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Texte intégral

(1)

Numéro Titre Auteurs Dates

Texte 1 Bilan

neuropsychologique et démarches

pédagogiques

:

Complémentarité et limites.

Mélanie Vanberten, Neuropsychologue.

Philippe Le Cavorzin, Médecin rééducateur.

Philippe Gouët, Professeur de

philosophie.

Colloque Lyon Juin 2005

Texte 2 Les territoires de l'adolescence

Synthèse commentée d'un article de la revue Le Praticien.

Mai 2005

Texte 3 L'élève humilié

conférence de Pierre MERLE

D'après les notes recueillies par Ph GOUET lors de la conférence à l'IUFM

Février 2006

Texte 4 Texte 5

(2)

CENTRE MEDICAL ET PEDAGOGIQUE DE RENNES BEAULIEU.

Service des Etudes.

Pôle Ressources

L’élève humilié

Conférence de M. Pierre Merle Décembre 20005. I.U.F.M. de Rennes (D’après les notes recueillies par Philippe Gouët)

Centre Médical et Pédagogique. Année Scolaire 2005-2006.

(3)

Le motif de cette conférence est la présentation par M. Pierre Merle de son livre : L’élève humilié. L’école un espace de non-droit.

M. Pierre Merle, actuellement enseignant à l’I.U.F.M. de Rennes et chercheur au C.N.R.S., a une formation d’économiste et est par ailleurs agrégé en Sciences Sociales et en Sociologie. Il est, dans ce domaine, l’auteur d’une thèse sur l’évaluation des élèves.

Enseignant, M. Pierre Merle a également occupé le poste de Directeur Adjoint des Hôpitaux, et assumé des responsabilités à l’Ecole de Santé Publique à Rennes.

Cette diversité de formations et d’expériences l’autorise à porter un regard extérieur sur l’école et plus généralement le système de l’Education Nationale.

Cette observation externe est animée par deux exigences : - penser la nécessité d’une fondation nouvelle de l’école.

- Penser le respect de l’élève comme indispensable à la construction de la citoyenneté de demain.

Cette observation s’enracine par ailleurs dans une thèse plus générale selon laquelle trois lieux sociaux sont marqués par l’absence de respect du droit, à savoir l’armée, la prison et l’école.

L’humiliation des élèves :

>>>>> Le contexte :

L’école a intériorisé les exigences de la compétition sociale, en particulier dans le monde du travail.

Elle a intériorisé également l’exigence d’individualisation sociale : un élève doit prendre sa vie en charge.

De fait, l’école est devenue un lieu de concurrence, de course à la reconnaissance, de pression.

Objet de toutes les espérances, elle est du coup l’objet également de toutes les craintes, ce qui explique le ressentiment que certains peuvent avoir vis à vis d’elle : la dévalorisation scolaire est ressentie comme une dévalorisation personnelle, et l’échec scolaire est vécu non seulement comme une exclusion sociale, mais aussi comme un « rabaissement de soi ».

De plus, les études s’allongeant les sentiments d’injustice s’accroissent.

La situation de l’école aujourd’hui est donc paradoxale : alors que l’obtention d’un diplôme est considérée comme essentiel, il n’y a jamais eu autant de jugements négatifs des enseignants sur les élèves.

>>>>> Etat de la recherche. L’enquête.

En écoutant les élèves, M. Pierre Merle découvre un monde de l’école qu’il ignorait : un monde où il y a de la souffrance.

La littérature concernant la question de l’humiliation de l’élève, et d’une manière générale de la souffrance scolaire, est très peu importante. On note une enquête en 1992 donnant le chiffre d’un élève sur deux reconnaissant avoir été humilié à l’école.

(4)

L’enquête que M. Pierre Merle met en place révèle que les élèves ont peu de connaissance de leurs droits réglementaires.

Au collège ils connaissent le droit des enfants, mais pas celui des élèves.

A partir de la question « donnez un exemple d’un droit respecté ou non respecté dans votre scolarité », distribuée aux étudiants de l’I.U.F.M., M. Pierre Merle va établir un classement et une analyse des données recueillies.

Il remarque par ailleurs que, lorsque la question est posée à des professeurs, 90%

d’entre eux disent avoir une bonne appréciation de leur scolarité et pourtant une grande majorité reconnaît avoir un souvenir d’humiliation.

On peut donc s’interroger sur le processus de l’humiliation : comment l’interaction perturbatrice de la relation maîtres-élèves produit-elle de l’humiliation ?

Pourquoi ce processus semble-t-il se répéter ?

Cette répétition n’est-elle pas la reconduction d’un processus d’infantilisation dont sont victimes, à la fois, les enseignants et les élèves ?

Pourtant, rappelle M. Pierre Merle, on sait de façon précise que lorsque l’estime de soi est diminuée, les capacités d’apprentissage se trouvent immanquablement limitées.

>>>>> Les situations de malentendu avec l’élève.

Elles peuvent être insignifiantes : par exemple dire à un bon élève « ce travail n’est pas digne de toi ».

Elles peuvent être une atteinte à la vie privée, sans que l’on ait voulu humilier (c’est une question de frontière). Par exemple un professeur de français qui, appréciant que les élèves illustrent leurs propos par des exemples pris dans leur vie de famille, demande à celui dont la copie est la meilleure de la lire devant les autres. Il est arrivé qu’un élève raconte que son père le bat.

Autre exemple : déguiser des élèves qui n’en ont pas envie : « on n’a pas le droit d’imposer une image de soi à des élèves ».

>>>>> Les situations d’humiliation.

M. Pierre Merle distingue l’humiliation scolaire de l’humiliation personnelle.

- L’humiliation scolaire, c’est l’humiliation de l’élève en tant qu’élève.

M. Pierre Merle insiste sur la « réalité objective » de ce type de comportements du fait de leur fréquence.

C’est le rabaissement scolaire de l’élève qui se retrouve seul contre tous, parfois du mauvais élève qui se voit promu au rang de mauvais exemple pour l’ensemble de la classe.

C’est la mise en cause publique, le passage au tableau qui devient une sanction et équivaut « un passage à tabac scolaire ».

On peut, et l’on doit, travailler l’erreur de façon anonyme.

C’est la remise des devoirs notés agrémentés de commentaires. Pour M. Pierre Merle, suivant en cela l’exemple d’autres pays, les notes doivent être considérées comme confidentielles, et leur attribution ne doit pas donner lieu à des remarques publiques.

Que penserait-on, demande M. Pierre Merle, de l’affichage dans les classes de la note administrative et pédagogique des enseignants ? La situation est selon lui juridiquement identique.

Le rabaissement scolaire collectif est aussi source d’humiliation.

Ainsi les classes de niveau sont des formes de rabaissement collectif, c’est la structure et son fonctionnement qui exacerbe les différences.

(5)

On peut en dire autant des comparaisons de niveau entre établissement.

- L’humiliation personnelle.

Elle peut être ressentie comme une injure à la personne.

Comment cela se produit-il ?

M. Pierre Merle propose une explication : l’humiliation personnelle, en tant qu’elle vise l’incompétence scolaire, est dépendante de la représentation professorale de la compétence scolaire.

Deux discours sont possibles :

- soit l’enseignant considère que la compétence de l’élève consiste essentiellement dans son travail,

- soit l’enseignant se représente cette compétence en termes de don, de talent, de capacités exceptionnelles.

M. Pierre Merle remarque que l’humiliation est plus fréquente de la part des enseignants qui adhèrent à ce qu’il nomme « l’idéologie du don ».

Cette idéologie permet en effet aux enseignants de faire l’économie d’un effort de compréhension des difficultés de l’élève : un élève est doué ou non. De plus les mots qui humilient se trouvent venir confirmer cette vérité de l’élève capable ou incapable.

A partir de son recensement de cas, M. Pierre Merle remarque que le plus grand nombre d’exemples d’humiliation viennent des cours de mathématiques. (Je ne suis pas certain que ce nombre ne serait pas atteint lors les cours de philosophie si ceux- ci concernaient les élèves du primaire à la terminale ! Note du rapporteur).

D’une manière générale, les humiliations surviennent parce que les enseignants ne comprennent pas pourquoi l’élève ne comprend pas.

Plus graves, des humiliations peuvent être des injures hors contexte, visant le physique de l’élève, son statut social ou celui de ses parents. De telles manifestations ne sont pas aussi rares qu’on puisse les considérer comme insignifiantes.

>>>>> L’humiliation, quelle interprétation ?

Pour M. Pierre Merle, l’humiliation aujourd’hui est en grande partie due à une perte d’efficacité de la réglementation scolaire.

Avant il y avait une répartition des rôles entre les surveillants, la direction et les enseignants.

Aujourd’hui, le professeur est de plus en plus responsable, relativement isolé, de la discipline. L’humiliation apparaît comme une sanction, et le cours organisé à partir d’une domination accompagnée d’une terreur de la stigmatisation permet de faire face, de répondre, aux difficultés provoquées par les élèves.

Si l’humiliation est pour l’élève une sorte de disgrâce, elle est pour l’enseignant un moyen de régulation.

De plus, la nécessité de la discipline est aujourd’hui beaucoup moins intériorisée par les élèves et la règle scolaire (comme d’autres règles sociales) leur paraît moins légitime qu’auparavant.

La question se pose cependant de savoir jusqu’où l’humiliation peut-être tolérée.

>>>>> Conclusion. Comment diminuer les sentiments d’humiliation ?

- Connaître et faire connaître le droit des élèves. Mais avant d’être un problème juridique, c’est un problème pédagogique.

- S’interroger sur les mission de l’école : encourager est toujours plus efficace qu’humilier.

(6)

- Le règlement intérieur : faire un synthèse des textes juridiques et imposer cette synthèse dans tous les règlements intérieurs de façon à ce que tous les élèves aient les mêmes droits et le sachent. La rédaction des règlements intérieurs par les établissements ne pourrait pas modifier ce texte commun. Tous les droits seraient ainsi présentés aux élèves.

- Développer des contre-pouvoirs : les parents d’élèves, le chef d’établissement, les inspecteurs.

- Développer parmi les enseignants une culture de la confidentialité dans la relation pédagogique.

- Favoriser tout ce qui permet de limiter la faiblesse scolaire car c’est quand il est faible que l’élève est le plus souvent humilié. Ainsi, supprimer le redoublement qui n’est pas un bon moyen pour faire évoluer les élèves. Mettre plutôt en place du soutien et de l’aide individualisée.

- Augmenter la mixité sociale.

- Définir un socle commun de compétences scolaires indispensables pour éviter la renonciation qui se dit dans les termes de l’exclusion ou de l’orientation en apprentissage.

- Maintenir l’obligation scolaire à 16 ans.

---

(7)

Centre Médical et Pédagogique De Rennes-Beaulieu.

Service des Etudes.

Pôle Ressources.

Synthèse commentée

du

Dossier consacré à l’adolescence Dans

« La revue du praticien » Mai 2005.

Document réalisé en septembre2005.

(8)

« …elle a, en dépit des dures lois sociales et des hérédités, le droit de vivre au soleil, d’être grande à sa manière… »

R-L Doyon. Préface à Mes Journaliers de Isabelle Eberhardt.

Introduction : Les territoires de l’adolescence.

Il y a un paradoxe certain à traiter de l’adolescence d’un point de vue médical. L’adolescence en effet « n’est pas une maladie » , et « les adolescents ne sont pas si malades que cela si l’on considère les enquêtes en population générale où, constamment, entre 85 et 90% de ceux de cette classe d’âge vont plutôt bien »1. Il y a donc, cependant, 10 à 15% d’adolescents dont le mal-être, la souffrance, les comportements ou les conduites qui en découlent, relèvent de la consultation médicale.

Si ce mal-être, ces comportements sont identifiés comme appartenant spécifiquement à la période de l’adolescence, s’il est également reconnu qu’ils nécessitent et méritent attention, soins et prise en charge, c’est sans aucun doute du fait des progrès institutionnels qui, au carrefour de l’éducation, de la justice, de la santé publique, permettent de mieux connaître et de mieux cerner les problèmes d’une population sociale donnée.

C’est aussi du fait des progrès et des expériences réalisés, dans le monde occidental du moins, en psychologie, en psychanalyse, en psychiatrie.

Mais il y a également une double raison, d’ordre sociologique celle-ci, à cette attention nouvelle au phénomène de l’adolescence, mobilisant des secteurs spécifiques des sciences humaines et de la médecine, et justifiant ce dossier spécial dans un numéro de La Revue du Praticien, publication destinée aux médecins généralistes. C’est d’une part parce que l’adolescence n’est plus seulement cette étape, ce passage limité dans le temps, vers l’âge adulte – le désir d’une adolescence éternelle supplantant celui, urgent pour les générations antérieures, de devenir « adulte » – et d’autre part, parce que nos sociétés ont élevé l’adolescence au rang de modèle social, culturel et économique : « Pris comme modèles par la classe d’âge des aînés, les adolescents se voient regardés, questionnés, comme s’ils détenaient une vérité que les adultes semblent avoir perdue »2

La combinaison de la durée du temps de l’adolescence, en partie explicable du fait de la démocratisation de l’accès aux études ou aux formations longues, et de son avènement en tant que modèle social, est un élément non négligeable pour la compréhension de ce qui passe parfois pour une défaillance du monde des adultes face aux adolescents et pour une crise de l’autorité.

Cette question de l’autorité est intéressante du point de vue sociologique et on peut la formuler ainsi : comment exercer socialement et légitimement une autorité, en tant que parent, enseignant mais aussi médecin, éducateur…, bref en tant qu’adulte, si le modèle social au nom duquel il faut le faire

1 Daniel Marcelli. La Revue du Praticien,p.1061.

2 Idem.

(9)

est représenté par ceux-là même qui doivent en être les bénéficiaires, qui doivent s’y éduquer, s’y référer, s’y confronter et s’y construire ?

Mais c’est une question surtout importante du point de vue des pratiques sociales. Car la crise des rapports à l’autorité, qui est, à la fois, une étape nécessaire dans la constitution d’un sujet autonome et un symptôme de mal-être, présuppose l’exercice d’une autorité susceptible de l’identifier, de la diagnostiquer et d’établir les conditions permettant de la prévenir ou d’y mettre fin. Il y aurait là un paradoxe, mais aussi un cercle vicieux : comment soigner, guérir, enseigner ou même simplement conseiller, en exerçant une autorité dont le refus, qui est précisément le signe de la crise que traverse celui, l’adolescent, auquel elle s’adresse, trouve pour écho la crise de l’autorité elle-même?

Sortir de ce cercle, c’est admettre que l’autorité, sa légitimité, son efficacité, se construisent à tous les instants où celui qui la représente est en relation avec l’adolescent. Si elle est bien fondée sur la fonction sociale de celui qui l’exerce – professeur, médecin, éducateur – elle n’est de nos jours reconnue comme telle, et elle ne peut donc avoir de sens et d’efficacité, que par la qualité de son exercice que l’on peut définir comme une conquête toujours recommencée d’elle-même.

Cette qualité de l’exercice de l’autorité, est avant tout celle d’une écoute et elle doit être ainsi essentiellement établie à partir d’une relation de confiance. Et l’on peut certainement étendre légitimement à l’exercice pédagogique les conseils que donne ici le Daniel Marcelli, auteur d’un des articles :

- éviter de « jouer une position parentifiée » (jouer le rôle dévolu aux parents) - garantir à l’adolescent « la confidentialité à laquelle il a droit »,

- devenir, temporairement, le référent « d’un certain souci de soi, le

représentant d’une nécessité de prendre soin de soi »3.

La lecture de ce dossier de La revue du Praticien consacré à l’adolescence, incite donc à connaître au mieux ce qui caractérise cette période de la vie de l’individu, en tenant compte des modifications des relations sociales et intergénérationnelles.

Afin d’affiner cette connaissance et de lui offrir un étayage conceptuel, nous proposons tout d’abord de faire référence à la notion de « territoire » que le philosophe Gilles Deleuze et le psychanalyste Félix Guattari ont, dans des ouvrages écrits en commun, utilisé pour rendre compte du « devenir » de « toute chose (matière, objet, être, entité) »4.

La référence à cette notion de territoire nous paraît légitime puisqu’on la retrouve sous la plume de l’un des auteurs de ce dossier consacré à l’adolescence. Parlant de la relation du médecin généraliste à l’adolescent, Philippe Binder écrit ainsi : « Enfin, parler de la famille permet de recueillir ses représentations de territoires… »5

Dans la mesure où cette notion, devenue concept philosophique, ne désigne pas seulement des espaces géographiques ou physiques, mais également

3 Idem. p. 1063.

4 Les Cahiers de Noesis. N° 3. R. Sasso.

5 Philippe Binder. La Revue du Praticien. p.1076.

(10)

psychologiques ou même « spirituels », elle semble appropriée à la compréhension de ce qui est en jeu au moment de l’adolescence.

Et ce d’autant plus qu’à partir de la notion de territoire, ces deux auteurs forment les néologismes de « déterritorialisation »et de « reterritorialisation » pour dire, sans mystère, le devenir de tout être au monde.

Le verbe d’état « devenir » désigne en effet sans conteste avec précision celui que traverse l’individu en période d’adolescence6.

Jusqu’à l’adolescence, l’enfant est en quelque sorte assigné au territoire défini comme ce lieu qu’il n’a pas choisi et où il cohabite avec ses parents et sa fratrie. Ce territoire et les manières de s’y comporter, de le traverser, d’en sortir sont codifiées et relèvent de l’exercice de l’autorité parentale. Il correspond bien à cette définition produite en commentaire de l’œuvre de Deleuze et Guattari : « …territoire : portion terrestre ou plus généralement espace dans lequel vit un individu, un groupe, une espèce, et où s’exerce quelque autorité (force naturelle ou juridiction définissant une territorialité »7.

La notion de territoire est donc définie par le rapport à l’autorité.

Mais cette notion de territoire n’a de valeur conceptuelle et d’intérêt, entre autres pour le sujet qui nous occupe ici, que parce ce qu’elle donne lieu à une compréhension des mouvements qui s’initient à partir d’un territoire donné, assigné, et que désignent les néologismes cités précédemment.

On peut considérer que l’adolescence appartient en effet à cette catégorie de phénomènes humains que Deleuze et Guattari décrivent ainsi : « Il faut voir comme chacun, à tout âge, dans les plus petites choses, comme dans les plus grandes épreuves, se cherche un territoire, supporte ou mène des déterritorialisations, et se reterritorialise presque sur n’importe quoi, souvenir, fétiche ou rêve »8.

L’adolescence peut ainsi être comprise comme le surgissement d’un flux de désirs « nomades » qui perturbe, déstabilise ou même rejette le territoire qui a constitué et continue de constituer l’enfant comme sujet : elle est bien une déterritorialisation, pas la seule dans une vie, mais peut-être la plus importante de toutes dans la mesure où elle donne le ton, la partition mélodique pourrait-on dire, de celles qui lui succéderont au fil des événements, des rencontres, des choix, des joies et des drames qui font le lot de toute vie humaine.

L’intérêt, plusieurs fois souligné dans ce dossier spécial de la Revue du Praticien, de l’attention portée au phénomène de l’adolescence, réside dans l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de la prise en charge le l’adolescent « qui va mal ». Mais il est surtout dans la capacité à prévenir ce mal-être et les conséquences parfois tragiques qu’il entraîne.

Il est donc intéressant de s’interroger avec G. Deleuze et F. Guattari sur la qualité de ce devenir, de ce mouvement de « sortie de territoire » qui caractérise l’adolescence.

Autrement dit :

Qu’est-ce qu’une bonne déterritorialisation ? Qu’est-ce qu’une reterritorialisation réussie ?

6 Sophie Lemerle fait justement remarquer qu’adolescence vient de adolescere qui en latin signifie

grandir.

7 Les Cahiers de Noesis. Idem.

8 G. Deleuze. F. Guattari. Qu’est-ce que la philosophie? p.66.

(11)

Ces deux auteurs, bien que leur propos ne porte pas directement sur le sujet qui nous intéresse ici, distinguent trois cas possibles :

- La « déterritorialisation négative » : c’est celle dont le mouvement, l’élan est immédiatement fixé, figé, par un processus de reterritorialisation organisé à partir ou sur la base de la représentation d’un objet, d’un être, d’un appareil, d’un modèle ou d’un système que l’on cherche à faire valoir pour le territoire quitté ou perdu. Il n’y a pas de création d’un territoire propre témoin d’un épanouissement personnel, mais clôture du devenir par la barrière d’un substitut du territoire d’origine. Plus particulièrement ici, cela signifie que telle déterritorialisation adolescente est « captée », immobilisée et rabattue sur un schéma territorial familial originel structuré autour de représentations telles que par exemple la profession du père, l’identité honorable de la famille, un drame familial….etc.

- La « déterritorialisation relative » : considérée par Deleuze et Guattari comme partiellement positive, elle consiste à poursuivre indéfiniment le processus de déterritorialisation, donc à quitter sans cesse, à ne faire valoir qu’une subjectivité exacerbée, à défaire l’identité et le visage construits dans le territoire d’origine. Cette déterritorialisation est dangereuse, elle peut mener à

« s’engouffrer dans des trous noirs, ou même aboutir à un trou noir généralisé (catastrophe) »9. Un des dangers que nous connaissons dans notre pratique de la relation aux adolescents – mais ce n’est pas le seul – est celui de l’usage de drogues : déterritorialisation relative, et non absolue, parce qu’elle rate la création d’un nouveau territoire, d’une nouvelle autonomie territoriale, bien qu’étant sortie effective du territoire d’origine, elle rabat l’adolescent, ou tout individu, sur « les reterritorialisations les plus abjectes » : « les lignes de fuite s’enroulent et se mettent à tournoyer dans des trous noirs, chaque drogué dans son trou, groupe ou individu, comme un bigorneau ».10

- La « déterritorialisation positive absolue », absolue au sens où elle engendre

« la création d’une nouvelle terre »11. Portée par l’élan du corps, dont l’adolescence représente une secousse déterminante, mais aussi par l’élan de la pensée, elle répond à cette exigence présente à toute vie, de se constituer des territoires en échappant à d’autres, en en découvrant de nouveaux.

Cette déterritorialisation est dite positive lorsque l’élan du corps et celui de la pensée cherchent à produire l’harmonie qui définira un nouveau territoire, un territoire propre, qui, pour tout un chacun n’est rien d’autre qu’un « réel à venir ». Cette recherche se pose pédagogiquement dans les termes de ce que nous appelons « l’orientation ».

Ces différentes hypothèses conceptuelles posées, nous disposons d’une perspective que l’on peut maintenant animer par les informations et les réflexions contenues dans ce numéro de La Revue du Praticien.

L’une des premières remarques à faire est que nous partageons en tant qu’enseignants, avec tout professionnel en charge d’un adolescent, la responsabilité

9 G. Deleuze et F. Guattari. Mille plateaux. p. 634.

10 Ibid.

11 Ibid. p. 636.

(12)

de « répondre aux demandes verbalisées des parents » - pour nous en terme de scolarisation et d’orientation – « et aux plaintes non formulées de l’adolescent »12. Les objectifs des analyses et des conseils destinés ici aux médecins généralistes ne sont pas immédiatement les mêmes, mais ils peuvent, d’une part inspirer notre pratique et d’autre part permettre de comprendre les enjeux de nos relations avec les médecins en charge d’adolescents qui nous sont adressés.

Nous proposons de suivre deux axes principaux :

- un état des lieux de l’adolescence : ce que l’on en sait, ce qui détermine la ligne de démarcation entre le normal et le pathologique,

- Un état des pratiques : la prévention, l’accompagnement, les conseils.

Nous proposons de suivre également le schéma directeur utilisé par Sophie Lemerle.

dans son article Psychologie de l’adolescent, en termes d’enjeux, de gains et de dangers, pour résumer les acquis de cette lecture de La Revue du Praticien.

1- Etat des lieux de l’adolescence.

« l’adolescent est un homard qui mue… » Françoise Dolto.13

• L’élan du corps. Le corps problématique :

C’est par les modifications de son corps que l’adolescent est averti de son entrée dans une nouvelle période de son existence.

Il est du même coup sommé de répondre à de nouvelles exigences à l’égard de lui- même et d’autrui, d’assumer un « souci de soi » qui jusqu’alors était en grande partie pris en charge par ses parents. Mais d’une part, il n’a pas d’emblée une conscience précise de ces exigences, et d’autre part, il n’a, fort heureusement d’ailleurs, pas de réponse toute prête à leur opposer.

>>>>> Le corps devient problématique, non pas seulement du fait de ses modifications – celles-ci appartiennent à tout organisme vivant – mais parce que ces modifications imposent la recherche d’un corps identitaire, futur support d’une identité adulte.

>>>>> L’adolescence est ainsi le temps de la recherche et de la construction de la coïncidence entre le corps anatomique et le corps identitaire : « Le travail de l’adolescence est de faire concorder les deux »14. C’est un temps où les modifications, entre autres et en premier lieu corporelles, doivent être mises au service et dans la perspective du développement global de la personne.

>>>>> C’est le temps où l’adolescent « cherche ses marques »15

Mais le corps, « champ de bataille de l’identité »16, et ses modifications peuvent faire obstacle à ce développement et empêcher ou retarder la coïncidence identitaire qui signale le passage à l’âge adulte.

>>>>> Les transformations du corps, l’image que l’adolescent en a dans le regard d’autrui, ou dans la confrontation avec les modèles culturels dominants, peuvent en

12 Sophie Lemerle. La Revue du Praticien. p.1064.

13 Françoise Dolto. Paroles pour adolescents, le complexe du homard. Hatier 1990.

14 Sophie Lemerle. La Revue du Praticien. p.1065.

15 David le Breton. La Revue du Praticien. p.1071.

16 Idem, p.1070.

(13)

effet induire une souffrance conduisant à l’impossibilité de les intégrer au projet d’un devenir social, d’un devenir adulte.

>>>>> L’élan du corps se fige et se trouve alors rabattu sur le corps lui-même : de support en vue d’une construction identitaire, il devient porte-parole d’une souffrance envahissante. Cherchant « ses marques », qui pourraient donner du sens à sa souffrance, mais ne parvenant pas à investir cette dernière dans un projet, à l’inscrire dans une perspective temporelle, c’est en marquant l’espace de son propre corps que l’adolescent cherche à répondre à l’exigence identitaire.

>>>>> Comme bon nombre de comportements adolescents, ce marquage du corps est une conduite ambivalente : si elle peut avoir pour objectif la mise en valeur de soi-même (choix vestimentaires, piercings, tatouages… etc.), elle peut aussi traduire un rejet du corps, une haine du corps qui fait souffrir (auto-mutilations, scarification, agressivité, tentative de suicide … etc).

Dans ce dernier cas on peut considérer le corps comme l’otage de conduites à risques. Mais dans les deux cas, il s’agit de « faire parler le corps plutôt que mentaliser »17.

>>>>> Sans cette mentalisation, le corps absorbe et monopolise toute l’attention et toute l’énergie, y compris celles qui prennent leur source dans le mal-être induit par les transformations du corps ; attention, énergie, souci de soi, souffrance même, qui devraient être réinvestis dans un projet de construction identitaire.

L’élan du corps

- Enjeux : construction d’une identité sexuée adulte, sociale, culturelle.

- Gains : coïncidence harmonieuse entre le corps anatomique et le corps identitaire.

- Dangers : souffrances, l’élan du corps se réinvestit exclusivement sur corps lui-même, s’y enlise de deux manières possibles : surinvestissement narcissique de l’image physique ou auto-agressivité.

• L’élan de la pensée. L’adolescent et les autres.

« Ce qui me pèse surtout, c’est de ne pouvoir exprimer tout l’écrasant fardeau d’idées et de sensations qui habitent le silence solitaire de mon âme et qui me causent une angoisse très douloureuse ».

Isabelle Eberhardt.

Mes journaliers.

Le 20 février 1907, 7 heures du matin.

On vient de le voir, le corps problématique peut apparaître comme une alternative, voire un obstacle à la mentalisation. Or celle-ci est absolument nécessaire au devenir de l’adolescent : « L’investissement du monde de la pensée est capital… »18.

17 Sophie Lemerle. Idem.

18 Idem.

(14)

L’adolescence est en effet la période des projets, des projections, des choix – entre autres professionnels – des orientations scolaires, mais aussi celle des renoncements, à l’enfance en particulier.

Après avoir eu l’impression d’être « choisi par son corps », puisqu’il n’en maîtrisait pas les transformations anatomiques, biologiques, l’adolescent doit donc maintenant apprendre l’initiative et la maîtrise réfléchies, pensées.

Aux choix du corps, dont il peut avoir le sentiment qu’ils le dominent, il doit opposer et faire valoir le droit aux choix de la vie, la sienne.

Or on ne pense pas seul. Ou plutôt, si pour penser il est légitime de revendiquer une certaine solitude, la pensée elle-même est toujours une pensée peuplée.

Dans ce peuplement on distinguera, les parents, l’ami(e) de même sexe, et l’ami de sexe opposé.

Chacun joue un rôle spécifique dans le devenir de l’adolescent, mais le rapport que celui-ci entretient avec ces différentes formes d’altérité est défini par une même fonction paradoxale : il est confronté à son désir d’affirmation de soi, de son indépendance, de sa plénitude et, dans le même temps à la reconnaissance de son besoin des autres. Cette contradiction lui est révélée – mais son domaine d’influence ne se limite pas à ce type relations – par la découverte de son identité sexuée :

« L’identification sexuelle, c’est reconnaître la complémentarité, le besoin de l’autre pour se sentir complet malgré les fantasmes de toute-puissance de cet âge : c’est le paradoxe de l’adolescence, conflit entre la complétude de soi et le besoin de l’autre »19.

La pensée chez l’adolescent passe d’un mode d’expression, de manifestation vertical à un mode d’extension horizontal. Et c’est dans une relation d’opposition aux parents que cette modification prend forme.

>>>>> Jusqu’à l’adolescence, l’enfant est à la fois vecteur et acteur d’une pensée qui circule selon le schéma hiérarchique (vertical) de la structure familiale : père, mère, parents, grands-parents sont des catégories référentielles qui déterminent la communication, l’information, et s’imposent sur le mode de l’injonction.

>>>>> Or, « L’adolescence ébranle les catégories de pensée, les valeurs qui avaient cours auparavant : elle prive des anciens repères aux parents, à la mère notamment. (…) Les parents cessent d’être admirés et d’être au cœur de l’existence, les anciens investissements de l’enfance volent en éclat sans que les nouveaux soient établis »20.

>>>>> La pensée adolescente, fragile, va chercher autour d’elle, horizontalement, les repères, les supports à une affirmation de soi qui se fait de plus en plus exigeante. Cette quête repose cependant sur un paradoxe, source de malaise, d’ambiguïté. Car d’une part, « penser par soi-même constitue en effet une première séparation symbolique avec les parents »21, et d’autre part, ceux-ci continuent de représenter le cadre et la référence nécessaires de « la continuité d’existence ».

>>>>> Dès lors, véritable entreprise de constitution identitaire, mais pour laquelle aucun projet n’est encore arrêté et qui rencontre des difficultés d’expression et d’élaboration, c’est au travers des deux extensions territoriales que sont le groupe

19 Idem. p.1065.

20 David Le Breton. La Revue du Praticien. p.1069.

21 Nicole Catheline. La Revue du Praticien. p.1106.

(15)

des pairs et la scolarité que la pensée adolescente va s’exercer, s’éprouver, tenter de s’identifier.

Mais ces tentatives ne vont pas sans difficultés ni dangers.

- Le groupe des pairs fonctionne sur les modes de l’identification et du partage : mode vestimentaire, langage codé, musique, qui sont autant d’expressions ou de manifestations implicites d’un point de vue sur le monde et sur les relations, les postures qu’il convient d’avoir avec le monde, celui des adultes.

Aussi étranges que peuvent paraître les comportements des adolescents, on doit toujours considérer qu’une pensée sous-jacente est à l’œuvre, qu’un élan de pensée tente de se faire valoir, puisqu’il y a volonté de s’inscrire d’une manière spécifique dans le monde environnant.

La relation au groupe détermine celle que l’adolescent entretiendra avec un ami ou une amie privilégiés, signe là aussi d’une pensée en train de se constituer à partir des questions d’intimité, de sexualité, d’amitié.

L’adolescence est une période d’expérimentation qui fait suite à celle de l’éducation transmise par les parents et dont l’objectif est la socialisation de l’enfant. Mais à la différence des générations précédentes, cette période d’expérimentation se déroule moins en référence au modèle transmis par les parents qu’à ceux que la dynamique du groupe d’adolescents produit ou reproduit : « Dans une société où l’on n’est plus héritier, où les chemins d’existence ne sont plus tracés, où manquent les idéologies sur les lendemains qui chantent, la socialisation cède à l’expérimentation, à l’invention de modèles toujours renouvelables qui valent pour un moment »22. Dans le groupe des pairs la pensée circule, elle mobilise l’imagination, les fantasmes, la fiction, la référence aux phénomènes culturels de l’époque (cinéma, musique, consommation de produits spécifiques), le narcissisme de chacun, au travers desquels l’adolescent « aiguise le sentiment de sa liberté »23. L’élan de la pensée explore alors des chemins qui peuvent mener à ce qu’il est convenu d’appeler des conduites à risques.

Il faut les distinguer des comportements d’auto-agression, d’auto-mutilation ou des tentatives de suicide. Alors que ceux-ci témoignent d’une impossibilité de mentaliser, d’un échec ou d’une impasse de la pensée déterminant un passage à l’acte, les conduites à risques sont au contraire le signe d’une pensée qui va loin, peut-être trop loin, dans l’exploration de la volonté d’exister. Bien souvent valorisées aux yeux des pairs, « elles ne relèvent absolument pas de la volonté de mourir, elles ne sont pas des formes maladroites de suicides, mais des détours symboliques pour s’assurer de la valeur de son existence, rejeter au plus loin la peur de son insignifiance personnelle. Tentatives d’exister plutôt que de mourir. Ce sont des rites intimes de fabrication du sens (…) »24.

Et David Le Breton va jusqu’à dire de ces conduites à risques que « si elles mettent en danger l’existence, à un autre niveau, plus essentiel, elles la protègent aussi », puisqu’elles anticipent les nouveaux modes de socialisation qui seront caractéristiques de la société à venir.

Mais comment évaluer les limites au-delà desquels l’expérimentation et les prises de risque, encouragées par le regard des pairs, au lieu d’entreprendre

22 David Le Breton. La Revue du Praticien ; p.1070.

23 Idem.

24 Idem.

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le chemin d’une socialisation s’élaborant à partir de l’autonomie d’un sujet devenant adulte, en deviennent un obstacle ?

Comment déterminer qu’une conduite à risque, qui est presque toujours proche d’une transgression, est un élément nécessaire et positif pour la construction identitaire de l’adolescent et non le symptôme d’une perte de soi, d’une dispersion, voire d’une identité impossible ?

La réponse semble être fonction du rôle jouer par le groupe et de la qualité de la relation que l’adolescent entretient avec lui, mais aussi fonction du regard et de l’interprétation que les adultes portent sur lui.

La notion de « fixation », qui revient dans plusieurs articles de ce numéro de La Revue du Praticien, permet de comprendre comment une conduite à risque verse dans la pathologie : c’est lorsque, par l’effet combiné des relations internes au groupe et de l’absence de relations, ou de relations inadéquates à l’extérieur du groupe, l’adolescent se trouve « enfermé dans son acte », comme contraint de jouer en permanence le rôle qu’il s’est fixé pour faire valoir, donner du sens à sa volonté d’exister, à sa souffrance.

Une statique de l’identification est ainsi préférée à la dynamique de la conquête de l’identité.

Il est intéressant de remarquer, comme le fait ici David Le Breton, la responsabilité des adultes dans ce processus de fixation : « Il est malaisé, nous dit-il, d’identifier comme pathologiques les conduites à risque des jeunes »25, puisque alors, au lieu de favoriser un passage, de stimuler une dynamique personnelle, on fixe l’adolescent dans une nosographie médicale, mais aussi psychologique ou pédagogique.

Le groupe des pairs comme le groupe plus étendu des adultes, peuvent ainsi conduire la volonté d’affirmation de soi d’un adolescent à s’enfermer dans une logique statique de l’identification, au lieu de stimuler sa préférence pour une dynamique de la conquête de son identité.

- La scolarité est l’autre extension territoriale où l’adolescent va chercher à s’affirmer, tout à la fois à s’identifier et à devenir lui-même, faisant ainsi de « la scolarité dite secondaire une période à risques »26.

Le paradoxe de la scolarité est qu’elle est au service du devenir de l’adolescent mais qu’elle produit elle aussi des points de « fixation », des blocages qui dans certains cas mettent en péril ce devenir même.

Avec la scolarité, dès le collège, l’expérience d’une relative autonomie, confirme de la part de l’adolescent cette volonté de « se dégager de tout ce qui lui rappelle une soumission infantile au désir parental »27. Mais c’est à la condition de répondre adéquatement aux exigences de la scolarité : choix d’une filière, projection vers un avenir professionnel, acceptation de l’évaluation, mise en question et en concurrence des compétences, affirmation de sa valeur personnelle en relation à ses qualités d’expression.

Tous les adolescents ne parviennent pas au même rythme à convertir la représentation d’eux-mêmes produites par l’éducation parentale, en une représentation incluant la question de l’avenir dans les termes de compétences, de réussite ou d’échec que propose l’école, et leur exigence d’autonomie.

25 David Le Breton. La Revue du Praticien. p.1071.

26 Nicole Catheline. La Revue du Praticien. p.1104.

27 Idem.

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L’estime de soi, si nécessaire au devenir de l’adolescent, peut être alors mise à mal et une « blessure narcissique profonde » peut toujours s’ouvrir, secrétant angoisse, absence de confiance en soi, peur de l’avenir.

Les exigences scolaires s’appuient sur cet élan de la pensée qui, vers l’âge de 13 ans, accède à l’abstraction. Mais cet élan est lui-même conditionné par la qualité de la représentation qu’a l’adolescent de lui-même : « l’accès à l’abstraction est étroitement tributaire de l’estime de soi »28.

Les exigences scolaires exacerbent donc les difficultés que l’adolescent rencontre : un échec, la non obtention d’une filière choisie, une évaluation ressentie comme injuste… diminuent l’estime de soi, et cette dévalorisation fait obstacle à la capacité d’abstraction.

De plus dans un système d’enseignement qui « repose exclusivement sur le verbo-conceptuel, les enfants mal à l’aise avec l’expression verbale (orale ou écrite) sont d’emblée pénalisés »29.

D’une manière générale, les problèmes d’adaptation scolaire, à l’époque de l’adolescence, témoignent d’une anxiété de séparation d’autant plus pénible que l’adolescent veut montrer qu’il est autonome. Que l’école vienne dévaloriser cet effort vers l’autonomie, et l’angoisse redouble sous forme de phobie scolaire, de somatisations, et de dépression.

Les réactions comportementales à cette angoisse sont diverses, mais on peut dire qu’elles correspondent toujours de la part de l’adolescent confronté à une angoisse insupportable, à un mécanisme de protection grâce auquel il tente se maintenir dans une situation infantile.

>>>>> Ainsi, l’instabilité motrice, l’agitation, se substituent à l’activité de la pensée dont la difficulté provoque une détresse, et visent à « se faire punir pour se soulager d’une culpabilité imaginaire »30 face à l’échec.

>>>>> Ainsi également les comportements agressifs peuvent-ils être interprétés comme « la tentative de maintenir une position de toute-puissance infantile et faire l’économie du travail psychique de l’adolescent »31.

>>>>> L’inhibition relationnelle, le repli sur soi, peuvent également être les signes d’un refus de grandir, d’une difficulté à se saisir tel que l’on est en train de se transformer dans cette période de l’adolescence.

>>>>> Sur le fond de ces comportements troublés, l’usage de drogues doit être compris dans la perspective d’une recherche de protection face à l’angoisse, comme une auto-médication.

>>>>> Les fatigues dont sont sujets certains adolescents peuvent également être comprises comme, à la fois, des résultantes et des réponses protectrices à une situation de stress et d’angoisse.

L’élan de la pensée

- enjeux : « se séparer des parents, (…), devenir sa propre personne sociale ».

- Gains : « la relation aux pairs », (…), « acquérir son autonomie ».

- Dangers : « se perdre », (…), « la transgression »32.

28 Idem. p.1105

29 Idem.

30 Idem.

31 Idem.

(18)

2- La prévention, l’accompagnement, les conseils.

Quels enseignements pouvons mettre à profit pour l’approche des adolescents qui nous sont confiés en vue de poursuivre ou de reprendre leur scolarité ?

Les informations contenues dans ce dossier consacré à l’adolescence dans La Revue du Praticien, nous permettent déjà une meilleure connaissance de cette période de la vie de l’individu si déterminante pour son avenir. De plus les conseils adressés aux médecins généralistes à propos de leurs relations aux adolescents qui viennent les consulter, peuvent inspirer notre pratique pédagogique.

L’aide que nous devons apporter, en termes d’organisation du travail, de réussite scolaire, d’orientation, de choix et d’intérêts, peut s’appuyer sur les éléments suivants :

• L’idée fondamentale est que derrière les problèmes de comportements, les troubles dans l’apprentissage, il y a toujours une authentique souffrance. Deux cas sont possibles : ou bien l’adolescent a acquis, ou est en train d’acquérir, une distance par rapport à cette souffrance, ou bien il est dominé par elle. Dans ce dernier cas il faut l’amener à se projeter à partir de ses motivations personnelles, de ses goûts, à prendre conscience de sa valeur, afin de lui restituer un sentiment de liberté. L’outil scolaire cherchera à favoriser des parcours de réussite qui, en lui redonnant confiance permettront à l’adolescent d’inscrire sa propre souffrance dans un processus de développement où elle trouvera sa place et son sens.

Ce qui est en jeu, et ce que la démarche pédagogique doit pouvoir favoriser, c’est ce que l’on nomme aujourd’hui le « travail de subjectivation », c’est à dire « la capacité du jeune à se reconnaître comme sujet actif de ses pensées, de ses désirs, de son savoir »33. En tant que sujet actif donc capable d’interpréter de ses difficultés propres, de son mal-être et de tenter de lui donner sens.

• Une conséquence de ce qui vient d’être dit c’est la nécessité de veiller à la construction ou à la reconstruction d’une certaine estime de soi. On l’a vu, celle-ci est indispensable à cet élan de la pensée que constitue la capacité d’abstraction. Par ailleurs cette capacité d’abstraction est elle-même d’une importance capitale pour la maîtrise des conduites adolescentes, puisque l’impossibilité de mentaliser la souffrance accompagne le plus souvent les passages à l’acte.

• La relation pédagogique doit trouver la bonne distance, celle d’une autorité dont la légitimité ne sera reconnue et acceptée par l’adolescent que sur la base de la confiance qui s’établira avec lui. La difficulté majeure de la relation pédagogique est en effet que « plus il

32 Sophie Lemerle. La Revue du Praticien. p.1064.

33 Sophie Lemerle. La Revue du Praticien. p.1066.

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(l’adolescent) se sent démuni, plus il se sent dépendant des adultes et moins il les tolère »34.

• Reconnaître le caractère ambivalent des contraintes scolaires : « les exigences scolaires actuelles aggravent les inégalités face au stress scolaire. Les adolescents les plus anxieux, phobiques ou limités dans le développement de leurs capacités cognitives (retard ou non accès à l’abstraction), risquent de voir leur pathologie non seulement révélée, mais encore entretenue par l’école »35. Les exigences scolaires en effet peuvent aggraver une souffrance psychologique car, « l’échec scolaire attaque toujours l’estime de soi »36. Mais elles peuvent au contraire favoriser la capacité de faire face aux perturbations ressenties par l’adolescent. La notion de projet est ici essentielle : c’est elle qui produit le sens des difficultés que l’adolescent rencontre, difficultés dont il pense alors le dépassement ; c’est cette notion également qui commande un réaménagement de la scolarité dans le cas où l’adolescent est, momentanément, trop écrasé par les contraintes scolaires.

• La relation aux parents est indispensable pour la meilleure approche possible de l’adolescent. Mais la situation de ce dernier, ses difficultés, exigent qu’il apprenne à prendre ses distances en luttant contre l’angoisse de séparation. Et ce d’autant plus que certains adolescents se trouvent pris et embarrassés dans la construction de leur propre identité, par les projections narcissiques de leurs parents (l’adolescent doit devenir médecin comme son père), et par le réaménagement relationnel des parents qui eux, traversent « la crise du milieu de vie ».

Il faut cependant préserver, quand cela est possible, dans l’esprit de l’adolescent, la valeur de continuité d’existence que représente sa famille. Cette continuité n’est pas antinomique avec l’autonomie revendiquée légitimement par l’adolescent.

• La relation aux pairs est, elle aussi, indispensable. Expérience de l’altérité, de la confrontation, de l’amitié, du soutien et du partage, cette relation est fondamentale pour le développement de la personnalité de l’adolescent. Une relation pédagogique isolée, à distance, (inscription au CNED) n’est donc pas généralement souhaitable.

• Les conduites à risques ne doivent pas être systématiquement interprétées comme des expressions d’une volonté de mourir, mais plutôt comme des façons de reprendre l’initiative face à une souffrance qui envahit l’existence, des manières d’affirmer et de « s’assurer la valeur de son existence »37.

• D’une manière générale, et ce point concerne tous les acteurs de la prise en charge de l’adolescent, celui-ci doit être considéré comme un

34 Idem.

35 Nicole Catheline. La Revue du Praticien. p.1107.

36 Idem.

37 David Le Breton. Idem. p.1071.

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être en devenir. Il est nécessaire de protéger ce devenir qui se manifeste comme élan du corps et comme élan de la pensée. Il faut donc porter une attention particulière à la prévention des troubles qui pourraient signifier « la fixation dans des conduites pathologiques risquant d’entraver le travail de l’adolescence »38, c’est à dire le devenir. Mais il est également nécessaire d’apporter un soin très spécifique aux démarches professionnelles qui justifient notre approche de l’adolescent – qu’elle soit celle d’un médecin, d’un éducateur ou d’un enseignant – car elles peuvent produire une image arrêtée de l’adolescent, une dénomination rigide qui, en identifiant ce dernier à un état transitoire de son développement, fera oublier qu’il est en train de construire son identité. De même qu’il faut pour un médecin savoir prendre son temps avant d’identifier comme « pathologiques » des comportements d’adolescents, une démarche pédagogique doit prendre en compte le devenir de l’adolescent, ses difficultés à former un projet de vie, sans l’enfermer dans des catégories définies sur la base de ses seules incapacités, peut-être simplement transitoires ou ponctuelles.

_______________

Les auteurs.

Nicole Catheline. « Mosaïque ». Centre Hospitalier Henri Laborit. BP. 587. 86021. Poitiers Cedex David Le Breton. Université Marc Bloch. Faculté des sciences sociales. 67094 Strasbourg.

Sophie Lemerle. Centre Hospitalier intercommunal de Créteil. 40 av. de Verdun. 94000 Créteil.

Gérard Schmit. Service de pédo-psychiatrie. Hôpital Robert Debré. 51092. Reims.

Didier Armengaud. Service de pédiatrie-médecine néonatale. CHI Poissy St Germain. 78300 Poissy.

Philippe Binder. Coordonnateur du groupe ADOC (groupe de cliniciens libéraux de la Charente- Maritime). 17430. Lussant.

Daniel Marcelli. Service Universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, centre hospitalier Henri Laborit. B.P. 587. 86021 Poitiers.

Bibliographie.

F. Dolto. Paroles pour adolescents, le complexe du homard. Hatier. 1990.

Marcelli, Braconnier. Adolescence et psychopathologie. Masson 1999.

Freud. Trois essais sur la théorie de la sexualité. Gallimard.

Winnicott. Jeu et réalité. Gallimard.

Cyrulnik. Un merveilleux malheur. O. Jacob 1999.

Piaget, Inhelder. La psychologie de l’enfant. PUF. Que sais-je ?

38 Sophie Lemerle. Idem. P.1067.

(21)

CENTRE MEDICAL ET PEDAGOGIQUE DE RENNES BEAULIEU

Service des Etudes.

Bilan neuropsychologique et démarches pédagogiques : Complémentarité et limites.

Colloque Lyon Juin 2005

Mélanie Vanberten, Neuropsychologue.

Philippe Le Cavorzin, Médecin rééducateur.

Philippe Gouët, Professeur de philosophie.

Centre Médical et Pédagogique de Rennes Beaulieu, 41 avenue des Buttes de Coësmes, 35700 Rennes.

Pôle Ressources.

(22)

1- Introduction :

Nous pratiquons depuis plusieurs années au Centre Médical et Pédagogique (CM&P) de Rennes Beaulieu, des bilans destinés aux adolescents et jeunes adultes cérébrolésés souhaitant réintégrer un cursus scolaire. En effet, les lésions cérébrales sont fréquentes chez les jeunes d’âge scolaire. Elles sont essentiellement traumatiques (3000 à 5000 TC graves / an en France) et par AVP et constituent une source de handicap « invisible» (troubles cognitifs et du comportement). Ces difficultés sont à l’origine d’une problématique de réinsertion scolaire, pour laquelle peu de données sont disponibles dans la littérature (1-5)

Nos bilans se déroulent sur cinq semaines et mettent en œuvre une évaluation multidisciplinaire scolaire, neuropsychologique, écologique (ergothérapie), neuromotrice (kinésithérapie), psychologique, éducative .... Sont principalement évaluées au plan cognitif : les capacités d’apprentissage et les capacités de travail en autonomie, la mémoire et les fonctions exécutives. L’évaluation a pour objectif la recherche d’une orientation scolaire dont la proposition sera discutée avec l’adolescent et sa famille lors d’une synthèse finale du séjour.

Dans cet ensemble d’évaluations il convient de remarquer le caractère essentiel de l’articulation entre le bilan neuropsychologique et le bilan scolaire, puisque c’est dans leur confrontation que se décide le plus souvent la reprise ou l’abandon de la scolarité. Or, comme nous allons le voir, cette confrontation donne parfois lieu à des divergences quant à l’orientation proposée à la suite des évaluations.

Notre propos est de déterminer si ces divergences témoignent d’une limite de cohérence des bilans pluridisciplinaires tels que nous les pratiquons ou si, au contraire, elles sont le signe d’une complémentarité nécessaire entre des démarches d’évaluation spécifiques et donc distinctes. Pour ce faire, nous avons étudié plusieurs cas cliniques pour lesquels une telle divergence s’est fait jour.

2- Etude de cas :

Cas N° 1 : il s’agit d’un jeune homme de 22 ans, droitier, titulaire d’un BTS en environnement, qui préparait au moment de son accident une année supplémentaire de spécialisation.

Ce jeune homme a été victime, un an avant l’admission dans notre centre, d’un accident de la voie publique, avec pour conséquence un traumatisme crânien sévère (score de Glasgow initial coté à 7, amnésie post-traumatique de 2 mois et coma d’une durée inférieure à une semaine).

Le souhait majeur de ce jeune homme était de reprendre ses études.

Résultats du bilan pluridisciplinaire de 5 semaines :

(23)

- Neuropsychologique : on discerne un syndrome frontal modéré (résolution de problèmes, planification), quelques troubles attentionnels, des troubles mnésiques modérés (mémoire de travail et mémoire épisodique verbale).

- Ecologique (ergothérapie) : on ne retient pas de difficultés majeures d’organisation, ni de troubles du comportement.

- Neuromoteur : Hémiparésie gauche.

- Psychologique : malgré une légère désinhibition, le patient possède de bonnes capacités d’organisation, fait preuve de cohérence dans ses propos en particulier lorsqu’il s’agit d’argumenter son projet d’avenir.

- Scolaire : aucun déficit majeur de l’apprentissage n’est constaté. La restitution de connaissances nouvellement acquises est correcte, les capacités de conceptualisation et d’argumentation sont préservées et, avec une forte motivation, on peut témoigner d’une réelle autonomie dans le travail. Malgré une irritabilité ponctuelle devant l’échec, il n’y a pas de problèmes comportementaux ou relationnels.

Propositions d’orientation :

Devant la cohérence des bilans de soins et du bilan scolaire, l’orientation vers une reprise des études est proposée avec comme préalable une prise en charge en scolarité et une rééducation cognitive adaptée.

L’évolution sera favorable, couronnée par l’obtention du diplôme préparé, suivie d’une activité professionnelle.

Cas N°2 : il s’agit d’une jeune femme de 21 ans, droitière, qui préparait au moment de son accident un baccalauréat professionnel en comptabilité.

Elle a été victime d’un accident de la voie publique un an et demi avant son admission au CM&P, elle a subi un traumatisme crânien sévère (score de Glasgow initial coté à 7, amnésie post-traumatique de 7 mois et un coma d’une durée d’un mois).

Résultats du bilan de 5 semaines :

Neuropsychologique : on repère des troubles mnésiques en mémoire épisodique (récupération et stockage), des troubles dyséxécutifs en termes de planification, de génération de règles implicites, d’adaptation à la nouveauté, du raisonnement et de la logique, des troubles attentionnels (attention divisée et sélective complexe), en calcul mental et écrit.

Ecologique (ergothérapie) : des difficultés d’organisation dans les tâches complexes ainsi que des troubles de la stratégie sont constatés. Pas de troubles du comportement, mais un manque d’initiative et une faible capacité d’autonomie.

Neuromoteur : troubles importants de l’équilibre unipodal. Akinésie ½ corps droit

Psychologique : absence de syndrome dépressif, plutôt une certaine jovialité.

Scolaire : les connaissances antérieures semblent préservées ainsi que des compétences méthodologiques et de raisonnement en situation d’exercice.

Des difficultés à acquérir de nouvelles connaissances et à maintenir la cohérence de l’effort lors d’un travail prolongé apparaissent, accompagnées de quelques troubles de concentration.

L’élève montre alors un manque d’autonomie et un embarras lors du passage de l’oral à l’écrit. Une amélioration de la mémoire de travail a été constatée pour

(24)

cette élève par ailleurs consciente de ses troubles, ponctuelle, assidue et animée d’une forte motivation.

Proposition d’orientation :

Malgré la cohérence des évaluations neuropsychologiques et scolaires, une période de scolarisation adaptée au Service des Etudes de l’établissement est proposée par l’équipe pédagogique.

Cette scolarisation est sans objectif de scolarité précis. Elle est mise en place à partir des objectifs suivants, indissociables les uns des autres : l’amélioration des capacités de raisonnement, la reconstruction de l’estime de soi et la formulation d’un projet. Cette scolarisation a donc essentiellement pour but pour de préciser l’orientation de cette élève.

L’évolution n’a pas été favorable, il y a échec au bout d’un trimestre et orientation vers un UEROS.

3- Discussion

L’observation du premier cas fait émerger un schéma de confirmation réciproque des observations produites dans les deux champs d’investigation. La cohérence entre les bilans scolaire et neupsychologique conduit ainsi à une

évaluation ouverte à une reprise d’études. Dans le second cas le bilan

neuropsychologique conclut à une improbable reprise de la scolarité et produit donc une évaluation fermée. Et le bilan scolaire dans son ensemble n’est pas très éloigné du bilan neuropsychologique. A l’instar du premier cas, on aurait donc pu s’en tenir à la coïncidence entre le bilan neuropsychologique et le bilan scolaire et ainsi conclure d’un commun accord à une impossibilité de reprise des études et à une orientation en conséquence.

Pourtant, l’équipe pédagogique, malgré la prégnance des troubles frontaux et des difficultés dans les exercices écrits, a proposé une reprise progressive de la scolarité. Cette proposition se fonde sur la forte motivation de l’élève, la préservation de ses acquis antérieurs et de certaines capacités de raisonnement et de méthode.

La proposition pédagogique de scolarisation va donc à l’encontre de ce qui pourrait être déduit immédiatement de l’évaluation neuropsychologique.

Le problème que nous rencontrons relève alors des questions suivantes : le choix d’une proposition pédagogique en contradiction avec le bilan neuropsychologique est-il le signe d’une limite de cohérence de la prise en charge et du bilan ou au contraire celui d’une nécessaire articulation entre ces deux domaines d’évaluation ?

Afin de comprendre au mieux en quoi consiste cette articulation qui doit jouer en terme de complémentarité pour le bénéfice du patient, il faut préciser la spécificité de ces deux évaluations, neuropsychologique et scolaire. Car les limites de nos activités de bilan tiennent, d’une part, à la distinction de nos missions et d’autre part à la spécificité de nos approches. La mission du Service des Etudes, en tant qu’annexe d’un lycée tuteur, et conformément aux missions définies par le ministère de l’Education Nationale pour tout établissement scolaire, ne saurait se limiter à l’expertise : au-delà de l’évaluation des compétences ce qui lui donne un sens, c’est la question de l’orientation. Le bilan scolaire n’est donc pas une séquence fermée sur elle-même. Et s’il y a bilan c’est parce qu’il y a, de la part de l’adolescent et de sa famille, une demande, un désir de renouer avec une continuité évolutive qui a été

(25)

interrompue par le traumatisme et ses conséquences. C’est cette demande qui doit être prise en considération à la fin du bilan, lorsque la question de l’orientation vient à être posée. Cette question ne peut être limitée à l’évaluation des chances de réussite dans le cadre d’un parcours scolaire préétabli. Elle invite à penser la fonction du Service des Etudes dans un établissement tel que le Centre Médical et Pédagogique, comme la recherche des préalables à la question de l’orientation elle- même.

En ce qui concerne la spécificité des démarches respectives lors des bilans neuropsychologique et scolaire on peut avancer les distinctions suivantes :

a) - L’évaluation neuropsychologique a une valeur diagnostique et pronostique alors que la démarche pédagogique est, dès le début de la prise en charge, c’est à dire dès le premier jour de bilan, essentiellement prospective. Par évaluation pronostique, il faut entendre une évaluation qui, sur la base d’un diagnostic établi à un moment donné de l’histoire de l’adolescent traumatisé crânien, induit une prédiction quant à l’évolution ou à l’absence d’évolution cognitive et comportementale. Cette approche rassemble les diverses observations produites par les tests et les ordonne dans une temporalité qui coïncide parfaitement avec la démarche fondamentale de toute activité scientifique à savoir la relation de cause à effet. Tout l’avenir semble contenu, enfermé, ou reclus pourrait-on dire, dans le présent de l’évaluation, dans les observations produites à l’instant t de l’évaluation.

La démarche pédagogique n’est pas une remise en cause a priori de la pertinence de l’évaluation neuropsychologique. Celle-ci lui est bien souvent un point de départ, une connaissance initiale indispensable. D’où la nécessité de la formation des enseignants à la connaissance du traumatisme crânien. Mais elle n’est pas non plus la recherche d’une confirmation a priori des conclusions, en terme d’orientation, de l’évaluation neuropsychologique. Car si nous qualifions la démarche pédagogique lors de l’évaluation scolaire de prospective c’est au sens où nous ne considérons pas que le présent de l’observation soit « gros » d’un avenir inéluctable que l’on pourrait scientifiquement prédire. A l’inverse, en effet, la démarche pédagogique appréhende l’avenir comme ce qui est plein de possibilités significatives pour le présent observé au cours de l’évaluation. L’adolescent ne va pas de manière linéaire et inéluctable vers son avenir, mais c’est l’avenir qui vient à lui à condition de le concevoir comme un réservoir de potentialités, de causes innovantes, de possibilités d’initiatives. C’est l’avenir conçu comme gisement susceptible de prospection qui donne sens au présent, quand bien même celui-ci serait déterminé par un ensemble de limites conséquentes au traumatisme. Et l’évaluation scolaire, dans sa dimension pédagogique la plus active et la plus précise a pour finalité, nous semble-t-il de fournir les outils pour cette prospection de l’avenir et d’aider l’adolescent à la mettre en oeuvre. Mais il se peut que le temps du bilan, qui est de cinq semaines, ne soit pas suffisant pour initier cette démarche prospective. C’est pourquoi il nous faut introduire ici autre distinction.

b) - A partir des deux études de cas présentées, il faut en effet distinguer, au moment de l’orientation proposée lors de la clinique finale, la scolarisation et la scolarité. Une orientation purement scolaire, comme dans le premier cas, vise à une reprise d’études, à une réinsertion dans un parcours de scolarité, adaptée ou non, correspondant au projet de l’adolescent, projet exprimé le plus souvent dans les termes de ses acquis antérieurs. Dans ce cas le fil de la continuité évolutive est renoué, et le Service des Etudes a une mission d’accompagnement de projet

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