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A propos de 'quelques observations sur les lacunes en droit en droit international public' de Jean Salmon (1967-II)

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A propos de 'quelques observations sur les lacunes en droit en droit international public' de Jean Salmon (1967-II)

KOLB, Robert

KOLB, Robert. A propos de 'quelques observations sur les lacunes en droit en droit international public' de Jean Salmon (1967-II). Revue Belge de droit International , 2015, vol. 1-2, p.

319-329

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:92916

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REVUE BELGE DE DROIT INTERNATIONAL 2015/1-2- Editions BRUYLANT, Bruxelles

A PROPOS DE

<<

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LES LACUNES EN DROIT

INTERNATIONAL PUBLIC

n

DE JEAN SALMON (1967-11)

PAR

Robert KOLB*

En 1967, mon annee de naissance, Jean Salmon publiait un article remar- que dans la R.B.D.I. relatif aux lacunes en droit international public (1);

quant

a

moi, je me debattais dans les couches-culottes, sans savoir que je serais un commentator futurus. Il s'agit d'un des nombreux articles impor- tants que cet auteur eminent a ecrit sur des notions liees au systeme du droit international et

a

l' argumentation juridique. La question des lacunes avait occupe les internationalistes depuis belle lurette, dans leur effort d'etablir les bases du droit international, ordre si particulier et si different des phe- nomenes juridiques etatiques. Plenitude du droit international ou lacunes ? Totalitarisme juridique ou place accrue pour la politique? Capacite du juge de refuser de statuer en cas d'obscurite ou d'absence du droit, ou devoir du juge de statuer dans tous les cas ? Droit international comme ordre liberal clos par une regie residuelle de liberte (<<tout ce qui n'est pas interdit est permis >>) ou droit international comme ordre quasi constitutionnel determine par des regles d'attribution de competences ?·On le voit, les questions sont nombreuses et vont au creur du fonctionnement de l'ordre juridique inter- national. 0' est la raison pour laquelle la galaxie des <dacunes •> a touj ours trouve sollicitude parmi les internationalistes, notamment depuis I' arret du Lotus de la C.P.J.I., en 1927 (2), qui I' a violemment mise en exergue. Il sied ici de commencer par une presentation des arguments de Jean Salmon, dans

* Professeur de droit international a l'Universite de Geneve.

(1) R.B.D.l., vol. 2, 1967, pp. 440-458, reproduit dans: J. SALMON, Droit international et argumen- tation, Bruxelles, 2014, pp. 229-251.

(2) Voy. not.: H. LAUTERPACHT, «Some Observations on the Prohibition of Non Liquet and the Completeness ofthe Law», Melanges J. H. W. Verzijl, La Haye, 1958, pp. 196 et s.; J. STONE, «Non Liquet and the Function of Law in the International Community>>, B. Y.l.L., vol. 35, 1959, pp. 124 et s.; L. SIORAT, Le problime des lacunes en droit international, Paris, 1959; A. BLECKMANN, «Die Handlungsfreiheit der Staaten>>, Osterreiohisohe Zeitschrift fur iiffentliches Recht und Viilkerrecht, vol. 29, 1978, pp. 173 et s.; et entre-temps, not., U. FASTENRATH, LUoken im Viilkerrecht, Berlin, 1991; I. STRIBIS, La manifestation des lacunes en droit international, Athenes, 2009. Du present auteur, on pourra consulter <•La regie residuelle de liberte en droit international public ("tout ce qui n'est pas interdit est permis")», R.B.D.l., vol. 34, 2001, pp. 100 et s.

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1' article qui forme l'objet de la presente contribution. N ous y ajouterons des commentaires au fil du texte en separant toujours clairement ces adjonctions du resume.

L' article s' ouvre par le constat que la question des lacunes est sou vent etudiee dans la doctrine alors que les decisions et sentences internationales ne I' evoquent guere. Elle merite toutefois que l' on s'y interesse. Le premier pro- blame consiste a sa voir s'il y a des lacunes en droit international public? Pour une ecole de pensee importante, ce n' est pas le cas: tout systeme juridique est logiquement et done necessairement complet (plenitude du droit). Une telle plenitude peut etre admise dans les cas suivants: si un ordre juridique connait une norme negative universelle centree sur le principe residue! de liberte; s'il y existe une norme procedurale selon laquelle toute demande rejetee conduit a une decision de fond; soit enfin s'il y existe une norme interdisant au juge de prononcer un non liquet. Le droit international connait-il une de ces trois regles? Si c'etait le cas, il faudrait admettre qu'en son sein toute matiere est deja juridiquement reglee (meme si, peut-on ajouter, elle ne I' est pas de maniere necessairement satisfaisante). En premier lieu, la regie residuelle de liberte, quoi qu'elle soit acceptee par de nombreux auteurs, et que la C.P.J.I.

lui ait donne une reverberation celebre dans l'affaire du Lotu8 de 1927, n'est pas d' application general e. Elle pourra certes etre appliquee sur toile de fond de la souverainete etatique en 1' absence d'un texte imposant une obligation.

Mais dans d' autres cas, le principe ne saurait s' appliquer: par exemple, quand il est en contradiction avec un autre principe general (comme l'egalite) ou que deux libertes se heurtent. De plus, tout ce qui n'est pas interdit n'est pas logiquement permis, car il y a aussi la sphere du << ni permis ni interdit » ( actes neutres juridiquement, absence proprement dite de droit). En deuxieme lieu, un juge ne doit pas debouter le demandeur dans tous les cas. Il peut parfai- tement prononcer un non liquet s'il ne trouve pas de droit a appliquer, du moins si l'ordre juridique ne le lui interdit pas. Enfin, en troisieme lieu, il n'existe pas de norme juridique generale en droit international qui interdise le non liquet. Il n'existe pas de conviction juridique des juges et des arbitres qu'ils ne doivent pas prononcer un tel constat, mais plutot, tout au plus, qu'ils peuvent ne pas le prononcer, selon les circonstances. En d'autres termes, le juge peut trancher de tels litiges mais il ne le doit pas dans tousles cas. On ne saurait pas non plus conclure a une analogie avec le droit interne, oil le non liquet est pro hiM par plusieurs legislations. En droit international, les normes dependent largement de la volonte des parties; il n'y a pas de legislateur; et la juridiction obligatoire y reste tout a fait exceptionnelle. Il s'ensuit que le droit international n'est pas un systeme clos ne presentant pas de lacunes.

Passons

a

quelques commentaires. Il aurait sans doute ete plus facile d'en- cadrer certains des arguments presentes si la notion de lacune avait deja ete tiree au clair- etant donne qu'il s'agit d'une notion tres peu certaine en elle-meme. Notons toutefois que la construction de Jean Salmon, tres rea- liste, se refuse de presenter le droit international comme un systeme complet

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«LACUNES EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC~ DE J. SALMON 321

et sans faille, ou tout re9oit une reglementation juridique. Ce <<totalitarisme du droit 1>, c' est-a-dire la conviction que tout probleme international se laisse entierement reduire a des termes de droit et par consequent est susceptible d'etre achemine dans tousles cas vers une solution exclusivement juridique, lui parait sans doute, et a juste titre, trop ambitieux. Le droit positifreste en de98. d une telle rule of law interna.tionale bolistique. Les faits de la vie inter- nationale tendent a le demontrer. Droit hautement imparfait et soumis aux pressions grin9a.ntes de la politique, le droit international semblerait intui- tivement plutat repu d'anfra.ctuosites et de trous peu ou.prou beants. Jean Salmon se demarque ainsi de ma.niere tangible de Sir Hersch Lauterpaoht, dont toute l' oouvre remarquable est empreinte de la lutte consistant a etendre le domaine (y compris judiciairement applicable) du droit international. Les facteurs politiques et les fluctuations qu'elles impriment au corps du droit sont en reva.nohe pleinement integres da.ns la reflex:ion mobile et subtile de Jean Salmon. Ajoutons quelques remarques eparses.

En premier lieu, en ma.tiere de regie residuelle de liberte, du point de vue logique, le domaine des actes. ni interdits ni permis ~ n'en forme pas neces- sairement une refutation. Rien n'empecbe en effet que la regie residuelle, si elle exista.it, precis&t que le domaine d'absence proprement dit du droit (le

«ni permis ni interdih) soit juridiquement a.ssimile

a.

du • non interdih, et done

a.

du licite. Etant doune que l'action n'est pas envisagee par le droit, elle reste, dans cette perspective, licite - car il faudrait une norme pour la tax er d'illicite, et cette norme fait par hypothese defaut. Exemple: !'insur- rection interne n'est pas couverte par !'article 2, paragraphe 4, de la Charte concernant le non-recours

a

la force. 11 s'agit d'un acte <<ni permis ni inter- ditt pa.r le droit international; il y a. absence de reglementa.tion, en tout cas da.ns le domaine du jus ad bellum (mais non pas dans le domaine du jus in bello) Quelle consequence en tirer ~ Que le droit international ne regit pas cette utilisation de la. force. Ma.is cela revient a dire en meme temps qu' elle n' est pas interdite par le droit international et que celui-ci ne la classera pa.s dans les a.ctes illicites. Les peoples ne commettent pas un acte international illicite en se soulevant contre un gouvernement central. Ajoutons que cette construction n'est evidemment pas ineluctable. 11 est aussi possible de dire que le« ni pennis ni interdit I> forme une singula.rite et qu'une norme concrete donnant une solution

a

l'aporie doit etre formulee par l'operateur juridique dans la mesure meme ou une decision en droit est requise de lui ( comblement d'une lacune). On mettrait ici !'accent sur le fait que <<ni interdit ni permis 1>

signifie que l'action nest pas nonplus, a priori, permise. En termes de tech- nique juridique, on niera !'existence a'une norme qui a.ssimile le cni interdit ni permis •

a.

une liberte residuene, selon le meca.nisme decrit plus haut. Da.n.s notre exemple de !'utilisation de la force au plan interne on evitera. selon cette maniere de voir a.ffirmer que l'a.c ion est internationa.lement permise, c'est-a-dire qu'elle ne forme pas un acte internationalement illicite, car ce faisant on lni dounerait un statut en droit international: on la qualifierait

(5)

322 ROBERTKOLB

de <c permise >>! La realite serait mieux refletee par une indifference du droit international a son egard. Celui -ci s' abstiendrait de prendre quelque position que ce soit a I' endroit de cette utilisation de la force, y compris de la tax er de <cpermise~ ou de «non illicite>>.

Par ailleurs, il n'en demeure pas moins que la regie de liberte residuelle n'est pas d'application generale. D'abord, elle est refutee dans certaines branches du droit par des regles de droit positif. Par exemple, dans le droit international humanitaire la clause dite de Martens, codifiee desormais dans le corps du droit positif, s'y oppose directement (3). Ensuite, la regie resi- duelle ne saurait etre appliquee dans le domaine de la collision de regles exigeant des sujets de droit une action conjointe. Ainsi, si deux Etats ont une obligation de delimiter leur frontiere (selon un pactum de contrahendo, par exemple ), ou si le juge est prie de delimiter une frontiere, queUe pourrait etre la place d'une regie residuelle de liberte? Aucune, car il n'y a pas de residu de liberte du tout. On ne saurait dire, en effet, qu'a defaut d'accord ou de sentence, un Etat puisse delimiter sa frontiere unilateralement, dans l'exercice de sa liberte residuelle. S'il en etait ainsi, I' autre Etat devrait jouir de la meme liberte residuelle; et il arreterait une autre frontiere. Alors, la frontiere unique n' aurait pas ete delimitee. On en resterait avec deux fron- tieres non opposables mutuellement. C'est manifestement autre chose. En revanche, il n' est pas dit que la regie de liberte ne pourrait pas etre appliquee

a

deux sujets de droit se reclamant de I' exercice de libertes ou de competences opposees. Techniquement, il est possible de dire que la question n'etant pas reglementee par le droit, ou qu'aucune regie n'existant qui demande l'exer- cice de la liberte dans uncertain sens, les deux Etats sont libres d'exercer leur liberte ou competence comme bon leur semble. Ce n' est pas satisfaisant, tres certainement, car on ne regie pas le litige issu de la concurrence de ces libertes; on I' expulse plutot dans le domaine du politique et le cas echeant de la politique de puissance; r:Etat plus fort risque d'imposer sa Iiberte a l'Etat plus faible. Insatisfaisant - mais en meme temps il n'y a la rien de techniquement impossible. Il pourra s' agir dans le cas decrit d'une lacune impropre (lacune de politique juridique ou de lege ferenda); mais ce ne sera pas necessairement une lacune en droit. Dernier exemple:

a

supposer que la pra- tique ne fixe pas le sort des actes illicites ( delits) dans le cas d'une succession d'Etats et qu'il n'existe pas de regie conventionnelle ou de principe general en la matiere, quel pourrait etre le role de la regie residuelle? Qu'est-ce qui formerait ici <I l'interdit >>?

A

bien y regarder rien du tout, car il s' agit plutot de determiner si une succession a automatiquement lieu en droit ou pas. Il ne s' agit pas d' evaluer une action etatique sous I' angle de sa <c permissivite

En somme, meme ceux qui admettent la regie residuelle de liberte devront admettre qu'elle n'est pas d'application universelle et qu'elle ne forme pas

(3) R. KOLB, Ius in bello- Le droit international des con flits armis, 2' ed., Bale{Bruxelles, 2008, pp. 122 et s.

(6)

«LACUNES EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC» DE J. SALMON 323

une norme de cl6ture generale du systeme juridique. Elle laissera done la place

a

d'eventuelles lacunes.

L'ampleur et le fonctionnement precis de la liberte residuelle dependent par ailleurs des branches juridiques en question et de la place respective qu'y tiennent les interets individuels et collectifs. La presomption de liberte a un corps plus consequent quand il s' agit de prerogatives territoriales, notam- ment du domaine reserve. C'est le contraire pour des activites extraterri- toriales ou pour des comportements qui affectent directement des interets juridiquement proteges d'autrui. De meme, la place de la regie residuelle se reduit dans les branches du droit international de cooperation, oil les finali- tes communes l'emportent jusqu'a uncertain point sur les particularismes.

En deuxieme lieu, il y a la question de la norme procedurale selon laquelle toute demande rejetee conduit

a

une decision au fond. Jean Salmon a raison de signaler que du point de vue logique rien n' oblige le juge

a

operer un rejet de la demande; il pent s'en tenir au non liquet. Mais il y a plus. Technique- ment, un re jet de la demande suppose un demandeur et un defendeur. Certes, un tel partage de roles existera aussi dans le cas oil une affaire est portee devant le juge par voie de compromis special plutot que par une requete uni- laterale. Il en est ainsi parce que meme dans ce cas chaque partie presentera ses moyens de droit, en et ant grevee de la charge de la preuve, et qu' elle sera a leur egard le<< demandeun. La Cour pourrait done debouter les justiciables par rapport

a

telle ou telle demande et meme par rapport

a

toutes leurs demandes (dans ce dernier cas, le probleme du non liquet pourrait surgir).

Toutefois, il y a aussi des demandes presentees conjointement relativement

a

l'objet principal du litige. Ainsi, quand deux Etats demandent au juge de delimiter une frontiere, le juge n' a pas de matiere pour debouter. Il pourra certes rejeter tel ou tel argument en faveur de tel ou tel trace de la frontiere, or cela n' aboutit certainement pas a une decision de fond - au contraire, cela conduirait si jamais

a

une non-decision sur le fond. Debouter, ce n'est done pas assurer la completude du droit dans toutes les situations.

En troisieme et dernier lieu, !'interdiction du non liquet. Il fa ut avouer que la preuve de l'opinio juris est ici difficile. Les juges et arbitres ne recourent pas

a

cette technique. lis font d'abord parler l'ensemble du corps juridique mobilisable, et comme par enchantement ils y trouvent toujours quelque regie applicable. Interpretation extensive ou dynamique; analogie avec d' autres normes; tendances du droit coutumier; analogies de droit interne et principes generaux de droit; sollicitation de la productivite de quelques grands principes de droit

a

la substance normative puissante, telle que la bonne foi ou I' equite; prise en compte du soft law (notamment par le juge interne, qui ne distingue pas toujours clairement le droit international dur et le droit international mou, qu'il connaft egalement mal); ces techniques, parmi d' autres, lui devoilent dans pratiquement tousles cas des normes juri- diques applicables. Cette situation a comme consequence que l'opinio juris relative au non liquet est impossible

a

determiner. Puisqu'ils ne recourent

(7)

324

pas

a

la notion, les juges et arbitres n'offrent pas de points de repere quant

a

savoir qu'ils sont convaincus de ne pas pouvoir juridiquement utiliser l' argument du non liquet, ou s'ils sont plutot convaincus qu'ils pourraient juridiquement !'utiliser mais qu'il vaudra mieux s'en abstenir

a

defaut de circonstances absolument contraignantes en ce sens. Etant donne cette dif- ficulte, il est sans doute difficile de conclure avec certitude

a

une interdiction du non liquet, qui devrait etre etablie positivement. Peut-etre la procedure consultative de la C.I.J. forme-t-elle une exception, la Cour n'etant pas obli- gee de reponde

a

tous les aspects souleves par une question ? La Cour a pu peut-etre le suggerer dans I' avis surles armes nucleaires de 1996, mais nous ne commenterons pas davantage cet aspect qui reste controverse(4). Notons pour terminer que l'opinio juris (et done la norme coutumiere) dont il s'agit iciest celle des juges et arbitres et non celle des Etats. Tout droit coutumier international n'est point etatique!

Reprenons desormais le fil du raisonnement de Jean Salmon. Vient la ques- tion de sa voir ce qu'il fa ut entendre par lacunes du droit international? Une lacune est un manque par rapport a un systeme de reference, par exemple I' absence du chiffre 25 dans la chaine de l a 50. En droit international, le systeme de reference est I' ensemble de ses regles, c'est-a-dire le domaine des sources du droit. Or, il existe des conceptions tres diverses sur le role des sources. Selon le sens auquel on s' attachera, une lacune apparaitra ou n' ap- paraitra pas. Par exemple: les principes generaux du droit par analogie aux ordres juridiques internes ont ete introduits dans le Statut de la C.P.J.I.

pour combler des lacunes du droit conventionnel et coutumier; mais en tant que droit positif introduit dans le Statut, les principes generaux font par- tie de l' application du droit en vigueur et font disparaUre des lacunes. Et aussi: le role des principes generaux est conteste; que l' on songe par exemple aux conceptions sovietiques

a

cet egard. De plus, il faut concevoir le droit international comme un systeme hautement dynamique et evolutif: acce- leration de la coutume, role des organisations internationales et de leurs resolutions, role de sources subsidiaires telles que la jurisprudence, etc. Ces faits deplacent le reduit dans lequel se meuvent d' eventuelles lacunes. ll fa ut aussi se rendre compte que la question des lacunes n' apparaitra que dans un contexte situe, c' est-a-dire dans la situation juridique entre deux ou plusieurs Etats concrets. Il se peut ainsi parfaitement qu'une lacune se manifeste dans la situation entre les Etats A et B, mais non dans la situation juridique entre les Etats B et C -par exemple, parce qu'il y a des titres historiques entre ces derniers, ou

a

cause d'une situation d'acquiescement. Enfin, il faut se

(4) Voy. par ex., J. SALMON, Droit international ... , op. cit., pp. 253 et s., ou C. DOMINICE, •La societe internationale a la recherche de son equilibre», R.C.A.D.I., vol. 370,2013, pp. 263 et s., ou encore D. Bon~'<SKI, <<Non Liquet and the Incompleteness of International Law•, in L. BOJSSON DE CHAZOURNES et P. s~'<DS (eds), International Law, The International Court of Justice and Nuclear Weapons, Cambridge, 1999, pp. 153 et s., ou enfin, P. WEIL, <<The Court Cannot Conclude Defini- tively ... ,Non Liquet Revisited•, Columbia Journal ofTransnational Law, vol. 36, 1998, pp. 109 et s.

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<•LACUNES EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC& DE J. SALMON 325 rendre compte que le sens des regles doit d'abord etre determine. C'est le domaine de !'interpretation. Or, selon la maniere d'interpreter telle ou telle regie, une <• lacune » se manifestera ou ne se manifestera pas. Des o bscurites et des incertitudes pourront etre ecartees: par exemple, !'Organisation des Nations Unies peut-elle presenter une reclamation fonctionnelle pour des dommages causes a l'un de ses fonctionnaires? Selon la maniere de voir, il y a ici une lacune (ecartee par !'interpretation ou la creation d'une norme) ou il n'y a pas de lacune (etant donne que la norme telle qu'interpretee etait applicable a la situation en cause). 11 sied aussi de signaler qu'il y a parfois un discours de lacunes de lege ferenda: on estima alors que la reglementation telle qu' elle est n' est pas satisfaisante du point de vue de I' opportunite, de la justice ou de l'equite. En conclusion, le concept de lacune peut s'appliquer a des situations tres diverses entre elles.

Passons ici encore a quelques commentaires. Malgre toutes les differences entre le droit international et le droit interne, il n' est peut-etre pas in utile de systematiser quelque peu la definition des lacunes selon la science juri- dique issue du droit romain. Une <dacune>> implique I' absence d'une regie necessaire pour regir une situation ou trancher un litige que le droit souhaite regenter. U n tel silence est une incompletude non voulue du droit, c' est-a-dire une incompletude accidentelle. 11 s' analyse pour cette raison comme lacune.

Celle-ci se distingue tout d' abord de ce que le juriste appelle le<< silence qua- lifie». Dans ce cas, le silence du legislateur est ret1echi, pondere et voulu.

Celui-ci n'a pas souhaite rattacher a une certaine situation les consequences prevues dans une regie ou n' a pas souhaite rattacher a cette situation des consequences juridiques tout court. L'absence de reglementation veut dire juridiquement que telle ou telle consequence ne peut pas etre appliquee au cas d'espece. Exemple: dans le droit suisse, il etait prevu que chaque action- naire puis se contester devant le juge toute decision del' Assemblee generale d'une societe anonyme qui serait contraire a la loi ou aux Statuts. Peut-on etendre ce droit d' action a des decisions du Conseil d' administration 1 Le Tribunal federal(5) avait estime que la non-mention du Conseil d'adminis- tration dans la loi equivalait a la volonte du legislateur d' exclure le rec.ours dans ce dernier cas. Le silence etait done qualifie et non pas une lacune qu'il aurait fallu combler. C'est manifestement une question d'interpretation. On notera que tout silence n'est done pas necessairement un silence qualifie, et que le legislateur n'est pas cense avoir toujours parle (lex semper loquitur).

Dans le cas oil il existe une lacune, la science juridique distingue des lacunes intra legem et des lacunes praeter legem. Les premieres ne sont pas de vraies lacunes; il s' agit plutot d' espaces d' appreciation et de flexibilite ouverts volontairement par le legislateur. 11 en est ainsi, par exemple, lorsqu'une norme renvoie a des considerations d'equite ou a des standards tels que les bonnes mreurs. La norme n' est ici assurement pas complete dans son schema

(5) ATF 76, II, pp. 61-62.

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normatif; elle doit etre concretisee au cas d' espece par l' operateur juridique, notamment le juge; c' est la raison pour laquelle, dans un sens large, elle est classee parmi les lacunes. Or, au sens etroit, cette classification est trompeuse, car le systeme juridique contient tous les outils necessaires pour appliquer ce type de normes. Il n'y a aucune incompletude accidentelle. Les lacunes praeter legem sont de deux types: reelles ou impropres. Une lacune de ce type est reelle quand l' ordre juridique ne prevoit pas de norme pour une question que par ailleurs il regente, c'est-a-dire une situation qu'il ne souhaite pas laisser hors du droit. Exemple: le droit suisse reglementait la question de la reparation du fait qu'un proprietaire foncier excede son droit et cause a un voisin un dommage illicite. Mais la norme applicable ne prevoyait rien relativement a un exercice licite des droits de propriete, qui causeraient tou- tefois des empietements excessifs sur les biens-fonds voisins. Le Tribunal federal(6) a ici reconnu I' existence d'une lacune qu'il a comblee modo legis- latoris. Une lacune de ce type est impropre quand le droit prevoit une regie, mais qui heurte le sentiment de justice ou d'equite. C'est la le domaine des lacunes de lege ferenda. L'histoire du droit est remplie de normes iniques (7).

En regie generale, le juge devra s'incliner devant la norme injuste. Mais il devra d' abord tirer toutes les ficelles de !'interpretation pour tenter de la neutraliser. Il devra ainsi considerer dans queUe mesure des principes gene- raux peuvent I' aider dans son effort de desintoxication de l'ordre juridique, par exemple la bonne foi ou !'interdiction de l' a bus de droit. Dans des cas extremes, pourrait-il invoquer le droit naturel? Ancienne et tragique ques- tion de philosophie du droit, qui evoque a l' observateur accidental immedia- tement Sophocle et Antigone.

Ces preceptes et outils analytiques peuvent dans l' ensemble etre transferes vers le droit international. Toutefois, leur maniement y est plus complexe, et ce pour plusieurs raisons. La normativite internationale est plus complexe et touffue; elle est a geometrie variable. Il est done plus difficile de determiner oil s' arrete la normativite et ou commence le domaine des lacunes poten- tielles. Les divers types de normativite (dure, molle) y ajoutent un trait de complexite supplementaire. L' absence de juge regulier rendra plus difficile le constat de la lacune. Enfin, l' enchevetrement plus marque du droit et de la politique dans les affaires internationales estompera encore davantage les frontieres entre les phenomenes.

Le point le plus important, sur lequel Jean Salmon met justement I' ac- cent, est que la lacune est un concept fuyant.

A

la rigueur, rien n'empeche de dire qu'en cas de «lacune» dans un traite s'appliquera le droit internatio- nal coutumier; ou inversement, qu' en cas de<< lacune )) dans le droit interna- tional coutumier, il ne sera possible d' appliquer que du droit international particulier (traites, situations juridiques subjectives, etc.), ou des principes

(6) ATF 91, II, pp. 106-107.

(7) Voy. par ex., E. VON HIPPEL, Die Perversion von Rechtsordnungen, Tiibingen, 1955.

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<<LACUNES EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC>> DE J. SALMON 327 generaux de droit. Mais c'est la rattacher le terme «lacune>> a chaque acte ou corps juridique pris isolement, ce qui n' est pas usueL Il est plus conforme a la tradition de cantonner le terme (( lacune )) a une absence involontaire et accidentelle de rrorme par reference a I' ensemble du systeme juridique en cause. Or, le systeme dans son ensemble connait de multiples couches de norrilativite: ( 1) expresse, (2) implicite, (3) issued' analogies, ( 4) issue de prin- cipes generaux de droit, ou (5) issue des valeurs fondamentales sous-jacentes au systeme juridique. Selon le point de reference, il y aura ou non lacune.

Le point de reference peut etre etroit (cercle 1) ou tres large (cercle 5). En somme, la complexite du terme << lacune >> reflete la complexite de la norma- tivite juridique. La complexite du processus d'interpretation, qui deplacera tout autant the moving frontier entre le domaine de la regie et le domaine de la lacune, vient s'y ajouter.

Reprenons maintenant pour une derniere fois le fil du raisonnement de Jean Salmon. Vient la derniere question : les organes ay ant qualite pour eo m- bier les lacunes du droit internationaL Le comblement des lacunes se fait soit par le legislateur (en droit international, ce sont les sujets de droit) ou par le juge. Le premier comb le des lacunes par !'interpretation authentique, par la creation de droit nouveau, ou par la revision du droit re-;m. Le second comb le des lacunes dans ses decisions. Il arrive que des textes prevoient I' interdiction pour le juge de prononcer un non liquet ou de refuser de statuer sous pretexte d'obscurite du droit. Meme en I' absence de tels textes, les juges et arbitres comb lent les lacunes et ne prononcent pas un non liquet. Cela repose a la fois sur l'interet general (mettre fin aux litiges) et sur la volonte des Etats qui, en soumettant la contestation au juge, ont entendu lui apporter une solution en droit. Dans l'exercice de cette faculte de<< comblement», les tribunaux veillent a ne pas sortir du caractere essentiellement judiciaire de leur mission.

Au vu de son integrite judiciaire, il y a ainsi des limites inherentes ace qu'un tribunal peut faire. S'agissant de lacunes de lege ferenda, elles ne pourront etre comblees que par un organe politique ou par un juge statuant comme amiable compositeur ou en equite. En somme, beaucoup depend en cette matiere de la politique judiciaire. Ainsi, la C.I.J. a fait reuvre pretorienne dynamique dans les affaires Reparation des dommages de 1949 ou Nottebohm de 1955, alors qu'elle s'y est refusee dans les affaires du Sud-Ouest Ajricain de 1966. Interpretation et creation du droit se jouxtent et se guettent. La frontiere ne decoule pas toujours de notions objectives.

Passons de nouveau a quelques commentaires. Au sens large, tout acte de legislation et toute decision judiciaire comb le une <<lacune>> au sens qu'il cree du droit nouveau, ou qu'elle en precise les contours. Le pouvoir du legisla- teur de combler des lacunes est illimite dans le cercle de validite de ses actes (en droit international, par exemple, deux Etats ne pourront legiferer que pour eux-memes dans un traite bilateral; pour les autres Etats s' applique la regie res inter alios acta). Au contraire, le pouvoir du juge de combler des lacunes est essentiellement limite. Il depend de I' idee que le juge se fait de la

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limite, dans un cas donne, entre l' application du droit et sa revision, entre une interpretation extensive et la modification de la norme, entre le reel est le desirable. Il depend aussi de la mission impartie au juge. Elle peut etre d' appliquer le droit, mais parfois aussi de statuer en equite. Cette frontiere entre les phenomenes du donne et de I' ajoute ne peut etre indiquee une fois pour toutes. Elle depend de facteurs d'appreciation d'espece, mais aussi du temps auquel elle a lieu (temps de crise ou de detente) ainsi que des relations entre les justiciables (tendues ou cordiales). La matiere sous consideration et son evolutivite a un moment donne, ne sont pas moins pertinEmtes. La C.I.J.

a ainsi pu se montrer des 1969 plus hardie dans le comblement de lacunes en matiere de delimitation maritime, d'abord avec sa jurisprudence axee sur les principes equitables, ensuite avec son retour vers l'equidistancefcircons- tances speciales, qu' elle ne pourrait se le permettre par exemple en matiere de desarmement, empreinte d'interets etatiques vitaux et particularistes.

Cela nous amene vers un dernier aspect. Quellien entre les developpements dans !'article de 1967 et I' avenir du droit international en matiere de lacunes?

Notons d'abord que la question des lacunes, dans sa mouture technique, est une question eternelle de tres grandes dimensions. Elle touche au trefonds du systeme du droit in~ernational et a son fonctionnement. C'est dire que les lineaments de I' analyse juridique ne changent pas; les developpements de Jean Salmon n'ont pas pris une ride. Toutefois, un regard vers l'avenir reste possible. La question des lacunes se pose actuellement sur deux plans assez differents, quand on la regarde a vol d'oiseau et au-dela des aspects techniques deja abordes.

D'un cote, les <• lacunes ~> du droit international regressent a mesure que la normativite internationals s'accroit, s'etoffe et se densifie. Depuis 1967, d'innombrables normes ont ete adoptees alors que concomitamment peu de normes ont ete abrogees. De nos jours, plus de lOO 000 traites sont appli- cables dans le monde. D'innombrables sources de droit particulier s' ebranlent au-dessous des traites. Le droit coutumier etend son emprise-<• delices et poisons du tout est coutume» a-t-on pu ironiser(S). Les principes generaux accroissent egalement leur rayon d' action, par exemple, le principe de precau- tion ou d'impact environnemental. Des lors, de plus en plus de regles tiennent le haut du pave; elles s'offrent aussi comme bases d'analogie et nourrissent parfois de nouveaux principes. En somme, le domaine de la productivite des sources est accru; il fonctionne a plein regime. En contre-jour, les lacunes regressent comme la neige sous I' empire du soleil ascendant.

D'un autre cote, le droit international public reste etroitement lie a la politique. Par son contenu, mais non par sa structure, c'est un droit public, comme I' est aussi le droit constitutionnel. Or, le droit public est par essence

(8) P. WEIL, •Le droit international en quete de son identite•, R.O.A.D.I., vol. 237, 1992-VI, pp.l60 et s.

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<<LACUNES EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC>> DE J. SALMON 329

<<lacunaire>>. Le pouvoir ne reglemente pas !'ensemble du domaine de son action pour la placer sous les fourches du droit. 11laisse de la place pour la politique et pour les conceptions changeantes de majorites politiques nou- velles. 11 en va ainsi aussi pour le droit international. 11 ne vi se pas a<< juri- difien !'ensemble de la politique etrangere des :Etats (ou d'autres sujets).

A

bien y regarder, c'est le cas aussi du droit prive, qui ne veut pas reduire a neant «l'autonomie privee>> des individus. Cette autonomie privee est le domaine de leur <<politique>> privee. Ce qui vient d'etre dit est d'autant plus significatif a une epoque, comme la notre, oil fleurissent les particularismes nationaux et oil la mefiance vers !'international s' accroit, y compris dans son berceau d' antan, a sa voir !'Europe. Le lien juridique impose par le droit international n'y est pas toujours per~m comme un bienfait, ordonnant au droit I' action autrement anarchique d'Etats et reduisant les effets nefastes de cette action sur la communaute internationale. Au contraire, ces liens juridiques sont per~ms comme une intervention mal venue d'un droit lointain dans le domaine vivant del' autodetermination des peuples autochtones et du jeu de la democratie, impliquant le pouvoir souverain du peuple de choisir autrement. Cette tendance est de nature

a

vouloir reintroduire des lacunes et des silences dans le corps du droit international, comme autant de bouees d'oxygene et de liberte pour un droit interne deja trop assailli par des obli- gations internationales. 11 n'est pas sur que le compte soit bon, mais la n'est pas le point: quod fieri non debet, factum valet.

En somme, nous sommes temoins d'un mouvement contradictoire: ici un renforcement du droit et un reflux concomitant de ses lacunes; la un affaiblis- sement du droit et un retour de la lacune. Ici la lacune comme un mal, car elle designe a l' action non balisee par le droit (et done a la politique de puissance) les domaines qu' elle recouvre de son sceptre peu auguste; la la lacune comme un bien, car elle libere le droit interne et les peuples de la gangue d' obligations internationales trop rigides et excessivement expansionnistes. La lacune, force invisible du droit peut-etre, mais toujours presente en contre-jour, comme l' antimatiere qui explique et dirige la matiere, comme l' ombre qui assigne sa place aux faisceaux mouvants de la lumiere qu' epanche le radieux soleil. Droit et non-droit, obligation et liberte, reglementation technique- ment parfaite et reglementation techniquement defaillante - l a encore, que de questions eternelles de toute analyse juridique. Rien de plus enrichissant que la reflexion sur ces notions cardinales du droit. Rien de plus profond que la norme et son ombre, la lacune.

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