Organe de la Société Intcrcautonale des Industries du J u r a , des Chambres de commerce, des Bureaux de contrôle et des Syndicats professionnels.

L e s C o n s u l a t s s u i s s e s à l ' é t r a n g e r r e ç o i v e n t l e j o u r n a l . pa

Organe de la Société Intcrcautonale des Industries du J u r a , des Chambres de commerce, des Bureaux de contrôle et des Syndicats professionnels.

L'Horlogerie à l'Exposition nationale suisse. Genève 1896

Notice descriptive de l'horlogerie de M.

W. Pigiiet, du Sentier.

— Hors concours. — Membre du Jury de l'Exposition.

M. William Piguet, de la maison Piguet, Guillaume & O , ou Sentier, expose en son nom quelques montres qui portent presque toutes une nouveauté ou un mécanisme de son invention. Ce sont des répétitions, des chronographes avec rattrapante et compteur, des foudroyantes, dont une avec répétition à minutes, deux mouvements pour laisser voir à nu des mécanismes spéciaux et une montre non terminée montée dans un cercle, répéti- tion à minutes 24 heures ; une seule pièce simple, soignée, accompagne ces complica- tions.

Toutes ces montres sont faites dans la maison depuis le métal brut, M. Piguet en trace lui-môme les calibres.

La Fédération horlogère a déjà entretenu

ses lecteurs, à l'occasion de l'exposition de Chicago, de l'isolateur de rattrapante, petit mécanisme inventé par M. Piguet, qui dégage le chronographe de toute charge lorsque la rattrapante est arrêtée. Dès lors plusieurs horlogers ont pris des brevets pour des isola- teurs qui ressemblent à s'y méprendre à celui de M. Piguet, ce qui pourrait bien devenir une source de procès.

Les montres dites à foudroyante sont des montres à seconde indépendante, marquant, par la grande seconde du centre, les secondes par quarts ou par cinquièmes de seconde comme un chronographe ordinaire. Pour une observation très précise, très délicate, cette grande aiguille ne suffit pas lorsqu'elle est arrêtée en un point quelconque du cadran, il peut y avoir indécision. Tel observateur le verra par exemple sur 7* tandis qu'un autre affirmera qu'elle est sur

s

/s. De là l'utilité d'un petit cadran à 4 ou 5 divisions placé ordinai- rement sur G heures avec une aiguille dite de foudroyante donnant un tour par seconde et s'arrètant 4 ou 5 fois par rotation, suivant que la foudroyante est à quarts ou à cin- quièmes de seconde. (Pour éviter toute con- fusion nous ne parlerons dans" ce qui suit que de foudroyantes à cinquièmes de seconde). Avec cette petite aiguille pas de confusion possible, les chiffres sont trop espacés sur le cadran

pour laisser subsister la moindre indécision.

La foudroyante est ainsi à la grande seconde ce que l'aiguille de minutes est à celle des heures, ou ce que la grande seconde est à l'aiguille des minutes.

Les premières montres à foudroyante n'é- taient pas à chronographe, quelques-unes étaient munies de l'arrêt de seconde qui per- mettait d'arrêter instantanément la grande seconde et la foudroyante ; et, lorsqu'on les mettait de nouveau en marche, elles partaient du point ou on les avait arrêtées. Avec les progrès de l'horlogerie, et, en particulier de- puis l'invention du chronographe on est de- venu plus exigeant, on a voulu que la grande seconde, puis un peu plus tard la foudroyante revinssent à volonté instantanément à zéro, pour en repartir ensemble, aussi à volonté.

Mais qu'arrive-t-il ? En général lorsqu'on arrête les aiguilles elles sont en désaccord, l'une marque telle ou telle fraction de seconde et l'autre une ou deux de plus ou de moins.

Pour que les montres à foudroyante aient une valeur réelle, comme instruments de précision, ce défaut ne doit pas exister. Il est évident que si les aiguilles ne marchent pas d'accord, on ne peut se fier à l'indication donnée, car doit-on prendre pour bonne celle de la grande ou celle de la petite ? Cette der- nière, il est vrai, est précisément là pour une lecture plus facile et doit faire foi en cas d'un léger désaccord mais aussitôt que l'écart atteint à peu prés la valeur d'une demi-seconde, on reste dans l'indécision. Si par exemple la foudroyante marque

x

/

5 e t

1

Q

grande seconde 10

3

/:. on ne peut savoir s'il faut lire 10

l

/5 ou Ii

¹

A. La montre dans ce cas n'est qu'un jouet qui procure le plaisir de voir égrener le

temps en quarts ou en cinquièmes de seconde.

M. Piguet comme on peut s'en convaincre, ne s'est donné aucun repos jusqu'à ce qu'il ait réussi à fournir, par ses montres à fou- droyante, des instruments de haute précision, utiles pour les observations les plus délicates.

Avant de passer à une autre de ses inven- tions, la cadrature de la montre 24 heures, disons un mot d'une nouveauté que la maison Piguet Guillaume & C

ie

a adoptée: nous vou- lons parler du mécanisme de M. Emile Perrin, maître à l'école d'horlogerie de la Ghaux-de- Fonds, par lequel les silences si désagréables sont supprimés dans la sonnerie des répéti- tions à minutes. Quelle que soit l'heure qui sonne, les heures, les quarts et les minutes, ou les heures et les minutes lorsqu'il n'v a

pas de quart, se suivent régulièrement sans interruption.

La montre 24 heures a-t-elle de l'avenir?

En d'autres termes la manière de compter les heures de 1 à 24 au lieu de 1 à 12 finira-t-elle par acquérir droit de cité? Plusieurs l'espèrent car elle offre de sérieux avantages pour les che- mins de fer et les télégraphes. En tous cas elle a déjà donné lieu à divers essais de minuteries ou de cadrans, dont quelques-uns très origi- naux et intéressants. L'invention de M. Piguet concerne la sonnerie, il s'est demandé:

«Comment faire sonner 24 heures 59 minutes, c'est trop long?» ce qui lui a donné l'idée de remplacer par un court signal les 12 premières heures lorsqu'il y a de 13 à 24 heures à sonner.

Ajoutons qu'une préoccupation constante de la maison Piguet Guillaume & C'

⁰

est de donner aux montres une forme élégante, de choisir sévèrement aiguilles et cadrans et de ne rien négliger sous le rapport du fini des divers organes intérieurs.

Notice descriptive de l'horlogerie de la maison Oscar Bornand, successeur de Eugène Bornand & O , de Ste-Croix. — Médaille d'argent à l'Exposition natio- nale.

Cette maison expose 10 montres. Ce qui frappe dans l'installation de cette exposition, c'est son extrême simplicité. Rien n'a été fait pour attirer le regard et, partant de ce point de vue que la valeur technique d'une montre n'est pas augmentée par une décoration riche, la maison présente ses montres de précision pour leurs mouvements, sans souci de l'acces- soire.

Les montres qui figurent à l'Exposition, tant celle qui possède un bulletin de 1™ classe de l'Observatoire de Genève que celles qui n'en ont point, peuvent toutes être données comme type de la bonne fabrication horlo- gère suisse. Elles joignent à une vraie préci- sion dans le mouvement l'avantage du bon marché et se recommandent par conséquent à l'attention de tous les amateurs. Dans une qualité plus courante, la fabrique de Sainte- Croix livre également des montres pour hom- mes, des chronographes à compteur, etc.

Nous ajouterons que les visiteuses de l'Ex- position trouvent également dans la vitrine de M. Oscar Bornand de véritables bijoux d'horlogerie qui méritent d'être remarqués.

A côté d'un, genre de montres-joaillerie d'un

goût exauis. elles Deuvent voir de très iolis

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352 LA FEDERATION HORLOGERE SUISSE

remontoirs à ancre, double plateau, levées visibles, 12 lignes, dont toutes les parties, très soignées, en font des montres donnant des résultats excellents.

Notice descriptive des échappements de la maison de M. Balavoine, horloger, de

Genève. — Médaille de bronze à l'Expo- sition nationale.

Dans la vitrine 59 du groupe I de l'Expo- sition nationale suisse, sous le n° 138 du catalogue officiel des exposants, se trouvent plusieurs montres finies et mouvements en cercle, qui sont les représentants de 3 types d'échappements de l'invention de M. Bala- voine, réalisant tous les trois des construc- tions avantageuses, à plusieurs points de vue, pour la fabrication, le rhabillage et le réglage.

1° Un échappement à ancre qui diffère des échappements généralement employés en ce sens :

a) Qu'il supprime le contrepoids tout en permettant, malgré cette suppression, la mise d'équilibre de l'ancre.

b) Un dard Breguet(àdeux plateaux) d'une seule pièce avec l'ancre.

c) Par cette construction on peut facilement faire l'axe du balancier d'une seule pièce avec les plateaux. L'ancre ouvert à 84 degrés au lieu de 60 éloigne les levées du centre de l'ancre d'une quantité suffisante pour pouvoir obtenir l'équilibre de celte pièce.

La fourchette a un trou rond pour coche:

elle se trouve entaillée à son extrémité par une fraise circulaire formant les cornes en laissant dessous une planche mince dans laquelle est prise le dard.

Le boulon de la levée du balancier a la forme horizontale: toutes les fonctions se font par des pointes (excellentes fonctions).

Si ce bouton est un peu long, il peut s'ajuster dans le corps de l'axe à un trou passant par son centre. Le corps peut alors être façonné pour faire fonction de petit plateau.

La construction de cet ancre, qui a fait ses preuves comme réglage, pourrait s'appliquer avantageusement à l'horlogerie mécanique:

sa mise en place est plus facile que celle de l'autre ancre. Sa solidité et sa stabilité en feraient un article apprécié par les rhabil- leurs. Son interchangeabilité et sa construc- tion facile seraient précieuses à la fabrication.

2° Un échappement à détente pivotée, sim- plifié et amélioré. Brevet 8132 et 10395. Sim- plifié en ce sens qu'il y a suppression du

ressort ou du petit spiral qui ramène la bascule à la position du repos. La bascule revient automatiquement à la place du repos.

Donc économie importante de construction.

Cette fonction a lieu par le moyen d'un pro- longement de la bascule, qui esta un moment donné (pendant la levée) repoussée en place par un plateau supplémentaire placé sur l'axe du balancier.

Amélioré : A. En supprimant l'arc-boute- menl de la roue qui procure l'arrêt de la pièce au porter. Le prolongement de la bascule vient, lorsque cette dernière doit rester au repos, faire une fonction analogue à celle du dard dans l'échappement à ancre et empoche la roue de sortir du repos autrement qu'au moment de la levée.

B. Par la construction du petit ressort de dégagement rendu indépendant de la bascule.

La construction de ce ressort est alors très facile; elle permet de faire un engrenage (pénétration avec le petit plateau) à volonté, surtout si le talon de ce ressort est placé sur une pièce mobile, actionnée par une vis de rappel.

Ces modifications ont été mises à l'épreuve.

Dans l'exposition de M. Balavoine il y a une pièce finie avec un bulletin de l'Observatoire de Genève, constatant que ces modifications n'ont aucun inconvénient pour le réglage:

leurs avantages sont donc entiers, c'est-à-dire

que, dès maintenant, l'échappement bascule est aussi stable au porter que celui à ancre:

il n'a plus aucun des inconvénients qui l'éloi- gnaient du marché.

Cet échappement peut se faire à tout prix et mécaniquement d'une manière complète.

3° Un nouvel échappement. Brevet 8007.

Cet échappement a toutes les qualités de l'échappement à détente, unies à celles de l'échappement à ancre, sans avoir aucun de leurs défauts.

La roue de cet échappement a des dents pointues donnant l'impulsion directement sur le balancier, sans aucun intermédiaire.

La mise en marche a lieu en remontant la pièce.

La roue ne peut sortir de son repos qu'au moment de l'impulsion. Le balancier ne peut renverser.

Pour obtenir ces résultats, il suffit d'avoir une bascule portant le repos de la roue, oscil- lant à droite et à gauche du balancier par le moyen d'un bouton de dégagement horizon- tal: puis une pièce supplémentaire qui vient toutes les deux oscillations, s'interposer entre Ia roue et le repos pour empêcher la roue de passer lorsque le balancier revient en arrière.

Un dard sur la bascule i'empèche d'osciller lorsque ce n'est pas le moment.

Une première pièce en cercle avec bulletin de lre classe de l'Observatoire de Genève, prouve que cet échappement, théoriquement établi, ne présente à la pratique aucun incon- vénient pour le réglage et le porter.

M. E. Balavoine a déjà obtenu les distinc- tions suivantes :

En 1883, aux concours de parties détachées de la montre, de la Société des ArIs de Genève, une médaille d'argent de iTC classe et une mention honorable:

En 1891, de la Société des Arts de Genève, sur des dessins présentés, deux diplômes pour modifications à introduire dans les échappe- ments à détente pivotée, avec demande de mettre ces projets à exécution, ce qui fut fait:

En 1895, de la même Société des Arts, une médaille A'encouragement pour échappe- ments perfectionnés, visant surtout le nouvel échappement à détente employé pour les chronomètres de marine, qui supprime les causes d'arrêts de cet échappement.

Exposition nationale suisse de Genève

(1C 1 mai-15 octobre 1896)

Commision de la L o t e r i e . — La Com- mission de la Loterie de l'Exposition a fait de forts beaux achats, surtout dans le groupe de l'Art moderne, où elle a aquis ceux des tableaux les plus admirés. On sait que tous les lots sont achetés à des exposants qu'aucune valeur n'est majorée et que les lots seront livrés aux gagnants avec une facture signée par le ven- leur, ce qui est une garantie de la valeur de l'objet. Le cas où un objet ne convient pas au gagnant a été prévu. Ce dernier reçoit alcrs en espèces le 70 °/° de la valeur du lot qui est rendu au vendeur avec 30 °/o comme dédom- magement.

F ê t e d e s f l e u r s à G e n è v e . — Il vient de se former un comité dans le but louable d'organiser pour le 29 et 30 août deux gran- des batailles de fleurs, sur le quai du Léman, spécialement aménagé. On connaît ces gra- cieux tournois pacifiques que les étrangers apprécient si vivement sur la cote d'azur et nous ne pouvons qu'approuver ce projet destiné à doter Genève d'une fête artistique au pre- mier chef qui sera un attrait de plus pour les nombreux hôtes qu'à attiré dans cette ville l'Exposition nationale suisse.

P a r c de P l a i s a n c e . — On vient d'in- staller au parc de plaisance un kiosque à

musique. Plusieurs société musicales s'y sont déjà fait entendre ajoutant ainsi un at- trait de plus à cette partie de l'Exposition.

Encore le « Genevois »

P o u r ne pas p e r d r e l'habitude des

«polémiques sans profil» dans lesquelles il excelle, le Genevois nous consacre un nouvel article, dans lequel il n o u s adresse quelques sotlises. C'est la ré- ponse à la réfutation serrée que nous avons l'aile de ses absurdes et injustes accusations.

Le procédé est trop dans les habitudes de ce journal p o u r (pie nous puissions nous en étonner ou nous en émouvoir.

Nous m a n q u o n s d'ailleurs d'aptitude el de goût p o u r ce genre de sport el nous lui laissons volontiers le dernier mot.

Les Maçonnais à Genève

On lit dans le Journal de Saône-et-Loire :

« Les Maçonnais ont été émerveillés de ce qu'ils ont vu et très frappés par la puissance industrielle et par les progrès immenses que révèle celle Exposition nationale. Non seule- ment l'industrie horlogère de Genève et de la Chaux-de-Fonds, les soies, les rubans, les cotons de Zurich maintiennent leur réputa- tion, mais il apparaît que pour la machinerie électrique, la Suisse se place au premier rang.

« Il faut plusieurs journées d'études pour bien apprécier l'effort puissant et les progrés de nos voisins; les Maçonnais n'avaient que quelques heures qu'ils ont trouvées trop courtes et que les attractions si pittoresques et si ingénieusement aménagées du Village suisse auraient suffi à employer.

α ... Ce que je ne puis assez dire, c'est l'en­

thousiasme mêlé de cordialité, la bonne humeur franche et simple qui présidaient à ces fêtes. Mâcon avait fait aux Suisses, en 1894, une réception magnifique. Mùcon a été surpassé' Il a été vaincu dans ce duel d'hos- pitalière amitié, mais notre défaite nous est chère, et puis, il y a toujours l'espoir d'une revanche ».

Nouvelles diverses

Technicum de Bienne. — A la suite d'abus incompatibles avec la discipline de l'établissement, la commission de surveillance du Technicum a, sur la proposition du collège des maîtres, supprimé toutes les « sociétés d'étudianls», aussi bien allemandes que fran- çaises, et interdit le port des couleurs à tous les élèves. Restent seules autorisées, une société de gymnastique, une section de chant et une société littéraire.

La situation des ouvriers américains s'est améliorée, d'après le rapport d'une commission du Sénat datant d'il y a trois ans.

Si l'on représente leurs salaires de 18G0 par le nombre 100, ils ont monté en moyenne à 147, en 1873, époque où l'on a institué l'éta- lon d'or, et à 106, en 1892. Les prix de ce qu'ils achètent ont en même temps monté de 100, en 1800, à 114 en 1873, mais ils ont ensuite baissé à 92, en 1892.

Variété

La mésaventure d'un conservateur d'un musée national, en France.

Un correspondant du Moniteur de la bijou- terie et de l'horlogerie, raconte l'amusante

• ;

LA FEDERATION HORLOGÈRE SUISSE 353

histoire suivante, qui peut servir d'avertisse- m e n t a u x personnes qui s'éprennent d'anti- quités.

M. Héron de Villefosse, un des plus distin- gués conservateur de nos musées nationaux (il est entendu que tous nos conservateurs sont distingués), passe en ce moment un assez vilain q u a r t d'heure.

On connaît le début de l'affaire. M. Héron de Villefosse a acheté pour la jolie somme de deux cent mille francs, une tiare en or dé- couverte dans un tumulus de Grimée. Lors- qu'il fil connaître cet achat à ses collègues, tous pâlirent d'envie. L'heureux acquéreur n'eut pas le triomphe modeste. Il emplit des revues de la description de sa merveilleuse trouvaille. On le félicita et les félicitations dureraient encore si un Russe (décidément, n o u s ne nous défions pas assez des Russes), n'avait écrit un beau jour que celte tiare était entièrement fausse. Il citait le village ou clic avait été fabriqpée et qui est un centre de fabrication pour tels objets.

M. Héron de Villefosse, d u r a n t quelques j o u r s , resta atterré. Mais bien vile, il reprit le dessus. M. Kœmpfen, directeur du musée, vint à son secours et écrivit a u x j o u r n a u x une lettre pour leur faire savoir qu'un autre Russe qui avait examiné minutieusement la tiare, avait acquis la certitude qu'elle était authen- tique. Les j o u r n a u x insérèrent celte lettre et M. Héron de Villefosse pouvait se croire hors d'affaire, lorsque l'un des principaux maîtres de l'archéologie allemande, M. Furtwsengler, s'avisa de déclarer ά son tour, dans un ar­

ticle très étudié et très précis que la tiare était fausse de tous points. Cet érudit alle- m a n d ne parle pas à la légère. Il a vu la tiare, il l'a tenue dans ses mains et maniée très minutieusement. Selon lui, « le travail artis- tique ne supporte pas l'examen. C'est une

compilation, une salade de motifs empruntés a u x époques les plus diverses ».

M. F u r t w œ n g l e r , avec une érudition bien allemande, indique les sources où ont puisé les truqueurs. Telle scène est copiée d'un vase italien du quatrième siècle, telle autre d'un bas-relief conservé à Saint-Pétersbourg. Cer- tains vases précieux ont tout bonnement été imités de vases de Sèvres conservés au musée de l'Ermitage. L'inscription elle-même n'a pas trouvé grâce devant M. F u r t w œ n g l e r qui a relevé un solécisme.

Peut-être M. Héron de Villefosse tenlera-t-il encore de se défendre. Mais la cause est en- tendue. Nous sommes quelques-uns, du reste, qui n'avions pas attendu l'opinion de ce Russe et de cet Allemand pour déclarer qu'il avait été dupe d'audacieux filoux. Mais naturelle- ment, on nous avait ri a u x nez. Des journa- listes s'avisant de faire la leçon à un érudit de la taille de M. Héron de Villefosse, avait- on jamais vu pareille outrecuidance.

Si la tiare avait été payée avec les deniers de M. Héron de Villefosse, il faudrait rire de sa méprise, mais elle l'a été avec les nôtres, et cela au moment même ou l'Etat avoue qu'il manque d'argent pour encourager la pro- duction contemporaine. Cette année, les ob- jets d'arts achetés aux Salons par l'Etat et par la ville n'ont pas atteint douze mille francs.

Et la tiare de M. Héron de Villefosse a été payée deux cent mille francs. Cette tiare aurait été vraie, que c'eut été du reste folie do l'acheter à pareil prix, car elle est franche- ment laide et ne présentait aucun autre intérêt que sa rareté.

On a déjà beaucoup écrit sur le truquage, Toutes les fraudes ont été dévoilées. Mais les collectionneurs et les conservateurs de nos musées sont incorrigibles. Ils payent des sommes fabuleuses, sans se lasser, les objets

les plus notoirement faux. Leur bêtise n'a d'égale que celle des dévots, auxquels on fait prendre un os de mouton par le tibia de saint Polycarpe. Nos musées, même le Louvre, sent plains d'objets aussi faux que cette tiare. Cela chacun le sait, excepté les conservateurs. Ou quand ils le savent, ils se gardent bien d'en convenir, afin de ne pas nuire à leurs intérêts.

Et, en effet, si l'on envoyait leurs collections à la foire aux j a m b o n s , que .deviendraient- ils?

J'ignore quel sera le sort de la tiare de Saïtapharnès ί Pourra-t-on la rendre au ven­

deur et recouvrer les deux cent mille francs qu'elle a coûtés? Cela me paraît peu pro- bable. Afin d'atténuer le scandale dans la mesure du possible, je crois plutôt qu'on per- sistera à soutenir qu'elle est authentique et que l'on considérera les opinions des savants étrangers comme calomnies de concurrents j a l o u x .

Moi, si j'avais voix au chapitre, je deman- derais qu'on y ajoutât deux longues oreilles, et qu'après l'avoir ainsi transformée en bonnet d'âne, on la posât sur la tète de M. Héron de Villefosse.

Cette punition ne serait-elle pas des mieux méritées ?

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