’idée que, de façon inconsciente et inattendue, le féminisme a servi à justifier le passage de l’État-providence à l’État néolibéral. Par exemple, elle rappelle qu’une bonne part de la légitimité politique de l’État-providence est tirée de ses discours et de ses actes en faveur de « la cohésion sociale, de l’égalité sociale et de la solidarité entre classes » (286). Celles-ci sont atteintes grâce à une logique de redistribution. Seulement, les féministes élargissent le concept de justice à celui de genre, de race, de sexualité et les revendications pour la redistribution sont devenues peu à peu des revendications axées sur l’identité et la différence (296), ce qui est en phase avec l’émergence du néolibéralisme. Autre exemple, les féministes de la deuxième vague ont été critiques envers le sexisme de l’État-providence qui valorisait le travail salarié malgré l’importance sociale de l’ensemble des tâches non rémunérées de care. Celles-ci étant majoritairement effectuées par les femmes, il était convenu que le salaire du travailleur masculin constituait le revenu principal et que cela confirmait son autorité sur la famille. Cela a « eu pour effet de naturaliser les injustices de genre et de les soustraite au champ de la contestation politique » (287). C’est en se nourrissant des critiques faites à cette forme de capitalisme et sous prétexte d’atteindre une justice de genre que l’État néolibéral encourage la participation des femmes au marché du travail (298). Valorisant l’accumulation capitaliste comme façon

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d’améliorer ses conditions de vie et de se libérer de l’autorité d’un unique pourvoyeur (l’homme bien souvent), l’État néolibéral se pose comme moralement supérieur à l’État-providence en plus de détourner et d’instrumentaliser les critiques féministes faites à ce même État-providence.

La brève mise en contexte présentée à la section précédente permet de voir que le mode de gouvernance a changé tout comme l’idéologie politique dominante au Québec. Aussi, il semble que l’État se soit progressivement désinvesti de son rôle social à l’égard des revendications féministes. Or, il y a bien eu certaines mesures gouvernementales pour redresser les inégalités de genre. Par exemple, le gouvernement de Jean Charest en 2007 est devenu le premier (et le seul à ce jour) à nommer un Conseil des ministres paritaire, comme rapporte la Gazette des femmes (2007). Il a ajouté, au sein du Régime québécois d’assurance parentale, cinq semaines de prestations parentales exclusives aux pères. Aussi, ce même gouvernement a systématisé l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) dans la même année au sein des pratiques gouvernementales et l’a généralisée dans tout l’appareil de l’État afin de prévenir ou de réduire les inégalités de genre. C’est d’ailleurs ce même outil qui a permis aux chercheurs Couturier et Pépin-Tremblay (2015) de conclure que les mesures d’austérité des années 2008 à 2014, imposées par les derniers gouvernements, avaient davantage affecté les femmes que les hommes tandis que les mesures de relance ont été deux fois plus bénéfiques aux hommes qu’aux femmes. Lors de la médiatisation de l’étude, la ministre de la Condition féminine de l’époque, Stéphanie Vallée, a refusé d’étudier l’impact de ces mesures sur les femmes (Paré, 2015). Aussi, en plus de cette attaque envers les acquis des citoyennes, les responsabilités et le pouvoir du poste à la Condition féminine ont été grandement amoindris sous le gouvernement Couillard.

En 38 années d’existence du ministère, la défense de l’intérêt des Québécoises est passée de la féministe Lise Payette, ministre d’État à la Condition féminine sous un gouvernement social-démocrate, à l’« égalitariste » Lise Thériault, ministre responsable de la Condition féminine sous un gouvernement dont les politiques s’inscrivent dans la rationalité néolibérale. Les politiques néolibérales se sont toutefois implantées progressivement au sein de l’État québécois dès la fin des années 1990 avec le gouvernement Bouchard. L’analyse de Fraser (2012) peut servir à cet égard pour saisir comment les revendications et les enjeux féministes s’organisent et changent au regard des transformations du capitalisme. Par exemple, la justice de genre est interprétée dans une logique de

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redistribution et de représentation de la part de l’État-providence alors que sous la gouverne néolibérale, la justice de genre passe avant tout par la reconnaissance « de l’identité et de la différence » (296). Le rôle que l’État est amené à jouer change tout comme les revendications féministes. J’avance pour ma part que le passage de l’État-providence vers l’État néolibéral permet de comprendre le changement de perspective des ministères associés à la Condition féminine. Mon analyse explore ainsi les liens entre le féminisme d’État et la transformation dans la rationalité gouvernementale prédominante au Québec depuis la création du ministère de la Condition féminine en 1979 jusqu’en 2016, plus précisément, entre un État-providence, interventionniste, et sa façon d’aborder les inégalités entre les femmes et les hommes comme découlant d’un fait structurel, et un État néolibéral, non-interventionniste, et sa conception de la condition des femmes et des inégalités de genre dans une perspective individualisante.

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Chapitre 2 : Cadre conceptuel

Le « néolibéralisme » est au cœur du cadre conceptuel de ce mémoire. Dans ce chapitre, je définirai d’abord cette notion sur le plan théorique et j’aborderai succinctement les particularités de l’État néolibéral et du néolibéralisme comme forme de gouvernance. Ensuite, sur le plan opératoire, je définirai les concepts de responsabilité individuelle et d’entrepreneuriat de soi qui sont les deux dimensions du néolibéralisme qui guideront mon analyse.

2.1 Néolibéralisme

Tout d’abord, le néolibéralisme « peut se définir comme l’ensemble des discours, des pratiques, des dispositifs qui déterminent un nouveau mode de gouvernement des hommes selon le principe universel de la concurrence » (Dardot et Laval, 2009 : 6). Les tenants du néolibéralisme considèrent que l’État-providence, avec ses programmes sociaux et ses services, est devenu « lourd, couteux et inefficace » (Martin, 2015 : 5). Celui-ci coûte trop cher par rapport aux avantages qu’en retire la population et il entrave également la compétitivité économique. L’État doit donc réduire sa taille, changer sa façon d’intervenir auprès de la population et laisser la place aux entreprises privées. Ce qui ne veut pas forcément dire que l’État disparaît pour autant : « Non seulement l’État n’a pas disparu, non seulement il s’est mis plus que jamais au service des entreprises, mais il s’est même mué en un gouvernement de type entrepreneurial » (Dardot et Laval, 2009 : 12). Le postulat du néolibéralisme est que le modèle de gouvernance sera plus efficient et moins coûteux s’il s’en remet aux forces autorégulatrices du marché et aux libertés individuelles (Fortier, 2010 : 807). De ce fait, les relations qu’entretient l’État néolibéral avec sa population sont différentes de celles qui primaient au temps de l’État-providence. En effet, l’État néolibéral valorise la rationalité individuelle, soit la capacité calculatrice à faire des choix, et invite, par le fait même, les individus à se responsabiliser devant les « risques » sociaux que sont le chômage, la maladie, la perte d’emploi, etc. (Dardot et Laval, 2009 : 314). En d’autres mots, ces derniers doivent travailler à leur propre efficacité de manière à se comporter comme des « entrepreneurs de soi » (Rose, 1990) et à bien gérer ces risques sociaux. Aussi, les individus sont incités à investir dans leur « capital humain » par l’éducation, la santé, la recherche d’emploi, etc. Ainsi, le néolibéralisme, « avant d’être une idéologie ou une politique économique, est d’abord et

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fondamentalement une rationalité, et à ce titre, il tend à structurer et organiser, non seulement l’action des gouvernants, mais jusqu’à la conduite des gouvernés eux-mêmes » (italiques originales, Dardot et Laval, 2010 : 13).

Cette rationalité gouvernementale (ou « gouvernementalité » chez Foucault5) peut se décliner de

plusieurs façons. Wendy Brown (2007) identifie quatre caractéristiques principales de la rationalité néolibérale : la première, étant que « le politique, et avec lui toutes les autres dimensions de l’expérience contemporaine, est soumis à une rationalité économique » (51). Ainsi, l’ensemble des dimensions de la vie sont influencées par des considérations de rentabilité. Toutes les actions humaines ou institutionnelles font l’objet d’un calcul d’utilité et d’intérêt comme le ferait une personne à la tête d’une entreprise. La politique, la culture et la vie sociale sont également façonnées par cette rationalité marchande. La deuxième caractéristique est que « le néolibéralisme ne considère pas le marché et le comportement économique rationnel comme purement naturels. L’un et l’autre sont construits, ils sont façonnés par la loi et les institutions et exigent une intervention et une orchestration politiques » (Brown, 2007 : 52). Ainsi, le gouvernement soutient, protège l’économie et travaille pour faciliter la concurrence puisque « le marché est le principe d’organisation et de régulation de l’État et de la société » (Brown, 2007 : 52). L’État élabore donc ses politiques et ses priorités selon les besoins du marché. Les pratiques de l’État se doivent d’être rentables et sont soumises au calcul des coûts et des bénéfices. Brown soutient que l’économie est la base de l’action de l’État néolibéral qui tire sa légitimité de la croissance économique.

La troisième caractéristique de la rationalité politique néolibérale est la suivante : « l’extension de la rationalité économique à des domaines ou à des institutions jusque-là considérées comme non-économiques concerne aussi les conduites individuelles ; pour être plus précis, elle prescrit les comportements des sujets-citoyens adéquats à un système néolibéral » (Brown, 2007 : 54). L’État néolibéral produit et diffuse des normes sociales et il s’adresse aux individus de façon à ce qu’ils se conduisent comme des entrepreneurs d’eux-mêmes. Leur autonomie se calcule en fonction de la capacité qu’ils ont à s’occuper d’eux-mêmes, soit en répondant à leurs besoins ou en assouvissant

5 Foucault (1994) définit la gouvernementalité comme « l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses

et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique […] de pouvoir, qui a pour cible principale la population [. Il y a donc] non seulement une gestion de la population mais un contrôle des stratégies que les individus, dans leur liberté, peuvent avoir par rapport à eux-mêmes et les uns par rapport aux autres » (1604).

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leurs ambitions. Ainsi, ces individus calculateurs deviennent responsables d’eux-mêmes et de leurs choix et assument, par le fait même, l’entière responsabilité de leurs actes indépendamment des circonstances dans lesquelles sont faits ces choix. Les politiques sociales de l’État néolibéral telles que la lutte à la pauvreté par la pénalisation des personnes vivant d’aide sociale, participent également à construire ces individus « entrepreneurs », en ce sens que ces politiques sont présentées comme résultantes d’un mauvais calcul coûts-bénéfices de la part des individus qui ont recours à l’aide sociale. Cette gouvernementalité des conduites sociales participe à produire des citoyennes et des citoyens en sujets « libres » et responsables. Finalement, la quatrième caractéristique de la rationalité néolibérale selon Brown (2007) est que

la rationalité économique [qui] s’insinue dans l’État comme dans le sujet a pour effet de transformer et de rétrécir radicalement les critères de définition d’une bonne politique sociale[, car elle] doit non seulement répondre aux tests de rentabilité, inciter et désentraver la concurrence, et produire des sujets rationnels, mais elle obéit aussi au principe, propre au monde de l’entreprise, d’« égale inégalité pour tous», dans la mesure où elle multiplie et étend les formes de l’entreprise dans tout le corps social» (58).

En somme, l’État néolibéral met de l’avant une rationalité économique qui investit toutes les sphères de la vie sociale et politique jusqu’aux individus eux-mêmes qui sont invités à s’entreprendre et maximiser leur capital humain. Cela a pour conséquence de transformer la notion même de politique sociale. Ainsi, l’État est au service, à l’instar d’une entreprise, de l’économie. En d’autres mots, il se soumet à la rationalité du marché. Les actions de l’État tout comme celles des sujets-citoyens sont orientées de façon à répondre à des considérations de rentabilité. Pour ce faire, le discours néolibéral a recours aux arguments de responsabilité individuelle et d’entrepreneuriat de soi. Ce sont d’ailleurs ces concepts qui guideront mon analyse de discours et qui me permettront d’identifier cette rationalité et les transformations des discours de l’État à propos des politiques sociales sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

2.2 Responsabilité individuelle et entrepreneuriat de soi

Comme mentionné précédemment, la rationalité néolibérale est, avant tout, une rationalité gouvernementale au sens où elle tend à moduler la conduite des populations (Brown, 2007). D’un côté, les politiques néolibérales suppriment bon nombre de services publics et de prestations sociales et de l’autre côté, la rationalité gouvernementale tend à responsabiliser les individus sur ces enjeux sociaux.

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Ils deviennent responsables de leur sort et par conséquent, ils doivent travailler sans relâche pour mériter les conditions de leur existence : « le sujet du néolibéralisme est actif, individualisé et responsable de son propre destin […]. Il est non seulement libre d’adopter le style de vie qui lui convient, mais il est paradoxalement […] ‘obligé d’être libre’, c’est-à-dire obligé d’interpréter ses expériences passées et futures comme le résultat d’une série de choix personnels » (Vigneault, 2011 : 37). Les discours contemporains sur la santé, l’épargne-retraite, le chômage ou l’alimentation enjoignent constamment l’individu à se responsabiliser sur ces enjeux. Par exemple, dans sa thèse de doctorat, Karine Vigneault (2011) expose comment le discours sur l’alimentation au Québec participe à faire de la santé une « super-valeur » (39) et par le fait même, à encourager les sujets-citoyens à se responsabiliser dans la gestion de leur « capital santé ».

Plusieurs politiques étatiques cherchent également à responsabiliser le citoyen et la citoyenne. C’est entre autres le cas du récent projet de loi 70 proposé par le gouvernement libéral de Philippe Couillard que j’ai évoqué plus haut. Ce projet de loi incite les prestataires d’aide sociale à se prendre en main et à faire fructifier leur capital humain sans quoi, ils et elles s’exposent à des pénalités face auxquelles ils n’auront qu’à se blâmer eux-mêmes (Vigneault, 2016). Ce projet de loi oblige les nouvelles personnes, jugées aptes à l’emploi, qui demandent de l’aide sociale, à intégrer le marché du travail ou du moins à s’inscrire dans une démarche de recherche d’emploi sans quoi leurs chèques d’aide sociale seront coupés de moitié. Cela s’inscrit dans la logique néolibérale de « privatisation » de la conduite, où chaque individu est considéré comme faisant son propre destin.

Ces exemples démontrent que les discours de l’État néolibéral produisent des sujets-citoyens qui doivent se considérer comme détenteurs d’un « capital humain » qu’il importe de faire fructifier en se « prenant en main » : « la rationalité néolibérale produit le sujet dont elle a besoin en disposant les moyens de le gouverner afin qu’il se conduise réellement comme une entité en compétition qui doit maximiser ses résultats en s’exposant à des risques qu’elle doit affronter et en assumant la responsabilité entière d’éventuels échecs » (Dardot et Laval, 2010 : 409).

Le sujet néolibéral est donc responsable de son destin. Il doit se gouverner lui-même et optimiser son capital humain dans toutes les sphères de sa vie. Il devient, par le fait même un entrepreneur de soi. Bob Aubrey (2000) définit ce concept ainsi : « parler d’entreprise de soi, c’est traduire l’idée que chacun peut avoir prise sur sa vie : la conduire, la gérer, la maîtriser en fonction de ses désirs et de ses besoins

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en élaborant des stratégies adéquates » (11). En résumé, l’individu se gouverne lui-même, selon ses valeurs et ses ambitions, tout en étant entièrement responsable des résultats de ses choix dans une optique de rendement et de profitabilité.

À l’instar des déclarations de la ministre Thériault qui représentent le point de départ de cette recherche, bon nombre des discours sur la santé et les problèmes sociaux utilisent un vocabulaire qualifié de néolibéral pour amener les sujets-citoyens à se responsabiliser et à se prendre en main (Dardot et Laval, 2009 : 314). Ainsi, il est probable que les discours produits par l’État en ce qui concerne les inégalités entre les femmes et les hommes utilisent cette même technique de « conduite des conduites ». C’est donc par les deux dimensions typiques du néolibéralisme, soit la responsabilité

individuelle et l’entrepreneuriat de soi, que je tenterai de voir la transformation dans la rationalité

gouvernementale au Québec à l’œuvre dans les discours soumis à l’analyse. Plus précisément, je cherche à voir si les discours d’État en matière de condition féminine font porter aux femmes la responsabilité d’améliorer leurs conditions de vie et à quel point ils considèrent que les femmes ont une prise sur leur vie. Les inégalités de genre qui perdurent sont-elles posées comme le résultat d’un manque d’ambition ou de volonté personnelles, ou alors comme découlant d’une forme de discrimination structurelle? À quand remonte le recours au vocabulaire néolibéral dans les positions prises par l’État sur les enjeux de genre et quelle forme prend-il? Voilà le genre de questions qui ont guidé, concrètement, l’analyse de discours présentée dans ce mémoire.

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Chapitre 3 : Méthodologie

3.1 Analyse de discours

Afin de voir comment le passage de l’État-providence vers l’État néolibéral permet de comprendre le changement de perspective des ministères associés à la Condition féminine, j’ai privilégié la méthode d’analyse de discours. J’emprunte à Foucault sa conception du discours comme faisant partie d’« un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, philanthropiques; bref, du dit aussi bien que du non-dit » (cité dans Revel, 2002 : 25). Le discours chez Foucault possède « une fonction normative et réglée et met en œuvre des mécanismes d’organisation du réel à travers la production de savoirs, de stratégies et de pratiques » (Revel, 2002 : 22). Ainsi, mon analyse de discours ne se limite pas strictement au langage (la prise de parole d’une ministre de la Condition féminine, par exemple), mais elle inclut également les pratiques soutenues et engendrées par le discours en termes de rationalité néolibérale.

L’analyse de discours privilégiée dans ce mémoire se veut donc plus englobante et tient compte de la dimension socio-historique du discours. Selon le linguiste George-Elia Safarti (1997), le discours doit s’analyser comme un « ensemble des textes considérés en relation avec leurs conditions historiques (sociales, idéologiques) de production » (16). Ainsi, le discours est le produit d’une conjoncture idéologique donnée (Pêcheux et Fuchs, 1975) qu’il participe en retour à caractériser. Le courant discursivo-historique de la critical discourse analysis, théorisée par Ruth Wodak (2001), suppose également que le discours engendre des pratiques sociales tout en considérant qu’il est constitué par elles.

Les pratiques discursives ont donc des influences idéologiques majeures dans la mesure où les représentations des hommes, des femmes, des différents groupes ethniques, culturels et sociaux (minoritaires ou majoritaires) qui y sont véhiculées contribuent à produire et à reproduire les différentes relations de pouvoir et les différents positionnements sociaux entre ces groupes. Le discours est ainsi conceptualisé comme le lieu majeur des luttes de pouvoir sociales (Petitclerc, 2002 : 2).

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C’est en ce sens que le discours produit des effets de vérité à des moments et dans des contextes particuliers (Foucault, 1980). Le discours ne se contente pas de parler d’un réel qui lui préexiste, mais participe également à construire la représentation du réel (Adam, 2005; Bourdieu, 1982; Ducrot, 1998; Ghiglione,1998; Kerbrat-Orechioni, 1980).

Cette conceptualisation du discours me permettra de saisir les façons par lesquelles les transformations dans les programmes gouvernementaux relevant du ministère de la Condition féminine s’articulent avec l’avènement d’une rationalité néolibérale. Cela est d’autant plus pertinent que ces programmes gouvernementaux entrent dans la sous-catégorie du discours politique. Ce type de discours est défini ainsi : « discours d’influence produit dans un monde social, et dont le but est d’agir sur l’autre pour le faire agir, le faire penser, le faire croire, etc. » (Ghiglione, 1989 : 9). En plus d’être un discours d’influence, le discours politique participe également de l’idéologie politique prédominante au moment où il est produit (Le Bart, 2003 : 98). Et puisque « tout discours politique [est] idéologique, il prendra ses marques dans son contexte socioculturel historique » (Dorna et Georget, 2007 : 26). De ce fait, mon analyse cherchera à saisir les effets idéologiques et conjoncturels du discours politique documenté par mon corpus.

Les inégalités entre les femmes et les hommes étant un enjeu collectif, il est bon de s’inspirer de l’approche centrée sur les problèmes sociaux de la critical discourse analysis. Cette approche souligne

l’importance d’ancrer le phénomène étudié dans son contexte socio-historique afin de parvenir à une analyse de qualité. C’est pourquoi chacun des programmes gouvernementaux en matière de condition féminine, produits par les différents gouvernements, devra être compris dans son contexte socio-historique de production. C’est d’ailleurs uniquement de cette manière que les liens, entre les rationalités gouvernementales et les transformations dans la façon qu’a l’État de s’investir du statut des femmes, pourront être établis.

En somme, j’ai eu recours à la méthode de l’analyse critique du discours afin d’examiner les discours produits par l’État en matière de condition féminine et de cerner les transformations du féminisme d’État au regard du passage d’un État-providence à un État néolibéral. Plus spécifiquement, ce sont les différents programmes gouvernementaux en matière d’égalité entre les femmes et les hommes qui ont été soumis à l’analyse. Cette dernière s’intéresse non seulement au langage utilisé, mais aussi aux

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priorités données par le gouvernement, aux mesures mises en place, aux ressources mobilisées et aux intérêts qui guident les actions de l’État dans des contextes et des époques spécifiques.

Étant donné que l’analyse de discours se « fonde sur des éléments en partie intuitifs, […] chaque ensemble discursif va susciter les éléments de sa propre analyse [(par des critères d’analyse endogènes nés de la lecture du texte analysé) et] chaque problématique va engendrer les outils spécifiques de son exploration » (Coulomb-Gully, 2002 : 112). Telle une approche inductive, l’objectif est d’explorer un phénomène et d’y « introduire un pluralisme et un relativisme dans la définition des objets et des choses » (Groulx, 1997 : 58). Ainsi, c’est ma question de recherche qui a guidé le choix de mon corpus et la conception de ma grille d’analyse.

3.2 Corpus d’analyse

Le corpus d’analyse est composé des différents programmes d’action gouvernementaux en matière d’égalité6 entre les femmes et les hommes et est produit par ou pour l’État québécois depuis 1978.

Mon intérêt s’est tout d’abord porté sur les allocutions, publiques et en chambre, des différentes ministres de la Condition féminine depuis la création du ministère jusqu’à 2016. Cependant, j’ai vite constaté que les allocutions de Lise Thériault en matière de condition féminine étaient beaucoup plus rares que celles de Lise Payette, par exemple. La « raréfaction » (Foucault, 1971) est certes un élément de discours porteur de sens dans l’analyse, mais j’ai néanmoins préféré opter pour d’autres documents dans la constitution du corpus d’analyse.

Afin de bien cerner les changements de rationalité gouvernementale à travers les dernières décennies, j’ai décidé d’analyser les politiques gouvernementales pour l’égalité entre les femmes et les hommes,

aussi nommées « plan d’action gouvernemental » ou « programme d’action » selon les années. Aussi, selon les différents plans d’action, les termes « égalité entre les femmes et les hommes » et « en matière de condition féminine » sont utilisés à titre de synonyme. C’est pourquoi je ferai de même tout au long de ce mémoire. Ces programmes d’action sont présentés et émis par le gouvernement en

6 Tel que le rappelle Karine Foucault (2008), dans ces programmes d’action gouvernementaux, il est attendu que l’égalité

soit comprise à sens unique. Elle est « axée sur l’égalité des femmes par rapport aux hommes et non aussi sur l’égalité des hommes par rapport aux femmes » (184).

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collaboration avec la ministre associée à la Condition féminine. Ils indiquent les actions préconisées par l’ensemble de l’appareil d’État pour que les femmes et les hommes accèdent à l’égalité. Ces documents renseignent sur les conceptions de l’État quant aux causes des inégalités et aux moyens à prendre pour atteindre l’égalité entre les sexes. Aussi, l’analyse de ces programmes d’action gouvernementaux, en matière de condition féminine, présente une grande pertinence à l’égard de ma problématique puisque ce sont des programmes officiels qui évoquent les objectifs généraux, les priorités et les stratégies à adopter pour l’ensemble des ministères. De plus, ces plans d’action étant publics, ils sont facilement accessibles sur le site du SCF et dans les bibliothèques universitaires. Donc, ces plans d’action sont autant de traces des discours de l’État qui permettent d’examiner la présence ou non des changements dans la façon d’aborder le statut des femmes. En outre, les sept documents soumis à l’analyse et publiés entre 1978 et 2011 permettent de bien cerner ces changements et de les mettre en lien avec les transformations de la rationalité gouvernementale prédominante durant cette période.

3.2.1 Les principales exigences dans la constitution du corpus

Mon choix de corpus s’est fait en fonction des trois principaux critères propres aux recherches qui veulent rendre compte d’une transformation dans le temps: « l’exigence d’homogénéité […], l’exigence de diachronicité […] et l’exigence de contrastivité » (Dury et Picton, 2009 : 36). Premièrement, tous les documents soumis à l’analyse répondent à l’exigence d’homogénéité selon laquelle les textes qui composent le corpus « doivent concerner un seul et même projet et contenir des textes relevant d’un même genre textuel » (Condamines, Rebeyrolle et Soubeille, 2004 : 548). En effet, mon corpus est constitué de l’ensemble des plans d’action réalisés conjointement par le Secrétariat à la condition féminine et la ministre associée à la Condition féminine et ce, depuis la création du ministère en 1979. Ce sont des documents gouvernementaux, publics et de plusieurs pages qui indiquent les orientations prises par l’État pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Ces programmes d’action sont également endossés par l’ensemble de l’appareil gouvernemental puisqu’ils sollicitent l’intégralité des ministères. Aussi, le premier ministre fait une brève introduction dans la majorité de ces plans d’action. Ils sont donc tous relativement uniformes tant sur le plan des responsables de la

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rédaction que du genre textuel. Le programme Pour les Québécoises : égalité et indépendance fait figure d’exception puisqu’il a été produit par le Conseil du statut de la femme en 1978. Il faut toutefois mentionner que Lise Payette, nommée ministre d’État à la Condition féminine en 1979, a endossé ce programme et qu’elle s’est engagée à le mettre en œuvre. J’expliquerai plus en détails mon choix de retenir ce document au regard des deux prochains critères.

Deuxièmement, l’exigence de la diachronicité implique que « les textes qui composent le corpus d[oive]nt nécessairement s’échelonner dans le temps afin de rendre possible l’observation de continuités, de ruptures et/ou d’évolutions des connaissances » (Condamines, Rebeyrolle et Soubeille, 2004 : 548). De ce fait, les programmes d’action en matière d’égalité entre les femmes et les hommes retenus dans ce corpus s’échelonnent sur une période de 38 années, avec un intervalle d’une à sept années entre chaque publication, ce qui permet de voir l’évolution des tendances et des positions de l’État dans le temps. Aussi, cela fait en sorte que les programmes qui composent le corpus sont produits par différentes formations politiques (le Parti libéral et le Parti québécois), ce qui permet d’éviter les biais liés à la partisannerie dans l’analyse.

Voici la liste des programmes d’action gouvernementaux en matière de condition féminine qui composent mon corpus et qui répondent à l’exigence de diachronicité en couvrant la période de 1978 à 2016. Ces différents plans d’action seront détaillés à la section 3.2.2 :

- Pour les Québécoises : égalité et indépendance, Conseil du statut de la femme (1978) - Plan d’action gouvernemental en matière de condition féminine 1986-1987

- Politique en matière de condition féminine : Un avenir à partager… (1993-1996) - Programme d’action 1997-2000 : Pour toutes les Québécoises

- Programme d’action 2000-2003 : Égalité pour toutes les Québécoises

- Plan d’action 2007-2010 : Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait - Plan d’action 2010-2015 : Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait7

Troisièmement, l’exigence de contrastivité suppose que « l’une des façons d’observer l’évolution étant de se fonder sur des comparaisons, il est crucial de partitionner les textes du corpus en plusieurs

7 La date d’échéance de ce plan d’action a été reportée à 2016 par le premier ministre Couillard (Source : Secrétariat à la

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