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La motilité des bactéries flagellées en milieu anisotrope

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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La motilité des bactéries flagellées en milieu anisotrope

Thèse

Ismael Duchesne

Doctorat en biophotonique

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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La motilité des bactéries flagellées en milieu

anisotrope

Thèse

Ismaël Duchesne

Sous la direction de:

Simon Rainville, directeur de recherche Tigran Galstian, codirecteur de recherche Armen Saghatelyan, codirecteur de recherche

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Résumé

Le rôle des bactéries est primordial partout dans la nature. Pensons seulement aux impacts qu’elles ont sur la santé humaine. Pour être en mesure de jouer leur rôle dans l’environne-ment, plusieurs bactéries ont besoin de se déplacer vers des sites spécifiques. Le moyen de locomotion le plus commun est le moteur flagellaire. Pour se propulser, les bactéries flagel-laires possèdent un (ou des) moteur rotatif ancré dans leur membrane. Ce moteur transmet sa rotation à un long filament en forme d’hélice se trouvant à l’extérieur de la bactérie via un joint universel se nommant le crochet. Ce moteur fut l’un des premiers moteurs rotatifs biologiques à être découvert. De plus, un grand nombre d’études ont montré l’importance du moteur flagellaire durant les infections bactériennes. Ainsi, il a fait l’objet d’études intensives depuis plusieurs décennies. La vaste majorité de ces études ont toutefois été effectuées dans des milieux simples qui ne représentent qu’une infime partie des milieux biologiques naturels. En effet, les bactéries se déplacent souvent dans des milieux anisotropes, où les propriétés physiques dépendent de la direction. Par exemple, le mucus se trouvant un peu partout dans le corps humain, le liquide synovial qui lubrifie nos articulations, la peau et les biofilms sont tous des milieux qui peuvent être anisotropes et où les bactéries prolifèrent. Cette thèse par article présente les résultats obtenus durant notre étude de la motilité des bactéries flagellaires en milieux anisotropes. Puisque les milieux biologiques naturels sont difficiles à manipuler en laboratoire, un milieu synthétique a d’abord été choisi afin de mimer les propriétés de ces milieux. Deux types de milieux anisotropes ont été testés, les cristaux liquides (LCs) 5CB et DSCG. Seul le LC DSCG a été retenu puisque les bactéries ne peuvent pas pénétrer le LC 5CB. Pour créer le LC DSCG, des molécules sont dissoutes dans l’eau. À faible concentra-tion, le milieu est isotrope, et à haute concentration le milieu devient anisotrope (un LC). Dans un premier temps, la vitesse et l’orientation du corps des bactéries ont été observées en faisant passer le LC DSCG de la phase isotrope à la phase anisotrope. Ces mesures ont d’abord confirmé que, dans un milieu anisotrope, les bactéries se déplacent en ligne droite et renverse leur mouvement plutôt que d’effectuer une marche aléatoire comme dans des mi-lieux isotropes. L’observation du comportement bactérien a également démontré la présence d’une zone de prétransition dans les solutions isotropes de DSCG. À ces concentrations de DSCG, les molécules commencent à s’organiser sous forme de bâtonnets. Cette organisation explique pourquoi les bactéries deviennent collantes (via la force de déplétion), et pourquoi

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la viscosité augmente dans la zone de prétransition. Pour comprendre comment les bactéries peuvent renverser leur mouvement dans des milieux anisotropes, les filaments ont également été étudiés. Ces observations ont démontré que, durant le change de direction de la bactérie, le crochet n’est plus capable de jouer son rôle de joint universel et se bloque momentanément, permettant ainsi de changer l’orientation du filament. Cette réorientation du filament permet non seulement le renversement du mouvement de la bactérie dans le LC, mais également la réorientation du filament dans d’autres milieux comme dans des milieux poreux. Ce constat agrémenté de résultats provenant de la littérature nous permet de croire que le crochet bloqué est un phénomène universel se produisant dans tous les milieux. Pour terminer, la microscopie à champ sombre par guidage de lumière ainsi qu’une technique de microrhéologie seront ex-posées. Ces techniques ont été utilisées durant la caractérisation de la zone de prétransition. Tout au long de ce travail, il sera également souligné en quoi notre approche multidisciplinaire a été bénéfique.

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Abstract

Bacteria play an essential role in nature. We can simply think of their impact on human health to convince ourselves. To be able to play their role in the environment, bacteria often need to reach specific locations. The most common bacterial locomotion system is the flagellar motor. To propel themselves, the flagellated bacteria possess one (or few) rotary motor anchored in their membrane. This motor transfers its rotation to a long helical filament located outside the bacterium thanks to a universal joint called the hook. This motor was the first biological rotary motor discovered. Furthermore, several studies have shown the importance of the fla-gellar motor during bacterial infections. Thus, it has been the subject of intensive studies for several decades. Most of these studies, however, have been conducted in simple media that represent only a small fraction of natural biological environment. Indeed, bacteria often move in anisotropic media, where the physical properties depend on the direction. For example, mucus found throughout the human body, synovial fluid that lubricates our joints, skin and biofilms are all media that can be anisotropic and where bacteria proliferate. This thesis by article presents our study of the motility of flagellar bacteria in anisotropic media. Since na-tural biological media are difficult to manipulate in the laboratory, a synthetic medium was first chosen to mimic the properties of natural anisotropic media. Two types of anisotropic media were tested, the liquid crystals (LCs) 5CB and DSCG. Only the LC DSCG has been used since bacteria cannot penetrate the LC 5CB. To create the DSCG LC, molecules of di-sodium cromoglycate (DSCG) are dissolved in a water-based solvent. At low concentration, the medium is isotropic, and at high concentration the medium becomes anisotropic (a LC). First, the speed and the orientation of the body of the bacteria were recorded while changing the concentration of the DSCG LC to bring the solution from the isotropic phase to the ani-sotropic phase. These measurements first confirmed that, in an aniani-sotropic environment, the bacteria move in a straight line and reverse their movement rather than performing a random walk as in isotropic media. Observation of bacterial behavior also demonstrated the presence of a pretransition zone in isotropic solutions of DSCG. At these concentrations of DSCG, the molecules begin to organize into rods. This organization explains why bacteria become sticky (via the depletion force), and why the viscosity increases in the pretransition zone. To unders-tand how bacteria can reverse their motion in anisotropic media, the filaments have also been studied. These observations have shown that during the change of direction of the bacteria,

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the hook is no longer a universal joint and momentarily locks, thus changing the orientation of the filament. This reorientation of the filament does not only reverse the movement of the bacteria in the LC, but it also triggers the reorientation of the filament in other media as in porous media. This observation, supplemented by results from literature, suggests that the blocked hook is a universal phenomenon occurring in all environments. Finally, light-guided dark field microscopy and a microrheological technique will be exposed. These techniques were used during the characterization of the pretransition zone. Throughout this work, it will also be highlighted how our multidisciplinary approach has been beneficial.

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Table des matières

Résumé iii

Abstract v

Table des matières vii

Liste des tableaux ix

Liste des figures x

Introduction 1

1 Théorie 4

1.1 Motivations . . . 4

1.2 Théorie générale . . . 6

1.3 Théorie spécifique . . . 19

2 Introduction des bactéries dans le cristal liquide 5CB 22 2.1 Contexte et résumé de l’article . . . 22

2.2 Abstract . . . 23

2.3 Introduction. . . 23

2.4 Materials and methods . . . 24

2.5 Results. . . 26

2.6 Discussion . . . 31

2.7 Conclusion . . . 31

2.8 Acknowledgments. . . 32

3 Caractérisation de la motilité bactérienne en milieu anisotrope 33 3.1 Contexte et résumé de l’article . . . 33

3.2 Abstract . . . 35

3.3 Introduction. . . 35

3.4 Materials and methods . . . 36

3.5 Results. . . 39

3.6 Discussion . . . 43

3.7 Conclusions . . . 51

3.8 Acknowledgments. . . 52

3.9 Supporting information . . . 52

(8)

4.1 Contexte et résumé de l’article . . . 67

4.2 Abstract . . . 69

4.3 Introduction. . . 69

4.4 Materials and methods . . . 70

4.5 Results. . . 73

4.6 Discussion . . . 79

4.7 Acknowledgements . . . 81

4.8 Supporting information . . . 81

4.9 Additional figure . . . 86

5 Technique pour mesurer la viscosité de nos solutions 87 5.1 Contexte et résumé de l’article . . . 87

5.2 Abstract . . . 88

5.3 Introduction. . . 89

5.4 Theory. . . 90

5.5 Materials and methods . . . 92

5.6 Results and discussion . . . 94

5.7 Conclusion . . . 101

5.8 Acknowledgments. . . 102

5.9 Supporting information . . . 102

Conclusion et prochaines étapes 107 5.10 Comment le crochet bloque-t-il ? . . . 108

5.11 Orientations futures . . . 110

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Liste des tableaux

2.1 Potentiel zeta des bactéries . . . 29

3.1 Caractéristiques des solutions de DSCG . . . 57

3.2 Rapport d’extinction des solutions de DSCG . . . 63

3.3 Nombre de données obtenues . . . 65

3.4 Constants used for the calculation of the DSCG aggregates length. . . 66

5.1 Nombre d’Ericksen calculé pour la dérive des billes . . . 97

5.3 Précision sur la mesure de la position des billes . . . 102

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Liste des figures

1.1 Image de régions anisotropes à l’intérieur d’un biofilm . . . 5

1.2 Image d’un mucus d’escargot montrant des zones anisotropes . . . 6

1.3 Déplacement d’une bactérie par entortillement . . . 7

1.4 Motilité de surface pour les bactéries sans flagelle . . . 8

1.5 Motilité des bactéries flagellaires . . . 9

1.6 Chimiotaxie chez la souche Helicobacter pylori . . . 10

1.7 Structure du moteur flagellaire . . . 13

1.8 Réseau de chimiorécepteurs . . . 15

1.9 Structure d’un cristal liquide nématique . . . 17

1.10 Forme commune des molécules pouvant former un LC . . . 18

1.11 Molécule de 5CB et DSCG . . . 19

1.12 Motilité des bactéries dans un milieu anisotrope . . . 19

1.13 Schéma du microscope polarisé . . . 20

1.14 Schéma expliquant l’effet de déplétion . . . 21

2.1 Chambre pour l’observation de la stabilité du DSCG . . . 25

2.2 Montage pour la caractérisation de la stabilité des échantillons de DSCG. . . . 26

2.3 Incorporations des bactéries dans le 5CB . . . 27

2.4 Incorporation des bactéries dans le 5CB par évaporation de l’eau . . . 28

2.5 Traitement des bactéries au HDTMA. . . 29

2.6 Mesures de la stabilité temporelle des échantillons de DSCG . . . 30

3.1 Trajectoires de bactéries dans des solutions isotropes et anisotropes . . . 39

3.2 Charactérisation de la motilité des bactéries dans les solutions de DSCG . . . . 40

3.3 Diffusion de billes et de bactéries non mobiles dans les solutions de DSCG . . . 41

3.4 Charactérisation de la viscosité des solutions de DSCG . . . 42

3.5 Force propulsive des bactéries se déplaçant dans les solutions de DSCG. . . 44

3.6 Schéma des molécules de DSCG. . . 47

3.7 Schéma des agrégats de DSCG . . . 48

3.8 Longueur des agrégats dans les solutions de DSCG . . . 49

3.9 Effet de l’oxygène et du glucose sur la vitesse des bactéries. . . 49

3.10 Coéfficient de linéarité du déplacement moyen au carré . . . 53

3.11 Relations entre le torque, la vitesse angulaire et la vitesse de la bactérie . . . . 54

3.12 Force de déplétion entre deux bactéries . . . 59

3.13 Effet de l’oxygène réactif sur la vitesse des bactéries . . . 60

3.14 Images d’une solution de bactéries avec 7.2 wt% de DSCG . . . 62

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3.16 Images d’une solution de bactéries avec 8.2 wt% de DSCG . . . 63

3.17 Images d’une solution de microbilles avec 10.2 wt% de DSCG . . . 64

3.18 Images d’une solution de microbilles avec 13.2 wt% de DSCG . . . 64

3.19 Schéma simplifié de la technique GLDF . . . 65

3.20 Vitesse des bactéries en fonction de la viscosité des solutions . . . 66

4.1 Conformations du filament. . . 69

4.2 Évasion d’une bactérie dans l’agar mou . . . 74

4.3 Séquence montrant un crochet qui bloque dans le DSCG . . . 75

4.4 Schéma représentant les 2 modes de rotation du crochet . . . 76

4.5 Description des 3 scénarios possibles après un “switch” . . . 77

4.6 Séquences montrant les scénarios B et C . . . 78

4.7 Séquence montrant un crochet bloqué chez E. coli . . . 82

4.8 Séquence montrant E. coli nageant dans le DSCG . . . 83

4.9 Caractérisation de la rotation d’un filament . . . 84

4.10 Direction de rotation du flagelle par mesure de l’hélice . . . 86

5.1 Microscopie GLDF . . . 90

5.2 Viscosité des solutions de sucrose . . . 95

5.3 Viscosité des solutions de DSCG . . . 96

5.4 Exemple de MSD des billes en fonction du temps dans le DSCG. . . 99

5.7 Images de billes prises avec la technique GLDF . . . 99

5.5 Linéarité du MSD des billes en fonction du temps dans le DSCG . . . 100

5.6 Dépendance de la mesure de viscosité sur la taille de la bille . . . 101

5.8 Images d’une bactérie prises avec la technique GLDF . . . 101

5.9 Images de 2 populations de billes prises avec la technique GLDF . . . 104

5.10 Exemple de la distribution des mesures de viscosité . . . 105

5.11 Exemples supplémentaires de MSD des billes en fonction du temps . . . 106

5.12 Description de l’hypothèse explicative du crochet bloqué . . . 109

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Remerciements

Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais remercier plusieurs personnes qui m’ont aidé durant les années de mon doctorat. D’abord, j’aimerais remercier le soutien de mon directeur Simon Rainville et de mon codirecteur Tigran Galstian. Ils ont su m’aiguiller efficacement et se sont toujours montrés très disponibles lorsque j’en avais besoin. Mes recherches n’auraient évidemment pas été aussi fructueuses sans eux. Ensuite, j’aimerais remercier les membres de mon comité Roger Lévesque et Armen Saghatelyan ainsi que l’un des responsables du programme de doctorat en Biophotonique Mario Méthot pour leurs commentaires précieux reflétant leur expertise dans le domaine de la biologie. J’aimerais particulièrement accorder ma gratitude à Roger Lévesque et Iréna Kukavica-Ibrulj qui se sont toujours montrés très disponibles lorsque j’avais besoin d’aide dans le domaine de la microbiologie. J’aimerais égale-ment montrer ma gratitude aux techniciens Patrick Larochelle, Mario Martin et Martin Blouin pour leur précieux soutien technique durant mon doctorat. Je voudrais remercier le Dr Karen Allahverdyan pour son aide au sujet de la manipulation des cristaux liquides, le Dr Rémy Colin pour avoir partagé son algorithme de suivi d’objet avec notre groupe de recherche et le Dr Guillaume Paradis pour nos discussions qui ont mené à des idées innovantes durant mes recherches. J’aimerais également souligner le soutien que ma famille et mes amis m’ont apporté durant mes recherches. Ils ont su me changer les idées par l’humour et m’apporter un réconfort lorsque nécessaire.Pour terminer, je ne remercierai jamais suffisamment le support moral de mon amoureuse Jessica Durand qui a su me réconforter dans des moments difficiles. Son amour, sa belle folie et nos projets de voyage ont permis de garder mon esprit sain en me sortant de ma routine. Elle a montré beaucoup de patience et a su me conseiller lorsque j’en avais besoin. Ce travail n’aurait pas été le même sans sa présence dans ma vie.

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Introduction

En se penchant sur le monde des bactéries, on se rend vite compte qu’il regorge d’une richesse incroyable. En raison de leur capacité à évoluer très rapidement, les bactéries ont su acquérir un éventail quasi infini d’aptitudes avec le temps. Ce sont ces multiples aptitudes qui leur ont permis de s’adapter à pratiquement tous les types d’environnement. Certaines bactéries sont même capables de survivre à des conditions extrêmes tel l’environnement se trouvant sous les glaces de l’Antarctiques, les fosses abyssales les plus profondes des océans, ou, pire encore, l’espace [1–4]. Il n’est donc pas surprenant de constater leur importance primordiale partout dans la nature. Par exemple, le microbiote humain est composé d’une quantité phé-noménale de bactéries nécessaires au bon fonctionnement du corps humain. Il est facile de s’en convaincre lorsque nous constatons leur nombre : il y a au moins autant de bactéries dans notre corps (certains travaux parlent plutôt de plus de 10 fois plus de bactéries [5; 6], mais il semblerait que ce nombre soit moins élevé) qu’il n’y a de cellules qui le composent, soit près de 40 milliards [7]. On les retrouve également dans la matière biologique en décom-position où elles permettent de rendre les éléments assimilables pour les autres êtres vivants, un rôle essentiel pour préserver l’équilibre des écosystèmes [8]. Si vous avez déjà pris l’avion, vous avez certainement eu la chance d’être ébloui par cette magnifique étendue blanche créée par d’impressionnants nuages. Vous ne saviez peut-être pas, mais là aussi, les bactéries sont omniprésentes et jouent un rôle essentiel dans ce cycle de l’eau qui a permis la création de la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui [9]. Finalement, certaines bactéries sont même à la source d’un écosystème complètement coupé de la surface terrestre, un environnement se trouvant dans les fonds marins et entièrement indépendant de la lumière du soleil [10]. D’un point de vue anthropocentrique, ces microorganismes ne sont toutefois pas que béné-fiques. Hélas, ils peuvent être très nuisibles à notre mode de vie. Ces désagréments peuvent passer de la simple mauvaise odeur dégagée lors de la digestion de notre sueur par les bac-téries aux complications graves que peuvent apporter les infections. Pensons, par exemple, aux pneumonies ou à la gastro-entérite causée par certaines bactéries Salmonelles ou E. coli [11; 12]. La maladie de Lyme, causée par la bactérie B. burgdorferi, est un autre exemple d’infection, en constante progression au Canada, qui peut devenir très grave si elle n’est pas traitée [13]. Généralement, ces infections peuvent être combattues grâce aux antibiotiques, des médicaments omniprésents en médecine. Néanmoins, depuis plusieurs années, nous avons

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constaté une baisse d’efficacité de ces antibiotiques. En fait, c’est cette même adaptabilité des bactéries qui a permis la création d’une réserve incroyable de capacités, toutes très utiles pour l’équilibre de la vie, qui aujourd’hui permet aux bactéries de s’adapter aux traitements que l’on utilise sur elles [14]. C’est pourquoi beaucoup de chercheurs tentent de trouver des moyens alternatifs aux antibiotiques [15]. Vous verrez brièvement, au Chapitre 3, comment notre travail pourrait servir de point de départ à une technique alternative pour combattre les infections qui envahissent les plaies.

Avec le temps, l’homme a bien évidemment appris à utiliser certaines capacités des bactéries pour des applications très diversifiées. Par exemple, les eaux usées générées quotidiennement se retrouvent dans des centrales de traitement des eaux qui utilisent généralement la capa-cité des bactéries pour traiter les matières biologiques [16]. Depuis quelques années, certaines villes ont même poussé plus loin cette technique en testant des prototypes de piles à combus-tible microbiennes, où les bactéries filtres les eaux usées tout en créant de l’électricité [17–19]. Certaines souches de bactéries ont la capacité de causer des effets létaux chez des insectes. Cette aptitude est exploitée dans la conception d’insecticides biologiques, comme par exemple Bacillus thuringiensis qui est utilisée pour combattre la tordeuse des bourgeons de l’épinette [20]. Ces dernières années, la recherche sur le développement de nouvelles technologies exploi-tant les capacités des bactéries s’est accélérée, ce qui a permis de constater tout le potentiel de ce domaine. Par exemple, certains groupes tentent d’user de la capacité de déplacement des bactéries afin de délivrer des médicaments à des sites spécifiques du corps humain [21]. D’autres groupes étudient la possibilité de faire du biocarburant à l’aide des bactéries, une méthode beaucoup plus efficace pour faire du carburant qu’avec l’utilisation de végétaux [22]. Puis, d’autres tentent plutôt d’utiliser cette motilité pour détecter des substances dangereuses comme des explosifs [23]. Finalement, un groupe de recherche japonais a récemment décou-vert des bactéries pouvant digérer le plastique, ce qui ouvre la porte au traitement de matières plastiques qui se retrouveraient autrement dans nos océans [24].

Toutes ces connaissances et applications ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui sans l’étude fondamentale des microorganismes. Ces recherches ont apporté une lumière nouvelle sur le fonctionnement de notre environnement. Elles ont permis la compréhension de maladies et par la suite la mise en place de nouveaux traitements en médecine. Elles ont également permis d’apporter des solutions à certains enjeux de sociétés par le développement ingénieux de nouvelles technologies. Bien que nous ayons fait de grandes avancées dans ces trois axes, une quantité astronomique de phénomènes fondamentaux restent à être expliqués.

Le présent travail a pour but de rapporter les découvertes que nous avons faites durant mon doctorat, des découvertes intimement liées aux trois axes mentionnés plus haut. Le sujet de celui-ci consiste en l’étude fondamentale du comportement de bactéries flagellaires lorsqu’elles sont soumises à un environnement anisotrope. Nous verrons, au chapitre 1, que plusieurs bactéries sont fréquemment rencontrées dans ce type d’environnement et que peu d’information

(15)

avait été recueillie auparavant sur ce sujet.

Je me permets de vous présenter une thèse par article. Ainsi, les chapitres2à5correspondent pratiquement intégralement aux 4 articles que nous avons publiés durant mon doctorat. Mais avant d’aborder nos résultats, nous verrons, au chapitre1, pourquoi nous avons choisi ce sujet. Puis, je vous présenterai comment les bactéries se déplacent dans leur milieu et pourquoi elles ont besoin de se mouvoir. Dans ce même chapitre, nous enchainerons avec une explication des propriétés d’un milieu anisotrope, et finalement, nous verrons quels sont les 2 types de milieux que nous avons utilisés pour recréer les caractéristiques d’un milieu biologique anisotrope. Au chapitre 2, nous décrirons une première tentative (infructueuse) pour utiliser notre premier milieu synthétique qui est un cristal liquide (LC) nommé 4-Cyano-4’-pentylbiphenyl (5CB). Par la suite, nous caractériserons la stabilité temporelle d’un second milieu synthétique, un LC nommé cromoglycate disodique (DSCG). Ce dernier milieu sera ensuite utilisé avec succès tout au long du travail comme milieu synthétique pour recréer des conditions anisotropes. Au chapitre 3, nous caractériserons le déplacement des bactéries nageant dans notre milieu synthétique et, au chapitre 4, nous caractériserons plutôt le comportement des flagelles des bactéries afin d’expliquer leur comportement bien particulier. Au chapitre 3, nous verrons également comment le comportement des bactéries nous a permis de découvrir de nouvelles propriétés du milieu synthétique que nous utilisions, et au chapitre4, comment, au contraire, le milieu synthétique nous a permis de découvrir une caractéristique universelle du moteur flagellaire. C’est ainsi que je vous exposerai comment l’utilisation conjointe de la microbiologie et de la physique nous a permis de découvrir des phénomènes difficilement observables sans cette symbiose. Pour terminer, au chapitre5, nous explorerons deux techniques que nous avons élaborés. Ces deux dernières, l’une de microrhéologie et l’autre de photonique, nous ont permis de caractériser notre milieu synthétique.

Pour les chapitres correspondants aux articles (chapitres2à5), ils commenceront tous par une brève introduction afin d’en exposer le contexte, puis le reste du chapitre sera écrit en anglais. Dans l’introduction, vous trouverez également des liens vers le chapitre 1 vous indiquant où se trouve la théorie nécessaire à la bonne compréhension du chapitre en question. De cette façon, il vous sera possible de lire seulement la section générale du chapitre 1, et ensuite vous pourrez lire les parties préalables à chacun des chapitres seulement avant d’entamer chacuns des articles.

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Chapitre 1

Théorie

Le présent chapitre a pour but de vous permettre de vous familiariser avec mon sujet de re-cherche. Pour ce faire, nous débuterons par vous présenter les motivations qui nous ont poussés à étudier la motilité des bactéries flagellaires en milieu anisotrope. Nous aborderons tant les aspects provenant du désir de mieux comprendre notre environnement que ceux qui prennent leur source de notre besoin de développer de nouveaux outils pour résoudre les problèmes rencontrés par l’humain. Ensuite, nous explorerons les concepts théoriques nécessaires à la compréhension des travaux abordés aux chapitres 2 à 5. La partie théorie sera séparée en deux sections. La première section couvrira les concepts généraux qui ont été utiles durant tout mon doctorat. Dans cette section, nous expliquerons comment les bactéries flagellaires se déplacent dans un milieu isotrope (comme de l’eau) et comment cette motilité est liée aux infections. Ensuite, nous verrons à quoi ressemble ce fameux moteur flagellaire et surtout, comment il fonctionne. Nous enchainerons ensuite en vous présentant les propriétés des mi-lieux anisotropes, en particulier ceux que nous avons utilisés, soit les LCs 5CB et DSCG. Puis, nous expliquerons en quoi la motilité des bactéries est différente dans ce genre de milieu. La seconde partie de la théorie, nommée “Théorie spécifique”, regroupe des concepts plus pointus qui réfèrent directement à un sous-projet (un chapitre) en particulier. Vous pouvez donc re-venir à cette section avant de lire chacun des chapitres2 à5 afin de vous familiariser avec les concepts spécifiques à ce dernier.

1.1

Motivations

La capacité des bactéries à nager dans un liquide leur permet d’atteindre une multitude d’envi-ronnements propices à leur croissance. C’est aussi cette motilité qui permet, par exemple, à E. coli d’infecter effacement ses hôtes [25;26]. Puisqu’elle est primordiale pour la propagation de plusieurs espèces de bactéries, la motilité des bactéries flagellaires (c.-à-d. des bactéries qui se déplacent grâce à la rotation d’une longue hélice) a fait l’objet d’études intensives depuis plu-sieurs décennies. Bien que ces travaux aient fait avancer grandement le domaine, ils ont surtout

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été effectués avec des milieux simples comme de l’eau. Encore aujourd’hui, très peu d’études ont été faites avec des milieux de laboratoire qui reproduisent certaines caractéristiques complexes d’environnements biologiques. L’anisotropie est l’une des caractéristiques que l’on retrouve souvent dans les environnements où les bactéries prolifèrent. Nous savons, par exemple, que certaines souches peuvent nager au travers de biofilms qui sont parfois anisotropes [27–29]

Figure 1.1 – Image de régions anisotropes à l’intérieur d’un biofilm. Notez que les bac-téries dans un biofilm anisotrope ne sont pas nécessairement alignées les unes avec les autres, car la matrice n’est alignée que loca-lement. Cette image est tirée des travaux de Secor et al. [29].

(voir Fig. 1.1). Cette pénétration peut parfois être bénéfique et, d’autres fois, négative pour la croissance des biofilms [30]. Il est alors primor-dial de comprendre ce processus d’infiltration puisque ces biofilms représentent un important problème de santé publique. Le mucus est un autre exemple de milieu biologique qui est, dans certaines conditions, anisotrope et où on trouve bien évidemment des bactéries [31–33] (voir Fig.

1.2). Ce milieu joue un rôle important pour em-pêcher la pénétration de bactéries pathogènes lors d’infections. Il est donc essentiel de mieux comprendre comment, et sous quelles conditions cette pénétration se produit [34]. Finalement, des bactéries comme B. burgdoferi, la souche causant la maladie de Lyme, se déplacent au travers de milieux anisotropes comme le liquide synovial, les cellules de la peau et des muscles pour infecter ses hôtes [35–39]. Cette maladie

en constante progression au Canada est très difficile à traiter lorsque le patient n’est pas pris en charge rapidement. La compréhension du mode de déplacement de B. burgdoferi dans ce type d’environnement pourrait permettre l’élaboration de traitements plus efficaces lors des prises en charge tardives, ce qui pourrait sauver plusieurs vies.

On remarque non seulement que les milieux anisotropes naturels sont fréquents, mais aussi que la compréhension de la motilité des bactéries dans ce type d’environnement pourrait mener à de grandes avancées dans le domaine de la médecine. Malgré cela, peu d’information sur leurs comportements avait été récupérée au commencement de mon doctorat. Toutefois, cela s’explique assez facilement puisque les milieux naturels (tels que le mucus et les biofilms) sont généralement difficiles à manipuler et leurs caractéristiques physiques sont souvent mal connues et hétérogènes, ils se prêtent donc rarement bien à la visualisation des microorganismes à l’intérieur. Nous avons donc utiliser des cristaux liquides biocompatibles pour recréer les caractéristiques anisotropes des milieux naturels. Ces travaux ont mis en lumière certains comportements des bactéries flagellaires lorsqu’elles se déplacent dans ces milieux complexes.

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Figure 1.2 – Image d’un mucus d’escar-got où les zones claires sont anisotropes. La barre blanche en bas à gauche mesure 10 µm. Cette image est tirée de l’article de Viney et al. [31].

Avant le début de mon doctorat, quelques travaux avaient déjà montré le potentiel technologique de l’étude de la motilité des bactéries dans des mi-lieux anisotropes [40–44]. La possibilité de créer de nouvelles technologies a également été une mo-tivation pour entreprendre nos travaux. En fait, le premier travail à avoir été publié sur le sujet a montré que les bactéries pouvaient être guidées par les cristaux liquides [41]. Ce phénomène nous permet d’entrevoir des applications prometteuses, comme la création de “micro-fermes” bactériennes et cellulaires, ou encore de pansements intelligents qui pourraient éjecter les bactéries des plaies et ainsi réduire l’utilisation des antibiotiques. Une seconde étude a montré qu’il est possible de détec-ter la rotation des flagelles grâce aux changements d’anisotropie facilement observables [42]. Cet ou-til pourrait être très intéressant puisque les filaments sont trop petits pour être observés avec des techniques conventionnelles de microscopie. Finalement, cette même étude a montré qu’il est possible de détecter, par les changements globaux de l’anisotropie, une population active de bactéries. Cela nous permet de penser au développement d’un appareil pouvant détecter la présence de bactéries motiles dans un environnement donné.

1.2

Théorie générale

1.2.1 Motilité des bactéries et infections

Tel que mentionné en introduction, les bactéries ont une capacité d’adaptation impression-nante, ce qui leur permet d’avoir des caractéristiques très diversifiées pour s’adapter à leur environnement. La capacité des bactéries à se mouvoir ne fait pas exception à cette diversité. En effet, nous connaissons plusieurs stratégies adoptées par les bactéries pour nager dans un liquide ou sur les surfaces [45]. Dans cette section, nous verrons comment certaines bacté-ries sont capables de se déplacer sans moteur flagellaire, d’abord, dans un liquide puis sur une surface. Par la suite, nous enchainerons avec une description de la motilité des bactéries flagellaires. Nous terminerons en décrivant comment cette motilité est liée à la virulence. Motilité des bactéries

Certaines souches de bactéries sont capables de nager dans un liquide sans utiliser le moteur ro-tatif des bactéries flagellaires. Contrairement aux bactéries flagellaires qui utilisent la rotation d’une longue hélice pour se déplacer (voir plus bas), ce genre de motilité n’est pas très bien

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com-prise encore. Seul le déplacement des bactéries du genre Spiroplasma a été décrit jusqu’à pré-sent [46]. Ce type de bactéries possède un cytosquelette qui lui permet de garder une forme en hélice.

Figure 1.3 – Schéma qui montre une bactérie Spiroplasma en train de s’en-tortiller pour avancer. Cette image a été prise dans l’article de Shaevitz et al. [46].

La bactérie est en mesure de nager dans son milieu en faisant varier le rayon et la période de l’hélice entre deux valeurs. Lorsque la bactérie passe d’une confor-mation à l’autre, une onde avec un déplacement la-téral se propage le long de son corps, ce qui crée un effet d’entortillement (“kink”) et permet à la bactérie d’avancer (voir Fig. 1.3). Certaines souches de cyano-bactéries du genre Synechococcus, possédant un corps de forme oblongue, sont également capables de nager sans moteurs rotatifs. À ce jour, le modèle le plus plau-sible expliquant cette motilité a été proposé par le la-boratoire de Berg. Le déplacement serait engendré par la propagation d’une onde à la surface de la bactérie [47;48].

Toujours en absence de moteurs flagellaires, d’autres bactéries ont la capacité de se déplacer sur les surfaces. Pour le moment, trois types de motilité de surface ont été répertoriés (voir Fig.

1.4). Le type le plus souvent rencontré implique ce qu’on appelle des pili de type IV (“twitching motility”). Cet appendice est un long tube rétractable dont l’extrémité sert d’encrage. Pour se déplacer, ces bactéries projettent de longs appendices droits (les pili) dans le milieu, l’extrémité se fixe à une surface, puis la bactérie avance en rétractant le pili. Cela permet à la bactérie de se tirer sur la surface (voir Fig. 1.4A) [45]. Étonnamment, la contraction du pilus ne se fait ni par un changement de conformation ni en se hissant à l’intérieur de la bactérie. En fait, la bactérie enlève des protéines à la base du pilus pour le rétracter et elle en incorpore de nouveaux pour l’allonger [49]. Certaines bactéries peuvent aussi glisser sur les surfaces en excrétant des polysaccharides (voir Fig. 1.4B ). Dans ce cas, le modèle est toutefois encore débattu et cette excrétion pourrait être seulement un facilitant pour le déplacement et non pas le mécanisme qui en est responsable [50]. Le dernier type de déplacement implique un moteur rotatif ayant la capacité de se déplacer dans la membrane de la bactérie (voir Fig.

1.4C ). La partie du moteur à la surface de la membrane se colle d’abord sur la surface. La rotation des moteurs permet ensuite à la bactérie d’avancer et de tourner un peu comme une vis le ferrait (“screw-like motility”) [51].

Il est évident maintenant que les bactéries possèdent différentes stratégies de déplacement. La plus commune reste toutefois celle utilisant le moteur flagellaire. C’est un moteur rotatif et réversible imbriqué dans la membrane de la bactérie qui permet de faire tourner le filament. Cet appendice rigide peut avoir plusieurs micromètres de longueur et a une forme en hélice,

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A B C

Pili de type IV Par sécrétion Par rotation

Figure 1.4 – Motilité de surface pour les bactéries sans flagelle. Bactérie qui se déplace sur les surfaces, en (A), grâce à la rétraction de pili de type IV, en (B ), grâce à la sécrétion de polysaccharide, et, en (C ), grâce à des moteurs rotatifs ancrés sur surface. Image adaptée de l’article de Jarrell et McBride [45].

ce qui permet à la bactérie de se propulser (nous verrons en détail son fonctionnement dans la prochaine section). Certaines bactéries peuvent avoir un ou des flagelles polaires, et d’autres, comme E. coli et Salmonelle, auront plusieurs flagelles placés de façon aléatoire autour de leur corps (voir Fig.1.5B ). Le déplacement d’un type de bactérie flagellaire à l’autre est souvent un peu différent. Dans ce travail, nous nous concentrerons sur les bactéries péritriches, c’est-à-dire celles où les flagelles sont placés de façon aléatoire autour du corps. Ce type de bactérie, qui comprend les bactéries E. coli et Salmonelle, ont un moteur réversible, autrement dit, il peut tourner dans les deux directions. Ces bactéries se déplacent dans un liquide en faisant une marche aléatoire qu’on peut séparer en deux étapes (voir Fig.1.5A) . Dans la première phase, la bactérie effectue une course, soit un déplacement en ligne droite. Durant cette étape, tous les flagelles tournent dans le même sens, généralement en sens antihoraire (vu de l’arrière de la bactérie), et forment un paquet à l’arrière de la bactérie (voir Fig.1.5B ). La seconde phase consiste en une réorientation aléatoire du corps de la bactérie, ce qu’on appelle la culbute. Durant cette phase, un (ou quelques) flagelle tourne momentanément en sens inverse ce qui modifie l’orientation du corps de la bactérie de sorte que la prochaine course se fait dans une direction différente.

Le moteur flagellaire peut également être utilisé pour se déplacer sur les surfaces. En effet, certaines bactéries flagellaires comme Salmonelle ont la capacité de se différentier morpholo-giquement pour obtenir généralement plus de flagelles et devenir plus longues. Les conditions de différenciation dépendent de la souche de bactéries, mais elle nécessite toujours au moins une surface riche en nutriments et une densité de bactéries élevée. En fait, lorsque les bacté-ries détectent une concentration élevée de cellules dans leur voisinage grâce au processus de détection du quorum (“quorum sensing”), certains gènes seront activés afin d’amorcer la diffé-rentiation [52]. Après une période non motile nécessaire à la différenciation, elles deviennent efficaces pour se déplacer en essaim (“swarming”) sur des surfaces solides ou semi-solides (voir

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Fig. 1.5C ) [53]. Pour plusieurs souches, cette motilité de groupe requiert la sécrétion d’un surfactant qui agit comme agent mouillant.

culbute course

Marche aléatoire

Filaments bleus: rotation en sens anti-horaire Filament rouge: rotation en sens horaire

Course Réorientation aléatoire du corps (culbute) Course A B Nage en essaim C

Figure 1.5 – Motilité des bactéries flagellaires. (A) chemin emprunté par une bactérie lors-qu’elle nage dans un liquide isotrope comme de l’eau. (B ) rotation des flagelles durant les différentes étapes de la marche aléatoire. (C ) déplacement en essaim (“swarm”) sur une sur-face.

Chimiotaxie et infections

Jusqu’à présent je vous ai présenté la motilité des bactéries comme si elles étaient aveugles. En réalité, ce n’est pas le cas, plusieurs mécanismes permettent à la bactérie de se diriger vers un milieu favorable. Le mécanisme le plus important est celui de la chimiotaxie qui permet de détecter un gradient de molécules chimiques (voir Fig. 1.6). Les bactéries peuvent toutefois détecter d’autres stimuli, comme la lumière (phototaxie), le mouvement de liquide (rhénotaxie), l’oxygène (aérotaxi) ou la température (thermotaxie), mais, pour ce travail, nous parlerons de la chimiotaxie uniquement [54]. Chez les bactéries flagellaires, les simuli auront un impact sur la fréquence des culbutes (réorientation de la trajectoire des bactéries). Lorsqu’une bactérie détecte une augmentation de la concentration de molécules bénéfiques pour sa survie, la chance d’obtenir une culbute diminue. Ainsi, en moyenne, les réorientations seront moins fréquentes et les courses seront donc plus longues. Au contraire, lorsque la concentration de molécules pouvant nuire à la survie de la bactérie augmente, alors la chance d’obtenir une culbute augmente. Cela aura alors pour effet d’avoir plus souvent des réorientations et donc de réduire la longueur des courses. Globalement, les bactéries se déplaceront donc toujours vers un milieu qui leur est chimiquement favorable.

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Figure 1.6 – Schéma qui montre le processus de chimiotaxie chez la bactérie H. pylori dans le but d’atteindre une blessure dans l’estomac. Cette image est tirée de l’article de Chaban et al. [54].

des sites spécifiques chez les hôtes des bac-téries. Durant le cycle infectieux, le moteur flagellaire n’a toutefois pas seulement le rôle de transporter la bactérie à son site de pré-dilection. En fait, nous verrons que ce mo-teur est important durant toutes les phases de l’infection : le transport vers la cible à in-fecter ; la colonisation ou l’invasion ; la crois-sance et le maintien ; et la dispersion vers un nouveau site [54]. Tout au long de cette description, vous remarquerez comment les bactéries ont besoin de se déplacer dans des environnements qui peuvent être anisotropes comme le mucus et la matrice former par les cellules épithéliales, ce qui confirme encore la pertinence de nos travaux.

Durant la première phase, la motilité dirigée par la chimiotaxie permet d’atteindre les sites à infecter. Par exemple, Helicobacter pylori est capable de coloniser des sites spécifiques de l’estomac où se trouve déjà une blessure (voir Fig.1.6) alors que pour Campylobacter jejuni, la détection de molécules contenues dans le mucus (la mucine et des glycoprotéines) lui permet de coloniser les trous remplis de mucus entre les microvillosités de l’intestin [55;56]. Salmonelle, quant à elle, entre dans le mucus où elle est guidée par la chimiotaxie afin d’injecter des protéines effectrices dans les cellules de son hôte, ce qui permet de faciliter grandement l’entrée dans les cellules par la suite [54]. Étonnamment, bien qu’en général la chimiotaxie est un outil indispensable, elle peut parfois être à double tranchant. Des expériences avec Vibrio cholera ont montré qu’une souche sans un système efficace de chimiotaxie était non seulement capable de coloniser son hôte, mais également 10 fois plus efficace pour infecter que la souche sauvage. Dans ce cas particulier, la souche ayant un système efficace de chimiotaxie était attirée profondément entre les microvillosités de l’intestin où l’infection était anéanti par le système immunitaire de l’hôte, alors que la souche déficiente restait en surface où le système immunitaire était beaucoup moins efficace [57].

Avant l’infection, plusieurs bactéries ont besoin de se fixer à la surface des cellules “cibles” de leur hôte afin de croître. Le moteur flagellaire est également d’une grande aide pour inspecter les surfaces efficacement. En fait, lorsque la bactérie atteint une surface elle a tendance à nager près de celle-ci pendant une longue période de temps. Cet aspect de la motilité flagellaire provient d’un phénomène purement physique. Lorsque la bactérie avance près d’une surface, le côté de la bactérie près de la surface va subir une plus grande résistance que le côté face au liquide. Cela a pour effet de créer un torque qui va faire pivoter la bactérie : autrement dit,

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l’arrière de la bactérie s’éloigne de la surface alors que l’avant s’approche. Cette inclinaison attire la bactérie vers la surface, il est donc plus difficile de s’échapper [58]. Cela permet à la bactérie de nager près des surfaces pendant longtemps, lui permettant ainsi de sonder efficacement les surfaces.

Pour la phase de colonisation et d’invasion, soit une fois rendu à la cible, on pourrait croire que les flagelles sont inutiles voir même nuisibles. En fait, c’est tout le contraire, car elles aideront également les bactéries à s’établir au site voulu. Premièrement, pour plusieurs bactéries qui veulent coloniser la surface des cellules de leur hôte, le filament servira d’ancrage pour se coller aux surfaces. En fait, puisque le filament est composé de plusieurs milliers de protéines identiques, et que chaque protéine peut se coller à un élément, il est un excellent candidat comme ancrage. Deuxièmement, le filament est souvent nécessaire pour structurer la matrice des biofilms [59]. Ce type de structure, très difficile à détruire, est formé d’agrégats de bactéries attachées sur une surface qui sont recouvertes par une matrice extracellulaire de polymère contenant, entre autres, des polysaccharides, des protéines et de l’ADN. Une étude a aussi montré que durant la croissance de ces biofilms, les bactéries mobiles auraient un rôle important à jouer lorsqu’elle passe au travers. Ce phénomène pourrait parfois aider et parfois nuire à la croissance du biofilm [30].

Lorsque les bactéries se développent sur les surfaces des cellules de l’hôte, elles sont très expo-sées aux systèmes immunitaires. On peut comprendre alors pourquoi d’autres stratégies sont aussi utilisées pour échapper aux défenses de l’hôte. Par exemple, B. burgdoferi (la bactérie responsable de la maladie de Lyme) a plutôt besoin de se glisser plus profondément entre les cellules de son hôte grâce au moteur flagellaire. Cette situation permet d’échapper assez efficacement au système immunitaire de l’hôte [54]. Une autre stratégie pour se répliquer dans l’hôte consiste en envahir les cellules, soit l’invasion. Pour entrer dans les cellules, les bacté-ries utilisent généralement le phénomène de phagocytose qui permet aux bactébacté-ries de se faire ingérer par des cellules. Les bactéries utilisent plusieurs stratégies pour activer le phénomène de phagocytose chez des cellules qui n’en font pas généralement. Cette activation est souvent dépendante de la motilité flagellaire. Par exemple, des études ont montré que Burkholderia cepacia ne peut pas pénétrer à l’intérieur des cellules de son hôte lorsqu’elle n’a pas de moteur flagellaire, et ce, même lorsqu’elle était collée physiquement sur les cellules d’intérêts [60]. Un autre travail a démontré que non seulement la présence du moteur flagellaire aidait pour la phagocytose, mais qu’un moteur actif (qui tourne) était 100x plus efficace pour activer ce processus, ce qui veut dire que les cellules ne réagissent pas seulement chimiquement avec les composantes du moteur, mais sont également sensibles au torque créé par la rotation du moteur [61].

Lors de la phase de croissance et de maintien, soit lorsque la bactérie est établie sur ou à l’intérieur des cellules de l’hôte, le principal défi est d’échapper au système immunitaire. En fait, le système immunitaire innée s’est adapté pour détecter des protéines qui sont très

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bien conservées entre les microorganismes. Le flagelle est composé de milliers de copies d’une unique protéine avec un noyau qui est conservé d’une souche à l’autre. Ainsi, le flagelle est une cible de prédilection pour le système immunitaire [54]. La stratégie la plus utilisée par la bactérie est donc tout simplement d’arrêter de produire le moteur flagellaire. Par exemple, environ 90% de la population d’une souche motile de E. coli devient non motile après un séjour de 15 jours dans une souris [62]. On a remarqué que ce changement était surtout initié par la température et non pas par un processus de chimiotaxie [54]. Certaines souches vont aussi utiliser des stratégies un peu moins fréquentes. Par exemple, certaines d’entre elles vont interchanger plusieurs des protéines composant le flagelle par une protéine différente. Le système immunitaire réussit tout de même à détecter les bactéries via leur filament, mais il a plus de difficulté à les traiter à la suite de ce changement. On peut voir également parfois un changement de phénotype dans la population : certaines seront motiles et d’autres non motiles. La concentration de chacune des sous-populations sera optimisée pour augmenter les chances de survie de la bactérie. Finalement, d’autres vont carrément changer la structure de la protéine composant le flagelle pour ne pas être détecter [54].

Une fois la phase de croissance accomplie, les bactéries doivent se disperser vers un nouvel hôte ou un nouveau site. Lors de cette phase de dispersion, le flagelle est généralement requis. Certaines bactéries attachées aux surfaces vont simplement réactiver leur motilité pour se détacher afin de chercher un nouveau site via leur système de chimiotaxie. Pour les bactéries qui ont envahi des cellules, le processus est le même, mais elles devront d’abord sortir de ces dernières soit en activant la mort de la cellule ou simplement en attendant que la cellule meure d’elle-même [54]. D’autres utilisent une méthode peu orthodoxe pour se disperser. Par exemple, chez Salmonelle qui envahit les cellules de la peau et les macrophages, elle va intentionnellement créer une réponse immune en injectant des protéines du flagelle dans les cellules infectées. Cela va créer une zone inflammatoire où les macrophages vont s’affairer. Ensuite, les bactéries vont réinfecter ces nouvelles cellules qui ont été attirées sur le site de l’infection et un nouveau cycle recommence [63].

1.2.2 Moteur flagellaire

Maintenant que les bases de la motilité des bactéries flagellaires sont établies, nous explique-rons, dans cette section, comment fonctionne le moteur rotatif des bactéries (voir Fig. 1.7). Nous verrons d’abord la structure du moteur flagellaire (MF) et le rôle de ses sous-unités. Ensuite, nous expliquerons quelle est la source d’énergie du MF, et nous terminerons en mon-trant comment le MF peut changer sa direction de rotation sous le contrôle du système de chimiotaxie.

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D

Figure 1.7 – Structure du moteur flagellaire. (A) représentation d’un MF d’une bactérie Salmonelle obtenue avec un cryomicroscopie électronique et (B ) par cryotomographie électro-nique. (C ) schéma du MF de Salmonelle. (D ) Structure détaillée du MF. Les parties A à C de cette image sont tirées de l’article de Zhao et al. [64] et la partie D du livre de M.C. Leake [65].

Structure du moteur flagellaire

Le fonctionnement du MF dépend d’environ 45 protéines différentes (voir Fig.1.7) . Toutefois, seules 6 protéines permettent la rotation de ce dernier. Le rotor, soit la partie rotative créant le mouvement (en bleu et en vert sur la Fig.1.7D ), est composé de 4 types de protéines. L’anneau MS est composé de 26 copies de la protéine FliF et possède un diamètre d’environ 30 nm (en vert sur la Fig. 1.7D ) et l’anneau C, qui compose le complexe de changement de rotation (“switch complex”), est composé de plusieurs douzaines de protéines FliG, FliM et FliN (en bleue sur la Fig.1.7D ) [65]. C’est grâce à l’interaction de l’anneau C avec une protéine, nommée CheY, que le MF pourra changer de direction de rotation. Nous y reviendrons plus bas. Le stator, quant à lui, est composé de plusieurs copies du complexe formé par une protéine de MotA et MotB (en rose et orange sur le Fig.1.7D ). Ce complexe est mobile dans la membrane de la bactérie et peut s’accrocher et se décrocher du MF selon certaines conditions [66].

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Le MF est un moteur électrique. En effet, l’énergie requise pour faire tourner le MF est générée lorsqu’un ion passe de l’extérieur vers l’intérieur de la bactérie (voir prochaine section). Pour générer la rotation, un ion, généralement un proton, passe au travers le stator. Cela change la conformation de la protéine MotA qui interagira avec la protéine FliG contenue dans l’anneau C afin de générer le torque nécessaire pour la rotation. La rotation est transmise de l’anneau MS par la tige centrale jusqu’au crochet qui est à l’extérieur. Le crochet sert de joint universel, il est donc flexible et permet de transmettre la rotation du moteur au filament qui peut ainsi avoir un axe de rotation différent de celui du moteur. Il est composé de protéines FliG et il a un diamètre d’environ 20 nm et une longueur de 55 nm. Le filament, quant à lui, est semi-rigide et en forme d’hélice. Il est composé de protéines FliC et a aussi un diamètre d’environ 20 nm mais une longueur qui peut atteindre plusieurs micromètres [65]. C’est grâce au filament, rigide et en forme d’hélice, que la bactérie est capable de transformer une force rotative en une force linéaire.

Source d’énergie

Comme nous l’avons mentionné plus haut, la source d’énergie du moteur est un flux d’ions passant à travers la membrane. Généralement, les ions sont des protons, mais pour certaines bactéries marines, ce sont plutôt des cations Na+[67]. L’énergie générée par le flux de protons se nomme la force protomotrice (FPM). Bien que l’ATP, la source d’énergie la plus commune en biologie, n’est pas directement impliquée dans la rotation du moteur, il est toutefois nécessaire pour maintenir une différence de potentiel entre l’intérieur et l’extérieur de la bactérie via des pompes à protons qui serviront à sortir les protons de la bactérie [65]. Conceptuellement, la FPM est séparée en deux contributions. La première consiste en la différence de potentiel électrique de part et d’autre de la membrane de la bactérie Vm. Ce potentiel est causé par la différence de concentration d’ions entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. La seconde contribution provient de la différence de pH entre l’intérieur et l’extérieur de la bactérie ∆pH. L’équation suivante nous permet de calculer la FPM, soit [65]

FPM = Vm+ 2.3 kBT

e ∆pH, (1.1)

où Vm représente la différence de potentiel de part et d’autre de la membrane, ∆pH est la différence de pH entre l’intérieur et l’extérieur de la bactérie, kB la constante de Boltzmann, T la température en kelvin et e la charge du proton. La FPM a une valeur moyenne d’environ -150 mV pour des souches comme E. coli et Salmonelle, ce qui permet au MF de tourner à une vitesse autour de 150 Hz dans l’eau [66].

Changement de direction du moteur

Nous avons vu, dans la section 1.2.1, que le MF pouvait tourner soit en sens horaire ou sens antihoraire. C’est ce qui permet à la bactérie de réorienter sa trajectoire. Lorsque tous les MFs tournent en dans le même sens, généralement en sens antihoraire, la bactérie effectue

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une trajectoire en ligne droite (course) et, dès qu’un MF se met à tourner en sens inverse, elle effectue une réorientation rapide (culbute). Pour que le MF puisse changer de direction de rotation, il faut qu’au moins la structure du stator ou du rotor se modifie. C’est dans l’anneau C du rotor (voir Fig.1.7D ) que ce changement permet de déterminer la direction de rotation. Plus précisément, c’est la conformation de la protéine FliG contenu dans cet anneau qui détermine la direction de rotation du moteur lorsqu’elle interagit avec la protéine MotA du stator. La protéine CheY sert de messager pour modifier la conformation de la protéine FliG [65]. Lorsque l’anneau C n’est pas couplé avec une protéine CheY, la conformation de la protéine FliG génère un torque en sens antihoraire. Au contraire, lorsqu’il est couplé avec une molécule CheY, le moteur tourne en sens horaire.

Figure 1.8 – Réseau de chimiorécepteurs. Les flèches vertes représentent le couplage des protéines CheY-P (CheY phosphorylée) avec les MFs après que le réseau de chimiorécepteurs ait détecté un gradient négatif d’attractant. L’image a été créée par le laboratoire de Parkinson à l’Université de l’Utah [68].

Il y a un bassin de molécules CheY à l’intérieur de la bactérie. Toutefois, pour pouvoir se lier à la protéine de FliM et permettre une rotation en sens horaire, elle doit être phosphorylée. C’est ici qu’entrent en jeu les chimiorécepteurs (voir Fig. 1.8). Les chimiorécepteurs sont composés de plusieurs protéines transmembranaires regroupées sous forme de réseaux généralement aux extrémités de la bactérie [69]. Lorsque ces réseaux détectent certaines molécules à l’extérieur de la bactéries, les chimiorécepteurs vont réguler le niveau de phosphorylation des protéines CheY dans le cytoplasme [65;70]. Lorsque le gradient de molécules permet la diminution de la quantité de protéines CheY-P (molécules phosphorylées) dans le cytoplasme, la protéine FliM aura moins de chance de se coupler avec une protéine CheY-P. Il y aura alors un délai plus grand avant que le MF ne puisse tourner en sens horaire, et donc moins de culbute. L’inverse est également vrai.

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1.2.3 Milieu anisotrope et base de la motilité en milieu anisotrope

Maintenant, revenons à notre objectif, soit l’étude de la motilité des bactéries dans des milieux anisotropes. Nous avons vu que les bactéries se déplacent souvent dans ce genre de milieux pour proliférer. Puisque nous savons maintenant comment et pourquoi ces bactéries se déplacent dans les milieux liquides conventionnels, nous voulons faire un pas de plus et quantifier leur comportement lorsqu’elles nagent dans des milieux anisotropes. Pour accomplir cet objectif, nous devons d’abord décrire les deux types de cristaux liquides (LCs) que nous avons utilisés pour recréer des environnements anisotropes contrôlés. Le premier est nommé 5CB et, le second, le DSCG. Dans cette section, nous débuterons par décrire les propriétés des LCs que nous avons utilisées à cette fin, puis nous enchainerons en exposant qualitativement comment la bactérie se déplace dans ce type de milieu.

Milieu anisotrope

En général, un composé anisotrope est caractérisé par des propriétés physiques qui dépendent de la direction. Par exemple, un LC est liquide comme de l’eau, mais il est biréfringent (l’indice de réfraction dépend de la direction) et sa viscosité varie elle aussi en fonction de la direction. Ce milieu est donc dit anisotrope [71]. C’est d’ailleurs ce type de milieu que nous avons utilisé pour simuler le type de milieu anisotrope rencontré par les bactéries. Un LC possède une phase entre la phase liquide normale et la phase solide, souvent appelée mésophase. Cet état est liquide comme de l’eau, mais il possède une organisation tridimensionnelle faisant penser à un cristal, d’où le nom de LC. Il existe plusieurs types de mésophase mais, pour notre travail, nous allons nous concentrer sur les LCs nématiques [71] (voir Fig. 1.9). Afin de mimer les propriétés des milieux biologiques anisotropes, notre choix s’est arrêté sur cette phase pour plusieurs raisons. D’abord, à notre connaissance, c’est le type de mésophase la plus commune où les bactéries sont rencontrées en nature (voir, par exemple, les articles suivants qui décrivent tous un environnement nématique [30; 31; 35; 38]). Ensuite, c’est une phase relativement simple et donc facile à caractériser. Finalement, nous connaissons plusieurs LCs qui ne sont pas nocifs pour les bactéries et qui manifestent cette phase, notamment le 5CB et le DSCG [72].

Les molécules composant un LC doivent avoir nécessairement une forme asymétrique pour pouvoir créer un liquide anisotrope. Il existe plusieurs formes connues, mais, grossièrement parlant, les molécules auront une forme ressemblant soit à un disque ou à un cylindre (sauf pour les polymères qui peuvent avoir des formes diverses) [71]. On peut voir plusieurs formes de molécules qui sont en mesure de créer une matrice de LC à la Fig.1.10. En plus d’une forme asymétrique, les molécules doivent être en mesure de se structurer naturellement entre elles. C’est grâce à différentes forces intermoléculaires que cet assemblage est possible. L’énergie né-cessaire à cette organisation est de 0,01 à 0,1 eV, une énergie beaucoup plus faible que l’énergie interatomique d’une molécule organique (autour de 1 eV) [71]. Cela suffit toutefois à

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mainte-Structure du LC DSCG Cristal liquide nématique axe du dir ecteur Disque de DSCG (1 à 4 molécules) de DSCG Agrégat ~2 nm ~15-25 nm Liquide isotrope Cristal Concentration Température

{

}

Therm otrope Lyotrope

Figure 1.9 – Structure d’un cristal liquide nématique. Les flèches en bas pointent vers l’augmentation de la concentration ou de la température.

nir une matrice structurée et fluide caractéristique des LCs. Parmi les interactions participant aux phénomènes de cristaux liquides, nous retrouvons les interactions électrostatiques qui sont présentes lorsque certaines parties des molécules sont chargées électriquement. Ensuite, il y a les interactions par dispersion qui sont présentes pour toutes les molécules. En fait, elles sont créées par des dipôles induits et elle constitue la contribution la plus importante aux forces de Van der Waals. Puis, nous avons les interactions stériques et intermoléculaires qui sont présentes lorsque les nuages électroniques de plusieurs molécules se chevauchent. Ensuite, les ponts hydrogènes peuvent également jouer un rôle important dans la formation de la matrice de LC. Ils sont présents lorsqu’un atome d’hydrogène se lie à un atome électronégatif d’une autre molécule comme l’oxygène ou l’azote. Finalement, les interactions hydrophiles, ou hydro-phobes sont aussi très importantes, dans le premier cas lorsqu’une partie d’une molécule est en mesure de faire beaucoup de ponts hydrogènes, et dans le second cas, lorsqu’une partie de la molécule est apolaire [71]. Bref, la matrice des LCs est formée grâce à l’équilibre de plusieurs interactions dont la contribution n’est pas toujours bien définie pour chaque molécule.

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A B C D E F

G H I J

Figure 1.10 – Forme commune des molécules pouvant former un LC. En (A) nous avons une tige, en (B ) une molécule en forme de latte, en (C ) un disque, en (D ) une queue fourchue, en (E ) un bol, en (F ) une double queue fouchue, en (G) et (H ) nous avons 2 polymères, le premier avec chaine principale et le deuxième en forme de peigne, en (I ) une forme de huit et en (J ) une forme d’hélice. Cette image est tirée du livre de Blinov [71].

Durant nos recherches, nous avons utilisé 2 types de LCs : soit thermotropes et lyotropes. Dans le premier cas, l’état du LC dépend uniquement de la température. Dans le second, on parlera plutôt de molécules qui sont dissoutes dans un solvant, et donc, l’état du LC dépend de la concentration des molécules dans le solvant en plus de la température (voir Fig. 1.9). Nous avons d’abord tenté d’incorporer les bactéries dans le LC thermotrope 5CB (voir Fig. 1.11). Bien que ce LC ne soit pas soluble dans l’eau, ses propriétés sont très bien connues et il est facile à manipuler, c’est ce qui nous a poussés à tenter notre chance. La température à laquelle il passe de la phase nématique à liquide est de 35,3◦C , il est donc en phase nématique à la température ambiante [73]. Dans cette phase, les molécules s’alignent linéairement ensemble et forment une matrice similaire à celle montrée à la Fig.1.9(voir aussi chapitre2). La direction d’alignement des molécules est nommée le directeur (représenté par le vecteur n).

Après l’incorporation infructueuse des bactéries dans le 5CB, nous avons utilisé le LC lyo-trope DSCG (voir Fig. 1.11), qui lui est soluble dans l’eau, mais un peu plus complexe à manipuler. Pour diminuer le nombre de facteurs régissant l’état de cette solution, nous avons toujours travaillé à température ambiante. L’état de notre milieu dépendait donc seulement de la concentration de la molécule dans le solvant. Dans ces conditions, les molécules de DSCG sont d’abord diluées dans un solvant à base d’eau. Lorsque la concentration augmente, les molécules forment d’abord des disques (composées de 1 à 4 molécules, le nombre est encore débattu [74–76]), puis ces disques se lient les uns avec les autres pour former des bâtonnets. Lorsque les bâtonnets atteignent une longueur d’environ 15 nm (soit à une concentration d’en-viron 10%), ils s’alignent les uns avec les autres et forment la matrice de LC (voir Fig. 1.9) [74;75].

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~2 nm

Molécule de DSCG Molécule de 5CB

Figure 1.11 – Structure des molécules de DSCG et de 5CB.

Motilité des bactéries en milieu anisotrope

Nage d'avant arrière ?

directeur

Figure 1.12 – Motilité des bactéries dans un milieu anisotrope.

Le déplacement des bactéries flagellaires dans un LC est drastiquement différent de celui que l’on retrouve dans un milieu isotrope comme un milieu de culture. Notre groupe de recherche a été le premier à observer cette différence [41]. Contrairement à la motilité dans l’eau où les bactéries effectuent une marche aléatoire en 3 dimensions, la trajectoire d’une bactérie dans un LC est une ligne droite dans l’axe du direc-teur (voir Fig.1.12). De plus, les bactéries

ren-versent leur direction le long de cet axe plutôt que d’effectuer des culbutes. Lorsque la concen-tration de bactérie est suffisamment élevée dans le LC, des déplacements collectifs ont aussi été observés et caractérisés [43]. Durant mon doctorat, nous nous sommes toutefois concentrés sur le déplacement de bactéries solitaires. Avant nos travaux, ce déplacement n’avait pas été bien expliqué et le processus de changement de direction était inconnu. Nous verrons comment ce comportement est possible dans les chapitres3 et4 de la thèse.

1.3

Théorie spécifique

Dans cette section, nous fournissons quelques explications supplémentaires aux articles pu-bliés qui sont reproduits dans les chapitres suivants. . La première section explique comment nous avons déterminé l’orientation du directeur n des LC, et la seconde présente une brève explication de ce qu’est la force de déplétion.

1.3.1 Orientation du directeur

Dans chacune de nos expériences (voir les chapitres3 à5) il nous fallait une méthode robuste pour déterminer l’orientation du directeur (n) des LCs. Pour accomplir cette tâche, nous

(32)

avons utilisé de la lumière polarisée. L’échantillon est déposé entre deux polariseurs rotatifs sur le microscope (voir Fig.1.13). Sur le premier, nous déposons un filtre à fluorescence afin de réduire la plage spectrale avec laquelle nous éclairons. Puisque l’échantillon a une biréfringence qui dépend de la longueur d’onde, cela a permis de déterminer l’orientation de n avec plus de précision. En général, lorsque nous avons un échantillon qui est un LC nématique bien aligné, l’intensité lumineuse qui sort du second polariseur, est donné par l’expression suivante [71]

I = I0 

cos2(χ) − sin(2φ) sin(2(φ − χ)) sin2 δ 2



, (1.2)

où I0 est l’intensité de la lumière passant au travers le premier polariseur, χ est l’angle entre l’axe du premier et du deuxième polariseur, et φ est l’angle entre n et l’axe du premier polariseur. La phase δ est déterminée par

δ = 2π

λL∆n, (1.3)

où λ est la longueur d’onde de la lumière, L est l’épaisseur de l’échantillon et ∆n la différence entre l’indice de réfraction extraordinaire et ordinaire. Lorsque l’axe des deux polariseurs est perpendiculaire, (χ = π2) l’équation 1.2devient

I = I0  sin2(2φ) sin2 δ 2  . (1.4)

Ainsi, nous voyons que cette fonction est maximale lorsque φ = π4,3π4 ,5π4 ..., c’est-à-dire lorsque l’angle entre le premier ou le deuxième polariseur et n est de π4. Ainsi, pour trouver l’angle de n dans nos expériences, nous mettions d’abord l’axe des deux polariseurs perpendiculaires, puis nous tournions les deux polariseurs afin de maximiser l’intensité lumineuse.

CCD

Objectif Échantillon Lentille Source lumière blanche Polariseur rotatif Polariseur rotatif Filtre

Figure 1.13 – Schéma du microscope polarisé. Notez que le montage est dessiné à l’horizon-tale, mais en réalité il est à la verticale.

1.3.2 Effet de déplétion

Nous verrons, au chapitre 3, que nous n’avons pas seulement étudié le comportement des bactéries dans des solutions de DSCG dans la phase de LC. Nous avons également étudié leur comportement en augmentant graduellement la concentration de DSCG afin de faire passer les solutions de la phase isotrope à celle anisotrope. Notre objectif était de démontrer que le

(33)

Figure 1.14 – Schéma expliquant l’effet de dé-plétion subit par une bactérie dans une solution de DSCG. La bactérie est représentée en bleu, et les bâtonnets de DSCG en rouge. Les flèches représentent la force d’attraction ressentie par les bactéries et la zone en pointillé représente la portée de la force de déplétion.

comportement des bactéries changeait dras-tiquement lorsque le milieu devenait aniso-trope. Comme vous le verrez au chapitre

3, c’est bien le cas, mais leur comporte-ment change bien avant la transition vers une phase anisotrope. Lorsque la concentra-tion de DSCG est moyenne (mais pas suffi-sante pour former un LC), les bactéries se mettent à devenir très collantes. Nous ver-rons que nous avons découvert une zone où les bâtonnets de DSCG se mettaient subi-tement à allonger et que ce grandissement permettait l’arrivée de la force de déplétion. C’est cette force qui explique le phénomène de collage des bactéries. Lorsque de grosses particules (ici les bactéries) se rapprochent suffisamment dans une solution contenant de

petites particules (ici les bâtonnets de DSCG), les petites particules vont avoir tendance à être éjectées de l’espace entre les grandes particules (voir Fig. 1.14) [77;78]. Cela va créer un effet de déplétion entre les grandes particules et un débalancement de la force osmotique qui va pousser les grandes particules ensemble. Dans le cas de bâtonnets, la distance entre deux bac-téries doit correspondre au maximum à la longueur des bâtonnets, sinon la force de déplétion est nulle. Ainsi, c’est une force qui a une portée relativement courte (de l’ordre des quelques nanomètres). Notez que le même phénomène peut être observé entre une grande particule et une surface.

(34)

Chapitre 2

Introduction des bactéries dans le

cristal liquide 5CB

2.1

Contexte et résumé de l’article

Les premiers efforts pour comprendre le déplacement des bactéries flagellaires en milieu aniso-trope ont été réalisés dans notre laboratoire et publiés en 2013 [41]. Bien que ces expériences aient mis en évidence les différences qualitatives importantes entre la motilité des bactéries dans un milieu anisotrope et dans un milieu isotrope, elles ont également permis de constater que le DSCG est plutôt difficile à manipuler. De plus, personne n’avait encore réussi à contrôler son alignement via des champs électromagnétiques, ce qui rendait le contrôle actif du déplace-ment un peu plus hasardeux. Pour contourner ces difficultés, nous avons tenté d’incorporer les bactéries dans le cristal liquide (LC) désigné par 5CB (4-Cyano-4’-pentylbiphenyl). Ce milieu est beaucoup plus facile à manipuler et on peut contrôler facilement l’alignement des molécules grâce à des champs électromagnétiques. Toutefois, nous savions que l’incorporation ne serait pas facile, car le 5CB n’est pas soluble dans l’eau, et puisque c’est un LC thermotrope, il n’est pas formé d’un mélange à base d’eau comme le DSCG.

Le présent chapitre correspond à l’article intitulé “In the search of anisotropic biocompatible liquid environments for bacterial motility studies” qui a été publié en 2014 dans le journal “Proceedings of SPIE’. Cette publication rapporte nos efforts (infructueux !) pour introduire des bactéries dans le LC 5CB. Notre première approche fut de mélanger une solution très concentrée de bactérie avec du 5CB. Cette méthode n’a toutefois pas fonctionné, car les bac-téries restaient enclavées dans des microgouttes d’eau. Nous avons alors laissé une solution de bactéries s’évaporer lentement au-dessus du 5CB, mais les bactéries sont mortes plutôt que d’entrer dans le cristal liquide. Suite à cela, nous avons tenté de fonctionnaliser la surface des bactéries pour qu’elle devienne hydrophobe, puisque les bactéries ont naturellement une surface hydrophile. À cette fin, les molécules de HDTMA et de TMA ont été utilisées, deux

Figure

Figure 1.2 – Image d’un mucus d’escar- d’escar-got où les zones claires sont anisotropes.
Figure 1.4 – Motilité de surface pour les bactéries sans flagelle. Bactérie qui se déplace sur les surfaces, en (A), grâce à la rétraction de pili de type IV, en (B ), grâce à la sécrétion de polysaccharide, et, en (C ), grâce à des moteurs rotatifs ancrés
Fig. 1.5C ) [53]. Pour plusieurs souches, cette motilité de groupe requiert la sécrétion d’un surfactant qui agit comme agent mouillant.
Figure 1.6 – Schéma qui montre le processus de chimiotaxie chez la bactérie H. pylori dans le but d’atteindre une blessure dans l’estomac.
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