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Psychiatrie de secteur et handicap psychique

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L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (5) : 347-53

Psychiatrie de secteur et handicap psychique

Philippe Amarilli

Psychiatre, praticien hospitalier Président de la CME

Établissement public de santé Alsace-Nord 141 avenue de Strasbourg

67170 Brumath, France

Résumé.Bien qu’ayant pris le«virage ambulatoire »depuis fort longtemps, la psychiatrie de secteur, qui considère la réinsertion sociale comme seconde par rap- port aux soins, se trouve concurrencée par le champ médicosocial. Celui-ci déploie, dans la cité, des accompagnements en termes de compensation du handicap psy- chique qui se passent de référentiel psychopathologique. L’auteur tente de spécifier et interroger ces deux champs, celui des soins psychiatriques et celui de la compen- sation du handicap psychique, et préciser pour chacun d’eux le référentiel théorique qui sous-tend chacune de ces deux approches. Qui, de plus, s’adressent toutes deux à la personne dans sa globalité (le sujet des soins, le citoyen en situation de han- dicap). Et qui, enfin, se déroulent simultanément : les malades psychiatriques ne vivent plus dans les hôpitaux. Ce texte est une invitation à s’interroger sur l’identité, et l’avenir, de la psychiatrie de secteur.

Mots clés :sectorisation psychiatrique, handicap psychique, épistémologie

Abstract.Sector psychiatry and psychic handicap.The policy of French psy- chiatric out-patient care services has been established for a very long time. In this psychiatric sector which considers social reintegration as being second to care, it finds itself in competition with the medical and social services. Currently, the medi- cal and social work in the city compensates for the psychic handicap. This work is done outside of a psychopathological reference system. The author questions sectoral psychiatric care and the issue of compensation for psychic disability in an attempt to clarify their respective theoretical references. These two approaches are aimed at the person as a whole (the subject of care and the disabled citizen) so that psychiatric patients no longer live in hospitals. The author finally invites us to question the identity and future of sector psychiatry.

Key words:psychiatric sectorization, psychic handicap, epistemology

Resumen. Psiquiatría de sector y deficiencia psíquica.Aunque haya asu- mido el “giro ambulatorio” desde hace mucho tiempo, la psiquiatría de sector, que considera la reinserción social de menor importancia con relación a los cuidados se encuentra con un competidor, el área médico-social. Ésta despliega en las urbes, acompa ˜namientos en términos de compensación de las deficiencias psíquicas que pasan sin referente psicopatológico. El autor trata de especificar e interroga estos dos campos, el de los cuidados psiquiátricos y el de la compensación de la defi- ciencia psíquica a la vez que puntualiza para cada uno de ellos el referente teórico que subyace en cada uno de estos enfoques. Los que, además, se dirigen ambos a la persona en su globalidad (el sujeto de los cuidados, el ciudadano en situación de deficiencia). Y que por fin se desarrollan simultáneamente: los enfermos psiquiátri- cos ya no viven en los hospitales. Este texto es una invitación a interrogarse sobre la identidad, y el futuro de la psiquiatría de sector.

Palabras claves:sectorización psiquiátrica, deficiencia psíquica, epistemología

Introduction

Disons d’abord quelques mots sur la psychiatrie de secteur. Il s’agit d’une psychiatrie qui tient le plus grand compte des enjeux qui mobilisent un sujet, à son insu, dans ses relations aux autres. Ce sont des modalités rela- tionnelles qui sont propres à la singularité de chacun, et également fonction de la structure psychique du sujet (psychotique, névrotique, etc.).

En cela, la mission de psychiatrie de secteur, ainsi nommée dans la loi de modernisation de notre sys- tème de santé et garantissant des soins de proximité

ne peut, à notre sens, se comprendre qu’en termes de proximité relationnelle, et ce dans une approche pluridisciplinaire (psychiatres, infirmiers, psychologues, assistantes sociales etc.), sur un territoire géographique identifié, auprès des patients mais aussi leur famille, leur entourage, les partenaires médicosociaux et sociaux, etc. La psychiatrie publique a, depuis fort longtemps, pris le«virage ambulatoire»voulu par la ministre.

Nous parlons de cette place de psychiatre de secteur, en hôpital public, mais aussi de celle d’un psychiatre intervenant dans une association médicosociale, Route Nouvelle Alsace, qui accompagne les personnes en situation de handicap psychique suite à une patholo- gie psychotique. Cette double casquette nourrit notre réflexion sur l’avenir de la psychiatrie, objet du présent article.

Tirés à part :P. Amarilli

<philippe.amarilli@ch-epsan.fr>

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Deux points de repères historiques

Il ne s’agit pas ici de développer, au prix de la caricature, la genèse de la sectorisation en psychia- trie et son évolution, mais de mettre en évidence l’une des lignes de force qui court, en filigrane, dans deux approches aussi différentes que sont l’aliénisme et la psychiatrie de secteur, en termes de réinsertion sociale. À savoir que celle-ci a été, essentiellement, pen- sée comme seconde par rapport aux soins, dont elle constitue, en quelque sorte, le parachèvement. Nous ver- rons par la suite que l’approche médicosociale, sous l’angle du handicap psychique, en prend radicalement le contre-pied.

L’aliénisme

Il s’est, depuis l’origine (Révolution franc¸aise), préoc- cupé de réinsertion sociale. Il convient de le souligner, mais en précisant immédiatement qu’il l’a fait de manière particulière, en raison de son postulat de départ.

En effet, le«péché originel»de la psychiatrie est son fantasme autarcique dont la chambre d’isolement est l’ombilic, qu’elle se soit appelée, selon les époques, cellule (en référence à une dimension sécuritaire), ou maintenant chambre de soins intensifs, depuis la«biolo- gisation»de la psychiatrie. Fantasme qui est paradoxal, puisque la psychiatrie est une discipline médicale à pré- tention sociothérapique.

L’isolement thérapeutique constitue le socle de la psy- chiatrie classique, qui s’est construite dans l’opposition aux familles et au milieu habituel de vie des malades, considérés comme pathogènes, car siège des passions dont l’exacerbation était pensée comme néfaste à la res- tauration de la raison. Citons l’illustre aliéniste Henri Dagonet, qui fut médecin chef dans notre hôpital au

XIXe siècle :«tout aliéné doit être soustrait à ses habi- tudes, à sa manière de vivre, il doit être séparé des personnes avec lesquelles il vit habituellement, pour être placé dans des lieux qui lui sont inconnus et confié à des étrangers»[1].

La restauration de la raison, qui était censée s’opérer par identification à « l’exemplarité » des soignants, a conduit à une réinsertion, dans laquelle les malades avaient d’ailleurs des responsabilités, mais limitée à la micro-société que constituait l’asile psychiatrique, construit loin de tout (réinsertion qui apparaîtra après la Deuxième Guerre mondiale, rétrospectivement, comme l’exemple même de la chronicisation psychiatrique).

L’objectif était, cependant, de rendre ensuite les malades à leur famille, dans les bons cas.

L’aliénisme a, ainsi, toujours eu en ligne de mire la réinsertion sociale des malades mentaux. Mais une réin- sertion qui était, en quelque sorte, remise à plus tard, une fois les soins achevés (et en la matière, les espoirs des premiers aliénistes furent déc¸us).

La psychiatrie de secteur

Le déplacement du centre de gravité de la prise en charge de l’hôpital psychiatrique vers le centre médico- psychologique (CMP),«pivot du secteur», est issu de la Deuxième Guerre mondiale où fut faite, par les pionniers de ce qui deviendra la psychiatrie de secteur, l’analogie entre les camps de concentration et les hôpitaux psy- chiatriques (40 000 morts de faim). La psychiatrie de secteur, comme politique de santé et organisation des soins, s’est fondée, entre autres courants de pensée (psychiatrie sociale, désaliénation), sur la psychothéra- pie institutionnelle.

La psychothérapie institutionnelle est consubstanti- elle à la psychanalyse. Elle repose sur le pari d’une subjectivité dans la psychose, à côté de la structuration psychique«normale»qui est la névrose : la psychose est une forme de la condition humaine comme le rêve en un autre sens, disait Lacan. Psychose qui serait moins une pathologie déficitaire, que la « manière d’être au monde»d’une personne écartelée entre un rapport déli- rant au monde (possiblement créatif – il fut magnifié par les surréalistes) et la nécessaire adaptation à la réalité quotidienne et ses exigences de rentabilité.

La dynamique de la psychiatrie de secteur, en par- tie sous-tendue par la psychothérapie institutionnelle, s’est donc construite autour d’une idée princeps : sou- tenir le processus de subjectivation des personnes souffrant de troubles mentaux et notamment de psy- chose. C’est-à-dire, pour un patient psychotique enfermé dans une néo-réalité délirante, restaurer des potentiali- tés relationnelles qui, quoique restant en grande partie délirantes, soient tout de même«socialement viables», en l’amenant à pacifier sa relation délirante (persécutive, angoissante et menac¸ante) à l’autre.

Même si, au bout du compte, la finalité vise à une adaptation à la réalité environnante, cette adaptation passe toujours par le préalable du soin. Il en est ainsi de Tosquelles, l’un des fondateurs de la psychothéra- pie institutionnelle, qui s’est intéressé dès les années 1960, à la mise au travail des patients psychotiques.

Chez Tosquelles, cette dimension du travail comme un soin, combien même il se doit de répondre, aussi, à une nécessité économique pour être thérapeutique, se retrouve dans sa conception des « ateliers protégés » et«ateliers d’aide par le travail». Même s’ils peuvent être«de type industriel avec production à la chaîne et rendement important », ce sont, dit-il, « des pseudo- podes que le centre psychiatrique émet à l’intérieur de la cité». Ateliers thérapeutiques qui font une place centrale aux«infirmiers-ergothérapeutes psychiatriques, et avec eux celle des psychologues cliniciens et des assistantes sociales formées aux thérapeutiques de groupe»[2].

La psychiatrie de secteur, qui ne se résume évidem- ment pas à la sortie physique des patients de l’hôpital psychiatrique et leur maintien à l’extérieur, est avant tout une socialisation par les soins, qui a toujours été sa pré-

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occupation. Mais là encore, une réinsertion seconde, une fois créées, ou recréées, dans une logique soignante, des possibilités relationnelles dans le cadre de ce«labora- toire»d’expérimentation de la relation que constituent les soins psychothérapiques institutionnels, très large- ment extra-hospitaliers.

Actuellement, la psychiatrie de secteur traverse une crise d’identité

La logique de filière

Le premier changement, interne à la psychiatrie, qui est premier en ce sens qu’il est le plus visible pour les psychiatres de secteurs, est la prégnance de plus en plus importante de la logique médicale de filière (celle du MCO : médecine, chirurgie et obstétrique), pour laquelle l’objet de la psychiatrie n’est plus le sujet, mais la mala- die. Conformément à l’histoire de la psychiatrie qui est celle d’une oscillation permanente entre médecine et sciences humaines, on assiste depuis une vingtaine d’années, comme cela a déjà existé à d’autres époques, à une tentation de rabattre complètement la psychiatrie sur la logique médicale : ce ne serait plus la subjec- tivité ni les modalités transférentielles du rapport à l’autre qui seraient au centre de l’approche psychiatrique (toutes choses compliquées qui prennent du temps et ne génèrent, en apparence, aucun bénéfice quantifiable), mais l’objectivité de la maladie. Se mettent en place, en psychiatrie, des dynamiques desquelles le référen- tiel psychanalytique, et même psycho-pathologique, est absent. La psychiatrie de secteur risque de se retrou- ver ainsi progressivement vidée de ce qui faisait son substratum théorique. Cet effacement progressif de la psychanalyse n’est pas étranger à la crise d’identité de la psychiatrie de secteur. Retrouvera-t-elle une consis- tance théorico-pratique dans les sciences cognitives et ses déclinaisons thérapeutiques comme la remédiation cognitive qui est en plein essor ? L’avenir le dira.

Cette logique de filière du MCO décline, après un tri par pathologies, la prise en charge du soin aigu au SSR (soins de suites et de réadaptation). Bien qu’étant hérissée par cette vision uniquement médicale du soin, la psychiatrie de secteur y participe pourtant largement, dans sa tendance à résumer les structures médicosociales d’hébergement à une solution d’aval pour les malades psychiatriques les moins autonomes, pour lesquels la notion de handicap psychique pourrait s’appliquer (dans une mauvaise acception du terme).

Cette vision en quelque sorte«passive»du médicoso- cial est renforcée par la pression mise sur les équipes soignantes à trouver des«solutions»pour les«patients séjours longs», du fait de la diminution de nombre de lits en psychiatrie.

Le médicosocial

Cette évolution récente est extérieure à la psychia- trie. Malgré la vision auto-centrée dont la psychiatrie

publique, même dite « de secteur », n’a jamais pu complètement se départir (pour les raisons historiques énoncées plus haut), les psychiatres commencent mal- gré tout à prendre la mesure de la dynamique propre du médicosocial, autour de la notion de handicap psychique, qui ne se résume évidemment pas aux psy- chotiques chroniques dys-autonomes. Outre la création des SAVS1 et SAMSAH2 , qui sont issus de la loi de 2005 [3], on constate, dans le domaine cette fois de l’insertion professionnelle, que les ESAT3et entreprises adaptées, employant«historiquement»des déficients intellectuels, se réorientent vers le handicap psychique (qui constitue aussi, il faut bien le dire, un marché). Pôle emploi délègue à Cap Emploi (également inscrit dans la loi de 2005), le placement et l’accompagnement dans l’emploi de personnes bénéficiant d’une RQTH4, conclu- ant à cet effet des conventions avec le médicosocial. Et la RQTH pour raisons psychiques est attribuée, on ne peut plus largement par les CDAPH5, sur des critères relevant bien plus de la souffrance psychique au sens large, que de la maladie mentale, rendant on ne peut plus extensif le concept de handicap psychique. . .

Freud disait, à propos de la révolution psychanaly- tique que constitue la« découverte»de l’inconscient, que le moi a dû réaliser, dans la douleur, qu’il n’est plus le maître dans sa propre maison. Pour paraphraser Freud, le secteur psychiatrique doit prendre acte qu’il n’est plus, de loin, considéré par le médicosocial (et non plus par les tuteurs depuis la loi de 2007 instaurant la tutelle à la personne), comme l’organisateur«naturel», ni même comme l’interlocuteur privilégié, concernant le projet de vie des personnes en situation de handicap, que sont aussi les malades psychiatriques. On peut même dire que le projet de vie englobe maintenant le projet de soins, et non plus l’inverse.

La psychiatrie de secteur s’interroge

Il convient donc que nous prenions acte de l’erreur qui a été de considérer le secteur psychiatrique comme pouvant tout (peut-être, en partie, l’a-t-on cru en rai- son de sa dimension pluri-disciplinaire). Autrement dit prendre acte de la croyance erronée en une réinsertion qui ne passerait que par les soins. L’institution psy- chiatrique, même une fois le patient psychotique sorti de l’hôpital, et malgré toute la richesse relationnelle que celui-ci noue avec les soignants, n’a pas toujours réussi à convertir cette potentialité subjective en inser- tion sociale. Bien que pris en charge en extra-hospitalier,

1 Service d’accompagnement à la vie sociale.

2 Service d’accompagnement médico-social pour adulte handicapé.

3 Établissement et service d’aide par le travail.

4 Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

5 Commission des droits et de l’autonomie des personnes handica-

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notre patient ressemble trop souvent à un cosmonaute tentant des sorties dans l’espace, rattaché à son vais- seau psychiatrique, l’hôpital de jour par exemple, par quelques tuyaux (allocation adulte handicapé, etc.) lui assurant sa survie. Or une insertion sociale passe par le fait de servir socialement à quelque chose, d’où l’importance du travail, pour ceux des psychotiques qui le souhaitent. Travail dont la valeur thérapeutique n’est pas synonyme d’accompagnement soignant, on l’aura compris.

La montée en puissance de la notion de handicap psychique, visible à travers les différentes structures sociales et médicosociales que l’on voit se mettre en place sur les secteurs de psychiatrie (SAVS, SAMSAH, famille gouvernante de l’UDAF6, GEM7, conseil local de santé mentale, etc.) amène les soignants du secteur psychiatrique à s’interroger sur leurs propres pratiques, devant la multiplicité de ces nouveaux intervenants.

Une oscillation entre deux réactions opposées, chez les mêmes soignants, est perceptible. L’une est une vision

«neutre»de l’accompagnement médicosocial, comme si cet accompagnement, puisque perc¸u comme non soi- gnant, n’avait pas d’effets psychiques, se résumant à ce à quoi il sert prosaïquement (transporter un patient chez le médecin traitant, par exemple). Cette perception coexiste paradoxalement avec une profonde remise en question de ces mêmes soignants, à travers des expres- sions comme : «ils [SAVS, etc.] font rapidement ce à quoi on travaillait depuis longtemps» ;«on est souf- flés de voir comment ils avancent»;«[alors que nous]

on agit très peu de peur d’être intrusifs »;«on laisse trop de place à l’ambivalence des patients», voire«on cultive l’ambivalence psychotique». Et aussi :«on sait ce que c¸a risque d’aller de l’avant sans se poser de questions »(risque suicidaire, risque de décompensa- tion etc.). Difficile, pour un psychiatre ou un infirmier, en effet, d’imaginer ce que peut être un accompagnement qui, pour rester dans le registre de l’emploi, s’appuie sur le projet professionnel de la personne, même irréaliste, quitte à le reformuler au fil des expériences, sans être

«hypnotisé»par le pronostic de la pathologie, le risque, la responsabilité médicale. . .

Ce questionnement correspond aux effets de la remise en cause, sociale et juridique (loi de 2005), du paradigme de la psychiatrie de secteur, selon lequel les soins sont un préalable à la réinsertion, qui ne peut en être qu’une déclinaison. Et nous avons illustré, à travers deux points de repères historiques, combien ce postu- lat d’une réinsertion en position seconde a toujours été prégnant. À la vérité, la psychiatrie de secteur s’est trou- vée débordée sur ce qu’elle considérait être son propre terrain.

6Union départementale des associations familiales.

7Groupe d’entraide mutuelle.

L’effet de surprise est d’autant plus grand qu’existe chez les soignants une perplexité face à ce que peut être un accompagnement qui se passe d’un référen- tiel psychopathologique. Car qui dit accompagnement de personnes en situation de handicap, par définition, ne fait pas référence à la cause médicale du handi- cap. Concernant le handicap psychique, qu’il s’agisse de névrosés, de schizophrènes, de troubles de la personna- lité, etc., n’a aucune pertinence concernant les modalités d’accompagnement, la philosophie de la loi de 2005 étant citoyenne, en termes de compensation du handi- cap en vue d’une inclusion dans la collectivité. Or pour un soignant, une névrose d’échec où le sujet met, incons- ciemment, toute son énergie à rater ce qu’il entreprend, n’a rien à voir avec la perte de l’élan vital dans une dépression, ni rien à voir avec un apragmatisme schi- zophrénique. De sorte que la manière d’envisager avec le sujet la question de son insertion sociale ne passera pas du tout par les mêmes modalités. Il est donc dif- ficile de saisir ce qu’est la compensation du handicap psychique, en ce qu’elle se passe de points de repères psychopathologiques.

Cette révolution tranquille que constitue l’accom- pagnement social de«nos malades»(selon la formule consacrée chère aux médecins), nous pouvons la regar- der de manière défensive, comme étant la traduction de l’échec du secteur psychiatrique qui, si on lui en avait (ou s’il s’était) donné les moyens, aurait pu empêcher cette«dérive»qui verrait les infirmiers psychiatriques remplacés par des aides médicopsychologiques, des auxiliaires de vie sociale, ou des moniteurs d’atelier d’ESAT, sans formation à la psychopathologie.

Nous pouvons, à l’inverse, regarder cette révolution comme une chance pour les patients psychiatriques, à condition de convenir que, contrairement à ce que pensait Tosquelles, le regard soignant n’est pas le plus pertinent en matière d’insertion sociale. Ne serait-ce parce que, toutes malades qu’elles soient, ce n’est pas de cette fac¸on-là que ces personnes en situation de handicap psychique souhaitent être regardées dans leur rapport aux autres, dans la collectivité.

Nous entendons parregardl’ordre de discours dans lequel la personne souffrant de psychose se trouve immergée, qui n’est pas celui du soin mais, par exemple, celui du monde du travail, qui possède sa logique propre, sa culture, ses codes de communication – et qui est un discours«branché»sur la réalité économique avec des objectifs, des délais, des responsabilités à assumer etc.

À l’inverse de Tosquelles, notre conviction est donc la suivante : ce n’est qu’à partir d’une approche hétérogène aux soins qu’un parcours de réinsertion sociale peut se construire (à condition qu’il soit articulé aux soins, res- tera à définir comment).

Quelques mots, enfin, sur la réhabilitation conduite par les services de psychiatrie. Elle paraît tenir une position ambiguë. Sa pertinence tient à une redynami- sation des prises en charge des patients, ce qu’elle fait

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en s’appropriant les concepts de la santé mentale, qui constituent aujourd’hui le discours dominant. Mais à considérer les outils que la psychiatrie développe actuel- lement (remédiation cognitive, psycho-éducation etc.), on constate qu’il s’agit, en fait, de techniques de réadap- tation qui, certes, concourent au rétablissement. Mais qui laissent la réhabilitation psychiatrique dans une posi- tion ambiguë car elle reste, par définition, dans une logique soignante, sans cette extranéité mentionnée auparavant. Alors que le rétablissement, au sens du pro- cessus subjectif d’évolution de la personne en situation de handicap psychique, ne relève pas directement des compétences de la psychiatrie (nous reviendrons sur le concept de rétablissement).

Il ne faut, cependant, pas sous-estimer la capacité de la psychiatrie à rebondir en digérant des concepts importés d’autres domaines. Elle a ainsi (après lui avoir beaucoup résisté), recyclé la psychanalyse en dénatu- rant le message freudien, faisant de l’inconscient une animalité instinctuelle, pour mieux préserver le primat de la conscience. De même, elle s’est nourrie des cri- tiques, pourtant radicales, que lui fit l’antipsychiatrie, pour mieux conforter son pouvoir social. Il en va ainsi, maintenant, avec le terme de « santé mentale », que la psychiatrie s’est approprié, sans trop en interroger le sens premier, celui de l’OMS (qui, délibérément, ne fait justement pas référence à la médecine mentale...).

La psychiatrie, il ne faut jamais l’oublier, s’est toujours construite en asservissant des apports extérieurs à son champ !

Questions posées au champ médicosocial

Après cet «examen de conscience», nous sommes en droit d’interroger nos partenaires du médicosocial.

Puisque l’accompagnement des personnes en situa- tion de handicap psychique ne repose pas sur la psychopathologie, quel repérage est utilisé ? Y a-t-il une théorisation de cette pratique d’accompagnement ? Il semble qu’il repose moins sur une théorie que sur des valeurs, autour de la citoyenneté qui est manifestement centrale. Tim Greacen, promoteur de la santé mentale au sens de l’OMS, dit de celle-ci qu’il ne s’agit pas d’une entreprise de normalisation, mais d’une«optimisation de l’individu, de sa capacité à produire, à faire, de son pouvoir sur son milieu, de son empowerment». Et il pose lui-même la question :«optimisation pour qui ? Voilà notre sujet de vigilance»[4]. Parce qu’en effet, la convo- cation du citoyen est quand même la question du rapport au politique. Donc optimisation, au-delà de la personne en situation de handicap, au service de quels intérêts ? Est-ce une question qui est interrogée dans le champ de la santé mentale ? Pour pouvoir aborder la question du rapport au politique, nous allons faire un détour par le concept de rétablissement.

Selon la définition souvent reprise d’Anthony [5], il s’agit d’un«processus profondément personnel et sin- gulier de transformation de ses attitudes, de ses valeurs, de ses sentiments, de ses buts, de ses compétences et de ses rôles. C’est une fac¸on de vivre une vie satisfai- sante, prometteuse et utile, en dépit des limites causées par la maladie. Le rétablissement implique l’élaboration d’un nouveau sens et d’un nouveau but à sa vie, en même temps qu’on dépasse les effets catastrophiques de la maladie mentale». En bref, le rétablissement est un processus d’élaboration psychique, éminemment sub- jectif. Il ne s’agit effectivement pas, comme le souligne Greacen, d’une entreprise de normalisation sociale qui prendrait appui sur la partie saine du moi, même s’il cor- respond à l’aspiration à être«comme tout le monde».

Pour le dire autrement, le rétablissement tourne le dos à ce que dit Foucault de la finalité de la psychiatrie, comme étant la stabilisation dans un«type social moralement reconnu et approuvé»[6]. On peut, d’ailleurs, tout à fait imaginer un rétablissement qui opérerait sur des bases délirantes, pourvu que le sujet y trouve son compte.

Songeons au président Schreber, cas emblématique de délire mystique étudié par Freud puis Lacan qui, lorsqu’il dit jouer aux échecs«pour pouvoir sauvegarder tout son sérieux et toute la bienséance dont il est capable», ne manque pas d’ajouter que«c’est pour pouvoir donner à tout instant à Dieu la preuve de l’intégrité de sa raison» [7].

Les développements actuels sur cette dimension sub- jective du rétablissement se centrent sur la notion de

«personne»; ainsi parle-t-on de la personne en situa- tion de handicap psychique. Mais que faut-il entendre par«personne»? Danion [8], qui a adapté le concept de reconnaissance mutuelle du philosophe Axel Hon- neth au handicap psychique, précise que la personne en situation de handicap psychique se constitue sur une triple reconnaissance par autrui : affective en ce qu’elle le sécurise, juridique en ce qu’elle la fonde en droit, et sociale qui lui apporte le sentiment de sa propre valeur aux yeux d’autrui et, ainsi, l’estime de soi. Cependant, cela ne nous dit pas par quel chemin envisager cette per- sonne construite dans la similitude fraternelle, en tant qu’être singulier.

Ce chemin est celui de la question du sens, pour le sujet, de la réinsertion. Partons de la structuration psy- chique habituelle, celle de la névrose. Quels rapports, nous les névrosés, entretenons-nous avec le«social»? Il s’agit d’un rapport de semblant. On se plaît, incons- ciemment, à présenter aux autres (et à nous-même dans le regard de l’autre), une image qui, certes, engage notre désir, mais cependant toujours dans un écart à soi qui fait qu’il n’y a pas d’assomption totale dans le social qui com- blerait notre désir. C’est d’ailleurs grâce à cet écart entre l’image et le désir que l’on«tient», car on peut toujours, ainsi, s’imaginer un ailleurs (changer de métier, etc.). La position hystérique, en la matière, en est représentative, puisqu’elle consiste à ne jamais être bien nulle part, et

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s’en plaindre (désir d’insatisfaction, a-t-on dit à son pro- pos). Probablement les obsessionnels s’illusionnent-ils plus facilement sur une complétude possible dans le social, mais on connaît les dépressions mélancoliques quand l’objectif de toute une vie, une fois atteint, leur apparaît rétrospectivement comme ayant été vain. La position subjective névrotique se situe donc dans un décalage par rapport à ce«personnage social»qu’est la«personne».

Dans le cas d’un rapport à autrui structuré sur un mode psychotique, la question de la subjectivité ne se pose pas dans les mêmes termes, car le sujet est ici dans un rapport délirant un autre absolu persé- cutif, relativement auquel il se vit dans la certitude inébranlable d’en être la marionnette. La subjectivité dans la psychose implique donc un rapport particulier au discours de l’autre, surtout s’il s’agit du discours dominant, comme l’est par exemple la valeur « tra- vail»à notre époque. Ce rapport au discours dominant prend alors possiblement la forme de l’injonction sur un mode délirant, dont l’injonction hallucinatoire est la forme emblématique. Il n’est pas rare, ainsi, de voir des sujets psychotiques s’avérer être incapables d’accepter un arrêt de travail, combien même ils s’y trouvent complètement persécutés – avec les risques que cela représente, en termes de passage à l’acte, surtout suicidaire.

En allant plus loin, on peut donc se demander ce qu’il advient d’un sujet psychotique qui collerait au dis- cours ambiant, celui de la réinsertion par exemple, qui le définirait tout entier, pour peu que n’y soit pas intro- duite, par ceux qui l’accompagnent, cette idée d’un écart à soi comme condition du semblant. Cela ferait peut- être de notre psychotique un parfait citoyen. Mais un citoyen perdu subjectivement. Il faut, quelque part, ne pas être soi-même dupe de l’incomplétude de notre engagement dans le social, et savoir le transmettre, pour que l’autre puisse exister subjectivement. Ce qui suppose, d’une part, une interrogation sur nos propres mouvements psychiques, d’autre part une interroga- tion sur les enjeux politiques de la réinsertion. L’un n’étant pas étranger à l’autre dans notre propre intério- risation du discours dominant. Ainsi celui de la valeur travail et son implicite de réalisation sociale, considéré de principe comme facteur privilégié de rétablissement.

C’est là une question politique ; il n’y a pas de réinser- tion qui se réduirait à un pragmatisme sans rapport au politique.

Énoncer que le rétablissement est favorisé par le travail est souvent vrai, mais ne pas interroger cette pro- motion du travail est injonctif. Et nous avons vu, dans le champ de la psychose, ce qu’il en est de l’injonction dans son rapport avec le délire.

Car sans cette interrogation, sans pensée conceptua- lisée, une chose est sûre : les fantasmes insus qui nous animent ne valent pas théorie, et l’empathie n’est pas un moteur suffisant.

Conclusion

Les SAVS, dit le Code de l’action sociale et des familles (article D. 312-162), « ont pour vocation de contribuer à la réalisation du projet de vie de personnes adultes handicapées par un accompagnement adapté favorisant le maintien ou la restauration de leurs liens familiaux, sociaux, scolaires, universitaires ou professionnels et facilitant leur accès à l’ensemble des services offerts par la collectivité». Si nous remplac¸ons «personnes han- dicapées » par « patients psychiatriques », cela nous donnerait une assez bonne définition de ce que sont les missions du secteur psychiatrique.

Il y a donc intérêt à spécifier et interroger ces deux champs, celui des soins psychiatriques et celui de la compensation du handicap psychique, et préciser pour chacun d’eux le référentiel théorique qui sous-tend cha- cune de ces deux approches. Qui, de plus, s’adressent toutes deux à la personne dans sa globalité (le sujet des soins, le citoyen en situation de handicap). Et qui, enfin, se déroulent simultanément : les malades psychiatriques ne vivent plus dans les hôpitaux.

Mais au-delà, il y a nécessité, pour la psychiatrie, de s’articuler à ces approches différentes, ce qui ne veut pas dire se dissoudre dans un œcuménisme théo- rique, bien au contraire. Face à ces nouveaux enjeux, la psychiatrie de secteur est bousculée, voire débor- dée, en tout cas contournée par les effets de la loi de 2005 qui s’incarnent dans les accompagnements à la vie sociale et dans l’emploi, que développe le médicosocial.

Nous avons essayé de montrer que ces pratiques hété- rogènes aux soins constituent une plus-value pour les personnes souffrant de troubles psychiques, en particu- lier psychotiques, et que cela peut être une chance pour la psychiatrie publique. Et assurément, pour elle, un défi.

Le réflexe du repli identitaire sur son socle purement médical et réadaptatif serait une impasse – la fétichisa- tion du«secteur»compris comme une fermeture sur soi, sa fin. Pourtant, on constate actuellement que des hôpi- taux psychiatriques réfléchissent à des communautés psychiatriques de territoire conc¸ues, plus ou moins cons- ciemment, comme des«bastions»psychiatriques, dans un entre-soi, avec des instances médicales calquées sur celle des groupements hospitaliers de territoire.

Or c’est dans la confrontation à des discours autres, politiques, éducatifs, citoyens etc. que la psychiatrie se construit, et trouve son identité. Et inversement, nous sommes convaincus que les acteurs sociaux et médicosociaux sont demandeurs d’éclairages psycho- pathologiques et d’échanges sur les pratiques.

Au risque sinon, pour les patients, à terme, de l’appauvrissement extraordinaire que constitueraient deux approches qui ne se rencontrent pas, avec une psychiatrie réduite à une maintenance chimiothéra- pique ou réadaptative des comportements, face à un médicosocial ignorant des enjeux psychopathologiques de la réinsertion sociale.

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Liens d’intérêts l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Références

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4.Greacen T.La promotion de la santé mentale en France : état des lieux, expériences et difficultés, propositions. Journées de la prévention. Paris : Inpes, 2010. slideplayer.fr/slide/1458431 (consultation 17-5-2018).

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Références

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