LES MODALITÉS DE L’ADAPTATION DES ABEILLES
(APIS MELLIFICA L.) AU MILIEU NATUREL J. LOUVEAUX
Station de Recherches sur l’Abeille et les Insectes sociaux, 91 - Bures-sur- Yvette
avec la collaboratioii technique de :
M. ALBISETTI
Laboratoire de
Pathologie apicole
du Sud-Ouest, 40 - SabresM. DELANGUE Station
expérimentale d’Apiculture,
Centre de Recherthes
agronomiques
du Sud-Est84 -
Montfavet
M. THEURKAUFF
Station de Recherches sur l’Abeille et les Insectes sociaux, 91 - Bures-sur- Yvette
SOMMAIRE
L’auteur
après
avoir décrit les conditionsbioclimatiques
propres à trois milieux différents(Région
Parisienne, Grande Lande deGascogne,
environsd’Avignon)
expose les résultatsd’expé-
riences de permutation de colonies d’abeilles de la même race
géographique (Apis !nellifica
melli-fica)
maisoriginaires
de deux des milieux décrits.:lprès
leurdéplacement
les colonies conserventdes traits de comportement adaptés au milieu antérieur. L’auteur discute de
l’origine
et del’impor-
tance du
phénomène
en matière de sélection des abeilles.INTRODUCTION
Aucune
espèce
animale ouvégétale
nepeut
se maintenir dans un milieu donné si elle neprésente
pas les caractèresadaptatifs, anatomiques
etphysiologiques,
nécessaires à la vie au sein de ce milieu. Ces caractères sont
susceptibles
d’êtrelarges,
étroits ou très
étroits,
cequi influe,
bienentendu,
sur larépartition géographique
des
espèces.
Les caractères
adaptatifs
ne sont pastoujours
fixés d’unefaçon rigide.
Certainsorganismes
sontsusceptibles
desupporter d’importantes
variations dans leurs con-ditions de
vie ;
leuradaptation
à un nouveau milieu se traduit par des modificationsmorphologiques
ouphysiologiques auxquelles
on donnegénéralement
le nom d’acco-modats
(CuÉxoT
etTkrx y , 1051 ).
Ces modifications ne s’inscrivent pas dans lepatri-
moine héréditaire
puisque
le retour aux conditions normalesentraîne,
enprincipe,
leur
disparition.
Il existe toutefois au sein desespèces
des racesphysiologiques
dontles caractères sont stables. Ces
phénomènes
sont suffisamment connus pour que nous examinions directement le casparticulier
que constitue l’Abeille(Apis mellifica I,.).
Par son anatomie l’Abeille est
adaptée
à la récolte dupollen
et du nectar. Sil’on
considère
la florequ’elle
utilise defaçon
courante on constate que sonadaptation anatomique
au mondevégétal
est trèslarge.
L’Abeille n’est pas inféodée à uneespèce
eni même à un groupe
botanique
limité. Bien aucontraire,
ses organes de récolte luipermettent
de visiter avecprofit
lesplantes
lesplus
diverses. On notera enparticulier qu’elle peut
utiliser aussi bien desplantes
à chatons(Co Y ylus)
que des Ombellifères ou desPapilionacées.
Seules les fleurs à corolletrop profonde s’opposent
à ses visites.
D’autre
part,
on constate que l’Abeillesupporte
bien les climats lesplus
variés.On
peut
laqualifier
decosmopolite puisqu’on
la trouve presquejusqu’au
cerclepolaire
et
jusqu’à l’équateur.
Elle arapidement conquis
le Nouveau Monde et l’Australiesans que l’homme ait été
obligé
de laprotéger
defaçon particulière.
Son absencede certaines
régions équatoriales
n’est pas liée au climat maisplutôt, semble-t-il,
à l’abondance locale des ennemis naturels.
Sur le
plan
nutritionnel l’Abeille est trèsplastique.
Non seulement elle utilise le nectar et lepollen
d’ungrand
nombred’espèces végétales
mais ellepeut
récolteret utiliser pour son alimentation des
produits
deremplacement
tels que le saccharose pur, diversesfarines,
des levuresséchées,
etc.Son
cycle
annuel estsusceptible
de variationsimportantes.
Alors que sous lestropiques
les conditionsclimatiques
luipermettent
une activité à peuprès continue,
elle ne bénéficie au
Canada,
en Sibérie ou enNorvège
que dequelques
mois de beautemps chaque
année et doit faire face à unhivernage long
et dur.L’Abeille se
présente
donc aupremier
abord comme un Insecte essentiellementcosmopolite
etplastique.
En réalité il faut tenircompte
du fait quel’espèce Apis mellifica
se subdivise en un certain nombre de racesgéographiques, lesquelles
com-prennent
à leur tour des formes locales sans doute fort nombreuses maisqui,
dupoint
de vue
systématique,
sontpratiquement
insaisissables même avec l’aide de la bio- métrie(D ROEG E, i g 6o).
Les races
géographiques, qui
sont en nombrelimité,
constituent des unitéssystématiques
relativement bien définies etgénétiquement
stables. Ellesprésentent
des caractères
morphologiques
etphysiologiques distincts ;
d’autrepart
leur compor- tementprésente,
luiaussi,
desparticularités
très nettes. Ces caractèrespeuvent
être considérés commeadaptés
au milieud’origine.
Ce sontdonc,
enfait,
les racesgéographiques
de l’Abeillequi,
par leursadaptations particulières
ontpermis
à l’es-pèce
de s’étendre sur laplus grande partie
des continents. Il est certain quel’adap-
tation est assez
poussée
pourqu’il
soitpratiquement impossible
de faire vivre cer-taines abeilles africaines dans un pays
nordique. Cependant,
les racesgéographiques
des latitudes moyennes
peuvent
s’accommoder souvent de climatsextrêmes,
cequi
prouve que
l’adaptation
au milieu chez les différentes racesgéographiques
n’estjamais
devenuerigide
et laisseplace
à delarges possibilités
d’acclimatation. Les observations de LUNDER( 1953 )
confirment cette idée. Dans les conditions de laNorvège
on a pu maintenirpendant plusieurs
décennies à l’étatpratiquement
purun certain nombre de colonies d’abeilles
appartenant
à des racesgéographiques
diverses
(A.
m.Ligustica,
A. m.ca y nica,
A. m.caucasica).
Les coloniestransplantées
ont surmonté les difficultés
provenant
duchangement
de climat mais elles ont con-servé leurs traits de caractères
biologiques
etphysiologiques
essentiels. Enparticulier,
leur
cycle annuel, adapté
nécessairement aux conditionslocales,
a conservécependant
les tendances
caractéristiques
de la race(position
du maximum dedéveloppement
à l’intérieur du
cycle ; importance
relative despopulations
d’été etd’hiver).
Nous sommes donc à l’heure actuelle relativement bien
renseignés
sur les carac-tères essentiels des
principales
racesgéographiques
de l’Abeille. Nous savons queces caractères sont mesurables et que, sauf
hybridation,
ils semblent bien se conserverpour l’essentiel
lorsqu’on procède
à une tentative d’acclimatation. Il seproduit
uneadaptation généralement
suffisante pourpermettre
la surviemais,
à notre échelle destemps,
la race introduite ne devient pas laphénocopie
de la race locale dontl’adaptation
est millénaire.Par contre,
lorsqu’on
abandonne cette unitésystématique
très réellequ’est
larace
géographique
pourexplorer
le domaine des formes locales de l’Abeille que lesystématicien
nepeut plus saisir,
ons’aperçoit qu’on
manque de donnéesobjectives.
On
sait,
parce que lesapiculteurs
l’ont maintes foisobservé,
que les abeilles d’unerace
géographique
donnée n’ont pas toutes le mêmecomportement,
cequi
se traduitsur le
plan pratique
par des différences sensibles de rendement.Empiriquement,
lesapiculteurs professionnels
savent dansquelle région
ils doivent depréférence
faireleurs achats d’abeilles pour obtenir de bons résultats. En
fait,
il reste à recherchersi ces différences de
comportement
sont réelles et, dansl’affitrmative,
comment ellesse manifestent. En
supposant
que la notion de race locale doive être admise dansson sens le
plus étroit,
ilparaît
intéressant de définir les processus intimes del’adap-
tation au milieu ambiant. Encore faut-il
préalablement
définir ce milieu.Le
présent travail, qui porte
maintenant surquatre
années etqui
sepoursuit,
a pour
objet
l’étude dequelques
casprécis d’adaptation
de l’abeille noire commune(A.
m.mellifica)
à différents milieux choisis pour leurs caractères trèsparticuliers.
MATERIEL
ETMÉTHODES
L’étude des modalités de
l’adaptation
des abeilles au milieu naturel suppose : d’une part, des méthodes d’observation applicables aux différents milieux choisis pour conduire lesexpériences,
d’autre part, des méthodes permettant l’observation des réactions des colonies d’abeilles face à ce
milieu.
1
0 Lieux des
expérieuces
Les expériences ont eu lieu :
- à Bures-sur-Yvette
(Essonne),
à z5 km au sud-ouest de Paris ;- à Sabres
(Landes),
localité située sensiblement à mi-chemin de Bordeaux et de la frontièreespagnole ;
- à Montfavet
(Vaucluse)
à 7 km à l’estd’Avignon.
2
0 Jléthodes d’étude du lIlilieu naturel
Facleurs
climatiques.
- Etant donné le caractère de ce travail nous n’avons paspris
en considé-ration le micro-climat des ruchers
expérimentaux.
Ce facteur est certes plein d’intérêt mais il nous a paru plusimportant
de ne tenir compte que descaractéristiques générales
du climat régional.Grâce aux relevés de la
Météorologie
nationale (1) relatifs aux stations les plusrapprochées
deslieux de travail nous obtenons un
profil
annuel moyenbeaucoup
plussignificatif qu’un
nombreforcément très limité d’observations locales. Vous n’avons pris en considération que la
température
moyenne et la
pluviométrie.
Flore. - La flore de chacun des lieux servant aux expériences est connue par étude directe sur
le terrain dans un
périmètre
de 2à 3 km autour dechaque
rucher. Elle est connueégalement
de
façon
indirecte par l’examenqualitatif
des récoltes de pollen obtenues au moyen des trappesclassiques.
Autres facteurs. -- L’altitude des trois lieux
d’expérience
est inférieure à 100m ; ce facteur peut donc être éliminé. Le rôle de la nature du sol est fondamental mais il n’est étudiéqu’à
traversson influence sur la flore.
3
° Les colonies d’abeilles
Les colonies d’abeilles utilisées
appartiennent
toutes à ta race noire commune(A.
111. 1IIellifica).Les caractères
biométriques
utilisés pour les contrôlés sont les caractèresclassiques
telsqu’on
lestrouve décrits dans les ouvrages de base
(GoETZE
1964, RPTTNER 1963). Toutes les colonies pré-sentant un
signe d’hybridation
avec une autre racegéographique
ont été éliminées.Les colonies dites « de Bures-sur-l’vette »
appartiennent
au rucher d: la Station de Recherchassur l’Abeille et les Insectes Sociaux et peuvent être considérées comme
représentatives
de l’abeille locale du Bassinparisien.
Les colonies dites « de Sabres »
appartiennent
au rucher du Laboratoire de Pathologieapicole
du Sud-Ouest. Elles
proviennent
toutes de ruchers landais sédentairessoigneusement
choisis pour leur isolement. Rappelons que Louis (rg63) étudiant l’abeille landaise dupoint
de vuebiométrique
ne
l’a pas
trouvéesignificativement
différente de l’abeille noire d’autres régions de France.Les colonies dites « de Montfavet » appartiennent aux souches de la race noire commune sélec- tionnées
depuis
1956 par la Stationexpérimentale d’Apiculture
et dont l’étudebiométrique
a étéfaite récemment par Ex!srrnYE
( 19 6 5 ).
Pour
chaque
séried’expériences
les reines sont de même âge. Elles sontmarquées
etclippées.
On ne tient compte que des résultats obtenu, avec des colonies n’ayant pas essaimé et n’ayant pas
changé
de reine à la suite d’unorphelinage.
4
° Méthodes d’observation des colorzies d’abeilles
Dans chacun des ruchers expérimentaux on
procède
aux mêmes dates très exactement à uncertain nombre d’observations :
Poids des ruches - Les observations sont hebdomadaires. On utilise le
pèse-ruches
mis aupoint
pour la peséerapide
par FaFSrrnr! (ig6i). Les pesées sont faites avec des instruments semblables et en observant les mêmesrègles
en cequi
concerne la déduction despoids
morts.Xécolte du
pollen.
- Les relevés sont hebdomadaires. On utilise la trappe àpollen
en positionsupérieure
(LAVIE et FxESNni’E, i963) à trois rangées de trous. La libération des mâles se fait auxmêmes dates dans les trois ruchers par ouverture d’un orifice spécial à l’arrière de la trappe. Cet orifice est muni d’un chasse-abeilles
qui
interdit la rentrée des butineuses. I,a récolte est séchée à l’étuve à 40° pendant deuxjours
et elle est ensuite pesée. Un échantillonhomogène
de 10g estprélevé et sert à faire une
préparation microscopique
pour l’identification des sources depollen.
Surfaces
de cnuuain. - Aux dates fixées en début de campagne les surfaces de couvain dechaque
colonie enexpérience
sont mesurées selon la méthode de FaFSNAYF (1962).Autres observations. -’l’outes les colonies en
expérience
fontl’objet
d’une surveillance conti- nuelle en cequi
concerne la présence de la reine,l’essaimage
et l’état sanitaire.D’une
façon générale,
toutes lesprécautions
sontprises
pour rendre les observations aussicomparables
quepossible
Tout le matériel est du même modèle (ruches Dadant 10cadres)
etpeint
au moyen de la même
peinture
àpigment
aluminiun. Danschaque
ruchcr toutes les ruches ont la même orientation mais les lots sontmélangés
de façon ii éviter un effet de position. L’espace-(’) Direction de la Météorologie nationale. lésumé meusuel du Temps en France.
ment des ruches et l’utilisation de panneaux colorés devant le trou de vol permettent d’éviter la dérive (FRESNAYE
19 6 3 ).
Tous les nourrissements sont comptabilisés et réduits au strict rninimun ; ils ne sont jamais distribués d’une façonqui
pourrait conduire à une stimulation arti- ficielleimportante
de la ponte de la reine.5! Schéma général des
expériences
On
distingue
d’une part lesexpériences
ayant pourobjet
de définir descaractéristiques géné-
rales du
cycle biologique
des abeilles en un lieu donné. Dans ce cas unpetit
lot de ruches,généra-
lement trois, est mis en observation selon la méthode
qui
vient d’être exposée. On neprocède
à au-cune opération susceptible d’avoir une influence sur le
développement
de la colonie(déplacement
de cadres, introduction de bâtisses
vides) ;
on se contente de poser les hausseslorsque
cette opérationest normalement nécessaire. Les données chiffrées recueillies sont utilisées pour déterminer le
cycle biologique
des colonies.D’autre part, on
procède
à desexpériences
depermutation qui
consistent à échanger unnombre
égal
de coloniescomparables
entre deux ruchers expérimentaux. Lacomparaison
des résul-tats obtenus dans les lots ainsi constitués
renseigne
sur le degréd’adaptation
des abeilles au milieunouveau.
R;!SUI,TATS
I. - LES
CARACTÉRISTIQUES
DES MILIEUX ÉTUDIÉSL’étude de
l’adaptation
des colonies d’abeilles à un milieu donné suppose uneconnaissance
préalable
de ce milieu. Les observations dont nousdisposons
maintenantnous
permettent
de connaître pour chacun des lieux étudiés l’essentiel des facteursclimatiques
ainsi que lerythme
desprincipales
floraisons. Nous examinerons successi- vement les trois milieux ayant faitjusqu’ici l’objet
d’observations.I
. Bures-sur-Yvette
Cette localité est située dans la vallée de Chevreuse. Le
poste
d’observationsmétéorologiques
leplus proche
et pourlequel
ondispose
de moyennes trentenaires est celui deParis-Orly
où lapluviométrie
est de l’ordre de 620 mm par an avecune
répartition
à peuprès homogène
tout aulong
de l’année(fig. z).
La courbe destempératures
moyennes mensuelles(fig. 2 )
a son maximum enjuillet ( 19 0 ).
Il fautattendre avril pour que la
température
moyennedépasse
ioo ; la moyenne d’octobre n’estdéjà plus
que den0 4 .
Décembre etjanvier
sont relativement froids avec3!4.
La courbe du
poids
depollenr écolté
à latrappe (fig. 3 ) présente
une alluregéné-
rale
caractéristique
que nous retrouvonstoujours depuis
de nombreuses années(L OUV E AUX
, 195 8)
avec les inévitables variationsd’amplitude qui
tiennent au carac-tère
particulier
dechaque
saison. Ondistingue cinq périodes principales
caractérisées par la dominance d’uneplante
ou d’un groupe deplantes.
Lafigure
3donne le détail de cespériodes.
On remarquera surtout que go p. 100 dupollen
se trouve récoltéavant le 15
juillet
et 75 p. 100 entre le début de mai et le 15juillet,
c’est-à-diresur moins de 80
jours.
Si l’on examine les courbes depoids
des ruches(fig. 7 )
onretrouve le même
phénomène :
aucungain
depoids
avant lami-avril, perte
depoids
constante à
partir
du i5juillet.
Toute la récolte se fait donc sur trois mois. La courbe des surfaces de couvain(fig. 9 )
montre undéveloppement rapide
des colonies en avril et unpalier
en mai etjuin ;
à la fin du mois dejuillet
le niveau del’élevage
estdéjà
très bas et le mois de
septembre
voit l’arrêt à peuprès complet
de laponte.
Vingt
années d’observations à Bures-sur-Yvette nous démontrent defaçon
claire que le
cycle biologique
des abeilles y est essentiellementprintanier
et à un seulsommet : toute l’activité des abeilles est concentrée sur trois mois
(r 5 avril-i 5 juillet).
Nous savons d’autre
part
parexpérience
que pour obtenir les abeilles nécessairesaux
expériences
tout aulong
de l’année nous avonstoujours
étéobligés
de recourirà des
procédés
deforçage.
2 . Sabres
Le rucher du Laboratoire de
Pathologie apicole
du Sud-Ouest est situé enplein
centre de la Grande-Lande. Nous avons
déjà
étudié les caractères essentiels de cemilieu naturel
(L OUV E AUX
etA!,Brs!rTi, 19 6 3 ).
COUTURIER( 1950 )
l’avait d’ailleursprécédemment
décrit dans un article surl’apiculture
landaise. Leposte
d’observationsmétéorologiques
leplus proche
est celui de Mont-de-Marsan(fig.
i et2 ).
Lapluvio-
métrie annuelle y est de 940mm avec une
répartition
presque uniforme sur l’ensemble del’année,
l’été étant àpeine
moinspluvieux
que les autres saisons. La courbe des moyennes mensuelles detempératures
est presqueparallèle
à celle de Paris-Orly
avec undécalage
de 20 environ. Lestempératures supérieures
à 100 vont dudébut de mars à la mi-octobre. La
période
utile debutinage
est donc assezlongue.
Il convient toutefois de noter que les écarts de
température
au cours de lajournée
sont très
importants ;
nous avons pu nous en rendrecompte
en examinant defaçon plus
détaillée les relevés de laMétéorologie
nationale.Ce facteur
peut
avoir une influence assez néfaste sur ledéveloppement
des co-lonies au
printemps.
La courbe de récolte du
pollen (fig. 4 )
montre l’existence dequatre périodes
distinctes. On notera surtout l’absence de
pollen
des arbres fruitiers et le rôle très secondairejoué
par lesPapilionacées,
àpart
Ulex. Au 15juillet
iln’y
a encoreque 50 p. 100 du
pollen
totalqui
soit récolté. Au 15 août il reste encore 25 p. 100 dupollen
à rentrer et cepollen provient
surtout de la Callune. Les courbes depoids
des ruches obtenues sur trois années successives montrent que les
gains
depoids
printaniers
sont faibles(fig. 6).
La miellée laplus forte,
celle deCallune,
intervientà
partir
de la fin du mois d’août et seprolonge jusqu’en
octobre. Nos courbes coïn-cident de
façon
très satisfaisante avec celles de COUTURIER( 1950 )
concernant lapériode
ig3!-zg42, cequi
montre la stabilité du milieu landais surprès
de 3o ans.La courbe des surfaces de couvain
(fig. 9 ) présente
une ascension lente auprintemps ; l’élevage
sepoursuit
activementjusqu’en
octobre.Nous sommes donc à Sabres dans une
région
de climat humide et assez chaud où la flore deprintemps
est peu abondante.Elle
nepermet
pas undéveloppement rapide
descolonies ;
l’activité maximum est estivale et même automnale.3.
M ontfavet
Le rucher d’observations de la Station
expérimentale d’Apiculture
se trouve àquelques
centaines de mètres de la Durance, dans une zone continuellementirriguée
où dominent les cultures
maraîchères,
fruitières etfourragères.
Lapluviométrie
moyenne
d’Avignon,
stationmétéorologique
laplus proche,
est de 680 mm par an.La
pluviométrie
estivale est faible. Nedisposant
pas de relevés trentenaires de tem-pérature
pourAvignon même,
nous avonspris
en considération les moyennes annuellesd’Orange.
L’été est chaud( 23 °
enjuillet)
mais l’hiver n’est pasplus
douxqu’à
Mont-de-Marsan. La
période
d’activitépossible
des abeilles va du début de mars à la mi- octobre.La courbe de récolte du
pollen (fig. 5 )
serapproche
d’une droite allantrégulière-
ment du 15 mars au 15 octobre sans
présenter
de très grosses fluctuations. Onpeut
distinguer
5périodes principales.
On constate par ailleurs que les arbres fruitiers et lesPapilionacées jouent
un rôleessentiel).
La courbe de variation depoids
desruches
(fig. 8)
montre un maximum au début d’avril au moment de la floraisondes arbres fruitiers. Une
période
relativement creuse succède à cemaximum ;
ilfaut attendre la floraison des trèfles pour que la courbe de
poids
reprenne sa forme ascendante. Elle la conservejusqu’en octobre,
cequi s’explique
par le faitqu’on
se trouve en zone
irriguée
et que la sécheresse estivale est sans effet. La courbe des surfaces de couvain met en relief le maximumprintanier.
Pendant tout l’étél’élevage
se maintient à un bon niveau bien que la courbe soit descendante de
façon
continue.La
région
de Montfavetpeut
être considérée commeprintanière précoce
etsecondairement estivale du fait de
l’irrigation.
L’activité des abeilles est continue de mars à octobre. La flore est abondante et variée mais la note dominante est donnée par les arbres fruitiers auprintemps
et par le Trèfle blanc en été.Conclusion
Il résulte de l’étude de ces trois
types
de milieuxqu’à
l’intérieur d’un payscomme la France l’Abeille
peut
se trouver soumise à des conditions de climat et de floreprésentant
unegrande
diversité. Si nous avions pu faire l’étude d’autres bio-topes,
il estprobable
que nous aurions mis en évidence l’existence d’autresrégimes,
notamment en fonction de l’altitude et de la flore des hautes
montagnes.
Enrésumé,
on
peut déjà
opposer Bures-sur-Yvette et Montfavet à Sabres. Ces deuxpremières
localités sont du
régime printanier
en ce sens que les floraisons lesplus importantes
se situent en début de
saison ;
les arbres fruitiersjouent
un rôleessentiel ;
ils condi- tionnent ledéveloppement précoce
des colonies. Montfavet sedistingue
de Bures-sur-Yvette par le fait que
grâce
àl’irrigation
lapériode
estivale resteproductive
alors
qu’à
Bures-sur-Yvette,qui
est laplus
sèche des trois localitésétudiées,
iln’y
a
jamais
récolte estivale.Sabres est d’un
régime
tout différentqu’on peut qualifier
d’estivo-automnal. Leprintemps,
par suite de la déficience de la flore etpeut-être
aussi par suite des écartsde
température
dont il a étéquestion plus haut,
n’est pas unepériode
dedéveloppe-
ment
rapide
des colonies. L’essentiel de l’activité se manifeste en été et au début de l’automne(fig. 8,
g et10 ).
Nous noterons ici que nous
rejoignons
les observations de KOCH( 19 6 2 , ig6!, 19
65
a, b et c,19 66)
sur lesrégions
mellifères de la R. D. A. et surl’importance
des données que l’on
peut
recueillir au moyen de lapesée régulière
des ruches.On
peut
penser, apriori,
que s’il y aadaptation
des abeilles à unrégime
bio-climatique,
cetteadaptation
devrait se manifester par l’existence d’unrythme
biolo-gique calqué
sur cerégime.
Autrementdit,
l’abeille landaise seraitadaptée
à uneflore tardive caractérisée par l’abondance des
Éricacées
tandis que l’Abeille de l’Ile- de-Franceet
celle de Provence, le seraient à une flore essentiellementprécoce
carac-térisée par la dominance des Rosacées et des
Papilionacées.
Les
expériences
dontl’exposé
va suivre devraient nous éclairer sur la valeur de cettehypothèse.
II. - LES MODALITÉS DE L’ADAPTATION AU MILIEU NATUREL
1
.
Influence
d’undéplacement simple
à courte distanceDans un tout
premier
stade de nosexpériences
surl’adaptation
des abeillesau milieu naturel nous avons recherché
quelle pourrait
être l’influence d’undépla-
cement
simple
à courte distance sur lecomportement
des colonies. Nous avons donccomparé
des colonies sédentairesn’ayant jamais quitté
leur rucherd’origine
à descolonies transhumantes amenées d’une
région
voisine un peu avant le début de la miellée de Callune. L’annéeI g6 2
au cours delaquelle
ces essais furent faits ayant étéclimatiquement
anormale du fait d’une sécheressepersistante,
les résultats obtenuset
publiés
en19 6 3 (LouvEAux
etA LBISETTI )
nepeuvent
pas être considérés commetrès
significatifs.
Les différences decomportement
observées tiennentplus
aux diffé-rences d’état des colonies de
chaque
lotqu’à
une réactioncaractéristique
àl’égard
de la miellée de Callune.
Le même
type d’expérience
a étérepris
en19 6 3 .
Cette fois deux lots de trois colonies ont étécomparés.
Dans lepremier
lot ils’agissait
de colonies de race landaise locale restantpendant
toute l’année dans laGrande-Lande ;
le second lot était constitué par des colonies de la même race locale mais soumises àtranshumance,
c’est-à-dire
qu’elles passèrent
lapériode
hivernale19 6 2 -6 3
en bordure de laforêt,
en
Chalosse,
ainsi que tout leprintemps,
et ne furent amenées au rucher de la Grande- Landequ’au
début dejuillet 19 6 3 .
Pendant toute l’année onprocéda
à des mesuresde surface du couvain et à des
pesées
de la récolte dupollen mais,
fauted’équipe-
ment, on ne
put
faire lespesées
hebdomadaires des ruches. Une ruche sur bascule fut toutefois installée à Sabres cequi permit
d’obtenir une courbe intéressante.L’année
19 6 3
fut sensiblement normale dupoint
de vue des conditions météo-rologiques.
Une miellée de Callune eut lieu enaoîit-septembre
mais ne fut pas très intense. Aucune différencesignificative
decomportement
ne fut notée entre les colonies transhumantes et les colonies sédentaires. Cecipeut
tenir au fait que dans les deux lots ils’agissait
d’abeilles landaises.Étant
donné que les abeilles de Chalosse transhumentrégulièrement
dans la Grande-Lande en été onpeut
supposerqu’elles
sont aussi bien
adaptées
à la miellée de Callune que les abeilles sédentaires.Un
point
intéressant fut toutefois noté. Les ruches ayant débuté la saison en Chalosse récoltent nettementplus
depollen
au total que les ruches sédentaires. La différenceprovient
des conditions de florebeaucoup plus
favorables en Chalosse que dans la landependant
tout leprintemps.
Le tableau ipermet
d’évaluer l’im-portance
des différences constatées.Parallèlement on note un
développement plus précoce
des ruches de Chalosse, la différence étant de l’ordre de deux semaines. Notonsqu’il
nes’agit
que d’un déca-lage
des courbesqui
restent par ailleurs trèscomparables.
Étant
donné le caractèreplutôt négatif
desexpériences
de19 6 2
et19 6 3
en cequi
concernel’adaptation
nous ne nous étendrons pasdavantage
sur les résultatsobtenus au cours de ces deux années et nous verrons
plutôt
comment futreprise
la
question
en19 64.
2
. Résuttats d’une
expérie,!ice
de!errr2utation
depopulations
N’ayant
pas obtenu de résultatssignificatifs
en travaillant avec des colonies soumises à undéplacement simple
et à courte distance nous avonsorganisé
en19 6 4
une
expérience plus importante comportant
unepermutation
depopulations. Cinq
ruches landaises furent
expédiées
à Bures-sur-Yvettependant
l’hiver19 6 3 -6 4
tandisque
cinq
ruches de Bures-sur-Yvette étaientenvoyées
à leurplace
à Sabres. Autant de ruches témoins furent réservées de telle sorte que 20 colonies( 10
à Bures-sur- Yvette et io àSabres)
servirent aux essais. Cette fois nousdisposions
de tout le ma-tériel voulu et les observations
purent porter
de mars à octobre sur lepoids
desruches,
lepoids
et la nature des récoltes depollen
ainsi que sur l’étendue du couvain.Voyons
les résultats obtenus(voir également :
Louv!!ux19 65).
- Récoltes de
pollen. Jusque
vers le 15 mai les courbes cumulatives dupoids
de
pollen
récolté se recouvrent defaçon
à peuprès parfaite
aussi bien à Bures-sur- Yvettequ’à
Sabres(fig.
11 etz2).
Apartir
du 15mai,
des différences se manifestent nettement.A Bures-sur-Yvette les ruches
indigènes
montrent une intense activitéjusque
vers la fin de
juillet,
récoltant ensembleprès
de 24kg
depollen
contre 18kg
poures ruches landaises. A
partir
de la fin dejuillet
les courbes sontparallèles
avec unelégère
tendance pour les ruches landaises à récolterdavantage. Qualitativement,
une différence
importante apparaît :
toutes les ruches landaises récoltent en masse unpollen
deComposée
alors que les ruchesindigènes
travaillent presque exclusi- vement sur des Crucifères.A
Sabres,
ce sont les ruches landaisesqui prennent
la tête àpartir
du 15 mai mais les différences restent faiblesjusqu’au
début de la floraison desBruyères.
Ace moment les récoltes de
pollen
des ruches landaises croissent trèsrapidement
alorsque celles des ruches
importées
de Bures-sur-Yvette restent stationnaires. Ce n’estqu’au
début deseptembre
que les ruchesimportées
commencent à récolter lepollen
de Callune en
quantités
notables. En fin de saison l’écart est considérable : 33kg
de
pollen
au total pour les ruches landaises contre 2okg
pour les ruches de Bures- sur-Yvette, l’essentiel de la différence étant d’ailleursreprésenté
par dupollen
deCallune. Les
figures
13 et 14qui
fontdisparaître
les différencesquantitatives
mon-trent bien que le
rythme
de la récolte dupollen
est différent selonl’origine géogra-
phique
des colonies. Onrapprochera
utilement lesfigures
13 et 14 desfigures
3 et 4.Poids des ruches. - La variation du
poids
des ruches se fait selon un processus trèscomparable
à la variation dupoids
des récoltes depollen.
Les courbes depoids
sont
parallèles
à Bures-sur-Yvette et à Sabrespendant
tout leprintemps. (fig.
15,1
6 et
17 ).
A Bures-sur-Yvette ce sont les ruchesindigènes qui prennent
leplus
depoids
en fin deprintemps
et début d’été. La différenceatteignant
en moyenne 6kg
par colonie au 15
juillet.
Les courbes sont ensuiteparallèles jusqu’en
octobre. ASabres,
leparallélisme
des courbes estrigoureux jusqu’à
lami-juillet ;
àpartir
dece moment les ruches
indigènes perdent plus
depoids
que les ruchesimportées,
cequi
est dû à unélevage plus intense,
mais dès lespremiers jours
de la floraison dela Callune les ruches landaises
présentent
desgains
depoids beaucoup plus impor-
tants et finissent la saison avec un excédent de 14
kg
par colonie parrapport
aux ruchesimportées
de Bures-sur-Yvette.Surfaces
de couvain. - Nous retrouvons avec les surfaces de couvain unphé-
nomène
parallèle
aux deuxpremiers.
Les courbes obtenues sont trèscomparables jusqu’en
mai etdivergent
ensuiteplus
ou moins. A Bures-sur-Yvette on note unetendance des ruches landaises à
poursuivre plus longtemps l’élevage
que les ruchesindigènes.
A la fin du moisd’août,
les coloniesimportées
ont 42points
de couvaincontre 25 pour les colonies
indigènes
en moyenne. A Sabres les différences sontbeaucoup plus importantes ;
à la mêmeépoque
les coloniesimportées
n’ont que 28
points
de couvain contre 100 pour les ruchesindigènes,
cequi
montre bien quel’élevage
est très fortement réduit dans les ruchesimportées ;
dans les ruches indi-gènes
il a le même niveauqu’en mai,
cequi
est l’indice d’unegrande
activité(fig.
18 etig).
Il semble
qu’on puisse interpréter
comme suit les résultats obtenus eny 6q,
année
qu’on peut
considérer comme normale et même bonne aussi bien à Bures- sur-Yvettequ’à
Sabres.Jusqu’au
15 mai toutes les colonies d’un même lieud’expé-
rience se
comportent
d’unefaçon
sensiblementidentique ;
sans doute les facteursdu milieu
qui agissent
sur les coloniespendant
cettepériode
sont-ils insuffisamment discriminants. Aussi bien sur leplan
dupoids
des ruches que sur celui des récoltes depollen
ou de l’étendue du couvain il estimpossible
de mettre en évidence des diffé-rences
systématiques.
Il n’en estplus
de même àpartir
du 15 mai :!1 Bures-sur-Yvette - A cette date commence la
période
desgrandes
récoltesde
pollen
et de nectar ; les ruchesindigènes exploitent
au maximum les ressourcesdisponibles,
ce que ne font pas les abeillesimportées
des Landesqui prennent
unretard
important.
Apartir d’aoîit,
les abeillesindigènes
sontpratiquement
en hiver-nage :
perte régulière
depoids,
arrêt de laponte.
Les abeilles landaises ne sont pas dans les mêmesdispositions :
leurélevage
n’a pas cessé et elles continuent à récolter le peu depollen disponible.
Il semblequ’elles
soient à ce moment à la recherched’une floraison que le milieu ne
peut
pas leur offrirpuisque
la Callunen’y
existepratiquement
pas et que toutes les floraisonsimportantes
sontpassées.
A .Sabres -
Toujours
àpartir
du 15mai,
les ruchesindigènes prennent
unléger avantage
sur les ruchesimportées
de Bures-sur-Yvette en cequi
concerne larécolte du
pollen ;
elles semblent mieuxadaptées
à l’utilisation d’une flore pauvre ;progressivement
elles sedéveloppent, quitte
àperdre
dupoids
enjuillet
et mêmeen août pour
brusquement, lorsque
fleurit laCallune, dépasser
brutalement les ruchesimportées qui,
s’étant misesplus
ou moins enhivernage
n’ont pas puexploiter
une miellée aussi tardive.