D’UNE TRIPLE CULTURE
Hugues LETHIERRY IUFM Lyon
MOTS-CLÉS :
RÉSUMÉ : À partir d’un tableau de Raphaël (L’École d’Athènes), il s’agit pour nous de comparer, sur le plan moral, la sagesse grecque et la « folie de la croix » dans un premier temps (2). Puis de présenter (toujours en relation avec la pratique quotidienne du métier) « la » laïque dans sa philosophie initiale puis la forme positiviste (3). Enfin nous montrons les difficultés de maintenir le cap de nos convictions face à l’intrusion de l’idéologie managériale dans la gestion des établissements et leur « pilotage ».
ABSTRACT :
1. INTRODUCTION
Parce qu’elle représente en un tableau ces différents courants, l’œuvre du peintre Raphaël intitulée
L’École d’Athènes me permet une introduction. On trouve ici différentes oppositions entre :
- culture orale (Socrate) et culture écrite (Platon qui retranscrit Les dialogues).
- culture littéraire et culture scientifique (Euclide en bas à droite ainsi que Ptolémée). Cette distinction n’existait pas jusqu’au XVIIIe siècle.
- culture occidentale et orientale (Zoroastre) ou moyen-orientale (Ibn Rochd dit Averroès). - culture antique et culture de la Renaissance qui peuvent cependant converger.
- culture intellectuelle et culture politique (représentée par l’empereur Alexandre en haut à gauche et le neveu de Jules 2). Notons qu’à l’extrême gauche se trouve Épicure et, lisant le livre au centre, Pythagore (d’après De Vecci, Raphaël, éd. Citadelle).
Dans La Dispute du Saint-Sacrement, on trouve certains personnages communs.
À ces différentes oppositions il faut ajouter celle centrale de Platon et d’Aristote (le premier tenant le Timée, le deuxième l’Éthique). Le premier montre de l’index le ciel des idées, le second, en le tempérant, ramène sa main vers la terre qu’étudie la Physique (laquelle précède la Métaphysique dans son œuvre). Dans les deux mains se trouve condensé l’essentiel du tableau mais cela ne doit pas faire oublier l’œuvre entière visible à la chapelle Sixtine (et dont une reproduction se trouve à la bibliothèque Sainte-Geneviève, en face du Panthéon à Paris).
Notons que Platon est peint sous les traits de Léonard de Vinci qui pensait (comme Galilée) que Dieu écrit en langage mathématique et que les objets sensibles ne sont donc que l’image de la
« réalité vraie » constituée par les Idées. Notons aussi qu’Héraclite qui insistait sur la contradiction dans le réel – ce qu’on appellera la Dialectique – est peint sous les traits de Michel Ange.
Raphaël figure dans le tableau lui-même (à droite) et au centre se trouve Diogène le cynique qui poussait à l’extrême et jusqu’à la provocation, les idées de Socrate (cf. à ce sujet nos premiers ouvrages sur l’humour, intitulés Savoir(s) en rire et préfacés par Meirieu et Giordan).
2. CLIVAGES
L’opposition d’Aristote à Platon (« J’aime Platon mais j’aime encore mieux la vérité ») ne doit pas faire oublier qu’ils se rejoignent en gros sur le plan moral, L’Éthique à Nicomaque de celui-là confortant la classification des vertus de la République (de celui-ci). Qu’on nous pardonne notre cuistrerie philosophique mais c’est l’un des intérêts des journées du LIREST de dépasser certains clivages disciplinaires.
La « vertu », est ce à quoi une chose est bonne, les parties de l’âme – qui pour Platon correspondent aux parties de la société – ont ainsi chacune leur vertu.
Âme ventre cœur tête
Société peuple armée philosophie Vertu tempérance courage sagesse
La justice c’est l’équilibre qui doit régner entre ces vertus au risque, s’il n’est pas respecté, de se transformer en folie chez l’individu, en tyrannie dans la société, après une phase de désordre et de démagogie.
Je ne peux ici rappeler les termes grecs et les nuances mais pour Platon le savoir se confond avec la sagesse et doit être au poste de commandement « Nul n’est méchant volontairement », c’est-à-dire qu’on pêche toujours par ignorance lorsque, n’étant pas guidé par des questions judicieuses (la maïeutique ou l’art d’accoucher les esprits des vérités), on ne parvient pas à redécouvrir le savoir qui a été oublié (du fait de la prison dans laquelle notre âme est enfermée). Mais j’anticipe ici sur le thème des journées de 2003 !
Les chrétiens, qui constituent au départ une secte juive (qui veut ensuite avec Saint-Paul, s’étendre à l’ensemble de l’humanité) reprendront les vertus dites « cardinales » (= charnières) des Anciens mais leur ajouteront les vertus dites « théologales » (acquises avec l’aide ou la grâce de Dieu) : foi, espérance et charité.
influence) et rupture (qu’on songe à un Celse décrivant au deuxième siècle dans son pamphlet contre les chrétiens, ce qu’il juge être leur populisme, leur occultisme, leur antimilitarisme, etc.). Dans des églises orthodoxes de Grèce, Socrate figure à côté des Pères de l’Église !
3. PRATIQUES
Un penseur agnostique comme Alain « récupère » donc sans trop de difficulté en les baptisant à la sauce radicale les vertus théologales :
La foi c’est croire à son entreprise, à soi…
L’espérance, croire que le monde extérieur ne fera pas obstacle.
L’amour, croire aux autres et, tel Pygmalion (ou encore le père de Pinocchio), créer, par son attente
positive et son pari, la réalité de ce qu’on postulait.
On voit tout l’intérêt dans la pratique éducative quotidienne de telles conceptions qui n’ont qu’un but platement consensuel mais permettent de faire dialoguer les cultures, à condition bien sûr de respecter d’abord leur spécificité.
C’était la volonté d’un Condorcet. C’était (ce sera ?) l’idéal laïque. Un historien comme Lelièvre ne considère pas qu’il est toujours respecté aujourd’hui ou du temps de Jules Ferry. Il prend comme exemple la liste des grands hommes proposés à l’admiration des écoliers. Avec Allègre, Hugo par exemple est remplacé par… Napoléon III. Ce n’est pas œuvrer à la tolérance qui ne se réduit pas à un vague « laisser faire, laisser passer » (consistant à prendre la direction du vent…).
À la tolérance, les Républicains ajouteront le respect qui, contrairement à l’amour, n’est pas un sentiment et peut donc faire l’objet d’une obligation, d’un impératif, d’un devoir. La charité se transforme en fraternité (à condition d’ôter à ce terme son relent « machiste » souligné par Derrick). On pourrait (comme Bachelard le faisait pour l’épistémologie) tracer le « profil éthique » de chacun d’entre nous avec la « dose » idéologique grecque, biblique, républicaine. Notre équation personnelle, enfin, la synthèse ou le syncrétisme qui permet de survivre et de surmonter contradictions et conflits. Peut-être faudrait-il réhabiliter certains « vices » comme la « colère » (bête noire des stoïciens !) ou encore la paresse. En effet tout progrès en mathématique par exemple et notamment en algèbre, résulte au fond d’une volonté de remplacer une exécution répétitive et laborieuse par un « truc », un raccourci (exemple : lorsque l’on apprend la multiplication on n’a plus besoin de se livrer à quantité d’additions inutiles).
