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Du contrôle de l'administration par le juge

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Academic year: 2022

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Book Chapter

Reference

Du contrôle de l'administration par le juge

BERNARD, Frédéric

BERNARD, Frédéric. Du contrôle de l'administration par le juge. In: Michel Hottelier, Maya Hertig Randall, Alexandre Flückiger. Etudes en l'honneur du Professeur Thierry

Tanquerel : entre droit constitutionnel et droit administratif : questions autour du droit de l'action publique . Genève : Schulthess, 2019. p. 25-33

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:124628

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C G

Collection Genevoise

Études en l ’honneur du Prof esseur T hierr y T anquerel Michel Hott elier / M ay a Her tig Randall / Ale xandre Flück iger (éds)

Études en l’honneur du Professeur

Thierry Tanquerel

Entre droit constitutionnel et droit administratif : questions autour du droit de l’action publique

Édité par

Michel Hottelier Maya Hertig Randall Alexandre Flückiger

Recueils

de textes

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Études en l’honneur du Professeur

Thierry Tanquerel

Entre droit constitutionnel et droit administratif : questions autour du droit de l’action publique

Édité par

Michel Hottelier

Maya Hertig Randall

Alexandre Flückiger

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ISBN 978-3-7255-8713-1

© Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich · Bâle 2019 www.schulthess.com

Diffusion en France : Lextenso Éditions, 70, rue du Gouverneur Général Éboué, 92131 Issy-les-Moulineaux Cedex

www.lextenso-editions.com

Diffusion en Belgique et au Luxembourg Patrimoine, 119, avenue Milcamps, 1030 Bruxelles Tous droits réservés. Toute traduction, reproduction, représentation ou adaptation intégrale ou partielle de cette publication, par quelque procédé que ce soit (graphique, électronique ou mécanique, y compris photocopie et microfilm), et toutes formes d’enregistrement sont strictement interdites sans l’autorisation expresse et écrite de l’éditeur.

Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek : la Deutsche Nationalbi- bliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bi- bliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.d-nb.de.

Citation suggérée de l’ouvrage : Michel hottelier/Maya hertig randall/alexandre Flückiger (éds), Études en l’honneur du Professeur Thierry Tanquerel, Genève / Zurich 2019, Schulthess Éditions Romandes

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IX

Sommaire

Avant-propos ... VII MURAT JULIAN ALDER

Avocat, Député au Grand Conseil de la République et canton de Genève

Les droits politiques dans la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 ...1 FRANÇOIS BELLANGER

Professeur à l’Université de Genève, Avocat

Enjeux et risques du nouveau contenu des plans localisés de quartier (PLQ) ... 9 FREDERIC BERNARD

Chargé de cours à l’Université de Genève, Avocat

Du contrôle de l’administration par le juge ... 25 ARUN BOLKENSTEYN

Docteure en droit

Les opinions séparées en droit genevois ... 35 BENOIT BOVAY

Professeur à l’Université de Lausanne, Avocat

Bien bâtir. Les clauses d’esthétique en droit public des constructions ... 43 CHRISTIAN BOVET

Professeur à l’Université de Genève

L’autorégulation financière à l’épreuve de l’efficacité ... 53 URSULA CASSANI

Professeure à l’Université de Genève

Bien commun, avantages privés : la corruption d’agents publics suisses... 61 MICHELLE COTTIER

Professeure à l’Université de Genève

Activité législative en droit civil et droit comparé : vers une approche socio-juridique ... 79 VALERIE DEFAGO GAUDIN

Professeure à l’Université de Neuchâtel DAVID RENDERS

Professeur à l’Université catholique de Louvain,Avocat au Barreau de Bruxelles Disputatio en droit comparé ou peut-on siéger en référé et au fond dans une même affaire ?... 87 ANNE-CHRISTINE FAVRE

Professeure à l’Université de Lausanne

La participation de la population en droit de l’environnement : un droit ? ... 97 ALEXANDRE FLÜCKIGER

Professeur à l’Université de Genève

Le droit souple intercantonal : quand les conférences intercantonales recommandent, les réglementations s’harmonisent... 109

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Sommaire

X

AURELIE GAVILLET

Docteure en droit, Titulaire du brevet d’avocat

Le retrait de la « carte d’identification aéroportuaire » par l’Aéroport international de Genève : brèves réflexions à la lumière de la jurisprudence récente ... 127 STEPHANE GRODECKI

Chargé de cours à l’Université de Genève, Premier procureur à Genève

Le droit d’être entendu avant la fin des rapports de service en droit public ... 135 MAYA HERTIG RANDALL

Professeure à l’Université de Genève

Comment déterminer le minimum pour une vie décente ? Inspirations de la

jurisprudence allemande ... 145 MICHEL HOTTELIER

Professeur à l’Université de Genève

Le recours pour violation des opérations électorales en droit genevois ... 159 FLORIAN IRMINGER

Ancien membre de l’Assemblée constituante de la République et canton de Genève et président de la Commission de rédaction, Directeur exécutif de Penal Reform International, Londres

De la protection des lanceurs d’alerte à la collaboration avec la délation anonyme ... 171 JEAN-FRANÇOIS JOYE

Professeur à l’Université Savoie Mont Blanc

L’urbanisme français et le référendum. Enquête sur un blocage juridico-

psychologique ... 183 REGINA KIENER

Professeure à l’Université de Zurich DAVID HENSELER

MLaw, Avocat

Anforderungen des Europarats und der OSZE an die Spruchkörperbildung in

Gerichten ... 193 NICOLAS LEVRAT

Professeur à l’Université de Genève

Searching for international administrative law in Cross-border Co-operation ... 201 PASCAL MAHON

Professeur à l’Université de Neuchâtel

Le Parlement écossais, la devolution et le Brexit ... 207 VINCENT MARTENET

Professeur à l’Université de Lausanne

L’Etat en tant que destinataire des droits fondamentaux ... 221 CYRIL MIZRAHI

Avocat au Barreau de Genève

Introduction au droit de l’égalité des personnes handicapées ... 229 FRANÇOIS PAYCHERE

Docteur en droit, Président de la Cour des comptes de la République et canton de Genève Lettre à un jurisconsulte ou quelques propos libres destinés à un ami ... 243

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Sommaire

XI ETIENNE POLTIER

Professeur à l’Université de Lausanne

L’évolution du droit administratif suisse ... 251 MARIA RODRIGUEZ ELLWANGER

Docteure en droit

La place de la population dans la planification territoriale transfrontalière du bassin de vie franco-valdo-genevois ... 259 MARCO SASSÒLI

Professeur à l’Université de Genève

L’administration d’un territoire par un groupe armé peut-elle être régie par le droit ? ... 267 BENJAMIN SCHINDLER

Professeur à l’Université de Saint-Gall

Kontinuität und Wandel im Verwaltungsrecht. Miszelle zum Energierecht der

Barockzeit ... 277 RAINER J.SCHWEIZER

Professeur honoraire de l’Université de Saint-Gall

La genèse de la responsabilité publique en droit constitutionnel de Genève ... 287 FELIX UHLMANN

Professeur à l’Université de Zurich EVA SCHEIFELE

Assistante à l’Université de Zurich

Les tribunaux sont-ils des roseaux ? Quelques réflexions sur la relation entre le

législateur et les tribunaux dans la procédure administrative ... 297 FREDERIC VARONE

Professeur à l’Université de Genève KARIN BYLAND

Responsable de projets à la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève Evolution du contentieux administratif judiciaire au Tribunal fédéral (1990-2017) ... 309 NICOLAS WISARD

Docteur en droit, Avocat

La participation en aménagement du territoire après la Convention d’Aarhus.

Quelques observations conceptuelles et d’expérience ... 317 ROBERT ZIMMERMANN

Docteur en droit, Conseil

De la nature administrative de l’entraide judiciaire internationale en matière pénale ... 329 JEAN-BAPTISTE ZUFFEREY

Professeur à l’Université de Fribourg

Travaux de construction : le privé ne tient pas le public... 337 Liste des publications de Thierry Tanquerel ... 343

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Du contrôle de l’administration par le juge

FRÉDÉRIC BERNARD

Chargé de cours à l’Université de Genève, Avocat

« [L’inopportunité] est et doit rester une erreur politique. » Thierry TANQUEREL1

Introduction

En clôture de la Journée de droit administratif organisée par la Faculté de droit de l’Université de Genève en 2013, le Professeur Thierry TANQUEREL a prononcé une conférence sur le thème du contrôle de l’opportunité qui a marqué les esprits des participants, tant par les thèses qui y ont été défendues que par la vigueur de l’argumentation développée. Cette intervention, ainsi que l’article qui en est issu, publié dans les Actes de cette Journée2, marquent une forme d’aboutissement de la réflexion du Professeur TANQUEREL sur la portée de la juridiction administrative.

En forme d’hommage, nous nous proposons de retracer les étapes et les évolutions qui ont conduit à cette intervention, ainsi que d’en présenter les éléments principaux.

I. L’évolution du droit administratif

Le thème du contrôle de l’opportunité a initialement occupé une place en retrait dans les publications du Professeur TANQUEREL, avant de se voir accorder une importance toujours plus grande.Loin d’être abstraite, cette évolution a, en réalité, accompagné deux évolutions générales du droit (administratif).

La première évolution concerne la procédure administrative. A partir du milieu des années 1960, la question de l’étendue de la qualité pour recourir a été au centre de l’attention. Ainsi, en 1966, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN ; RS 451), dont l’art. 12 al. 1 conférait aux organisations de protection de l’environnement le droit de recourir, à certaines conditions, contre les décisions du canton ou des autorités fédérales3. En 1983, le Parlement a inséré une disposition similaire, l’art. 55, dans

1 Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., Genève 2018, p. 181.

2 Thierry TANQUEREL, Le contrôle de l’opportunité, in François Bellanger/Thierry Tanquerel (éd.), Le contentieux administratif, Genève 2013, p. 209 ss.

3 Peter M. KELLER, « Article 12 », in Peter M. Keller/Jean-Baptiste Zufferey/Karl Ludwig Fahrländer (éd.), Commentaire de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage, Zurich 1997, p. 253 ss, p. 259-262.

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Frédéric Bernard

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la loi fédérale sur la protection de l’environnement (LPE ; RS 814.01)4. Cette extension de la qualité pour recourir s’est accompagnée du remplacement, en 1968, dans l’ancienne loi fédérale sur l’organisation judiciaire, de l’exigence de disposer d’un intérêt juridiquement protégé par celle d’un « intérêt digne de protection » (art. 103 let. a aOJ) et par l’insertion d’une condition identique dans la nouvelle loi fédérale sur la procédure administrative (art. 48 let. a PA)5, qui figure aujourd’hui à l’art. 48 al. 1 let. c PA.

Parallèlement, aux Etats-Unis, la notion de standing a fait l’objet de développements dans la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis, notamment dans les arrêts Sierra Club v.

Morton6 et United States v. Students Challenging Regulatory Agency Procedures (SCRAP)7. Le mouvement général de ces arrêts était identique aux développements helvétiques et consistait à étendre la qualité pour recourir des organisations en matière d’environnement8.

L’un des premiers articles publiés par le Professeur TANQUEREL après sa thèse de doctorat, co- écrit avec Robert ZIMMERMANN, porte sur les recours en droit de l’environnement et traite principalement de la qualité pour agir9. Le thème du contrôle de l’opportunité y est abordé en passant, sans commentaire particulier, les auteurs relevant que le droit de recours en matière de droit de l’environnement ne porte pas sur « l’opportunité de projets controversés »10. L’ouvrage rédigé par le Professeur TANQUEREL pendant son séjour en qualité de visiting scholar à l’Université de Californie à Berkeley (1988-1990), est, pour sa part, expressément consacré à la qualité pour agir des organisations écologistes11.

Par la suite, la question de la qualité pour agir a progressivement reculé dans les préoccupations, laissant la place à celle du champ du contrôle juridictionnel de l’administration12. C’est ainsi qu’apparaissent, en 1996, les premières véritables réflexions du Professeur TANQUEREL sur ce thème, dans un article consacré à la pesée des intérêts du point de vue du juge administratif13. A cette occasion, il observe d’ailleurs que « du point de vue de la séparation des pouvoirs, s’attaquer à la qualité pour agir revenait à oublier l’essentiel, l’étendue de la juridiction administrative, pour l’accessoire, l’accès à cette juridiction. »14 La deuxième évolution découle d’un changement de nature des normes juridiques.

L’apparition de ce que le Professeur Charles-Albert MORAND a qualifié d’« Etat propulsif »15 a, en effet, engendré une profonde mutation du droit. Les normes sont devenues toujours plus

4 Voir également Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats, Rapport sur l’initiative parlementaire : Simplification de l’examen d’impact sur l’environnement et prévention d’abus grâce à une définition plus précise du droit de recours des organisations, FF 2005 p. 5041 ss, p. 5049.

5 Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II : Les actes administratifs et leur contrôle, 3ème éd., Berne 2011, pp. 720-721 ; Peter SALADIN, Das Verwaltungsverfahrensrecht des Bundes, Bâle 1979, p. 178.

Malgré des ambitions limitées en termes de codification, la PA a eu une influence considérable sur les lois cantonales de procédure administrative. Voir Benjamin SCHINDLER, Die Kodifikation des Verwaltungsverfahrens in der Schweiz, Zeitschrift für Neuere Rechtsgeschichte 2013, p. 33 ss, p. 40.

6 405 U.S. 727 (1972).

7 412 U.S. 669 (1973).

8 Lawrence M. BARNETT, Standing for Environmental Groups : An Overview and Recent Developments in the D.C.

Circuit, Environmental Law Reporter (1989), p. 10289 ss.

9 Thierry TANQUEREL/Robert ZIMMERMANN, Les recours, in Charles-Albert MORAND (éd.), Droit de l’environnement : mise en œuvre et coordination, Bâle 1992, p. 117 ss, en particulier p. 126-146.

10 TANQUEREL/ZIMMERMANN (note 9), p. 148.

11 Thierry TANQUEREL, Les voies de droit des organisations écologistes en Suisse et aux Etats-Unis, Bâle 1996.

12 Alexandre FLÜCKIGER, L’extension du contrôle juridictionnel des activités de l’administration : un examen généralisé des actes matériels sur le modèle allemand ?, Berne 1998, p. 13 ss.

13 Thierry TANQUEREL, La pesée des intérêts vue par le juge administratif, in Charles-Albert Morand (éd.), La pesée globale des intérêts : droit de l’environnement et de l’aménagement du territoire, Bâle 1996, p. 189 ss.

14 TANQUEREL (note 13), p. 199.

15 Charles-Albert MORAND (dir.),L’Etat propulsif : contribution à l’étude des instruments d’action de l’Etat, Paris 1991.

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Du contrôle de l’administration par le juge

27 programmatiques et ouvertes, nécessitant une concrétisation et ne se prêtant que très difficilement à une application mécanique du traditionnel syllogisme juridique16.

Ce développement influence les réflexions du Professeur TANQUEREL sur la portée du contrôle de l’administration. En effet, dans un article publié en 2002, il souligne le caractère devenu fragmenté – voire même éclaté – de l’intérêt public, entre privatisation de l’intérêt public et publicisation d’intérêts privés, et les difficultés qui en résultent pour définir celui-ci par anticipation17. Le rôle des tribunaux et la portée de leur intervention s’en trouvent profondément modifiés, puisque « le juge appelé à contrôler l’activité de l’Etat est immanquablement amené à vérifier si l’arbitrage opéré par l’autorité est conforme au droit et, si tel n’est pas le cas, à y substituer le sien ou, au moins, à fixer les modalités d’un arbitrage régulier. »18

L’intérêt porté à la problématique de la portée de la juridiction administrative apparaît donc comme le produit d’un double mouvement : (1) la question du champ de la juridiction administrative apparaît, en réalité, plus décisive que celle de la qualité pour agir ; (2) les mutations connues par le droit dans la seconde moitié du 20e siècle placent le juge dans une position où il est susceptible de revoir systématiquement les décisions prises par l’administration en leur substituant sa propre appréciation.

II. La séparation des pouvoirs et la légitimité démocratique

Les thèses du Professeur TANQUEREL en matière de contrôle de l’opportunité sont, par ailleurs, profondément influencées par ses convictions au sujet des principes de séparation des pouvoirs et de légitimité démocratique.

La séparation des pouvoirs a pris une place prépondérante dans les réflexions juridiques et politologiques au 18e siècle. En réponse à l’absolutisme royal, les défenseurs de ce principe prônaient une forme d’organisation étatique susceptible de limiter les excès et les abus du pouvoir19, en fragmentant ce dernier par la distinction des fonctions législative, exécutive et judiciaire20. La notion de légitimité démocratique vient enrichir et complexifier la séparation des pouvoirs, en ancrant dans le peuple la source de la légitimité politique21.

L’importance de ces deux principes apparaît dès 1996, lorsque le Professeur TANQUEREL

affirme qu’« en vertu de la séparation des pouvoirs, il n’appartient pas au juge de concevoir ou de mettre en œuvre une politique. »22 De même, en 2001, dans un article consacré au contentieux de l’aménagement du territoire, il commente le « libre pouvoir d’examen » de l’autorité de recours prévu par l’art. 33 al. 3 let. b LAT et relève que l’extension du contrôle à

16 Charles-Albert MORAND, Le droit néo-moderne des politiques publiques, Paris 1999, p. 91. Voir aussi la notion de

« droit mou » décrite par Jacques CHEVALLIER, L’Etat post-moderne, 3e éd., Paris 2008, p. 144-145. Consulter également Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, Bâle 2014, p. 156.

17 Thierry TANQUEREL, Le juge comme arbitre de l’intérêt public, in Jean Kellerhals/Dominique Manaï/Robert Roth (éd.), Pour un droit pluriel : études offertes au professeur Jean-François Perrin, Genève 2002, p. 221 ss, p. 222- 223.

18 TANQUEREL (note 17), p. 224.

19 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, in Œuvres complètes, Paris 1857, p. 189 ss, p. 264-265 : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir (…) Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »

20 Jean TOUCHARD, Histoire des idées politiques, tome 2 : Du XVIIIe siècle à nos jours, 13e éd., Paris 1993, p. 396- 397.

21 Raymond ARON, Introduction à la philosophie politique : Démocratie et révolution, Paris 1997, p. 60-61.

22 TANQUEREL (note 13), p. 198.

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l’opportunité peut « poser des problèmes en matière de plans d’affectation, pour l’établissement desquels une large liberté d’appréciation est par définition présente, lorsque l’autorité qui adopte les plans dispose d’une beaucoup plus grande légitimité démocratique que l’autorité de recours »23.

Il est intéressant de relever que le « gouvernement des juges » est mentionné à plusieurs reprises dans ses articles24.Cette figure, qui fait référence à la situation dans laquelle des juges s’arrogent la prérogative de gouverner en lieu et place des autres pouvoirs institués25, est utilisée par le Professeur TANQUEREL pour appeler le juge administratif à faire preuve de retenue lorsqu’il contrôle l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’administration.

L’analyse des thèses du Professeur TANQUEREL en matière de contrôle judiciaire de l’administration doit donc tenir compte de l’importance accordée dans ses écrits aux principes de séparation des pouvoirs et de légitimité démocratique. En réalité, la défense de l’autonomie et de la responsabilité des autorités élues est particulièrement cohérente de la part de quelqu’un dont l’engagement politique a été permanent, comme l’a notamment montré son élection à l’Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution genevoise (2008-2012).

III. Les échos du débat nord-américain

Outre le rôle central des principes précités, il n’est pas sans intérêt de relever que les premières publications du Professeur TANQUEREL sur le thème du contrôle judiciaire de l’administration sont postérieures à son séjour, en tant que visiting scholar, à l’Université de Californie à Berkeley26.

Or, à cette époque, le droit public y était notamment enseigné par le Professeur Martin SHAPIRO, auteur d’un ouvrage paru en 1988 intitulé Who Guards the Gardians ? Judicial Control of Administration27, que le Professeur TANQUEREL cite à plusieurs reprises dans ses publications28.

23 Thierry TANQUEREL, Le contentieux de l’aménagement du territoire, in Michel Hottelier/Bénédict Foëx (éd.), L’aménagement du territoire : planification et enjeux, Bâle 2001, p. 113 ss, p. 118.

24 TANQUEREL (note 13), p. 199 ; TANQUEREL (note 17), p. 229.

25 Le terme « gouvernement des juges » peut renvoyer à deux situations historiques distinctes : à la fin de l’Ancien Régime, les parlements, alors chambres de justice, étaient exclusivement composés de nobles et avaient la compétence d’accepter les ordonnances royales. Or, pour préserver les privilèges de leurs membres, ils refusèrent de nombreux projets de réforme et contribuèrent au développement des frustrations qui conduisirent, à terme, à la Révolution française. Voir Blandine KRIEGEL, État de droit ou Empire?, Paris 2002, p.

107. L’expression « gouvernement des juges » fait aussi référence au blocage, par la Cour suprême des États- Unis, dans les années 1930, de la législation sociale voulue par le Président Franklin D. Roosevelt. Voir Elisabeth ZOLLER, Considérations sur les causes de la puissance de la Cour suprême des Etats-Unis et de sa retenue, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2011, p. 231 ss.

26 Séjour qui a notamment abouti à la publication de TANQUEREL (note 11).

27 Martin SHAPIRO, Who Guards the Guardians ? Judicial Control of Administration, Athens (Géorgie) 1988.

Incidemment, l’auteur de la présente contribution a suivi le même chemin vingt ans plus tard et ses recherches à UC Berkeley ont été supervisées par le Professeur… Martin SHAPIRO.

28 Cité dans TANQUEREL (note 12), p. 201 (n. 81) ; TANQUEREL (note 17), p. 231 (n. 42) ; TANQUEREL, (note 26).

Dans les articles de cette époque, la notion de « prudence » apparaît régulièrement dans les écrits du Professeur TANQUEREL. Voir, par exemple, TANQUEREL, (note 12), p. 212 : « [Le juge] sera inévitablement amené à user, dans une mesure plus ou moins grande, de sa "prudence" au sens romain du terme. » Voir également TANQUEREL (note 17), p. 232. Ces références à la notion de « prudence » font écho à l’utilisation régulière de ce terme dans les ouvrages de Martin SHAPIRO,où il occupe une place prépondérante. Voir, par exemple, SHAPIRO, (note 27), p. 134 ss, notamment p. 136 : « Prudence understands that, at any given moment, it must work with the set of limits and opportunities it has inherited from the past to reach future goals that themselves cannot be fully defined now. »

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Du contrôle de l’administration par le juge

29 Dans ce remarquable ouvrage dédié à l’étude des relations entre l’administration et le pouvoir judiciaire, le Professeur SHAPIRO défend des thèses singulièrement proches de celles prônées par la suite par le Professeur TANQUEREL29. Ainsi, il relève, entre autres, le rôle croissant des juges dans le contrôle de l’administration30, souligne leur manque de légitimité31 et insiste sur le caractère politique de l’action administrative32.

Il est donc permis de former l’hypothèse que les positions du Professeur Martin SHAPIRO et du courant doctrinal dans lequel il s’insérait aux Etats-Unis ont contribué à façonner la pensée du Professeur TANQUEREL sur ce sujet.

IV. Les étapes de la réflexion

Les réflexions du Professeur TANQUEREL sur les thèmes de l’opportunité et de son contrôle par le juge s’inscrivent dans le contexte de l’évolution du droit (administratif) et dans le respect des principes de séparation des pouvoirs et de légitimité démocratique. Elles présentent cependant une caractéristique supplémentaire : elles ont évolué avec le temps. De manière schématique, il est possible d’identifier trois grandes étapes dans cette évolution.

Au cours de la première étape, le Professeur TANQUEREL présente ces thèmes de manière classique, sans remettre en question les notions et principes élaborés par la jurisprudence et la doctrine. Ainsi, en 1996, le Professeur TANQUEREL expose que l’administration peut se voir conférer un pouvoir d’appréciation de deux manières, soit par l’utilisation dans la loi du verbe

« pouvoir », soit par l’utilisation de notions juridiques indéterminées33. Il rappelle alors qu’en principe, les tribunaux administratifs ne sont pas habilités à revoir l’opportunité des décisions administratives34, en observant cependant – point sur lequel nous reviendrons à la fin de la présente contribution – que les juges se montrent, de manière générale, réticents à revoir l’opportunité des décisions administratives35.

La deuxième étape est constituée par l’article que le Professeur TANQUEREL consacre, dans les Mélanges offerts au Professeur MORAND, à l’opportunité d’utiliser, dans le droit, le terme

« opportunité »36. A cette occasion, il définit l’opportunité, au sens juridique du terme, comme

« un champ de possibilités ouvert à l’administration sans être, normalement, soumis à un contrôle judiciaire de conformité au droit »37.

29 Les observations du Professeur SHAPIRO sur la création de normes par l’administration sont parentes de celles qu’il avait consacrées, en 1983, au thème de la « discretion » dont jouit l’administration. Voir Martin SHAPIRO, Administrative Discretion : The Next Stage, Yale Law Journal (1982), p. 1487 ss, notamment p. 1519-1522.

30 SHAPIRO, (note 27), p. 71. Voir également Martin SHAPIRO, Juridicalization of Politics in the United States, International Political Science Review (1994), p. 101 ss.

31 SHAPIRO, (note 27), p. 25.

32 SHAPIRO (note 27), p. 171 : « [J]udges have forgotten what rule-making agencies are. They have come to treat them as if they were courts instead of subordinate legislatures. They have also come to treat them as if they were bodies engaged in a true science of synoptic public administration instead of subordinate legislatures.

Agencies ought to be allowed to act and to admit that they act as subordinate legislatures making a good deal of law within broad congressional constraints and in the face of considerable uncertainty about facts and diverse and changing political sentiments. »

33 TANQUEREL (note 13), p. 192.

34 TANQUEREL (note 13), p. 207.

35 TANQUEREL (note 13), p. 213 et p. 201.

36 Thierry TANQUEREL, De l’opportunité de l’opportunité, in Andreas Auer/Jean-Daniel Delley/Michel Hottelier (éd.), Aux confins du droit : essais en l’honneur du Professeur Charles-Albert Morand, Genève 2001, p. 447 ss, p. 452- 453.

37 TANQUEREL (note 36), p. 450. Voir également ATF 118 Ib 317 c. 3.b : « Angemessenheit ist die den Umständen angepasste Lösung im rechtlich nicht normierten Handlungsspielraum. »

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Frédéric Bernard

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Il semble alors admettre la distinction classique opérée par la jurisprudence et la doctrine entre

« liberté (ou pouvoir) d’appréciation » et « latitude de jugement »38. La première est présente lorsque la loi permet à l’autorité, dans des circonstances données, de prendre ou non une mesure ou de choisir entre plusieurs solutions, tandis que la seconde découle de l’emploi, par le législateur, de notions juridiques indéterminées (« Unbestimmter Rechtsbegriff »)39. Toutefois, le Professeur TANQUEREL critique le fait que, selon la jurisprudence et la doctrine, la notion d’opportunité ne se rapporte qu’à la liberté d’appréciation (« Ermessen »), non à la latitude de jugement (« Beurteilungsspielraum ») de l’administration40, dans la mesure où le champ de possibilités ouvert par l’emploi d’une notion juridique indéterminée (latitude de jugement) est considéré comme une question de droit et peut donc être revu par l’autorité de recours41. A l’encontre d’autres opinions doctrinales42, il critique alors cette distinction43.

A cette occasion, il énonce à nouveau sa conviction qu’il n’appartient pas au juge de revoir l’opportunité des décisions administratives : « Prise à la lettre, l’obligation pour un tribunal de contrôler l’opportunité est très curieuse. Elle revient en effet à permettre et même à ordonner au juge de substituer purement et simplement sa propre appréciation à celle de l’autorité compétente en premier lieu, quand bien même celle-ci aurait entièrement respecté non seulement la loi, mais encore l’ensemble des principes constitutionnels. »44

Une seule exception doit être aménagée à cette règle, lorsque la violation de principes constitutionnels est en jeu45. Il s’agit toutefois, en réalité, d’une fausse exception, puisqu’il n’est plus question de contrôle de l’opportunité stricto sensu, mais de contrôle de la constitutionnalité de la décision administrative46.

Il conclut alors que l’utilisation en droit administratif du terme « opportunité » est inutile, car il ne permet ni de fonder la nécessité d’un contrôle judiciaire de l’administration, ni d’en délimiter les contours47.

La troisième étape est celle de la contribution de 201348.

Dans celle-ci, le Professeur TANQUEREL affine tout d’abord sa définition de l’opportunité : « Il s’agit du critère de choix dans l’espace de liberté, dans la marge de manœuvre ou, pour employer l’expression utilisée par le législateur, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité, une fois que celle-ci a respecté le cadre que lui fixe la loi, complété le

38 TANQUEREL (note 36), p. 450.

39 DUBEY/ZUFFEREY (note 16), p. 157 ; Pierre TSCHANNEN/Ulrich ZIMMERLI/Markus MÜLLER, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4e éd., Berne 2014, p. 216-229 ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6e éd., Zurich 2010, p. 98-109.

40 TANQUEREL (note 36), p. 451.

41 ATF 100 Ia 82 c. 4.a.

42 Voir notamment André GRISEL, Traité de droit administratif, 2e éd., Neuchâtel 1984, p. 336 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I : Les fondements, 3e éd., Berne 2012, p.

737-739.

43 TANQUEREL (note 36), p. 463-464 : « Quel que soit le fondement juridique ou logique de la latitude de jugement concédée à l’administration dans l’application de notions juridiques indéterminées, la situation de l’autorité exerçant cette latitude n’est en rien différente de celle où elle se trouve lorsqu’elle use de sa liberté d’appréciation (…) [N]e parler d’opportunité que dans une seule des situations évoquées est trompeur. »

44 TANQUEREL (note 36), p. 461. Voir aussi TANQUEREL (note 17), p. 229.

45 TANQUEREL (note 36), p. 457. Ce raisonnement en deux temps figure déjà dans Thierry TANQUEREL, Les principes généraux de la réforme de la juridiction administrative genevoise, RDAF 2000 p. 467 ss, p. 490.

46 Dans le même ordre d’idée, le Professeur TANQUEREL réfutera ultérieurement l’utilisation du vocable

« administration libre », utilisé notamment par Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., Bâle 1991, p.

34, au motif que l’administration doit toujours respecter les principes généraux du droit administratif, même lorsqu’elle dispose d’une marge d’appréciation, et n’est donc jamais entièrement libre. Voir TANQUEREL, (note 1), p. 174-75.

47 TANQUEREL (note 36), p. 464.

48 Il convient de relever que les thèses défendues à cette occasion sont proches de celles développées dans le Manuelde droit administratif (voir note 1), dont la première édition a été publiée en 2011.

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Du contrôle de l’administration par le juge

31 cas échéant par les droits et principes constitutionnels. »49 Dans ce cadre, l’autorité administrative a le droit de mener une politique administrative : « Le jugement sur l’inopportunité ne peut être juridique, il est forcément politique. »50

Les seules limites résident dans l’abus ou l’excès du pouvoir d’appréciation51. L’excès positif désigne le cas où l’administration fait sienne une mesure que la loi ne lui permet pas d’adopter ; l’excès négatif l’hypothèse où l’administration refuse de faire usage de son pouvoir d’appréciation en s’estimant à tort liée à une seule mesure possible ou en appliquant des solutions trop schématiques ; enfin, l’abus du pouvoir d’appréciation découle du fait, pour l’autorité, de violer les principes constitutionnels en fondant sa décision sur des motivations étrangères à l’intérêt public ou arbitraires, en créant des inégalités injustifiées ou en ne respectant pas le principe de proportionnalité. Comme le fait remarquer le Professeur TANQUEREL, il s’agit cependant à nouveau de fausses exceptions, puisqu’en réalité, la notion d’excès (positif ou négatif) se confond avec la violation de la loi et celle d’abus avec la violation de la Constitution52.

Le Professeur TANQUEREL présente alors la vision classique en matière de pouvoir d’appréciation de l’administration53. Cette fois, cependant, ce n’est pas pour s’appuyer sur cette vision, mais pour la remettre en cause dans ses fondements : le Professeur TANQUEREL

plaide, en effet, pour une théorie unitaire de l’opportunité, définie – qu’il s’agisse de la liberté d’appréciation ou de la latitude de jugement – comme un espace de liberté dans lequel existe une place pour des choix en opportunité54. A ce stade du raisonnement, une réconciliation avec la notion d’opportunité – critiquée douze ans auparavant – apparaît possible, pour autant du moins que celle-ci soit utilisée comme « miroir exact » du pouvoir d’appréciation55.

La position du Professeur TANQUEREL concernant le rôle du juge dans le contrôle de l’opportunité est, en revanche, demeurée la même : « Les juges sont les gardiens du droit. Leur rôle n’est pas de déterminer la politique ni du pays en général, ni de ses entités administratives en particulier. Lorsque le législateur ouvre le texte de la loi, en droit public, ce n’est donc en principe pas pour laisser le juge le compléter de cas en cas, comme cela peut arriver en droit privé, mais pour conférer à l’administration, sous le contrôle du pouvoir politique, un certain pouvoir d’appréciation. »56

S’inscrivant dans les débats juridiques actuels, le Professeur TANQUEREL saisit cette occasion pour critiquer la possibilité conférée au Tribunal administratif fédéral de revoir l’opportunité

49 TANQUEREL (note 2), p. 212-213. Voir aussi TANQUEREL, (note 1), p. 180.

50 TANQUEREL (note 2), p. 214. Le Professeur TANQUEREL se réfère, dans ce cadre, à Pierre MOOR et à sa notion de

« micropolitique », voir Pierre MOOR, Pour une théorie micropolitique du droit, Paris 2005, p. 53 : « Dans l’acceptation qui lui est donnée ici, [micropolitique] signifie la part de liberté dont jouit, à quelque niveau que ce soit, n’importe quelle instance étatique, dès lors qu’elle est dotée d’un pouvoir qu’elle peut faire peser sur

« ses » administrés. »

51 DUBEY/ZUFFEREY (note 16), p. 154-155. Voir, par exemple, l’art. 61 de la loi genevoise sur la procédure administrative, qui fixe le principe selon lequel les juridictions administratives n’ont pas la compétence d’apprécier l’opportunité de la décision attaquée (al. 2), mais précise que le recours peut être formé pour

« violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation ».

52 TANQUEREL, (note 1), p. 180.

53 TANQUEREL (note 2), p. 217-218. Voir également TANQUEREL, (note 1), p. 175-176.

54 TANQUEREL (note 2), p. 219-220.Dans ce sens, voir également Benjamin SCHINDLER, Verwaltungsermessen : Gestaltungskompetenzen der öffentlichen Verwaltung in der Schweiz, Zurich 2010, p. 207-209 ; Alfred KÖLZ/Isabelle HÄNER/Martin BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 3e éd., Zurich 2013, p. 272-276. La distinction entre les deux notions est déjà critiquée par SALADIN (note 4), p. 192- 193.

55 TANQUEREL (note 2), p. 223.

56 TANQUEREL (note 2), p. 225-226. Voir encore TANQUEREL (note 2), p. 234 : « Conférer aux tribunaux le pouvoir de contrôler l’opportunité des décisions est fondamentalement contraire à leur nature et à leur mission. » Il est précieux, dans ce cadre, de se référer aux cinq types de pouvoir d’appréciation identifiés par SCHINDLER (note 54), p. 315-405, qui poursuivent des buts distincts et renvoient à la volonté du législateur (pouvoir d’appréciation au cas par cas, adaptatif, d’expertise technique, politique et entrepreneurial).

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Frédéric Bernard

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des décisions administratives, du fait du renvoi de l’art. 37 LTAF à l’art. 49 PA, et propose d’abroger cette disposition57.

V. Remarques conclusives

Les influences possibles, les étapes et les principaux éléments de la théorie unitaire ayant été posés, il convient d’en examiner brièvement les mérites et les conséquences.

Du point de vue de la théorie du droit, l’atout principal de la théorie unitaire réside dans la simplification et la clarification de la notion de pouvoir d’appréciation laissé à l’administration. Comme le notent plusieurs auteurs de doctrine, il est, en effet, particulièrement ardu de saisir en quoi la tâche de l’administration serait substantiellement différente selon que le législateur lui a laissé un espace de liberté par le biais d’une énumération de possibilités ou par l’utilisation d’une notion juridique indéterminée. De ce point de vue, la théorie unitaire doit manifestement être accueillie avec faveur.

Indirectement – et implicitement –, la théorie unitaire a pour effet d’étendre le champ des décisions administratives immunisées contre le contrôle du juge, puisque la latitude de jugement – traditionnellement considérée comme une question juridique et donc soumise à un contrôle judiciaire – rentre dorénavant dans « l’espace de liberté » laissé à l’administration. En cela, elle s’inscrit parfaitement dans la conviction du Professeur TANQUEREL que l’opportunité confère à l’administration un espace souhaitable de choix et de responsabilité politique.

Sous l’angle pratique, il est permis de se demander si le thème (de l’absence) de contrôle judiciaire de l’opportunité répond, dans le contexte helvétique, à un véritable risque de judiciarisation excessive de l’activité administrative.

Ainsi que nous l’avons vu, il est possible que les idées du Professeur TANQUEREL aient été influencées par le débat nord-américain. Or, aux Etats-Unis, entre le milieu des années 1960 et les années 1990, le degré d’intervention de la justice dans les décisions de l’administration était particulièrement important58. Les Professeurs Malcolm M. FEELEY et Edward L. RUBIN ont, par exemple, décrit la manière dont les tribunaux fédéraux nord-américains se sont progressivement octroyé la compétence de dicter les conditions d’organisation des prisons étatiques et de réformer celles-ci en profondeur, conformément à ce qui leur paraissait désirable59. Dans ce contexte, les ordres émanant des tribunaux allaient jusqu’à détailler la surface admissible des cellules, le contenu nutritionnel des repas, le nombre de douches autorisé pour chaque prisonnier ou encore la puissance en watts des ampoules installées dans les cellules60. Ce faisant, il est manifeste que les tribunaux substituaient leur propre appréciation à celle de l’administration, sans que soit nécessairement en cause une violation de nature juridique.

57 TANQUEREL (note 2), p. 235.

58 SHAPIRO (note 30), p. 107 : « Judges had declared that they would take a hard look at everything the agencies did, that they, not the agencies, were the final authority on statutory meaning, and that they were in

"partnership" with the agencies in rule-making. Nearly every significant agency-made rule was challenged in court. And given the number the judges struck down, there was no doubt who the senior partner was. »

59 Malcolm M. FEELEY/Edward L. RUBIN,Judicial Policy Making and the Modern State : How the Courts Reformed America’s Prisons, Cambridge 2000, p. 5 : « [P]olicy making is distinguished from interpretation because it treats the text as a source of jurisdiction, not a guide to decision. When judges engage in interpretation, they invoke the applicable legal text to determine the content of the decision, whether by examining the words of that text, the structure of the text, the intent of its drafters, or the inherent purpose that informs it. But when judges engage in policy making, they invoke the text to establish their control over the subject matter, and then rely on non-authoritative sources, and their own judgment, to generate a decision that is predominantly guided by the perceived desirability of its results. »

60 FEELEY/RUBIN (note 59), p. 13.

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Du contrôle de l’administration par le juge

33 En Suisse, par contraste, les tribunaux administratifs font habituellement preuve de davantage de retenue. A cet effet, ils ont notamment développé certains outils d’autolimitation, par exemple lorsque la décision à adopter nécessite des connaissances techniques ou que l’autorité intimée s’est contentée de suivre le préavis de commissions spécialisées.

Ainsi, le Tribunal administratif fédéral s’impose une certaine retenue dans l’exercice de son contrôle lorsque la résolution du litige exige des connaissances spécifiques, notamment techniques, dont l’autorité administrative dispose mieux que le juge. Dans un tel cas de figure, le Tribunal administratif fédéral ne s'écarte de l'avis de l'autorité que si celle-ci s'est manifestement laissée guider par des motifs étrangers aux normes appliquées ou n'a pas tenu compte de manière adéquate de tous les intérêts en présence61. Au surplus, lorsqu’il s’agit d’apprécier des questions qui requièrent des connaissances techniques, le Tribunal administratif fédéral considère que plus le pouvoir d'appréciation de l'autorité de première instance est important, plus il doit faire preuve lui-même de retenue en exerçant son propre pouvoir d'appréciation, et ce bien qu’il soit au bénéfice d’un plein pouvoir de cognition62. En pratique, les tribunaux suisses apparaissent ainsi plutôt réticents à l’idée de revoir l’opportunité des décisions administratives, y compris lorsque son contrôle est expressément prévu par la loi63. Sous cet angle, la théorie unitaire de l’opportunité et la défense d’un espace politique réservé à l’administration codifient la pratique judiciaire helvétique davantage qu’elles appellent à en corriger les excès. Elles n’en constituent pas moins une magistrale reformulation théorique du rôle du juge et du contrôle qu’il exerce sur l’administration.

61 Arrêt du TAF A-7015/2008 c. 3.

62 Arrêt du TAF A-4998/2015 c. 1.6.2.

63 TANQUEREL (note 2), p. 230. Voir également TANQUEREL, (note 1), p. 181-182.

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