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L'expert et le Tribunal international du droit de la mer

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L'expert et le Tribunal international du droit de la mer

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, GROS, Guillaume Yvan Jean

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, GROS, Guillaume Yvan Jean. L'expert et le Tribunal international du droit de la mer. In: Les 20 ans du Tribunal international du droit de la mer . Paris : Editions A.Pedone, 2018. p. 181-201

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:102883

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l'EXPERT ET LE TRIBUNAL INTERNATIONAL DU DROIT DE LA MER

Laurence BOISSON DE CHAZOURNES Professeure à l'Université de Genève

et Guillaume GROS

Avocat et chercheur, doctorant à l'Université de Genève

Au cours de la dernière décennie, l'expert est devenu un acteur de plus en plus visible dans le processus judiciaire international. Les différends internationaux impliquent en effet un nombre croissant de problématiques techniques ou scientifiques complexes. Parties et juges font souvent appel aux conseils d'experts pour trancher de tels litiges. Dans ce contexte il est intéressant de remarquer que, dès 1982, les Parties à la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer de Montego Bay (la Convention) avaient considéré de manière spécifique la question des faits scientifiques et techniques - caractéristique du droit de la mer selon elles - et établi un mécanisme de règlement des différends en conséquence. Dès sa création, le Tribunal international pour le droit de la mer (TIDM) était donc appelé à jouer up. rôle particulier dans le règlement des litiges comportant une base scientifique.

De manière générale, le traitement des questions scientifiques et l'utilisation corrélative des experts par des juges internationaux suscitent de nombreux commentaires1La prise de conscience du poids de cet acteur dans le processus judiciaire international va de pair avec les réflexions critiques d'universitaires et de praticiens relativement au régime applicable2Le contentieux devant la Cour internationale de Justice (CIJ) fournit à cet égard de nombreux exemples de

1 V. i.a. les ouvrages de J. PEEL, Science and Risk Regulation in International Law, Cambridge, CUP, 2010, 416 p. ; C. FOSTER, Science and the Precautionary Principle in International Courts and Tribunal, Cambridge, CUP, 2013, 400 p.; A. RIDDELL, B. PLANT, Evidence Before the International Court of Justice, London, British Institute of International & Comparative Law, 2009, 409 p. Philippe Sands identifie ainsi un << time of change, requiring us to reinvent our expectations as ta the w<ry in which international courts and tribunals, such as the ICJ, will acijudicate on scientific and technical issues of a certain complexity » : Ph. SANDS, << Water and International Law : Science and Evidence in International Litigation », Environmental Law &Management, 2010, p. 151-161, p. 161.

2 V. i.a. : M.M. MBENGUE, <<International Courts and Tribuoals as Fact-Finders: The Case ofScientific

Fact-Finding in International Adjudication», Loyola of Los Angeles International and Comparative Law Review, 2011, p. 53-80, p. 73 ; Ph. SANDS, loc. cil., note 1, p. 161 ; M.M. MBENGUE, T. SCOVAZZI,

<< The Role of Experts before the International Court of Justice : The Whaling in the Antarctic case », QIL-QDI, 2015, p. 21-49.

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LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & GUILLAUME GROS

discussions doctrinales3. De manière surprenante, en dépit de la nature technique des contentieux en droit de la mer, le régime de l'expert devant le TIDM ne semble pas pour l'instant avoir soulevé autant d'attention. Cet article entend donner un aperçu de ce régime, à la fois d'un point de vue théorique et d'un point de vue pratique. Pour cela, les réflexions qui vont suivre sont alimentées par les résultats d'un projet intitulé « Expert and international Courts and Tribunals » conduit à l'Université de Genève et financé par le fonds national de recherche suissé. Cette recherche qui se donne comme objet les textes mais également les pratiques des juridictions internationales, utilise dans cette optique l'opinion d'acteurs de la vie judiciaire (magistrats, conseils et experts) consultés au moyen de questionnaires et d'entretiens.

L'article examinera en premier lieu le cadre légal entourant la présence de l'expert devant le TIDM. L'étude de ce cadre révèlera certains attributs «classiques», communs aux tJ.ibunaux et cours internationaux, avant de permettre l'identification de caractéristiques propres au Tribtmal international du droit de la mer (l).

La deuxième section traitera de l'utilisation faite par le Tribunal de ce cadre légal.

Parallèlement à l'importance prise par l'expert dans le mécanisme de prise de décision du TIDM, apparaît une utilisation prédominante de techniques de common law qui pose certaines questions (II). En dernier lieu, un problème précis nous occupera: les qualités requises d'un expert dans un contexte judiciaire. Un accent particulier sera placé sur la question de l'indépendance de l'expert, question intimement liée à la défmition de son rôle (Ill).

I. UN CADRE LÉGAL ENTRE CLASSICISME ET ORIGINALITÉ

Le cadre légal entourant le régime de l'expert devant le Tribunal présente un certain nombre de traits communs d'importance avec les règles des autres juridictions internationales sur ce sujet. (A). La Cour internationale de Justice tient une place particulière dans cette comparaison en raison de la quasi-identité de la plupart des dispositions de leur Règlement respectif concernant l'expert.

Cependant un examen plus approfondi révèle d'intéressantes spécificités, dont une orientation décelable des textes vers la common law (B).

A. Des caractéristiques communes aux tribunaux internationaux L'étude des règles encadrant le recours à l'expertise devant le Tribunal révèle un certain nombre de caractéristiques communes à l'ensemble des tribunaux et

3 Par exemple : C. FOSTER, << New Clothes for the Emperor ? Consultation of Experts by the International Courl of Justice >>, Journal of International Dispute Settlement, 2014, p. 139-173, p. 142; O. PEAT, << The Use of Court-App~intcd Experts by the International Court of Justice >>.

BYBIL, 2013, p. 271-303; G. GROS,« The ICJ's Handling of Science in the Whaling in the Antarctic

Case: A Whalc of a Case?», JoumtJ/ oji11fernational Dl:ipmeSelt!l!f/lerzt, 2015, p. 578~620.

4 <cExperts and lntcrnationa\ Courts and Tribunnls >>,Projet dcfiXhcrchc n° : 10001A~I561\7, du Fonds national de recherche suisse, dirigé par les Professeurs Laurence BOISSON DE CHAZOURNES et Makane Moïse MBENGUE, Guillaume GROS et Rukmini OAS, chercheurs dans le cadre de ce projet.

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cours internationaux5. Ces caractéristiques peuvent se regrouper selon deux axes : largeur et profondeur. D'une part, en abscisse, l'étendue matérielle des règles autorise une très grande variété de pratiques provenant de différentes traditions juridiques. En ordonnée, les règles encadrant l'expertise6 présentent un caractère général et sont relativement peu développées et précises en comparaison des systèmes de droit national. Relativement à l'étendue de ces règles, le régime de l'expert devant le TIDM peut se définir par son «syncrétisme procédural » : il combine des mécanismes propres à la common law et des caractéristiques de la tradition civiliste. Ce régime organise ainsi la possibilité d'interrogatoire et de contre-interrogatoire des expertS présentés par les parties7, réserve au juge le pouvoir de leur poser des questions8 et établit la capacité du Tribunal de nommer son/ses propres experts9Le Tribunal peut parallèlement se faire assister dans sa mission par des assesseurs qui sont des experts siégeant au sein du Tribunal mais dépourvus de droit de vote10Cet ensemble de mécanismes, que l'on retrouve devant nombre de juridictions internationales, a été décrit dans le cas de la CIJ comme «a combination of Anglo-American law and civil procedure» 11 Concernant le caractère de ces normes, on remarque leur peu de précision12, le juge bénéficiant d'un large pouvoir d'appréciation quant au type de méthode et de procédure qu'il choisit de privilégier dans le cadre de sa mission d'établissement des faits. La décision récente dans l'affaire opposant les Philippines à la Chine offre une illustration particulièrement claire de cette flexibilité généralement offerte au juge en droit intemationa113

Au-delà de la similarité générale des règles encadrant l'expertise devant le TIDM avec les autres forums juridictionnels internationaux, le cas de la CIJ se détache.

En effet, le cadre d'intervention de l'expert prévu par le Règlement du Tribunal

5 Sur l'existence de ces caractéristiques partagées: F. ROMANIN JACUR, << Remarks on the Role of Ex C11ria Scientific Experts in International Disputes», in Jmemational Courts and the Development of lntemolional Law. Essays in Honour ofTullio Trevey, The Hague, Asser Press, 2013, 951 p., p. 441- 455, p. 442.

' Experli$c est entendue ic~ lata sensu. comme toute procédure faisant intervenir un Cltpcrt dans un cadre judiciaire, er non au sens précis désignant le processus visant à ln réalisation d'un rappon par un expert désigné par le juge comme c'est le cas dans les pays de trndition légale civiliste.

7 Article 72, Article 78 ct Article 80 du Règlement.

• Article 80 du Règlement.

9 Article 82 du Règlement

10 Article 15 du Règlement.

11 D. SANDIFER. Evidence before lntematlonal Tribunals, Charlottesville, University Press of Virginia, 1975,519 p., p. 307. Sur les rclalions entre droit international et traditions légales nationales:

C.B. PICKER, « International Law's Mixed Heritage : A Common/Civil Law Jurisdiction », Vanderbilt Journal of Transnational Law. 2012, p. 1083-1140; J.A. JOLOWICZ, <<L'expert le témoin et le juge dans le procès civil en droits français et anglais >>, Revue i111emationale de droit comparé, 1 977, p. 285-300.

12 F. ROMANINJACUR.ioc. cil, note 5. p. 448; Ph. SANDS,/oc. clt, noteS, p. !53.

u CP A, Arbirragl! relatif ô la mer de Chine méridionale (Républfque des Philippines c. Rép11blique populaire de Chine), SA du 12 Juillet 2016. Le Tn'buoal arbitral dans sa mission d'établissement des faits, s'est appuyé sur l'opinion d'tm assesseur, en ayant recours en meme temps à des rapports établis par un groupe d'expert et un expert individuel par lui nommé, tout en confrontant ces explications aux rapports fournis par différents experts des Philippines.

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LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & GUILLAUME GROS

est des plus similaire, sinon identique au Règlement de la CIJ. L'étude des travaux préparatoires, c'est-à-dire des proposttwns de la Commission préparatoire14 et leur discussion15, révèle que dix articles ont été directement repris des règles prévues pour la Cour de la Haye16Les modifications opérées sur les propositions de la Commission ont été rrrinimes ou inexistantes, nombre de dispositions ayant été adoptées telles quelles. Cette forte similarité du point de vue du règlement rend particulièrement intéressante l'étude comparée de la pratique des deux juridictions. L'analyse comparative permettra de rendre en effet visible l'importance des choix opérés par les juges dans l'orientation donnée à l'expertise.

On rappellera que le régime de l'expert devant le TIDM ou la CIJ prévoit sommairement les éléments suivants : les parties peuvent présenter les experts qu'elles souhaitent après indication en amont de la procédure de leurs nom et qualités et les juges fixent les modalités de l'examen des experts après s'être renseignés sur les vues des parties. Suite à une prestation de serment les experts seront interrogés et contre interrogés par la partie adverse. L'interrogatoire à lieu sous l'autorité du Président et les juges peuvent poser des questions tant aux parties qu'aux experts. En outre, l'article 82 du Règlement prévoit pour le Tribunal la possibilité, dans les mêmes termes qu'à la CIJ, de nommer ses propres experts. Enfin les juges ont également la possibilité de nommer des experts agissant comme assesseurs17, en vertu de l'article 15 du Règlement.

Certaines des analyses réalisées au sujet des règles de la CIJ sont donc également valables pour le Tribunal. On remarquera à cet égard que la figure de 1 '« expert- témoin »18 dans les systèmes nationaux de common law fonctionne dans un cadre procédural particulièrement dense19, en particulier en ce qui concerne les

14 Preparatbry Commission for the International Seabed Authority and for the International Tribunal for the Law of the Sea. Sur ce processus: P. CHANDRASEKHARA RAO, Ph. GAUTIER (dir.), The Ru/es

~l the International Tribunal for the Law of the Sea : A Commentary, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Pub lis hers, 2006, 524 p.

15 « The general procedures for the fnnctioning of the tribunal and its powers are on the !ines of the Stalute of the International Court of Justice », Memorandum par le President de la Conference, document A/CONF.62/WP.9 Add.l, p. 121.

16 L'article 72 du Règlement du TIDM est repris de l'article 57 du Règlement de la CIJ, l'article 73 est repris de l'article 58, l'article 77 de l'article 62, l'article 78 de l'article 63, l'article 79 de l'article 64, l'article 80 de l'article 65 et l'article 82 de l'article 67.

17 On entend par assesseur une« Personne qui siège auprès d'une autre pour l'assister dans ses fonctions, et au besoin la suppléer», Dictionnaire de l'Académie française (9'"" édition), Imprimerie nationale/Fayard, 2011, [disponible à http://atilf.atilf.fr/dendienlscripts/generic/cherche.exe?

15;s=3242078670]. On utilisera dès lors l'expression « expert-assesseur» pour désigner les experts considérés aux articles 289 de la Convention et 15 du Règlement.

" L'expression expert-témoin est la traduction de l'anglais expert-wilness qui désigne dans les pays de common law l'expert présenté par une partie au support de sa cause en vue de la production de matériel probatoire. L'expert-witness déposera dans les mêmes conditions formelles qu'un témoin mais sur la base de ses compétences particulières en un domaine et non de sa seule expérience personnelle d'une situation de fait. V. Sr. S. HUYGHE, A. CHAN, « The evolution of expert witness law under UK and US jurisdictions »,Construction Law international, 20!3, vol. 8, n° 4, p !4.

19 C. PEJOV!C, << Civil Law and Common Law : Two Different Path Leading to the Same Goal >>, Victoria University ~l Wellington Law Review, 2001, p. 817-841.

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questions de recevabilité des preuves et garanties du due process. Or ces garanties ne se retrouvent ni devant le Tribunal ni devant la Cour. Il n'existe pas de règles établies par exemple concernant l'interdiction ou la permission des leading quesfioni0 (questions suggestives) ou la possibilité de soulever objections et commentaires. Par conséquent, ce défaut de précision laisse suggérer des difficultés pratiques potentielles et pourrait même permettre un questionnement en termes de sécurité juridique pour les parties. Pour le cas de la Cour certaines de ces difficultés ont été mises en évidence dans certaines affaires21

Le caractère commun de nombreuses dispositions encadrant l'expertise devant le TIDM et la similarité du Règlement sur ce point avec le Règlement de la CIJ, ne doivent pas conduire à masquer les spécificités du régime de l'expertise ni le caractère exceptionnel de certaines des techniques prévues par le Tribunal.

B. Des spécificités remarquables

En premier lieu on remarquera le caractère original de l'agencement normatif des dispositions relatives à l'expert. Les dispositions le concernant se trouvent dans trois instruments différents, le Statut du Tribunal n'en faisant toutefois aucune mention. Cette absence dans le Statut est une particularité du Tribunal, et comme nous le verrons par la suite, cette absence n'est pas anecdotique. Les dispositions relatives à l'expert sont contenues dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le Règlement du Tribunal et l'accord de siège conclu avec la République fédérale d' Allemagne22. Ainsi, la Convention en son article 289 prévoit que «pour tout différend portant sur des questions scientifiques ou techniques, le Tribunal peut, à la demande d'une partie ou d'office, choisir au moins deux experts scientifiques ou techniques » qtù prendront part aux délibérations et seront choisis de préférence sur des listes préétablies. Le Règlement mentionne l'expert dans 14 de ses articles23, et considère les <<ex--perts- assesseurs »24, les experts des parties25 et les experts nommés par le Tribunal en

20 La définition en est : << A type of questioning in that the fonn of the question suggests the aoswer. ln general, leading questions are not allowcd during the direct examination of a witness, however, they are allowed on the cross-examination of a witness »,Legal Encyclopedia, The Legal Information lnstitute, Comell University Law School [https://www.law.comcll.cdulwcxllœding_question].

21 On notera que la devant la Cour intcmatlonnle de Justice, M. Gross au cours de sa plaidoirie dans l'affaire du Sud-Ouest africain, remarqua<<( ... ) it will be apparent thal in this Court ru/es of procedure and of evidence are not as easy to come by as in municipal courts ; the line that is sought to be drawn berween cross-examination, objection and comment will therefore present serious difficulties ( ... ) » : Sud-Ouest africain, (Libéria c. Afrique du Sudj et (Ethiopie c. A.frique du Sud), deuxième phase, arrêt du 18juillet 1966,Rec. CJJ,l966,p. 6.proc~ureorale, CR 1965/3, voLX, p. 122.

22 Accord sntre le Tnounal international du droit de la mer et la République fédérale d'Allemagne relatif au siège du Tribunal du 14 décembre 2004, régies par les dispositions de la Convention sur les privilèges et immunités des Institutions spécialisées du 21 novembre 1947, telle que l'applique le pays hôte, conformément à son Ordonnance sur les privilèges et immunités du Tlibunal international du droit de la mer du 10 octobre 1996.

23 Règlement, articles: 15, 42, 44, 72, 73, 77, 78, 79, 80, 82, 83, 85, 86, 125.

24 Règlement, article 15.

25 Règlement, article 72.

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vue de la réalisation d'une expertise26L'accord de siège mentionne l'expert en relation avec les questions de privilèges et immunités27Le document distingue deux catégories d'experts : ceux nommés en application de l'article 289 de la Convention des Nations-Unies sur le doit de la mer et les autres. Cette dernière catégorie regroupe, par lecture combinée du Règlement, les experts des parties et les experts nommés par le Tribunal28Cette distinction dans le régime et le statut des experts est propre au TIDM et emporte de nombreuses conséquences, sur lesquelles nous reviendrons.

Pourquoi cette dispersion et cette absence dans le Statut du Tribunal ? Cet état de fait peut s'expliquer par le traitement particulier des questions scientifiques devant le TIDM, qui ont été organisées au niveau de la Convention des Nations- Unies sur le droit de la mer et par le système de règlement des différends afférant dont le Tribunal n'est qu'une partie. Un éclairage historique se révèle des plus utile pour comprendre ces particularités. Lors de la négociation de la Convention, il ne s'agissait pas «seulement» d'établir un tribunal mais de prévoir un système de règlement des différends spécifique à une branche naissante du droit international. L'importance du règlement des différends dans le cadre de la Convention négociée dans son ensemblé9 est résumé par la formule de H.S Amerashinge alors président de la conférence : ((As the subject of disputes would be an essential and vitally important element in the proposed convention ... »30. Deux considérations étaient véritablement au cœur des débats : d'une part la technicité de la matière et sa très forte composante scientifique et d'autre part la recherche de flexibilité alliée au caractère pluriel d'un système accommodant la diversité des situations conflictuelles. Les Etats envisagèrent dans un premier temps, un mode de règlement spécial, basé sur la participation d'experts et adapté aux questions techniques, préalable à une éventuelle phase de règlement judicaire classique. Dans de nombreuses propositions, le règlement judiciaire par un tribunal n'intervenait ainsi qu'à titre subsidiaire. En outre, les négociateurs ont fait place à tme pluralité d'organes juridictionnels compétents (TIDM, CIJ et tribunaux arbitraux) et à leur coordination. C'est donc un système de règlement des différends, impliquant des mécanismes spécifiques pour le traitement des données et cas techniques, et non une seule juridiction qui a été

26 Règlement, article 82.

27 Principalement les articles 20 et 22 de l'accord de siège.

28 Accord de siège : « 1) on entend par "expert" toute personne appelée à la demande d'une partie à un différend ou du Tribunal à faire une déposition sous forme d'une expertise en raison de ses connaissances, de ses compétences, de son expérience ou de sa formation particulières; rn) l'expression

«expert désigné conformément à l'article 289 de la Convention» désigne toute personne désignée conformément audit article pour siéger au Tribunal ».

29 Le lien entre les questions juridiques de fond et le règlement des différends a été clairement mis en évidence, ct sous-tend la plupart des interventions des négociateurs. On citera ainsi le représentant néerlandais: «dispute Settlement was not a separate branch ~f international law, but was related to the substantive ru/es in dljferentf/e/ds ofinremOiional law»: NCONF.62/SR.60, § 1, 6 Avril\976.

30 A/CONF.62/WP.9, Informa/ singlenegorlatlng text, (part IV), 21 juillet 1975.

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mis en place31. Pour cette raison, à la différence des autres juridictions internationales, le Statut du Tribunal ne comporte aucune disposition traitant de l'expert. La question de l'expert a été traitée à un niveau différent, « global », intégrant le TIDM.

Ce contexte historique étant précisé, il convient de souligner le caractère remarquable de l'article 289 de la Convention, dans le cadre du système de règlement des différends internationaux. En effet, le mécanisme de liste d'experts ne semble prévu par aucun autre système au niveau international.

Rappelons que le Tribunal32 comme la CIJ33 ou tout tribunal arbitral visé par la partie XV de la Convention, est susceptible d'adopter le système prévu par l'article 289 s'il était saisi d'un litige en vertu de la Convention. Cependant, le Tribunal du fait de la précision des dispositions visant spécifiquement l'article 289 dans son Règlemenë4 et son accord de siège, réserve une place particulière à cette forme d'expertise. Cette attention le distingue de la Cour à cet égard.

«L'expertise article 289 », est spéciale en ce qu'elle prévoit la nécessité de recourir à au moins deux experts dans les cas impliquant des questions scientifiques ou techniques. Pour les cas techniques ou scientifiques dans les matières mentionnées à l'article 2 de l'annexe VIII de la Convention (la pêche, la protection et la préservation du milieu marin, la recherche scientifique marine, la navigation), les experts seront choisis sur une liste établie par des organisations internationales techniques limitativement énumérées (F AO pour les contentieux portant sur la pêche, PNUE en matière d'environnement, COIG35 pour la recherche scientifique marine et l'OMI concernant la navigation et la pollution). Les listes d'experts constituent en la matière une .des caractéristiques du système de l'expertise dans les pays de tradition civiliste36. Elles permettent

31 Le système retient fmalement: une pluralité d'organes juridictionnels compétents associés en tout état de cause à un soutien par des experts assesseurs (article 289) et complétés par des tribunaux spéciaux composés d'experts pour ~oudnl certaines questions techniques (annexe VIU).

32 L'article 15 § 1 du Règlement dispose : «La demande d'une partie visant à la désignation d'experts scientifiques ou techniques conformément à l'article 289 de la Convention est présentée, en principe, avant la clôture de la procédure écrite. Le Tribunal peut prendre en considération une demande présentée au-delà de ce délai mais avant la clôture de la procédure orale si les circonstances de l'espèce le justifient».

33 Le Statut et le Règlement de la Cour internationale de Justice prévoient en effet la possibilité pour les juges d'avoir recours à des assesseurs. V. 1 'article 30 § 2 du Statut (« Le Règlement de la Cour peut prévoir des assesseurs siégeant à la Cour ou dans ses chambres, sans droit de vote») et l'article 9 du Règlement (<< l. La Cour peut, d'office ou sur demande présentée avant la clôture de la procédure écrite, décider, pour une affaire contentieuse ou consultative, de s'adjoindre des assesseurs siégeant sans droit de vote. 2. Lorsque la Cour a décidé cette adjonction, le Président recueille tous renseignements utiles pour le choix de ces assesseurs. 3. Les assesseurs sont désignés au scrutin secret, à la majorité des juges composant la Cour aux fins de l'affaire. 4. Les mêmes pouvoirs appartiennent aux chambres prévues aux articles 26 et 29 du Statut et à leurs Présidents, qui les exercent de la même façon » ).

" L'article 15, constitue une sous-section anti<irc, ct se divise en cinq alinéas.

35 Colll!IÛSSion océanographique intcrgouvcmememale de 1 UNESCO.

36 V. P3tlcmcnt européen, Direction générale des politiques internes, L'expertise judiciaire civile dans l'UE: les règles et les pratiques nationales, note d'analyse, PE519.2ll, 2015,31 p., p.l9. Pour une analyse comparative dans les pays européens : P. GRANDJEAN ( dir. ), Institut européen de

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d'assurer un contrôle et de conférer une légitimité certaine aux connaissances et analyses présentées par le ou les experts nommés.

En outre, l'introduction de l'article 289 dans le cadre du TlDM se traduit par . l'identification de deux catégories distinctes d'experts, comme cela a été évoqué précédemment : les « expert assesseurs » nommés au titre de cette disposition et les autres. L'accord de siège défmit ces deux catégories d'experts de manière distincte dans son article premiefl7, puis leur attache un régime différent, en leur consacrant une disposition à chacun, respectivement en ses articles 20 et 22. Ce régime distinct éclaire la conception que le Tribunal se fait des fonctions et rôle des différents experts appelés à intervenir devant lui. Les experts nommés en vertu de l'article 289 de la Convention sont en effet aux termes de l'article 20, associés par leur statut aux membres du Tribunal38Les autres experts, pris ensemble, sont quant à eux associés par l'article 22 aux agents, conseils et avocats des parties39. Il est singulier et révélateur de noter que l'expert nommé par le Tribunal en application de l'article 82 de son Règlement, n'est pas assimilé par son statut à un membre, comme le sont les « experts article 289 », mais à un conseil ou à un témoin. Enfin, pour renforcer encore cette perception, les dispositions consacrées aux experts de l'article 289 se trouvent dans la partie II section A du Règlement, relative à l'organisation du Tribunal, à la différence des dispositions relatives à l'expert nommé en vertu de l'article 82.

Le « syncrétisme procédural » que reflète à première vue le cadre normatif entourant l'expert devant le TIDM est une réalité. Comme déjà exposé, de nombreuses options procédurales s'offrent au juge, héritées des différentes traditions juridiques nationales. Il dispose de surcroît d'une grande marge d'appréciation quant aux modalités d'application. Cependant il semble que cette conclusion puisse être relativisée ou plus exactement que le constat doive être affiné. Une lecture approfondie de l'ensemble des dispositions, comprises en commun, permet de penser que ce cadre légal n'est peut-être pas totalement

«neutre», c'est-à-dire n'est peut-être pas le reflet d'un strict équilibre entre traditions légales nationales. L'approche de common law semble exercer une influence prépondérante. En premier lieu, on notera que l'article 1 1) de l'accord de siège définit l'expertise comme une «déposition» réalisée par une personne

« en raison de ses connaissances, de ses compétences, de son expérience ou de sa formation particulières». Cette définition s'oppose à, ou méconnaît, l'expertise

l'Expertise et de l'Expert, Expertise de justice: Quel avenir en Europe?, Bruxelles, Bruylant, 2014, 176 p.; Expertise civile et procès équitable en Europe, acte du colloque du Mardi 15 décembre 2009, Cercle France-Amériques, 79 p., p. 26-29.

37 Voy. note 22.

" Article 20: «Les privilèges, immunités, facilités ct prérogatives accordés aux Membres ( ... ) s'appliquent, mutatis mutandis, aux experts désignés conformément à l'article 289 de la Convention».

39 Article 22 : <<Ils jouissent en particulier des privilèges, immunités et facilités accordés aux agents, conseils et avocats, en vertu des lettres a) à h) du paragraphe 1 de 1 'article 21 >>.

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comme processus tel que conçu dans les pays de tradition civiliste40

On rappellera que dans la conception civiliste, l'expert fait partie d'un ensemble procédural impliquant les parties, qui se traduit par la production de rapports41

Dans la pratique en Europe, l'expertise est d'ailleurs parfois appelée, «procès dans le procès »42. L'expertise ne dénomine alors pas le résultat du travail de l'expert, auquel l'expression expert report de la version anglaise de l'accord fait référence, mais le processus y conduisant avec la collaboration des parties.

L'implication des parties s'étend de la nomination de l'expert jusqu'à ses investigations même. Les parties peuvent en effet émettre un avis sur l'identité de la ou des personnes nommées et sur le contenu du mandat. Présentes lors des opérations d'expertise réalisées contradictoirement, elles jouissent de la possibilité également de commenter voire contester les méthodes et résultats obtenus43. Or, dans le cadre de la définition de l'accord de siège seul le résultat est considéré: le rapport de l'expert est envisagé seulement en termes de

«déposition», quelle que soit sa provenance, c'est à dire qu'il ait été réalisé par un expert des parties ou qu'il soit présenté par un expert ex-curia44

La perspective adoptée semble être en ce sens celle d'expert evidence, qui n'a pas de véritable équivalent exact en français, et pourrait se traduire par le barbarisme« matériel probatoire expertal ».

Secundo, cette perception est confirmée par la formalisation des deux catégories d'expert distinctes réalisée aux termes des dispositions de l'accord de siège, telle qu'envisagée précédemment. En effet l'identité de statut des experts ex-curia et des experts des parties révèle que le rôle de l'expert nommé par le Tribunal, dans une logique propre à la common law, s'identifie à celui du témoin qui fournit des informations à la Cour. Il n'est pas considéré comme un intermédiaire du juge, comme l'est l'expert nommé au titre de l'article 289. Dans cette logique de common law, l'expert ex-curia devant le TIDM est assimilable à un expert des parties. Il fournit le même type de renseignements et de prestations. Ce qui différencie ces deux types d'experts, ce n'est pas leur statut, ni leur fonction mais simplement la modalité présidant à leur choix : désignation effectuée par le Tribunal d'un côté et par les parties de l'autre. Or, cette vision ignore le rôle particulier et le statut d'intermédiaire de justice que tient l'expert ex-curia dans les pays de tradition civiliste45. Il est dans ce cadre une« émanation» du tribunal

'0 Voy. Parlement européen, Direction générale des politiques internes, L "expertise judiciaire civile dans /'UE, op. cit., note 36.

" Pour l'exemple de la France : O. LECLERC, Le juge et /"expert - Contribution à 1 'étude des rapports entre le droit et la science, Paris, LGDJ, 2005, 488 p.

42 D. TRJCOT, « Synthèse », Expertise civile et procès équitable en Europe, acte du colloque du Mardi 15 décembre 2009, Cercle France-Amériques, 79 p., p. 74-79, p. 76.

43 Inte-rvention de V. VIGNEAU, ibid., p. 50.

44 Par expert ex-curia est entendu expert nommé par le juge, et dans le cas du Tribunal, expert nommé en vertu de l'article 82 du Règlement.

"5 K. FAVRO explique qu'« il reçoit ainsi la qualification en France de "collaborateur occasionnel du

service public">>: <<L'expert collaborateur occasionnel du service public de la justice>>, in K. FAVRO (dir.), L'expertise: enjeux el pratiques, Tee & Doc, 2009, 276 p., p. 127.

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LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & GUILLAUME GROS

pour les questions de faits et non un simple «témoin scientifique »46.

L'assimilation au statut prétorien est telle pour l'expert, en droit français par exemple, que la connaissance des règles du procès équitable est une exigence pour sa sélection47Si l'expert nommé au titre de l'article 82 du Règlement n'était pas conçu dans une perspective de common law, (c'est-à-dire s'il n'était pas conçu comme apportant seulement un témoignage technique), il devrait recevoir en toute logique le même statut que l'« expert article 289 ».

Tertio, la Résolution sur la pratique interne du Tribunal en matière judiciaire48,

du 27 avril2005, expose en son article 3 les méthodes de travail à suivre pour la préparation des audiences. Il y est dit que les juges se réunissent en chambre du conseil avant le début de la procédure orale afin «de voir s'il y a lieu de demander aux parties de produire des moyens de preuve ou de donner des explications conformément à l'article 77 du Règlement>>. L'article 77 inclut la possibilité d'entendre des experts. Cependant, si l'opportunité de recevoir des données « expertales » additionnelles provenant des parties doit être discuté, il n'est fait nullement mention de débattre de la possibilité pour le Tribunal d'avoir recours à l'article 82 en nommant un expert et de solliciter les parties à ce propos. De manière générale, le document n'inclut pas dans les méthodes de travail du Tribunal, à ce stade de la procédure, une réflexion sur la nomination d'un expert, et semble ainsi ne considérer que l'expertise des parties. Il est partant légitime de s'interroger sur le fait de savoir si cette absence n'est pas révélatrice d'une conception de la procédure qui serait plus en ligne avec la tradition de common law qu'avec la tradition civiliste.

La coloration de common law des textes et leur souplesse amène naturellement à s'interroger sur l'utilisation faite par le tribunal de sa relative liberté en matière d'expert et sur l'orientation prise par la pratique.

II. EN PRATIQUE : LE POIDS DE L'EXPERT DANS LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL

L'expert semble de facto tenir une place importante dans le système décisionnel du Tribunal. Les affaires impliquant des preuves par expert sont nombreuses et la pratique apparait régulière à cet égard (A). En outre l'analyse de la pratique suivie par le Tribunal dans ses modalités d'utilisation de l'expert, confirme l'orientation de common law perceptible dans le cadre légal (B).

46 L. DUMOUUN, «L'expert technicien, témoin ou acteur de justice?», Journée Européenne de droit:

<i Juger en Europe », Nancy, novembre 2006 [disponible à https://halshs.archivcs-ouvertes.fr/halshs-

00433900/en/]

47 La Cour européenne des droits de l'homme a étendu les exigences du procès équitable aux opérations d'expertise, rendant la connaissance de ces principes par l'expert indispensable. CEDH, Mantovanel/i c. France, arrêt du 18 mars 1997, aff. 8/1996/627/810.

" Résolution sur la pratique interne du Tribunal en matière judiciaire, ITLOS/10, adoptée le 31 octobre 1997.

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LES VINGT ANS DU TRJBUNAL INTERNATIONAL DU DROJT DE LA MER

A. Un acteur de premier plan

L'importance de l'expert dans le contentieux du droit de la mer devant le Tribunal, s'apprécie tout d'abord par un constat quantitatif: sur vingt-trois décisions (dont deux avis consultatifs) rendues par la juridiction de Hambourg, treize impliquaient des preuves par 1 expert49Dix de ces affaires ont donné lieu à une déposition en audience de vingt-trois de ces acteurs50. ll convient de noter que les parties font souvent appel à plusieurs experts, ce qui implique donc plusieurs dépositions et examens au cours de la procédure orale51. Ces chiffres peuvent être mis en parallèle' avec ceux de la Cour internationale de Justice qui sur l'ensemble de ses affaires contentieuses n'a eu recours à l'interrogatoire d'expert que 9 fois depuis le début son activité en 194652. La pratique du TIDM

9 TIDM, Affaire du navire « Saigo » (No. 2) (Sainr-Vinunr-e~-les Gronatibres c. Guinée), anêl du l"' juillet 1999, affaire n° 2; Affaires du 17wn à nageoire bleue (Nowelle-Zél011de c. Japon; Australie c.

Jopo•l). mesures C<!DSCM!lOircs, ordo= du 27 aoùt 1999, affaires o0 3 ct 4 ; Affaire du« Comouco, {Pa11ama c. France), prompte mainlevée , arrêt du 7 février 2000, affaire D0 5 ; Affaire du « Manre Confurco » (Seychelles c. France), prompte mainlevée, anêl du l8 décembre 2000, ttffairo D0 6 · Affaire dn «Grand Prince" (Belize c. Fronce), prompte maiolcvée,-arrêt du 20 avrll2001, affaire D0 8; Affaire relative m<t trOVOl/X de poldérisation par Singapour à 1 'bllérienr et à proximité. du dérroit de Johor (Malaisie c. Singaportr), mesures conservatoires, oniollJlaocc du 8 octobre 2003, affaire 12 ; Affaire d11 «luno Trader ~ (Saim-Yincmt-et-les Grenadines c. Vuinée-Bisllau), prompte mainlevée. arrêt du 18 dèccmbrc 2004, affaire n• 13 ; Oiffèrend relatif à la délimitation de la jrontiére maritime entre le Bangladesh et le }Jyanmar dans le golfe du Bengale (Bangladeshi}Jyanmar}, arrêt du 14 mar.; 2012, affaire no 16; Affaire du navire" Louisa »(Sailli-Vincent-et-les Grenadines c. Royaume d'Espagne),

m~sures conservatoires, ordoMance du 23 décembre 2010, fond, arrêt du 28 mai 2013, affaire 18;

Affaire du navire !! Virginia G » (Panama/Guinée-Bissau), arrêt du 14 avril 2014, affaire n° 19;

Demande d'avis Cl)nsultatif soumise par la Commwion sous-régionale des pêches (CSRP). avis coosultntif du 22 avril20 1 S. affaire n° 21. Différend ~:Ciatif à délimitation de la frontière mnririmc entre le Ghana et la Côte d'Ivoire dasn l'océan Atlantique (Ghana/Côte d'Ivoire), arrêt du 23 septembre 2017, affaire n°23

50 Parmi les treize affaires précitées, les affaires du luno Trader, de la Délimitation de la fromi&e maritime entre le Bengladesh et le Myanmar, de la Délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la CQte d'Ivoire impliquent des rapports d'expert mais pliS de comparution en audicoce. Le chiffre de vingt-crois e:qJCrts est établis par Philippe Gautier, Greffier du TribunaL V. Ph. GAUTIER,

« Elhical obligations of experts : not on! y in theory, but a Iso in pratice? » in Journal of Internalional Seulement (à paraitre).

51 Par exemple dans l'affaire du Camouco, M. Domingo Candide Femandez Pérez, armateur, et M. Antonio Alonso Pérez, capitaine de la marine marchande et inspecteur des services maritimes, ont étè appelés en tant qu'expcns par ragent du Panama ct contre interrogés.

ll CU, Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Gronde-Bretagne et d'lr/omk du Nord c. Albanie), arrêts des 9avril etl5 di!ecmbrc 1949. Rec. CIJ, 1949, p. 4, p. 244: Temple th Prèalr Vihêar(Cambodgec.

17ro11ande), arrêt du 15 juin 1962, Rec. CIJ, 1962, p. 6: Sud-Ouest africain (Libéria c. Afrique du Sud), arrêt du 18 juillet 1966 Rec. CJJ, 1966, p. 6; Plateau colltillltlltal (Tuni.sie/Jamalririya arabe libye11ne), arrêt du 24 février 1982, Rec. CIJ, 1982 p. 1 S : Dêllmltatlon de la .frqntière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d'Amérique}, arrêt du 12 octobre 1984, Rec. CIJ, 1984. p. 246 : Activité:.· militaires et puramiliraiJ't!S au Nicaragua eJ contre celui-cl (Nicaragua c.

Etats-Unis d'Amérique), l!IT'êl du 27 juin 1986, Rec. CIJ. 1986, p. 14 · Elettronlca Slcula S.p.A.

(ELSn (Etats·Unis d'Amèrique c. Italie), arrêt du 20 juiUct 1989, Rec. CIJ, 1989. p. 15; Applicotlou de la com•enriqn pour la prévention ct la répression du crime de gdnocide (Bo.mie-Herzégovine c.

Serbie-et-Monré:lrégru), arrêt du 26 fé\•ricr 2007, Rec. CJJ, 2007, p. 43 ; Chasse ci la boleinl! dans l'Antarctique (Australie c. Japon; Nouvelle-Zélande (intervenant)}, arrêt du 31 mars 2014, Rec. CIJ, 2014, p. 226; Constn~ctfon d'une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c.

Costa Rico), arrêt du 16 décembre 2015, Rec. CJJ, 2015, P-665.

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LAURENCE BOJSSON DE CHAZOURNES & GL'JLLAUME GROS

montre donc que l'expert tient une place notoire dans le contentieux, ce qui semble être un premier point de distinction concret d'avec la Cour, en dépit de la similarité des dispositions régissant le régime de cet actem au sein de leurs règlements respectifs.

Plus généralement, l'importance de la dimension factuelle dans le contentieux devant le TIDM est confirmée par l'importance égale du témoignage durant la procédure orale. La même analyse quantitative montre que dans neuf cas des témoins ont réalisé une déposition devant le Tribunal53. Dans chacun de ces cas, un interrogatoire et un contre interrogatoire a eu lieu. On conclura dès lors que le Tribunal a une expérience substantielle en matière d'interrogatoire. Le contentieux du Tribunal est principalement alimenté par deux types d'affaires pour lesquels il jouit d'une compétence obligatoire: les affaires en prompte mainlevée (article 292 de la Convention) et les requêtes en prescription de mesures conservatoires (article 290, paragraphe 1 de la Convention).

On dénombre 9 affaires en prompte mainlevée et 7 cas relatifs à des demandes de prescription de mesures conservatoires (sur 22). Elles impliquent chacune pour le Tribunal d'avoir une connaissance particulière des faits pour statuer: dans le cas des demandes en prompte mainlevée, le Tribunal doit apprécier le respect par l'Etat côtier des règles de mainlevée posées par la Convention, c'est-à-dire principalement le caractère raisonnable de la caution demandée. Cette appréciation se réalisera, entre autre, au regard de la gravité des faits et de la valeur des navires et de leur cargaison. Ces points font l'objet d'une détermination objective54. De manière similaire les affaires en demande de prescription de mesures provisoires, bien que constituant des procédures incidentes, impliquent une certaine connaissance objective des faits de la cause pour apprécier la situation et les mesures à prendre. A cet égard si les affaires traitées par le Tribunal dans ce cadre n'ont pas comme enjeux primordiaux les déterminations factuelles techniques et/ou scientifiques, il n'en demeure pas moins que ces déterminations restent des éléments indispensables, constitutifs des décisions prises. Dès lors l'aspect quantitatif de la présence de l'expert devant le Tribunal est doublé d'une composante qualitative.

Vingt années de recul autorisent une vision historique de la pratique entourant l'expert par le Tribunal. Il s'avère que son utilisation se présente comme continue et régulière. Des experts ont été présentés par les parties dès la deuxième affaire traitée par le Tribunal en 1998, qui concernait une demande en

;, TIDM, Affaire du navire « Saiga " (Saint-Vincent-et-les Grenadines c. Guinée}, prompte mainlevée, arrêt du 4 d~embre 1997, affaire n° l ; Affaire du navire « Saiga !> '(No. 2} (Saini- Vince/11-et-/es Grenadines c. Guinée}, mesures conservatoires, ordonnance du Il mars 1998, affaire 0° 2 ; Monte Confùrco ; Juno Trader; Louisa, fond et mesures conservatoires ; Virginia G; Affaire de 1 Arctic Sunrise >! (Royaume des Pays-Bas c. Fédération de Russie}, mesures conservatoires, ordonnance du 22 novembre 2013, affaire n° 22.

54 V. R. RAYFUSE, « Standard of Review in the International Tribunal for the Law of the Sea >>,in L. GRUSZCZYNSKI, W. WERNER (dir.), Deference in lnlemational Courts cmd Tribuna/s : Standard of Review and Mw-gin of Appreciation, Oxford, OUP, 2014, 400 p., p. 337-354.

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LES VINGT ANS DU TRIBUNAL INTERNATIONAL DU DROIT DE LA MER

ordonnance de mesures conservatoires relativement au navire Saiga55. En outre la pratique de l'interrogatoire a commencé dès le premier cas, à savoir le volet de prompte mainlevée de cette affaire Saiga56, et concernait des témoins.

La pratique montre que la nature du cas n'emporte pas de spécificité particulière quant aux modalités procédurale d'utilisation de l'expert. Devant le Tribunal, les experts interviennent en cette qualité, et non en tant que conseil, et sont systématiquement soumis à contre interrogatoire. L'affaire relative aux travaux de poldérisation par Singapour à l'intérieur et à proximité du détroit de Johor 57 offre une illustration intéressante de ce principe. Lors de la procédure orale, un conseil de la Malaisie qui présentait des explications techniques en sa qualité d'ingénieur a du prêter le serment d'expert afin de pouvoir être contre-interrogé par la partie adverse58.

La comparaison avec la pratique de la Cour internationale de Justice en la matière se révèle une nouvelle fois des plus instructives. En dépit d'un cadre légal quasi identique, la pratique de la Cour s'est montrée très variable. Après sa première affaire en 1946, l'affaire du Détroit de Corfou, à l'occasion de laquelle les experts des parties avaient été soumis à un contre interrogatoire, la pratique s'est faite rare.

Les parties avaient recours à la présentation d'arguments scientifiques par le biais d'experts mais les présentaient en qualité de conseil, échappant de ce fait au contre-interrogatoire. On notera qu'une inflexion contraire est à l'œuvre depuis l'arrêt rendu dans l'affaire des Usine de pâte à papier59, les parties présentant depuis lors leurs experts en cette qualité (d'expert) afm de pouvoir être contre- interrogés60, comme c'est le cas devant le TIDM.

En outre, il n'y a pas d'inflexion notoire à noter dans la pratique du Tribunal qui semble être dominée par une conception anglo-saxonne de l'expert.

B. Une pratique orientée

Depuis sa création le Tribunal n'a procédé à la nomination d'aucun expert que ce soit au titre de l'article 289 (l'expert intervenant alors comme assesseur) de la Convention ou au visa de l'article 82 de son Règlement. Concernant la nomination d'expert ex-curia (article 82), cette réticence est commune à la

55 Saiga 2.

56 Saiga.

57 Tr<Naux de poldérisation.

58 Audience publique tenue le jeudi 25 septembre 2003, à 10 heures, ITLOS/PV.03/0l, p. 23.

59 Les juges ont dit pour droit dans cette affaire que: «S'agissant des experts qui sont intervenus à l'audience en qualité de conseils, la Cour aurait trouvé plus utile que les Parties, au lieu de les inclure à ce titre dans leurs délégations respectives, les présentent en tant que témoins-experts en vertu des articles 57 et 64 du Règlement de la Cour. Elle considère en effet que les personnes déposant devant elle sur la base de leurs connaissances scientifiques ou techniques et de leur expérience personnelle devraient le faire en qualité d'experts ou de témoins>>: CIJ, Usines de pâte à papier, Rec. CJJ, 2010, p. 72, § 167.

6

°

Comme ce fut le cas dans les affaires, Chasse à la baleine dans l'Antarctique et Construction d'une route au Cos/a Rica le long du fleuve San Juan.

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LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & GUILLAUME GROS

grande majorité des juridictions internationales depuis un derni-siècle61Elle peut se comprendre comme une inclination de la justice internationale vers une justice de caractère accusatoire, par conséquent plus en ligne avec une conception anglo-saxonne de la fonction judiciaire où la vérité judicaire résulte de la seule confrontation des arguments des parties62Cette distanciation d'une des formes de la justice inquisitoire (la nomination d'expert) confirme par la pratique, l'analyse du cadre juridique réalisée précédemment, qui identifiait une coloration de cornmon law au régime de l'expertise. Concernant les «experts assesseurs»

de l'article 289, leur non-utilisation est plus surprenante. En effet, leur rôle de support et de conseil (ils siègent lors des délibérations), les différencie de l'expert ex-curia dont l'éclairage se concrétisera par un rapport. Leur fonction d'aide ponctuelle à la bonne compréhension de preuves scientifiques présentées par les parties empêche une lecture en termes de justice inquisitoriale de leur utilisation. L'assesseur est par ailleurs une figure ancienne et relativement commune devant les juridictions de common law63Il est singulier de constater l'importance centrale que le système d'assessorat, conjointement avec le rôle d'expert, a revêtue durant les années de négociations de la Convention et constater son absence totale d'utilisation. Enfin, cette absence est d'autant plus surprenante que certains membres de l'institution ont pu évoquer la présence d'experts au sein du Tribunal à l'occasion de certaines affaires afin d'aider le Greffe dans ses tâches64. La question de la régularité de cette pratique pourrait éventuellement se poser, de même que son opportunité au regard du mécanisme existant prévu par l'article 289.

Cette pratique visible du Tribunal est en ligne avec l'appréciation que se font les acteurs judicaires du rôle joué par l'expert65. Il est ainsi admis que les conseils apparaissant devant le Tribunal se doivent de connaître les procédures anglo- saxones et que les Etats choisissent leurs avocats en conséquence. On remarquera également que les personnes interrogées considèrent que la présentation

" A. RIDELL, «Evidence, Fact-finding, and Experts», in C.P.R. ROMANO, K.J. ALTER, Y. SHANY (dir.), The Oxford Handbook of lntemalional Adjudication, Oxford, OUP, 2013, 1072 p., p. 857.

Cependant un changement est peut-être à l'œuvre. On rappellera ainsi que la Cour a par ordonnance en date du 16 juin 2016, désigné deux experts dans l'affaire de la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et/ 'océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua). Une telle nomination à l'initiative de la Cour intervient pour la pn:mière fois depuis 1946 s'agissant de l'affaire du Détoit de Corfou.

"{oannis PAPADOPOULOS explique ainsi que : << To put it schcmatically in one phrase, the Rornanist legal culture sceks the substance of truth by trying to cstablish an official narrative through the rendering of a judgment by a judgc who is secn as a "minister of truth", whereas the common law legal culture is more interested in procedure; it organizes the public confrontation of two versions of the truth in ordcr to rnakc the most truthful narrative triumph » : << Introduction to Comparative Legal Cultures : the Civil Law and the Common Law on ·Evidence and Judgmcnt ». Cornell Law Fuculty Working PopeY$, Paper 15,2004.

"D. DWYER, The JLtdlciol Asse:ssment olExpert Evidence, Cambridge, CUP, 2009, 435 p., p. 263;

L. HAND, « Hlstorical and Pmctical Considerations rcgnrding Expert Tcstimony », Harvard Law RlNiew. 1901, vol. 15, p. 42.

64 Projet de recherche<< Experts and International Courts and Tribunals », voy. note n°4.

65 fbld. .

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