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... et dans vingt ans ?

RAFFESTIN, Claude, TSCHOPP, Peter

RAFFESTIN, Claude, TSCHOPP, Peter. .. et dans vingt ans ? In: Jean-Bernard Racine et Claude Raffestin. Nouvelle Géographie de la Suisse et des Suisses . Lausanne : Payot, 1990. p. 565-576

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4439

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II Claude Raffestin Peter Tschopp

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La question est légitime, même si elle est angoissante, car elle intéresse le devenir même de la Suisse. Pour affronter les débats qui prennent nais- sance dans ce pays, il faut accepter les risques d'une démarche prospec- tive. Les structures ne prennent leur véritable signification qu'à l'épreuve de la durée. Que sera la Suisse dans vingt ans? Bien sûr, nul ne peut le dire et cela d'autant moins que l'intervalle d'une génération est, sans doute, aujourd'hui, plus chargé de nouveautés techniques, et donc plus lourd de conséquences immédiates, qu'il y a un siècle. Malgré cela, ne pas pouvoir prédire n'implique pas de renoncer à imaginer pour les prévenir, les pro- blèmes qui risquent de nous assaillir. Il y a un mauvais usage de la pros- pective, entre autres celui qui consiste à spéculer sur des choses qui n'exis- tent pas encore, mais il y en a un bon, à savoir celui qu'on peut qualifier d'«utopie apprivoisée» et qui consiste à expliciter les pratiques et ten- dances, bonnes ou mauvaises, d'une collectivité par rapport à l'utilisa- tion qu'elle fait et fera de son territoire et de ses ressources.

La génération qui avait 20 ans entre 1945 et 1950, et qui est au seuil de la retraite, peut s'enorgueillir, à juste titre, de nous avoir légué une prospérité matérielle exceptionnelle et une Suisse moderne, riche et déve- loppée. Pourtant l'envers du décor est moins brillant car la génération qui a eu 20 ans en 1980 doit faire face à une crise de l'environnement sans précédent. Devant cette nouvelle contrainte, elle devra jouer son propre jeu politique, économique et social dans une Suisse devenue, à beaucoup d'égards, extrêmement fragile.

Les mythes, essentiels à la cohérence sociale, sont battus en brèche, comme le démontrent les difficultés rencontrées pour mettre en scène une exposition nationale à l'occasion du 700e anniversaire de la Confédéra- tion. Les expositions nationales de 1896, 1914,1939, 1964 avaient, cha- cune à sa manière, rendu compte de la Suisse et exprimé avec fierté un projet collectif.

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PROLONGER OU ROMPRE LA TENDANCE?

Renoncer à un tel défi en une période aussi chargée de symbolique que cette fin de siècle et au moment où l'Europe communautaire se dote d'un

«acte unique» est un signe majeur de désarroi et la preuve que les généra- tions actuelles n'ont pas encore réussi, dans leur recherche d'un projet collectif nouveau, à tenir compte de contraintes inédites.

La recherche d'un projet, ou tout au moins des linéaments d'un projet, conduit assez naturellement à se poser des questions en termes prospectifs même, et surtout, si notre «machine sociale» n'est, dans l'ensemble, guère favorable à ce type de réflexion.

C'est pourquoi, nous tenterons de cerner les futurs possibles de la Suisse à l'aide de deux scénarios qualitatifs: l'un qui sera un prolonge- ment de tendance et l'autre qui marquera une rupture par rapport à ce que nous venons de vivre.

La continuation des tendances actuelles risque de se traduire par un renforcement des phénomènes de densification et de sollicitation inten- sive de l'espace physique et des territoires aménagés. La densification de I'utilisation du sol, la sollicitation sans cesse accrue des infrastructures de transport et de communication, la tendance à la réquisition de l'espace selon des critères fonctionnels, qui favorisent le fractionnement du terri- toire, et la création de territoires spécialisés s'accentueront inévita- blement.

Quant à la sphère socio-économique et aux modes de vie, ils risquent d'être calqués sur l'idéologie productiviste qui prévaut à l'heure actuelle, ce qui renforce le processus de concentration d'une part et les phéno- mènes d'encombrement matériel et immatériel d'autre part qui ont carac- térisé l'évolution de ces trente dernières années.

L'idée centrale de cette idéologie productiviste est d'atteindre une hausse continuelle de la productivité d'ensemble de l'économie supposée garantir l'amélioration constante du niveau de vie de la population rési- dente. Le progrès technique, l'amélioration de l'efficacité productive (aussi par la relocalisation de la production, à l'étranger le cas échéant) ainsi que la sélection systématique des combinaisons marchandes les plus efficaces sont les facteurs décisifs de ce processus. L'alignement de la politique économique et technologique sur le marché communautaire unique renforcera encore cette quête permanente de croissance quanti- tative.

La volonté de poursuivre sur la lancée du bien-être matériel sera cependant corrigée par des impératifs relevant de la régulation: la lutte indispensable contre l'encombrement, les nuisances et la pollution générés par la surcharge croissante du territoire. Ces correctifs introdui- ront une nouvelle dimension dans les efforts entrepris pour améliorer la redistribution des fruits de l'effort productif. Dans ce domaine, il ne sera plus possible de concentrer l'attention sur les seuls enjeux qui intéressent les générations présentes. La sauvegarde des intérêts des générations futures prendra progressivement une importance considérable, ce qui limitera la capacité de consommation et de jouissance à court et moyen termes: «... aime ton espèce comme toi-même» (N. Georgescu-Roegen).

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Il est donc probable devant ces nécessités, que le scénario tendanciel débordera des limites traditionnelles de la lutte contre la dégradation de l'environnement pour s'élargir au domaine actuellement institutionnalisé de la sécurité sociale et du droit social. Dans ce scénario évolutif, il n'y aura cependant pas de rupture complète avec les schémas de référence du passé. Les initiatives de régulation tendront à maintenir et à restaurer les équilibres sans aller jusqu'à l'ambition d'en construire de nouveaux.

Le poids des habitudes acquises, les pesanteurs institutionnelles ainsi que l'histoire rendent cette perspective d'une modulation le long d'une tendance lourde, plus probable et plausible que les perspectives alterna- tives qui se situeraient en rupture par rapport à elle. N'empêche que de telles perspectives sont concevables et doivent être discutées. Le cas échéant, elles seront même imposées par des phénomènes de dérégulation d'origine externe ou interne. Ces chocs, perturbateurs des routines actuelles, devront cependant être suffisamment importants pour provo- quer ou imposer des modifications profondes dans la structure même du projet collectif de la Suisse, afin qu'une dynamique de changement pro- fond puisse être déclenchée: une mutation des idées-force et des valeurs collectives majeures serait sans doute nécessaire pour amener la Suisse à renoncer au système éprouvé des retouches fréquentes, mais partielles, à son projet. Une telle perspective d'un bouleversement serait donc en nette rupture avec le passé et c'est dans ce sens que nous l'opposons à la pers- pective du prolongement plus ou moins organique des tendances actuelles.

L'alternative de la rupture avec la routine est susceptible de prendre deux expressions concrètes. De par leur nature, elles sont diamétralement opposées. La première évolution serait de nature réactive, la seconde de nature progressiste.

L'attitude réactive consisterait en un programme visant à restaurer la suprématie du productivisme par une subordination systématique à la rationalité économique de l'ensemble des valeurs qui façonnent l'espace et le temps dans lesquels évoluent les Suisses. Ce serait l'instauration d'une sorte de «Sparte économique» avec l'affirmation de la volonté de concentrer tous les efforts sur la réalisation et le maintien de projets de nature économique et technique.

Alternativement, peut-être en fonction de l'origine (européenne) et de la profondeur des chocs que recevra le système établi, ce scénario de changement pourrait évoluer vers une approche résolument plus dyna- mique. Celle-ci serait marquée par la volonté d'intégrer les nouvelles con- traintes dans le système des valeurs et des critères de référence sur lesquels sont fondées les structures et les mécanismes de décision socio- économiques. Dans ce cas, on pourrait assister au déroulement d'un

«scénario écologiste et humaniste» qui identifierait différemment la notion même de progrès et de productivité. Il pourrait postuler une plus grande harmonie entre l'effort fourni collectivement et les résultats d'ensemble espérés.

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«Chaque année, le marteau piqueur 1. Mercredi 6 mai 1953 fait des ravages» ou 2. Jeudi 16 août 1956

«La modification du paysage» 3. Vendredi 20 novembre 1959 («Alle Jahre wieder saust 4. Samedi 19 janvier 1963 der Presslufthammer nieder» oder 5. Dimanche 17 avril 1966

«Die Veränderung der Landschaft»), 6. Lundi 14 juillet 1969 œuvre de Jörg Müller. 7. Mardi 3 octobre 1972

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POURSUIVRE SUR LA LANCÉE...

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Même avec un faible taux de croissance démographique, nous serons dans vingt ans un peu plus de 6,8 millions d'habitants en Suisse. Si nous ne modifions pas nos comportements actuels quant à l'utilisation de l'espace, quant à notre système de consommation, et des transports, quant à notre distribution dans le territoire, nous allons indéniablement vers des ruptures et des engorgements, vers des destructions et des com- portements de cloaque (dérèglement des comportements) sur le plan social. D'une manière générale, nous sommes guettés par la surcharge et par l'instabilité qui en dérive.

Considérons les choses d'abord sous l'angle intérieur. D'un strict point de vue physique, la tension sur l'espace disponible est d'ores et déjà considérable puisque depuis plus de trente ans 35 à 40 km2 sont soustraits en moyenne chaque année à l'espace «naturel» en Suisse, pour fabriquer du territoire «productif». Cela peut paraître spectaculaire de dire que 2% de notre territoire total est ainsi stérilisé par génération mais le pro- blème est ailleurs.

Le problème réside dans le fait que ce prélèvement sur le stock de ter- ritoire implique des modifications multiples dans l'environnement en raison des interactions. D'abord en ce qui concerne le biotope sollicité à travers la lithosphère pour ses matériaux, à travers l'hydrosphère par une demande accrue d'eau, eau menacée, en même temps, par la pollution, à travers l'atmosphère dont l'air perd ses qualités de pureté très rapide- ment, la prolongation de tendance, ne peut plus être considérée comme un petit delta supplémentaire de problèmes, mais comme une aggrava- tion plus que proportionnelle des nuisances. Ensuite, en ce qui concerne la biocénose, c'est-à-dire le monde organique, nous avons un exemple type de l'accélération des problèmes environnementaux avec la destruc- tion de la forêt : pratiquement la moitié de la forêt est en voie de dépéris- sement ou menacée de disparition.

A leur tour l'éco et la bio-logiques retentissent sur la socio-logique en ce sens que les conditions d'existence, en tant qu'elles sont sous-tendues par les bases de la vie, commencent à se dégrader. Cela se traduit par des ajustements d'abord peu perceptibles, mais ensuite de plus en plus visi- bles: des zones deviennent inhabitables, des lacs apparaissent de plus en plus répulsifs tout à la fois pour les hommes et pour les animaux. Si l'on veut tenter d'enrayer ces dégradations, il va falloir consacrer des sommes énormes pour réparer d'abord et entretenir ensuite. Ces ressources ne seront donc plus disponibles pour d'autres utilisations. De surcroît, la tendance, déjà très marquée, de réguler par des normes juridiques et des schémas bureaucratiques va s'accentuer.

Pour montrer les choix à faire, en raison de la limitation des res- sources, il était courant autrefois, dans certains manuels d'économie politique, de confronter le «beurre» et les «canons». Aujourd'hui, il serait plus judicieux de confronter le «beurre» et les bases éco et bio- logiques de l'existence. En réalité, il ne s'agit même plus d'un choix puisque ces bases sont indispensables à la vie.

Dès lors, si nous prolongeons nos choix en fonction des comporte- ments actuels nous courons vers des conflits ouverts. Conflits qui seront ... et dans vingt ans

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exacerbés par une compétition croissante à propos des ressources envi- ronnementales. La raréfaction progressive du sol, le coût de l'eau propre et celui de l'air pur ne sont plus de vains mots mais des réalités incontour- nables.

Ce sont d'autant moins de vains mots que l'on assiste à l'émergence de mouvements écologistes qui s'opposent aux partis traditionnels sou- vent porteurs de l'idéologie productiviste. Là encore, il ne s'agit pas de porter un jugement sur les uns et les autres, mais d'identifier des clivages et des orientations de manière à esquisser une nouvelle rationalité plus soucieuse des bases de la vie.

Politiquement, cette émergence de l'écologisme militant face aux grandes formations politiques classiques correspond à un tournant décisif dans un pays où il n'y a actuellement aucune grande idée capable de mobiliser une collectivité visiblement désorientée. En effet, les tradi- tions démocratiques craquent un peu partout: le Jura et Kaiseraugst en sont deux exemples significatifs. L'interface politico-économique du fédéralisme est déformé: il n'y a plus de correspondance, entre le fédéra- lisme politique au quotidien et l'économie dont la stratégie s'intéresse à ces dimensions qui n'ont plus rien à voir avec la Suisse d'il y a seulement quarante ans.

Prolonger la tendance revient à dire que les déformations vont s'accentuer parce qu'au fédéralisme politique correspond une économie dont une part toujours moindre se déroule en Suisse. L'essentiel de l'éco- nomie avec les multinationales suisses est maintenant à l'extérieur du marché suisse. Nous avons pu nous en rendre compte à la suite de l'accord passé avec le Canada, accord qui stipule que les entreprises suisses pourront déplacer leur siège social en cas de guerre sans avoir à se dissoudre préalablement. Le secret qui a entouré la conclusion de cet accord révèle, à l'envi, la déformation de l'interface politico- économique. L'opinion helvétique peut avoir, à juste titre, le sentiment que la Suisse est ailleurs qu'en Suisse. La mondialisation de la production industrielle, celle de la finance, et la dynamique européenne font que toute une partie des décisions fondamentales échappe à la collectivité hel- vétique. N'est-ce pas l'expression même de la déformation de l'interface que le fédéralisme pouvait assurer par l'intégration des sphères politique et économique?

Que signifierait la prolongation de la tendance en matière écono- mique? Continuer à produire et à exporter des biens et des services dont la technologie incorpore moins d'information que ceux des régions les plus avancées économiquement dans le monde comme les Etats-Unis et le Japon, c'est-à-dire se maintenir dans une «zone» économique n'ayant pas intégré toutes les possibilités de la mutation technique. Bien sûr, les effets de cette nonchalance ne se feront pas sentir immédiatement mais dans dix ou quinze ans, et ils se traduiront par un effacement progressif de la Suisse des grands marchés mondiaux avec, à la clé, une position marginale.

Dans l'ensemble, il est loisible d'affirmer qu'une prolongation de ten- dance pure et simple recèle de graves risques: sur le plan économique et ... et dans vingt ans

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COMMENT SE PRÉPARER AU XXIe SIÈCLE

technique, le déplacement de la Suisse vers le marais des économies moyennement avancées; sur le plan socio-politique, l'usure des méca- nismes de répartition du pouvoir et de redistribution du pouvoir d'achat ; en matière d'environnement enfin, l'exaspération de la tendance à l'encombrement.

La clé de cette préparation se situe dans un changement radical de notre système de connaissances. En effet, si nous voulons conjurer l'effa- cement qui nous menace, nous devons admettre que la ressource princi- pale de notre futur réside dans l'Information. Autrement dit, nous devons investir prioritairement dans la production et l'exploitation de l'information sous toutes ses formes. C'est effectivement la seule res- source que nous pouvons mettre en valeur en dépit de notre petitesse et des phénomènes d'encombrement qui nous guettent.

Pratiquement cela veut dire incorporer à nos produits et à nos services le maximum d'information utile pour faire face à la concurrence interna- tionale. D'où la nécessité d'adapter nos systèmes d'éducation et de for- mation professionnelle.

Comme la crise des trois logiques qui affecte les éco- bio- et socio- sphères est une crise qui commence dans le système de connaissance, c'est lui qu'il faut rénover en priorité pour induire de nouvelles pratiques. A notre mode de pensée linéaire il faut substituer un mode de pensée inter- actif qui prenne en compte simultanément les trois dimensions éco- bio- et socio-logiques. Cette révolution, car c'en est une, a déjà commencé mais elle est encore discrète parce que combattue par le vieux système qui pense que le pouvoir réside davantage dans le rendement à court terme et dans l'argent que dans la productivité à long terme et l'information. Or, consolider cette macro-productivité à long terme, implique le recours à des savoirs et à des savoir-faire nouveaux et le recours à une pensée en réseaux, par opposition à l'approche technocratique purement fonction- nelle. En d'autres termes, il s'agit de mettre en place des stratégies qui pri- vilégient l'information régulatrice par rapport à l'information immédia- tement productive et fonctionnelle.

Au fur et à mesure de l'augmentation du degré de rareté relative des ressources, la Suisse est passée, au cours de son histoire, par des phases de «capital saving» et de «labour saving». Aujourd'hui, elle entre dans une phase de «nature saving» qui implique de porter une attention toute particulière à la défense de l'éco- et du bio-logique. L'étroite bande du Plateau qui va de Genève à Romanshom est suréquipée et surdéveloppée par la présence d'agglomérations et de centres d'activités. Cette bande territoriale doit être «déchargée». Il faut imaginer des mécanismes de régulation qui incitent, sans contraindre, à une meilleure répartition des hommes et des activités tout à la fois dans le Jura et dans les Alpes. Il con- vient de décharger la zone originelle du développement industriel helvé- tique conditionnée par les infrastructures de la première et de la seconde révolution industrielle. Nos localisations actuelles résultent d'une géo- technique dépassée. Les moyens mis à disposition par la troisième révolu- tion industrielle à base d'électronique, d'informatique et de télématique ... et dans vingt ans

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peuvent permettre une relocalisation d'activités porteuses et entraînantes dans des régions qui, jusqu'à maintenant, n'ont été dévolues qu'au tou- risme ou à certaines activités de loisir.

De ces possibilités latentes, il faut tirer des conséquences positives dont le Valais, le Tessin et l'Arc jurassien en partie sont déjà des points d'ancrage. Il ne s'agit pas seulement de la haute technologie au sens étroit du terme, mais aussi de la rénovation d'activités classiques par «injec- tion» d'informations nouvelles. Ces relocalisations passent également par la tendance à investir des sites, sans les modifier, susceptibles d'offrir des conditions d'existence dans lesquelles les écosystèmes jouent un rôle important pour la main-d'œuvre hautement qualifiée qui représente la structure portante des activités de demain.

Les moyens de circulation et de communication dans un pays comme la Suisse permettent d'être à proximité des grandes villes sans y vivre nécessairement. C'est pourquoi, dans les vingt ans à venir, on peut s'attendre à des remaniements dans la distribution de la population. La petite collectivité parfaitement désenclavée par rapport aux grands cen- tres devient un atout, redevient une valeur, et c'est le cas pour les Alpes sinon tout à fait encore pour le Jura.

Il ne s'agit pas d'un étalement mais d'une réoccupation et d'une redis- tribution. Les universitaires des cantons périphériques qui, autrefois, s'installaient dans les grandes villes cherchent déjà à se réinsérer dans leurs cantons d'origine et à y développer des entreprises et des activités dont l'apport sera essentiel. Ce mouvement est irréversible et prometteur.

Dès lors que ce mouvement se dessine, il est nécessaire de lutter contre la concentration des infrastructures qui favorisent la zone centrale. Cela suppose des adaptations dans la sphère politique: adaptations, il est vrai, contradictoires. En effet, simultanément, il faut offrir les possibilités d'un développement régional qui n'est pas seulement cantonal, mais qui intéresse plusieurs cantons ou portions de cantons et, en même temps, il faut laisser aux initiatives locales toutes leurs chances. Autrement dit, il faut susciter un fédéralisme à «centralisme variable». Un fédéralisme renouvelé permettant l'éclosion d'initiatives transcantonales pourrait être mis au point au cours des vingt ans à venir. Que l'on songe à tous les problèmes qui sont en suspens entre les cantons, en particulier voisins, auxquels un réflexe de souveraineté intérieure interdit de songer à des régulations plus globales.

Pour cerner les futurs possibles de la Suisse, partons de l'idée simplifi- catrice qu'elle ne sera pas exposée à un choc extérieur d'une violence telle que toute son organisation actuelle en sera affectée. Nous nous concen- trons donc dans notre réflexion, sur les éléments déterminants d'ores et déjà perceptibles, en retenant plus particulièrement ceux d'entre eux qui représentent des tendances lourdes, et qui influenceront quasi certaine- ment la stratégie nationale.

Concernant l'espace de vie et ses composantes physiques et biologi- ques, le phénomène de la surcharge risque de s'aggraver considérable- ment. Du fait de la dimension et de l'acuité de ce problème, les efforts

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SCÉNARIO DANS LA PERSPECTIVE DE L'AN 2000

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de réhabilitation ne suffiront plus, même s'ils bénéficient de moyens accrus. La préoccupation éco-bio-logique doit être promue au rang de critère fondamental d'allocation des ressources. La nature, tout comme le travail et le capital, devra désormais être considérée comme une res- source rare, car elle est pour une large part fondamentalement non- renouvelable. L'idée centrale qui préside à l'heure actuelle à l'aménage- ment du territoire (celui des zones à vocation prioritaire) devra être aban- donnée au profit d'une approche moins segmentée, donc plus globale.

La nécessité d'une approche globale se fera également sentir dans le domaine socio-culturel. Vu la rareté croissante des espaces physiques dis- ponibles, la création d'espaces socio-culturels, largement ouverts à la population, devient impérative. A défaut d'espaces naturels suffisants, l'épanouissement dans des territoires socio-culturels représente, avec le redéploiement hors des centres et du Plateau, une véritable alternative.

L'aménagement de ces nouveaux espaces va aussi dans le sens de l'allégement des problèmes de densification et de saturation dans les rap- ports sociaux, qui souffrent, à l'heure actuelle, manifestement du poids de la régulation autoritaire.

La régulation sociale spontanée se heurtera en effet, toujours davan- tage, à la segmentation des activités que nous avons héritée du producti- visme. Ce phénomène se conjugue avec l'affaiblissement du pouvoir des communes, des cantons et même de la Confédération face aux multina- tionales d'une part et à la communauté européenne d'autre part.

Par ailleurs, les activités marchandes et formelles face à la production informelle non lucrative, dans le cadre familial ou dans un cadre commu- nautaire local ont vu leur part relative fortement augmenter dans un système professionnalisé et souvent organisé ou régulé à un niveau national. Il en va de même des activités qui ressortissent à la régulation sociale, ou au travail social. Au cours de ce processus, des rapport fonc- tionnels ont progressivement pris le relais de rapports organiques autre- fois enracinés dans le sens civique et dans la solidarité sociale. Autrement dit, la capacité d'autorégulation de l'économie, de la société et de ses composantes est en nette régression, ce qui tend à faire de l'Etat le régula- teur ultime. Il s'agit là d'une évolution qui porte en elle les germes du cen- tralisme.

A cette tendance, déjà très avancée, s'ajoutera encore l'impérieuse nécessité de juguler les éléments perturbateurs nouveaux: tels que la seg- mentation fonctionnelle de l'espace et de la société, avec le danger d'assister à la marginalisation des groupes les moins instruits et informés et les plus démunis et fragiles.

Le scénario évolutif présuppose que les acteurs socio-politiques puis- sent s'accommoder des contraintes qu'imposent ces éléments, et qu'il soit possible de les intégrer progressivement dans le projet collectif d'une façon qui soit efficace mais demeure acceptable pour le plus grand nombre. Pour sauvegarder à la fois l'efficacité des mesures de régulation et assurer le maintien du consensus qui doit les accompagner, un subtil jeu de compensations devra être mis en place en vue d'équilibrer les coûts et avantages de ces programmes de régulation.

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Le redéploiement à l'étranger d'activités à forte emprise spatiale est de nature à alléger la surcharge à l'intérieur du pays. Pour pouvoir main- tenir le niveau d'activité et de prospérité, il sera cependant nécessaire de pourvoir au remplacement de ces sources de valeur ajoutée par la créa- tion d'activités et d'emplois qui tirent leurs ressources essentiellement de l'espace culturel, à savoir les activités intensives en information. La mise en place d'un grand Marché européen qui encerclera la Suisse risque de l'entraîner par ailleurs dans un contre-courant. Il n'y a qu'à songer dans ce domaine à la problématique de l'extension du transport nord-sud et est-ouest. Dans les cas de telles mutations, des investissements d'ajuste- ment s'ajoutent évidemment aux investissements de réhabilitation de l'espace naturel ce qui amenuise la portion du produit national dispo- nible pour la consommation immédiate et réduit la marge de manœuvre du projet économique national.

Il appartiendra à la sphère socio-économique et politique de mettre en œuvre ces mécanismes de compensation. Pour réussir ce pari, les choix économiques et sociaux majeurs devront être fondés sur une appréciation objective des termes réels qui gouvernent l'économie nationale. Cela implique le recours à des vision globales, l'abandon de doctrines et mythes dépassés et l'élaboration systématique de connaissances et techni- ques de régulation nouvelles qui permettent de mettre en relation les élé- ments écologiques, biologiques et socio-culturels en jeu.

Par rapport à ce scénario évolutif, qui est ancré dans la continuité, se situe une alternative de rupture nette avec le passé dont la cheville ouvrière est le pouvoir économique. La couleur idéologique de cette rup- ture dépendra de l'attitude de ce dernier. Si le fardeau des nouveaux investissements de restauration et d'ajustement est trop lourd et si les limites assignées à l'extension économique interne trop étroites, la rup- ture peut prendre l'allure d'une renaissance productiviste, d'un durcisse- ment Spartiate, caractérisés par la subordination ouverte du social et du politique à l'économique. Dans ce cas, le court et le moyen termes l'emporteront sur le long terme, et l'effort national sera mobilisé en direction du maintien du type de croissance qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui quitte à ce que l'ouverture sur l'Europe s'accentue fortement au sens d'une perte d'autonomie. Ce serait en quelque sorte une variante helvétique du modèle japonais.

L'autre variante, autant en rupture avec le scénario évolutif que l'est la variante «Spartiate», est représentée par la refonte radicale du projet économique et social. Dans ce cas, le scénario de rupture prendrait l'allure d'une sorte de révolution post-industrielle en direction d'un nou- veau mode de production, d'un rapport repensé de l'homme avec la nature et d'une intégration renouvelée entre le culturel et le productif.

L'élément moteur de cette transformation radicale serait sans doute le secteur des activités de services, avec en particulier le développement de systèmes d'information et de régulation synergétiques: «information»

au sens d'intelligence et de connaissance susceptibles d'être incorporées dans des produits et services marchands et non marchands, pour rendre les processus de production et de consommation moins agressifs sur un

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plan environnemental et d'en augmenter la compatibilité avec les éco-, bio- et socio-logiques dans lesquelles ils sont insérés.

Cette évolution dématérialiserait en quelque sorte les processus actuels de production et pourrait de ce fait concourir puissamment à la stabilisation et à la résorption des phénomènes de saturation et de surden- sification dont la Suisse actuelle souffre déjà à l'évidence. Il pourrait aussi venir justifier à sa manière la politique de distance que la Suisse pra- tique à l'égard des Communautés européennes.

C'est dire que le scénario le plus probable, celui d'une évolution pro- gressive et adaptative en fonction des nécessités du moment, devra résulter d'un programme d'action qui rende au moins possible une lente évolution vers une telle société d'information. Si la Suisse veut gagner le pari d'une prospérité maintenue et affinée dans le long terme, il est diffi- cile de concevoir une autre solution.

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