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Vingt ans après

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Texte intégral

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Philosophie antique

Problèmes, Renaissances, Usages

 

20 | 2020

Nouvelles figures de Socrate

Vingt ans après

Michel Narcy

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/philosant/3631 DOI : 10.4000/philosant.3631

ISSN : 2648-2789 Éditeur

Éditions Vrin Édition imprimée

Date de publication : 31 octobre 2020 Pagination : 11-15

ISBN : 978-2-7116-2977-0 ISSN : 1634-4561 Référence électronique

Michel Narcy, « Vingt ans après », Philosophie antique [En ligne], 20 | 2020, mis en ligne le 31 octobre 2021, consulté le 13 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/philosant/3631 ; DOI : https://doi.org/10.4000/philosant.3631

La revue Philosophie antique est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Nouvelles figures de Socrate

Dossier coordonné par Dimitri El Murr et Michel Narcy

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VINGT ANS APRÈS Michel Narcy

2001, l’année de naissance de Philosophie antique, fut aussi celle du vingt-quatrième centenaire de la mort de Socrate. André Laks et moi fûmes trop heureux de pouvoir lier notre numéro inaugural aux diverses célébra- tions qui marquèrent cette année-là, dont la plus considérable se déroula comme il se devait à Delphes, le lieu même où l’Athénien fut déclaré par l’oracle le plus sage des hommes1.

Que pareil oracle ait jamais été rendu, à vrai dire, c’est ce dont il est permis et dont on ne se prive pas de douter, comme d’à peu près tout ce qui touche à Socrate. Il ne pouvait guère en être autrement : comment ne pas appliquer à la vie de Socrate la nécessité proclamée par lui-même – si l’on en croit Platon – de soumettre toute vie à examen2 ?

Examen et critique des sources allèrent si loin qu’aujourd’hui l’évé- nement de la vie de Socrate dont on est le plus sûr, peut-être le seul dont on soit vraiment sûr, c’est, gravée dans le Marbre de Paros, sa mort. Tout le reste – l’âge auquel il mourut, la teneur des propos qu’il tint à son procès, le mal-fondé des accusations portées contre lui, sa pensée, philosophique ou non3, sa condition sociale, sa situation matrimoniale… – ne nous est connu que par des témoignages dont souvent nous n’identifions pas la source et qui, s’ils ne faisaient eux-mêmes l’objet d’interprétations changeantes, nous en apprendraient plus sur leurs auteurs que sur Socrate lui-même.

Ainsi l’homme qui bat les records de célébrité dans l’histoire de la philo- sophie est-il celui sur qui on en sait réellement le moins. Telle est la conclu- sion à laquelle, au milieu du siècle dernier, était parvenue la critique. Presque simultanément, Olof Gigon4 et Vasco de Magalhães-Vilhena5 faisaient, de ce

1. Cf. Karasmanis 2004 ; Judson & Karasmanis 2006.

2. Platon, Ap. 38a5-6.

3. Cf. Rossetti 2015.

4. Cf. Gigon 1947.

5. Cf. Magalhães-Vilhena 1952a, 1952b.

Philosophie antique, n°20 (2020), 11-15

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12 Michel Narcy

qu’on avait longtemps cru être les sources de notre connaissance de Socrate, les éléments de ce qu’il fallait appeler désormais la « légende socratique ».

Lancée avant eux par Eugène Dupréel6, l’expression visait, de la part de ce dernier, à dévoiler une supposée héroïsation de Socrate sous le nom duquel Platon aurait à la fois synthétisé et dissimulé tout ce qu’il devait aux spécu- lations de ses prédécesseurs. Ni Gigon ni Magalhães-Vilhena n’intentaient à Platon ou à quiconque un procès de cette nature. En invitant à prendre acte de l’incapacité où nous laissent déjà les socratiques d’atteindre le Socrate historique, ils appelaient à une mutation du regard sur leurs témoignages : ne plus chercher à voir Socrate à travers ceux-ci mais les voir eux-mêmes pour ce qu’ils sont historiquement, à savoir les parties constituantes d’un genre litté- raire en soi, le λόγος σωκρατικός, et les manifestations d’un courant d’idées, le socratisme. En un mot, oublier Socrate pour le socratisme. Par son thème,

« Figures de Socrate », et par son sommaire, une succession de « Socrate de… », le numéro 1 de Philosophie antique se plaçait pour une bonne part dans la droite ligne de ce programme.

À deux écarts près, cependant. Son arc chronologique s’étendait bien au-delà des λόγοι σωκρατικοί  : jusqu’à l’époque contemporaine, et à des domaines, les beaux-arts ou l’opéra, qui débordent la philosophie. Car le souvenir de Socrate ne hante pas que les philosophes, et son nom désigne un thème dont les variations forment un long continuum, de la génération des socratiques à aujourd’hui.

Surtout, bien loin de ne voir dans le Socrate des λόγοι σωκρατικοί qu’une pure fiction littéraire, l’article de tête du numéro7 en situait l’origine du vivant même de Socrate, dans la forme si particulière des entretiens qu’il menait. Forme si standardisée, selon le mot de l’auteur de l’article, qu’elle se prêtait à la répétition : Socrate lui-même, à en croire Platon dans plusieurs de ses dialogues, se plaisait à raconter par le menu des discussions qu’il avait eues, et si c’était l’un de ses supporteurs qui s’en chargeait il ne dédaignait pas d’apporter son concours à l’opération8.

On retiendra de ces observations que la conversation de Socrate, ou plus précisément l’examen auquel il soumettait ses interlocuteurs, était tellement typé, si l’on peut dire, que pour les contemporains le personnage était immé- diatement reconnaissable dans les récits ou les imitations qu’en faisaient circuler ses supporteurs – voire, pouvons-nous ajouter, dans les parodies qu’en offraient ses détracteurs : les Nuées d’Aristophane n’auraient pas eu le même impact si le Socrate qu’elles mettaient en scène n’avait eu aucune ressemblance avec celui qui s’était dressé dans les travées pour répondre aux

6. Dupréel 1922.

7. Rossetti 2001.

8. Cf. Platon, Tht. 142c8-143c7 ; Smp. 173a7-b6.

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Vingt ans après 13 interrogations du public9. En résumé, les premiers λόγοι σωκρατικοί furent ceux dont Socrate lui-même donnait le spectacle. De la publicité constitu- tive de ces performances résultait nécessairement, pour ceux qui se mirent à en écrire, l’obligation de les prendre pour modèle : aux yeux de ceux qui voyaient ou avaient vu Socrate en action, un λόγος ne pouvait passer pour σωκρατικός que si peu ou prou ils l’y reconnaissaient10. Difficile, sur cette base, de ne voir dans le Socrate des λόγοι σωκρατικοί qu’un personnage litté- raire que chaque auteur aurait eu la liberté de façonner à sa guise.

C’est pourtant l’idée d’où procède l’« exégèse comparative » théorisée au tournant du millénaire par Louis-André Dorion11. Le comparatisme ainsi évoqué est à l’opposé de la mise en concurrence des différents socratiques – traditionnellement, pour des raisons bien connues, de Platon et Xéno- phon – à qui serait le témoin le plus autorisé de Socrate. Tout au contraire, il s’agit de mettre en relief la visée propre à chacun, à la lumière de quoi doit pouvoir se comprendre la singularité de son Socrate par comparaison avec ceux des autres socratiques. C’est, Dorion ne s’en est pas caché, une réin- terprétation du programme de Gigon – oublier Socrate pour le socratisme.

Au lieu, cependant, de réduire la littérature socratique à un conglomérat de sources parfois aussi hypothétiques qu’hétéroclites, l’approche proposée invite à reconstituer pour elle-même la visée de chaque socratique et à en faire valoir la richesse intrinsèque. Cette approche, dont les travaux de Dorion sur Xénophon12 ont largement démontré la fécondité, a stimulé la recherche sur les socratiques dits mineurs et surtout ouvert la voie à des publications sur Socrate qui n’avaient plus à se soucier de l’insoluble « question socra- tique ». Il suffit de jeter un œil sur la table des matières des trois Companions to Socrates parus dans les années 200013 pour voir à quel point la composi- tion s’en est trouvée facilitée  : revendiquée ou non, l’exégèse comparative imprègne aujourd’hui l’air du temps, tant et si bien qu’en est venue à passer pour « donquichottesque » et « rétrograde »14 la seule idée que le nom de Socrate ait pu parmi les socratiques être autre chose qu’un signifiant flottant.

À la lumière des réflexions engagées plus haut, elle représente plutôt l’avenir des études socratiques. Le mime, genre auquel Aristote rattache le

9. Élien, VH II 13 = SSR I A 29, 47-56.

10. N’oublions pas que le genre entier des λόγοι σωκρατικοί est dû à des auteurs qui ont connu Socrate. Ils écrivaient avant tout pour leurs contemporains, qui eux aussi le connais- saient ou l’avaient connu, ce qui tout à la fois explique qu’ils n’avaient pas à faire à son sujet œuvre d’historiens mais implique qu’ils ne pouvaient en déformer l’image ad libitum.

11. Cf. Dorion 2000, p. cxiii-cxviii. Voir aussi Dorion 2011 et 2018.

12. Une grande part en est rassemblée dans Dorion 2013.

13. Ahbel-Rappe & Kamtekar 2006, Morrison 2011, Bussanich & Smith 2013.

14.  Renzi 2019. Il s’agit du compte-rendu de Danzig, Johnson, Morrison 2018, actes d’une conférence placée explicitement sous la bannière de l’exégèse comparative et à laquelle d’ailleurs participait L.-A. Dorion.

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14 Michel Narcy

λόγος σωκρατικός, par définition ne s’accommode pas d’une totale liberté d’invention15  : le mime consiste à réaliser une imitation qui permette de reconnaître le personnage imité, que ce soit un individu ou un caractère au sens de Théophraste. Socrate fût-il ramené à un tel caractère, encore fallait-il que le public pût le reconnaître dans ce qu’on lui présentait. Mimer Socrate, c’était le rendre présent au lecteur comme l’avaient vu ses spectateurs, parmi lesquels l’auteur lui-même du λόγος, et aussi ses rivaux.

Car c’est en grande partie la rivalité entre les socratiques qui explique le foisonnement de λόγοι σωκρατικοί mis en évidence il y a vingt ans par Livio Rossetti. Foisonnement qui ne s’explique que par l’intérêt que soule- vaient dans le public ces imitations de Socrate. On peut penser que c’est cet intérêt qui incita plusieurs des socratiques à en livrer leur version, mais il est clair qu’aucun n’aurait écrit s’il n’avait eu autre chose à dire que ses anciens condisciples. En même temps donc que chacun pouvait avoir le sentiment de représenter Socrate mieux qu’un autre, leurs productions sont les répliques qu’ils se donnaient les uns aux autres dans une vaste conversation au sujet de celui qui avait été à un moment ou à un autre leur maître à tous.

S’ouvre là une autre perspective que l’exacerbation de leurs différences, celle de l’enrichissement que peut apporter à la compréhension de cette phase originelle de la littérature socratique la prise en compte de son carac- tère de conversation, et plus précisément, puisqu’il s’agit d’une conversation par écrit, de sa dimension intertextuelle.

Telle est la perspective sur laquelle s’ouvre ce nouveau numéro consacré aux figures de Socrate. L’article de tête y présente, sous la plume de Fulvia de Luise, ce qu’on peut appeler, en écho au «  Xenophon’s intertextual Socrates » de David Johnson16, le Socrate intertextuel de Platon17.

Ainsi ces Nouvelles figures de Socrate participent-elles de l’actuel retour de la question socratique. J’évoque par là non pas une rechute dans l’or- nière – autre forme de l’aporie – du débat bicentenaire connu sous ce titre, mais la reconstruction patiente, déjà entreprise par certains, des interactions, convergences ou divergences, entre les socratiques, à l’arrière-plan desquelles se dessine la figure d’un Socrate aux traits toujours changeants mais dont la présence est pourtant indéniable, telle la célèbre « image dans le tapis » d’Henry James18.

15. Aristote, Po. 1, 1447b9-11.

16. Johnson 2018.

17. De F. de Luise on pouvait déjà lire dans le même sens sa contribution aux Socratica III,

« Socrate teleologo nel conflitto delle rappresentazioni » (= De Luise 2013).

18. Je reprends ici les réflexions que j’ai développées à la table ronde conclusive des Socra- tica III (Trento, 2012) : cf. de Luise & Stavru 2013, p. 416-418.

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Vingt ans après 15 BIBLIOGRAPHIE

Ahbel-Rappe, S. & R. Kamtekar 2006 (éd.) : A Companion to Socrates, Malden MA, 2006 (Blackwell Companions to Philosophy).

Bussanich, J. & N. D. Smith 2013 (éd.) : The Bloomsbury Companion to Socrates, Londres-New York 2013 (Bloomsbury Companions).

Danzig, G., D. Johnson, D.  Morrison (éd.) 2018  : Plato and Xenophon  : Comparative Studies, Leyde, 2018 (Mnemosyne Supplements, 417).

De Luise, F. 2013 : « Socrate teleologo nel conflitto delle rappresentazioni », dans De Luise & Stavru 2013, p. 149-170.

De Luise, F. & A. Stavru 2013 (éd.) : Socratica III. Studies on Socrates, the Socra- tics and the Ancient Socratic Literature, Sankt Augustin, 2013 (International Socrates Studies, 1).

Dorion, L.-A. 2000 : « Introduction générale », dans M. Bandini & L-A. Dorion, Xénophon : Mémorables, t. I, Paris, 2000 (Collection des Universités de France).

Dorion, L.-A. 2000 : « The Rise and Fall of the Socratic Problem », dans Morrison 2011, p. 1-23.

Dorion, L.-A. 2013 : L’autre Socrate. Études sur les écrits socratiques de Xénophon, Paris, 2013 (L’âne d’or).

Dorion, L.-A. 2018 : « Comparative Exegesis and the Socratic Problem », dans Danzig, Johnson, Morrison (éd.) 2018, p. 55-70.

Dupréel, E. 1922 : La Légende socratique et les sources de Platon, Bruxelles, 1922.

Gigon, O. 1947  : Sokrates. Sein Bild in Dichtung und Geschichte, Berne, 1947 (Sammlung Dalp, 41).

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Judson, L. & Karasmanis, V. 2006 (éd.) : Remembering Socrates: Philosophical Essays, Oxford, 2006.

Karasmanis, V. 2004 (éd.) : Socrates 2400 years since his death (399 B. C.-2001 A.  D.), Athens-Delphi 13-21 July 2001, International Symposium Proceedings, Athènes, 2004.

Magalhães-Vilhena, V. de 1952a : Le Problème de Socrate : le Socrate historique et le Socrate de Platon, Paris, 1952 (Bibliothèque de philosophie contemporaine).

Magalhães-Vilhena, V. de 1952b : Socrate et la légende platonicienne, Paris, 1952 (Bibliothèque de philosophie contemporaine).

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url : http://www.bmcreview.org/2019/06/20190632.html

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