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Un nouveau crâne humain d'une cité lacustre de la période néolithique (lac de Neuchâtel)
PITTARD, Eugène
PITTARD, Eugène. Un nouveau crâne humain d'une cité lacustre de la période néolithique (lac de Neuchâtel). Verhandlungen der Naturforschenden Gesellschaft in Basel , 1929, vol.
40, no. 2, p. 35-42
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:111489
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Un nouveau cfâne
'{e la,période néol
humain d'une cité lacustre ithique (lac {e, ,nàricnatet).
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I
figure dans
Par
Eugène Pittard.
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IExtrait
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dedder Naturforschendon Gesollschaft in Basel )).
Yol. XL, 29 partie.
I
Bâle
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fmprimerie Emile Birkhæuser & Cie.
.
1929.t\:. .)
Un
nouveaucrâne humain d'une cité lacustre de
lapériode néolithique (lac de ileuchâtel).
Avec 1 {igure dans le texte.
Par Eugène Pil.tard.
M. le
D" Pg,lrl Vouga, conservateur des collections préhisto- riques du Nlusée cle Neuchâtel a bien voulu me remettre un crâne humain,une
manclibule humaineet
quelques autresos qu'il
a,trouvés lors des dernières fouilles
qu'il
a pratiquées àPort
Conty, dansle
lac de Neuchâtel.Cette
station appartient au
Néolithique,et
ces fragmentscle squelettes proviennent cle
la
couchela
plus profonde, c'est à clirequ'ils datent du
plusvieux
Néolithiquepalafittique
suisse.Cette couche correspond à ce que M. Vouga a appelé le
IV d'Au'
vernier.Ce crâne
est d'une
couleur générale brun-grisâtreà
I'exté- rieur, d.'un brun plus foncé àl'intérieur'
Cette patine particulière,qui atteint tous les
ossements lacustres,qui leur
donne mêmeco--e un
cachet d'au.thenticité, n'est pas régulièrement répartiesur toute
l'étenduede la table
externe'La portion
postérieuredu
crâne esl de couleur plus foncée quele
teste, cequi
indiquc probablement que cette partie de la tête osseuse était plus profon- âément enfoncée dans le fumier lacustre, ou qu'elleétait
en con- tact avec des substances'plus susceptibles c1e patiner.Ce crâne est
très
vraisemblablementcelui
d'une femme.Il
est malheureusement en assez mauvais état.
Il lui
manque toute sapartie basale, une large
partie du
pariétal gauche,toute
l'écaille iemporale gauche, la partie inférieuro cle l'occipital' La face entière est absente.Dans
le
voisinage immédiat de ce crâne ona
rencontré une mandibulequi pourrait
parfaitementavoir
appartenuà
cette36 Eugène Pittard.
même
tête
osseuse,càr il s'agit très
vraisemblablement d'une machoire féminine. Oette mandibule sera décriteà
part.*
Ce crâne est d'une belle construction, de forme harmonieuse.
La
courbe antéro-postérieure se développe, d'une façon régulière, dela
glabelle àla
partie postérieure de l'occipital.En
norma supérieure,il ne
présente aucune plagiocéphalie.Le
frontal
est large, les bords pariétaux n'accusent aucune saillie exceptionnelle.Il
donne, dans cette vue, l'aspect d'un ovale régulier sans poussée particulière deI'occipital,
sans chignon.Les rebords sus-orbitaires et les bosses frontales, si elles sont 'visibles, ne donnent naissance
à
aucune saillie anormale.Les crêtes occipitales, bien marquées,
le
seraient sans doute encore davantage sile
crâneétait
masculin.Il n'y
a pas d'inion.Les apophyses mastoïdes
-
celledu
côtédroit
estla
seuleconservée
-
sontd'un
faible volume-
cequi'aide à
marquerle
caractère féminin de ce crâne.Les
sutures,en parfait état de
conservation,ont
I'aspect habituel que montreun
crâne encorejeune,
les deux branches extérieures dela
coronale, plus denticulées que la partie médiane.Elles appartiendraient au type
4
de Broca.La
suture sa,gitta,le, d'a,spect tnrrt, à; fa,it norma,l, serai.t du type 3.La
suture lambdoïde renferme plusieurs os wormiens, aussibien
dansla
branchede droite
- d'où ils ont
disparu-
quedans
la
branche gauche, oùil
en existe encoretrois. Ils
sont, depar
la
dimension de leur pluspetit
diamètre, des types2 et 3
de Broca.Ce crâne porte diverses blessures qui ne sont pas dues
à
desévénements
post
mortem.Elles ont très
vraisemblablement étéfaites sur
le
crânevivant.
Des coups extrêmement violents ont été portés sur le pariétal droit, deux d'entre eux semblent indiquer des coups de hache en pierre polie:
les marques du tranchant de cette arme sont très apparentes.Le
tranchant d'une hache placé dansla
blessures'y
adapte parfaitement.L'une d'entre
elles indiqueun
coup portédroit,
perpendiculairement surle plan
dupariétal. Il
affectela portion
antérieurede la
bosse pariétale.L'autre, plus en arrière, presque à
la limite
dela
suture sagittale, a été donné un peu obliquement. L'enfoncement de la table externe ne présente pasle
même aspect que chezla
blessure précédente.Dans les deux cas
la
table externe est enfoncée,et I'intérieur
ducrâne,
lui
aussi,montre, d'un côté
uneforte
esquille détachéo de la table, de I'autre, un enfoncement et une fissure.Il
ne s'agit paslà
de coups de pioche portésà
ce crâne lors desfouilles. La
patine que montrent les lèvres de ces blessures, aussibien à I'extérieur qu'a I'intérieur du
crâne,exclut
touto interprétation dans cette direction.De
telles blessures naturelle-ment,
ont,du avoir
de graves repercussions.La
troisième blessure, beaucoup plus étenclue, affectela
por-tion
postérieuredu
mêmepariétal,
dansIa partie qui
touche àCrd,ne lacustre d,e Port Contg.
Norma verticalis, La posilion de ce crâne a été légèremelt déviée sur la drolte, de façon à monlrèr avec netteté les coups qul onl été portés sur la oalotte (volr le texte),
Malgré cette position la forme dolichocéphale s'aperçoit fort bien.
la
suture lambdoïde.Il
semblequ'ici
deux coupsont
été portésI'un à
côté deI'autre.
Deux enfoncements exiçtent côteà
côte.La
marque de I'instrumentqui
lesa
causés est beaucoup moins visible que dans les deux cas précédents.La
matière osseuse est absenteen partie.
Peut-ôtres'agit-il
d'os wormiensqui
sous la puissance du choc se sont détachés plus facilement que ne I'auraitfait la
matière même du pariétal.En
examinant I'intérieurdu
crâne on constate qu'une partiede la
substance osseusedu pariétal est
absente.Les
esquilles ainsi formées laissent voir Ie diploé dont la patine brune, semblableJ8 Eugène Pittard.
à celle qui caractérise le crâne tout entier, exclut f idée d'une blessure moderne.
Sous de tels coups
l'individu
que nous étudionsa
dû rapide- ment succomber.Faits
de guerre?
Querelle de ménage terminée d'une façon tragique pour cette femmequi,
d'aprèsl'état
de ses sutures,était
encore jeune? i\{ystère.' I,'état
dans lequel se trouve ce crâne ne permet que quelques mensurations :diamètre
antéro-postérieur.
168 mm.diamètre
transverse.
126 mm.Cette
dernière dimensionest
obtenu.e,les pointes du
compasétant placées sur
la
partie postéro-infér:ieuredu
pariétal.frontal
minimum 92
mm.frontal
maximum.
107 mnr.courbe frontale
vraie
126 mm.courbe
pariétale.
130 mm.courbe occipitale-cérébrale
. 60
mm.L'indice céphalique est 75.
Il
indiquela
dolichocéphalie,juste
àIa limite
(classification de Broca).La mandibule trouvée dans les environs du crâne pourrait bien,
ai-je dit, avoir
appartenuà
celui-ci. Lorsqu'on placele
condyle dans la cavite glénoïde droite-
qui seule subsiste-
I'articulation marche parTaitement.La
ligne médianedu
corps ma,ndibulaire ligne symphisienne-
-
se confond, lorsque la mâ,choire est articulée dans le plan de s)'métrie bilatérale du crâne.-
Cette mandibulc,
qui
présente Ja mêmepatine
quele
crâne lui-même, est de faibles dimensions. Elle a l'aspect d'une mâchoire féminine, gracile, quoique fortement construite.Elle a
possédé16 dents. EIle n'en compte plus que 13, car
il lui
manque les deux incisives médianeset la
première prémolaire gauche. Ces dents sont belles, saines. Elles montrent presque toutes une forte usure qui laissc, en bien cles cas, apparaîtrela
matière dela
cavité pul- paire. I,es dents les plus usées sont les deux premières molaires vrares de chaque côté, les incisives et les canines.La
dernière mo-se
rendre compte de la cause de cette cassure.
En
vue latéralele
rebord mentonnier est parfaitement des-siné. Les apophyses géni sont très visibles.
Sur la
face externe,* *
tIn
Ies insertions musculaires sont bien dessinées, même en certains points accentuées, par exemple celles clu carré du menton et de la houppe du menton. Le condyle, I'apophyse coronoïde, 1'échancrure sigmoide, ne présentent I'ien de particulier
à
signaler: ces caîac- tères sont normaux.La ligne
oblique externe est bien marquée, Les trous mentonniers sont également norm&ux.Cette mâchoire, malgré ses petites dimensions
qui
aident àfixer le
sexe auquela
appartenul'individu qui
la possédait, est, nous le répétons, un instrument solide, au corps épais, notamment dans sa partie molaire. Placée sur un plan horizontal, cette man- dibule repose, non sur ses gonions mêmes, mais sur la partie arquéedu
corps.Il faut la
faire légèrement basculer en arrière pour queles
gonionstouchent le plan horizontal. La partie
antérieure symphisienne est alors nettement relevée.Voici quelques mensurations faites sur cctte mandibule : ligne
bicondylienne 104
mm.) bigoniaquo 79
mm.> mentonnière. 41
mm.hauteur symphisienne
. 25
mm.hauteur
molaire 27
mm.longueur de Ia
branche 64 mm.
:Cette dernière mesule nous
conduit à
une remarque.Les
deux condyles ne sont pastout à fait
symétriques. Celui de droite estdirigé un peu
obliquement de. I'extérieurlrers
fintérieur.
Sonpoint
médian ne se trouve donc pas placé àla
même distance du gonionpar
exemple quecelui du
condyle gauche,dont
I'aspectet la
position sont normaux.Ici
les angles externeset
internes sontà
peu prèsà la
mêmehauteur;
dansle
condyle de droite, I'angle interne est plus bas que l'angle externe.longueur de la
branche. 30
mm.corde
gonio-symphisienne 70
mm.corde
condylo-coronoïdienne
39,5 mm.La valeur ce cette
cordeest plus faible
lorsqu'on s'adresse au côtédroit
dela
mandibule.La
mauvaise articulation du condyle, dansla
cavité glénoide,dont il vient
cl'être question, explique ces variations.courbe
bigoniaque.
152 mm.épaisseur molaire
.
14,5 mm. (moyenne)(cette épaisseur
est plus
considérable à gauche qu'à droite).
angle mandibulaire.. .
62040 Eugène Pittard.
Un
dernierdétail
concernant cettemandibule:
nous avonsdit
quela
troisième molairevraie de
gaucheest
cassée. Cellede droite
est enparfait état.
Son évolution n'a pas du précéder de longtempsla mort
del'individu. Le
plissement dela
surfacetriturante est
encoreintact,
sauf dans l'angle antérieur externequi
montre une petite facette d'usure.*
Les fouilles cle
Port
Contyqui ont
mis aujour
le crâne d,ontla
descriptionvient
d'êtrefaite ont
encore donné quelques frag- ments de squelettes humains.En plus de la
mâchoiredont il a
été question ona
trouvé cinq vertèbres cervicales, dont deux atlaset un
axis(l'un
de cesatlas est de constitution
extrêmementfaible),
quelques petits morceaux de crânes,un
humérus, deux cubitus,un
radius, deux clavicules, deux phalanges.La plupart
de ces osont
appartenu à des individus jeunes et très jeunes.Il y
a là les restes d'au moins deux sujets d'âges assez différents. Aucune des épiphvses des oslongs ne sont attenantes à leurs diaphyses.
IIn
fragment de crâneayant
appartenuà un
adultene provient
pasd'un
crâne brisé aL1 cours des fouilles.La
patine ds ses bordset
leur usure I'indi- quent nettement. Pourle
momentil n'y a rien à retirer
de cesfragments osseux.
* *'
*La dolichocéphalie de ce crâne de Port Conty appelle quelques commentaires.
On se rappelle
la
construction ethnologique édifiéeau
sujet du prcmicr peuplemont des habitations lacustres: une population brachycéphale appartenant vraisemblablement autype
de l'Homo alpi,nusaurait, en
mêmetemps qu'elle apportait les
éléments matérielsde Ia civilisation néolithique
(animaux domestiques, culture des céréales, etc.), construit, sur nos lacs suisses,les
pre- miers palafittes. Ces vues, résultats peut-êtreun
peuhâtifs
desobservations faites
par les
anthropologistes suisses,avaient
été exprimées, sous une forrqe synthétique,par
G. Hervé, dans son cours sur les populations lacustres,à l'Ecole
d'Anthropologie de Paris1).
Jusqu'à présent de telles conceptionstrouvaient
crédit partout, etc'élail
naturel, puisquetel était l'état
de nos connais- sances. Je lesai
propagées moi-même-
avec quelques réserves 1) G. Herv 6, Les populat'iorts lacustres. Revue Ecole d'Anthrop. Paris, 1895cependant, dans ces dernières années, notamment depuis que la découverte,
à
St-Aubin même(Port
Conty) dansle
même vieux Néolithiquepalafittique
de cettestation, d'un
crâneà
caractère nettement dolichocéphale, semblaitmettre
comme une sourdine à cette hypothèse1). Dans Ia note publiée au sujetde ce
dernier crâne,je
disais déjà que l'édifice ethnologique rappelé ci-dessuspourrait
bien présenter quelques fissures.Il
semble aujourd'hui, avec la découverte du nouveau crâne de Port Conty, que la fissure s'élargit. Ce n'est peut-être pas encore une brèche, mais le monument ne saurait plus avoir la solidité d'assisequ'il
avait jusqu'à présent.La
découverte cle ces crânes dolichocéphales dansle
vieux néolithique palafittique suisse, pose nécessairement cette question : à qui ces crânes ont-ils appartenu? aux constructeurset
aux pre-miers habitants
des palafittes? ou à la
population terrienne,aux
autochtones,qui
devaient,tout
de même, habiterla
Suisseau moment de l'arrivée ( ?) des constructeurs palafittiques ?
Rappelous-nous
cluel éLait I'irrventaire
rnorphologique despopulations européennes
à la fin du Paléolithique.
Rappelons- nous I'abondance, dans I'Europe occiclentale, des descendants dutype de
taugerie-Chancelade-Baumes-Chaudes,individus de
sta-ture
moyenneet
dolichocéphales.Au
Magdaléniet, cef,Le raoe, car c'en est une, a sans doute habitéla
Suisse. Elle s'est installée en plusieurs points de notre pays. Dausles
Lcrupstlui
suivirenl,le
Magdalénienelle s'était,
selontoute
vraisemblance, numéri- quement accrue. Que sont devenus ses descendants ?Le crâne dont
la
descriptionvient
d'être faite, à cause de sesdimensions mêmes, semble
avoir
appartenuà un individu
detaille
moyenneou
depetite taille. Il a
l'aspect harmonique que nous reconnaissons au type humain dontil vient
d'être question.Alors, ne pourrions-nous pas avoir sous les yeux un descendant de cette race
qui
occupaitla
Suisse occidentaleau
moment où s'édifièrent les habitations lacustres ? Alors les blessures que montre ce crâne ne pourraient-elles pas être Ie résultat d'unelutte
entre ces terrienset
les lacustros ?Et
cc crôno auraitpu
être apporté commeun
trophéesur
I'esplanadepalafittique
dePort
Conty.Studer, autrefois, pour d'autres
lieux, avait
émisla
supposition que cle tels crânes isolés avaient pu être des trophées.Les aventures ethnogéniques des premiers palafittes suisses
ne m'apparaissent pas encore comme des événements très clairs.
t) Eug.
Pittard,
Dé,couaerte ttr'un uâne tlolichocë,phale d,ans le plus uieux Néol,ithirlue pa.lofittilue suisse. C. R,. Soc. Phys, et Hist. na,t. Genève, 1922,42 Eugène Pittard.
Il faut
savoir attendroavant
que d'édiÏier I'architecture précise des premiers peuplementsde la
Suissepar les Ilommes.
C'estpar
des recherches consciencieuses, de longue haleine, en strati- graphies, semblablesà
cellesque
depuisbien
des années déjà Paul Vouga pratique sur les bords du lac de Neuchâtel, que nous arriverons à savoir.Mais on
voit
combien un seul document, ostéologiquo hurriain, bien daté, soulève aussitôt de palpitantes questions.(Eingegangen 7. Juni 1929.)