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Régulation de tensions identitaires entre projet prescrit et projet vocationnel : étude de cinq cas d'étudiants engagés à l'université

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Régulation de tensions identitaires entre projet prescrit et projet vocationnel : étude de cinq cas d'étudiants engagés à l'université

ABDERRAFI, Nabil

Abstract

Ce mémoire a pour objectif d'identifier les dynamiques identitaires et motivationnelles des étudiants engagés à l'université. Plus particulièrement, il s'agit de comprendre les motifs qui poussent les étudiants engagés en parallèle de leurs études dans une formation à caractère vocationnel, à entreprendre une formation universitaire. Il s'agit d'explorer le vécu expérientiel de ces étudiants partagés entre plusieurs engagements en formation, ainsi que le sens de leur travail subjectif qu'ils déploient quotidiennement dans la concrétisation de leur aspiration personnelle. La finalité de ce travail de recherche vise à comprendre à l'échelle de l'expérience subjective des étudiants, le sens que prend aujourd'hui l'entreprise vocationnelle dans une société marquée par l'avènement de l'individualisme et du singularisme. Il ressort de l'analyse des récits d'entretien, que l'expérience formative de ces étudiants est marquée par d'importantes tensions inter et intra subjectives, qui en font une véritable épreuve à la fois éprouvante et stimulante. Les difficultés et les souffrances multiples [...]

ABDERRAFI, Nabil. Régulation de tensions identitaires entre projet prescrit et projet vocationnel : étude de cinq cas d'étudiants engagés à l'université. Master : Univ.

Genève, 2012

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:20249

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Régulation de tensions identitaires entre projet prescrit et projet vocationnel

Etude de cinq cas d'étudiants engagés à l'université

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU/DE LA

MAITRISE UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L'EDUCATION - FORMATION DES ADULTES (FA)

PAR Abderrafi Nabil

DIRECTEUR DU MEMOIRE France Merhan

JURY

Etienne Bourgeois Isabelle Bosset

GENEVE JANVIER 2012

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION

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Résumé :

Ce mémoire a pour objectif d’identifier les dynamiques identitaires et motivationnelles des étudiants engagés à l’université. Plus particulièrement, il s’agit de comprendre les motifs qui poussent les étudiants engagés en parallèle de leurs études dans une formation à caractère vocationnel, à entreprendre une formation universitaire. Il s’agit d’explorer le vécu expérientiel de ces étudiants partagés entre plusieurs engagements en formation, ainsi que le sens de leur travail subjectif qu’ils déploient quotidiennement dans la concrétisation de leur aspiration personnelle. La finalité de ce travail de recherche vise à comprendre à l’échelle de l’expérience subjective des étudiants, le sens que prend aujourd’hui l’entreprise vocationnelle dans une société marquée par l’avènement de l’individualisme et du singularisme. Il ressort de l’analyse des récits d’entretien, que l’expérience formative de ces étudiants est marquée par d’importantes tensions inter et intra subjectives, qui en font une véritable épreuve à la fois éprouvante et stimulante. Les difficultés et les souffrances multiples que génère la coexistence de ces projets de formation, rappellent l’importance de prendre en considération les aspirations personnelles de l’étudiant, afin de l’aider à harmoniser les différentes dimensions et expériences qui concourent à son développement intellectuel et personnel.

Mots-clés

: Vocation, identité, individualisme, projet de soi pour soi, projet de soi pour autrui , projet identitaire, tension identitaire, stratégie identitaire, dynamique identitaire, motivation, motif d’engagement en formation, idéal du moi.

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Un grand merci

A ma directrice de mémoire, Madame France Merhan, qui m’a accompagné et encadré tout au long de cette aventure.

A ma mère Aicha, sans qui je n’aurais pas eu la force et le courage d’aller jusque-là. A mon père Azzedine et à ma sœur Majda.

A Sofia, Eric, Estelle, Myriam et Lara qui ont accepté de témoigner de leur expérience.

Enfin, aux étudiants ainsi qu’aux enseignants que la vie universitaire m’a permis de rencontrer.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... 1

Une question personnelle ... 2

Une question sociale ... 3

Une question de recherche ... 4

CHAPITRE 1 : LA VOCATION, UNE FIGURE PLURIDIMENSIONNELLE ... 6

Une figure historique, religieuse et humaniste ... 7

La vocation comme activité salutaire ... 7

La vocation comme activité productrice ... 8

Une figure sociale ... 9

La vocation comme figure individualiste ... 9

L’importance du regard d’autrui ... 10

La vocation comme appartenance à une communauté de pratique ... 10

Une figure contrastée ... 11

Une figure stéréotypée ... 11

L'héroïsation et la romantisation de la vocation ... 12

Une figure paradoxale ... 13

CHAPITRE 2 : LA VOCATION COMME PROJET IDENTITAIRE ENTRE TENSIONS ET STRATÉGIES IDENTITAIRES ... 14

La problématique identitaire... 15

L'identité : quel statut lui donner ? ... 17

La socialisation selon Piaget ... 18

L'interactionnisme de Mead ... 19

Vers une conception dynamique de l’identité ... 21

Projet de soi pour soi et projet de soi pour autrui des tensions aux stratégies identitaires 23 Projet de soi pour soi et projet de soi pour autrui ... 24

Les transactions identitaires de Dubar ... 25

Pour une définition consensuelle des stratégies identitaires ... 27

La mobilisation du soutien social ... 28

Dynamiques identitaires et rapport à la formation ... 29

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« Motivation et engagement en formation » ... 31

La motivation dans le champ de la formation des adultes ... 31

Le concept d’ idéal du moi dans la perspective motivationnelle ... 31

La question des motifs d’engagement en formation selon Carré ... 32

CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE ... 34

L’entretien de recherche ... 35

Une démarche compréhensive ... 35

Le choix de la semi-directivité ... 36

Le statut de la parole ... 37

Le guide d’entretien ... 39

La population interrogée ... 40

Choix des sujets ... 40

La prise de contact ... 40

Profil des sujets interrogés ... 41

Recueil des données ... 42

La conduite d’entretien ... 42

Retranscription des entretiens ... 43

Démarche analytique : codage des entretiens et grille d’analyse ... 43

CHAPITRE 4 : ANALYSE DES ENTRETIENS ... 46

Le récit de Sofia ... 47

Les motifs d’engagement en formation universitaire ... 47

Les tensions identitaires ... 50

La dynamique identitaire de Sofia ... 52

Les stratégies identitaires de Sofia ... 52

Le récit d’Eric ... 55

Les motifs d’engagement en formation universitaire ... 55

Les tensions identitaires ... 58

La dynamique identitaire d’Eric ... 60

Les stratégies identitaires d’Eric ... 61

Le récit d’Estelle ... 63

Les motifs d’engagement en formation universitaire ... 63

Les tensions identitaires ... 66

La dynamique identitaire d’Estelle ... 69

Les stratégies identitaires d’Estelle ... 69

(7)

Le récit de Myriam ... 71

Les motifs d’engagement en formation ... 71

Les tensions identitaires ... 73

La dynamique identitaire de Myriam ... 77

Les stratégies identitaires de Myriam ... 77

Le récit de Lara ... 79

Les motifs d’engagement en formation universitaire ... 79

Les tensions identitaires ... 82

La dynamique identitaire de Lara ... 85

Les stratégies identitaires de Lara ... 85

CHAPITRE 5 : SYNTHÈSE DES ANALYSES ... 87

CONCLUSION ... 100

BIBLIOGRAPHIE ... 106

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1

Introduction

« Je suis l’espoir que j’ai et que je donne…je suis ce que je peux vouloir librement…je suis ce que j’imagine que je serai… »

Erikson 1972,

Adolescence et crise. La quête de l’identité.

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2 Une question personnelle

« Quand je serai grand je serai une star de cinéma ». Voilà ce à quoi j’aspirais lorsque j’étais enfant. Je ne voulais ni devenir astronaute, ni avocat ou médecin, et encore moins joueur professionnel de football tel que l’a été mon père dans sa jeunesse. Si je prends le risque et l’audace d’entamer ce travail de recherche censé parachever tout un parcours académique par un objet aussi fantasmatique et peu « scientifique » que ce rêve de gosse, c’est parce que je reste intimement convaincu que celui-ci fut, malgré son aspect fantaisiste et imaginaire, un véritable moteur dans ma trajectoire biographique. Un moteur qui fut à l’origine des choix les plus déterminants dans ma vie et qui, somme toute, font de moi la personne qui écrit à ce jour. Très tôt, je m’aperçus que ce qui était l’objet d’un fantasme narcissique constituait en fait un désir bien réel et profondément ancré. Ancré à tel point qu’il me rattrapa à l’âge adulte, après avoir longtemps nourri mon imaginaire enfantin et comblé le vide existentiel de mon adolescence. Imprégné depuis mon très jeune âge par le monde du cinéma, ce n’est que récemment alors pourvu d’une certaine ambition artistique, que je me suis engagé dans cette voie en découvrant cet autre art bien plus antique : le théâtre. Un pas que je n’aurais probablement pu franchir de moi-même s’il n’y avait eu cette passion pour le septième art, à l’heure où les conséquences d’un environnement familial peu artistique me faisaient voir le théâtre comme un art abstrait, décadent et élitiste.

Ainsi, j’ai participé – parfois et même souvent au détriment de mes études – à plusieurs stages d’interprétation et à de nombreux spectacles dans le cadre des activités culturelles de l’université, puis dans le cadre du conservatoire où j’ai été formé une année dans la filière préprofessionnelle. Mais le point culminant de la course fût marqué par mon admission au second tour du concours d’entrée dans la haute école Suisse Romande de théâtre : la Manufacture. Alors que pour les candidats l’engagement dans l’école résultait d’une action linéaire inscrite dans le prolongement expérientiel de leur parcours, il s’agissait pour moi d’un choix plus délicat et plus douloureux, puisque cela impliquait le sacrifice de la dernière étape d’un long parcours de formation : ce travail de mémoire. Heureusement ou malheureusement pour moi, je n’ai pas été sélectionné au second tour. Si j’ai toujours su que mon sujet de mémoire allait s’acheminer autour de thématiques comme celles du rêve, des passions et des aspirations personnelles, ce fut véritablement grâce à cette expérience que j’ai pu réévaluer et recadrer aussi bien les contours de mon aspiration que de mon sujet de recherche. Que deviendraient donc les candidats qui n’étaient pas sélectionnés ? Comment allaient-ils faire pour surmonter un tel échec ? Et leur rêve, qu’en allait-il rester ? Me demandais-je intérieurement suite à la communication des résultats. Quant à moi qui attends toujours de concrétiser mon aspiration personnelle, comment allais-je bien pourvoir trouver la force et le courage de reprendre mon parcours universitaire ? Ainsi en guise d’entrée en matière, il s’agit moins pour ma part d’exposer l’intimité d’un désir que de m’appuyer sur la subjectivité de mon expérience, afin d’engager la réflexion autour d’une question devenue un enjeu central dans l’expérience de la vie moderne : la construction du projet vocationnel.

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3 Une question sociale

Que faire de sa vie, que faire de soi ? Dans l’expérience de la modernité marquée par l’individualisme, cette question existentielle constitue aujourd’hui une injonction sociale.

L’individualisme tel que nous l’entendons ici, « se définit comme l’interprétation d’un processus spécifique à une période, celle de la seconde modernité, qui à la suite d’une série de changements institutionnels, forge les individus en accentuant leur capacité de réflexion » (Martuccelli, 2010, p. 37). Ici, l’individu n’est pas considéré comme un fait isolé, solitaire, égoïste et autosuffisant, mais comme un être social car vivant, animé et porté par le lien qui l’unit aux autres membres et à la société. L’individualisme constitue un processus par nature ambivalent dont l’expérience soulève une pluralité de paradoxes et de tensions.

Deux paradoxes nous semblent emblématiques de ce processus social. Le premier réside dans cette injonction à l’autonomisation, à la réussite et à la performance qui requiert une exigeante « responsabilisation de soi ». Contraint de prendre en charge ce qui revenait aux institutions, l’individu se trouve en proie à une grande vulnérabilité dont l’existence tend à se vivre comme un fardeau, où « production de soi » est souvent synonyme de « fatigue de soi » (Ehrenberg, 1998). Si être pourvu d’un projet de vie constitue à ce jour une « condition normée » (Ehrenberg, 1995), c’est parce qu’il est à la fois un moyen et un but qui oriente, supporte et mobilise l’action du sujet dans ce terrain vague qu’est la société. Une société fragilisée par la crise économique et par la perte des repères institutionnels comme le mariage, la famille et l'église, qui fournissaient un cadre structurel et ritualisant pour la socialisation des individus. Sans oublier le passage entre le « système d’enseignement » et le

« système de l’emploi »quine reposant plus sur l’« adéquation formation-emploi » (Tanguy, 1986), n’est plus aussi linéaire que dans la période des Trente Glorieuses (Dubar, 2001).

Dans ce contexte incertain qui fait de la singularité le ressort de l’action quotidienne, «tout se passe comme si les identités sociales étaient de moins en moins capables de cerner notre singularité » (Martuccelli, 2010, p. 23). L’individu masqué par la globalisation, cherche désormais à exprimer activement sa valeur personnelle à travers une activité ou un domaine auquel il peut pleinement s’identifier. « L’individu moderne comprend et veut comprendre sa vie comme une tâche et une entreprise. Une tâche qu’il se donne à lui-même et dont il est l’initiateur, l’acteur et le juge » (Schlanger, 2010, p. 26). Cette tendance à vouloir articuler dimension subjective et dimension sociale dans un seul et même projet, réhabilite un phénomène historique souvent perçu comme l’apanage de certains « élus » religieux ou artistes : la vocation. L’expérience de ce projet existentiel revêt pour l’individu moderne un caractère certes stimulant mais aussi éprouvant, car traversée par des tensions et des contradictions. Devenue « sa raison d’être » et « son dernier recours » comme le dit Touraine, la singularité qu’aspire foncièrement à faire reconnaitre l’individu à travers son projet, repose sur une identité plurielle qui au fur et à mesure qu’elle se singularise, finit par se conformer à celle d’autrui. C’est le second paradoxe de l’individualisme social. Ainsi, c’est dans cette perspective sociale que nous allons traiter de la formation comme étape constructive du projet vocationnel, entre liberté et contrainte, entre plaisir et souffrance.

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4 Une question de recherche

Dans ce travail de recherche, il s’agit de comprendre à l’échelle de l’expérience subjective des étudiants partagés entre plusieurs projets de formation, le sens que prend aujourd’hui l’entreprise vocationnelle à l’orée de l’individualisme et du singularisme social. Ils sont jeunes, artistes amateurs ou artistes confirmés, pratiquent leurs activités depuis leur adolescence voire depuis l’enfance, sont passionnés, engagés, actifs et même « activistes » car ne jurant que par leur art, sont convaincus et déterminés plus que jamais à faire de leur passion leur principal métier. Pourtant, malgré la détermination et la conviction qui animent leur désir, malgré le talent et l’expérience qu’ils possèdent dans leurs activités, et malgré le fait qu’ils soient pleinement engagés dans leur formation artistique et professionnelle, ils ont décidé de poursuivre leurs études en s’engageant à l’université. Un choix qui marque les traits d’une entreprise périlleuse en raison du travail et de l’investissement que demande la conjugaison de ces deux projets de formation, aussi conséquents l’un que l’autre sur le plan temporel, énergétique et sur le plan identitaire. Car rappelons que la formation est une composante qui mobilise toutes les dimensions de l’expérience de vie, et ne peut donc se réduire au cadre institutionnel dans lequel elle se déploie, ni même à une visée éducative.

C’est dans l’expérimentation active de son savoir en lien avec ses besoins et son histoire de vie qui est elle-même une expérience, que la formation fait – ou non – sens pour le sujet adulte. C’est ce que désigne le concept d’« andragogie » proposé par Knowles (1990) pour distinguer le rapport de l’adulte à l’apprentissage de celui à l’enfant, qui fait de l’expérience une composante centrale dans le processus éducatif et identitaire ; « pour les enfants, l’expérience signifie ce qui leur est arrivé, alors que pour les adultes, elle signifie ce qu’il sont » (Knowles, 1990 p. 72). Ainsi, lorsque le sujet adulte décide de s’engager en formation ce n’est jamais « pour la beauté du geste », au vu des enjeux qu’implique cet acte qui par les bouleversements qu’il provoque dans les différentes sphères de sa vie, constitue une véritable transition identitaire. Dès lors, le choix de ces étudiants soulève plusieurs questions qui renvoient au sens et aux motifs qui sont à l’origine de leur conduite d’engagement universitaire.

Selon nous cette coexistence de projets de formation et les tensions qu’ils peuvent générer dans leur rapport, est emblématique des contradictions sociales qui traversent l’expérience du sujet vivant dans la seconde modernité, en particulier de ce mouvement actionnel qui synchroniquement et diachroniquement consiste à se singulariser et à se conformer aux normes et injonctions sociales. Dans cette visée compréhensive et explicative des conduites d’engagement en formation, la problématique identitaire et motivationnelle ainsi que leurs concepts sous-jacents, nous semblent pertinents pour non seulement investiguer la question du processus motivationnel qui pousse l’étudiant à s’engager puis à persister dans son engagement universitaire. Mais aussi pour explorer le vécu subjectif de l’étudiant partagé entre plusieurs projets et saisir la nature du rapport qu’entretiennent ces deux projets. De cette problématique autour du projet vocationnel qui implique une approche pluridisciplinaire, nous avons construit cette question centrale de recherche :

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5 Question de recherche : En quoi la vocation peut-elle être considérée comme une figure de la seconde modernité ? La construction de cette question centrale s’est basée sur les résultats empiriques observés à l’issue de cette recherche, ainsi que sur les interrogations suivantes auxquelles nous avons tenté de répondre tout au long de ce travail : Quels sont les enjeux socio identitaires de l’expérience vocationnelle ? Quels sont les motifs qui conduisent les étudiants à s’engager en formation universitaire, lorsqu’ils sont engagés en parallèle à leurs études dans une formation à caractère vocationnel ? Quelle rôle jouent les « autrui significatifs » dans ce type d’engagement ? Dans quelles « dynamiques identitaires » se situe l’engagement universitaire de ces étudiants ? Quels effets engendre la coexistence de ces projets de formation sur le plan motivationnel et identitaire de ces étudiants ? Quelles

« stratégies identitaires » déploient-ils face à cette coexistence de projets ? Pour répondre à cette question de recherche nous avons formulé deux hypothèses que voici :

Hypothèse 1 : Lorsque un étudiant est engagé en parallèle à ses études dans une formation à caractère vocationnel, alors son engagement universitaire résulte d’une prescription par un autrui significatif. Dans ce cas il constitue « un projet de soi pour autrui », tandis que sa formation vocationnelle constitue un « projet de soi pour soi ».

Hypothèse 2 : Si l’engagement universitaire de l’étudiant résulte – en partie – d’une prescription par un autrui significatif, alors cet engagement constitue une source de tensions identitaires que l’étudiant va chercher à réguler par des stratégies.

Notre recherche s’articule de la manière suivante. L’objectif de la première section consiste à poser les jalons paradigmatiques des principales théories et concepts mobilisés dans notre travail. Cette partie comporte deux chapitres. Le chapitre premier est consacré à la thématique de la vocation qui a pour but de présenter un aperçu de ses différentes dimensions. Si le recours à la vocation peut s’embler a priori inadéquat car quelque peu dépassé ou trop connoté, celui-ci s’impose par la pertinence que présente cette notion quant à notre sujet de recherche qui s’articule autour du « projet identitaire » et existentiel.

La vocation renvoie à un processus, à un projet, à une activité, qui souligne d’avantage l’idée du sens et de l’aspect téléologique de l’action, que des termes comme le « rêve » ou la

« passion ». Le second chapitre a pour objectif de présenter les théories identitaires et motivationnelles et les concepts sous-jacents à la lumière desquels nous avons problématisé le phénomène de la vocation et analysé les récits d’entretien. La deuxième section de la recherche est la partie empirique. Le chapitre trois a pour objectif de présenter la méthodologie, allant de la construction des outils d’analyse, en passant par la conduite d’entretien qui s’appuie sur l’entretien compréhensif de Kaufmman (1996), jusqu’à la démarche analytique qui s’inspire des travaux de Demazière Dubar (1997) sur l’analyse des entretiens biographiques. Le chapitre cinq constitue une synthèse des analyses observées.

Enfin, ce travail s’achève par une conclusion qui rappelle la structure du modèle d’analyse, expose les principaux résultats observés, et suggère d’autres pistes d’investigation théorique ainsi que des perspectives pratiques en matière d’accompagnement pédagogique.

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6

Chapitre 1 : La vocation, une figure pluridimensionnelle

« Une vocation ne vous convainc pas comme une théorie, elle s’empare de vous comme une exhortation : elle vous dit comment vivre. »

Schlanger, 1996 La vocation.

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7 Une figure historique, religieuse et humaniste

« Mouvement intérieur par lequel on se sent appelé par Dieu. » Telle est la définition que l'on peut trouver sous le terme de « vocation » dans le Robert (1996, p. 1515). Qu'il s'agisse

« d'un mouvement intérieur », d'une « inclinaison pour une profession » ou d' « une destination (d'une, personne, d'une peuple, d'un pays) », comme nous pouvons le lire sous cette même définition, nous retiendrons la dimension religieuse et spirituelle de cette inclinaison, fut-elle pour Dieu, pour un domaine ou pour une activité en particulier.

« Penchant, attirance, inclination et goût » sont les synonymes de ce « mouvement intérieur », tandis que « destination » et « mission » sont les mots employés pour désigner le sens et l'orientation de cet appel divin. Rappelons que le mot « vocation » nous vient de vocatio terme issu du Moyen âge, du latin vocare qui veut dire appeler, mais qui serait beaucoup plus ancien puisque qu'il renvoie à « l'aventure des prophètes » et à leur expérience de vie (Schlanger, 2010 p. 15). Ces prophètes qui soumis à l’ordre divin, avait pour mission de transmettre la parole divine et de montrer la voie céleste aux hommes.

Dans cette perspective religieuse et spirituelle, la vocation fait l’objet d’une « figure élitiste », puisqu’il va de soi que ce ne sont pas tous les hommes qui sont touchés par la grâce divine, sinon quelques appelés, quelques élus. Basée sur une élection divine, l’expérience de la vocation est encore celle de la transcendance, d’une illumination, d’un rapport exclusif à Dieu, avant d’être un rapport à soi. Aussi, son expérience relève moins d’un choix que d’une soumission, car « être appelé, vocari, ce n’est justement pas choisir, eligere…» (ibid. p. 24). Si l'usage moderne du terme « vocation » ne se prête plus essentiellement au domaine religieux et spirituel, il n’en demeure pas moins que la vocation reste une notion très sacralisée dans la représentation collective. Sacralisée à tel point que l’élan très souvent passionnel et solennel – parfois militant –qui accompagne son discours, la rend difficilement intégrable dans la parole ordinaire, au risque de paraitre obsolète et dépassée, face à ce trop-plein d’images, d’émotions et de sensations qui caractérise son langage. Ainsi, il n’est pas rare que le sentiment de la vocation s’exprime en termes de sacrifice, de devoir, de mission, de destinée, de raisons de vivre ou de mourir (ibid. p. 25).

D’où nous vient cette construction mentale et discursive de la vocation ? Comment et à quel moment de l'histoire occidentale, la vocation est-elle sortie du domaine religieux pour devenir une « figure laïque », normative et individualiste telle que nous la connaissons aujourd'hui ? Pour répondre à cette question qui n'est pas des plus simples en raison de l'universalité et de la transcendance de cette figure qui traversa autant de siècles que de cultures, convoquons sous la suggestion de Schlanger, l’éminent sociologue Max Weber.

La vocation comme activité salutaire

Selon Weber, c'est véritablement Luther celui qu’on désigne comme le père du protestantisme, qui lia la dimension religieuse à la dimension économique en rapprochant le travail de la vocation. Luther place le travail au centre de l’expérience de la vie religieuse, en faisant de celui–ci le second lieu – avec celui de l’église – où s'éprouve la foi de l'individu.

Dès lors, le travail devient à la fois un lieu de dévotion et une prière.

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8 La célèbre formule de Luther « Dein Ruf ist dein Beruf », où Ruf signifie appel et Beruf la tâche professionnelle à laquelle on est astreint – formule que l'on pourrait donc traduire par

« Ta tâche est ta vocation » – exprime bien ce rapport entre l’activité productrice et la foi religieuse. Dans cette conception qui n’associe ni le travail à une sanction divine, ni à une activité qu’il est question de choisir ou de refuser, sinon à un espace et un champ d’activité donné où se déploie l’effort de l’individu, la foi passe nécessairement par l’acceptation de sa condition et de son métier (ibid. p. 22). Cette acceptation de son état et de sa condition qui ne font qu’un, constitue pour l'individu la voie de sa réalisation spirituelle avant même celle de son épanouissement, à l'heure où il n'est nullement encore question de choisir son activité et encore moins selon un goût en fonction d’une affinité personnelle. Travailler, c’est travailleur avant tout à la gloire de Dieu. Ainsi dans la conception calviniste, c'est au prix d'un investissement accru et d'un effort tant physique, intellectuel que spirituel, que l'individu accomplit sa destinée et dont la condition sine qua non pour qu'il atteigne le salut – si toutefois il y est prédestiné selon la conception protestante – est qu'il ait la foi. Une évidence lorsque l'on sait que Luther est un moine augustin, héritier de la pensée Augustéenne que l'on peut situer pour ne pas dire résumer sous la célèbre maxime : « croire pour comprendre, comprendre pour croire ». Plus loin, Weber nous explique que ceux sont les mouvements puritains inscrits dans le prolongement de la conception luthérienne, qui ont par la suite introduit l’idée de la réussite obligatoire, étant donné qu’ils percevaient dans le succès un enjeu significatif pour la démarche spirituelle de l’individu. Modifiant ainsi le rapport au travail en un champ de transposition – directe – des valeurs acétiques et puritaines.

La vocation comme activité productrice

Activité salutaire sous le joug du protestantisme, la vocation devient sous la pensée d’Adam Smith une activité libérale et productrice, tant sur le plan économique que sur le plan personnel. Elle est un gagne-pain financier, matériel et identitaire. Autrefois considérée comme la marque d’une distinction divine que l’individu n’avait d’autre choix que d’accepter et de cultiver, cette différence entre les individus et leurs traits personnels constitue pour Adam Smith la logique même de la répartition des tâches et de la division du travail. Sous cette angle, la diversité devient donc moins un fardeau et une contrainte qu’une source de singularisation, de libéralisation et d’émancipation pour l’individu, puisque l’activité désirée répond à une disposition, à un trait personnel et à une « nature » pour ainsi dire. C’est dans cette harmonisation de la dimension personnelle avec la dimension économique, qu’est censé résider le bonheur pour l’individu, à l’heure où – en principe – il aime faire ce qu’il sait faire de mieux (ibid. p. 75). Ces valeurs découlant de cette « conception optimiste » de la division du travail qui lie avantage économique et développement personnel, vont se développer dans la réflexion humaniste et romantique de la fin XVIIIème et courant XIXème siècle, notamment avec Humboldt et Schiller, période au cours de laquelle la vocation devient une thématique centrale (ibid).

(16)

9 La quête de soi, le développement de ses potentialités et de sa nature propre sur lesquelles repose la thématique de la vocation, vont être à l’origine de quantité de récits de jeunesse et de romans d’éduction qui donneront lieu à un genre littéraire spécifique : le « roman d’apprentissage ». Thomas Mann, George Eliot, George Sand, Hermann Hesse, Balzac, Proust, Flaubert ou Stendhal pour ne citer que ceux-là, tous ont fait de la vocation la thématique principale de leur roman éducatif (ibid. p. 82). Fortement exaltée au cours du XIXème siècle, la vocation passe ainsi d’une activité salutaire à une activité émancipatrice et libérale, inversant l’ordre luthérien qui la caractérisait jadis : faire de sa vocation sa tâche, plutôt que faire de sa tâche sa vocation (ibid. p. 74). Néanmoins, l’idéal que défendaient les humanistes et les valeurs éducatives et existentielles que prônaient leurs romans, ne pouvaient s’actualiser que dans des milieux élitistes, intellectuels et bourgeois. Il faudra attendre d'avantage soit la période d'après-guerre au cours des Trente Glorieuses sous le régime de l'individualisme libéral, pour que ce même désir de choisir l’orientation de son identité en même temps que sa voie professionnelle soit accessible à chacun, c’est-à-dire sans distinction d’âge, d'appartenance ethnique, religieuse, sociale et sexuelle.

Une figure sociale

La vocation comme figure individualiste

Que faire de sa vie ? Aussi subjective, intérieure et intime qu’elle puisse paraitre, cette interrogation personnelle que pose la vocation demeure avant tout sociale, et ce à plus d'un niveau. Ne serait-ce tout d’abord par la nature même de la source dont émane cette question : l'individu. Cet individu dont l’identité est le produit continu d'une socialisation par des interactions avec son environnement social, tant avec les autres membres de sa société qu'avec les institutions qui l’entourent. Sociale aussi, en ce qu’elle implique nécessairement le suivi d’une activité qui va s’actualiser dans une espace publique et qui aura pour effet de marquer voire de transformer la réalité sociale. Cette interrogation existentielle quant à l’identité du moi et quant à la nature de l’activité par la laquelle il s’agit durablement de définir ce moi, cette interrogation qui n’est désormais plus respectivement liée un stade de vie mais qui peut surgir à n’importe quelle phase de son expérience, c’est la question que pose l’individualisme social. Celle qui se construit non pas dans le repli du for intérieur de l’individu mais au contact d’autrui, à l’intersection des craintes et des désirs qui délimitent son espace subjectif, et des contraintes et possibilités qui structurent l’espace social. Celle qui cherche activement la juste voie professionnelle à travers laquelle il s’agit de se nommer, de s’identifier, d’exprimer sa singularité et sa « justesse personnelle » (Martuccelli, 2010) et qui sera donc le plus à l’émancipation voire à la réalisation de soi.

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10 L’importance du regard d’autrui

Si l’expérience de la vocation nait dans l’intimité subjective, elle ne prend véritablement sens qu’en s’objectivant dans l’espace social, sous le regard critique d’autrui. Dans cette entreprise personnelle, l’autrui significatif constitue en plus du soi réflexif de l’individu, un juge pertinent souvent plus « juste » car plus objectif. Mais au-delà de sa fonction critique, le regard d’autrui à l’image du regard maternelle dans le développement affectif et psychologique de l’enfant, occupe une place primaire dans le processus vocationnel. Qu’il s’agisse du choix de l’activité – aussi personnel soit-il – de l’activité en elle-même ou de sa production, ceux-ci tendent à s’articuler autour pour ne pas dire en fonction du regard et de l’opinion d’autrui. D’autant plus si l’activité professionnelle s’inscrit dans le domaine artistique – c’est là une évidence, mais aussi dans le domaine intellectuel où le désir de compréhension et d’explication qui anime la quête du savoir relèvent eux aussi de la même dynamique sociale. « La vraie motivation du savoir est toujours sociale » conclu Schlanger dans la lignée de cette citation de Pascal ; « Curiosité n'est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler, autrement on ne voyagerait pas sur la mer pour ne jamais rien en dire et pour le seul plaisir de voir, sans espérance d’en jamais communiquer » (2010, p. 158). Une citation qui nous amène à nous interroger sur les motifs qui animent la vocation. Devenir comédien pour interpréter et défendre un texte, ou pour être adulé sous le regard admiratif des spectateurs ? Devenir avocat pour défendre des témoins, ou pour faire témoigner la cour de ses qualités rhétoriques et oratrices ? Partir en mission humanitaire jusqu’à l'autre bout de la terre pour venir en aide aux plus démunis, ou pour exposer le récit d’une intervention à la fois solidaire et héroïque ? Trouver le prochain vaccin de l’épidémie du sida pour stopper les ravages de ce fléau sanitaire, ou pour gagner le prix Nobel de la santé ? Dans tous les cas, « On attend de voir confirmer sa propre image. On espère l’emporter et devenir important, être connu, être admiré, être envié : soit par le regard professionnel des autres, soit par le regard incompétent des foules » (ibid. p. 159).

Ainsi, la reconnaissance sociale demeure la pièce maitresse du moteur de la vocation et, a fortiori, de toute action.

La vocation comme appartenance à une communauté de pratique

Toute vocation professionnelle se construit selon deux temps expérimentaux (ibid. p. 82).

D’abord selon un temps d’étude consacré à la formation qui vise l’acquisition des connaissances et des savoir-faire sous-jacents à l’expertise. Puis à travers un temps plus long dédié à la pratique qui vise l’exercice de cette expertise par le développement ou la consolidation de compétence. La vocation en tant qu’activité professionnelle implique donc le suivi d'une formation, fut-ce sur le tas (type non formel), sous la tutelle de pairs (type informel), ou sous la tutelle d’enseignants ou de formateurs (type formel). Dans tous les cas la vocation aussi chargée de talent et de génie soit-elle, nécessite dans sa phase formative l’intervention d’une main, d’un modèle et d’une inspiration extérieure ; « Il n’y a pas de

« grand homme » – artiste, savant, écrivain ou penseur – qui n’ait eu des modèles, des maitres, des pères spirituels » (Chasseguet–Smirgel, 1975, p. 89).

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11 Ceci rappelle que la formation vocationnelle dans sa dimension expérientielle et participative, reste au même titre que toute activité de formation subordonnée à un cadre institutionnel, organisationnel et relationnel, structuré par des règles, des codes et des valeurs : elle est toujours liée à une « communauté de pratique » (Lave & Wenger, 1991).

Car cette communauté de pratique forme un cadre expérientiel et identitaire pour la formation du sujet, elle constitue « un support interprétatif nécessaire pour faire sens » à son savoir et à son expérience » (ibid. p. 98). Ce n’est que par la reconnaissance d’autrui, autrement dit par ses pairs et dans une plus grande mesure par l’environnement institutionnel, que l’individu va pouvoir légitimer son savoir et son expérience, puis dans une second temps, le rôle et la fonction de son activité professionnelle. C’est pourquoi devenir comédien, avocat ou prêtre, est « activité diplômée » (licence) au sens « d'autorisation légale d'exercer certaines activités que d'autres ne peuvent pas exercer » et une activité

« mandatée » (mandate) qui désigne « l'obligation légale d'assurer une fonction spécifique » (Hughes cité par Dubar, 2005, p. 136). C’est ce qu’implique la notion même de « profession » qui implique l’existence de ces deux critères. Rappelons qu'historiquement ce qui définit la profession au XVème siècle où les corporations étaient « pleinement instituées », c'est « le droit au corps », c’est-à-dire ceux qui pouvaient faire partie d’une corporation reconnue » Olivier Martin les définit comme des « disciplines des corps pour garantir la compétence juridique, c'est à dire la permission d'exercer et de défendre son monopole et ses privilèges dans l'intérêt du bien commun » (1938, cité par Dubar, 2005, p. 128). Le terme de

« profession » dérive de la « profession de foi » accomplie lors des cérémonies rituelles d'intronisation dans les corporations » (ibid. p. 128). Des rituels qui perdurent encore aujourd'hui dans le monde organisationnel du travail, et dont « la profession de foi » des collaborateurs se fait aujourd’hui sous forme de contrat d’engagement, écrit et/ verbal.

Ainsi, la vocation en tant qu’activité professionnelle est toujours socialement catégorisée, car spécifique à une profession – ou à un métier – et affiliée à un groupe ou à une organisation.

Une figure contrastée Une figure stéréotypée

A travers quelle(s) profession(s) ou type(s) de profession(s) la vocation peut-elle se manifester ? Il est fort probable que le premier type de profession auquel nous pensons renvoie au domaine artistique et/ou culturel. A ces métiers et à ces figures issus du domaine des arts, du spectacle et de la culture que sont l’artiste peintre, le comédien de théâtre, l’acteur de cinéma, le danseur, le chanteur, le photographe, l’écrivain ou le poète pour ne citer que les catégories les plus représentées. Et qui plus est pas à n’importe quel comédien, photographe ou homme de lettre, si je suis amené à penser ces mêmes professions sous l’œil magnifiant et sélectif de la vocation. C’est ainsi que ces artistes auxquels je pense ici, ne peuvent être que des personnalités remarquables, doués d’un talent exceptionnel à l’image des célèbres figures qui ont marqué l’histoire de ces professions, en même temps que l’Histoire de nos sociétés.

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12 Dans cette perspective idéalisante, ce ne sont pas les scénarios qui manquent quant à l’évocation de ces types de profession, à l’heure où le thème de la vocation qui place l’individu et ses penchants au centre de la réflexion, engendre très souvent des discours à la fois passionnels, militants et moralisateurs, chargés d’images et d’émotions fortes qui ne sont pas sans confusion voire de contradictions. D’où nous viennent ces images et pourquoi un tel discours lorsqu’il s’agit de parler « vocation » ? Pourquoi à titre illustratif, je ne peux m'empêcher de mettre un visage aussi célèbre et charismatique que celui de Marlon Brando, de Robert De Niro, d'Alain Delon ou de Gérard Depardieu, sur la vocation d'une personne qui souhaiterait devenir acteur ? Pourquoi colorer le discours de la vocation par des images aussi grandiloquentes et peu communes ? Pourquoi un tel mécanisme de pensée quand bien même je reste tout à fait conscient de l'exceptionnalité et de la rareté de ces modèles ? L'héroïsation et la romantisation de la vocation

La vocation est une notion qui ne date pas d’hier puisqu’elle renvoie à « l’aventure des prophètes » et ce donc bien avant l’ère zéro du calendrier grégorien (Schlanger, 2010, p. 15).

Ces prophètes connus pour être les porteurs et les annonciateurs de la parole divine, capables des plus grands miracles lorsqu'il s'agit de venir en aide à leurs prochains, toujours prêts à littéralement se sacrifier pour mener à bien leur mission qui fait de leur destin un véritable chemin de croix. Cette figure du prophète, n'est pas sans rappeler cette autre figure plus ancestrale et plus mythologique capable d'embrasser la condition humaine : le héros. Ce surhomme capable des plus grandes épreuves qui incarne la « résolution imaginaire » de la question existentielle (Schlanger, 2010), immortalisé en même tant qu'il est humanisé par ce qui le fait exister : le récit. Que seraient les œuvres littéraires, picturales, musicales, photographiques et cinématographiques sans cette substance tantôt fictive tantôt réelle et toujours inépuisable qu'est le héros ? Qu'aurait-on à raconter sans cette figure par nature dramatique et « dramatisante » dans sa mise sa narration ? S’il y a bien une catégorie d'acteurs qui ont participé aussi bien à l'exaltation qu'à la diffusion de cette figure en faisant d'elle la matière première de leur œuvres, ce sont bien les artistes, longtemps considérés à leur tour comme de véritables héros. Des artistes dont la singularité, la rareté et le génie, constituent leur lot commun avec cette figure héroïque ;

« On comprend que l’artiste soit l’exemple privilégié et l’illustration par excellence de la vocation romantique, puisque dans son cas les valeurs du tout et de l’unique se confondent.

La création artistique est justement définie comme le domaine de l’activité humaine où l’absolu personnel aboutit à l’unique » (ibid. p. 173).

A quoi s'ajoutent les figures avoisinantes que sont l'intellectuel et le scientifique personnifiées par la figure de l'érudit et du savant, qui constituent chacune « le paradigme de la vie supérieure et le type par excellence de la vie vouée » (ibid. p. 129). Dès lors, on comprend pourquoi historiquement et culturellement les vocations artistiques et intellectuelles demeurent les catégories professionnelles de référence, et la raison pour laquelle elles restent des champs d’activités idéalisés par le sens commun.

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13 Une figure paradoxale

Prise au carrefour de la dimension mythologique, religieuse, philosophique, humaniste sociale, économique et même politique, en ce qu’elle suppose l’existence d’ « un régime qui la porte, ou du moins qui ne l’empêche pas » (ibid. p. 10), la vocation dans son aspect pluridimensionnel et holistique, a pour conséquence d’être liée à une construction discursive et représentationnelle complexe, riche, diffuse et parfois contradictoire. Si elle tend à se présenter aujourd’hui comme une injonction de l’individualisme sociale, celle qui prescrit à tout sujet de s’autonomiser et de se responsabiliser par la construction d’un projet de vie, la vocation dans son héritage historique et culturel, continue néanmoins de soulever quelques paradoxes. Des paradoxes qui sont issus des images et des croyances quelques peu dépassées pour ne pas dire archaïques, auxquelles elle reste attachée. Une des croyances qui découle de la romantisation de la vocation concerne l'orientation et la valence que prend la trajectoire de la personne vouée. Dans sa perspective romantique, la vocation ne peut que prendre la forme d'un parcours herculéen et donc d’une trajectoire ascendante, où « le voué » ne peut qu'en ressortir meilleur voire réalisé. Comme si le sujet voué à l'image du héros tragique, n'avait d'autre choix que de subir son parcours sans jamais renoncer, où seules les erreurs et les pertes en cours de route sont tolérées puisqu'elles seront compensées par le poids de la réussite finale. Une autre croyance à laquelle est rattachée la vocation, réside dans le choix de l’activité et de l’objet dans laquelle il s’agit d’y consacrer son temps, son énergie et sa vie. En effet, il y a dans la vocation quelque chose de l’ordre de l’évidence voire presque du « naturel », où l’on part du principe que la dimension subjective de la personne vouée, va forcément trouver son équivalent dans la réalité sociale et économique. Or, ce mariage entre l’intérieur et l’extérieur, entre le moi et l’activité professionnelle n’est pas un allant de soi, à l’heure où l’on assiste à une précarité du marché de l’emploi. Au même titre que le choix de l’activité, qui constitue une certitude pour le sujet voué en ce qu’il la perçoit comme la voie qui mène à son bien-être, à son bonheur et à sa réussite personnelle. Quant aux paradoxes que génère la vocation dans son expérience, il y a la question du choix en lui-même qu’elle pose. Le sujet voué est-il « libre » de choisir sa vocation ? Comment peut-on à proprement parler de choix lorsque l’on attribue la vocation à un appel intérieur, spontané et autonome ? Est-ce moi qui définis ma vocation ou est-ce ma vocation qui me définit comme le soulève Schlanger ? Si j’aspire à devenir comédien est- ce là le fruit d’une liberté de choix ou d’une contrainte intérieure ? (ibid. p. 93).

La question des paradoxes, la question du sens et du moteur de l’action, de l’identification à l’activité, de la formation et de l’apprentissage, du rapport entre le discours et l’activité, du rapport entre l’espace subjectif et l’espace social, ainsi que la place qu’occupe autrui et les institutions dans l’entreprise vocationnelle, constituent des questions qui excèdent cette figure pour s’inscrire dans une problématique plus large : celle de l’identité. C’est ce que nous verrons dans le chapitre suivant dont l’objectif est de poser les jalons théoriques des concepts à la lumière desquels nous étudierons cette figure pluridimensionnelle qu’est la vocation.

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Chapitre 2 : La vocation comme projet identitaire entre tensions et stratégies identitaires

« L'homme élevé sans la société des Hommes ne peut être qu'un monstre parce qu'il n'est pas d'état pré-culturel qui puisse réapparaitre par régression. »

Malson, 1964

Les enfants sauvages.

« Ne cherchez pas en vous, en vous il n'y a rien ; cherchez dans l'autre qui est en face de vous. »

Stanislavsky

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15 La problématique identitaire

« Qui suis-je, que dois-je faire de moi, que dois-je faire de ma vie ? » Telles sont les questions formulées par Schlanger (2010, p. 7) dans son essai consacré à la thématique de la vocation, qui soulignent les enjeux identitaires de cette figure. Que la vocation soit encore à l’état de vapeur sous forme d’interrogation, de désir et de fantasme, ou à l’état solide sous forme d’activité formative ou professionnelle, elle constitue un projet de vie autour duquel le sujet mobilise ses différentes ressources à commencer par soi. Un projet personnel animé par « le désir de ne pas séparer sa vie active avec sa vie intérieure » (ibid. p. 73) qui oriente le choix d’une activité, grâce à laquelle il est possible de pleinement s’identifier et d’exister selon son statut social. C’est en ce sens que l’activité professionnelle lorsqu’elle émane d’un profond désir et qu’elle réussit – idéalement – à confondre plaisir, nature, productivité et reconnaissance sociale, demeure l’entreprise identitaire par excellence. Mais en quoi la vocation est-elle un projet et qu’entend-on au juste par cette notion ? Si le terme de

« projet » qui fait partie intégrante du langage courant reste très utilisé dans le monde du travail, des organisations et des institutions, servant aussi bien à désigner une perspective, une idée, un désir, un but ou un objectif, il convient d’après l’usage que nous souhaitons en faire tout au long de cette étude, de recourir à une définition plus concise. Pour ce faire, prenons la définition proposée par Mc Cleand et King (1983) dans le domaine organisationnel des sciences administratives :

« Un projet est un effort complexe pour atteindre un objectif spécifique, devant respecter un échéancier et un budget, et qui, typiquement, franchit des frontières organisationnelles, est unique et en général non répétitif dans l’organisation » (Enlart et Jaquemet, 2007, pp. 59- 60).

Si c’est là une définition spécifique au domaine organisationnel, elle reste néanmoins transposable à la thématique de la vocation en ce qu’elle comporte les mêmes dimensions et les mêmes enjeux. La dimension téléologique de l’action et de l’énergie orienté vers l’objectif, la dimension du coût, des ressources et des moyens mobilisées que sous-entend la question de l’effort et du budget, la dimension temporelle limitée et structurée qu’implique la présence d’une échéance, l’ampleur du projet qui dépasse « les frontières organisationnelles » pour s’inscrire dans une réalité plus complexe, et enfin le caractère exceptionnel et « extraordinaire de l’objectif » (Cohen 2006, ibid. p. 62) que vise le projet en ce qu’il n’est « non répétitif », ne sont pas sans rappeler les dimensions et les déterminants auxquels se rattache l’expérience de la vocation. C’est pourquoi il est tout à fait pertinent de parler de la vocation en termes de projet.

Dans une perspective identitaire, ce projet existentiel qu’est la vocation, trouve écho dans le concept psycho sociologique de « projet identitaire » proposé par Kadourri (2002). Si nous avons abordé indirectement la question des enjeux identitaires de la vocation sous les différentes figures qu'elle pouvait prendre dans le chapitre précédent, nous n'avons encore définit clairement ce que nous endentions par la notion même d’« identité ».

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16 Un éclairage qui s’impose, dans la mesure où cette notion et les concepts sous-jacents vont constituer ce par quoi nous allons problématiser et analyser le phénomène de la vocation, en tant que « projet identitaire ». Qu’est-ce que l’identité ? Il va sans dire que face à l’ampleur d’une telle question où il semble y avoir autant de définitions que de points de vue, le recours à une approche théorique et à des concepts rigoureux apparait nécessaire pour délimiter le regard sur cette notion, prise au carrefour de la psychologisation spontanée du sens commun et de la complexification du langage scientifique. A l'heure où l'on assiste depuis la fin des années 70 au développement d'une littérature foisonnante autour de cette notion, qui donne lieu à quantité de terminologies issus de disciplines aussi diverses que « la psychologie, la sociologie, l'histoire, les sciences politiques ou juridiques"

pour notamment "répondre aux questions posés par l'identité au travail, l'identité nationale, l'identité culturelle...ou l'identité tout court » (Lipiansky, Taboada-Leonetti, Vasquez 1998, p.

7). Sans compter la profusion conjointe des injonctions identitaires par lesquelles nous sommes quotidiennement assaillis sous le régime du « capitalisme émotionnel », celui qu’Eva (2006) nomme et définit comme ;

« une culture dans laquelle les pratiques et les discours émotionnels et économiques s'influencent mutuellement aboutissant ainsi à un vaste mouvement dans lequel les affects deviennent une composante essentielle du comportement économique et dans lequel la vie émotionnelle (…) obéit à la logique des relations et des échanges économiques » (p. 18).

Ainsi, « Be », « Born to be alive », « Just do it », « Devenez vous-même », « Libérez-vous »,

« Découvrez votre vraie nature » ou l’incontournable « Be yourself » (Flahault, 2006), forment les « slogans identitaires » par excellence que l'on peut aisément trouver dans la publicité de masse. Des injonctions identitaires qui finalement ne veulent pas dire grand choses, à l'image de ce célèbre « Be yourself » qui donnerait l'illusion « d'une croyance en une essence personnelle, indépendante de toute appartenance sociale et dotée d'une consistance propre, explicative des aléas de sa biographie » (Dubar, 1996, p. 39). Car que signifie concrètement « être soi-même » ? Comment être et se libérer de ce que nous ne pouvons clairement nommer et saisir ? Encore une fois qu’est-ce que l’identité ? Peut-on d'un point de vue scientifique réellement définir de manière consensuelle cette notion par essence interdisciplinaire. Peut-on empiriquement l'observer et la mesurer ? Si oui, avec quels outils ? Pour répondre à ces questions, un bref rappel du cheminement historique de cette notion et des courants qu'elle a traversés, nous semble incontournable.

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17 L'identité : quel statut lui donner ?

« Toute utilisation de la notion d'identité commence par la critique de cette notion » nous rappelle Lévi-Strauss (1977, cité par Dubar, 1996. p 37). Bien des penseurs avaient déjà spéculé autour de la question de l'identité, tantôt sous forme de « principe » chez les penseurs de l'antiquité comme Héraclite, Parménide, Aristote et Platon. Tantôt sous forme de « conscience de soi » à travers le cogito ergo sum de Descartes. Tantôt en termes d' « instance psychique » dans la psychanalyse de Freud. Tantôt en termes de « Soi » (Self) dans la psychologie sociale de Mead, ou tantôt sous forme de développement dans la psychologie génétique de Piaget pour ne citer qu’eux. Mais ce n'est que dans les années 70 qui marquent l'essor des sciences humaines et leur désenclavement de la pensée positiviste, que la notion d'identité apparaît explicitement pour la première fois dans le champ de la psychologie sociale, sous le concept de « crise d’identité» initié par Erikson (1972). Concept puisé dans la notion freudienne « d'identification » qui sert à désigner les ruptures liés aux stades qui structurent le processus évolutif de l’identité. Si la notion d’identité a par la suite été intégrée comme catégorie d’analyse dans la recherche sociologique après avoir été la cible de plusieurs critiques dans les années 80, avec des travaux qui considéraient encore la notion d'identité comme une entité immuable et substantiellement collective, elle continue d’être critiquée par certains chercheurs comme c’est le cas de Barbier (1996). Selon lui, la confusion à l'égard de cette notion s'établit à plusieurs niveaux ;

« Confusion épistémologique puisque, par exemple, la même notion est utilisée pour désigner tantôt l'objet du travail de recherche (par exemple "l'analyse des identités sociales et professionnelles"), tantôt les matériaux du travail de recherche (les énoncés que les acteurs tiennent sur eux-mêmes ou sur d'autres), tantôt les outils du travail de recherche (la problématique identitaire). Confusion théorique aussi (...) au regard des "distinctions élémentaires qui ne sont pas toujours opérées entre les représentations et les constructions qu'un acteur opère autour de lui-même ("identité pour soi"), et les représentations et constructions qui sont données de lui ("identité pour autrui") et leur intériorisations » (p. 12).

Cependant, malgré les objections qu’on peut lui porter l'identité n’en constitue pas moins un support réflexif pour la compréhension et l’explication de certains phénomènes et processus sociaux. C'est l'une des fonctions que lui attribue Lévis Strauss, qui la considère comme

« une sorte de foyer virtuel auquel il est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses » (1977, p. 322, cité par Lipiansky, Taboada-Leonetti, Vasquez, 1998). Une position que partage Barbier quant à son utilité analytique et interprétative ;

« déclinée comme il convient, la notion permet en effet d'articuler des catégories de pensée auparavant disjointes, comme les couples objectif/subjectif, psychique/social, pensée/action, processus/état, etc...sans parler des clivages disciplinaires » (1996, p. 11).

C’est dans cette perspective que nous utiliserons la notion d’identité dans la partie empirique de ce travail, pour opérer certains clivages que nous définirons plus tard.

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18 La socialisation selon Piaget

Le paradigme sur lequel repose les théories sous-jacentes aux recherches actuelles menées sur la problématique identitaire, est le paradigme socioconstructiviste de Piaget. Dans l’approche de Piaget, l’identité est conçue comme un phénomène qui s'inscrirait dans « le prolongement sociologique de la socialisation de l'enfant » (Dubar, 2005, p. 19). Dans cette perspective psychosociale, Dubar définit l'identité comme « un produit des socialisations successives » (ibid. p. 14). Mais qu'entend-il par « socialisation » ? Pour donner un élément de réponse à cette question, revenons sur les travaux de Piaget consacrés au développement de l'enfant. Piaget soutien une conception évolutive de la socialisation de l'enfant, dont le développement cognitif et psychomoteur se construirait de manière continue en parallèle au développement des régulations de l’interaction sociale. Ce faisant, Piaget n'envisage pas de lien de causalité entre l'aspect cognitif et social du développement, sinon des liens de complémentarité. Quant à la construction socio cognitive de l'enfant, celle-ci se ferait sous forme de stades successifs, dont le processus qui permettrait « le passage perpétuel d'un état de moindre équilibre à un état d'équilibre supérieur » se nomme « processus d'équilibration » (Piaget, 1964, cité par Dubar, 2005, p. 20). C'est ce processus homéostatique qui permet à l'enfant de s'adapter aux variations et aux tensions que provoque l'interaction entre les besoins de son organisme et les ressources de son environnement extérieur. Dans ce processus, deux mécanismes complémentaires s’articulent que sont les mécanismes d’« assimilation » et d'« accommodation ».

L'assimilation renvoie à l'incorporation de nouvelles données que sont « les choses et les personnes externes » aux patterns comportementaux déjà construits : les structures (ibid. p.

20). Le processus d'accommodation quant à lui, est déterminé par les propriétés de l'objet et renvoie aux modifications de l’organisme et de ses structures qui visent à faciliter l'adaptation de l'enfant aux transformations de son environnement extérieur.

Ces mécanismes soulignent dans une plus large mesure, à quel point l’environnement social dans la source de stimulus qu’il représente pour l’enfant, est très important pour son développement mental et social. Pour s’en rendre compte, il suffit de s’intéresser aux conséquences dramatiques que peut engendrer sa carence sur le développement socio cognitif et même biologique de l’enfant. C’est ce qu’ont mis en évidence les études menées sur les « enfants sauvages », terme qui désigne les enfants « qui ont été privés trop tôt par hasard ou par dessein de l’atmosphère éducative humaine, ceux que l’on a abandonnés et qui ont survécu à l’écart par leur propres moyens » (Malson, 1964, p. 40). Les cas recensés qui sont – tragiquement – les plus célèbres sont ceux de Kamala et Amala, deux filles indiennes qui ont été élevées par des loups découvertes en 1920, le cas de Victor de l’Aveyron découvert en 1797), de cas de Gaspard Hauser découvert en 1821 à Nuremberg, ou encore de Génie, une enfant découverte à Los Angeles en 1970 qui vécue recluse et qui fut séquestrée volontairement par des parents psychotiques. Lors de leur découverte, plusieurs anomalies ont été repérées chez ces enfants notamment des anomalies motrices (Kamala et Amala se déplaçaient à quatre pattes), perceptives et sensorielles (Victor et

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19 Génie étaient insensibles à la différence thermique chaud/froid). Mais aussi et surtout des anomalies langagières, où dans l’ensemble des cas il y avait une quasi absence de langage verbal, soit différentes anomalies, qui ont fait apparaitre ces enfants comme des êtres biologiquement anormaux et « frappés d’idiotie native » (ibid. p. 41). Malgré le fait qu’ils aient été pris en charge par la suite – parfois par des docteurs, ces enfants n’ont pu retrouver un état « normal », étant donné qu’ils n’avaient récupéré que partiellement leurs facultés sociocognitives. Ainsi, loin de ce que prétendent les contes de Tarzan ou de Mowgli, le cas de ces « enfants sauvages » montre que l’enfant – et l’être humain en général, ne peut se développer par lui-même de façon autonome, mais uniquement au contact d’autrui, d’un groupe, d’une culture et d’une société : « L'Homme élevé sans la société des Hommes ne peut être qu'un monstre parce qu'il n'est pas d'état pré-culturel qui puisse réapparaitre par régression » (ibid. p. 40). C’est dire qu’il n’existe pas de « nature humaine » et que la culture est en somme la nature humaine si l’on peut dire. Enfin, si le modèle de Piaget peut sembler dépassé pour certains auteurs qui remettent en cause la conception progressive et terminologique des stades de développement de l'intelligence et de la socialisation de l'enfant, il n'en demeure pas moins que ce modèle demeure incontournable dans son aspect dynamique pour penser le processus de socialisation. Car comme le met en exergue Dubar, l'apport des travaux de Piaget sur la question du développement et de la socialisation de l'enfant, marque une « double rupture, nécessaire à toute approche opératoire des faits de socialisation » (2005, p. 34). La première concerne la conception passive du statut des individus apprenants et de la conception déterministe et transmissive des institutions sociales. La seconde renvoie à « la représentation (antique) linéaire de la formation en termes d'accumulation de connaissances ou de progression continue de compétences », bousculée par la notion de « stade de développement et de sa discontinuité dynamique » (ibid. p. 35). En ce sens, le modèle de socialisation de Piaget basé sur l’interaction assimilation/accommodation dans la transaction entre l’individu et son environnement social, constitue « non seulement un aspect du processus de développement individuel mais aussi la clé de voûte de tout le fonctionnement social » (ibid.)

L'interactionnisme de Mead

Après avoir introduit la conception Piagétienne du développement de l’intelligence humaine, approfondissons la réflexion en nous intéressant à cette approche complémentaire de celui qu’on nomme le père de l’interactionnisme : George Herbert Mead. Mead fut incontestablement le premier chercheur en rupture paradigmatique avec les approches psychologiques dominantes de son époque – le béhaviorisme et la psychanalyse – à considérer dans son œuvre – Self, Mind and Society (1934) – la conscience de soi comme le produit d’interactions sociales. Comme Piaget, Mead place l'adaptation au cœur du processus de socialisation qu'il conçoit comme un mécanisme continu et réciproque ; « le fait premier est l'acte social qui implique l'interaction de différents organismes, c'est à dire l'adaptation réciproque de leurs conduites dans l'élaboration du processus social » (cité par Dubar, 2005, p. 95).

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