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Commission sur l inceste : «La loi doit être plus directive»

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/ Société

Commission sur l’inceste : « La loi doit être plus directive »

[Interview] Édouard Durand, juge au tribunal de Bobigny, a été nommé coprésident de la commission sur l’inceste. Catholique assumé et fin connaisseur des mécanismes de la violence, il appelle la société à renforcer sa culture de la protection.

Interview Pascale Tournier Publié le 17/02/2021 La Vie

Le juge pour enfants Édouard Durand a été nommé coprésident de la commission sur l’inceste. • BRUNO LÉVY/DIVERGENCE POUR LA VIE POUR LA VIE

Quand on pénètre dans le bureau d’Édouard Durand, juge pour enfants au tribunal de Bobigny, difficile de rater le portrait du général de Gaulle. « Napoléon a créé les préfets ; le général, le métier de juge pour enfants, en instituant avant la fin de la guerre l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, et celle du 23 décembre 1958 sur

l’assistance éducative. Éduquer un enfant, c’est assurer la continuité du monde », explique- t-il.

Ton posé et mesuré, un badge de soutien aux chrétiens d’Orient épinglé au revers de sa veste sombre, ce magistrat de 45 ans a été nommé, le 23 janvier dernier, coprésident de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles, décidée par le président de la République. Impliqué dans la protection des mineurs depuis le début des années 2000 et reconnu dans le milieu associatif, il travaille de concert avec Nathalie Mathieu, directrice

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de l’association Docteurs Bru, qui vient en aide aux jeunes filles victimes de violences sexuelles intrafamiliales.

Le duo remplace l’ancienne ministre Élisabeth Guigou, qui avait dû démissionner à cause de sa trop grande proximité avec le constitutionnaliste Olivier Duhamel, accusé d’inceste par sa belle-fille Camille Kouchner, auteure du livre la Familia grande (Seuil).

Édouard Durand, fils d’un avocat pénaliste et d’une directrice de mission locale pour l’insertion des jeunes à Troyes, est un catholique assumé : avant d’être juge, il a un temps pensé devenir prêtre et effectué un stage d’étude à Radio Vatican, à Rome. Il n’a d’ailleurs pas peur d’utiliser le mot vocation pour parler de son métier. Il s’explique sur sa nouvelle mission à la tête de la commission et sur les ressorts de la violence, qui entravent la liberté fondamentale de l’Homme.

Depuis la publication du livre la Familia grande, de nombreuses affaires sortent…

Comment analyser ce moment ?

Se rejoignent la parole des victimes et le fait que la société se sente responsable de la protection des enfants. On ne banalise plus. On ne cantonne plus l’inceste et les violences faites aux femmes au champ du privé. Le discours qui relativise ou qui minimise la

confrontation des victimes à la violence n’est plus accepté.

Quand, en 1986, Éva Thomas, qui avait écrit le livre le Viol du silence à propos de son inceste, est venue sur une chaîne de télé, on l’a regardée de haut. Même chose pour la journaliste québécoise Denise Bombardier, qui s’est opposée à Gabriel Matzneff sur le plateau d’Apostrophes en 1990. Ce genre d’attitude méprisante n’a plus cours. La société a compris que les agresseurs sont dangereux. Les discours complaisants sur le viol des

mineurs et des femmes ne sont plus tolérés.

Comment expliquer cette évolution de la société ?

Elle prend sa source dans un double mouvement simultané et indissociable, celui de l’affirmation des droits des femmes et des enfants. Dans les années 1970 a eu lieu un changement juridique majeur dans le droit de la famille : on est passé de la notion de puissance paternelle à celle d’autorité parentale. En matière d’exercice de la parentalité, la mère devient un sujet juridique.

Le choix des mots est important. La puissance renvoie au concept de pouvoir et de

domination. L’autorité, qui exclut tout recours à la violence, est subordonnée à une finalité, en l’espèce celle de la protection de l’enfant. Longtemps, cette dernière visait les orphelins et les vagabonds, les enfants non soumis à la puissance paternelle. Dès lors, l’enfant est considéré non comme un adulte en miniature, mais comme un sujet vulnérable en développement.

Toujours dans les années 1970, des associations ou des événements comme la publication du livre Crie moins fort, les voisins vont t’entendre, d’Erin Pizzey, ont bousculé nos

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représentations de la famille. Perçue comme un lieu de sécurité, la maison apparaît comme un lieu de danger possible.

L’élévation du niveau de connaissance de la souffrance a-t-elle joué un rôle dans l’augmentation de notre sensibilité vis-à-vis de ces violences ?

Oui. À titre personnel, j’aime à me référer aux travaux de la psychiatre Muriel Salmona, de la docteure en psychologie clinique Karen Sadlier, du pédopsychiatre Maurice Berger et même de l’anthropologue Françoise Héritier. On perçoit mieux les conséquences du psychotrauma sur le bien-être de l’enfant et son développement, ainsi que sur sa santé à l’âge adulte.

Des affaires médiatiques, comme celle de Pontoise en 2017, ont également frappé nos consciences : une jeune fille de 11 ans a dû faire une fellation à un homme de 28 ans. Ce dernier n’a pas été poursuivi pour viol ; le parquet avait retenu le délit d’atteinte sexuelle.

Ce qui a suscité un vif émoi, car nous avons vu la scène et mesuré l’asymétrie cognitive, physique et affective.

Vous avez démarré votre métier de juge pour enfants à Marseille et à Draguignan ; vous dites que le sujet de la violence a rapidement attrapé votre conscience.

Oui, la violence est un instrument pour obtenir le pouvoir sur l’autre, en faire un objet et capter son corps. La question de la liberté y est étroitement liée. Même la violence

psychologique ou la menace de violence réduit l’autre à sa corporéité, car cela témoigne d’une anticipation de la violence physique. Le philosophe allemand Jan Philipp Reemtsma distingue trois types de violences : localisante, raptive et autotélique. La première veut enfermer l’autre, l’empêcher d’avoir accès à l’espace public. La deuxième vise à posséder le corps non consentant pour permettre la jouissance. Et la troisième entend détruire le corps jusqu’à la mort.

Pour l’inceste, il existe en plus une dimension généalogique, puisqu’il est exercé sur les enfants. On fait de l’enfant une satisfaction sexuelle, et on lui enlève sa place dans la lignée familiale. Christine Angot écrit dans son livre Une semaine de vacances que, en venant à elle sexuellement, son père se refusait à elle comme père. Le besoin fondamental d’un enfant est aussi d’ordre affectif, pas sexuel. Le passage à l’acte de l’adulte est une perversion du besoin affectif de l’enfant.

Vous êtes croyant. La Bible vous a-t-elle éclairé dans votre réflexion ?

La violence pose une question spirituelle, peut-être métaphysique : c’est l’acharnement du mal par des humains contre des humains. Il existe des paroles de Dieu dans l’Évangile sur la protection des enfants. Je retiens également ce passage dit de « la femme adultère ». Je le regarde en tant que juge : des hommes veulent lyncher une femme pour son infidélité, et Dieu la sauve.

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Peut-on tout pardonner ?

Un ami prêtre parlait de la notion du pardon mal comprise. Pour se soulager de leur responsabilité vis-à-vis de la violence et des agresseurs, les êtres humains ont tendance à renvoyer face à face l’auteur des sévices et la victime, en leur demandant de se réconcilier, c’est trop facile ! Un psycho trauma peut durer une vie entière. On n’a pas à enjoindre à quelqu’un de pardonner. En disant à une femme victime de viol conjugal d’absoudre son conjoint pour ne pas toucher à la cellule familiale, on participe au piège de l’agresseur. Nul n’a été créé pour être victime de violence.

Quel est le plan de travail de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants ?

Il s’agit de développer les connaissances, de comprendre là où il y a des failles. Les

dispositifs de protection doivent être réels et efficaces. La loi doit être plus directive. Il n’est pas possible de laisser autant d’impunité. La société doit reconnaître quand elle est

complice de la stratégie des agresseurs, qui consiste à minimiser leur responsabilité et à inverser la culpabilité.

Un espace pour recueillir la parole des victimes sera ouvert et un accompagnement

proposé. Mais il faut aussi faire quelque chose de cette parole, pour renforcer notre culture de la protection. Vers 2005, en tant que juge, j’ai eu affaire au cas d’un enfant qui habitait entre les domiciles de ses parents et de ses grands-parents. Le père était suspecté

d’inceste. J’avais des doutes sur l’accusation portée.

J’ai fini par retirer l’enfant de la garde des grands-parents. Il s’est trouvé que c’était le grand-père qui exerçait des violences sexuelles. La situation familiale d’ensemble

m’inquiétait pour la sécurité de l’enfant. L’enseignement de cette affaire : le risque n’est pas de surprotéger ou d’inventer des victimes, mais de ne pas assez protéger.

Allez-vous vous inspirer des travaux de la commission contre les abus sexuels dans l’Église ?

Nous avons rencontré son président, Jean-Marc Sauvé. Sur le sujet, l’Église a donné l’exemple. Le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance Adrien Taquet l’avait déjà souligné l’été dernier. Cela ne sert à rien de stigmatiser l’institution. Car si des

violences ont été commises par des membres de l’Église, c’est vrai partout et dans tous les milieux.

Dans les environnements plus favorisés, des mécanismes de protection sont davantage actionnés. Un homme, ça s’empêche, affirmait Albert Camus. La force, c’est maîtriser ses pulsions agressives. Le contraire, c’est faire preuve de faiblesse. Et inspirer la peur, pas le respect.

Sa carrière

2000 : Obtention du concours de l’École nationale de la magistrature (ENM).

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2004 : Juge pour enfants à Draguignan.

2005 : Juge aux affaires familiales à Grasse.

2007 : Juge pour enfants à Marseille.

2011 : Chargé de formation à l’ENM.

2017 : Juge pour enfants au TGI de Bobigny.

2021 : Coprésident de la commission sur l’inceste.

Références

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