FACULTÉ DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
ANNEE 1898-1899 No 36
1
LillU
de la
LiUULI
Œili §E LA IAÏE
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
présentée et soutenue publiquement le 9 Décembre 1898
PAR
Pierre-Edouard-Joseph
RAINENé à Précliac(Gironde), le 21 août 1872.
/ MM. LANELONGUE, professeur...
Euniialnrs deli Thèse <
MUrsieh, protaseur...
CANN1EU, FIEUX,
agrégé, agrégé.
Président.
Juges.
Le Candidat répondra auxquestions qui luiseront faites sur les diverses parties de l'Enseignement médical.
bordeaux
IMPRIMERIE Y. CADORET
'17 RUE MONTMÉJAN 17
1898
FACULTÉ
IEHÉDEC1SE
ET DE PHARMACIE DE BORDEAUXM. de NABIAS Doyen. | M. PITRES Doyen honoraire.
PROFESSEURS :
MM. MICÉ i
DUPUY
[
Pro^esseul's honoraires.MUUSSÔUS."\
MM.
n]r . . ( PICOT.
Clinique interne <
P1. . , J DEMONS.
Clinique externe j laNELONGUE.
Pathologieetthérapeu¬
tique générales VERGELY.
Thérapeutique ARNOZAN.
Médecineopératoire... MASSE.
Clinique d'accouchements LEFOUR.
Anatomiepathologique CO YNE.
Auatomie BOUCHARD.
Anatomie générale et
histologie VIAULT.
Physiologie JOLYET.
Hygiène LAYET.
MM.
Médecinelégale MORACHE.
Physique BERGONIE.
Chimie BLAREZ.
Histoire naturelle GUILLAUD.
Pharmacie FIGUIER.
Matière médicale deNABIAS.
Médecineexpérimentale. FERRE.
Cliniqueophtalmologique
Cliniquedesmaladies chirurgicales
des enfants
Clinique gynécologique.
Clinique médicale des
maladies des enfants. A.MOUSSOUS Chimie biologique DENIGES.
BADAL.
PIÉCHAUD.
BOURSIER.
AGREGES EN EXERCICE :
section de médecine (Pathologie interneet Médecinelégale).
MM.CASSA ET.
AUCHE.
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Pathologieexterne
section ie chirurgie et accouchements Accouchements MM. BINAUD.
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section des sciences anatomiques et physiologiques
Anatomie. MM. PRINCETEAU.
CANNIEU. Physiologie MM. PaCHON.
Histoire naturelle BEILLE.
Physique
section des sciences physiques MM. SIGALAS. | Pharmacie
COURS COMPLÉMENTAIRES
Cliniquedes maladies cutanéesetsyphilitiques Clinique des maladies des voies urinaires Maladiesdu larynx,des oreilles etdunez Maladiesmentales
Pathologie externe Pathologie interne Accouchements Chimie
Physiologie Embryologie Pathologieoculaire
Conférenced'hydrologieetminéralogie
Le Secrétaire dela Faculté
M. BARTHE.
MM. DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
REGIS. ,
DENUCE.
RONDOT.
CHAMBRELENT.
DUPOUY.
PACHON.
CANNIEU.
LAGRANGE.
C ARLES.
LEMAIRE.
Par délibération du 5 août1879, la Facultéaarrêtéqueles opinionsémisesdans les .hèses qui ui sont présentéesdoivent être considérées cômme propres àleurs auteurs, et qu'elle n'entend
eurdonner ni approbation ni improbation.
A MES MAITRES
A mon Président de Thèse
Monsieur le Docteur M. LANELONGUE
Professeur deClinique chirurgicale à la Faculté de Médecine,
Chevalier de laLégion d'honneur, Officier de l'Instruction publique,
Membrecorrespondant del'AcadémiedeMédecine,
Membre de l'Académie de Bordeaux.
PRÉFACE
Noire devoir est de remercier ici tous ceux qui, à des litres
divers, ont droit à notre reconnaissance : M. Je professeur Pié-
cliaud, M. leprofesseur Badal, AI. le
professeur Moussons, dans
les services de quinous avons tant appris ;
M. le professeur Ar-
nozanquinous a donné avec
bonté l'aide précieuse de
sesconseils
•M. le professeur agrégé Cannieu nous a
témoigné
unebienveil¬
lante sympathie ; M. le professeur
agrégé Pachon
nous aprocuré
d'utiles indications; auprès de M. le Dr Vitrac, nous avons
trouvé
leplus cordial accueil.
Que M. le professeur Lanelongue, notre
premier
maître,veuille
bien recevoir l'expression de toute notre
gratitude
pourl'insigne
honneurqu'ilnous fait aujourd'hui de
présider
notrethèse.
Et vous tous, chers amis, permettez-nous de vous associer
dans
un sentiment de fraternelle camaraderie à nos
chers souvenirs du
temps des études.
DE LA
wmirn CIMUE 1 LA RAÏ1
INTRODUCTION
La tuberculose de la rate estsortie du domaine des curiosités
anatomiques : des faits cliniques bien observés, des opérations
heureuses même, permettent de créer à côté des notions ana-
tomo-pathologiques déjà anciennes un chapitre de symptoma- tologieetunchapitre de traitement. MM. Quénu et Baudet vien¬
nent d'en faireune étudetrèscomplète dans la « Revuede chirur¬
gie abdominaleetde gynécologie »(lj. C'estun nouveauchapitre
de pathologie qui est ajouté au cadre déjà sivaste desaffections chirurgicales.
Mais il n'est pas de chemin parcouru qui ne mérite d'être
encore suivi. La tuberculosesplénique peutgagnerd'être mieux
connue à lapublication de faits nouveaux. Nous enrapportons
un observé dans le service de M. le PrLanelongue,de Bordeaux.
En outre, un intérêtpratique se rattache à son étude. N'est-elle
pas curable comme le prouvent quelques opérations suivies
de
succès ?
(1) N» 2, mars-avril 1898. Voir aussi dans lenouveau Traité de chirurgiede Le DentuetDelbet,l'article de M. F. Villar.
— 12 —
Ce point de vue spécial nous engage même à nous occuper
plus particulièrement de la tuberculose « chirurgicale » de la
rate. Mais expliquons-nous sur la valeur de ce terme.
À neconsidérer que les localisations viscérales, une tubercu¬
lose est « chirurgicale » quand l'intervention est à la fois possi¬
ble etjustifiée. Or, pour la rate, l'intervention est aujourd'hui classique:splénectomie, exosplénopexie, ouverture oumarsupia-
lisation defoyers suppurés, etc...Deplus, ellepeut êtreindiquée,
dans des conditions que nous étudierons plus loin longuement, chaque fois que la tuberculose spïénique est la localisation
isolée ou prédominante du bacille deKoch.
C'est dire qu'il y a parmi nos tuberculoses « chirurgicales >>
de la rate toutes les tuberculoses primitives et « quelques » tuberculoses secondaires.
Quant auxtuberculoses qui, siégeant dans la rate, fontpartie
d'une infection ailleurs généralisée et plus accusée, elles sont
destinées à passer leplussouventinaperçuesouàn'intéresser le chirurgien qu'à l'occasion de complications exceptionnelles.
Aussi nous n'enparlerons pas. Tout au plus leur anatomie pa¬
thologique mériterait qu'on s'y arrêtât : niais outre qu'elle est déjà assez bien connue, nous préférerons, pour nous en tenir
au côté plus pratique de la question, étudier plus particulière¬
ment les conditions étiologiques, les caractères extérieurs, la symptomatologie, le diagnostic et le traitement de la tubercu¬
lose de la rate.
CHAPITRE PREMIER
etiologie. pathogénie. anatomie pathologique
Etiologie. — Au point de vue de son apparition dans
le tissu
splénique, la tuberculose, nous l'avonsdéjà indiqué,
estsuivant
les cas : 1° primitive, 2° secondaire, mais prédominante, 3° se¬
condaire concomitante d'une infectiongénéralisée.
1° Tuberculoseprimitive. — Elle est absolument
exception¬
nelle. Un fait seulement est, à notre avis, hors de doute : c'est
celui de Scharoldt(1883). Scharoldt relate l'autopsie
d'un
ma¬lade de 23 ans qu'on avait cru' atteint de tuberculose
aiguë du
poumon : en réalité il s'agissait d'une miliaire
aiguë de la
ratesans aucune autre localisation.
Quant aux observations de Lawrence Burke (1889), Marriott (1893) et Coby (1846), ellesne sontpas à
l'abri de
toutecritique.
En effet, l'opération de L. Burke
(splénectomie)
ne fut passuivie
d'autopsie ; l'examen cliniqueétait, il estvrai,
resténégatif
pour les autres organes, mais quelle certitude tirer del'auscultation,
de la palpation de l'abdomen, etc... pouraffirmer que
nul
autreviscère que la rate n'était tuberculeux? Dans le
fait de Marriott,
il n'y eut pas encore de nécropsie, et pour cause : son opérée guérit! Et cependant l'examen postmortem eût
vraisemblable¬
ment déceléquelques autres lésions
torpides
:lamalade était
eneffet atteinte en même temps d'un « ulcère chronique
vulvaire
qui fut excisé et regardé comme étant la cause del'infection
».Et il est regrettable que l'auteur ne parlantpas
d'examen histo-
logique laisse persister quelque doute sur la natureréelle de
cette ulcération. Qu'onlise maintenantl'observation de Coby,la plus ancienne en date, et au sujet de laquelle MM.
Quénu
etBaudet font du reste quel(pies réserves : il
n'est
pasbien sûr
que les lésions delà rate fussent tuberculeuses; mais leur na¬
ture spéciale admise, il est bien certain que le rein, le foie, les ganglions mésentériques, le poumon même n'étaient pas in¬
demnes.
Nous devons encore parler, àpropos des tuberculoses spléni-
ques soi-disant primitives, des faits de Manicatide mis en avant- par MM. Quéuu et Baudet (1). « Manicatide, disent ces auteurs,
sur douze observations d'enfants tuberculeux, a trouvé dix cas où il existait de la tuberculose splénique, et dans ces dix cas, deux fois la tuberculose pulmonaire manquait ». Cependantdans
le texte même de Manicatide (2) nous avons pu lire que ses douze sujets avaient de la tuberculose pulmonaire.
En résumé donc, nous 11e pouvons conserver comme exemple typique de tuberculose splénique primitive que le seul fait de Scliaroldt : celui de Lawrence Burke, quoique probable, reste douteux. Celui de Marriott devrait rentrer dans notre deuxième
catégorie.
2° Tuberculose secondaire mais à prédominance splénique. —
Les cas de ce genre sont encore bienpeunombreux :ils 11esont
représentés que par les deux observations de Quénu et Baudet,
et de M. le professeur Lanelongue.
Dans cette dernière qui est rapportée plus loin inextenso, les
seuls symptômes éprouvés au moment de l'opération furent la splénomégalieet destroublesdigestifs : au cours de l'opération,
011 reconnut seulement un foyer de périsplénite péritonéale et ganglionnaire; enfin l'autopsie pratiquée deux mois après l'in¬
tervention ne décela que de rares tubercules pulmonaires qui
(1) Revue degynécologieetdechirurgie abdominale, p.322.
(2) « On peut résumernosobservations dansle tableau suivant:Decetableauon voit quesurdouze autopsies d'enfantstuberculeux,pris auhasard, ilyen adixavectuber¬
culose de la rate.Danshuitcasseulement,et aprèsun examenattentif,nous avonspu constater microscopiquement latuberculose; dans deux casoù l'on nevoyait rien à l'œil nu, nousavonstrouvéparl'examenmicroscopiqueunetuberculose très étendue Quelques-unsdescasexaminésprésentaientunetuberculoseplusoumoinsgénéralisée, mais il y eneut avec des tuberculoses très peu étendues, dans lesquels larate était tuberculeuse. Manicatide, Etude sur la rate chez les enfants tuberculeux ». Revjie mensuelledesmaladiesdel'enfance,1896, février,p. 100.
— 15 —
n'avaient donné lieu à aucun signe spécial. Rien, du reste, ne permet de dire si les lésions spléniques furent ici primitives ou consécutives à l'infection pulmonaire; toujours est-il qu'elles
n'étaient pas seules, mais qu'elles dominaient la scène.
La malade de MM. Quénu et Baudet présente un type de
tuberculose chronique à localisations multiples et torpides: de
souche tuberculeuse, elle a eu dans son enfance une conjoncti¬
vite et une otite chronique ; puis sont venues des adénites cer¬
vicales qui ont suppuré; un ganglion examiné plus tard par M. Quénu fût même reconnu comme étant tuberculeux; elle a
eu des hémoptysies, etc... Enfin ce ne fut qu'à l'âge de 19 ans que survinrent les premiers signes de spléno-tuberculose qui
restèrent depuis isolés. Voilà bien une tuberculose splénique
secondaire comme âge, non primitive par conséquent, mais à
coup sûr première comme importance et par cela même chirur¬
gicale.
3° Tuberculose secondaire généralisée. — C'est la forme ba¬
nale, de beaucoup la plus fréquente. Etvoici du reste quelques opinions classiqnes à ce sujet : « La rate, dit Cruveilher, est de
tous les organes de l'abdomen, à l'exception des ganglions lym¬
phatiques, celui qui estle plus sujet àla tuberculisation ». Ril-
liet et Barthez (1) ont trouvé sur 312 autopsies d'enfants tuber¬
culeux 107 fois la spléno-tuberculose, soitun tiers des cas envi¬
ron. Papavoine (2) donne une proportion plus grande : 20fois
larate fut trouvée tuberculeuse sur 50 enfants morts de tuber¬
culose. Manicatide aurait enfin rencontré, chiffre vraiment con¬
sidérable, 10 rates tuberculeuses sur 12 autopsies d'enfants ba¬
cillaires. Ces chiffressontsuffisants pour prouver enmême temps,
etla fréquence de la tuberculose splénique en général, et son extrême rareté comme lésion isolée, chirurgicale.
Nous pouvons encore ajouter, pour venir à l'appui de cette affirmation, des renseignements qu'ont bien voulunous fournir
(1)Rilliet et Barthez, Traitécliniqueet pratique des maladies des enfants, III,
p.859,
(2) Papavoine,Rate in Dict. Dechambre.
— 16 —
sur cet intéressant sujet M. Piéchaud, professeur de clinique chirurgicale des maladies des enfants, et M. Ferré, professeur
de médecine expérimentale à la Faculté de médecine de Bor¬
deaux. Dans de très nombreuses autopsies d'enfants tubercu¬
leux qu'ilapratiquées,M. Piéchaudnousa affirmén'avoirjamais
rencontré de tuberculose primitive de la rate; M. Ferré d'autre part, chez les animaux spontanément ou expérimentalement tuberculisés, n'a jamais eu occasion non plus de rencontrer
cette tuberculose primitive.
Les conditions relatives à l'âge, au sexe et à l'origine des
malades donnent pour la tuberculose chirurgicale les résultats
suivants (1) :
Scharold H. » 25 ans. Munich.
Lawrence Burke . . » P. 27 » Dublin.
Marriott » F. 30 » Londres.
Bland Sulton.... ». P. 21 »» Londres.
Quénu et Baudet . . »» F. 21 »» Paris.
Lanelongue » F. 38 »» Bordeaux.
1 5 Moyenne. 27 »
D'après ce tableau, il estfacile de voir :
1° Que la tuberculose primitive est infiniment plus fréquente
chez la femme;
2° Qu'elle a été exclusivement observée chez l'adulte à un
âge moyen de 27 ans.
Il serait intéressant de contrôler ces particularités par l'ob¬
servation d'un plus grand nombre de faits et de les comparer notamment avec ce qui se passe pour les tuberculoses spléni-
ques secondaires avec généralisation. Malheureusement, les
ternies d'une comparaison suffisante nous manquent; nous ne
possédons guère que les données relatives à la tuberculose de l'enfant pour laquelle Rilliet et Barthez, Papavoine et Manica-
tide donnentles renseignements suivants :
(1) Nous rejetons définitivement'de celte classe l'observation trop imparfaite de Coby.
\
— \1 —
« Aucune cause spécialene nous a rendu compte de
la
tubcr-culisation de la rate : les garçons et les plusjeunes enfants y sont évidemment plus sujets que les tilles et les enfants plus âgés.
» Sur 312 malades, 107 avaient des tubercules dans la rate :
Tubercules abondants 25
Tubercules assezabondants 25
Tubercules peu abondants 57
Granulationsgrises 24
Granulationsjaunes 9
Tuberculesmiliaires 87
Infiltrationsjaunesoumasses tuberculeuses 9
Tubercules ramollis 2
» Chez 107 enfants dont la rate était tuberculeuse,noustrou¬
vons les rapports suivants d'âge et
de
sexe :De 1 anà2ans1/2 25
De 3ansà 5ans1/2 37
De 6 ansà10ans1/2 35 De 11 ans à 15 ans 10
Garçons.... . . . 18 Filles . . . 7 Garçons .... . . . 21 Filles . . . 16 Garçons. . . . ... 30 Filles . . . 5 Garçons. . . . ... 6 Filles . . . 4» (1).
Nous avons cherché à recueillir quelques
faits de tuberculose
splénique généralisée del'adulte.
Malheureusement
nosrecher¬
ches n'ont pu nous donner les éléments
d'une statistique suffi¬
sante et nous avonsété obligé denous en
rapporter
auxrensei¬
gnements fournis par Louis,
d'après lequel, chez l'adulte, la
proportion de lagénéralisation
tuberculeuse dans la rate est de
1/14 des sujets morts de phtisie
pulmonaire.
Au point de vue pratique,quelque
incomplètes
quesoient les
notions que nous possédions sur la
tuberculose primitive, nous
n'en devons pas moins retenir le
maximum de fréquence chez la
femme. Peut-être pourrait-on
rapprocher cette constatation de
(1) Rilliet etBarthez, loc. cit.
Raine 2
— 18 —
cet autre fait connu : savoir, leplus grand nombre des tubercu¬
loses péritonéales primitives observées chez elle, ceci pouvant
aider à conclure que la localisationsplénique seraità son début plus souvent corticale que centrale.
Pathogénie. — Nous manquons de données suffisantes sur le
mode de début de cette tuberculose. Le bacille est-il tout d'abord charrié par les voies vasculaires,ou bien emprunte-t-il
la voie lymphatique? Est-il amené venant de loin, ou bien
n'arrive-t-il dans la rate que grâce à la proximité d'un autre foyer tuberculeux? Où vmit enfin coloniser les bacilles qui ont
atteint la rate?
Onne saurait répondre d'une façonprécise à toutes ces ques¬
tions d'après les examens de rates opérées ou trouvées à l'au¬
topsie, car il s'agit alors le plus souventd'organismes infectés
par ailleurs. Dans le cas de Scharoldt seul la tuberculisation
splénique semble avoir été primitive; mais nous ne savons rien de l'examen histologique! Il faudra donc, par l'expérimenta¬
tion, combler les lacunes de nos faits cliniques et encoreles pointsque l'étudede la structure intimede larate a laissés dans l'ombre pourront-ils prêter auxinterprétations lesplus variées !
Anàtomie pathologique. — La tuberculose de la rate, au point
de vuede ses formes anatomiques, revêt troistypes principaux : A. La granulation miliaire.
B. Le tubercule.
G. La combinaisondes deux états précédents.
Les tubercules paraissent être plus rares que les deux autres
formes : ils revêtent l'aspect et les degrés ordinaires de leur évolution; blancs et durs, ou bien jaunes et caséeux, ils sont confluents ouisolés sous forme d'un semis de gros noyaux qui peut remplir la rate presque en entier. Ils ont été rencontrés dans le seul fait de Marriott : ils étaient assez volumineux pour soulever la séreuse et donner à la coque de la rate l'apparence
d'un foie garni de grosclous.
La forme combinée est assez fréquente si l'on en croit Cru- veilher, Rilliet et Barthez, etc., on nela connaît guère que par les autopsies.
— 19 -
Les granulations miliaires existaient
dans les
casde Sliaroldt
etLanelongue. Leur aspectétait
remarquable
:arrondies,
trans¬lucides, trèsnombreuses, ellesprésentaientauniveau
de la
cap¬sule l'aspect du frai de poisson.
Mais dans l'épaisseur de la
rate, elles étaient beaucoup plus rares, et surtout
plus petites;
ainsi on les apercevait difficilement, et,
seule, leur coloration
grisâtre se détachant assez
nettement
surla
coupede la rate
hypertrophiée permettait de les
distinguer à l'œil
nu.Leprocessus tuberculeux
imprime
àla rate des changements
anatomiques qui atteignent son
volume,
sonaspect extérieur,
saconsistance et sa coloration.
Dans tous les cas observés, la splénomégalie est
habituelle.
Le poids de la rate oscille entre
350
grammeset 2 kilogr. 500
et sa longueur a atteint
jusqu'à 25 centimètres (Marriott).
Cette hypertrophie apparaît au
début de la maladie soit
comme réaction de la rate à l'infection locale, soit connue pre¬
mière manifestation apparente de la
tuberculisation d'un point
quelconque de l'organisme.
Cette splénomégalie prétubercu¬
leuse, décrite par Tedeschi,
semble être prouvée
parles expé¬
riencestrès intéressantes de Yersin; desinjections
intra-veineu-
ses de culture tuberculeuse sans bacilles faites dans
l'oreille du
lapin amenèrent ungonflement de la rate,
sansqu'il
yeût
encore dans cet organe aucune trace de
lésions bacillaires (1).
La rate hypertrophiée présente à sa
surface des colorations
diverses dépendantfort
probablement de l'âge et de la forme
de la tuberculose, de laréaction du péritoine
voisin, des débris
d'adhérences et de la vascularisation de ces adhérences
ainsi
que de la capsule splénique.
Elle est gris-rosé dans notre obser¬
vation, très rouge dans celle de
Scharoldt. Dans le
castrès
intéressant de Quénu et Baudet, les
modifications avaient porté
uniquement sur la partie
inférieure, qui était distendue, pré¬
sentait une coloration gris-blanchâtre, et
pouvait simuler
un kyste hydatique. Au contraire lesegment supérieur de l'organe
logé sous les côtes avait conservé sa
coloration normale. La
(1) Quénu el Bauclel, loc. cit.
— 20 —
limite entre les deux portions était nettement tranchée. Enfin
les tubercules disséminés à. sa surface lui donnent dans d'autres
cas un aspectjaunâtre caractéristique.
Malgré son augmentation de volume, la rate conserve ordi¬
nairement sa forme normale; elle s'hypertrophie en masse. En effet, c'est à peine si, dans notre fait, il y avait une très légère
incisure au bord interne. Cependant dans les cas où les lésions
tuberculeuses sont plus particulièrement localisées dans un des pôles de l'organe, la région malade seule peut être modifiée
dans saconfiguration : c'est précisémentce qui était arrivé dans
le cas de Quénu dont nous venons de parler plus haut.
La surface extérieure de l'organe a un aspect différent avec la variété anatomo-pathologique de tuberculose. Unie dans le
cas de lésions intra-spléniques, la séreuse viscérale est trouble
et chagrinée lorsque des tubercules miliaires hérissent la cap¬
sule. Enfin des tubercules volumineux ont même pu donner à
la rate, dans l'exemple de Marriott, l'aspect d'un foie garni de
gros clous.
Il est difficile de dire quel changement subit la consistance,
la plupart des auteurs ayant négligé de la noter. La rate qui, normalement, est le plus mou et le moins résistant de tous les
organes glandulaires, et se laisse facilement écraser entre les doigts, a cependant donné une sensation de fermeté assez pro¬
noncée dans deux observations (Lanelongue, Scbaroldt). Dans
le casde M. Lanelongue, cette consistance était si ferme que la
rate donnait l'impression d'unemasse charnue une peu tendue.
Enfin, àla coupe, l'aspect de la rate est celuique lui donnent,
d'une part, la distribution et l'âge des tubercules, d'autre part
les modifications propres de sonparenchyme. En général celui-
ci a perdul'apparence pulpeuse qui luiestnormale, ilest ferme
et pléthorique, dit Scharoldt; il avait l'aspect rouge, dense
d'une viande de bœuf dans le cas de M. Lanelongue. Les modi¬
fications du tissu splénique sont en rapport intime avec l'aug¬
mentation de la vascularisation toujours très notable. La rate était « amplement pourvue de sang » dans le cas de Scharoldt,
et dans notre fait les vaisseaux pulpaires étaient béants, leur
— 21 —
diamètre avait 5 millimètres : cependant, par la pression, on faisait sourdre relativement peu de sang du parenchyme
splé-
nique, cette extrêmevascularisation paraît même avoir
eu soussadépendance la
formation du kyste observé
parQuénu.
Les apoplexies
spléniques,
enelfet, sont loin d'être
rares.Elles peuvent être
centrales
ousous-corticales, quelquefois très
considérables. Parfois répandues dans une
ancienne
caverne tuberculeuse, elles peuvent aucontraire
« semontrer tout
audébut de l'infection splénique par
le bacille de Koch alors qu'il
n'y apas encore
de granulations appréciables à l'œil
nu »(Be¬
sançon) (1).
Les lésions bacillaires ne restent pas toujours
localisées
àla
rate, elles peuvent, ou
envahir les
organesvoisins,
ousimple¬
ment provoquer chezeux
des lésions de voisinage.
Le péritoine, à cause
de
sesrapports tout à fait intimes et de
sa susceptibilité
excessive, est évidemment le premier atteint.
Or, examinons les divers modes
de réaction de cette séreuse à
l'irritation tuberculeuse de voisinage. Deux faits
principaux
se présentent : lepéritoine est tuberculeux,
oubien il
neprésente
que des lésions
irritatives. Dans les
casoù il est tuberculeux, il
présente soit des
tubercules de même âge et de même nature
que ceuxde la rate,
soit de
grosnodules plus anciens. L'érup¬
tion tuberculeuse est discrète, disposée sous forme
d'îlots
auniveau du parenchyme
viscéral
oudu hile,
oubien elle est plus
étendue et gagne alors le revêtement
péritonéal de tous les
organes voisins. C'est
ainsi
que,dans notre
cas,la face posté¬
rieure et gauche de l'estomac,
mais surtout le bord gauche du
côlondescendant etunelonguebande du
grand épiploon, étaient
parsemés de granulations
tuberculeuses et formaient,
en seréu¬
nissant, une véritable cloison qui
limitait toute la partie gauche
de la grande cavité péritonéale en
dehors de laquelle
parcon¬
séquentla rate se trouvait
isolée.
Lorsque au contraire le
péritoine n'est
pastuberculeux, il
(1) Besançon, Contribution à l'élude de la rate dans les maladies infectieuses,
thèse deParis, 1895.
_ 22 —
peut n'avoir subi aucune
modification
(Scharoklt,Quénu).
Ce¬pendant, à la surface même de la rate, on comprend aisément qu'il soit soulevé par les tubercules sous-jacents.
La propagation de la tuberculose est fréquente dans les gan¬
glions mésentériques, surtoutauniveaudu liile de la rate.
Enfin nous devons signaler,àpropos de l'anatomie pathologi¬
que, les modifications qu'imprime à la situation de la rate elle-
même ou des organes avoisinants l'augmentation de volume du viscère; l'accroissement de son poids tend à faire descendre la
rate en même temps qu'elle se rapproche de la ligne médiane;
dans cette migration elle détermine un déplacement de l'angle gauche du côlon et de
la
grossetubérosité de l'estomac qui sont repoussés enavant
et endedans.
CHAPITRE II
SYMPTOMES
Le fait le plus saillant et
le plus constant à dégager de l'his¬
toire des malades atteints de tuberculose de la rate est
l'hyper¬
trophie de cet organe.
La présence d'une tumeur située dans
l'hypochondre
gauche
a, eneffet, toujours attiré l'attention du
malade. Cette tumeur, dont nous avons noté les
variations de
volume et de poids à propos
de l'anatomie pathologique, est
très facilement reconnue par les signes
ordinaires de l'examen
clinique.
L'inspection permet déjà de constater les déformations
de la région, elle était
si prononcée dans le
casde Quénu qu'elle
provoquait «un
soulèvement très marqué de la moitié gauche de
l'abdomen et des fausses côtes du môme côté ».
M. Lanelongue
avait constaté au niveau de l'hypochondre
gauche
« une vous¬sure qui débordait
les fausses côtes d'un bon travers de main
en bas et qui soulevait un peu
la
cagethoracique
».11 faut donc
que cette
augmentation de volume soit considérable pour que,
dans une région comme la
cavité abdominale où les tumeurs
peuventse développer
librement et acquérir parfois de grandes
dimensions sans atteindrel'esthétique de larégion,
elle s'accuse
par une
déformation aussi apparente. Et,
eneffet, le volume réel
de la tumeur, reconnu et délimité par
la palpation,
aété
cons¬tamment trouvé très considérable.
Parmi les divers caractères qu'offre cette
tumeur, il
enest
un particulier et constant :la mobilité. Elle est spontanée, et l'on
enjugeà l'occasion des
mouvements de la respiration; elle coïn¬
cide avec les mouvements du diaphragme, ou
bien,
casplus
fréquent, on la reconnaît par
la palpation. Lawrence Burkc,
dans ses examens,
pouvait facilement conduire la tumeur sur
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l'abdomen. Quénu la mobilisait transversalement et verticale¬
ment, et enfin, dans le cas de M. Lanelonguc, elle atteignait le
maximum de mobilité puisqu'elle donnait l'illusion du ballotte¬
ment, et ceci malgré la présence d'adhérences. Nousnousexpli¬
quons très facilement cette mobilité, puisque la rate, retenue
seulement par les vaisseaux du hile et par le ligament phréno- splénique, n'est entourée que par des organes qui, en vertu de
leur mobilité propre, ne sauraient s'opposerà sondéplacement.
Même dans le cas d'adhérences ,àmoins qu'ellesne soientextrê¬
mement épaisses, on comprend que larate puisse conserver une certaine mobilité (Lanelongue), car elle doit se mobiliser en
même temps quecettecoque d'adhérences, celle-ci faisantcorps
en réalité avec les parois d'organes mobiles.
Cette tumeur est le plus souvent lisse; sa consistance est tou¬
jours augmentée, saufquand il existe une dégénérescence kvs- tique comme dans les casde Quénu et de Monod? (1).
(1)Vanverts, dans sa thèse, parle, à proposdes abcès spléniques, d'une observa¬
tion de Monodassez analogue à celle de Quénu, et au sujet de laquelle il fait les réflexionssuivantes, que nouscroyonsintéressant de reproduire.
«Notre maître, M. Ch. Monod, a bien voulu nouscommuniquer quelques rensei¬
gnements complémentaires sur cecas ; deux moisaprès l'opération, lamalade était
assez bien remise pourêtre opérée deson prolapsus utérin (24 déc. 1892). La fistule persistait cependant au moment de sa sortie de l'hôpitaletencoreàson retour,en avril1894. A cetteépoque, elle revint dans le serviceet ymourut de pneumonie du sommet,probablement tuberculeuse. L'autopsieneput êtrepratiquée. Lastérilité du pussplénique et le mode demortnesont-ilspas en faveurd'un abcès tuberculeuxde la rate?»(De lasplénectomie,Th. Paris, 1897,p.49, note 9).
Cependantnous nous en sommesrapporté à lacommunicationmême queM. Monod fit à laSociété dechirurgie de Parisetnous avonspulire :
«D'après l'examen bactériologiquedupusetmicroscopiquedes parois de lapoche fait parM. Macaigne,chef du laboratoiredu service,M. Monodconclut:
» 1°Que l'abcès s'est biendéveloppé dansl'épaisseur de la rate;
» 2"Qu'ilnes'agissait là ni d'un kyste hydatiquesuppuré, ni d'un abcèsd'origine tuberculeuse.
»3° Enfin que nous avons euaffaire àun abcès dit iiliopathiqiiede la rate et, qui plus est, àun abcès contenant dupusstérile». (Bull.Soc. Chir., Paris, 1892, XVIII, p.668).
Danscesconditions, nous ne nouscroyons pasplusque M.Monod, autoriséà con¬
sidérer le faitqu'ilarencontrécommeuncasde tuberculosede la rate et, parconsé¬
quent,nousne partageonspasles doutesde M. Vanverts.
La percussion décèle une
matité d'étendue variable,
en rap¬port avec la
situation immédiate de la rate
;elle est environnée
quelquefois d'une zone
de submatité (Lanelongue) tenant vrai¬
semblablementà laprésence d'adhérences quien
détermineront
le degré d'après leur étendue et leur
épaisseur.
Ces foyers de péritonite localisée
pourraient produire
unfrot¬
tement spécial sur lequel Bcatty et
Bright
ontattiré l'attention,
mais dans aucune des observationsquenous avons eu l'occasion
delire, nous nel'avons trouvé signalé. Il
serait bon de le recher¬
cher systématiquement, car il
pourrait avoir quelque impor¬
tance au point de vue du
diagnostic
etaussi des déterminations
opératoires. Il enserait de
mêmedes résultats
quepourrait
fournir l'auscultation, qui, d'après Bouchard
(1), serait
suscep¬tible de faire reconnaître les foyers de périsplénite.
Les signes physiquesque nous venons
de rappeler n'ont mal¬
heureusement rien d'absolument pathognomonique,
aussi il
sera bon dans tous les cas de s'entourer des renseignements
que pourra fournirl'examen :
À. Des diverses fonctions de l'organisme.
B. Des principaux viscères.
C. De l'état général.
A. Les troubles digestifs constituent, à notre
avis,
unexcel¬
lent symptôme :mentionnés dans les
observations de Scharoldt,
Quénu et Lanelongue, il nous est permis de supposer avec
de
grandes chances de probabilité que Marriott etBurke ont omis
de les rapporter, 011 bien qu'ils sont passés
inaperçus à leurs
yeux. Si nous analysons les divers facteurs
groupés dans les
observations sous le syndrome de troubles
digestifs,
nous ver¬ronsqu'ils sont assez nets pour nous
permettre de tirer de cette
étude quelquesconclusions. Les auteursnous
signalent de l'inap¬
pétence, l'état saburral de la langue, une
haleine mauvaise, des
digestions lentes et pénibles, des coliques
intestinales fréquen¬
tes (Quénu), des vomissements
alimentaires (Lanelongue), et
enfin de la diarrhée dans tous les cas, excepté celui de Quénu.
(I) Bouchard, Traitédepathologiegénérale, IV,p.708,
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Rien dans cette énumération de symptômes révélateurs d'un
mauvais état digestif ne peut nous surprendre si nous faisons appelaux connaissances les plus nouvellement acquises sur la physiologie de la rate. Les anciennes expériences de Schiff et
Herzen (1), cellestoutes récentes de MM. Pachon et Gachet (2)
suffisent à expliquer les divers troubles observés : par sa sécré¬
tion interne à fonction trypsinogène (3), la rate donne au pan¬
créas le pouvoir de digérer l'albumine. Les animaux dératés et dont le pancréas a perdu la faculté de digérer l'albumine, pré¬
sentent des troubles analogues à ceux observés chez les mala¬
des atteints de tuberculose splénique : coliques intestinales et diarrhée, quel'on peut attribuer à la présence dans l'intestin
d'albumine insuffisammentdigérée et parsuite jouant le rôle do
corps étranger. Cette perversité dans les fonctions digestives a de plus sur l'état général du sujet une influence fâcheuse, qui
se traduit extérieurement par tous les signes de la dénutrition :
amaigrissement rapide, perte des forces, teint anémique.
A quoi attribuer ce teint anémique retrouvé chez les malades atteints de tuberculose splénique? Nous devrions penser que la suppression du rôle hématopoïétique de la rate par la maladie
doive amener une diminution du nombre des globules rouges,
et, par suite, de l'anémie. Or les examens du sang, faits par M. Claisse chez la malade de Quénu, et par M. Sabrazès chez la malade de Lanelongue, ont montré que la composition du
sang était normale, quoique l'on ait reconnu un teint anémique
très prononcé et même cachectique chez elles. Comment donc concilier ces deux faits? Nous nous sommes demandési, devant rejeter avecbeaucoup d'auteurs la doctrine du rôle hémato-
(1) Herzen et Levier, Recueil des mémoiresphysiologiquesde M. Schiff, IV, p.
232; Lausanne, 1898.
(2)Gachet, Burôlede la rate dans la digestionpancréatiquedel'albumine, Thèse Bordeaux, 1897.
(3) Larate,parcette sécrétion interne,meten circulation dans le sang une subs¬
tance(ferment) qui, dans le pancréas,vaservir àformerla trypsine, non en l'élabo¬
rant de toutespièces, mais en transformantpar unprocédéd'oxydation le zymogène pancréatiqueentrypsine, c'est-à-direenunfermentdigérant les albuminesen milieu alcalin.