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L'architecture de l'avant-projet de loi sur la responsabilité civile

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L'architecture de l'avant-projet de loi sur la responsabilité civile

WINIGER, Bénédict

WINIGER, Bénédict. L'architecture de l'avant-projet de loi sur la responsabilité civile. Revue de droit suisse , 2001, vol. 12. Halbd. 1., no. 4, p. 299-326

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:25033

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L'architecture de l ' Avant-projet de loi sur la responsabilité civile

B~N~DICT WJNIGER*

1. Introduction

Depuis le Code civil français de 1804, la clause générale de responsabilité exerce un effet magique sur l'esprit des juristes. Exprimer en un seul article, ou mieux encore, en une seule phrase, L'essence de la responsabilité civile.

Pas un seul des grands Codes nationaux n'est ensuite revenu sur le principe d'une technique dont les premières origines sont romaines et qui avait lente- ment mûri à partir du 17e siècle. L'Avant-projet de révision des articles 41 ss CO n'échappe pas à cette règle. Lui aussi a recours-même très largement- aux techniques de la clause générale. En même temps, il marque une étape majeure dans l'évolution de la responsabilité civile qu'il coule dans une nou- velle forme.

IJ. La macro-structure des art. 41-50 AP

Le Code civil français et le Code des obligations suisse figurent sans doute parmi les meilleures réalisations d'une clause générale de responsabilité. En une phrase, les articles 1382 CCS et 41 CO définissent Les fondements de la responsabilité délictuelle. Dans les deux codes, les autres articles du chapitre consacré à la responsabilité ne sont, en réalité, que des précisions du principe général énoncé.

L'Avant-projet de loi fédérale sur la révision et 1 'unification de la respon- sabilité civile (Avant-projet ou AP) rompt avec cette tradition - paradoxale- ment en la renforçant. Pour la première fois, les dispositions sur la responsa- bi 1 ité civile sont insérées dans une véritable structure composée de trois blocs d'articles qui dictent trois étapes du raisonnement juridique.

Professeur à I'Univcrsilé de Genève.

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Bénédict Win iger

1. Une structure tripartite

La première étape se résume en un seul article. 41 AP formule une norme fon- damentale d'imputation. Articulé en deux alinéas, il stipule d'abord que l'obligation de réparation ne peut naître que si le fait dommageable peut être

«imputé en vertu de la loi». 41 AP délimite ensuite, en son alinéa 2, les trois champs principaux concernés par la responsabilité aquilienne: la responsabi- lité pour faute, pour des actes d'auxiliaires et pour des activités spécifique- ment dangereuses. Notons tout de suite que cette liste n'est pas exhaustive.

Le juge peut, le cas échéant, ajouter d'autres chefs de responsabilité.

La deuxième étape concerne les articles 45, 46 et 47 AP qui énoncent trois conditions générales. 45-45f AP définissent la notion de dommage, 46-46a AP celle d'illicéité et 47-47a AP celle du rapport de causalité. Ces trois conditions sont cumulatives; le dommage doit seulement être réparé si elles sont remplies simultanément.

La troisième étape reprend et précise les trois fondements de la responsa- bilité annoncés dans 41,2 AP: responsabilité pour faute (48-48b AP), pour auxiliaires (49-49 a AP) et pour risque (50-51 AP).

Ces trois fondements sont alternatifs; il suffit qu'au moins un des trois soit réalisé pour faire naître l'obligation de réparation. Cette énumération, nous l'avons dit, n'est pas exhaustive et, conformément à 41 AP, le juge peut y ajouter d'autres fondements.

En revanche, en ce qui concerne le rapport entre le deuxième et le troi- sième bloc, il faut que les trois conditions générales du deuxième bloc et au moins un des trois fondements du troisième bloc soient réalisés simultané- ment pour donner lieu à une réparation.

2. Une ancienne structure de raisonnement dans une nouvelle forme législative

Jetons d'abord un bref regard sur la structure de la responsabilité civile dans les codes actuels. Au centre non seulement des Codes civils français et suisse, mais aussi de l'Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch (ABGB) et, sous une forme modifiée, du Bürgerliches Gesetzbuch (BGB) se trouve une clause générale de responsabilité. 1 Cette clause est complétée par des dispositions plus spécifiques réglant par exemple la responsabilité pour le fait d' autrui2, la

CCF 1382, ABGB 1295, BGB 823, CO 41 etc.

2 CCF 1384.

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L'archilecrure de I'Avanl-projec de loi sur la responsabilité civile

responsabilité plurale\ celle du détenteur d'animaux4 ou encore celle pour bâtiments5•

La clause générale a comme particularité, comme son nom l'indique, de définir de manière générale et abstraüe les conditions de responsabilité.

Historiquement, la clause est calquée sur le modèle romain du <dommage illjcitement donné> (damnum iniuria datum) ou du <dommage fautivement donné> (damnum culpa datum). Ces deux formulations ont été développées, à un intervalle d'environ trois siècles, par la jurisprudence et la doctrine ro- maines. Elles ont formé, jusqu'au 6• siècle de notre ère, Je noyau conceptuel de la responsabilité aquilienne romaine et ont été intégrées, au cours de la ré- ception du droit romain surtout du 16° au 18• siècle, dans les ordres ju- ridiques continentaux. Elles ont été transfonnées à partir de GROTius6 en vé- ritables prototypes d'une clause générale de responsabilité.

Les codes actuels reprennent les trois éléments de ce prototype: 1 'existence d'un dommage (damnum), un acte illicite et/ou fautif (iniuria et/ou cu/pa) et un lien de causalité entre l'acte et le dommage (damnum datum). 1382 CCF, la première des grandes codifications nationales, s'en tient exactement à ces trois éléments: «Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dom- mage, oblige celui par la faute duque] il est arrivé, à le réparer».

La généralité de ce type de norme laisse à la jurisprudence et à la doctrine un espace d'interprétation extrêmement large. Par exemple, 1 'expression

«tout fait quelconque» de 1382 CCF ouvre la responsabilité à toute forme d'acte et «cause à autrui un dommage» ne précise en rien ni la nature du dom- mage, ni l'extension du lien de causalité. Ce sont la jurisprudence et la doc- trine qui, de 1 'Antiquité à nos jours, ont développé et raffiné les techniques de raisonnement qui permettent 1 'application concrète de la clause générale.

Dans un prerruer temps, le jUJiste vérifie si, sur le plan des faits, il y a bien un dommage et un lien de causalité avec 1 'acte. Dans un deuxième temps, sur Je plan du droit, il contrôle ensuite s'il s'agit d'un dommage aussi au sens juri- dique du terme et si le lien de causalité entre l'acte et Je dommage n'est pas trop distendu.

Si on compare l'Avant-projet avec ce système, on remarque immédiate- ment des changements majeurs et Îlll'lovateurs, mais aussi des constantes. A la différence des codes actuels, qui laissent largement à la jurisprudence le soin de fixer la démarche à suivre, 1 'Avant-projet organise en détail et impose un mode de raisonnement en trois étapes. Ce que 1 'on peut appeler le premier bloc, 41 AP, est en quelque sorte une clause supragénérale. Conformément à

3 ABGB 1301 ss, BGB 830;· CO 50 etc.

4 CCF 1385, BGB 833 ss, CO 56 etc.

5 CCF 1386, ABGB 1319, BGB 836 ss, CO 58 etc.

6 Voir notamment GROTIUS, De iure belli ac pacis, 2,17 .1.

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Bénédict Win iger

la tradition, il énumère les trois conditions: dommage, illicéité et causalité.

En plus, et en rupture avec la clause générale traditionnelle, il énonce le prin- cipe de l'imputation.7 Egalement en rupture avec la tradition de la clause gé- nérale, il dessine aussi, dans son al. 2, à grands traits les champs de la respon- sabilité: comportement fautif, actes d'auxiliaires ct activités spécifiquement dangereuses. Si les deux premiers figurent déjà dans le code en vigueur, le troisième est, dans la plupart des ordres juridiques nationaux, un fruit de la jurisprudence.8

Dogmatiquement, 41 AP a comme fonction de jeter les bases et d'annon- cer la structure de la responsabilité civile. Pratiquement, il permet surtout au juriste de contrôler si, primafacie, le cas qui lui est soumis entre dans le cadre général de la responsabilité civile.

Le deuxième bloc, 45 à 47 a AP, reprend et explique de manière plus dé- taillée 41,1 AP.Il précise les trois conditions générales: le dommage (45-45 f AP), 1 'illicéité (46-46a AP), qui est reprise du début de 41,2 AP, et la causa- lité (47-47 a AP).

Sur le fond, nous 1 'avons vu, ces conditions générales sont celles que les clauses générales de responsabilité des codes en vigueur contiennent déjà.

Quant au mode de raisonnement, le juriste contrôlera, comme sous 41 et 43 CO, si chacune des trois conditions est réalisée. Dans ce sens, l'Avant-projet prolonge la technique juridique actuelle.

En même temps, 45-47 a AP modifient le mode de travail du juriste. Do- rénavant, les précisions surtout de la notion de dommage ne proviennent plus exclusivement de la jurisprudence et de la doctrine, mais très largement de la loi elle-même (45-45 f AP). TI en résulterait sans doute, si l'Avant-projet était adopté, une restriction de la marge d'appréciation du juge.

Le troisième bloc, 48-50 AP, est une reprise de 41 ,2 qui annonce, nous l'avons vu, les trois chefs principaux de responsabilité pour faute, auxiliaires et risque.

Sur le fond, le juriste ne sera pas confronté à des concepts nouveaux. En effet, les responsabilités pour faute et pour auxiliaires se trouvent déjà dans le Code des obligations.9

Pour ce qui est de la responsabilité pour risque, la jurisprudence ct la doc- trine suisses ont développé depuis longtemps un équivalent à partir de 41 ss CO. C'est surtout par rapport au mode de raisonnement en matière de respon- sabilité pour risque que le juriste devra revoir ses habitudes. Pour instaurer

7 Par exemple le Code civil itaüen de 1942, art. 2046. et le Code civil néerlandais de 1992, an. 162, retiennent le principe de l'imputation.

8 Exception faite notamment du Code civil italien qui prévoit, en son an. 2050, une responsa- bilité pour l'exercice d'actes dangereux.

9

co

41, 43, 55.

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L'architecture de l'Avant-projet de loi sur la responsabilité civile

une responsabilité pour risque à partir de 41 ss CO, on n'avait pas d'autre choix que de tordre la notion de négligence pour construire une faute objec- tive.10 L'Avant-projet abolit cette démarche qui conduit directement à une contradictio in adiecto largement dénoncée par la doctrine. Avec 50 AP, il suffira que l'activité dommageable soit spécifiquement dangereuse pour ob- tenir de l'exploitant même non fautif la réparation du dommage.

III. La micro-structure

Voyons maintenant plus en détail certains des articles 41-50 AP. Le but de notre analyse sera moins d'examiner si l' AP résiste aux exigences de la pra- tique que d'en comprendre la portée sur les plans comparatif ct historique.

1. Art. 41 AP Norme fondamentale d'imputation

Le titre marginal <norme fondamentale d'imputation> introduit un vocabu- laire qui n'est méconnu ni du

C0

11,

ni

de lajurisprudencet2 et de la doctrine13.

Par ailleurs, les juristes ULPJE:-< et PRocuLus s'en servent déjà t4

, comme plus tard aussi JEAN DoMAT qui parle d'imputation de la faute.1~

Toutefois, le terme «imputation» est suffisamment polysémique pour exi- ger des précisions. Le texte de 41 AP fournit ces précisions dans une large mesure en deux alinéas dont le deuxième précise le premier.16

41,1 AP subordonne, nous l'avons vu, le principe de réparation aux condi- tions qu'il y ait (i) un dommage, (ii) un lien causal entre 1 'acte ct le dommage ct (iii) que le fait puisse être «imputé en vettu de la loi». Les conditions (i) et (ii)

10 Rappon, p. 120.

Il CO 53 mentionne l'imputabilité en droit criminel.

12 Un des sens que la jurisprudence prête au terme «imputation» est celui de «attribuer un fait à quelqu'un». Voir notamment ATP li91J 337, Ill Jl62, 81 II 223 qui utilisent le verbe impu- ter dans un sens proche de celui de l'Avant-projet.

13 Par rappon à la responsabilité civile, voir notamment ÜFTINOER/STARCK, Haftpflichtrechtl.

§3, N8 ct§ 1 N29.

14 O. 9,2,1lpr.

15 «S'il arrive quelque dommage par une s11ite imprévuë d'un fait innocent, sans qu'on puisse imputer de faute à l'auteur de cc fait, il ne sera pas tenu d'une telle suite», DoMAT, lEAN, Les Loix civiles dans leur ordre naturel, Nouvelle édition Paris 1723,1iv. 2, til. 8, sect. 4. 3, p. 180.

16 41 AP 1 «Une personne est tenue de réparer le dommage causé à autrui dans la mesure o~ le fait dommageable peut lui être imputé en venu de la loi».

2 Un dommage résultant d'un fait illicite est imputnble notamment:

a. A la personne qui l'a causé par son comportement fautif (art. 48);

b. A la personne qui recourt ù des auxiliaires (art. 49 et49a);

c. A la personne qui exploite une activité spécifiquement dangereuse (art. 50).

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Bénédict Winiger

sont celles de toutes les clauses générales de responsabilité. Seule la condition (iii) parait à première vue insolite. Quelle est sa fonction? L'expression «en vertu de la loi» rappelle le simple principe que toute obligation de réparation est soumise à la loi. Pour contraindre à réparer, le juge doit appliquer la loi, à l'exclusion de toutes règles qui ne font pas partie de 1 'ordre juridique.

L'expression «imputé en vertu de la loi», qui pourrait paraître superflue, est en réalité d'une importance capitale. E11c empêche le recours à des critères étrangers à la loi. Elle protège contre des obligations de réparation qui découleraient de règles autres que juridiques, par exemple morales, éthiques, religieuses. Peut-être étonnante parce qu'elle reformule d'une certaine manière 1

ces

pour la responsabilité civile, elle rappelle les difficultés que le jusnaturalisme17 avait léguées aux premières codifications qui, précisé- ment, ne distinguaient pas suffisamment entre règles de droit ct, notamment, de morale.18

41,2 AP reprend 41,1 et en précise 1 'expression «en vertu de la loi» ainsi que le principe d'imputation. Le «fait illicite» de 41,2 se réfère directement à l'expression «en vertu de la loi» de 41,1 et en fixe le mode d'application: le dommage doit être réparé seulement si une règle de la loi a été violée.19 En d'autres termes, le fait qui a donné lieu au dommage sera examiné à la lu- mière de la loi. Si celle-ci a été violée, le fait sera considéré comme illicite et pourra, si toutes les autres condilions sont remplies, conduire à la réparation du dommage.

Quant au principe d'imputation, 41,2 en donne les premières précisions matérielles. 11 définit trois critères de rattachement20 et désigne les trois cer- cles respectifs de personnes responsables: en cas de comportement fautif, le dommage sera imputé à celui qui a commis la faute; les dommages causés par

17 Voir notamment CHRISTIAN WoLFF qui construit au sein de son droit naturel un système de devoirs en trois cercles (Das vierte Hauptstück. Yon den Ptlichten des Menschen gegcn sich sclbst, und den Rechten, die damit verbunden sind,§§ 103 ss; Das fünfte Hauptstück. Yon den Pflicbten des Menschen gegen anderc, und den Rechten, die mit denselbcn verbunden sind,

§§ 133 ss; Das sechste Hauptstück. Von den POichten gegen Gou, §§ 160 ss), Grundslltze des Natur- und Yolckerrechts, Halle im Magdcburgischen 1754 (reprint Hildesheim 1980).

18 Par exemple le Allgemeines preussisches Landrecht (ALR) ne fait pas de distinction claire entre normes juridiques, religieuses cl morales. Dans le titre consacré aux droits et devoirs de l'Eglise et des associations religieuses, il stipule: «Durch vorsichtiges und sanftmUthiges Betragcn müssen sie (die Geistlicben. B. W.) die Licbc und das Vertrauen der Gemeindc zu crwcrbcn suchen» ct «Ueberhaupt rnlissen sic in Lehrc und Wandel ihren Zuhorern mit eincrn guten Bcyspiele der Sanftmuth und Yertraglichkeit, sclbst gcgen fremdc Religionsverwnndtc, vorgehen» ALR, 2. Theil, Il. Tit., §§ 70 et 71.

J 9 Notons en passant que la formulation «en vertu de la loi» reste très générale et provoquera sans doute des débats nourris sur l'extension à lui donner. Qu'est-cequi fait partie de la <<loi>•?

Un approfondissement de cene question complexe dépasserait le cadre du présent texte.

20 Les auteurs du projet parlent de «principaux faits de rauachement et critères d'imputation», Rappon, p. 23.

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L'architecture de 1 'Avant-projet de loi sur la responsabilité civile

des auxiliaires seront imputés à celui qui a eu recours aux auxiliaires; si Je dommage résulte d'activités spécifiquement dangereuses, c'est l'exploitant qui en répondra.

41 AP est une norme complexe. li tranche singulièrement avec la simpli- cité de 41 CO qui, pourtant, remplit actuellement une fonction comparable.

La différence entre les deux normes tient à la conception des auteurs de l'Avant-projet qui ont délibérément fait de 41 AP la pierre angulaire de l' Avant-projet.211ls y annoncent l'architecture et jettent la base conceptuelle de la responsabilité civile. 41 AP est conçu comme «idée-programme»22 des articles 41-50.

2. Art. 42 AP Champ d'application

42 i\P propose une des modifications majeures de l'Avant-projet.23 En sou- mettant les violations d'obligations contractuelles aux dispositions de la res- ponsabilité civile, il rompt, en principe, avec la solution actuelle du C0.24

Historiquement, cette solution n'est pas nouvelle. Si, en Suisse, elle n'est réalisée dans aucun des projets de droit fédéral, 1 'idée de soumettre les responsabilités contractuelle et délictueUe aux mêmes règles a été retenue dans le projet de Code de droit civil de Bâle-Ville de 1865.25 Son § 66926 est conçu, non pas sur la base de la summa divisio entre contrat et délit, mais sur le principe que le dommage infligé à autrui doit être réparé. Deux sources de

21 Rapport. p. 22.

22 Rapport, p. 23.

23 42AP

Les dispositions du pr~scnt chapitre s'appliquent aussi aux dommages causés en violation d'une obligation contractuelle; sont réservées les dispositions qui régissem la responsabilité du débiteur résultant de l'inexécution ou de l'exécution tardive de la prestation promise, ainsi que les règles spécifiques à certaines espèces de contrats.

24 Pour une analyse plus détaillée notamment des précédents historiques de 42 AP. voir.

Bé:<GDICT WINIGER. Les effets de la responsabilité contractuelle et délictuelle: une histoire ambiguë, in Pacte, Convention, Contrat, Mélanges en 1 'honneur du professeur Bruno Schrnid·

lin. Bâle etc. 1998, p. 161-174.

25 Voir notamment LARA AxeR JO, L'ancien projet de code civil du Canton de Bâle-Ville: précur- seur de l'art.42 de l'Avant-projet de loi fédérale sur la révision et l'unification de la respon- sabilité civile, dactyloscrit 2001 avec littérature.

26 «Wer absichtlich oder aus Nachlassigkeit eine Ubernommene Verbindlichkeit nicht erfüllt oder durch eine widerrcchtliche Handlung oder die Unterlassung einer Rectnspllicht einem aodem einen vermôgensrechtlichen Nachtheil zufilgt, wird dem Glllubiger oder Geschadigten für den dadurch entstandeneo Schaden verantwortlich». § 669 des Zivilgescttentwurfs von Basel-Stadt (version soumise au «Kleiner Rat» en octobre 1865. citée dans TttEODOR BOHLER, ANDREAS HEUSLER und die Revision der Basler Stadtgerichtsordnung 1860-1870, p. 391.

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Bénédict Wi.niger

dommages entrent alors en ligne de compte: l'inexécution d'une obligation et 1' acte illicite.27

Parmi les grandes codifications européennes, c'est leABGB autrichien qui retient Je même principe. Le§ 1295,1, qui contient la clause générale de res- ponsabilité, stipule, dans la deuxième phrase, que le dommage infligé fautive- ment à autrui doit être réparé, qu'il s'agisse ou non de la violation d'une ob- ligation contractuelle.28 Cette disposition n'est pas un fruit du hasard, mais d'une évolution au cours des travaux en commission. En effet, le projet (dit Ur-Entwurf) avait encore prévu des dispositions distinctes pour les responsa- bilités contractuelle ct délictuelle qui se suivaient comme §§ 442 el 443.

Chacun des deux stipulait, avec d'autres dispositions, le principe d'une res- ponsabilité pour faute. Par souci de concision et pour éviter des répétitions, le législateur retenait finalement, en substance, un seul article général, l'ac- tuel§ 1295, qui règle la question de la faute en cas de dommage. Cet article a ensuite été complété par de simples renvois dans les différentes matières concernées, dont notamment le droit contractueJ.29

Si nous reculons encore davantage dans l'histoire, la distinction entre la responsabilité contractuelle et délictuelle était souvent floue. Par exemple, à partir du 16• siècle, des juristes notamment de 1' us us modernus appliquaient le droit délictuel de la lex Aquilia à toutes formes de dommages infligés fau- tivement, sans se soucier d'éventuels rapports contractuels entre les parties.30

27 Voir BOHLER/ HEUSLER (note 26), p. 390 s. '

28 ABGB § 1295 (1) Jedermann ist berechtigt, von dem Beschadiger den Ersatz des Schadens, welchen dieser ilun aus Verschuldeo zugefügt hat, zu fordern; der Schade mag durch Übertre- tung einer Vertragspflicht oder ohne Beziehung auf einen Vertrag verursacht worden sein».

Toutefois, notons que, en droit autrichien, le régime de la responsabilité contractuelle n'est pas entièrement assimilé à celui de la responsabilité extra-contractuelle. Celui qui cause un dommage dans un rapport contractuel répond notamment de ses auxiliaires et doit aussi répa- rer le dommage purement économique. De même, le régime des preuves n'est pas le même;

voir notamment KOZIOL, HELMUT et WELSER, RUDOLF, Bürgerliches Recht Il, Wien 2000, p. 307 ss.

29 C'est l'occasion de revenir sur une formulation malheureuse qui s'est glissée dans un article que j'ai consacré aux effets de la responsabilité contractuelle et délictuelle (WtNIGER, note 24, p. 172). L' ABGB ne verse évidemment pas dans la responsabilité purement subjective.

Notons que, certes, le § 1295 retient seulement la faute, sans parler de l'illicéité. Cette dernière y avait figuré initialement., mais avait été biffée au dernier moment. Comme pour la faute (Versehen) dans les§§ 442 et 443, la commission avait constaté qu'aussi bien§ 1294 et

§ 1295 mentionnaient l'illicéité. Et, à nouveau pour éviter des redites, elle biffait l'illicéité dans le§ 1295. Par conséquent, si, formellement et pris isolément, le§ 1295 stipule seulement une responsabilité pour faute, l'illicéité mentionnée dans le§ 1294 fonne néanmoins une con- dition indispensable à la réparation du dommage.

30 Par exemple Huoo OoNELLUS considérait que la lex Aquilia pennette de poursuivre tout dom- mage: « .•• lex Aquilia omnia damna persequitur>>, Opera ornnia 10, cap. l, p. 14: voir aussi infra JEAN OOMAT.

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L'architcçiUre de l'Avant-projet de loi sur la responsabilité civile

Et déjà dans la jurisprudence romaine nous trouvons quelques fragments où la lex Aquilia a été appliquée à des rapports contractuels. JI

On peut se demander pourquoi des juristes de l'us us modernus n'ont pas suivi la tradition romaine et maintenu une distinction du moins approximative entre les sanctions contractuelles et délictuelles. Une explication pourrait se trouver dans la formulation même de la lex Aquilia. Ses chapitres I ct III32 parlent exclusivement de «dommages infligés» (damnum datum), sans pré- ciser si les parties sont liées ou non par un contrat. Si les juristes romains fai- saient néanmoins la différence entre des dommages naissant à l'intérieur ou en dehors d'un rapport contractuel, ce n'était pas la lex Aquilia elle-même qui le leur imposait, mais leur système d'actions qui mettent à disposition, en cas de contrat, une action contractuelle spécifique. Du fait que 1 'usus modern us avait du moins partiellement mis de côté ce système des actions33, on avait pu appliquer la loi aquilienne aussi bien aux rapports contractuels que délictuels.

Une place importante revient ici à JEAN DOMAT et notamment à la manière dont il pose le problème. Dans la section «Des autres especes de dommages causez par des fautes, sans crime ni delit» de son ouvrage «Les Loix Civiles», il formule d'abord la clause générale de responsabilité, suivie directement de J'inexécution du contrat.34 Par quel raisonnement peur-il rapprocher ces deux

31 Voir notamment Ulp. O. 9,2.27,11: « ... Proculus disait: si les esclaves d'un fermier ont mis le feu à une maison prise en location par leur maître, le fermier répond en vertu soit du conltat de bail. soit de ln lu Aquilia».

32 Gai. 9,2,2pr

Le premier chapitre de la loi Aquilia dispose: «Celui qui aura tué de manière illicite un esclave ou une esclave d'autrui ou un quadrupède de troupeau, doit être condamné à payer au propri- étaire la somme la plus élevée qu'avait valu la chose pendant cene année".

Ulp. O. 9,2,27,5

La même loi Aquilin dit au troisième chapitre: «Mis à part un homme ou animal de troupeau tués. si quelqu'un a causé à un autre un dommage à d'autres choses. en brûlant, brisant, rom- pant de manière illicite, il doit être condamné à payer au propriétaire la somme la plus élevée que vaudra la chose pendant les trente jours les plus proches.»

33 Déjà avant, des premières traces d'un tel abandon sc trouvent chez BALOOS (1319/1327- 1400), ln primam Oigcsti veteris partcm Commentaria, Venetiis 1616, p. 333, Lex ffi[.

34 1. «TOUies les pertes, & tous les dommages qui peuvent arriver par le fait de quelque personne, soit imprudence,legcrcté, ignorance de ce qu'on doit sçavoir, ou autres fautes semblables, si legeres qu'elles puissent être, doivent être réparées par celui dont l'imprudence ou autre faute y a donné lieu ... »( ... ) U. «Le défaut de s'acquiner d'un engagement, est aussi une faute qui peut donner occasion à des dommages & intérêts dont on sera tenu. Ainsi, un vendeur qui est en demeure de délivrer ce qu'il a vendu, un dépositnire qui differe de rendre le dépôt, un héritier qui retient une chose léguée, & tous ceux qui ayant en leur possession une chose qu'ils doivent délivrer, refusent, ou diffèrent: sont tenus non seulement des dommages & intérêts que leur retardement aura pu causer. mais de la valeur même de la chose, si elle perit, après qu'ils auront été en demeure de la rendre, quand même ce seroit par un cas fortuit ... », JEAN DOMAT, Les Loix civiles dans leur ordre naturel, Nouvelle édition Paris 1723, liv. 2,tit. 8, sect.

4, 1 et 2, p. 180; voir aussi HuGo DoNELLus, Opera Omnia 4, Commcntarius, lib. 15, cap. 28.

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Bénédict Win iger

dispositions? C'est le titre de la section qui nous renseigne sur les catégories qu'il applique. La ligne de partage ne court pas entre le contrat et le rapport non-contractuel. Do MAT trace une autre ligne, entre, d'une part, les cas où il y a simultanément un dommage et une faute ct, d'autre part, les cas où un de ces deux éléments fait défaut. En d'autres termes, pour accorder un dé- dommagement, DoMAT retient comme double critère le dommage et la faute.

Par conséquent, le cas où A blesse Bau cours d'un jeu de javelots tombe dans le même groupe que celui où le vendeur en demeure cause un dommage à l'acheteur. Dans les deux exemples, l'auteur a causé fautivement un dom- mage. Cette classification, qui enlève in ca su toute pertinence à la distinction entre rapports contractuels et non-contractuels, suggère évidemment d'appli- quer à ces deux catégories les même règles. De là, il ne restait aux législateurs qu'un peüt pas à faire pour assujettir la violation d'obligations contractuelles aux règles délictuelles.

Les auteurs de J'Avant-projet ont retenu une solution hybride. D'abord, ils énoncent clairement un principe dans 42 AP: «Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aussi aux dommages causés en violation d'une obliga- tion contractuelle». Ensuite, ils modèrent, dans la phrase suivante du même article, la portée du principe: «sont réservées les dispositions qui régissent la responsabilité du débiteur résultant de l'inexécution ou de l'exécution tardive de la prestation promise, ... ».Le principe fait espérer un réel rapprochement entre la responsabilité contractuelle et délictuclle. Les exceptions détruisent du moins partiellement cet espoir. La jurisprudence et la doctrine auront la délicate tâche de délimiter les champs respectifs des exceptions.

D'un point de vue historique et comparatiste, le principe énoncé dans 42 AP, selon lequel les violations contractuelles sont soumises aux règles de la responsabilité délictuelle, est précédé d'une longue tradition juridique. Il est consacré, nous l'avons dit, dans le ABGB qui a fondé une des grandes tradi- tions juridiques continentales. Quant aux deux exceptions au principe de 42 AP, l'inexécution eL l'exécution tardive, elles onL également des prédéces- seurs. Mis à part un vague ct lointain parallèle chez PoTHIER et dans le Code civil français35 , c'estle Code des obligations suisse lui-même qui en renferme le noyau conceptuel. En effet, par rapport à l'étendue du dommage, 99,3 CO renvoie, pour la faute contractuelle, aux règles de la responsabilité délic- tuelle. Dès lors, la différence entre la solution actuelle et celle de 1 'Avant-pro- jet n'est pas fondamentale, mais se mesure plutôt en degrés. Là où le système actuel rapproche les deux régimes par une simple analogie, 1 'Avant-projet les réunit sous le même principe qu'il évide aussitôt par d'importantes excep- tions. Malheureusement, 1' unification des règles contractuelles el délictuelles

35 Voir \VINIG6R (note 24).

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L'archite<:IUn: de l'Avant-projet de loi sur la responsabilité civile

de responsabilité se paie dans 1 'Avant-projet par une fracture à 1 'intérieur des règles contractuelles. Se trouvent, d'un côté, la violation des contrats en général et, de l'autre, l'inexécution ou l'exécution tardive des obligations.36

3. Arr. 45-47 a AP Conditions générales a) Art. 45-45/ AP Définition du dommage

La définition du dommage occupe dans 1 'Avant-projet sept articles (art.45- 45f). Ce nombre tranche avec les codes actuels, dont la plupart désignent le dommage dans une seule disposition et de la manière la plus générale possi- ble. A titre d'exemple, rappelons la formulation de 1382 CCF: «Tout fait quelconque de 1 'homme, qui cause à autrui un dommage, ... ».

45 AP, qui est la pièce maîtresse des dispositions portant sur les domma- ges, introduit d'abord une distinction générale entre deux ordres: dommage patrimonial et tort moral {45, 1 AP). Dans un deuxième temps, ces deux ordres seront précisés: le dommage patrimonial dans les art. 45a-45d AP, le tort mo- ral dans 45e AP.

A l'évidence, les auteurs de l'Avant-projet marient ici deux choses. D'une part, ils tiennent aux dispositions générales telles qu'elles nous sont familiè- res des codes actuels; d'autre part, ils introduisent dans la loi des précisions comparables à celles que la jurisprudence nous fournit. Si les définitions gé- nérales sont indispensables parce qu'elles permettent de baliser les grandes lignes du champ normatif envisagé, les dispositions plus ponctuelles ont pour fonction de consolider ces grandes orientations en leur auribuant un sens plus précis.

Le choix retenu dans les articles 45-45e trahit au moins deux tendances, dont l'une est plutôt conservatrice et l'autre novatrice. Les auteurs de l'Avant- projet ont introduit dans la loi un certain nombre de solutions doctrinales et jurisprudentielles que 1 'on peut considérer comme acquises. Tel est par exem- ple le cas de 45 a AP qui règle les questions du dommage patrimonial en cas d'atteinte à la vie. En même temps, 1 'Avant-projet innove en tranchant certai- nes questions qui ne font pas l'unanimité dans la jurisprudence et la doctrine.

45,2 AP, par exemple, stipule que le dommage purement économique est con- sidéré comme un dommage au sens de la loi - dommage que, actuellement, le Tribunal fédéral hésite toujours à faire réparer. De même, 45d, qui règlerait dorénavant dans le CO lui-même la responsabilité en cas d'atteinte à l'envi- ronnement, constitue sans doute un véritable progrès.

36 A ce sujet, voir GIUSEPPE DONATIELLO, Retard et défaut de paiement: unité du régime sanc- tionnant l'inexécution des obligations (à paraître).

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Bénédict Winiger

Mais pourquoi abandonner le modèle pur de la clause générale et pourquoi charger la loi d'autant d'éléments confiés auparavant à la jurisprudence?

Cette attitude rappelle cc qui, depuis le début du 19e siècle, a été critiqué comme une des grandes faiblesses du droit codifié. Savigny dénonce avec verve la généralité des normes en prétendant que, en réalité, seulement une infime partie des cas d'espèce pourrait être jugée directement à partir du code.l7 Tout le resle aurait besoin de principes intermédiaires peu définis comme J'équité ou la loi naturelle, le droit romain, les coutumes, les usages ou les principes généraux du droit. De manière plus spécifique, celte critique réapparaîtra vers la fm du siècle. Avec sa plume corrosive, OTTO OIERKE dé- nonce également, dans son fameux commentaire du projet du BOB, le carac- tère général des normes. Dans son langage imagé, il traite la définition de l'il- licéité du § 70538 de «quccksilberartiger Rechtssatz», de norme mercure. Les nombreuses critiques ont porté des fr11its. Le titre consacré aux actes illicites (uncrlaubte Handlungen) a été largement reformulé ct précisé dans la version définitive du BOB. L'énumération des biens protégés- vie, corps, santé, li- berté ct autres droits-ne sc trouvera plus en marge, mais au centre de la nou- velle clause générale.39

Pour le droit suisse. un siècle plus tard, le fond du problème n'a pas véritablement changé. Encore la doctrine actuelle rappelle-t-elle la sous- détermination normative de la clause générale et le règlement rudimentaire de la matière par 41 ss CO 40. Les rédacteurs de 1 'Avant-projet ont tenu compte de ces critiques en précisant davantage la notion de dommage, mais éga- lement le mode de calcul du montant de réparation.

37 «Zuletz.t ist noch bey dem Code über dasjenige z.u sprechen, was in subsidium gelten soli, wo cr nicht zureicht. Ueber den Umfang und die Wichtigkcil desselben haben sich die Franzosen nichl gelauscht, sie haben eingesehen, dass eigentlich die allerwenigsten Rechtsflllle unmit- telbar durch eine Ste! le des Code entschieden werden kônnen, dass also fast llbcrall jenes unbckannte das wahrhafl entscheidende seyn müsse. Aber über die Natur dessel ben erklHren sie sich etwas mannichfahig, sie behandel es wie eine unbestimmre Grosse, welche viele

\Vert he haben kann. Ais sol che Wenhe namlich kommen vor: 1. Equité naturelle. loi naturelle;

2. Romisches Recht; 3. Die allen coutumes; 4. usages, exemples, décisions, jurisprudence;

droit commun; 6. principes généraux, maximes, doctrine, science ... », SAVIGNY, FRIEDRICH CARL VON, Vom Beruf unsrer Zeit ftir Gesetzgebung und Rechtswissenschafl, lleidelberg 1814, p.139s. (reprint Mllnchen 1973).

38 § 705 Ais widerrechtlich gilt auch die kraft der allgcmeinen Freiheit an sich erlaubte Hand- lung, wenn sie einem Anderen zum Schaden gereicht und ihre Vornahme gegen die guten Si t- Ien verstosst, Entwurf cines bilrgerlichen Gesetzbuches fOr das deutsche Reich, 1888.

39 BOB § 823 (1) \Ver vorslllzlich oder fahrlassig das Lcben, den Kërper, die Gesundheit, die Frciheit, das Eigentum oder ein sonstiges Recht eines anderen widerrechtlich verlctzt, ist dem anderen zum Ersatze des daraus entstehenden Schadcns verpfl ichtel.

40 HEINRICH HONSELL, Schweiz.erisches HaftpflichtreChl, ZUrich 1995. 1; voir aussi VITO RoBERTO, Schadensrecht, Base! 1997, p. 9.

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L'architecture de l'Avam-projet de loi sur la responsabilité civile

En réalité, les auteurs de 1 'Avant-projet construisent, par rapport au dom- mage, un édifice à trois couches normatives superposées. La première, qui formule la base, est 41,1 AP où le dommage est désigné de manière aussi gé- nérique que dans la clause générale de responsabilité du Code civil français (CCF 1382) ou de CO 41. La deuxième, 45,1 AP, introduit une première dis- tinction entre dommage patrimonial et tort moral. La troisième, 45,2 ct 45 a- 45 d AP distingue de manière presque casuistique entre différentes formes de dommages patrimoniaux et de modes de calcul. Si les normes des trois cou- ches sont générales, elles perdent progressivement en degré d'abstraction.

Cette technique n'est pas entièrement nouvelle. Une analyse détaillée du chapitre Ill de la lex Aquilia montre in nuee la même démarche. Les domma- ges, et même les actes, y sont désignés de deux manières différentes. Une fois sous forme d'une énumération précise des actes et dommages: brûler, briser ou rompre quelque chose (urere,frangere, rumpere) et une seconde fois sous forme générique: infliger un dommage (damnwnfacere).

Ce type de formulation ambivalente a des avantages décisifs. D'une part, ces normes sont très souples grâce à la formulation générale qui permet d'étendre le champ d'application sans toucher au texte de la loi. D'autre part, elles sont d'une grande stabilité normative grâce aux précisions livrées dans les formulations concrètes.

Cette technique, qui combine des normes de degrés d'abstractions variés, peut à première vue paraître étonnante ou même irritante. Dans une perspec- tive historique, elle est la prolongation d'une démarche qui, depuis les juris- consultes romains, a combiné souplesse et stabilité. La lex Aquilia, dont les concepts de base se trouvent aujourd'hui dans Lous nos codes et se trouveront sans doute demain dans les projets européens de responsabilité civile, est une loi succincte, formulée en quelques lignes seulement. Au fil des siècles, une jurisprudence abondante a tissé un deuxième filet normatif dont les maillons ont été de plus en plus resserrés. Les codificateurs des 19• et 20• siècles ont reformulé cet ensemble normatif. Sans toucher à l'essentiel du contenu ro- main, ils l'ont complété selon les besoins de l'époque. Les auteurs de l'Avant- projet s'inscrivent parfaitement dans cette démarche. Ils ne touchent pas aux principes de la législation en vigueur, mais la complètent en fonction des nou- veaux problèmes.

Néanmoins, malgré cette continuité, l'Avant-projet rompt du moins par- tiellement avec la tradition. Là où les législateurs ont préféré, depuis 1 'Anti- quité, garder un texte de loi exceptionnellement sobre et laisser à la jurispru- dence el à la doctrine une vaste marge de manoeuvre, les auteurs de l'Avant- projet ont modifié les priorités. La loi est plus étoffée et absorbe des parties importantes de la jurisprudence. Il s'agit là sans doute d'une réponse à une responsabilité civile dont le champ d'application ne cesse de s'étendre. Peut- être, et sans doute au grand regret des juristes, 1 'âge d'or des législations suc-

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Bénédict Winiger

cinctes de responsabilité civile est révolu, cédant notamment à la multiplica- tion des risques qui, en même temps, changent de nature et à 1 'extension du champ d'application des normes.

b) Art. 46 AP lllicéité

La deuxième condition générale, qui remonte également à la lex Aquilia, est l'illicéité, énoncée une première fois dans 41 AP et définie dans 46,1 AP comme «un fait dommageable qui porte atteinte à un droit protégé par 1 'ordre juridique».

46,2 ajoute à cette définition générale une autre, plus restreinte, qui s'ap- plique seulement aux comportements de personnes, à l'exclusion de dom- mages qui se produiraient sans Je concours humain et notamment dans le cadre d'une activité spécifiquement dangereuse.41 Dans cette acception plus limitée, un comportement est illicite seulement lorsqu'il enfreint une injonc- tion ou une interdiction de l'ordre juridique, le principe de la bonne foi ou un devoir contractuel.

A nouveau, les auteurs reprennent en partie la jurisprudence confirmée et, en partie, tranchent des questions qui font hésiter depuis longtemps la doc- trine et la jurisprudence. La proposition, notamment, que la violation des principes de la bonne foi soit considérée comme un acte illicite mettrait un terme à une discussion vieille d'un siècle et demi42, mais ouvrirait sans doute un nouveau débat.

Dans la législation suisse, Je fait même d'une définition de l'illicéité est nouveau. 41 CO mentionne cette dernière sans en préciser le contenu, comme du reste la plupart des autres codes et même comme la lex Aquilia'3•

La première définition que nous connaissons de 1 'illicéité ne se trouve pas dans une loi, mais dans la jurisprudence, en 1 'occurrence romaine: quod non iure factum est, hoc est contra ius44. On hésite à parler de définition, car elle n'est guère plus qu'une tautologie. Depuis, la doctrine a produit des dizaines de définitions et de descriptions de l'illicéité.45

41 Tel serait le cas si, par exemple, une installation technique s'emballait d'elle-même.

42 Voir RuoOLF vor< JHeRtNO, Cul pa in contrahendo, in: Jahrbücher für die Dogmatik des heu- tigen romischen und deutschcn Rechts (Jhering-JalubUcher) 4. Band (1861). (réédition Bad Homburg 1969).

43 Notons toutefois que les lnstimriones de Justinien, 4,3,2, définissentl'illicéité comme ce qui a 6té commis mtllo iure. Parmi les législations actuelles, le Code néerlandais donne la d6finition suivante: Art. 162,2 Sont réputés illicites. s:IUf fait justificatif, l'aueimc à un droit ainsi que l'acte ou l'omission comraire à un devoir légat ou à une règle non écrite qui énonce ce qui est convenable dans le commerce social.

44 Ulp. O. 9,2,5,1.

45 Voir nmamrnent JEAN CABONNIER, Droit civil, t. 4, Paris 2000 (22. édit.). p. 418 ss.

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L'architecture de l'Avant-projet de loi sur la responsabilité civile

On peut s'étonner que la loi omette de définir un terme aussi central. Com- ment 1 'expliquer? Retenons d'abord une observation de la pratique juridjque.

Au cours de deux millénaires, les juristes ont appliqué la lex Aquilia à des centaines de milliers de cas sans que la loi ne leur donne une définition de l'il- licéité. De toute évidence, les juristes n'ont pas besoin d'une telle définition.

Pourquoi? Parce qu'ils déterminent au fur et à mesure ce qui est illicite. En réalité, celui qui soumet un cas de responsabilité civile au juge lui demande notamment si tel fait dommageable viole 1 'ordre juridique. Dès lors, les défi- nitions de 1 'illicéité sont toujours soit des tautologies, pour ne pas entraver le travail du juge, soit des délimitations du cercle des normes qui font partie de 1 'ordre juridique.

46,1 AP ne fait pas d'exception à ce constat. La définition «est illicite ...

ce qui porte atteinte à un droit ... » éqLtivaut à peu près à l'explication «est il- licite ce qui n'est pas licite». Sa fonction principale, nous l'avons vu, est de délimiter le cercle de règles dont la violation peut conduire à une obligation de réparation. 46,2 AP aussi remplit exactement cette fonction, mais trace un cercle plus restreint que 46,1.

Quant à 46a AP, il reprend les restrictions courantes, dont nous trouvons les traces depuis l'Antiquité: la réserve du droit public, le consentement du lésé et la légitime défense.

Pourquoi alors avoir inséré dans 1 'Avant-projet une définition de 1 'il- licéité? Le rapport explicatif ne donne pas de motif décisif. Au contraire, il laisse entendre-à juste titre- que la question de l'illicéité pose rarement des problèmes pratiques et que la Commission était peu encline à trancher les contToverses plutôt théoriques soulevées surtout par la doctrine.46 La fonction principale qu'on voulait apparemment assigner à la définition de l'illicéité était de «tracer des limites raisonnables à l'obligation de réparer le dom- mage».47 L'histoire de la responsabilité civile montre que le juge a, jusqu'à aujourd'hui, très bien rempli cette fonction sans définition légale de 1 'illicéité et il paraît très probable qu'il pourrait continuer à le faire.

Si, matériellement, on aurait sans doute très bien pu se passer d'une dé- finition de 1 'illicéité, il y avait en revanche un motif formel à prendre en considération. La structure tripartite des conditions générales rumoncée dans 41 AP (dommage [45-45f AP], illicéité [46-46a AP] et causalité [47-47 a AP]) et la définition détaillée de la notion de dommage excluaient de rester totalement muet sur l'illicéité. Dru1s un acte d'équilibrisme entre le «trOp» et le «pas assez», les auteurs de l'Avant-projet se contentent de quelques infor- mations générales sur 1' illicéité, tout en évitant d'entraver 1 'application juris-

46 Rapport, p. 26 s.

47 Rapport, p. 27.

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Bénédict Winiger

prudentielle par des définitions trop restrictives. Du reste, le rapport explicatif est d'une franchise désarmante en avouant que la Commission était «con- sciente que cette définition ne contribuerait guère à résoudre les principaux problèmes»4s.

c) Art 47 AP Causalité

La causalité est la troisième et dernière condition générale de l'Avant-projet.

Historiquement, elle remonte, comme le dommage et l'illicéité, à la lexAqui- lia. Mais, à la différence du dommage et de l'illicéité, qui figurent expressé- ment dans le raccourci «dommage illicitement infligé» (damnum iniuria da- tum) distillé par la jurisprudence romaine pré-classique, la causalité n'y est pas nommée. Elle découle seulement de manière indirecte de la formule ro- maine. Depuis les origines, elle statue un principe évident: Il doit exister un rapport de causalité entre 1 'acte de l'auteur et le dommage du lésé; sinon, la réparation du dommage est exclue. Ce principe met en relation quatre élé- ments: un dommage, un lésé, un acte et un auteur. Depuis deux millénaires, la jurisprudence et la doctrine s'efforcent de clarifier chacun de ces quatre éléments et les rapports en apparence simples qui les lient.

47 AP reproduit cette géométrie de base. Mais, contrairement à la solution romaine, il appelle la causalité directement de son nom, comme du reste .les grands cocles actuels. En revanche, il ne mentionne pas le lésé qui est impli- citement supposé. En plus de la géométrie de base, il évoque très brièvement deux autres points tirés de la doctrine et de la jurisprudence. D'abord le« ...

fait qui lui est imputable». Cette phrase rappelle la structure annoncée dans 41 AP, abordée ensuite de manière plus détaillée dans le troisième bloc qui traite des fondements de la responsabilité pour faute, auxiliaires et activité dangereuses (48-50 AP; voir infra). Ensuite l'expression «Causalité juridi- que», qui épingle le problème délicat de l'extension de la causalité. La cau- salité juridique doit être distinguée de la causalité qu'on pourrait appeler «na- tlll·elle». La causalité naturelle répond à des questions purement scientifiques:

Est-ce que l'acte A a causé ou contribué à causer le dommage B? Elle ne sc préoccupe pas de la longueur de la chaîne causale. La causalité juridique, en revanche, pose le problème en d'autres termes. Après avoir vérifié l'existence d'un rapport de causalité naturelle, le juge se demandera si le dommage n'est pas trop éloigné del 'acte initial pour conduire à une obligation de réparation.

Cette question se pose surtout pour les dommages indirects où il s'agit de dé- terminer jusqu 'où l'auteur répond des effets lointains de son acte. End 'autres termes, le juge devra déterminer, dans ce deuxième examen, la longueur juri- diquement acceptable de la chaîne causale naturelle.

48 Rapport. p. 53.

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L'architecture de !"Avant-projet de loi SLtr la responsabilité civile

Contrairement à 47 AP, 41 CO se limite comme la plupart des codifications à exiger un rapport de causalité entre l'acte et le dommage. Conformément à la technique des clauses générales, il nes 'embarrasse pas des questions d 'ap- plication, qui sont déléguées à la jurisprudence.

Même s'il mentionne les principes de l'imputabilité et de la causalité juri- dique, 47 AP reprend dans une large mesure la tradition de 41 CO. Aussi 47 a AP reste du moins partiellement dans la ligne tracée par 44 CO qui permet déjà aujourd'hui au juge de tenir compte du comportement du lésé et de sa contribution au dommage. En même temps, par la manière de poser le pro- blème, 47 et 47 a AP explicitent des angles d'attaque. Comment limiter la lon- gueur de la chaîne causale? Que faire lorsque le rapport de causalité existe, mais qu'il a été en quelque sorte effacé par une aut1·e cause? Comment impu- ter un dommage à A, alors que (l'événement) Ba «contribué de manière ma- nifestement prépondérante» au dommage?

La «causalité juridique», qui tourmente la jurisprudence depuis toujours, a sans doute été introduite dans 1 'Avant-projet parce que la nature et la lon- gueur du lien causal figurent parmi les problèmes principaux de la responsa- bilité civile. Les auteurs de l'Avant-projet sont tout à fait précis quant à lew·

intention.lls conçoivent la causalité, avec l'illicéité, comme deux moyens es- sentiels pour limiter Je champ de la responsabilité civile. Les exonérations de 47 a devraient, à leurs yeux, jouer ce J"ôle par rapport à la causalité, comme 46,2 devrait poser les ]imites à 1 'illicéité.

On peut se demander si la formulation des deux normes permet d'atteindre Je but que les auteurs de J'Avant-projet visent. Les formulations choisies aussi bien dans 46,2 AP que dans 47 et 47 a AP sont très souples et ménagent une grande place à l'appréciation du juge. Cette place est si large que, probable- ment, elle ouvrira, le cas échéant, la voie à des controverses nourries. Par exemple, quelle norme est une injonction ou une interdiction? Quand une se- conde causalité est-elle manifestement prépondérante? Quand un risque est- il caractérisé? Ces questions ne sont pas nouvelles et la doctrine et la juris- prudence ne se sont pas montré désarmées face à elles. Probablement, les nouvelles dispositions sur l'illicéité et la causalité ne résoudront pas les pro- blèmes posés par la législation actuelle. Mais elles donnent au juge les moyens pour endiguer le champ d'application de la responsabilité. L'exten- sion ou le rétrécissement du régime de la responsabilité civile dépendrait alors très largement de 1 'orientation que la doctrine et la jurisprudence dé- cideraient de donner à 1 'interprétation de la loi.

Sur le plan historique, la longévité des concepts aquiliens est évidemment liée à une teclmique juridique qui combine une formulation ouverte des prin- cipes de responsabilité avec une jurisprudence plutôt conservatrice. Par une lente sédimentation, cette casuistique détaillée a stabilisé et affenni 1' applica- tion de la loi. L'Avant-projet s'inscrit clairement dans cette tradition. ll évite

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Bénédict Winiger

des innovations qui bousculeraient le statut quo et fixe, dans la loi, des élé- ments jurisprudentiels ct doctrinaux que 1 'on peut considérer comme acquis.49

4. Art. 48-51 AP Fondements de la responsabilité

Une des particularités de 1 'Avant-projet est de réunir quatre clauses générales de responsabilité, d'une part celle de 41 AP et d'autre part celles de 48,49 et 50 AP. 41 AP est la plus générale d'entre elles et annonce les trois autres ( 41 ,2 AP). On pourrait s'étonner de cc cumul de clauses générales parce que, ini- tialement, celles-ci avaient précisément comme fonction de réduire le nombre de normes et de concentrer en une seule disposition 1 'ensemble des critères essentiels de responsabilité. En fait, 41 AP structure toute la responsabilité dans un seul article. Il n'énumère, nous 1 'avons vu, pas seulement les trois conditions générales (dommage, illicéité, causalité). En plus, il renvoie à 48- 50 AP qui règlent ensuite les trois chefs de responsabilité pour faute, auxiliai- res et activités dangereuses. Le choix de couler ces trois chefs de responsa- bilité dans le moule de clauses générales obéit à la règle que les auteurs ont suivie presque sans exception de procéder du général au particulier. Chacun des trois chefs de responsabilité est régi d'abord par une clause générale thé- matique qui vise un état de faits dans son ensemble, précisée ensuite par des dispositions plus particulières.

a) Art. 48-48b AP Responsabilité pour faute

48 AP est, nous l'avons dit, une clause générale de responsabilité. Il vise tous les dommages infligés fautivement. La faute y est présente sous trois fom1es;

d'abord de manière générique comme «comportement fautif», ensuite comme acte «intentionnel» ct finalement comme «négligence». Le rapport entre les trois formes est exactement celui que déjà le droit romain avait connu. Le ju- riste, qui prétend que 1 'auteur du dommage a commis une faute, doit expliquer en quoi celle-ci consiste. Pour en apporter la preuve, il alléguera soit 1 'inten- tion de 1 'auteur, soit sa négligence. Dans cc sens, l'intention et la négligence mentionnés dans 48 AP fournissent les premières indications sur les critères de faute.

49 Pour preuve de leur I'Ctenue matérielle, les auteurs n'ont pas inscrit dans 1 'Avant-projet des évolutions plus récentes, mais importantes, comme la responsabilité fondée sur la confiance, développée par le Tribunal fédéral depuis 1993; voir notamment les arrêts Swissair (ATF 120 Il 331 [JT 1995 1359) et Grossen (ATF 121 Ill 350). li est vrai que 46,2. AP. qui fait d'un comportement contraire à la bonne foi un acte illicite. permet de résoudre du moins partielle- ment les problèmes posés par la responsabilité fondée sur la confiance.

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L'architecmre de l'Avant-projet de loi sur la responsabilité civile

48 AP reformule 41 CO et revient de manière étonnante à la tradition ro- maine. Même si, dans notre régime actuel, 41 CO est la disposition principale de la responsabilité pour faute, cette dernière n'y est pas directement men- tionnée. A sa place figment trois critères-intention, négligence et impru- dence- qui, depuis les jurisconsultes romains, servaient d'arguments pour convaincre le juge que l'auteur était fautif. Sur Je fond, 48 AP corrige laso- lution actuelle et reprend de Gaius «dommage illicitement/fautivement in- fligé» (damnum iniurialculpa datum)50. Cette formule est ensuite complétée par l'intention et la négligence romaines qui figurent également dans 41 CO.

Pour ce qui est de l'illicéité de 41 CO, 48 AP n'en parle pas directement, mais la présuppose; quant à l'imprudence, elle a été absorbée par la négligence.

Formellement et techniquement, 48 AP rappelle 1295 ABGB qui évoque également la faute et tait l'illicéité. Dans 48 AP, l'absence de l'illicéité est comblée par 41 et 46 AP, alors que, dans l'ABGB, c'est§ 1294 qui complète

§ 1295.

Sur le plan purement formel, 48 AP est aussi comparable à 1382 CCF qui reste également muet sur 1 'illicéité. A la différence des solutions adoptées dans l'Avant-projet et dans l' ABGB qui complètent les articles respectifs par renvois, aucune norme du Code civil français ne supplée cette lacune de 1382 CCF. En revanche, une partie de la doctrine française soutient que J'illicéité y est sous-entendue dans la faute.st

48a,J AP précise la notion de négligence de 48 AP. A nouveau, les auteurs puisent dans la jurisprudence les éléments essentiels de la négligence et les introduisent dans la loi. Est négligent celui qui «n'observe pas la diligence commandée par les circonstances et par sa situation individuelle»52.

Simple en apparence, cette définition ne reprend pas seulement des concepts très anciens, mais trace aussi en deux mots une des lignes fortes de 1 'Avant-pro- jet. En ce qui concerne la tudition, depuis l'Antiquité la diligence est intime- ment liée aux notions de négligence et de faute. La première définition connue de la faute prend comme étalon le comportement de 1 'homme diligent. Selon MuCIUS, «la faute esl ce qui n'a pas été prévu, alors qu'il aurait pu être prévu par le diligent»53Ce fragment a crée des liens entre faute et diligence qui per- durent jusqu 'à aujourd'hui. Egalement depuis 1 'Antiquité, les juristes rappro- chent en bonne logique la diligence de son antonyme, la négligence. En repre- nant cette vénérable triade faute-diligence-négligence, les auteurs inscrivent résolument 1 'Avant-projet dans la tradition aquil ienne.

50 ÛAJUS, lnstitutiones 3, p. 211.

51 Voir notamment JEAN CARRONNJER, Droit civil, 1. 4, Paris 2000 (22. édit.), p. 418 ss.

52 48a,l AP

53 Paul. 09,2,31 « ... culpom outem esse, quod cuma diligente provideri poterit, non esset provisum .. . ».

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Bénédict Winiger

Mais aussi la signification que les auteurs donnent à la diligence est déjà lisible dans la définition de Muc1us. La «diligence commandée par les cir- constances» de l'Avant-projet porte évidemment le sceau de «Ce qui n'a pas été prévu, alors qu'il aurait pu être prévu» du fragment romain, les «Circon- stances» n'étant qu'un raccourci pour désigner le devoir de circonspection déjà imposé par la jurisprudence romaine.

Venons-en maintenant à la ligne forte que 48 a,l trace dans l'Avant-projet.

La diligence n'est pas seulement déterminée par les «circonstances», mais éga- lement par la «situation individuelle» de l'auteur. Si les circonstances dé- signent principalement les données objectives qui entourent 1 'acte dommagea- ble, la «Situation individuelle» permet de traquer la subjectivité de 1 'auteur.

Dorénavant, le degré de diligence requis ne dépendra pas exclusivement de cri- tères objectifs, mais aussi d'un ensemble de facteurs propres à la personne de l'auteur.

L'expérience montre que ce type de disposition permet d'apprécier la faute de manière nuancée et adaptée à 1 'auteur du dommage. Cette remise en valeur de la faute dans 1 'Avant-projet n'est pas fortuite. Elle doit être lue, nous le verrons, en rapporl avec la responsabilité pour activités dangereuses de 50 AP. Une des critiques principales des auteurs de l'Avant-projet à l'égard du système actuel porte sur le contenu hybride que la jurisprudence donne à la faute. En absence d'une nonne qui permettrait actuellement de cerner la res- ponsabilité sans faute de l'auteur du dommage, la jurisprudence applique, le cas échéant, des critères si sévères de la faute qu'elle finit par instaurer une responsabilité sans faute. Enjouant sur les termes, les auteurs de l'Avant-pro- jet dénoncent cela comme une «responsabilité pour faute sans faute»54Une des grandes lignes de 1 'Avant-projet tend précisément à rectifier ce contresens en introduisant une responsabilité sans faute qui déchargerait la responsabi- lité pour faute d'une tâche pour laquelle elle n'est pas faite. Dorénavant, on disposerait avec 50 AP d'une véritable responsabilité sans faute qui permet- trait de réduire la responsabilité pour faute de 48 AP à sa fonction initiale.

Mais cette accentuation de la faute n'a pas que des avantages. ll est à crain- dre que la protection de la victime soit affaiblie par un régime qui souligne la faute. En effet, 1 'auteur du dommage pourra plus aisément exciper des parti- cularités de sa situation. Ici encore, 1 'Avant-projet accorde à la jurisprudence une importante marge d'appréciation dans la définition des standards de com- portement qui permettront de mesurer si, in casu, l'auteur du dommage a été fautif.

Pour néanmoins guider le juge, 48a, 2 propose un petit échantillon de cri- tères pour évaluer la diligence: L'âge, la formation, les connaissances ct di-

54 Rappon, p. 120.

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