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Vingt ans... à venir?

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Submitted on 2 Mar 2020

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Vingt ans... à venir?

Isabelle Ginot

To cite this version:

Isabelle Ginot. Vingt ans... à venir?. 1999. �hal-02495557�

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VINGT ANS... À VENIR ?

Isabelle GINOT

Article paru dans 20 Ans, publication de la Biennale nationale de danse du Val-de- Marne, 1999.

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VINGT ANS... À

VENIR ? Isabelle GINOT

Article paru dans 20 Ans, publication de la Biennale nationale de danse du Val-de- Marne, 1999.

Il y a quelques mois, Michel Caserta me demandait d’écrire un texte, à l’occasion des 20 ans de la Biennale de danse du Val-de-Marne, et précisait : “je déteste les commémorations”, comme si cela devait m’éclairer sur ce qu’il attendait de ce texte. Et puis, plusieurs heures d’entretien plus tard : “Poser la question des 20 ans passés de la Biennale, c’est forcément poser celle de ses 20 ans à venir”. Les entretiens particulièrement francs et réflexifs avec Michel Germa, Président du Conseil général du Val-de-Marne depuis près de vingt ans, initiateur de toute la politique culturelle du département et, à ce titre, interlocuteur privilégié de la Biennale, depuis ses débuts, ainsi qu’avec Michel Caserta, ont suscité et stimulé les réflexions qui suivent.

Celles-ci sont fondées sur un parti-pris : penser que les institutions culturelles, particulièrement celles de la danse, traversent actuellement une crise qui n’est pas (ou pas seulement) une crise de moyens économi- ques. J’ai fait l’hypothèse que Michel Caserta, en m’adressant cette invitation, souhaitait que la Biennale prenne position du côté du débat plutôt que du côté du monument, et demeure le “théâtre” – elle qui ne dispose, justement, d’aucun théâtre propre – des mouvements d’idées et de questions qui animent autant les responsables politiques que les acteurs de la danse. Plus qu’un texte institutionnel, il s’agira donc d’un texte de parti-pris, polémique par bien des aspects, qui n’approfondit pas les questions soulevées mais espère qu’elles suscitent de vives ( et vivantes) discussions.

Une Biennale dans un certain paysage

La Biennale est née dans le sillage d’une certaine pensée de la culture comme service public, qui fonde toutes nos institutions du spectacle vivant, et dont les avatars depuis le Front populaire sont notamment la notion de théâtre populaire (dont Vilar se fera plus tard le théoricien et l’idéologue), la décentralisation théâtrale (dont le Front Populaire pose les premières idées), les Centres dramatiques et les Théâtres na- tionaux, les Maisons de la culture de Malraux Au cœur de ces mouvements successifs et dialectiques, une question : comment repenser les rapports entre création contemporaine et public ? La réponse en forme d’utopie est proposée : le théâtre et la création contemporaine doivent être accessibles à tous. Les hommes de la décentralisation théâtrale sont d’abord des artistes, c’est-à-dire des hommes engagés dans une prati- que artistique et politique. La responsabilité de l’Etat, le rôle de la création dans la société et sa fonction

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dans une démocratie, la forme des structures médiatrices (théâtres, chapiteaux, compagnies implantées, animateurs socio-culturels ou culturels, etc.) sont autant de réponses à un même problème dont les termes ne cessent de changer. L’institution culturelle française ne fut pas d’abord un projet d’Etat, mais le résultat et l’outil évolutif d’une pensée politique du théâtre et de la culture, projetés d’abord par des créateurs, puis relayés par différents étages (et différents bords) du politique. Que les acteurs du théâtre aujourd’hui adhèrent, regrettent ou remettent en question cette idéologie du “théâtre populaire”, ils s’en savent les héritiers. C’est cette impulsion des artistes et des intellectuels, dont le travail était immédiatement pris dans une réalité idéologique et sociale, qui permettra aussi au Parti communiste – à partir du Congrès d’Ar- genteuil de 1966 – de placer la culture au cœur de son projet politique, et engagera les élus communistes dans la mise en place d’une politique culturelle d’avant-garde.

S’il paraît important de rappeler ce qui pour certains semblera démodé, pour d’autres hors-sujet, et, pour d’autres encore, une évidence, c’est que cette histoire, bien connue dans le monde du théâtre, est rarement mise en évidence par l’historiographie de la danse française – dont il faut dire, d’ailleurs, qu’elle est plus qu’indigente. Pourtant, le moment dit “d’explosion” de la danse contemporaine en France, vers la fin des années 70, semble avoir été un mouvement politique autant qu’artistique. Michel Caserta raconte :

“On croit souvent que la Biennale est une idée de moi-même et de Lorrina Niclas, administratrice de ma compagnie à l’époque. Mais en réalité, elle est née du mouvement très fort qui naissait à ce moment-là, du coup de colère de compagnies de plus en plus nombreuses qui n’avaient aucune écoute, aucune recon- naissance, aucun espace de travail. Lorrina Niclas et moi avons décidé d’organiser une rencontre, à la fois de présentation des compagnies, et de discussions sur les revendications communes”. L’Ensemble choré- graphique de Vitry sert de support, et réunit 22 groupes (parmi eux : Dominique Bagouet, Daniel Dobbels, Jacques Garnier, Christine Gérard, Brigitte Lefèvre, Laura de Nercy, Anne-Marie Reynaud, Quentin Rouillier, François Verret, Hideyuki Yano...) ainsi que des commissions où étaient invités non seulement des artistes, mais aussi des syndicalistes et des hommes politiques : le premier Festival national de danse du Val-de- Marne était né, en 1979, suivi du “Mouvement pour la danse” qui, sous forme de réunions mensuelles et quasi-clandestines, travaille une année durant à élaborer un cahier de revendications. A la même époque, sur la lancée du Congrès d’Argenteuil, les élus communistes s’efforcent de penser une politique culturelle – un concept qui n’existe à peu près pas à l’époque –, le P.C. s’applique à former ses cadres aux questions culturelles, et le mot d’ordre “il faut installer la culture dans nos villes et dans nos villages” ouvre un vaste champ d’actions à inventer. “A l’époque, on ne connaissait pas grand-chose de la danse contemporaine ; ce qui nous a intéressés dans cette première manifestation, c’était, bien sûr, l’idée d’aider la jeune création contemporaine, qui allait devenir le cadre de toute notre politique culturelle. Mais c’était aussi le fait que ces jeunes compagnies se prenaient en main, qu’elles avaient élaboré un cahier de revendication. Nous tenions à soutenir cela”, se souvient Michel Germa. Une première subvention du Conseil général “proposée un peu à l’arraché” par celui-ci, vient éponger la dette contractée par la compagnie de Michel Caserta pour cette première manifestation.

Faute de lieu...

“Nous n’avions qu’une question : comment parvenir à montrer notre travail, faire venir des directeurs de théâtre et être accueillis dans des programmations entièrement contrôlées par les gens de théâtre.” De fait, dans les années 70, la décentralisation théâtrale à peu près réalisée a placé aux postes de commande

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des hommes de théâtre, artistes ou accompagnateurs. “Il y a vingt ans, l’urgence était de conquérir des lieux de travail autonomes pour la danse, échapper aux tutelles du théâtre et de la musique, pouvoir montrer notre travail. S’il fallait re-créer la Biennale aujourd’hui, ce serait à peine différent. Il y a plus de 350 compagnies maintenant, et c’est à peine si quelques lieux lui sont consacrés. Les ‘programmations danse’, sont presque toutes les mêmes, dans les théâtres à vocation généraliste.” Au mot d’ordre des jeunes artistes de l’époque, répond celui des élus du Val-de-Marne : rendre les œuvres accessibles au public de leurs villes, populariser la culture. En ces temps où toutes les structures sont à inventer – d’autant que la décentralisation théâtrale, organisée par l’Etat, commence par négliger les villes de banlieue – les élus sont attentifs aux propositions des créateurs ; plus encore, ils les sollicitent. Ainsi, ce sera Michel Germa qui, intéressé par les premières manifestations, proposera de pérenniser le projet sous une forme biennale.

“C’était avant la décentralisation et l’autonomie des Conseils Généraux, nous avions peu de moyens, et la Biennale de danse a été l’une de nos premières manifestations. La grande qualité de cette structure, c’est sa nature coopérative avec les communes.”, dit Michel Germa.

Il s’agissait donc avant tout de forcer la main aux théâtres qui existaient dans le département. “C’est Lorrina Niclas qui a eu l’idée des 50% : la Biennale prenait en charge la moitié du montant du cachet des compagnies programmées par les théâtres partenaires ; une vingtaine de villes ont adhéré au projet”. Le modèle de la Biennale est donc à l’origine stratégique : puisque la danse n’a pas de lieux propres, il s’agit d’infiltrer ceux qui existaient. Motiver les programmateurs, convaincre les élus, informer et sensibiliser le public : cette vieille bataille pour la reconnaissance de la danse contemporaine se place de plain-pied avec le projet politique qui consiste à élargir le public de la culture. Si les élus municipaux et départementaux du Val-de-Marne ne connaissent guère la danse contemporaine, ses enjeux et ses luttes leur sont familiers : “Lorsque les élus m’ont demandé un projet d’école de danse, et que j’ai inscrit, comme un manifeste “une école de danse doit être indépendante, dirigée et gérée par les danseurs”, ils se sont étonnés de cette re- vendication : pour eux, cela allait de soi. L’école de Vitry est pourtant la première, et aujourd’hui encore une des rares écoles de danse indépendantes des conservatoires de musique”. Le caractère novateur du projet de la Biennale n’échappe pas aux élus : elle a servi de modèle et de point de départ pour nombre d’autres initiatives culturelles du département.

Cette structure se positionne donc, d’emblée, du côté de ce que l’on appelle, depuis les années 60,

“l’action culturelle”, elle est un projet politique avant d’être un projet artistique. Elle est donc au cœur des débats qui, durant les vingt années précédentes, ont animé artistes et acteurs culturels : faut-il aller vers le public en se conformant à ses attentes, ou au contraire le confronter à des œuvres dérangeantes, quitte à devoir inventer des moyens de médiation pour lui permettre de se les approprier ? Dans ce débat, pourtant, la danse n’a pas les mêmes atouts que le théâtre ; dépossédée de tout moyen de production propre, la Bien- nale se place d’emblée du côté des attentes : pour convaincre ses partenaires adhérents, elle commence par répondre à leur demande, et la place de la création chorégraphique contemporaine sera longue à conquérir au sein de ses programmes.

C’est une différence cruciale qui sépare, du point de vue de l’histoire culturelle française, la danse et le théâtre : dans ce débat, dans le développement de la Biennale par la suite, comme dans celui de toutes les “institutions” de la danse française, les artistes semblent absents. Comment ce projet, issu d’un mou- vement revendicatif de chorégraphes, est-il devenu presque immédiatement une structure de politique culturelle, les artistes se plaçant seulement du côté de ceux qui attendent, espèrent, supplient, mendient,

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d’être programmés ? Car, dans ce mouvement de balancier entre “création à tout prix” et conformation aux attentes du public, les mêmes élus ont fait, à la même époque et dans d’autres domaines, des choix diffé- rents : “J’ai eu la chance de travailler à Vitry avec Marcel Rosette, un des pionniers de la mise en acte des résolutions d’Argenteuil, se souvient Michel Germa. Il disait toujours : même si la population ne comprend pas d’emblée une sculpture contemporaine, l’essentiel est qu’elle puisse la voir et s’en emparer”.

Le rapport au public, cela va de soi, n’est pas que l’affaire des politiques et des médiateurs culturels : il est avant tout inscrit dans les œuvres et dans le projet de l’artiste. “Ce sont les créateurs qui font avancer notre politique culturelle. Les idées, il ne faut pas que ce soit nous qui les ayons, il faut que ce soit eux”, rappelle M. Germa. Ce sera pourtant à l’équipe de la Biennale et à son directeur de faire évoluer le projet dans un deuxième temps : “certains théâtres adhérents nous prenaient pour un organisme subventionneur, fait pour les aider à financer leur programmation danse. A partir de 1985, nous avons imposé comme ligne directrice et seule vocation de la Biennale, la danse contemporaine. Nous avons perdu plusieurs adhérents, dans un premier temps, nous en avons retrouvé par la suite.” Depuis, la Biennale continue à se transfor- mer : aide à la création et coproduction sont ajoutées à ses missions, le cahier des charges des théâtres co- producteurs se précise, et l’édition 1989 a à son actif la création de plusieurs pièces importantes, soit dans le parcours de chorégraphes déjà confirmés (Insurrection, d’Odile Duboc), soit pour de premières pièces de jeunes artistes pour qui ce fut un précieux tremplin (Antichambre d’Hervé Robbe). Enfin, depuis 1991, la programmation s’organise autour d’une thématique. Et, depuis le premier festival de 1979, la danse est devenue part intégrante du paysage Val-de-Marnais, le public est nombreux, désormais cultivé dans un art qui n’est pas par essence plus difficile d’accès qu’un autre. Plus d’une centaine de compagnies ont bénéficié de son soutien, et la Biennale peut, à juste titre, revendiquer d’avoir pris une part importante dans l’essor de la danse contemporaine en France.

Une “danse populaire” à inventer

La Biennale est l’une des rares – la seule ? – institutions de la danse française à avoir été dès son origine non seulement pensée comme la réponse à un problème professionnel – la diffusion des œuvres chorégraphiques – mais aussi comme la mise en acte d’un projet politique précis, positionnant la création contemporaine dans une pensée de la société, lui attribuant une fonction, et considérant que la danse avait un rôle à jouer, au même titre que les autres arts, dans cette fonction. Aurions-nous tendance à l’oublier ? ce projet, cette pensée de l’art au sein du tissu social, conçus par des artistes, des intellectuels et des édiles menant une étroite conversation, n’étaient pas des valeurs absolues (ou n’auraient pas dû être compris comme tels), mais plutôt des mouvements dynamiques liés à un contexte social, économi- que et culturel. Le “théâtre public” des années 50 n’était pas le même que celui des années 60, il a connu une mutation profonde – et quelque peu traumatique – à partir de 68 et pour les années 70, etc. Ces trois décennies et celles qui les ont précédées ne furent pas celles de la défense d’une même idée, mais plutôt, de la confrontation de la pensée avec des présents en mutation, la succession d’ajustements du geste artistique à l’espace social dans lequel il se projetait. Il faudrait pouvoir continuer à comprendre l’idée de politique culturelle comme la mise en forme provisoire d’un rapport entre création et public, pensé ou agi par les artistes autant que par les politiques. C’est ainsi que la tradition du théâtre l’a conçue durant trente ans, et c’est ainsi, certainement, que danseurs et chorégraphes pourraient, aujourd’hui, s’en emparer.

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“Je ne sens pas, dans la danse d’aujourd’hui, ce besoin de rupture. Les chorégraphes d’aujourd’hui se débattent entre la nécessité de ne pas perdre les acquis artistiques dont ils héritent, et celle d’être per- tinents. Cela donne des pièces très intéressantes, mais elles n’ont pas la même virulence, la même liberté dans leurs questions.” Repenser la Biennale à venir, bien entendu, c’est en appeler à une danse qui nous surprenne, nous mette en danger et ne se contente pas de combler nos attentes. Mais la Biennale serait- elle en mesure d’accueillir des projets inattendus, ne pouvant entrer dans aucun des cadres spectaculaires (espaces scéniques mais aussi modes de production et de financements, modes de diffusion, etc.) qui fon- dent sa structure ? Michel Caserta répond avec lucidité : “Notre histoire est celle de multiples conciliations

; nos missions ‘pédagogiques’, la multiplicités de nos partenaires, les modes complexes de production liés à notre structure actuelle conditionnent radicalement les projets que nous pouvons soutenir ; la structure favorise les propositions académiques et souvent, ce sont les projets les plus intéressants que nous devons refuser. Pour que la Biennale puisse les accueillir, il faudrait qu’elle opère une véritable rupture avec elle- même”.

Préserver ou proposer ?

Les artistes ne sont pas les seuls à avoir des acquis à défendre. La longue conquête de budgets, la pa- tiente rencontre avec des publics à convaincre, la construction solide (et pourtant toujours menacée) de structures pour la culture en général, et la danse en particulier, sont aujourd’hui à défendre ; alors même qu’il faudrait avoir la liberté de les remettre en question, il s’agit plus que jamais d’en protéger la conti- nuité. “Les collectivités territoriales ont des charges de plus en plus lourdes, et font face à des problèmes sociaux de plus en plus graves. Lorsque nous avons dû prendre des mesures restriction budgétaires, nous avons envisagé de réduire le budget de la culture. Finalement, nous avons décidé de le maintenir. Dans les périodes de crise, il faut plus que jamais défendre tous les secteurs de la recherche”, dit Michel Germa.

Michel Caserta lui fait écho : “Il y a trente ans, les élus communistes étaient les premiers à faire des pro- positions en matière de culture : ils avaient tout à inventer. Aujourd’hui, ils s’efforcent de préserver des acquis.” Est-il possible aujourd’hui de préserver nos structures et nos politiques culturelles sans en faire des monuments ? Le “théâtre populaire” n’est-il pas à réinventer ? Quels sont les projets chorégraphiques qui peuvent affronter cette question ? Comment chorégraphes et danseurs repensent-ils aujourd’hui le rap- port avec le public (celui qui fréquente les salles de spectacles, et ceux qui n’y pénètrent jamais) ? Il s’agit désormais de penser librement la création, ses outils de médiation, ses espaces, en sortant de la “conquête des publics” telle qu’elle se pratiquait dans les années 70, et sans oublier, pourtant, que cet enjeu ne sau- rait être considéré comme définitivement acquis. La danse, certainement, peut être une nouvelle force de proposition dans ce domaine.

Quelle politique de la danse ? Quelle politique dans la danse ?

Pour repenser une politique de la danse, il faudrait non seulement repenser – théoriser, ou au moins formuler – la nouvelle donne de notre société, mais aussi, questionner ce que la danse y tient comme rôle.

Il faudrait que les artistes soient à même de formuler un projet inscrit dans la société (qu’ils pourraient

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opposer à tous les moralistes qui prétendent assigner aux artistes leur tâche – par exemple celle de “réduire la fracture sociale”). La fonction d’un lieu de programmation, d’une tutelle, d’une politique publique d’aide à la création, n’a de sens que dans la mesure où elle est l’instrument d’un rapport au public – même si ce rapport ne peut pas toujours être immédiat. Ce qui n’est pas admissible, aujourd’hui, c’est que ce rapport au public, dont la forme des œuvres est le premier médium, soit calibré par des institutions ou des décisions administratives (il y aurait, par exemple, une étude à faire sur les dossiers de demandes de subvention et ce qu’ils induisent implicitement sur la nature des œuvres). Pourtant, seuls les artistes peuvent troubler, subvertir, briser ces conventions aussi bien esthétiques que politiques, non en tentant de se substituer aux tutelles administratives et politiques, mais en opposant à leurs modèles des formes nouvelles.

“Aujourd’hui, beaucoup de chorégraphes voudraient ne pas avoir à discuter de leurs projets artistiques.

Olivia Grandville me disait récemment : ‘ce que nous voulons, c’est qu’on nous donne les moyens de nos créations, et qu’on ne nous demande pas de comptes’. Mais en tant que programmateur, je suis responsable de l’argent public que je gère. Rendre compte à la société de l’usage que l’on fait de l’argent public, ce n’est pas se soumettre : c’est le simple devoir penser notre rapport avec elle, et ce devoir est aussi vital pour les artistes que pour n’importe qui d’autre.” Sommes-nous, programmateurs, critiques, élus, public, prêts à laisser envahir nos institutions culturelles par un art qui les remettraient fondamentalement en question ? Quels projets esthétiques, politiques, les chorégraphes d’aujourd’hui voudraient-ils affirmer, qui imposeraient de repenser nos cadres ?

Il s’agirait certainement, pour la danse, de s’approprier – et donc de repenser – ses propres institutions, de formuler son projet politique – quelle place dans la cité ? – afin d’entreprendre un dialogue et, s’il le faut, un combat, avec les institutions d’aujourd’hui. Mais il s’agit surtout, me semble-t-il, de questionner enfin et d’affirmer ce que la danse “agite” dans notre expérience, lorsqu’elle est transgressive (et qu’est-ce qu’elle conserve, et conforte, lorsqu’elle ne veut rien troubler ?). Car finalement, cette absence de parole, ce silence ou cette soit-disant “impossibilité” du discours qui frappe la danse depuis toujours, est-elle autre chose qu’une forme de censure – et d’autocensure de la part des danseurs. En d’autres termes, de qui, ou de quoi ce silence protège-t-il les intérêts ?

“Notre société n’a toujours pas admis ce que la danse charrie de questions sur le corps, le désir et la sexualité”, dit Michel Caserta. La pensée de “la culture pour tous” peut-elle faire l’économie d’une telle réflexion ? Le geste du danseur, lorsqu’il n’est pas filtré par les discours qui en encadrent le sens, engage le mouvement du spectateur, en éveille les sens, l’embarque dans les mutations du poids. La danse réinvente l’espace et en redéfinit les contours ; elle dévoile et rompt des frontières qui, souvent à notre insu, le dé- coupent, et elle impose de nouveaux partages, de nouvelles distributions de territoires. Voir le mouvement de l’autre, c’est être contraint de saisir sa différence, d’admettre une relation singulière au monde, qui échappe au discours et parfois, nous envahit en-deça de notre conscience. C’est être le témoin de désirs qui ne sont pas les nôtres, de modes de toucher que nous avons exclus – ou au contraire privilégiés –, être confronté à des rythmes et des dynamiques qui parfois heurtent, parfois se fondent dans les rythmes secrets de notre propre corps. Qui peut croire que la danse est apolitique ? Présenter et défendre une danse qui serait “un mouvement de rupture”, c’est, sans aucun doute, exposer un public au risque d’être ébranlé dans ses représentations inconscientes du corps et du désir. C’est aussi prendre le risque d’une remise en question radicale – par les danseurs, et par leur public – de l’espace politique institué de la danse, de la scène, et de la ville. Une danse qui “ne vient rien troubler”, selon le mot de René Char, vient au contraire étayer et renforcer l’espace public de l’expérience, ses conditionnements sociaux, politiques et symboli-

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ques, elle respecte la hiérarchie de nos paysages urbains, par exemple en acceptant de se couler dans les territoires qui lui sont – toujours chichement – désignés. Le paradoxe de l’ordre de la danse en France est d’avoir aménagé quelques espaces pour les danseurs, et cependant, d’avoir maintenu cette “illégitimité” so- ciale du danseur qui le prive, toujours, du droit de prendre la parole. “Nous ne donnons pas vraiment l’op- portunité aux danseurs de s’emparer des cadres institutionnels”, dit Michel Caserta. Les danseurs seront-ils un jour assez “légitimes” pour troubler l’ordre des théâtres, s’emparer, ou créer, de nouveaux espaces sans attendre qu’ils leur soient proposés ?

Une Biennale à venir

Michel Caserta souhaite à la Biennale d’avoir de l’audace, et de savoir opérer une rupture avec elle- même. Souhaitons-lui aussi, pour ses vingt ans, le déferlement d’artistes venant à sa rencontre avec des projets si forts, si “audacieux” qu’elle ne saurait leur résister ; que ces 20 années de pratique politique lui permette de les aider à trouver les espaces d’autres danses, les trajets vers d’autres spectateurs. Pour cet anniversaire, rêvons la comme un “Plateau” défait, un espace ouvert aux tempêtes où des artistes vien- draient non pas exiger leur dû, mais proposer de la repenser à la forme de leurs nouveaux projets. Danseurs et chorégraphes apporteraient, parmi leurs désirs créatifs, celui d’aller à la rencontre de nouveaux publics, et ils inventeraient les formes et les moyens de cette rencontre. Ils ne laisseraient pas ce “souci” aux “mé- diateurs” comme un aspect indépendant et secondaire (ou venant dans un second temps) de la création ; de leur côté, les “médiateurs” penseraient la relation entre les œuvres et le public comme un espace de la création, à réinventer et non pas contrôler. On pourrait rêver une Biennale comme instrument d’une poli- tique de la danse, bien sûr, mais aussi instrument d’une danse politique.

NB : Outre les entretiens avec Michel Caserta et Michel Germa, ces réflexions sont en partie inspirées par une recherche sur l’histoire des politiques de la danse contemporaine en France, entamée par l’équipe du département danse de l’Université Paris VIII ; elles doivent beaucoup aussi à deux femmes à qui le destin de la Biennale est étroitement lié et et qui m’ont, en d’autres temps et d’autres lieux, initiée à de passionnantes discussions : Lorrina Niclas, longtemps administratrice de la Biennale, et Liliane Martinez, aujourd’hui sa présidente.

Isabelle GINOT

Pour citer cet article :

Isabelle Ginot, « Vingt ans... À venir ? », in 20 Ans, publication de la Biennale nationale de danse du Val-de- Marne, 1999. Cité d’après la version électronique publiée sur le site Paris 8 Danse : www.danse.univ-paris8.fr

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