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LES ÉTATS-UNIS MOYEN-ORIENT

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PRÉSIDENCE DU CONSEIL

SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DU GOUVERNEMENT DIRECTION DE LA DOCUMENTATION : 14 . rue Lord-Byron. PARIS-8° - Tél . : ELY. 82.00

LES ÉTATS-UNIS

ET LE MOYEN-ORIENT

On lira ci-après la traduction intégrale d'un article de J .C . Hurewitz que la revue américaine The Atlantic, de Boston (Massachusetts) publie dans son numéro de décembre 1956, nous le titre : « Nos erreurs au Moyen-Orient ».

La rédaction de The Atlantic écrit ces quelques lignes de présentation.

« Etait-il en notre pouvoir d'arrêter le brusque dé- clin de notre fortune politique au Moyen-Orient et d'éviter peut-être entièrement les difficultés que nous connaissons actuellement Telle est la question à la- quelle J .C . Hurewitz s'efforce de répondre en exami- nant notre politique depuis la fin de la deuxième guerre mondiale . M . Hurewitz est professeur adjoint d'histoire des Relations Internationales à l'Université Columbia et il est l'auteur de trois ouvrages sur le Moyen-Orient, dont l'un est d'une importance capi- tale . Il vient de paraître en deux volumes sous le titre « Diplomatie dans le Proche et le Moyen-Orient, 1535-1956 » . I1 a passé trois ans au Moyen-Orient avant la guerre et a été en 1946 Conseiller Politique du Comité ministériel des Etats-Unis pour les ques- tions de Palestine . »

Pour l'Américain qui s'intéresse tant soit peu au Moyen-Orient, il n'y a pas de lecture plus déprimante que celle du récent ouvrage de Robert J. Donovan Eisenhower : the Inside Story. L'importance de ce

«best seller » est due au fait que son auteur jouit d'un accès privilégié aux conseils intérieurs de la Maison Blanche . Ce livre a généralement été considéré comme une présentation officieuse des réalisations de l'adminis- tration Eisenhower, telles que celle-ci souhaiterait que le peuple américain les vît . Or, sur les quelque qua- tre cents pages consacrées à tous les aspects importants de la politique intérieure et extérieure, comprenant des chapitres sur la Corée, la Chine rouge, la Conférence des Bermudes, l'Indochine, Formose et Genève - il n'y a que trois références éparses concernant le Moyen-

Orient, et elles ne jettent même pas la lumière sur les opinions de l'Administration à l'égard de cette zone cruciale du globe.

Cet étrange silence est tine preuve éloquente du fait que l'Administration - de même que le peuple amé- ricain en général - se refusent à voir les problèmes de plus en plus sérieux que pose le Moyen-Orient . Une étrange conception semble régner à Washington depuis ces dernières années : l'idée que d'une manière ou d'une autre, miraculeusement, ces problèmes se résoudront d'eux-mêmes et finiront par se dissoudre dans l'air, comme les mirages du désert.

L'illustration la plus dramatique de cette tendance a sans doute été fournie par la « Conférence au som- met » à Genève, en juillet 1955 . Quelques semaines avant l'ouverture de la conférence, le Département d'Etat était déjà informé que les Russes négociaient au Caire un éventuel échange d'armements modernes con- tre du coton longue fibre égyptien . En septembre 1955, juste deux alois après la conférence, un marché a effec- tivement été conclu portant sur une livraison d'armes soviétiques à l'Egypte estimée à 200 millions de dollars.

Et cependant, pour autant qu'on ait pu le savoir offi- ciellement, pas une seule fois au cours des huit journées qui, à Genève, mirent face à face les dirigeants des Grandes Puissances, la question de leurs rapports avec le Moyen-Orient n'a été évoquée.

Quand les historiens de l'avenir écriront l'histoire de notre époque, ils pourront choisir la période cruciale de juin à septembre 1955 comme marquant un tournant dans l'évolution de la guerre froide . L'accord soviéto- égyptien sur les armements a mis brusquement fin au monopole que possédait l'Occident après la guerre sur le marché des armements modernes au Moyen-Orient . Sur le plan politique, l'Union Soviétique a été en mesure

de prendre l'initiative au coeur stratégique de cette ré- gion, avant même que la Grande-Bretagne eût terminé l'évacuation de ses forces de l'irremplaçable hase de

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ARTICLES ET DOCUMENTS N' 0 .449

Suez . Celle décision a pris les Etats-Unis et leurs alliés de l'O .T .A .N . ail dépourvu et ils n'ont pas encore rétabli aujourd'hui leur position diplomatique.

Le fleuve continu de l'histoire ne conn.alt évidemment pas de rupture brusque . Les révolutions elles-mêmes ont besoin de mûrir et elles naissent de circonstances que les révolutionnaires victorieux aident à modeler . Mais il est essentiel, à mou avis, que nous ayons présent à l'esprit l'aspect décisif de la percée diplomatique effec- tuée avec succès par l'U .R .S .S . au début de l'automne 1955 . En fait, elle a mis fin à la décennie d'après-guerre marquée surtout par une série (le. maladresses soviéti- ques au Moyen-Orient . De 1945 à 1954, la politique russe dans cette région a été menée avec la légèreté d'un bulldozer sans conducteur qui sillonne la rue centrale encombrée d'une ville de province . Mais nous ne de- vrions pas oublier que cette attitude désordonnée a été due aux excès et à l'aveuglement du stalinisme bien plus qu'à une sagesse ou une prévoyance quelconque de notre part.

Cependant, dans les douze derniers mois, il y a eu un renversement complet de l'évolution . Le Kremlin « dé- stalinisé » a sensiblement transformé ses méthodes et sa manière d'agir, et Washington ne petit plus se permettre de pratiquer une diplomatie prosaïque menée sur la hase de la routine courante des affaires, sans réflexion réelle et à partir d'idées et de programmes qui décou- lent en grande partie de l'expérience acquise dans d'au- tres régions et que l'on applique mécaniquement au Moyen-Orient.

Un examen attentif révèle que les Etats-Unis ont adopté au Moyen-Orient une attitude défensive depuis la lin (le la deuxième guerre mondiale . On a pu recon- naitre cependant à la politique (le Washington au Moyen-Orient, au cours des dix années d'après guerre et en particulier après 1946, un caractère relativement dynamique . Mais en 1955, les Etats-Unis sont passés d'unr défense dyn :uniquc à une défense statique et con- séquenuucnl, d'une volonté d'initiative au refus presque morbide d'entreprendre une action quelconque.

Comment nous sommes-nous laissés réduire à cette position de faiblesse ? Etait-il en notre pouvoir d'arrê- ter le brusque déclin de notre fortune politique et d'évi- ter peut-être entièrement les difficultés que nous connaissons actuellement ? Ou bien cette désagrégation (le notre influence et de notre prestige devait-elle tôt ou tard se produire ?

II

Ln première chose à souligner avant d'apprécier no- tre position au Moyen-Orient, c ' est que nos responsa- bilités sont toutes nouvelles dans cette zone sensible.

.Jusqu'à la seconde guerre mondiale et en fait, jusqu'à la proclama!ion de la doctrine Truman en mars 1947, nous avons eu tendance - - le gouvernement comme l'opinion - à considérer le Moyen-Orient cumule une sphère d'influence presque exclusivement britannique.

En dépit du développement progressif de notre poli- tique (le refoulement au cours des années suivantes, nous avons continu& à mener notre diplomatie au Moyen-Orient sans avoir les mains entièrement libres.

Car l'antériorité (le la présence anglaise, en particulier dans la zone arabe, a empêché Washington de traiter librement ou directement avec les populations et les gouvernements locaux . -

Tel a été le cas pour Aden et pour Chypre -- colo- nies de la Couronne -- et pour les protectorats d'Aden et les protectorats déguisés échelonnés le long de la côte arabe du golfe Persique ; tel a été le cas pour le mandat de Palestine (jusqu'en 1948) et le Soudan sous condominium angle-égyptien (en 1955) . Les relations

extérieures de ces pays administrés sous des formes et à (les degrés variables par la Grande-Bretagne, étaient menées non pas sur place trais au Foreign Office A Londres, parfois avec l'assistance du Co6onial Office.

Dans les pays liés à la Grande-Bretagne par des allian- ces privilégiées ---- Jordanie, Libye, Egypte (jusqu'en 1954) et Irak (jusqu'en 1955) - les Etats-Unis ont dû également respecter les droits établis et les intérêts par- ticuliers de leur principal allié au sein de l'O .T .A .N., au même titre que les revendications et les positions des peuples arabes intéressés.

Même dans les pays où l'absence de contrôle britan- nique visible laissait les Etats-Unis libres d'agir à leur guise - Iran, Israël, Liban, Arabie Saoudite, Syrie et Yémen - les initiatives américaines se sont affirmées (le façon lente et hésitante ou bien leur développement a été bloqué . En Iran, au moment où nous avions défini notre politique de refoulement, Washington a estimé avec tin optimisme qui s'est révélé erroné que la menace soviétique était conjurée dès lors que le gouvernement du Chah avait établi son autorité sur l'Azerbaïdjan en décembre 1946 . Dans le monde arabe, l'humiliation de la défaite contre Israël a fait place chez la plupart des nationalistes à la conviction que les Etats-Unis étaient les principaux coupables, pour avoir apporté à Israël une aide prétendue sans condition . En réalité, le cours (le la politique américaine en Palestine a été si chan- geant pendant les années cruciales de 1947-1950, qu'il a été impossible pendant quelque temps d'attribuer aux Etats-Unis une position définie . C'est d'ailleurs moins la véracité objective de cette affirmation qui a contribué à augmenter nos difficultés que le fait que les Arabes y croyaient aveuglément et obstinément . Quant aux na- tionalistes arabes, ils ont évidemment continué à s'irri- ter de notre refus d'accéder à leurs demandes, lesquelles se ramenaient à exiger la destruction de 1'Etat d'Israël.

C'est ainsi que les pays arabes ont gardé l'impression que les Etats-Unis étaient irrémédiablement pro-israé- liens, ce qui explique le développement continu des sentiments anti-américains au cours de l'affaire de Pa- lestine dans la presque totalité du monde arabe, même après 1953, date à laquelle la politique officielle améri- caine a commencé à favoriser de façon sensible la cause arabe.

Rétrospectivement, nous pouvons donc attribuer à notre manque d'expérience, aux difficultés dues à la nécessité de mener une diplomatie en passant par le Foreign Office britannique et à la susceptibilité arabe au sujet de la Palestine, l'échec des Etats-Unis dans leur recherche d'une politique moyen-orientale viable.

Si l'absence d'un telle politique pendant les dix années d'après-guerre ne s'est pas révélée désastreuse, c'est uni- quement parce que la diplomatie maladroite d'intimida- .tion et de subversion de Moscou a largement compensé nos difficultés, notre timidité et nos jugements erronés.

tl. est rare de pouvoir expliquer en termes simples les activités diplomatiques d'une grande puissance, et la Russie a certainement été poussée par de nombreuses considérations lorsque elle a cherché à intimider la Turquie et l'Iran en 1945 et 1946 . Les intentions de Moscou étaient pourtant claires. : il s'agissait d'établir au sud de l'Union Soviétique la même zone tampon que le Kremlin était en train de créer en Europe orientale.

Telle a été la signification de la dénonciation par le Kremlin, en mars 1945, du traité de neutralité russo- turc, et ensuite de ses revendications de bases navales et militaires dans les Détroits, ainsi que sur les pro- vinces turques de Kars et d'Ardahan . Tel a été égale- ment le but que visait l'U .R .S .S . en organisant un mou- vement séparatiste pro - soviétique en Azerbaïdjan iranien .

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Même après l'échec de ces tentatives et après que Staline eut apparemment décidé qu'il serait plus pru- dent, au Moyen-Orient, de ne pas renouveler de telles expériences d'agressions territoriales ou de menaces, Moscou n'a tout de même pas renoncé à vouloir faire planer sur les Etats de cette partie du monde la menace de représailles soviétiques . Toute action tant soit peu favorable à l'Occident entreprise par un Etat du Moyen-Orient, était immédiatement dénoncée par le Kremlin comme contraire aux intérêts russes, tandis que les demandes de coopération constructive ou d'as- sistance adressées à Moscou ne rencontraient qu'un si- lence glacial . Au lieu d'essayer de détacher la Ligue Arabe de•ses dernières amarres occidentales, en embras- sant sa cause pendant et après la guerre de Palestine, Mos- cou a continué à qualifier sans distinction les leaders arabes (le « réactionnaires » . Moscou a insisté sur le fait qu'il ne voulait avoir aucun rapport avec la Ligue Arabe tant qu'elle ne serait pas prise en main par les « pro- gressistes » --- désignant par 1à la poignée de commu- nistes et de crypto-communistes qui, déjà à cette épo- que, étaient pourchassés par les gouvernements arabes, mais que le Kremlin s'obstinait toujours à encourager.

Si aucun Etat du Moyen-Orient n'a reçu d'assistance économique ou technique du bloc soviétique avant 1955, cela est uniquement dû au fait que ni la Russie ni ses satellites n'ont fait d'offre de ce genre . La Russie ou ses satellites n'ont pas non plus essayé d'équiper mili- tairement le toyen-Orient - à la seule exception, peu importante, de la Tchécoslovaquie, qui a effectivement vendu quelques surplus d'armements à Israël en 1948.

Sur tout, la Russie n'a cherché qu'une seule fois à pren- dre sa part des richesses pétrolières du Moyen-Orient - au nord de l'Iran - et elle l'a fait avec un manque de tact si caractérisé que le Parlement iranien, furieux de cette pression manifeste, a annulé en octobre 1947, avant qu'elle prenne effet légal, la concession de cin- quante ans qui avait été accordée en principe.

On peut mettre au crédit des Etats-Unis et de leurs alliés le fait qu'ils ont eu le mérite de faire échec, en 1945-46, aux visées soviétiques brutales sur la Turquie et l'Iran en apportant à ces pays un solide appui moral.

Notre programme d'aide économique et militaire à la Turquie a bien fonctionné jusqu'en 1954 . Aux Nations Unies, nous avons empêché la Russie de prendre pied au Moyen-Orient en passant par le biais du problème palestinien . Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, en publiant, le 25 mai 1950, une déclaration commune sur les venteq d'armements, ,ont été à même de régulariser les afflux d'armes dans la zone instable araho-israélienne . La déclaration (les trois puissances garantissait également les frontières existantes et les lignes de cessez-le-feu . Par ailleurs, le déclenchement de la guerre de Corée, juste un mois après, a contribué à faire ressortir la fermeté des intentions américaines et à augmenter l'utilité de la Déclaration tripartie, en empêchant la reprise (le la lutte entre les Etats arabes et Israël . Enfin, la médiation américaine en 1953-54 dans le conflit pétrolier anglo-iranien qui durait depuis trois ans, a réconcilié des points (le vue opposés et a préservé la structure des règlements entre compagnies et gouvernements locaux qui, depuis 1950-1952, repose sur un partage égal des bénéfices.

Toutes ces mesures constituent le bon côté (le la mé- daille . Mais elle a un revers, avec lequel nous nous som- mes familiarisés ces derniers temps . Le fait même (l'avoir réussi à maintenir un monopole occidental sur le développement des ressources pétrolières du Moyen- Orient n'a guère contribué à nous faire aimer de ses habitants . Nos offres d'aide économique et technique aux pays arabes n'ont pas rencontré le plein succès

que nous espérions parce qu'elles étaient assorties de programmes d'assistance de même nature à Israël et également parce que la mise en oeuvre d ' un programme d'aide qui a pour objectif l'élévation générale des ni- veaux de vie, aurait fatalement porté atteinte au statut privilégié des classes dirigeantes dans plusieurs pays arabes . Mais c'est surtout au Moyen-Orient, dans le do- maine de la défense, que'nos faiblesses réelles ont com- mencé à apparailre et elles sont dues en grande partie aux maladresses de notre propre politique.

De la fin de la première guerre mondiale -- date de l'écroulement définitif de l'empire Ottoman - à la fin de la deuxième guerre mondiale, le Moyen-Orient est tombé sans conteste dans la sphère d'influence occiden- tale. Les bases britanniques militaires, navales et aé- riennes qui parsemaient cette région ont été complétées par des garnisons françaises au Liban et en Syrie . Cette position militaire puissante s'est révélée (l'une impor- tance vitale pour la Grande-Bretagne et ses alliés pen- dant la deuxième guerre mondiale . Mais après la guerre, les régimes militaires français et anglais au Moyen- Orient se sont écroulés les uns après les autres . Un premier coup leur a été porté en 1946 lorsque les Fran- çais se sont vu contraints de retirer leurs forces de Syrie et du Liban . D'autres coups ont suivi : en 4948, lorsque les Anglais ont renoncé à la Palestine et en 1954-56, lorsqu'ils ont évacué la zone du Canal de Suez.

Chaque retrait constituait une victoire camouflée pour l'Union Soviétique qui n'avait jamais vu d'un oeil favo- rable la présence de garnisons occidentales, surtout de bases aériennes, sur son flanc sud très exposé -- zone qui la préoccupe autant que nous les Caraïbes . C ' est que, au Moyen-Orient, la Russie touche au monde non- communiste sans avoir l'avantage de disposer (l'une zone satellite interposée.

Tandis que disparaissait la puissante militaire fran- çaise et britannique, les Etats-Unis n'ont pas su remplir le vide ainsi créé . Certes, la Turquie a été intégrée à l'O .T .A .N . en février 1952i et des centaines de millions de dollars ont été déversés pour moderniser son armée et ses bases navales et construire une ceinture d'aéro- dromes en Anatolie sur les arrières de l'Union Sovié- tique . La Turquie a donc été liée à l'Occident militairement et diplomatiquement . Mais dans d'autres pays du Moyen-Orient, l'action (les Etats-Unis s'est limi- tée à des accords bilatéraux (l'assistance militaire, à des efforts hésitants en vue de créer une organisation régionale de sécurité et A. la construction d'une base aérienne lourde en Libye et d'une autre hase en Arabie Saoudite, à propos de laquelle on reprend constamment les négociations sans grand espoir de succès . Ces hases aériennes, qui complétaient celles du Maroc, ont été créées pour parachever e le complexe global » édifié par la_ Slraiegie Air Command américain et pour faire face à la terrible éventualité d'une guerre généralisée avec la Russie ; elles n'ont pas été édifiées ou mainte- nues - au même titre que la base de Suez et que les bases moins importantes dans les pays voisins - pour permettre aux puissances occidentales d'exercer en plus en temps de paix une pression militaire sur les gouvernements locaux et les obliger A rester dans la bonne voie.

Notre désir de ne pas assumer de responsabilités mi- litaires dans cette zone a été illustré (le façon plus con- crète par la façon dont nous avons patronné le pacte de Bagdad . Une des premières initiatives assumées par John Foster Dulles après qu'il eut pris ses fonctions de Secrétaire d'Etat en 1953 a été de suggérer l'idée

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d'un système de défense fondé sur «la couverture nord » (« Northern tier ») du Moyen-Orient, pour rem- placer les anciennes conceptions d'un Commandement et d'une Organisation de Défense du Moyen-Orient qui avaient échoué en 1951-52 . En 1955 cette initiative a finalement abouti au pacte de Bagdad groupant la Tur- quie, l'Iraq, l'Iran, le Pakistan et la Grande-Bretagne au sein d'une alliance militaire en bonne forme . Mais loin de devenir un puissant instrument militaire, l'al- liance s'est révélée être un colosse aux pieds d'argile.

De toutes parts, elle a soulevé des problèmes épineux et a augmenté les tensions locales.

Comme l'Iraq en est membre fondateur, le Pacte de Bagdad a soulevé les craintes d'Israël, qui voit natu- rellement d'un mauvais [oeil tout renforcement du po- tentiel militaire arabe. Il a provoqué l'hostilité de l'Egypte car la junte militaire y a vu une menace pour son leadership arabe, et d'Egypte, l'hostilité au Pacte s'est étendue à la Syrie, à l'Arabie Saoudite et au Yémen . Comme le Pakistan en est membre, le pacte a rencontré l'opposition de l'Inde et de l'Afghanistan qui sont tous deux engagés dans des querelles de fron- tières avec leur voisin musulman . Comme la Grande- Bretagne en est membre, il s'est attiré les foudres des nationalistes arabes qui y ont vu un moyen détourné pour rétablir « l'impérialisme » britannique . Et comme les [Etats-Unis - une fois la colère soulevée - ont ab- solument refusé de se joindre à l'alliance, le pacte est devenu un objet de dérision . Notre attitude indécise a affaibli la résolution des Etats du Moyen-Orient qui penchaient vers l'Ouest, et a renforcé la résolution de ceux qui étaient hostiles au pacte.

Ces conséquences désastreuses ont manifestement été provoquées par une politique qui visait à appliquer au Moyen-Orient les idées de sécurité collective qui avaient fait leurs preuves en Europe Occidentale . Les cerveaux responsables de notre sécurité nationale ont préféré ignorer le simple fait que le Moyen-Orient ne ressem- blait en rien à l'Europe Occidentale, n'ayant ni indus- trie, ni cadre de formation suffisante, ni techniciens, ni main-d'oeuvre spécialisée, ni richesse pour supporter une installation militaire réellement moderne . Il n'est pas venu à l'esprit des politiciens américains, semble-t- il, qu'une organisation militaire régionale sur le modèle de l'O .T .A .N . pourrait ne pas être adaptée à une zone dans laquelle les canons (lu voisin d'à-côté sont plus inquiétants que les crises de la guerre froide . Et sur- tout, ils n'ont pas voulu voir le fait essentiel que c'est la présence des forces américaines sur le continent eu- ropéen qui fait la force de l'O .T .A .N . Or, le stationne- ment de troupes américaines au Moyen-Orient - en admettant que nous ayions été disposés à les y en- voyer - est précisémment la mesure à laquelle la plu- part (les Etats de cette région s'opposeraient jusqu'à la dernière extrémité.

On comprend évidemment pourquoi nos hommes po- litiques de Washington ont refusé avec logique d'envi- sager que des troupes américaines puissent stationner aux points névralgiques du Moyen-Orient . L'impéria- lisme n'est plus (le mode à l'Ouest . D'ailleurs les Etats- Unis n'ont jamais eu d'ambitions territoriales au Moyen-Orient . Notre principal désir a été d'éviter de soulever contre les Américains l'animosité et la xéno- phobie qui jusqu'ici ont été dirigés contre l'impéria- lisme finissant de la France et de la Grande-Bretagne.

Il est également dans la ligne de la tradition améri- caine de soutenir le principe du droit (les peuples à disposer d'eux-mêmes, où qu'il se manifeste.

L'alternative qui s'est posée aux Etats-Unis n'était évidemment pas facile : ou bien appuyer les efforts de nos alliés pour les aider à conserver le contrôle mili-

taire direct ou indirect qu'ils exerçaient, au moins tant que durerait la guerre froide ; ou bien entériner les revendications nationalistes qui exigeaient la renoncia- tion sans réserve à ces contrôles . En suivant nos incli- nations et en soutenant les nationalistes locaux, nous risquions de nous aliéner la Grande-Bretagne et la France et de détruire l'unité diplomatique de l'O .T .A .N.

Si, d'autre part, nous choisissions de rester aux côtés de nos alliés occidentaux, nous affrontions la perspec- tive de voir les Etats montants d'Asie et d'Afrique s'unir contre l'Occident . Dans toute les discussions qui se sont élevées, nos hommes politiques de Washington se sont efforcés de maintenir un juste milieu entre nos obligations envers nos alliés et notre sympathie pour la cause des nationalistes . Telle a été la théorie qui a guidé notre diplomatie . En fait, cependant, nous avons toujours opté pour la deuxième solution ; et pour la rendre plus acceptable pour nos alliés, nous avons pris des décisions fragmentaires, aboutissant presque inva- riablement à mécontenter les deux camps.

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis ont poursuivi cette politique de médiation sous des formes diverses et avec des résultats variables, en Syrie, au Liban, en Iran, en Egypte et dans les ter- ritoires français d'Afrique du Nord . L'jllustration la meilleure et la plus importante de ces résultats, c'est la façon dont nous avons contribué à mettre fin à la querelle entre la GrandeeBretagne et l'Egypte à propos du Soudan et des bases dans la zone du Canal de Suez.

Immédiatement après la deuxième guerre mondiale, le Caire a soulevé la question de la revision du traité anglo-égyptien de 1936, qui autorisait la Grande-Breta- gne à maintenir des bases militaires en territoire égyp- tien . En même temps, le gouvernement• égyptien a fait des ouvertures pour régler son différend avec la Grande-Bretagne à propos du statut en vigueur au Sou- dan . Les négociations sont allées d'impasse en impasse, pour l'énervement des deux parties . La première occasion réelle de résoudre ces problèmes s'est offerte après le coup d'Etat militaire de l'été 195i2, à la suite duquel le roi fantoche, Farouk, a été contraint d'abdi- quer et les politiciens traditionnels ont été éliminés . Au cours des mois de négociations qui ont suivi, l'ambas- sadeur américain au Caire, Jefferson Caffery, a joué un rôle de premier plan . C'est en grande partie à la suite du soutien qu'il a apporté aux revendications égyptiennes et des pressions qu'il a exercées sur ses collègues britanniques au Caire, que Londres a consenti tout d'abord (en février 1953) à résoudre la controverse sur le Soudan et enfin (en octobre 1954) à évacuer la base de Suez par étapes sur une période de 11.8 mois.

Peu de temps après la fin de ce duel diplomatique prolongé, nous avons compris que notre principal allié avait perdu la hase Militaire clé du Moyen-Orient, sur laquelle reposait toute la structure de son système de défense régional, et indirectement tout plan d'ensemble occidental de défense pour l'Europe, l'Asie et l'Afrique.

L'année suivante, le gouvernement égyptien a non seu- lement refusé de manifester une gratitude quelconque pour notre rôle de médiateurs en acceptant de coopé- rer avec nous pour mettre sur pied un nouveau sys- tème de défense, mais encore il a accueilli avec une arrogance et un dédain croissants chaque nouveau geste de générosité de notre part . Nous sommes en droit de nous demander, pourquoi tout cela est arrivé.

Depuis le déclenchement de la crise du Canal de Suez l'été dernier, nous avons eu tendance à rendre Gamal

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Abdel Nasser responsable des récents malheurs qui sont arrivés à l'Occident au Moyen-Orient . Mais, pour être honnêtes envers nous-mêmes, il faut que nous recon- naissions que nous sommes les seuls à blâmer . Les né- gociations sur le Soudan et la base de Suez ne se sont pas faites en-un jour. Nous avions le temps d'obtenir des Egyptiens une compensation concrète- pour équili- brer les concessions faites par les Anglais . Nous aurions pu insister pour lier l'évacuation britannique de la zone du canal à l'adhésion de I'Egypte, sinon à un sys- tème de sécurité moyen-oriental patronné par l'Occi- dent, du moins à un accord militaire bilatéral avec les Etats-Unis . Or, nos hommes politiques ont préféré croire que des promesses verbales de coopération suffi- saient et que les «Jeunes Turcs » égyptiens qui avaient pris le pouvoir en 1952 ne pouvaient mal agir.

La junte militaire qui a pris possession du delta égyp- tien en 1952 était composée de jeunes officiers de l'ar- mée qui ignoraient les premiers rudiments politiques ou économiques . Ces hommes ont incontestablement fait pénétrer une bouffée d'air frais dans la suffocante at- mosphère de corruption et de népotisme qui régnait sous l'ancien régime du 'Caire . Pour la première fois dans son histoire moderne, l'Egypte avait un gouverne- ment qui se consacrait ouvertement à la défense des intérêts non pas d ' une classe mais de tout le pays . Ce qui manquait visiblement au régime en matière d'expé- rience politique, économique et sociale, était largement compensé par sa bonne volonté . Les puissances occiden- tales, les Etats-Unis en particulier, ont été favorable ment impressionnés . Il n'y avait pourtant pas de raison de penser que si la junte menait une politique inté- rieure éclairée, elle adopterait forcément à l'extérieur une politique de coopération dans ses rapports avec l'Occident . En fait, pendant l'été et la fin de l'année 1953, le gouvernement militaire, alors nominalement dirigé par le général Mohammed Naguib, a mené une violente campagne anti-britannique en vue des élections pour l'autonomie du Soudan . Pendant la longue contro- verse sur Suez, d'octobre 1953 à juillet 1954, le Conseil de Direction de la Révolution (tel était le titre qu'avait pris la junte égyptienne) a lancé au Caire une campa- gne hostile dirigée contre les Etats-Unis et l'Angleterre.

Il est étrange que dans ces circonstances, nos diplo- mates aient pu croire que les officiers qui avaient dé- clenché la campagne de propagande se montreraient moins nationalistes ou plus favorables aux Occidentaux que leurs prédécesseurs . Le Département d'Etat aurait pu au moins s'attendre que les officiers qui avaient monté un coup d'Etat sous prétexte d'abolir la corrup- tion dans l'armée soient très sensibles à tout ce qui pourrait affecter l'amour-propre et les exigences de l'armée comme, d'ailleurs, le moral et le prestige de tout le pays.

Quoi qu'il en soit, l'Ambassade américaine au Caire a compris la leçon, mais de la manière forte . Peu après la signature de l'accord de Suez en octobre 1954, le Conseil de Direction de la Révolution au Caire a solli- cité des Etais-Unis du matériel militaire lourd . . La réponse de Washington a été favorable . Conformément aux conditions exigées par le Congrès aux termes de la Loi sur la Sécurité Mutuelle, l'administration a pro- posé à l'Egypte un accord bilatéral avec les Etats-Unis dans lequel l'Egypte, en tant que bénéficiaire de l'aide militaire américaine, s'associerait formellement aux objectifs des plans de sécurité collective de l'Occident et accepterait l'aide et les conseils d'une mission mili- taire américaine . La junte a cependant rejeté ces condi- tions comme équivalant à une réintroduction en Egypte des contrôles « impérialistes » . Le seul recours pour Washington était d'offrir une aide militaire contre rem-

boursement . Mais 1'Egypte n'avait pas assez de dollars pour payer les chars modernes et les avions à réaction que le Conseil de Direction de la Révolution tenait i+

acheter. Les négociations ont donc abouti à une im- passe qui a duré jusqu'à ce que le Caire passât un marché avec la Tchécoslovaquie et la Russie en septem- bre 1955 . Ce contrat d'armements soviéto-égyptien a été le prix que Washington a dû payer pour n'avoir pas su conclure un marché ferme avec 1'Egypte en automne 1954, à un moment où Washington, comme Londres, avait encore la situation bien en main.

On aurait pu penser que l'annonce par le Colonel Abdel Nasser de 'accord soviéto-égyptien sur les arme- ments ferait sursauter les responsables de notre sécu- rité nationale et les pousserait à reconsidérer notre attitude de flagornerie envers Le Caire . Malheureuse- ment la révélation de cette importante percée diploma- tique a atteint Washington juste après la crise cardiaque du Président Eisenhower, à un moment où la capi- tale connaissait une émotion inacoutumée . Au lieu d'en- visager avec sang-froid et réflexion la situation nouvelle ainsi créée, le Département d'Etat a hâtivement dépê- ché au Caire, dans une tentative désespérée de dernière minute, son Directeur des Affaires du Moyen-Orient, pour détourner le gouvernement égyptien de la voie dans laquelle il s'était déjà engagé . Immédiatement après cette mission totalement inutile, au lieu d'atten- dre que l'Egypte fasse appel à nous, Washington, avec Londres à sa remorque, s'est mis à supplier Le Caire

d'accepter l'aide financière occidentale pour la cons- truction du Haut Barrage d'Assouan, en vue de prévenir une éventuelle offre soviétique.

Ces tentatives ont eu pour conséquence inévitable d'élever Abdel Nasser au rang de grand chef et de héros populaire dans toute le monde arabe, et de le convaincre qu'il fallait accentuer les prétentions égyp- tiennes, devant notre offre relative au barrage d'As- souan ; de telle sorte que, là aussi, les négociations ont traîné pendant tout l'hiver . Une saine riposte diploma- tique à la réticence égyptienne aurait été d'adhérer au Pacte de Bagdad . Mais Washington a continué de se tenir à distance . Cela a souligné le déclin du prestige britannique et a permis à Abdel Nasser de faire pres- sion stir la Jordanie, pour qu'elle renonce à adhérer au pacte et qu'elle destitue Glubb Pacha . Pour réparer la faute fondamentale commise sept mois plus tôt, en essayant tardivement d'annuler l'offre du Barrage d'As- souan, au moment même où ?'Egypte avait fini par accepter nos conditions, le Secrétaire d'Etat Dulles, le 19 juillet 1956 a amené ce jeu de poker diplomatique à son aboutissement logique . Le 26 juillet, le Colonel Abdel Nasser a brusquement nationalisé le canal de Suez, portant ainsi un coup sans précédent à notre prestige clans tout le Moyen-Orient et même dans le Sud asiatique.

Notre situation ne s'est pas améliorée depuis lors . En effet, la manière dont J . F . Dulles a traité l'affaire de Suez nous a offert tine démonstration étourdissante de la diplomatie américaine au Moyen-Orient, faite de brusques changements d'attitude, tantôt en faveur de nos alliés occidentaux, tantôt de l'Egypte et vice versa.

Il se pourrait fort bien que Dulles ait établi un record diplomatique du démenti au début d'octobre, lorsqu'il a entrepris de modifier la transcription officielle d'une conférence de presse deux heures après l'avoir tenue, trop tard cependant pour limiter les dégâts.

Même après que l'accord soviéto-égyptien sur les armements eut détruit le monopole occidental sur le marché des armes modernes au Moyen-Orient, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France auraient encore pu réaffirmer, dans le cadre de la Déclaration

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tripartie de 1950, leur position d'arbitres suprêmes de lâ . paix dans la zone explosive israélo-arabe . Une bonne occasion de ]e faire nous a été offerte au printemps dernier, quand la tension entre Arabes et Israéliens a approché de son point de rupture . Dés le 17 avril, Jes Busses ont indiqué de façon certaine qu'ils étaient prêts à limiter le soutien qu'ils apportaient aux Arabes, pour permettre aux Nations Unies (le réduire les ten- sions locales . Moscou craignait visiblement qu ' une sérieuse détérioration de la situation n'amène le retour des forces armées occidentales, chose qu ' elle voulait éviter ii tout prix.

Les Etats-Unis et leurs alliés auraient dû déclarer sans équivoque à ce moment-IA, qu'ils avaient l'intention d'agir par l'intermédiaire des Nations Unies pour ren- forcer le système d'armistice israélo-arabe, mais qu'ils n'hésiteraient jamais à faire invervcnir leurs troupes pour rétablir l'ordre en cas (l'échec de la mission de l'O .N .IJ . Si nous avions ainsi solennellement réaffirmé aux Russes, aussi bien qu'aux Arabes et aux Israéliens, notre intention de maintenir la paix dans le cadre de la Décla- ration tripartie, nous n ' aurions certainement pas été pla- cés devant un défi . Une prise de position ferme à cette époque nous aur ait aidés clans la suite à ramener Abdel Nasser à sa juste proportion . Mais comme nous n'avons pas pris cette voie à cause de la réticence marquée par l'administration Eisenhower devant l'éventualité de devoir engager des troupes américaines, nous avons complètement détruit la valeur préventive de la Décla- ration tripartie, et avec elfe, notre prestige militaire au Proche-Orient.

Nous (levons nous demander maintenant pourquoi nous avons commis cette série d'erreurs dans nos rap- ports avec J'Egypte et les pays avoisinants . Nos - diffi- cultés diplomatiques ont certainement été liées à l'en- trée en scène, il y a un an, de la force dynamique (le l ' Union Soviétique dans cette région, juste au moment où les rapports entre le Moyen-Orient et l'Occident subissaient des transformations révolutionnaires . La défense de nos intérêts auraient mis à l'épreuve l'ingé- niosité d'un Franklin ou d'un Tallevrand . Nos hommes d'Etat auraient pourtant dû être capables de prévoir une retraite progressive et ordonnée à partir de nos positions les plus vulnérables, pour éviter cette déroute précipitée.

Après avoir perdu son monopole sur les armements, virtuellement renoncé à son rôle de gardien de la sécu- rité, progressivement abandonné ses bases et vu son prestige en grande partie détruit, l'Occident doit recon- naître qu'il n'est plus en mesure de tenir les Etats du Moyen-Orient par des déclarations d'intention uni- latérales . Comme nous ne pouvons guère nous attendre que la Russie se joigne à nous pour maintenir h stabilité au Moyen-Orient, nous découvrirons sans doute fluai la façon la plus réaliste de résoudre les conflits régionaux et les menaces périodiques contre la paix au Moyen-Orient est de faire appel au Conseil de Sécurité des Nations Unies . On objectera que les Russes peuvent évidemment utiliser le Conseil de Sécurité comme tribune pour leur propagande et opposer leur veto aux propositions occidentales, mais nous pouvons leur répondre sur le même terrain . Nous pouvons, en effet, faire comprendre au monde non-soviétique - chose que nous n'avons pas réussi à faire ces derniers temps, - - qu'à long terme les intérêts des Etats du Moyen-Orient ne sont pas opposés à ceux de l'Occident, mais coïncident sur bien des points . Comme nous l'avons vu, seul le Conseil de Sécurité est en mesu r e de four- nir un lieu de réunion suffisamment neutre pour per- mettre une rencontre non seulement des ministres des Affaires Etrangères des quatre grandes puissances mais

égaiement de I'Egypte, pour étudier la controverse de Suez dans une atmosphère favorable aux négociations.

Etant donné que les Russes ont pris l'initiative en insistant de façon nouvelle sur la s coexistence corn- pétitive », peut-être conviendrait-il du point de vue politique, de ne pas jouer stil- les aspects militaires de nos rapports avec le Moyen-Orient et d'insister sur les aspects économiques . Mais en ce cas, nous devrons accepter que la rivalité économique avec la Russie nous fasse prendre parfois des mesures qui, à proprement parler, ne seront pas rentables économiquement - des mesures apparentées 'i celles qui nous ont fait acheter préventivement, aux pays neutres, pendant la guerre, des matériaux stratégiques dont nous n'avions pas besoin, uniquement pour leur permettre d'échapper à l'emprise de l'Axe . Le retour à de telles pratiques nous mettrait mieux en mesure de lutter contre les marchés de troc entre la sphère soviétique et les Etats du Moyen-Orient . Si, par exemple, à la fin de 1954, nous nous étions mis à acheter en grandes quantités le coton égyptien qui débordait des entrepôts du Caire, avec une partie ou la totalité de la subvention de 32,5 millions de dollars que nous accordions au Caire, les représentants au Congrès des Etats cotonniers auraient assurément été indignés . Pourtant, l'échange coton-armes avec les Soviets aurait certainement paru à la junte militaire un risque moins tentant au milieu de 1955 . Ce qui n'a en tout cas aucun sens, c ' est que les Etats-Unis tiennent compte de la moindre pression particulière interne qui se fait sentir à l'intérieu r et qu'ils espèrent en même temps maintenir leu r position diplomatique à l'extérieur dans tine zone d'importance vitale.

Chose plus importante encore, nous devons compren- dre que s'il peut y avoir un certain intérêt à procurer une assistance économique ou technique incondition- nelle à ces pays - non pas pour nous gagner des sym- pathies immédiates mais pour les avantages indirects que nous pouvons en retirer à la longue - il n'y a absolument aucun intérêt à apporter une médiation diplomatique sans condition, lorsque nous cherchons à gagner les faveurs des deux parties en conflit, tout en préservant nos intérêts essentiels . Le commerce est la sanction de la politique, aussi bien intérieure qu'in- teruationale et il n'y a Ià rien qui doive nous indigner.

Si nous voulions que l'Egypte signe avec nous un accord bilatéral d'assistance militaire, nous aurions dû faire de cc traité le prix minimum - payé d'avance - des services effectifs de médiateurs que nous procu- rions volontiers par ailleurs . Quelle qu'ait été leur forme et les conditions posées par le Congrès, les accords bila- téraux d'assistance militaire américaine ne pouvaient guère être qualifiés « d'impérialistes » et nous aurions dû insister sur ce point au cours de nos négociations avec l'Egypte . Les Mats-Unis, en entérinant la façon de voir des leaders égyptiens, pour lesquels un marchan- dage serré de notre part constituait une forme de pres- sion inadmissible, ont nécessairement renforcé ceux-ci dans l'idée qu'il y avait une part de vérité dans leurs accusations passionnelles contre « l'impérialisme » américain.

Ce qui nous a également arrêtés dans notre recher- che d'une politique viable au' Moyen-Orient, c'est que nous n'avons pas su définir quels étaient exactement nos intérêts vitaux dans cette zone . La politique suivie par Washington ces dernières années a en effet été inspirée par deux propositions contradictoires . Selon la première, le Moyen-Orient est indispensable au monde occidental à cause cle son pétrole, de ses bases et de sa situation stratégique au croisement des voies de communication principales qui relient l'Europe à l'Asie et à l'Afrique . Selon la deuxième proposition, le

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Moyen-Orient est impossible à défendre contre une atta- que soviétique . Nous devons donc éviter de trop nous engager militairement dans cette zone.

Il y . avait dans ce paradoxe une équation impossible à résoudre dans un contexte de guerre froide . Cepen- dant, nous n'avons pas su reviser notre conception des intérêts occidentaux au Moyen-Orient, soit en décidant qu'ils pouvaient se développer et en acceptant les conséquences logiques que cela entrainait, soit en nous efforçant résolument de trouver un moyen efficace de les défendre . Au lieu de cela, nous avons atteint l'iné- vitable croisée des chemins, nous avons essayé de repousser le moment du choix et de continuer à prati- quer simultanément une politique d'engagement limité et d'abandon total.

. Cependant, notre plus grande erreur a été la naïveté avec laquelle nous avons cru que nous pourrions ame- nes les Arabes à nous aimer, simplement en leur don- nant ou en leur promettant sans contrepartie de grosses sommes ou des avions . Cette tendance à nous engager clans des concours (le popularité, nous l'avons générale- ment montrée dans le monde entier, mais nulle part de façon aussi manifeste que dans nos rapports avec les

peuples du Moyen-Orient . Nous réussissons simplement à les persuader que nous sommes des négociateurs pué- rils, des sots qui ne demandent qu' à se laisser abuser, comme les riches touristes qui visitent un bazar orien- tal . Il faut que nous comprenions que nos prodigalités ne nous gagneront pas l'amitié des Arabes, aux yeux desquels nous sommes affligés dr la double infamie d'une association étroite avec la Grande-Bretagne et la France et de notre sympathie pour Israël - quelle que soit la mseure de l'exagération des Arabes sur ce der- nier point.

Si l'on considère nos erreur s passées, la seule chose que nous aurions sans doute pu attendre au Moyen- Orient, et surtout dans le monde arabe, c'est un cer- tain respect . C'est une chose que nous aurions pu obte- nir et que nous n'obtiendrons à l'avenir que par une attitude inflexible, ferme et sans équivoque qui fasse apparaitre aux yeux de tous, au Moyen-Orient, au sein de l'O .T .A .N . et dans la sphère soviétique, quelle est exactement notre position et ce que nous sommes prêts à entreprendre pour défendre nos intérêts vitaux dans le monde arabe .

J . C . HURN,R'ITZ.

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