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NOUS SOMMES AU SEIGNEUR

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Texte intégral

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NOUS SOMMES AU SEIGNEUR

C o l l e c t i o n

" SIÈCLE ET CATHOLICISME "

(3)

Imprimatur : Tours, le 20 Janvier 1959

t LOUIS ARCH. DE TOURS

PRINTED IN FRANCE

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

© 1958 BY MAISON MAME

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JACQUELINE MONTVIC

N O U S S O M M E S A U S E I G N E U R

L E T T R E P R É F A C E DU R. P. DE LESTAPIS

M A M E

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Lettre-préface

Chère Madame,

Vous m'avez demandé de préfacer de quelques lignes cet ouvrage que vous livrez aujourd'hui au public :

« NOUS SOMMES A U SEIGNEUR ».

Je le fais volontiers, vous ai-je dit, par amitié pour vous;

mais également parce que, depuis que je les ai lues, ces pages, qui sont comme votre journal spirituel, m'appa- raissent à présent comme celles d'un journal spirituel où bien des foyers se reconnaîtront sans doute.

Il est étonnant en effet de voir combien l'on retrouve dans vos propres accents, l'expression même de ces cris douloureux et de ces aveux de lassitude qui, dans les jours de peines et d'angoisse, parviennent à échapper au contrôle habituel de tant d'épouses et de mères, révélant à leur insu une somme immense d'insatisfaction cachée.

Il a certainement dû vous en coûter à vous-même de révéler ainsi dans cette œuvre le fond de votre cœur, et de laisser entrevoir à quel point vous aviez jadis rêvé d'une plénitude humaine, sans cesse attisée par une soif, du reste inextinguible.

Aujourd'hui, en vous penchant sur seize années de vie conjugale et familiale, vous vous sentez dans l'obligation de capituler entre les bras de Dieu.

Vos épreuves, comme vos joies, vos silences eux-mêmes commandés du reste, dites-vous, par la charité et la discrétion, sont des leçons étrangement péné- trantes.

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Celles-ci trouveront — j'en suis sûr — un écho bienfai- sant en des milliers d'âmes, meurtries par la vie, par ses difficultés, ses déceptions et ses déboires, et leur enseigneront comme à vous-même, non les voies de l'évasion et de la dissipation, mais les cheminements mystérieux de la sublimation. Disons mieux, en utilisant vos propres termes : la rude montée vers la plénitude de l' Offrande.

« Longtemps au bord de ma liberté, Votre amour atten- dit, Seigneur, — j'avais si soif d'humaines espérances, — attendit la plénitude de mon accueil, la ferveur de ma réponse.

« Puis, vous avez eu hâte... Et avez envoyé Votre grâce au-devant de mon hésitation.

« Mon âme vers Vous, maintenant se tend, meurtrie et allégée.

« Tant pis si quelque chose en moi frémit et pleure... Ce qui importe, ce n'est pas ma « souffrance », mais Votre joie. »

Cette joie de Dieu est maintenant devenue votre joie.

Bien des pages d'ailleurs de votre livre en rayonnent.

— Joie de la Présence divine plus constamment trouvée.

— Joie de la Communion au mystère eucharistique; au mystère ecclésial, et à son aspect sacerdotal, si intime- ment ressenti par vous.

— Joie de la découverte monacale et de son recueille- ment sacré.

— Joie de la conduite assurée, sous le signe de vos guides préférés : Thomas Merton, Thérèse de l'En- fant-Jésus, Thérèse d'Avila...

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— Joie de l'anéantissement pour que LUI soit tout!...

Vous dirai-je — pour être parfaitement sincère — qu'il subsiste encore quelque peu en vos pages — estompé il est vrai — trace des amertumes et des blessures du passé, trace aussi d'efforts et de conflits douloureux...

C'est pourquoi je souhaite volontiers que votre témoi- gnage ne se clore pas avec ce livre — celui-ci marque sans doute un important tournant dans votre histoire, mais qui ne saurait être une dernière étape.

Vos rêves de jadis ont été bousculés, écrasés, et cela vous a forcée à sortir de vous-même, et, selon le titre de votre œuvre, à découvrir que « Nous sommes au Sei- gneur ».

Vous écrivez : « Peut-être n'aime-t-on vraiment que ceux dont on n'espère plus rien; car l'amour n'est pas une « attente orientée vers », mais une « immolation pour »... oui, sans doute, à ce stade où vous êtes...

Mais quand la transfiguration, grâce à l'effort du Divin artiste est poursuivie et prête de s'achever, alors les rêves d'antan se trouvent mystérieusement réalisés. Et l'on découvre à nouveau que l'on peut tout espérer de ceux qu'on n'a sans doute jamais cessé d'aimer, mais qu'une grâce inédite de Dieu désormais illumine d 'un amour, cette fois, vraiment, infini.

Je souhaite, chère Madame, à votre livre une large diffusion : il peut, en effet, apporter tant de bien; et surtout tellement relancer vers le Seigneur ceux que la fatigue du chemin risquerait d'arrêter en route...

S. DE LESTAPIS, S. J.

Paris, le 1 novembre 1958.

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Première partie C h e m i n e m e n t

Prélude Rencontre

L'amour de « Lui », bien essentiel Exigences divines

Église que j'aime Regards sur l'étape

La loi des cimes

Depuis le jour où, sous la poussée de Votre grâce la « porte », jusqu'alors entrebâillée, céda et s'ouvrit, béante,

devant Vous, Seigneur...

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1. Prélude

Le sens de notre espérance Notre âme à l'heure « H »

Une offrande consciente Climat

L'appel intérieur Hésitations

« J'avais besoin d'un idéal élevé, d'un but difficile. Sans cet idéal j'étais en danger réel et continu d'indifférence et de négligence. »

T H O M A S M E R T O N

La Nuit privée d'étoiles, p. 197.

Le sens de notre espérance.

Pourrait-on parvenir à un nouvel étage en s'asseyant dans l'escalier?... Arriverait-on au terme d'un voyage en s'installant près de l'auto en panne?... Ne faut-il pas monter jusqu'au palier, et avancer jusqu'à la ville?...

Ainsi notre âme est incitée à rechercher toujours

plus de lumière, à progresser sur le chemin qui

monte vers son Dieu.

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Qu'espérions-nous de la vie?... des reflets de joie?

des rêves exaucés?... les joies que nous connais- sons laissent notre âme incomblée; des rêves s'effeuillent en silence.

Qu'attendions-nous d'un foyer? la ferveur d'un amour? la douceur des berceaux? la plénitude de la vie multipliée? Nous avons recueilli ces choses dans le secret de notre cœur; mais tout amour est lourd d'immolation, les enfants trop vite gran- dissent et échappent à notre tendresse, l'existence accordée à d'autres nous angoisse.

Non, vraiment « le monde où nous vivons n'est pas à notre taille, et nous avons le cœur gros par- fois de toute la nostalgie du ciel ».

Les épreuves et les heurts répercutent en nous la pensée du Psalmiste : « Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi gémis-tu en moi? Espère en D i e u »

« Espère en Dieu »!... Trois mots de lumière.

Trois mots qui seraient joie, si, à bien y réfléchir, on ne s'apercevait qu'ils signifient : N'espère qu'en Dieu.

« N'... qu'... » Le drame humain se cristallise en cette simple locution restrictive!

Dans le réel de nos vies, dans l'intime de nos amours, elle introduit une obligation de dépouil-

1. Étoile au grand large, par GUY DE LARIGAUDIE, éditions du Seuil, p. 17.

2. Psaume 42.

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l e m e n t , u n e d é c a n t a t i o n p r o g r e s s i v e ; e t il f a u t q u e ce d é b l a i e m e n t soit a c c o m p l i e t d é p a s s é p o u r q u ' e n f i n , à l ' h o r i z o n d e n o s s o u f f r a n c e s e t d e n o s espoirs, u n e s i l h o u e t t e se d e s s i n e — s u f f i s a m m e n t d e ce m o n d e p o u r n o u s r a s s u r e r , e t b i e n a u - d e s s u s p o u r n o u s r a s s a s i e r — : l a s i l h o u e t t e d e C e l u i q u i , p a r c e q u ' I l est à l a fois h u m a i n e t d i v i n , p o u r r a seul, g r â c e à c e p r i v i l è g e u n i q u e , r é p o n d r e v r a i - m e n t à n o t r e a t t e n t e , e t c o m b l e r , e n f i n , n o t r e â m e .

Notre âme à l'heure « H »

Difficile effort, d é p o u i l l e m e n t d o u l o u r e u x q u e n e p l u s r i e n a t t e n d r e d ' a u t r e q u e le C h r i s t s e u l . . . ... p l u s r i e n d ' a u t r e . . . q u e : L u i . . .

L o r s q u e b r i l l e l a c o n f o r t a b l e c l a r t é d u j o u r , p r ê t e - t - o n a t t e n t i o n à l a l a m p e a l l u m é e ? M a i s q u e l ' o m b r e e t les t é n è b r e s v i e n n e n t , v o i c i q u e n o s r e g a r d s v o n t se t o u r n e r v e r s elle. N o s e s p o i r s s ' y a c c r o c h e n t . N o u s r e s s e n t o n s u n d é s i r f e r v e n t d e s a p r é s e n c e . N o u s r e c h e r c h o n s s o n r a y o n n e m e n t , s a s é c u r i t é , s a l u m i è r e .

D e m ê m e , a u d é b u t d e n o t r e vie, q u a n d a p r è s le p r é l u d e h e u r e u x d e l ' e n f a n c e c o m m e n c e à s o u r d r e e n n o u s u n e s o i f g r a n d i s s a n t e , n o u s i m a g i n i o n s t r o u v e r a l e n t o u r q u e l q u e r a s s a s i e m e n t i n t e l l e c t u e l e t s e n t i m e n t a l . P u i s , p e u à p e u , d u r e m e n t , i m p l a - c a b l e m e n t n o u s o n t é t é d é m o n t r é e s l a r e l a t i v i t é d e ces espoirs, l ' i n s u f f i s a n c e d e ces a p p u i s . N o u s a v o n s p r e s s e n t i , p u i s c o m p r i s j u s q u ' à l ' é v i -

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d e n c e , q u e n o t r e « r o y a u m e n ' é t a i t p o i n t d e ce m o n d e ».

L e s y m b o l e d e n o t r e â m e à l ' h e u r e d e l a r e n - c o n t r e ? « L a b a r q u e d e nos r ê v e s s'est h e u r t é e a u x récifs d e l a r é a l i t é . U n e b r è c h e s'est o u v e r t e , p a r l a q u e l l e , p e u à p e u , nos illusions se s o n t enfuies.

L e s v a g u e s d e l ' i n q u i é t u d e s o n t v e n u e s r ô d e r p r è s d e l ' e m b a r c a t i o n . L e b r o u i l l a r d a s u s c i t é a u t o u r d ' e l l e u n r é s e a u d ' i n t e r r o g a t i o n s . L a s o u f f r a n c e et l ' a n g o i s s e e s s a i e n t d e l ' e n v a h i r . D e s c h o c s d e d é s e s p o i r c h e r c h e n t à é b r a n l e r sa s t r u c t u r e ; e t s u r l a b a r q u e blessée l a n u i t s'est a p p e s a n t i e » I l n ' y a p o i n t à se l e u r r e r , il f a u t c o n n a î t r e c e t t e s i t u a t i o n p o u r d é c o u v r i r , d a n s t o u t e s a p l é n i - t u d e , le M e s s a g e d i v i n ; p o u r e n saisir v r a i m e n t le sens p r o f o n d e t l ' e f f i c i e n c e s a l v a t r i c e .

Une offrande consciente

I l c o n v e n a i t d e r e c h e r c h e r u n é q u i l i b r e , d e sou- h a i t e r u n é p a n o u i s s e m e n t , d e c o n n a î t r e u n e espé- r a n c e ; le t o u t é t a i t d e c o m p r e n d r e q u e le b u t se s i t u a i t a u - d e l à e t p l u s h a u t , e t q u e ces a s p i r a t i o n s é t a i e n t les m o d a l i t é s d ' u n e o r i e n t a t i o n d e p l u s e n p l u s t e n d u e v e r s le S e i g n e u r .

D è s lors, l ' e s p o i r v a d e v e n i r o f f r a n d e ; l ' é p a n o u i s - s e m e n t s e r a h a u s s é vers le p l a n s p i r i t u e l ; l ' é q u i - l i b r e d o i t t o u j o u r s ê t r e r e c h e r c h é et m a i n t e n u , afin q u e t o u t s ' é t a b l i s s e s e l o n l ' o r d r e b i e n f a i s a n t d ' u n e h i é r a r c h i e j u s t e .

1. G . DAMBRUN.

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I l e s t c l a i r q u e c ' e s t « d a n s » e t « p a r » l e d e v o i r d ' é t a t a c c o m p l i p o u r l ' a m o u r d e D i e u q u e r e p o s e l e p r i n c i p e d e t o u t e s a n c t i f i c a t i o n ; m a i s n o t r e o b l a t i o n d o i t ê t r e u n e o f f r a n d e c o n s c i e n t e e t n o n u n e e s p è c e d e p a s s i v i t é m é c a n i q u e e t s a n s â m e . N o s e f f o r t s , n o u s a v o n s b e s o i n d ' e n c o n n a î t r e l e b u t ; n o s s a c r i f i c e s , i l f a u t e n d i s c e r n e r l e s e n s .

P o u r q u e s o i t v a l a b l e e t b e l l e c e t t e p r i è r e : « M o n D i e u , a n é a n t i s s e z e n m o i t o u t e s p o i r h u m a i n , t o u t e a t t e n t e , t o u t p r o j e t p e r s o n n e l , a f i n q u ' i l n ' y a i t p l u s q u ' u n v i d e o ù V o t r e g r â c e p u i s s e l i b r e - m e n t a g i r », i l f a u t q u ' a u p r é a l a b l e i l y a i t e u l a r é a l i t é d ' u n e p e r s o n n a l i t é c o n s c i e n t e d e s e s a s p i - r a t i o n s e t d e s e s p o s s i b i l i t é s ; e t q u e « l e v i d e » s o i t l e r é s u l t a t d e r e n o n c e m e n t s à c e q u i é t a i t

« t r o p » h u m a i n e n n o u s .

C ' e s t j u s t e m e n t p a r c e q u ' i l s s o n t l u c i d e s e t d o u - l o u r e u x q u e c e s r e n o n c e m e n t s a c q u i è r e n t u n e v a l e u r s a n c t i f i a n t e , e t o n t u n s e n s a u x y e u x d e D i e u , é t a n t e f f o r t s e t p r e u v e s d ' a m o u r .

C l i m a t

L o n g t e m p s p e u t - ê t r e l ' É v a n g i l e e s t d e m e u r é a u p r è s d e n o u s c o m m e u n l i v r e p o s é s u r l e b u r e a u . N o u s s a v i o n s q u ' i l é t a i t l à ; n o u s a i m i o n s s a p r é s e n c e s i l e n c i e u s e ; e t d é j à i l n o u s é t a i t c h e r . M a i s il é t a i t p r è s d e n o u s m y s t è r e e n c o r e v o i l é .

« A u t r e f o i s », d a n s l e s r é u n i o n s d ' A c t i o n c a t h o - l i q u e , n o u s e n a v i o n s c o m m e n t é m a i n t s p a s s a g e s . I l s a v a i e n t i n t é r e s s é n o t r e e s p r i t , é m u n o t r e c œ u r , é c l a i r é n o t r e â m e ; c e p e n d a n t t o u t c e l a —

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i l f a u t a v o i r l e c o u r a g e d e l e r e c o n n a î t r e — é t a i t t r o p s o u v e n t d e m e u r é s a n s i n t é g r a t i o n p r é c i s e o u s u f f i s a n t e e n n o t r e v i e .

L e C h r i s t é t a i t « l ' A m i » d e n o t r e j e u n e s s e , m a i s n o u s n ' a v i o n s p a s e n c o r e s o u f f e r t p o u r L u i , p a r L u i , à c a u s e d e L u i .

E t s a i t - o n l a p r o f o n d e u r e t l a s i n c é r i t é d ' u n a m o u r t a n t q u e l ' o n n ' a p a s s o u f f e r t ?

P a r c e q u e n o u s a v i o n s g r a n d i d a n s u n e a m b i a n c e c a t h o l i q u e e t n o u s a p p r o c h i o n s s o u v e n t d e s s a c r e - m e n t s d e P é n i t e n c e e t d ' E u c h a r i s t i e ; p a r c e q u e d e n o s l è v r e s e t d e n o t r e c œ u r m o n t a i e n t d e f e r - v e n t e s p r i è r e s e t q u e d é j à l e S e i g n e u r n o u s é t a i t p r é s e n c e i n t i m e e t c h è r e ; p a r c e q u e n o u s e s s a y i o n s d e c o n f o r m e r n o t r e v i e à c e t i d é a l q u e n o u s a i m i o n s , n o u s p e n s i o n s ê t r e é t a b l i s d a n s l a v é r i t é .

C o m m e s i l e s c h o s e s é t a i e n t s i s i m p l e s ! . . . C o m m e s ' i l s u f f i s a i t d ' ê t r e m a r q u é p a r u n c l i m a t , d e f a i r e o f f i c i e l l e m e n t p a r t i e d e l ' E g l i s e c a t h o l i q u e , p o u r ê t r e « c h r é t i e n » j u s q u ' a u t r é f o n d s d e l ' â m e e t r é p o n d r e à t o u t e s l e s e x i g e n c e s d e l ' É v a n g i l e ! B i e n s û r , c ' é t a i t l à u n t e r r a i n f a v o r a b l e à l ' é c l o - s i o n d e l a L u m i è r e e n n o u s , e t c e s e r a i t m a n q u e r d e l a p l u s é l é m e n t a i r e l o g i q u e q u e d e n ' ê t r e p o i n t d e c e l a r e c o n n a i s s a n t ; c e p e n d a n t i l f a u t c o m - p r e n d r e q u ' i l y a , e n c e s p r i v i l è g e s q u e l' a u b e d e n o t r e v i e n o u s a p e u t - ê t r e a c c o r d é s , u n r i s q u e r é e l , u n d a n g e r s o u s - j a c e n t , q u ' i l i m p o r t e d e c o n s i d é r e r .

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Lorsqu'on lit des témoignages vécus de conver- sions, on ne peut s'empêcher d'admirer à quel point ces néophytes sont conscients des exigences et de la grandeur de l'idéal chrétien qu'ils viennent de découvrir; combien ils se sentent tourmentés par la lumière entrevue jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à faire coïncider leur vie avec elle, car « c'est une des choses les plus extraordi- naires du monde que cette implantation de la Parole de Dieu dans une âme, et il faut une conversion pour comprendre cela à f o n d »

Il n'y a pas en eux ce faisceau d'habitudes, cette atmosphère préétablie qui pourraient être pour nous un écran et une pesanteur si nous n'y pre- nions garde. Eux, jettent sur ces choses un regard neuf et émerveillé, alors que le nôtre est, trop sou- vent, embué par l'accoutumance.

Aussi devons-nous considérer comme une grâce précieuse le jour où notre âme reçoit le choc d'une épreuve intime qui l'oblige à réfléchir et à prendre mieux conscience de l'idéal chrétien, de son alti- tude et de ses exigences.

Jusqu'alors l'Évangile était plus ou moins situé à côté de nous... Voici que, soudain, il se place « en face », en plein milieu de la route humaine où nous cheminions. Nous nous heurtons à lui comme à une réalité qui s'offre tout à coup tan- giblement.

1. THOMAS MERTON, la Nuit privée d'étoiles, p. 184.

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L' appel intérieur

Dès lors, nous ne pouvons plus nous contenter d'une tiédeur routinière ou d'un essai de compro- mis; ni demeurer dans cette espèce de pénombre où nous étions peut-être installés en une tran- quille inconscience. Biaiser? il ne peut plus en être question. « Avant », nous avions l'excuse d'être entravés par cette inconscience, alourdis par les habitudes...; mais, à présent, tout cela a été secoué, déblayé, consumé... Nous aussi, nous allons de découvertes en découvertes ; et nous serions lâches si nous n'essayions d'être logiques.

Logiques?... avec quoi? Qu'allons-nous trouver en cette heure de notre vie?

Logiques?... envers qui? pour quel amour?... Car il n'est d'immolation possible qu'au nom d'un amour...

O Christ, quelle terrible grâce, quel crucifiant bonheur que de, soudain, Vous rencontrer!

Nous étions comme les disciples d'Emmaüs. Ils soupiraient après Vous; et Vous étiez près d'eux...;

et ils ne comprenaient pas ! Ils avaient le pressen- timent confus d'une Présence, mais n'en savaient point le nom.

De même, il y avait, depuis toujours, en nous,

une nostalgie, dont nous ne savions pas bien d'où

elle venait ni vers qui elle tendait. Nous la por-

tions en secret comme un fardeau invisible et

pesant.

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Ceux qui ignorent cette nostalgie qui vient du plus profond de l'âme, du cœur et de l'esprit; qui ne connaissent point cette orientation doulou- reuse de l'être; ceux-là qui sont mécanisés comme des robots, ou sont repus en leurs propres complai- sances, doivent bien difficilement percevoir l'ap- pel intérieur!...

Ah! n'envions pas leur béate passivité ou leur inconscience, car nous ne sommes pas ici-bas pour

« travailler » ou nous distraire, mais pour cher- cher la vérité avec ferveur.

Notre passage sur la terre n'a d'autre sens que de tendre notre âme vers la Lumière; tout le reste est accessoire, ou illusion. Refuser de l'admettre serait une déloyauté qui laisserait le problème en son inexorable réalité.

Hésitations

A l'aube de nos vies, nous sommes si « humains » que nous avons peur d'une opposition cruci- fiante. Nous essayons d'établir un pont entre les plans humain et chrétien, parce que nous fré- missons devant l'éventualité d'un écartèlement.

Craignant d'être éblouis par la lumière dure et fulgurante de l'Évangile, nous soupirons après un adoucissement... impossible.

Ne regrettons pas ces difficultés et ces tâtonne-

ments. Ils étaient la première marche d'un esca-

lier qui monte. Le chemin vient de la plaine avant

de gravir la montagne; c'est déjà beau de consi-

dérer qu'il y a un escalier et d'avancer vers un

(19)

sommet... Tant n'y songent même pas, ou ne cherchent point à essayer.

L'intégration de l'idéal chrétien en notre vie nécessite, comme toute chose, un apprentissage.

Qui pourrait se flatter de comprendre d'emblée, de réussir aussitôt? A qui, pour la première fois, prend part à un travail délicat peut-on reprocher la tension de ses efforts, pleins d'une bonne volonté qui ne remplace pas la compétence, mais en est l'acheminement?

Il en va de même pour notre âme. Jamais elle n'est parvenue ici-bas; sans cesse il lui faut décou- vrir, progresser, apprendre, offrir... Jamais elle ne pourra se détendre, se reposer, considérer qu'elle en a fait assez.

Il y aura des étapes successives, des périodes de progrès — si perceptibles qu'ils en deviennent presque une angoisse —, et des périodes d'appa- rente — et même de réelle — stagnation.

Puissions-nous, du moins, ne jamais redescendre, ne point nous retourner pour mesurer les choses immolées. S'il arrive que nous trébuchions, que nous tombions peut-être, que ce soit seulement nos pieds qui dérapent ou nos genoux qui touchent terre, mais que notre regard, lui, demeure orienté vers les cimes.

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2. Rencontre

Un choc... un secret L'option

L'épanouissement d'un amour Que tous L'aiment L'oblation de midi

« Le moins que nous puissions faire c'est de ne pas plus résister à Dieu que la terre au printemps quand il vient. »

RAINIER MARIA RILKE

Un choc... un secret

Si préparatoire, indispensable m ê m e dans la majorité des cas, que soit notre nostalgie — cette perception douloureuse d ' u n m a n q u e q u ' e n fait Dieu seul p o u r r a combler —, elle ne suffit pas à provoquer « la rencontre ». Il faut souvent q u e l q u e chose de plus; u n dévoilement soudain, une lumière d ' u n e brutale intensité, u n choc.

Ici, chaque â m e a son histoire. C h a q u e c œ u r porte en soi u n secret, de Dieu seul connu.

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E t c'est ce secret-là qui c o m p t e ; c'est lui qui oriente l'histoire, et la m a r q u e du sceau divin.

« A v a n t », nous avions p u connaître des difficultés ou des souffrances. Peut-être m ê m e telles épreuves étaient-elles survenues. Mais elles n'étaient que prélude et discrètes annonciations.

Le choc spirituel est arrivé alors que nous ne l'attendions pas. L ' a u b e de ce jour-là fut en appa- rence simple c o m m e une quotidienne habitude.

Il n'y eut point d ' é v é n e m e n t particulier visible aux regards des autres ou accessible à leur connaissance. Leurs suppositions ne pourraient être qu'échafaudages imaginaires, et faux. Nous seuls, en l'intime de notre âme, savons l'incom- municable réalité.

Nos mains ont accompli les gestes requis p a r le devoir d'état. Il n ' y eut ni larmes, ni paroles; et nul alentour ne devina rien.

« J e voudrais, soupire Pierre Mille, que quel- q u ' u n , q u e l q u e penseur subtil et consciencieux, étudiât, p o u r nous la révéler, la cause de l'inten- sité de certains moments. Ils culminent, ils nous dominent. Il nous semble n'avoir vécu que pour eux, et surtout p a r eux. » « N'avoir vécu que p o u r eux » : car en cet instant de lumière s'éclaire la t r a m e de nos jours écoulés. Le sens des faits antécédents nous est, enfin, révélé ; et nous remar- quons, avec une lucidité poignante, l'action de la Providence en notre vie.

«... E t surtout p a r eux », parce que ces moments

(22)

sont plus q u ' u n p h a r e à l'égard d u passé. Ils sont constructeurs, obligeant notre â m e à reconsidé- rer toutes choses sous u n angle nouveau, et sus- citant en nous u n besoin profond et a r d e n t de vérité absolue.

Ce matin-là, après ces heures inoubliables, q u e m o n imagination n ' a v a i t j a m a i s prévues, j e me levai, étonnée de l ' a p p a r e n c e i n c h a n g é e des choses.

E t je sus q u e le sens de cet é v é n e m e n t me serait révélé en p r e n a n t tel livre, et en l ' o u v r a n t . . . ; sans chercher, ni prévoir; laissant a u Seigneur le soin de choisir lui-même la page.

J e pris donc le Pain de chaque jour de Gustave T h i b o n ; et, d ' u n coup, l'ouvris. C'était « la réponse » qu'alors m o n â m e attendait, l'explica- tion à la fois mystérieuse et nette de ce q u i venait de se passer au secret de moi-même, tellement a d a p t é e a u réel q u e j ' e n fus bouleversée.

« T o u t e épreuve grave, en ébranlant, en ébou- l a n t notre édifice moral antérieur (cimenté sou- vent p a r t a n t d ' h a b i t u d e de nous-mêmes, et de complaisance en nous-mêmes) nous fournit des m a t é r i a u x vierges p o u r u n e reconstruction de notre â m e »

C h a q u e m o t était, p o u r moi, si plein de sens, q u e je ne pus que balbutier : « M o n Dieu!... » E t

c'est alors, vraiment, q u e t o u t a commencé.

1. P. 164.

(23)

L'option

Depuis longtemps, Seigneur, je Vous aimais... et Vous aviez eu, de cette réalité, maintes preuves :

une jeunesse orientée vers Votre amour;

un foyer construit pour Votre amour;

des enfants reçus de Votre amour...

Cela fait tant d'offrandes, au long des jours!

Oui, Vous aviez les neuf dixièmes de ma vie et de mon âme;

mais il Vous manquait le dernier, le plus précieux!

celui où se réfugie notre humaine espérance, où se blottit l'essentiel de notre personnalité, où se retranchent nos rêves et nos amours.

Et voici qu'en ce jour, las d'attendre, Vous me réclamiez soudain ce dernier dixième!

celui que je tenais serré comme un trésor contre mon cœur.

Il n'était plus de sursis, plus de compromis possible; je devais alors Vous dire : « Oui » ou « Non ».

« Oui »... ou bien : « Non » ! ...

J'avais peur de dire « oui »; je ne voulais pas dire

« non »; ces deux perspectives m'écartelaient.

Duel pathétique entre mon cœur appesanti d'humain et mon âme qui vers Vous voulait s'élancer.

Heures crucifiantes, mon Dieu! Heures de solitude entre

Vous et moi-même. Et que nul en ce monde ne pouvait

alléger.

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Vraiment nous étions l'un en face de l'autre, comme sus- pendus à ma réponse,

à ma réponse qui, finalement, fut un « oui » Vous tendu

Depuis, Vous êtes là, régissant toute ma vie, faisant ployer mon cœur quand Vous le jugez bon,

conduisant mon âme au gré de Votre volonté.

Vous êtes là, Seigneur; et je Vous aime.

L'épanouissement d'un amour

Heures d'enfantement spirituel dont naît un amour, jusqu'alors encore fragile, mais que la grâce, peu à peu, va fortifier et épanouir.

C'est un peu comme une Pentecôte.

Eux aussi, les Apôtres, connaissaient et aimaient déjà le Seigneur; et pourtant quelque chose man- quait qui en ce jour leur fut accordé.

De même, voici que source en nous une prière nouvelle :

« 0 Marie, apprenez-moi l'art difficile d'une réceptivité totale à la grâce divine.

« Aidez-moi à aimer mon Seigneur plus que tout,

les mains vides, le cœur douloureux, mais l'âme

toute rayonnante de l'oblation consentie. »

L'amour du Christ a ceci de merveilleux qu'il est

au-dessus de tout égoïsme et de toute rivalité.

(25)

L'amour conjugal a besoin pour s'établir et sub- sister d'une exclusivité réciproque, il est constitué par cela même qui oriente les époux l'un vers l'autre; et il peut prendre ombrage d'une amitié ou d'une sollicitude extérieure, parce qu'il craint l'intrusion d'un tiers, ou déplore la fuite d'une part d'affection qui lui revenait de droit.

L'amour maternel doit sans cesse faire effort pour anéantir, par une héroïque abnégation, la ten- dance possessive qui instinctivement le marque.

La mère souffre de voir son enfant s'attacher à une personne au point de s'en aller vers cet amour nouveau.

L'amour filial n'est pas à l'abri de ces épreuves; et l'amour des parents entre eux, s'il se manifeste avec une prépondérance trop affirmée, peut appa- raître à l'enfant comme une frustration doulou- reuse à son égard.

L'amitié mixte, même prise selon son sens le plus haut, le plus équilibré et le plus pur, n'ignore pas ce genre de difficultés; et il peut s'introduire ici de subtiles nuances psychologiques!

Au contraire, plus l'amour du Christ devient en nous profond et passionné, plus nous souhaitons que le Seigneur soit aimé par d'autres, par tous les autres, plus et mieux encore que nous ne le pouvons nous-même! Et c'est très beau qu'il en soit ainsi!

Nous ne comparons pas; nous ne mesurons rien

— simplement nous L'aimons, Lui, de plus en

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plus, nous réjouissant avec ceux qui L'aiment, souffrant pour ceux qui Le cherchent encore.

Que tous L'aiment

Conséquence logique de cet amour pour « Lui » : va grandir et s'approfondir en nous un autre amour, celui des âmes.

Toute âme qui progresse vers Lui nous est sujet de joie, même si nous avons dû beaucoup offrir pour que ce progrès s'accomplisse; toute âme encore loin de Lui nous devient préoccupation personnelle, cause de peine, et motif de prière.

Chaque jour nous est occasion d'expérimenter cette joie, et cette souffrance. Les réactions de ceux qui nous entourent, les événements que relatent les journaux nous apparaissent selon cette perspective d'amour spirituel.

Une sollicitude nouvelle s'éveille en nous à l'égard de nos « frères errants » qui nous deviennent particulièrement chers; car les plus malheureux, les plus douloureux parmi tous, sont ceux qui sont assez conscients de la noblesse humaine pour pressentir le sens vrai de l'existence, mais, n'étant pas encore soutenus par la foi, demeurent en chemin, ne parvenant pas jusqu'à la lumière apai- sante de la vérité plénière.

Nous, chrétiens, nous pouvons avoir le cœur

lourd, parce que au fond de notre être subsiste

toujours quelque chose d'humain qui frémit

devant la douleur et s'émeut devant le mystère;

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nous pouvons être acculés à des efforts difficiles, recevoir des épreuves crucifiantes qui arrachent à notre âme des accents pathétiques ; cependant nous savons ces peines passagères et ordonnées à quelque chose de plus grand, parce que grâce nous a été donnée de regarder la terre comme un lieu de transit vers la vraie demeure, et cela main- tient en nous des reflets de sérénité. Notre nuit n'est pas privée d'étoiles; elle en est constellée, selon la mesure même de notre foi.

Tandis qu'eux! ceux qui cherchent dans une nuit totale, qui s'épuisent à chercher et meurent avant d'avoir trouvé, ne trouvent qu'après qu'ils sont morts — ceux-là ont des cris déchirants!

Plus nous avançons dans l'amour du Christ, plus nous apparaît précieux et privilégié le don de la foi catholique, et plus retentissent en notre cœur jusqu'à le bouleverser, les appels de nos frères

qu'alourdit encore la détresse de l'incertitude.

« ... Je suis malade pour un temps inconnu, note Saint-Exupéry mais je ne me reconnais pas le droit de ne pas subir cette maladie. Voilà tout.

« Aujourd'hui, je suis profondément triste, et en profondeur; je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine.

« Si j'avais la foi, il est bien certain que... je ne supporterais plus que Solesmes. On ne peut plus vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de

1. Lettre au général X...

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mots croisés, voyez-vous. On ne peut plus. On ne peut plus vivre sans poésie, couleur, ni amour...

« Loin d'où; et infidèle à quoi?... Désert de l'homme !

« De ce que j'aime, que restera-t-il? Autant que des êtres, je parle des coutumes, des intonations irremplaçables, d'une certaine lumière spiri- tuelle...

« Si je rentre vivant (de la guerre) il ne se posera pour moi qu'un problème : que peut-on? que faut-il dire aux hommes? »

Préoccupation pathétique des humains orientés, tendus vers la lumière, et qui, soudain, s'arrêtent, hésitants, accablés, avant d'avoir pu nettement saisir la vérité comblante. Comment notre cœur chrétien pourrait-il demeurer insensible à une telle détresse! Ces plaintes, ces interrogations qui restent, pour eux, suspendues dans l'incertain, nous les recueillons en notre âme et les offrons au Christ, afin qu'Il se révèle à eux.

Nous partageons leurs souffrances, afin qu'ils par- tagent notre foi, acceptant même de connaître une douloureuse sécheresse spirituelle, s'il faut ce sacrifice pour qu'eux accèdent à la lumière et à l'amour du Seigneur.

Car nous L'aimons tellement, Lui, que nous ne recherchons plus de joies personnelles. Notre amour, peu à peu, s'établit au-dessus et au-delà;

nous ne souhaitons plus qu'une seule chose : que

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les autres Le découvrent à leur tour et pro- gressent vers Lui.

L'oblation de midi

La prise de conscience de notre personnalité, l'amour divin qui s'intensifie, la sollicitude apos- tolique qui s'élargit, tout cela qui est chemine- ment vers l'essentiel, oriente nos pensées vers une réalité dont jusqu'alors nous ne saisissions pas encore toute la mesure : oblation.

Car ce mot n'est point réservé au seul langage monacal; il fait partie du vocabulaire chrétien.

Perspective austère, crucifiante même, mais qu'il ne faut point pour autant repousser sans cesse au-delà du présent, situer en un avenir perpétuel- lement différé.

Pourquoi placer « l'oblation » au « soir » de la vie? Quelle assurance avons-nous d'aller jusqu'au soir? N'est-il pas plus beau de « la » réaliser au fil des jours, dès maintenant?

Ce serait déflorer la richesse et la beauté du terme, que de lui accorder le sens restreint de la mort. Celle-ci doit être le dernier anneau de la chaîne de nos offrandes, l'ultime ratification d'une donation depuis longtemps commencée.

Cet idéal n'est pas facultatif, réservé à quelques- uns. Quelle que soit notre condition sociale, fami- liale ou personnelle, il nous est demandé d'y réfléchir et d'en tenir compte.

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Certaines fleurs offrent à notre méditation autre chose qu'un puéril symbolisme sentimental, et proposent à notre âme des réflexions d'ordre spiri- tuel auxquelles il convient de prêter attention.

La marguerite perd ses pétales quand on les lui prend de force, qu'on lui impose cette épreuve.

Elle abandonne ce qu'en fait elle ne peut éviter, puisqu'elle l'offre après qu'on le lui a pris. Consen- tement résigné.

La rose, elle, va au-devant de l'oblation. D'elle- même. De sa propre décision. Elle n'attend point qu'on lui arrache cette offrande; c'est elle qui s'offre. Témoignage d'amour.

Ainsi des âmes.

De notre âme elle-même, face à la vie, face au Seigneur.

Si l'expression « amour de Dieu » n'est plus seule- ment une réalité abstraite, mais se charge d'une ferveur humaine qui lui assure une efficience posi- tive, si Dieu n'est plus seulement Quelqu'Un que l'on respecte avec son esprit, et auquel on offre à la façon de la marguerite, mais Quelqu'Un que l'on aime avec son cœur, et auquel on offre à la manière de la rose, alors — mais alors seulement

— bien des choses difficiles deviennent possibles!

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3. L'amour de "Lui", bien essentiel

Qui : « Lui »?

Notre cœur a besoin d'aimer Une page tourne Le besoin d'un « Cyrénéen »

Il faut la lui crier

« Il n'y a qu'une seule chose à faire pendant la nuit de cette vie — l'unique nuit qui ne viendra qu'une fois —, c'est d'aimer..., d'aimer Jésus, de toute la force de notre cœur. »

Lettre de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus à sa sœur Céline.

Qui : « Lui »?

Thérèse n'alourdit point, n ' e n c o m b r e pas son â m e d ' u n e accumulation de raisonnements et de théories. Recevant de l'Église les connaissances essentielles, elle avance vers Dieu par l'amour. Cette attitude m a r q u e notre cheminement.

Pourquoi avoir titré ces pages : l ' a m o u r de Lui?...

Q u i : « Lui »? Le Christ?... Dieu?...

C o n s t a m m e n t notre â m e englobe les trois Per- sonnes divines en une m ê m e unité; et lorsque

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nous disons « Seigneur », c'est à la réalité mysté- rieuse d ' u n « T o u t » q u e s'adressent nos prières.

Il n ' e n est pas moins vrai que, selon les besoins de notre âme, nous avons souvent tendance à mettre l'accent tantôt sur l'une ou l'autre d'entre elles.

Lorsque nous implorons une manifestation de puissance, une assurance de sécurité nous son- geons surtout à Dieu notre Père ; q u a n d nous cherchons u n exemple, u n soutien, nous pensons au Christ et à son h u m a i n e vie douloureuse; le Saint-Esprit nous p a r a î t plus mystérieux, et nous recourons à Lui dans u n espoir de force ou de lumière.

Il ne s'ensuit pas moins que, malgré ces nuances qu'envisage notre h u m a i n e faiblesse, existe la fon- d a m e n t a l e et intraduisible Unité. Thérèse qui affirme : « Il n'y a q u ' u n e seule chose à faire : aimer Jésus », m e u r t en b a l b u t i a n t : « M o n Dieu, j e vous aime. » L'expression est différente, mais l ' a m o u r est le même, et s'adresse à la m ê m e R é a - lité, à « Lui », et c'est bien là l'essentiel.

Notre cœur a besoin d'aimer.

Lorsqu'une â m e féminine ploie sous le f a r d e a u d'efforts à accomplir, de renoncements à consentir, ou d ' u n e d o u l e u r qui la brûle, ce ne sont p o i n t des raisonnements théologiques — si justes et si beaux puissent-ils être — qui lui seront d ' u n réel secours.

Elle les contemplera, les a d m i r e r a , mais « de loin », à travers l'écran de sa souffrance. Ils pour-

(33)

ront lui être u n e lumière théorique, u n principe démontré, mais ils p a r v i e n d r o n t difficilement à l'informer d u « dedans ».

U n e peine superficielle ou imaginaire peut s'effa- cer à coups de raisonnements ou de savantes réflexions, mais pas une souffrance profonde, une douleur réelle. Il y a quelque chose de glacé, de trop rigide, d'abstrait, d ' i n h u m a i n dans le rai- sonnement seul. Cela peut-il suffire à une â m e masculine? E n tout cas, pas à une â m e féminine et maternelle.

Les plus hautes exhortations, les sermons les mieux construits ne lui deviendront accessibles et bien- faisants qu'après qu'elle a u r a retrouvé le m i n i m u m vital de sa sérénité, et les éléments de son équi- libre; mais, au m o m e n t m ê m e d ' u n drame, en la période si i m p o r t a n t e et délicate d ' u n e crise spi- rituelle, il lui serait difficile, sinon impossible de s'y raccrocher efficacement. Elle ne peut être sauvée que par un amour toujours plus profond, plus effectif, plus submergeant, du Christ...; l'on ne peut q u ' i m p l o r e r et offrir pour elle — fraternel- lement, mais « d u dehors » —, prier p o u r que le Christ se révèle à elle davantage, et suscite en son c œ u r l ' a m o u r qui sera son salut.

Une page tourne

L a question est-elle si grave qu'elle justifie l'emploi d'expressions aussi pathétiques : l'âme féminine ne peut être sauvée q u e p a r u n a m o u r qui sera son salut.

(34)

Elle l'est en effet. D ' a b o r d parce que t o u t pro- blème spirituel est primordial; et aussi parce que des nuances s'introduisent qu'il est temps de considérer.

Dans le c h e m i n e m e n t vers l'essentiel, la « soif » était une étape nécessaire; aspiration spontanée, expression positive, manifestation de vitalité, prise de conscience de l ' e n g a g e m e n t h u m a i n , affirma- tion désirante de la personnalité, espoir, tension, élan vers quelque chose..., elle était tout cela à la fois. Mais nous sentons bien que, m a i n t e n a n t , au livre de notre âme, une page tourne.

Q u e sont devenues les aspirations d ' u n « autre- fois » encore proche si l'on considère le calendrier, et qui p o u r t a n t paraît déjà si loin en arrière de nous? Ont-elles été comblées? Certes non! O n t - elles sombré en quelque désespoir intime? O n t - elles été anéanties p a r une trop pesante solitude?

effacées p a r la lassitude? recouvertes p a r la mono- tonie quotidienne?... Ce qui est certain c'est q u ' u n d é t a c h e m e n t s'accomplit à l'égard de bien des choses — de t a n t de choses! — et qu'il s'agit moins d ' u n désintéressement q u e d ' u n dépasse- ment.

De m ê m e que le j o u r ne succède pas d ' u n coup à l'obscurité de la nuit, mais progressivement s'annonce a v a n t de s'établir, ainsi cet amenuise- m e n t de nos aspirations s'accomplit presque à notre insu. Des faits précis, des réactions observées, nous m o n t r e n t le c h a n g e m e n t survenu, mais nous le constatons plus q u e nous ne les prévoyions.

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U n e impression de « vide » nous devient percep- tible, et nous est, en maintes occasions, révélée.

Mélancolique découverte de ce vide « autour de nous » — les efforts à accomplir sont si personnels, l'évolution si intime, que nous ne savons com- m e n t la traduire et l'exprimer —, et de ce vide

« en nous »! E t cependant, providentielle et heu- reuse vacuité, puisque c'est elle qui va nous per- mettre d'accorder une place croissante à Celui qui seul est capable de combler à la fois le vide « en nous », parce q u ' i l est Plénitude, et le vide

« a u t o u r de nous » parce q u ' i l est Reliance.

Le besoin d'un « Cyrénéen »

C'est l'heure où fleurit dans la confiance la prière héroïque : « M o n Dieu, aidez-moi à n'avoir plus d ' a u t r e volonté q u e la Vôtre. Anéantissez en moi tout espoir « h u m a i n », toute attente, tout projet personnel,

afin qu'il n'y ait plus q u ' u n vide, où Votre grâce puisse agir. Ou, si Vous jugez bon que je connaisse encore

l ' a m e r t u m e des espoirs inutiles, le t o u r m e n t des attentes vaines la souffrance des projets écroulés,

considérez tout cela comme u n holocauste et la preuve, ô m o n Dieu, que je Vous aime. » De telles paroles ne s'intègrent dans le réel q u ' à coups de souffrances acceptées; c'est pourquoi il serait si précieux alors de rencontrer un « Cyré- néen ».

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Ont-ils le droit d'être scandalisés p a r u n appel de détresse, les disciples de Celui qui, sur le c h e m i n de son holocauste, t o m b a trois fois!

L a grâce ne p e u t passer q u ' à travers u n e frater- nelle charité. « C'est avec précaution qu'il f a u t trai- ter les âmes souffrantes, m ê m e les plus i m p a r - faites, est-il noté dans l'Esprit de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Bien souvent l'on n ' y pense pas;

on les blesse p a r des inattentions, des m a n q u e s d'égards, des procédés indélicats, alors qu'il les fau- drait soulager de tout notre pouvoir. »

Puissent-ils c o m p r e n d r e ainsi leur mission ceux qui devraient nous être m é d i a t i o n et soutien!

Il f a u t la lui crier

Pour éprouver notre a m o u r , et mesurer notre fidélité, le Seigneur c e p e n d a n t p e u t p e r m e t t r e q u e nous deviennent cause de blessure ceux-là m ê m e qui devraient nous être consolation, et occasion de d é c o u r a g e m e n t ceux d o n t nous attendions réconfort.

Selon les modalités de notre situation et les nuances de notre âme, nous pouvons connaître cet écrasement. J ' a i , p o u r m a part, retrouvé des échos de mes propres souvenirs en ces lignes déchirantes de T h o m a s M e r t o n :

« T o u t e m o n histoire était si désespérée q u ' à la fin, malgré moi, des sanglots m ' é t r a n g l è r e n t la voix. Aussi le prêtre, j u g e a n t sans doute qu'il avait à faire à u n émotif, instable et stupide,

(37)

m'expliqua en termes très énergiques que ma place n'était pas dans un monastère..., me fit comprendre que je perdais son temps, et que c'était offenser le sacrement de Pénitence que de donner libre cours à mon chagrin égoïste dans son confessionnal.

« En sortant de cette épreuve j'étais complète- ment brisé. Je ne pouvais retenir les larmes qui coulaient à travers mes mains... Je priai ainsi devant le tabernacle et le grand Christ de pierre, crucifié au dessus de l'autel.

« Je n'étais plus conscient que de mon écrasante p e i n e »

Celle-ci peut aller jusqu'à susciter un épuisement physique, une défaillance perceptible aux regards d'autrui. Et voici qu'au lieu de comprendre enfin, et d'avoir pitié de l'effort surhumain que les cir- constances imposent, cela même est mal inter- prété! Rien de plus accablant, de plus blessant qu'une épreuve de ce genre; il semble que le Sei- gneur Lui-même se voile et s'en aille.

En cet instant où tout vacille — physiquement et moralement —, où la souffrance est si intense qu'elle paraît réduire la pensée en lambeaux, il ne suffit plus de « dire » à Dieu notre confiance, il faut la lui crier.

Il faut, d'un ultime effort, reconstituer en nous ces lignes de lumière :

1. La Nuit privée d'étoiles, pp. 266-267.

(38)

« Quand on peut souffrir et aimer, on peut beaucoup.

On peut le plus qu'on puisse en ce monde.

On sent qu'on souffre; on ne sent pas qu'on aime;

et c'est une grande souffrance de plus.

Mais on sait qu'on voudrait aimer, et vouloir aimer, c'est aimer. »

S A I N T J E A N DE LA C R O I X .

Admirable privilège des saints que de savoir ainsi comprendre le sens vrai des choses! Alors tout s'éclaire et se situe dans une réalité consolante.

Le problème sur lequel nous butions est délivré

de son angoissante incertitude, la détresse est puri-

fiée de son désespoir; et dans la sérénité, doulou-

reuse certes, mais paisible, nous puisons le cou-

rage de considérer avec amour les exigences

divines.

(39)

4. Exigences divines

« Il faut te dessaisir de toi-même et porter

la croix que Je t'impose;

laissant à Mon amour le soin de la choisir ».

(Mgr Firmin Lamy)

« Être oui à Dieu. » Chant d'amour

« Il faut te dessaisir de toi-même »

Ce détachement personnel, qui nous prépare à la plénitude d'accueil de la grâce et conditionne sa liberté d'action en nous, nous est demandé sur tous les plans.

Les sacrifices matériels sont le prélude et l'aube d'un dépouillement qui devient plus pénible à mesure qu'il s'intériorise.

« Autrefois », nous aimions dire : « mes » livres,

« mes » affaires, « mes » projets, « ma » chambre...

(40)

Le possessif s'est maintenant dilué dans le par- tage, il s'est effacé pour se mêler et s'intégrer à la communauté. D'exclusivement « personnel », que nous reste-t-il en fait, à nous, épouses et mamans? Pas même notre corps!... De plus en plus, le « moi » s'est amenuisé au profit du « nous » familial; et seule notre âme garde son autonomie, orientée vers le Seigneur.

A mesure que les enfants grandissent, des objets glissent de nos mains aux leurs; et ce geste, de notre part, leur paraît naturel.

Certaines personnes ont horreur de « donner ».

Elles « prêtent », à la rigueur en prenant soin de faire remarquer qu'elles demeurent propriétaires.

On comprend cette attitude, ce repliement ins- tinctif de possession. Cependant ne serait-il pas plus beau, plus saint, de ne pas trop serrer nos mains sur ces biens passagers? d'introduire ici une certaine ascèse? de ne pas attendre que la mort nous arrache de force ce que nous aurions pu offrir volontairement?

Il convient de songer à ces possibles renoncements, et de commencer tôt cet apprentissage du détache- ment. Nul ne peut savoir dans quelle mesure nous

« tenons » à tel objet, tel livre, tel souvenir ou telle habitude...; surtout, nous, femmes, qui nous attachons aux choses souvent moins pour ce qu'elles sont en elles-mêmes que pour ce que nous y plaçons de subjectivité et de sentiment. »

« Les autres » ne peuvent donc pas connaître le

prix de nos acquiescements ou de nos dons. Que

(41)

de sacrifices ainsi fleurissent en secret, tissant entre le Seigneur et nous un lien d'amour!

Un autre palier de l'ascèse : la disponibilité. Etre, à tout instant, dérangé de ce que l'on fait, du travail en cours, de la tâche entreprise ou du repos dont on aurait besoin... Accueillir les appels qui surgissent aux moments les plus inopportuns...

Dire oui quand tout en nous souhaite le contraire.

S'efforcer de comprendre et de partager les souf- frances ou les soucis des autres, alors que l'on ploie soi-même sous son propre fardeau... Ne pas se révolter, ne pas même répliquer quand des remarques intempestives ou des déceptions impré- vues viennent heurter la sensibilité ou meurtrir l'autonomie... S'épuiser à concilier des devoirs qui s'opposent et pourtant sont bien chacun

« devoir » à accomplir au mieux. Essayer d'éta- blir ou de maintenir alentour une harmonie sans cesse compromise... Tout cela rode douloureuse- ment la volonté, et constitue un apprentissage effectif de détachement.

Reste encore l'immolation de projets personnels, ou, plutôt, le consentement à les voir s'effondrer. Et au lieu de regretter en vain, simplement : regar- der le Christ et tendre vers Lui nos mains vides...

Car il est des projets qui parfois reposent long-

temps en notre cœur avant d'affleurer en sou-

haits exprimés. Mûris ainsi dans le silence, ils

ont en nous des racines profondes, et quand des

circonstances les entravent ou les détruisent, le

Fiat peut être lourd de déception ou de souf-

france.

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