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Article pp.187-198 du Vol.23 n°2 (2003)

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SCIENCES DES ALIMENTS, 23(2003) 187-198

© Lavoisier – La photocopie non autorisée est un délit

Dans chaque numéro, cette nouvelle rubrique met en avant un article traitant d’un des aspects de la nutrition, du rôle des technologies agroalimentaires sur la qualité des aliments jusqu’à la

« cuisine », en passant par les problèmes nutritionnels, la toxicologie alimentaire, et plus générale- ment les conséquences sur la santé des pratiques alimentaires. Les articles retenus sont soit des travaux de synthèse de haut niveau faisant le point sur une question, soit des publications origina- les rendant compte de travaux de recherche appliquée récents apportant un regard nouveau.

La Société scientifique d’hygiène alimentaire (SSHA), société savante créée en 1904 pour contri- buer à la diffusion des connaissances en nutrition et sécurité sanitaire, est aujourd’hui formée de deux départements : l’Institut supérieur de l’alimentation (ISA) développe des actions de formation, d’information et de conseil ; l’Institut supérieur d’hygiène alimentaire (ISHA) propose un catalogue complet d’analyses (composants nutritionnels, contaminants, analyse sensorielle, microbiologie…).

Les propositions d’articles, remarques et suggestions peuvent être envoyées à : Claude Bourgeois

SSHA

Rue du Chemin Blanc, BP 138, Champlan F-91163 Longjumeau cedex Tél. : + 33 (0)1 69 79 31 50

Fax : + 33 (0)1 64 48 82 49 http://www.ssha.asso.fr cbourgeois@ssha.asso.fr

L’ALIMENTATION ET LA VIE

La gastronomie moléculaire

Hervé This

Groupe INRA de gastronomie moléculaire, laboratoire de chimie des interactions moléculaires Collège de France, Place Marcelin Berthelot F-75005 Paris (herve.this@college-de-france.fr)

La science des aliments est ancienne, puisque Antoine Baumé (1728-1804), Antoine Cadet de Vaux (1743-1828) (Cadet de Vaux, 1818) ou Denis Papin (1647-1712) s’intéressèrent aux bases scientifiques de la préparation du bouillon (THIS et BRAM, 1998). Progressivement, cette science s’est dévelop- pée dans deux directions principales : d’une part, elle a cherché les moyens de nourrir les populations — avec succès puisque la majorité des Français d’aujourd’hui n’a pas connu de famine (COMBRIS, 2003 ; BULEON et al., 1998) ; d’autre part, la connaissance des aliments s’est affinée, au point que l’on détecte aujourd’hui des concentrations en molécules odorantes de l’ordre de 10-12 g/L (DUNACH, 2002).

Pourtant, en 1988, les millions de Français qui cuisinaient n’avaient pas de science pour les aider dans la préparation des aliments. Avec le physicien bri- tannique Nicholas Kurti (1908-1998), nous avons décidé de créer une sous- discipline de la science des aliments, tout entière consacrée aux transforma- tions culinaires. Comme nous voulions également considérer des phénomè- nes relatifs à l’acte de manger, et non seulement à celui de cuisiner, nous avons dû utiliser, pour la nommer, le mot « gastronomie », plus large que celui

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de cuisine1 (BRILLAT-SAVARIN, 1825) ; et comme nous nous intéressions aux aspects chimiques, physiques et biologiques des transformations culinaires, nous avons été conduits à choisir le nom complet de « gastronomie moléculaire ». Nous verrons comment d’autres disciplines s’ajoutent néces- sairement aux trois sciences de base.

Ici, nous examinerons le programme de la discipline, sur des exemples de résultats récents.

La modélisation des recettes classiques

L’exploration scientifique d’un champ tel que la cuisine semble imposer tout d’abord un travail de modélisation des gestes culinaires et, de ce fait, des recettes classiques. C’est toutefois un travail de longue haleine, puisque le Guide culinaire du cuisinier français Auguste Escoffier (ESCOFFIER, 1921) compte plus de 5000 recettes, dont chacune impose une longue analyse.

Par exemple, la « sauce espagnole » s’obtient par addition d’un « roux lié » et d’une « garniture aromatique » (« mirepoix ») à un fonds, du vin étant utilisé pour un « déglaçage ». Du point de vue physico-chimique, les opérations sont nombreuses et mal connues : le roux est obtenu par chauffage de beurre et de farine jusqu’à l’apparition d’une coloration noisette, mais quelle est précisément sa composition ? L’ajout d’une solution aqueuse (fond, vin) conduit à une sus- pension de grains d’amidon gélifiés (la physico-chimie n’a pas de terme pour désigner ce système, intermédiaire entre la suspension et le gel), et la cuisson longue de cette « suspension de micro-gels » fait passer en solution une partie des polysaccharides de l’amidon (MORRISSON et al., 1993), tandis qu’il permet un gonflement des grains d’amidon, par absorption de l’eau de la solution, mais elle est aussi l’occasion de réactions chimiques mal connues qui engendrent des molécules sapides et aromatiques (le « goût » change).

Les entrées du Guide culinaire étant toutes complexes à ce point, on voit que la stratégie scientifique qui consiste à modéliser méthodiquement les recet- tes risque de ne donner que lentement des résultats démontrant l’intérêt de la discipline. Aussi avons-nous préféré nous focaliser d’abord sur des questions importantes, et réserver pour plus tard ce balayage systématique des recettes.

1. Jean-Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) définit ainsi la gastronomie (BRILLAT-SAVARIN, 1825) :

« La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nour- rit.

Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible.

Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou prépa- rent les choses qui peuvent se convertir en aliments.

Ainsi, c'est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils déguisent leur emploi à la préparation des aliments.

La gastronomie tient :

– à l'histoire naturelle, par la classification qu'elle fait des substances alimentaires ; – à la physique, par l'examen de leurs compositions et de leurs qualités ; – à la chimie, par les diverses analyses et décompositions qu'elle leur fait subir ; – à la cuisine, par l'art d'apprêter les mets et de les rendre agréables au goût ;

– au commerce, par la recherche des moyens d'acheter au meilleur marché possible ce qu'elle consomme, et de débiter le plus avantageusement ce qu'elle présente à vendre ;

– enfin, à l'économie politique, par les ressources qu'elle présente à l'impôt, et par les moyens d'échange qu'elle établit entre les nations. »

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La cuisine étant largement fondée sur la cuisson, nous nous sommes d’abord préoccupés de ce phénomène. Qu’est-ce que cuire ? La cuisine classi- que ne répond à cette question que par une longue liste de préparations parti- culières, mais l’analyse physique et chimique des procédés qui conduisent aux divers résultats énumérés dans les livres de cuisine montre que la cuisson est une modification de l’état physique et chimique des aliments caractérisée par un changement de couleur, de structure et de goût. Le recensement des procé- dés qui conduisent à ces modifications conduit à la liste suivante : conduction de la chaleur (transmise par un solide, par liquide – solution aqueuse ou matière grasse – ou par un gaz) ; exposition à des rayonnements (micro-ondes ou infra- rouges, par exemple) ; modifications chimiques (par acidification, par modifica- tion de la force ionique, parprécipitation) ; application d’une pression.

Examinons l’exemple du blanc d’œuf de poule, un aliment particulièrement simple, puisque composé, au premier ordre de 90 % d’eau et de 10 % de protéi- nes (BELITZ et GROSCH, 1999). Posé sur un métal chaud, plongé dans l’eau ou dans l’huile chaudes, mis dans un four ou devant un feu, le blanc d’œuf coagule.

À quelle température ? La cuisine classique a rarement posé la question parce que, jusqu’à une époque récente, la seule température qu’il était possible de maintenir avec précision était celle de l’ébullition de l’eau. Aujourd’hui, toutefois, les moyens modernes de régulation permettent de fixer la température et de met- tre en œuvre des connaissances obtenues par la science des aliments.

Par exemple, les températures de dénaturation des protéines de l’œuf sont connues (tableau 1) (LI-CHAN et NAKAY, 1989 ; THAPON et BOURGEOIS, 1994).

Tableau 1

Températures de dénaturation des protéines de l’œuf

Protéines Températures de dénaturation Pour leblanc :

Ovotransferrine 61 °C

Ovomucoïde 70 °C

Lysozyme 75 °C

Ovalbumine 84,5 °C

Ovoglobuline 92,5 °C

Pour le jaune :

LDL 70 °C

HDL 72 °C

Livetine alpha 70 °C

Livetine bêta 80 °C

Livetine gamma 62 °C

Phosvitine plus de 140 °C

Jaune complet : 65-70 °C (en raison des LDL) 1-Gastronomie (187-198) Page 189 Mercredi, 11. juin 2003 12:40 12

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Les structures accessibles quand on chauffe un blanc d’œuf à la tempéra- ture ambiante sont variées : à chaque transition, un nouveau gel se forme dans les précédents, de sorte que l’eau et les protéines non dénaturées sont davan- tage liés. Par exemple, à la température d’équilibre de 65 °C, le blanc d’œuf forme un gel blanc, très délicat, tandis que, selon les conditions de cuisson, le jaune reste entièrement liquide ou bien gélifie délicatement, tout en conservant sa couleur initiale (figure 1). Nous avons proposé de nommer un tel résultat

« œuf à 65 °C ».

Figure 1

Un œuf chauffé plus d’une heure environ à 65 °C.

Si l’on peut obtenir de nombreux résultats différents, en cuisant à des tem- pératures fixes, inférieures à 100 °C, on peut aussi provoquer des changements d’état des œufs par d’autres procédés. Par exemple, l’ajout d’éthanol (on utili- sera de l’eau-de-vie, pour conserver des conditions culinaires) provoque une précipitation/gélification des protéines qui conduit à un résultat macroscopique- ment analogue à celui d’un pochage dans l’eau bouillante (figure 2). D’autre part, le traitement d’un œuf entier par du vinaigre (ou, au laboratoire, par une solution d’acide acétique dans l’eau) conduit à une dissolution de la coquille, puis à la gélification progressive du blanc et du jaune de l’œuf (figure 3).

Les « œufs à l’alcool » et les « œufs à l’acide » sont-ils « cuits » ? La cuisine, surtout quand la mode est « au cru », ne peut faire l’économie d’une telle réflexion, qui révèle notamment que les opérations classiques n’ont pas été systématisées.

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Figure 2 Œuf à l’alcool.

Figure 3

Divers œufs « cuits » dans le vinaigre.

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Un recensement des dictons culinaires

Les recettes de cuisine sont des protocoles qui comportent parfois des indi- cations étranges, c’est-à-dire, selon les cas, chimiquement ou physiquement douteuses, apparemment irrationnelles, manifestement fausses, étonnantes, probablement justes mais chimiquement remarquables…

Par exemple, les sauces de type velouté s’obtiennent (c’est la « définition ») par ajout d’une solution aqueuse (bouillon, lait…) à un « roux », lequel est obtenu par chauffage de beurre et de farine jusqu’à coloration (TENDRET, 1892). À cette définition s’ajoutent diverses « précisions » : par exemple, il est parfois stipulé que l’on doit « dépouiller » la sauce, afin d’en éliminer les

« impuretés » (MONTAGNE, 1938) ; le cuisinier doit chauffer la sauce très dou- cement, et, à l’aide d’une cuiller, récupérer l’espèce de peau qui vient en surface ; le temps de dépouillement est de 1,5 heure (ESCOFFIER, 1921).

L’étude d’une sauce de type velouté montre tout d’abord que cette sauce est une double dispersion des gouttes de matière grasse (émulsion) et de grains d’amidon gélatinisés (suspension de micro-gels) (figure 4). Quand on procède au dépouillement d’une sauce modèle, composée de farine, d’huile et d’eau distillée, on observe qu’une peau se forme sans que la sauce contienne d’impuretés.

Quand cette peau est retirée, elle se reforme en 7 minutes environ (dans les condi- tions expérimentales que nous avons utilisées). Après 476 minutes, le contenu de la casserole est épuisé : c’est la preuve que la peau, prétendûment faite d’impure- tés, est de la sauce qui a séché en surface. Ainsi, l’opération de dépouillement semble paradoxale, puisqu’elle consiste à éliminer la sauce elle-même.

Figure 4 Dépouillement.

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La composition de la sauce évolue-t-elle ? Notamment, le dépouillement permet-il d’éliminer des matières grasses en excès ? Les études de microsco- pie (figure 5) montrent que la sauce dépouillée conserve de la matière grasse émulsionnée, mais elles ne donnent pas de réponse quantitative à la question.

Aussi, avec Vincent Pajot, nous avons étudié la proportion de matière grasse en dosant celle-ci dans les impuretés récupérées. Cette étude a montré qu’après une phase préliminaire, qui élimine de la matière grasse présente en surface, la teneur en matières grasses n’évolue plus dans la sauce(PAJOT, 2002).

Matériels et méthodes (PAJOT, 2002) Ingrédients

Farine de blé 55 France farine (DLUO : 19/12/02) ;beurre doux « gastronomique » Président, 250 g, code d’origine : F-50.256.01-CEE (DLUO : 25/05/02) ; beurre de Bretagne doux Grand jury, 250 g, code d'origine : F-35.239.05-CEE (DLUO : 08/07/02) ;huile de tournesol Monoprix, ref. : 3 350031 493423 (DLUO : fin 01/03).

Réactifs d’extraction

hexane 95 % Purex pour analyse (95 % de pureté) ; propanol-2 Rectapur pour analyse (99,5 % de pureté) ; sodium sulfate anhydre pour synthèse (pureté minimum 99 %) ; sable de Fontainebleau (pureté minimum 99,8 %) ; coton hydrophile dégraissé Lohmann Médical ; eau distillée, P2O5. Un mélange hexane/propanol-2 (3 : 2, v : v) est préparé dans une éprouvette graduée de 500 mL.

Figure 5 Dépouillement.

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Matériel utilisé

agitateur électromagnétique chauffant 94361 Heidolph et barreaux aimantés (l1=15mm et l2=60mm) ; balance de précision Mettler PJ300 (e=0,01g, d=0,001g) ; colonne (int.=30mm, h=610mm) ; papier filtre pour analyse (=30mm) ; sonde thermocouple type K ; étuve Thermosi fixée à 90 °C ; plaque électrique Astoria 1kW Réf : 1281 ; pipettes jaugées un trait de (50,00±0,20) mL ;propipettes ; rotovapor-R Büchi. La verrerie est lavée à l’eau, à l’eau distillée, puis à l’éthanol, séchée, puis rincée à l’aide des solvants qu’ils contiendront ; elle est laissée à l'étuve pendant 24 heures, puis refroidie pendant au moins une heure au dessiccateur ; elle est enfin pesée. Préparation de la colonne de séchage : au fond de la colonne est placée un bouchon de coton hydrophile de 2 à 3 cm de hauteur. On recouvre ce bouchon de sable de Fontainebleau sur environ 2 cm de hauteur. On place alors une première rondelle de papier filtre, 20±2 g de sul- fate de sodium anhydre, puis une seconde rondelle de papier filtre, et enfin, on recouvre d'une deuxième couche de sable deFontainebleau sur 2 cm de hauteur. Finalement, on rince la colonne avec environ 50 mL du mélange de solvant hexane/propanol-2, que l'on laisse s'écouler jusqu'à ce que le niveau ait atteint la surface supérieur du sable de Fontainebleau.

Détermination des taux de lipides

Pour déterminer le taux en lipides de la farine, puis celui du mélange farine-matière grasse (huile ou beurre clarifié), ensuite le taux lipidique du roux et, enfin celui de la sauce, on prépare les échantillons selon les protocoles suivants :

Préparation des échantillons farine/matière grasse : dans un bécher de contenance 100 mL, on place 2,500 g de matière grasse (huile ou beurre clarifié fondu au bain marie, température 85 °C), puis 2,500 g de farine 55 ;on homogénéise légèrement à la main le mélange de sorte que toute la farine soit imbibée de matière grasse.

Préparation des échantillons de roux : un« roux » est un mélange de farine et de beurre en proportions égales, cuit plus ou moins longtemps selon la coloration souhaitée (blanc, blond, brun). Les proportions choisies pour le modèle de roux sont 2,500 g de beurre clarifié pour 2,500 g de farine 55 (ESCOFFIER, 1921). Après homogénéisation du mélange, le bécher est placé sur l'agitateur électromagnétique chauffant. L'agitation est fixée à environ 200 tours/min, et le thermostat à 180. La température à l'intérieur du roux ne dépasse pas 140 °C. Le roux est cuit après 14 minutes, puis refroidi.

Préparation et échantillonnage : le velouté modèle utilisé correspond à celui utilisé par H.

This, R. Haumont et R. Le Joncour lors d’expériences préparatoires ; il estréalisé à partir de 25,000 g de beurre clarifié, 25,000 g de farine type 55, 500mL d'eau distillée. Après légère homogénéisation, on place le cristallisoir sur l'agitateur électromagnétique chauffant.

L'agitation est fixée à 200 tours/min, le thermostat à 220. On observe une ébullition du roux pendant 4 minutes environ. Lorsque cette ébullition baisse en intensité, l'eau est ajoutée par fractions à l'aide de l'éprouvette graduée de 500mL : la première fraction représente environ 1/10e du volume d'eau distillée ; ce premier ajout nécessite une augmentation de l'agitation à 1000 tours/min dans le dessein d'éviter la formation de grumeaux. On ajoute ensuite environ 3/10e du volume d'eau distillée et on attend l'ébullition. À l'ébullition, les 6/10e d'eau distillée restants sont ajoutés. L'ajout de la dernière fraction d'eau marque le temps t=0 minute de la cuisson du velouté. Après 10 minutes de cuisson, on commence le dépouillement de la sauce : on retire donc toute la « peau » qui se forme à la surface du velouté, et on la pèse.

L'étude cinétique du taux de lipides dans la sauce impose de répéter à inter valles de temps connus le dépouillement et donc les prises d'essai. À la fin de la cuisson, la sauce dépouillée est conservée dans le cristallisoir. Le cristallisoir de 900 mL qui contient la sauce dépouillée, les verres de montre qui contiennent les produits de dépouillement, ainsi que la spatule et la cuillère, sont pesés, puis placés à l'étuve pendant 24 heures à 90 °C. Après 24 heures de séjour dans l'étuve, le cristallisoir, les verres de montre contenant respectivement la sauce et les échantillons secs sont pesés de nouveau. Un échantillon est placé dans le mortier, avec 5 mL du mélange de solvants d’extraction. On broie le plus finement possible l'échantillon à l'aide du pilon en ajoutant environ 2 g de sable de Fontainebleau. Le broyat est ensuite introduit dans le bécher de 100 mL qui contient un barreau aimanté ; on rince le mortier avec 50 mL de mélange de solvant.

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Ainsi les cuisiniers qui préparent des sauces veloutés n’éliminent ni

« impuretés » ni graisse en excès : consacreraient-ils en pure perte 1,5 heure à dépouiller les sauces ? L’apparition d’un remarquable arôme de champignon, dans les sauces modèles que nous avons étudiées, après une heure de cuisson environ, montre que le dépouillement n’est sans doute pas l’objectif réel de l’opération ; en revanche, les cuisiniers ont dû découvrir empiriquement que la cuisson longue favorise des réactions chimiques (que nous étudions) qui pro- duisent ces molécules odorantes, mais ils ont sans doute, ensuite, confondu le but réel et le travail imposé par la réalisation de cet objectif.

Rénovation des ustensiles culinaires et invention de mets nouveaux Les explorations de « précisions », tout comme les modélisations des

« définitions », mettent sur la voie de méthodes nouvelles et, aussi, de l’utilisa- tion d’ingrédients nouveaux (additifs, arômes…). La gastronomie moléculaire espère ainsi, par l’exploration du passé, conduire à un avenir culinaire plus rationnel. À une époque où des sommets mondiaux envisagent un monde dura- ble, peut-on encore gâcher près de 80 % de l’énergie utilisée pour chauffer des casseroles ? Le passage à des modes de chauffage de type induction semble s’imposer de façon urgente, tout comme une réflexion générale sur les ustensi- les culinaires (THIS, 2002a ; THIS, 1995).

L’invention de mets nouveaux, si elle a longtemps été considérée par le monde culinaire comme un objectif important1 (BRILLAT-SAVARIN, 1825), n’est pas de nature scientifique, mais les recherches en gastronomie moléculaire y conduisent tout naturellement.

Très récemment, par exemple (THIS, 2002b), nous avons proposé un forma- lisme permettant de décrire globalement les systèmes dispersés complexes.

Jusqu’ici, seuls les systèmes dispersés simples, à deux phases, étaient nom- més par la physico-chimie (tableau 2) (HUNTER, 1986 ; EVERETT, 1988 ; LYKLEMA, 1991 ; HIEMNEZ, 1986 ;DE GENNES, 1997).

Extraction des graisses dans les échantillons de farine, de mélange farine-matière grasse, et de roux

50 mL de solvant sont versés dans un bécher de 100 mL (bécher d'extraction) ; le bécher est mis sous agitation électromagnétique pendant 10 minutes à 500 tours/min de façon que les particules solides restent en suspension. À la fin de l'agitation, on laisse décanter les particules en suspension dans le fond du bécher. On transvase alors le surnageant dans la colonne, puis on le laisse s'écouler dans la colonne en s'aidant d'une légère surpression en air et on récupère l'éluat dans le ballon rôdé de 50 mL. À partir du résidu de la première extraction, on exécute une deuxième extraction. Le résidu est repris dans 50 mL de mélange de solvant et mis de nouveau sous agitation pendant 10 minutes. Après les 10 minutes d'agitation, on laisse décanter et on transvase le surnageant comme précédemment. Tous les lipides sont extraits au bout de quatre extractions (Norme V0-030, 1991). Lorsque le quatrième éluat est récupéré, la colonne est rincée avec quelques mL de solvant. On récupère le volume de rinçage dans le ballon. Le solvant est éliminé par distillation sous vide au rotovapor dans un bain marie de 40 °C. Une extraction de 3 h 30 est suffisante pour obtenir une masse constante du ballon, donc une élimination complète du solvant.

1. « La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile » (BRILLAT-SAVARIN, 1825).

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Tableau 2

Systèmes dispersés simples.

Pour les systèmes dispersés (ou colloïdaux) plus complexes, seuls quelques exemples étaient répertoriés (par exemple, les émulsions multiples), mais des systèmes tels que les sauces de type veloutés n’étaient pas décrits. La phy- sico-chimie des systèmes dispersés se focalisait alors sur les interfaces, per- dant la description globale des systèmes (DICKINSON, 1994).

Pour décrire de tels systèmes, nous avons proposé de considérer un forma- lisme faisant usage de quatre lettres :

S pour solide (quand plusieurs solides coexistent dans un système, on pourra les distinguer par des indices) ;

H pour huile ; E pour eau ; G pour gaz.

Ces phases peuvent être dispersées (symbole /), mélangées (+), ou incluses (⊃).

Ainsi, on obtient des formules composées de lettres et de symboles, avec des parenthèses, qui décrivent des systèmes physico-chimiques complexes.

Par exemple, la formule H/E décrit les émulsions de type huile dans eau. La for- mule((H+ (E/S))/E décrit les sauces de type velouté (la parenthèse intérieure E/S décrit les grains d’amidon gélatinisés). La formule (S+H)/E décrit les sauces de type crème anglaise, où des agrégats de protéine et des gouttes de matière grasse sont dispersées dans l’eau. Le beurre sera mieux décrit par la formule (E/H)/S que par la formule E/H, parfois utilisée à tort (COENDERS, 1992 ; BELITZ et GROSCH, 1999), car, à la température ambiante, seule une partie de la matière grasse est dans l’état liquide ; cette partie liquide, avec l’eau dispersée, est elle-même dispersée dans un réseau de matière grasse cristallisée(LOPEZ et al., 2000).

Ce formalisme est-il utile ? Le chimiste français Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794) a introduit le formalisme chimique aujourd’hui courant parce qu’il vou- lait simplifier la description des molécules et des réactions : « Afin de mieux mon- trer l’état et de donner directement, d’un seul coup, le résultat de ce qui se passe lors de la dissolution des métaux, j’ai construit un type particulier de formules qui ressemblent à de l’algèbre, mais qui n’ont pas le même but et qui ne dérivent pas des mêmes principes : nous sommes loin du temps où la chimie aura la précision des mathématiques, et j’invite à considérer ces formules comme des notations dont l’objet est de faciliter les opérations de l’esprit » (LAVOISIER, 1782). C’est également l’objectif du formalisme proposé pour décrire les systèmes dispersés.

Gaz Liquide Solide

Gaz Gaz Aérosol liquide Aérosol solide

Liquide Mousse Émulsion Suspension

Solide Mousse solide Gel Suspension solide

Les cases indiquent le nom du système dispersé obtenu quand on disperse la phase indiquée dans la ligne supérieure, dans la phase indiquée dans la colonne de gauche. Par exemple, on nomme « gel » un système dispersé où de l’eau est dispersée dans un solide.

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Observons, pour conclure, que ce formalisme conduit tout naturellement à l’invention de mets nouveaux. Par exemple, la production de crème fouettée s’effectue selon la réaction physico-chimique :

H/E → (G+H)/E [1]

En effet, la crème peut être considérée comme une émulsion de type huile dans eau (en négligeant les micelles de caséine), et le fouettage introduit des bulles d’air. On peut généraliser ce processus. Par exemple, en 1995, nous avons introduit un plat nommé « chocolat Chantilly » (figure 6), qui fait usage de la même réaction [1], mais où l’émulsion est une émulsion de beurre de cacao dans de l’eau (THIS, 1998). Notons que ce même procédé peut aussi s’appli- quer à du fromage, à du foie gras ou à du beurre.

Mieux encore, on peut tirer des plats nouveaux de formules. Par exemple, avec le cuisinier français Pierre Gagnaire, nous avons récemment préparé un

« Faraday de Saint-Jacques », qui matérialise la formule ((G+S1+H)/E)/S2 (GAGNAIRE, 2003).

Science, technologie et technique

La cuisine est une technique qui profitera évidemment de son exploration technologique : les opérations classiques seront perfectionnées, effectuées dans des conditions économiques plus favorables.

Toutefois, la gastronomie moléculaire perdrait beaucoup à n’être que de la technologie culinaire. La cuisine est un champ culturel qui peut recevoir une étude scientifique. À la fin du XIXe siècle, les « arts chimiques de la couleur » ont profité des études chimiques de Michel-Eugène Chevreul (ROQUE et al., 1997). Il n’est pas trop tard pour faire de même pour l’art culinaire.

Figure 6

Chocolat émulsion et chantilly.

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BIBLIOGRAPHIE

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