• Aucun résultat trouvé

Du féminisme d’État à l’antiféminisme dans l’État

Chapitre 4 : Analyse

4.4 Du féminisme d’État à l’antiféminisme dans l’État

Bien que ma proposition de recherche et mon angle d’analyse concernaient le changement de perspective du ministère associé à la Condition féminine en lien avec le passage de l’État-providence vers l’État néolibéral, j’ai rapidement constaté une ouverture progressive aux hommes dans les enjeux d’égalité entre les sexes tels que définis dans et par les programmes d’action gouvernementaux. Cette ouverture peut être qualifiée d’intrusion de l’antiféminisme au sein de l’État (Dupuis-Déri, 2013). Puisque cette intrusion représente un changement notable au sein du féminisme d’État au Québec, phénomène central de ce mémoire, il m’est apparu important d’y consacrer une section du chapitre d’analyse. Ainsi, l’antiféminisme dans l’État, brièvement mentionné à la section 4.3, sera abordé plus explicitement au cours de cette partie.

Tout d’abord, il ne faut pas concevoir l’antiféminisme d’État comme le contraire du féminisme d’État, mais plutôt comme son adversaire. Comme le souligne Dupuis-Déri (2013) :

s’il est possible de définir l’antiféminisme en général comme tout geste (action ou discours) individuel ou collectif qui a pour effet de ralentir, d’arrêter ou de faire reculer le féminisme, qui est un mouvement vers l’égalité et la liberté des femmes face aux hommes, l’antiféminisme d’État désignera alors les actions par les agents et les agences de l’État pour ralentir, arrêter ou faire reculer les mobilisations du mouvement féministe (dans l’État ou hors de l’État) (164).

Ainsi, un antiféminisme d’État s’est organisé comme contre-mouvement au féminisme d’État dans l’objectif de s’opposer aux acquis, aux actions, aux revendications et à l’existence même du mouvement féministe (Dupuis-Déri, 2013 : 166). Tel que le propose Dupuis-Déri, il est plus juste de parler d’antiféminisme dans l’État puisque, à l’inverse du féminisme d’État, il n’y a pas d’organe gouvernemental dont le mandat est d’être contre les femmes. De plus, cet antiféminisme peut prendre plusieurs formes. L’antiféminisme libéral, par exemple, propose « une conception individualiste et prétend que l’égalité entre les sexes est atteinte, et que les femmes comme les hommes jouissent de la même liberté face aux mêmes opportunités » (Dupuis-Déri, 2013 : 165).

54

Cela n’est pas étranger aux arguments issus de la rationalité néolibérale. En effet, comme définie dans le cadre conceptuel de ce mémoire, cette rationalité minimise l’existence de rapports sociaux et s’exprime plutôt en termes d’individualisation (Dardot et Laval, 2010 : 5). Aussi, rappelons que la section 4.1 faisait état de la diminution de l’influence et du pouvoir des groupes de femmes à mesure que l’idéologie néolibérale progressait au sein de l’État québécois. À cela s’ajoute le mythe de l’égalité- déjà-là et la croyance dans l’absence d’inégalités structurelles qui se trouvent confirmées par les succès de quelques femmes dans le monde de la politique ou des affaires, elles qui ont pourtant bénéficié des combats féministes passés (Delphy, 2004 ; Lamoureux, 2016 : 252). Pour Lamoureux (2008), c’est l’ensemble de ces conditions qui ont affaibli le féminisme d’État et qui a permis au mouvement masculiniste9 de s’organiser. En effet, comme le rapporte la sociologue Marie-Ève

Surprenant (2008), c’est vers la fin des années 1990 qu’un mouvement des droits des hommes a émergé et les tenants de ce mouvement se disent notamment « victimes des méfaits du ‘féminisme d’État’ » (231). Le discours masculiniste affirme que les féministes auraient maintenant un pouvoir excessif tandis que les hommes blancs hétérosexuels feraient désormais partie d’un groupe défavorisé de la société québécoise. Généralement, trois arguments sont invoqués à ce propos :

le lobby féministe, le financement étatique des groupes de femmes et l’existence du Conseil du statut de la femme. Coïncidence ou non, ces trois éléments sont aussi dans la mire des gouvernements (néo)libéraux qui se succèdent depuis plusieurs années […] à Québec. Car la remise en cause de l’État providence et la volonté de le ramener à ses fonctions essentielles […] ne concernent pas uniquement son intervention dans les rapports sociaux de classe, mais également celle qu’il a développée, sous l’impact des mouvements féministes, dans les rapports sociaux de sexe (Lamoureux, 2008 : 68).

Le discours masculiniste revendique une condition masculine à l’instar des femmes qui bénéficient d’un ministère de la Condition féminine au sein de l’appareil gouvernemental. Pourtant, contrairement aux femmes, les hommes ne sont pas discriminés en tant qu’hommes, c’est-à-dire sur la base de leur sexe/genre, mais ils peuvent toutefois être discriminés sur la base de leur classe sociale, ou encore, de leur appartenance ethnique (Blais et Dupuis-Déri, 2008 : 15).

9 Le masculinisme est l’une des formes que prend l’antiféminisme. Pour Dupuis-Déri (2009), le masculinisme est un

« mouvement social conservateur ou réactionnaire qui prétend que les hommes souffrent d’une crise identitaire parce que les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions » (97).

55

Toutefois, seulement deux documents du corpus affirment clairement que les femmes sont victimes de discrimination systémique basée sur le genre. En effet, le premier document étudié dans mon corpus, soit le rapport Pour les Québécoises : égalité et indépendance de 1978, ne fait pas seulement état, contrairement aux autres, des inégalités entre les hommes et les femmes, mais dénonce bien l’existence d’un système d’oppression envers ces dernières. C’est également le cas du plan d’action de 2007 Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait. Néanmoins, ce plan d’action adhère tout de même à certains principes antiféministes. En effet, l’Intersyndicale des femmes, regroupant des représentantes de la condition des femmes de six organisations syndicales10, a dénoncé

l’antiféminisme inhérent au plan d’action gouvernemental de 2007 :

En banalisant certaines problématiques au lieu de les dénoncer, en favorisant la symétrisation, en faisant des choix socio‐économiques qui nuisent à l’atteinte de l’égalité, en appliquant de façon fragmentaire certaines mesures de son plan d’action, dont en premier lieu l’analyse différenciée selon les sexes, le gouvernement adhère au mythe de ‘l’égalité‐déjà‐là’ et participe davantage à véhiculer ‘l’antiféminisme ordinaire’ qu’à le contrer (2011 : 5)11.

Cette organisation estime que la vision néolibérale du gouvernement fait en sorte que ses politiques exacerbent les inégalités sociales, sachant pertinemment que la pauvreté touche davantage les femmes. De plus, la rationalité néolibérale suppose la diminution du rôle et de la taille de l’État et entraîne de ce fait une réduction du nombre d’emplois dans la fonction publique, emplois occupés majoritairement par des femmes. Ainsi, alors que le plan d’action gouvernemental de 2007 se targue d’« agir sur tous les fronts afin de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes [ces] incohérences gouvernementales nous [en] éloignent » (Intersyndicale des femmes, 2011 : 6). C’est donc en suivant une progression chronologique que l’antiféminisme dans l’État s’est immiscé dans les plans d’action gouvernementaux en matière de condition féminine. Alors que le programme d’action présenté par le CSF en 1978 démontre sans l’ombre d’un doute que les inégalités entre les femmes et les hommes sont un fait social et structurel, le programme d’action gouvernemental de 1997

Un avenir à partager laisse planer l’incertitude. À l’instar des perspectives masculinistes qui reposent

10Ces organisations sont : l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, la Centrale

des syndicats démocratiques, la CSQ, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, le Syndicat de la fonction publique du Québec et le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec.

11L’« antiféminisme ordinaire [laisse] croire que les femmes, comme les hommes, ont davantage perdu qu’elles n’ont gagné

à travers les luttes féministes ou que le coût des nouveaux rapports sociaux est plus élevé que les gains » (Descarries, 2005 : 141).

56

sur « l’idée d’une nature ou d’une essence masculine profonde » (Bastien Charlebois, 2008 : 127), ce programme n’écarte pas l’idée que la différenciation entre les femmes et les hommes (autre que celle biologique) puisse être innée : « À la division biologique première entre femmes et hommes se sont greffées d’autres formes de différenciations dont l’origine, innée ou acquise, demeure controversée (1997 : 17). Ce programme d’action ainsi que celui de 2000 insistent tous deux sur le fait que l’ADS est « aussi profitable aux hommes qu’aux femmes » (2000 : 13) et adhèrent ainsi à une vision de l’égalité plus englobante et moins axée sur la correction des inégalités historiques subies par les femmes. De plus, le plan d’action de 2000 Un avenir à partager… montre son ouverture aux hommes en leur enjoignant, dès les premières pages, d’agir « en complicité » (v) avec les femmes pour bâtir une société égalitaire et les remercie pour leurs « initiatives » (vii) favorisant l’égalité entre les femmes et les hommes. L’idée de nature et de naturalisation de la distinction sexuelle revient également dans ce plan d’action : « Les femmes et les hommes sont de nature différente, mais de valeur égale » (139). Le plan d’action de 2007 manifeste quant à lui son ouverture face aux « problématiques »12 des

hommes. Il aborde, entre autres, les stéréotypes qui limitent l’implication des hommes en tant que pères (37); leur manque de connaissance en matière de sexualité (39); la publicité qui les enferme dans des rôles restreints (40); la quasi-absence des hommes dans certaines professions et donc le manque de modèles pour les garçons (45) et le décrochage scolaire plus élevé chez les garçons (46). Ces deux derniers exemples sont d’ailleurs des arguments récurrents de la rhétorique masculiniste (Dupuis-Déri, 2009 : 109). De plus, ce plan d’action rappelle, à plusieurs reprises, l’importance que les femmes et les hommes profitent « également » (2011 : 11) des changements en matière d’égalité entre les sexes. C’est probablement pourquoi il est indiqué, par exemple, que la Loi en matière de pauvreté est aussi bénéfique aux hommes (55) tout comme les programmes d’intervention en matière de violence (71). Il y a donc une volonté étatique d’inclure les hommes et leurs « problématiques » dans des plans d’action pourtant consacrés à la condition féminine. Cela n’est pas étranger au discours antiféministe qui traite sur un même pied d’égalité les inégalités entre les hommes et les femmes en donnant un caractère systémique aux problèmes des hommes (Descarries, 2005 : 144).

12 Encore une fois, il est à noter que ces « problématiques » masculines ne sont pas la conséquence d’une discrimination

en fonction du sexe. Elles sont plutôt le fait de l’appartenance à un groupe social opprimé (comme les minorités ethniques, religieuses, sexuelles, etc.) ou de stéréotypes sexuels, donc de préjugés. Ce faisant, les problématiques masculines n’ont pas la même teneur ni les mêmes conséquences que les problématiques féminines, rapporte Surprenant (2015 : 86).

57

Par ailleurs, j’identifie une autre manifestation de l’antiféminisme dans l’État au sein du programme d’action de 2007 et qui se retrouve également dans le plan d’action suivant, soit celui de 2011. Il s’agit de l’ajout de « l’approche sociétale » comme nouvel angle d’approche gouvernementale. Cette approche, aux dires du CSF, « favorise l’intégration des hommes et des problématiques dites ‘masculines’, dans le but de faire de l’égalité un objectif socialement partagé et, par le fait même, de lutter contre les entraves à l’égalité des sexes » (cité dans Foucault, 2008 : 180). De plus, le CSF considère que l’État doit mobiliser la population toute entière pour changer les mentalités puisqu’il ne peut y arriver seul. Il est important, rappelle le CSF, que les femmes considèrent les « hommes comme [leurs] alliés » (Harvey, 2018). Encore une fois, les plans d’action gouvernementaux spécifiquement dédiés aux femmes s’ouvrent maintenant aux hommes.

À ce sujet, une des principales critiques a été formulée par le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ). Pour celui-ci, il importe de rappeler, « pour éviter toute méprise, que [les] difficultés [vécues par des hommes] ne résultent pas de discrimination et qu’elles ne sauraient être imputées aux progrès accomplis par les femmes » (SPGQ, 2005 : 8), tel que l’enjoint le discours masculiniste. Le SPGQ rappelle l’importance que la politique étatique en matière d’égalité affirme plus explicitement que les conditions de vie des femmes sont toujours plus précaires que celles des hommes. C’est pourquoi l’approche sociétale qui vise à s’adjoindre la collaboration des hommes ne peut « s’appliquer que dans certaines conditions et à certains domaines où hommes et femmes ont des intérêts communs » (2005 : 11). Les deux autres approches d’intervention choisies par le gouvernement, soit les approches spécifique et transversale, doivent demeurer prioritaires. La politique en matière d’égalité, conclut le SPGQ, doit s’employer essentiellement à corriger ou à prévenir les discriminations systémiques dont sont victimes les femmes.

Pour la sociologue Karine Foucault (2008), l’approche sociétale peut sembler louable à première vue, mais dans le contexte de la « réingénierie » de l’État et de la montée du masculinisme, elle comporte plusieurs limites (181). L’une d’elles est l’absence de résultats concrets par manque de ressources financières et humaines. Par ailleurs, Foucault se demande si nous n’assistons pas à un détournement de l’égalité au profit d’une condition masculine et si, par le fait même, l’État n’est pas en train de justifier un changement d’orientation au sein du CSF. En effet, en 2004, la ministre Michelle Courchesne, alors responsable du Secrétariat à la condition féminine, a confié au CSF le « mandat de définir un concept

58

de l’égalité le plus large possible duquel il devrait s’inspirer pour proposer les orientations et les axes d’intervention d’une politique gouvernementale » (Harvey, 2005). Le CSF a même suggéré l’idée de consacrer des ressources pour les groupes d’hommes qui se spécialisent par rapport à l’identité masculine. Dans un contexte de désengagement de l’État, plusieurs ont vu dans cet exercice la fin du CSF (Sauvé, 2005), sans compter les nombreuses rumeurs entourant la fin du Secrétariat à la condition féminine pour faire place à un Conseil de l’égalité (Harvey, 2005). Cette proposition de refonte a d’ailleurs reçu l’appui du gouvernement Charest mais, en décembre 2005, elle a été retirée suite à une forte mobilisation de la part des groupes de femmes (Foucault, 2008 : 194). Néanmoins, Dupuis- Déri (2013) constate, dans son analyse, que les institutions étatiques qui défendent les intérêts des femmes en priorité peuvent tout à fait « intégrer l’idée qu’il faut inviter les hommes à œuvrer pour l’égalité. [De plus], cette situation ouvre la porte à des revendications par et pour les hommes, et à l’octroi de ressources qui devraient - en principe - être consacrées aux femmes » (173).

Pendant la rédaction de ce mémoire, la proposition d’élargir la définition de l’égalité a ressurgi. En effet, dans une entrevue donnée au Journal de Québec, l’actuelle présidente du CSF, Louise Cordeau, a évoqué la possibilité de changer le nom du Conseil du statut de la femme et peut-être même sa mission afin que les hommes se sentent « interpellés » et « ne se sentent pas mis de côté» étant donné que l’égalité est « presque acquise » (Navarro, 2017). À cela, la ministre de la Condition féminine, Lise Thériault, a répondu qu’elle n’était pas fermée à l’idée de modifier le nom de cette organisation et qu’il serait « pertinent d’y réfléchir » (Lamontagne, 2017). Pour l’autrice féministe Suzanne Zaccour, cela démontre que le mouvement masculiniste a réussi à populariser le mythe de l’égalité déjà atteinte et « même dépassée » et que l’égalité « serait mieux servie par la ‘ neutralité ‘ de l’égalitarisme que par un féminisme décomplexé » (Navarro, 2017).

À la lumière de mon analyse des programmes d’action gouvernementaux en matière de condition féminine, il appert que le féminisme d’État se soit transformé au cours des dernières décennies en lien avec la rationalité néolibérale, mais également face à l’essor des discours antiféministes dans l’État néolibéral. À l’instar de Blais, Dupuis-Déri et Lamoureux (2008), il me semble évident que ces deux courants idéologiques, soit le néolibéralisme et l’antiféminisme, se nourrissent mutuellement.

59

Conclusion

L’analyse proposée dans ce mémoire met en lumière les changements dans le discours de l’État québécois en matière de condition féminine de 1978 à 2016, au regard des transformations de la rationalité gouvernementale qui ont eu lieu durant la même période. De ce fait, l’analyse apporte des connaissances nouvelles, car bien que le féminisme d’État ainsi que la gouvernance néolibérale soient des phénomènes étudiés par les politicologues, sociologues, économistes et féministes, peu d’entre eux et elles ont travaillé sur les liens qui existent entre ces deux phénomènes, en particulier au Québec. Notamment, dans ses travaux sur l’antiféminisme dans l’État, Dupuis-Déri (2013) a effleuré ce lien sans en faire le cœur même de son travail. Aussi, la thèse de Revillard (2007) traite en profondeur du féminisme d’État au Québec, mais elle l’analyse en comparaison avec celui qui prévaut en France. Fraser (2012) et Lamoureux (2016) théorisent quant à elles les transformations de l’État et de sa rationalité gouvernementale en lien avec l’évolution du féminisme, mais elles s’intéressent au féminisme en tant que mouvement social plutôt qu’au féminisme d’État.

À la lumière des travaux de Fraser (2012), le bref historique du ministère de la Condition féminine que j’ai proposé au chapitre 1 permet de saisir comment le passage d’un État-providence à un État néolibéral va de pair avec des modifications au sein du féminisme d’État. Comme le suggère ma proposition de recherche, l’État-providence préconise une vision structurelle des inégalités entre les femmes et les hommes tandis que l’État néolibéral met de l’avant une vision individualisante voire responsabilisante des inégalités de genre. Les résultats de mon analyse des discours de l’État québécois en matière de condition féminine, présentés au chapitre 4, permettent également de constater cette transformation. En effet, le document Pour les Québécoises : égalité et indépendance de 1978 en appelle à un État fort, interventionniste et mobilisé pour la cause des femmes. Les inégalités de genre y sont dépeintes comme un fait de société et non de nature, comme un enjeu collectif et non individuel. Ainsi, ce document est caractéristique de l’État-providence qu’incarnait le Parti québécois de l’époque. L’analyse des plans d’action gouvernementaux suivants, soit de 1986 à 2011, montre un changement progressif dans la façon de se saisir des enjeux liés à la condition féminine. Au fil du temps, l’expertise des groupes de femmes est moins sollicitée par le gouvernement; les projets phares de l’État s’adressent moins aux femmes collectivement et cherchent plus à guider

60

leurs choix personnels; l’État voit dans l’égalité des sexes une façon d’améliorer son économie; l’égalité devient peu à peu une question de volonté et d’ambition personnelle et enfin, les plans d’action gouvernementaux ne traitent plus exclusivement de la condition féminine, mais s’ouvrent également à l’idée d’une « condition masculine ». Cette ouverture a débuté par des invitations de la part du gouvernement afin que les hommes s’engagent dans la réalisation de l’égalité entre les sexes et s’est poursuivie jusqu’à un intérêt marqué envers les « problématiques » des hommes, eux qui ne sont pourtant pas victimes de discrimination systémique en fonction de leur sexe/genre.

Encore une fois, j’ai eu recours à la méthode de l’analyse de discours afin d’examiner l’ensemble des programmes d’action gouvernementaux en matière de condition féminine produits depuis la création du ministère. Ne me restreignant pas au vocabulaire utilisé dans le corpus d’analyse, je me suis intéressée aux priorités données par le gouvernement, aux mesures mises en place, aux ressources mobilisées et aux intérêts qui guident ses actions. De cette façon, j’ai pu avoir accès au « dit aussi bien qu’au non-dit » (Foucault cité dans Revel, 2002 : 25). Par ailleurs, bien qu’il provienne tout de même d’un organisme gouvernemental, soit le CSF, le premier document du corpus Pour les Québécoises :

égalité et indépendance n’est pas directement issu du ministère de la Condition féminine. Aussi, il se

peut que l’évolution du féminisme au sein du CSF soit différente de celle du ministère de la Condition féminine et cela peut éventuellement poser une limite aux résultats de mon analyse. Cependant, l’allocution de la ministre d’État à la Condition féminine, Lise Payette, en mars 1980, ne laisse croire à aucun moment que les recommandations ou les données fournies par le CSF dans son document Pour

les Québécoises : égalité et indépendance ne sont pas totalement endossées par l’État. Au contraire,

madame Payette, dans son allocution de 20 minutes, fait un bilan positif de l’accueil qu’a reçu le document du CSF et de l’implication de chaque ministère dans la réalisation de ses recommandations.