1
Bien-être et santé :
effet de mode ou réel potentiel dans la prise en charge
du patient ?
LACOSTE-BADIE Chloé
Née le 21 mars 1994 à Niort (79)
2018-2019
Sous la direction de M. Faure Sébastien Membres du jury
Soutenue publiquement le : 11 décembre 2019
Thèse pour le
Diplôme d’État de Docteur en Pharmacie
| Présidente
| Directeur
| Membre
| Membre Mme Marchais Véronique
M. Faure Sébastien M. Le Gall Didier Mme Gricourt Stéphanie
ENGAGEMENT DE NON PLAGIAT
Je soussignée, Chloé Lacoste-Badie, déclare être pleinement consciente que le plagiat de documents ou d’une partie d’un document publiée sur toutes formes de support, y compris l’internet, constitue une violation des droits d’auteur ainsi qu’une fraude caractérisée.
En conséquence, je m’engage à citer toutes les sources que j’ai utilisées pour écrire ce rapport ou mémoire.
Signé par l'étudiante le 09 / 09 / 2019
LISTE DES ENSEIGNANTS DE LA FACULTÉ DE SANTÉ D’ANGERS
Doyen de la Faculté : Pr Nicolas Lerolle
Vice-Doyen de la Faculté et directeur du département de pharmacie : Pr Frédéric Lagarce Directeur du département de médecine : Pr Cédric Annweiler
PROFESSEURS DES UNIVERSITÉS
ABRAHAM Pierre Physiologie Médecine
ANNWEILER Cédric Gériatrie et biologie du vieillissement Médecine
ASFAR Pierre Réanimation Médecine
AUBE Christophe Radiologie et imagerie médicale Médecine
AUGUSTO Jean-François Néphrologie Médecine
AZZOUZI Abdel Rahmène Urologie Médecine
BAUFRETON Christophe Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Médecine
BENOIT Jean-Pierre Pharmacotechnie Pharmacie
BEYDON Laurent Anesthésiologie-réanimation Médecine
BIGOT Pierre Urologie Médecine
BONNEAU Dominique Génétique Médecine
BOUCHARA Jean-Philippe Parasitologie et mycologie Médecine
BOUVARD Béatrice Rhumatologie Médecine
BOURSIER Jérôme Gastroentérologie ; hépatologie Médecine
BRIET Marie Pharmacologie Médecine
CAILLIEZ Eric Médecine générale Médecine
CALES Paul Gastroentérologe ; hépatologie Médecine
CAMPONE Mario Cancérologie ; radiothérapie Médecine
CAROLI-BOSC François-xavier Gastroentérologie ; hépatologie Médecine CHAPPARD Daniel Cytologie, embryologie et cytogénétique Médecine
CONNAN Laurent Médecine générale Médecine
COUTANT Régis Pédiatrie Médecine
COUTURIER Olivier Biophysique et médecine nucléaire Médecine
CUSTAUD Marc-Antoine Physiologie Médecine
DE BRUX Jean-Louis
DE CASABIANCA Catherine Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
Médecine Générale Médecine
Médecine
DESCAMPS Philippe Gynécologie-obstétrique Médecine
DINOMAIS Mickaël Médecine physique et de réadaptation Médecine
DIQUET Bertrand Pharmacologie Médecine
DUBEE Vincent Maladies Infectieuses et Tropicales Médecine
DUCANCELLE Alexandra Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Médecine
DUVAL Olivier Chimie thérapeutique Pharmacie
DUVERGER Philippe Pédopsychiatrie Médecine
EVEILLARD Mathieu Bactériologie-virologie Pharmacie
FANELLO Serge Épidémiologie ; économie de la santé et prévention
Médecine
FAURE Sébastien Pharmacologie physiologie Pharmacie
FOURNIER Henri-Dominique Anatomie Médecine
FURBER Alain Cardiologie Médecine
GAGNADOUX Frédéric Pneumologie Médecine
GARNIER François Médecine générale Médecine
GASCOIN Géraldine Pédiatrie Médecine
GOHIER Bénédicte Psychiatrie d'adultes Médecine
GUARDIOLA Philippe Hématologie ; transfusion Médecine
GUILET David Chimie analytique Pharmacie
HAMY Antoine Chirurgie générale Médecine
HUNAULT-BERGER Mathilde Hématologie ; transfusion Médecine
IFRAH Norbert Hématologie ; transfusion Médecine
JEANNIN Pascale Immunologie Médecine
KEMPF Marie Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Médecine
LACCOURREYE Laurent Oto-rhino-laryngologie Médecine
LAGARCE Frédéric Biopharmacie Pharmacie
LARCHER Gérald Biochimie et biologie moléculaires Pharmacie
LASOCKI Sigismond
LEGENDRE Guillaume Anesthésiologie-réanimation
Gynécologie-obstétrique Médecine
Médecine
LEGRAND Erick Rhumatologie Médecine
LERMITE Emilie Chirurgie générale Médecine
LEROLLE Nicolas Réanimation Médecine
LUNEL-FABIANI Françoise Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Médecine
MARCHAIS Véronique Bactériologie-virologie Pharmacie
MARTIN Ludovic Dermato-vénéréologie Médecine
MENEI Philippe Neurochirurgie Médecine
MERCAT Alain Réanimation Médecine
MERCIER Philippe Anatomie Médecine
PAPON Nicolas Parasitologie et mycologie médicale Pharmacie
PASSIRANI Catherine Chimie générale Pharmacie
PELLIER Isabelle Pédiatrie Médecine
PETIT Audrey Médecine et Santé au Travail Médecine
PICQUET Jean Chirurgie vasculaire ; médecine vasculaire Médecine
PODEVIN Guillaume Chirurgie infantile Médecine
PROCACCIO Vincent Génétique Médecine
PRUNIER Delphine Biochimie et Biologie Moléculaire Médecine
PRUNIER Fabrice Cardiologie Médecine
REYNIER Pascal Biochimie et biologie moléculaire Médecine
RICHARD Isabelle Médecine physique et de réadaptation Médecine
RICHOMME Pascal Pharmacognosie Pharmacie
RODIEN Patrice Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques
Médecine
ROQUELAURE Yves Médecine et santé au travail Médecine
ROUGE-MAILLART Clotilde Médecine légale et droit de la santé Médecine ROUSSEAU Audrey Anatomie et cytologie pathologiques Médecine ROUSSEAU Pascal Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique Médecine ROUSSELET Marie-Christine Anatomie et cytologie pathologiques Médecine
ROY Pierre-Marie Thérapeutique Médecine
SAULNIER Patrick Biophysique et biostatistique Pharmacie
SERAPHIN Denis Chimie organique Pharmacie
SUBRA Jean-François Néphrologie Médecine
UGO Valérie Hématologie ; transfusion Médecine
URBAN Thierry Pneumologie Médecine
VAN BOGAERT Patrick Pédiatrie Médecine
VENIER-JULIENNE Marie-Claire Pharmacotechnie Pharmacie
VERNY Christophe Neurologie Médecine
WILLOTEAUX Serge Radiologie et imagerie médicale Médecine
MAÎTRES DE CONFÉRENCES
ANGOULVANT Cécile Médecine Générale Médecine
ANNAIX Véronique Biochimie et biologie moléculaires Pharmacie
BAGLIN Isabelle Chimie thérapeutique Pharmacie
BASTIAT Guillaume Biophysique et biostatistique Pharmacie
BEAUVILLAIN Céline Immunologie Médecine
BELIZNA Cristina Médecine interne Médecine
BELLANGER William Médecine générale Médecine
BELONCLE François Réanimation Médecine
BENOIT Jacqueline Pharmacologie Pharmacie
BIERE Loïc Cardiologie Médecine
BLANCHET Odile Hématologie ; transfusion Médecine
BOISARD Séverine Chimie analytique Pharmacie
CAPITAIN Olivier Cancérologie ; radiothérapie Médecine
CASSEREAU Julien Neurologie Médecine
CHEVAILLER Alain Immunologie Médecine
CHEVALIER Sylvie Biologie cellulaire Médecine
CLERE Nicolas Pharmacologie / physiologie Pharmacie
COLIN Estelle Génétique Médecine
DERBRE Séverine Pharmacognosie Pharmacie
DESHAYES Caroline Bactériologie virologie Pharmacie
FERRE Marc Biologie moléculaire Médecine
FLEURY Maxime Immunologie Pharmacie
FORTRAT Jacques-Olivier Physiologie Médecine
HAMEL Jean-François Biostatistiques, informatique médicale Médicale
HELESBEUX Jean-Jacques Chimie organique Pharmacie
HINDRE François Biophysique Médecine
JOUSSET-THULLIER Nathalie Médecine légale et droit de la santé Médecine LACOEUILLE Franck Biophysique et médecine nucléaire Médecine
LANDREAU Anne Botanique/ Mycologie Pharmacie
LEBDAI Souhil Urologie Médecine
LEGEAY Samuel Pharmacocinétique Pharmacie
LE RAY-RICHOMME Anne-Marie Pharmacognosie Pharmacie
LEPELTIER Elise Chimie générale Pharmacie
LETOURNEL Franck Biologie cellulaire Médecine
LIBOUBAN Hélène Histologie Médecine
MABILLEAU Guillaume Histologie, embryologie et cytogénétique Médecine
MALLET Sabine Chimie Analytique Pharmacie
MAROT Agnès Parasitologie et mycologie médicale Pharmacie
MAY-PANLOUP Pascale Biologie et médecine du développement et de la reproduction
Médecine
MESLIER Nicole Physiologie Médecine
MOUILLIE Jean-Marc Philosophie Médecine
NAIL BILLAUD Sandrine Immunologie Pharmacie
PAILHORIES Hélène Bactériologie-virologie Médecine
PAPON Xavier Anatomie Médecine
PASCO-PAPON Anne Radiologie et imagerie médicale Médecine
PECH Brigitte Pharmacotechnie Pharmacie
PENCHAUD Anne-Laurence Sociologie Médecine
PIHET Marc Parasitologie et mycologie Médecine
PY Thibaut Médecine Générale Médecine
RINEAU Emmanuel Anesthésiologie réanimation Médecine
RIOU Jérémie Biostatistiques Pharmacie
ROGER Emilie Pharmacotechnie Pharmacie
SAVARY Camille Pharmacologie-Toxicologie Pharmacie
SCHMITT Françoise Chirurgie infantile Médecine
SCHINKOWITZ Andréas Pharmacognosie Pharmacie
SPIESSER-ROBELET Laurence Pharmacie Clinique et Education Thérapeutique Pharmacie
TANGUY-SCHMIDT Aline
TESSIER-CAZENEUVE Christine Hématologie ; transfusion
Médecine Générale Médecine
Médecine
TRZEPIZUR Wojciech Pneumologie Médecine
AUTRES ENSEIGNANTS
AUTRET Erwan Anglais Médecine
BARBEROUSSE Michel Informatique Médecine
BRUNOIS-DEBU Isabelle Anglais Pharmacie
CHIKH Yamina Économie-Gestion Médecine
FISBACH Martine Anglais Médecine
O’SULLIVAN Kayleigh Anglais Médecine
PAST
CAVAILLON Pascal Pharmacie Industrielle Pharmacie
LAFFILHE Jean-Louis Officine Pharmacie
MOAL Frédéric Pharmacie clinique Pharmacie
ATER
FOUDI Nabil Physiologie Pharmacie
KILANI Jaafar Biotechnologie Pharmacie
WAKIM Jamal Biochimie et chimie biomoléculaire Médecine
AHU
BRIS Céline Biochimie et biologie moléculaire Pharmacie
CHAPPE Marion Pharmacotechnie Pharmacie
LEBRETON Vincent Pharmacotechnie Pharmacie
CONTRACTUEL
VIAULT Guillaume Chimie organique Pharmacie
REMERC IEMEN T S
Aux membres de mon jury
Monsieur Sébastien Faure, professeur de pharmacologie
Je vous remercie d’avoir accepté de diriger cette thèse et d’avoir soutenu mon choix d’un sujet peu commun en pharmacie. Merci pour votre disponibilité, pour le temps que vous avez accordé à la relecture de mes travaux, et pour vos conseils pertinents. Merci également pour vos enseignements à la faculté de pharmacie.
Madame Véronique Marchais, professeur de virologie
Merci de me faire l’honneur de présider mon jury de thèse. Merci également pour vos enseignements à la faculté de pharmacie.
Monsieur Didier Le Gall, professeur de neuropsychologie
Merci pour le temps que vous avez accordé à la relecture de mon travail et pour vos précieux conseils. Votre expertise m’a permis d’enrichir ma réflexion sur ce sujet. Merci d’avoir accepté d’être membre de mon jury.
Madame Stéphanie Gricourt, psychologue clinicienne
Merci d’avoir pris le temps de répondre avec bienveillance à mes questions sur la psychologie dans le cadre de mes études, il y a plusieurs années. Merci d’avoir accepté d’être membre de mon jury.
REMERC IEMEN T S
À ma famille et à mes amis
Papa, maman, Étienne et Romane, merci pour votre soutien depuis toujours et pour votre bienveillance. Merci pour tous ces moments ensemble. Avec nos cinq visions du monde, parfois si différentes, tous nos échanges sont tellement enrichissants.
Papy et mamie, merci infiniment pour votre accueil et votre soutien l’année de ma préparation au concours de la PACES. Grâce à vous, je garde un très beau souvenir de cette première année d’études.
Bernadette, Anne-Sophie, Aïda, merci pour toutes ces discussions sans fin qui nous animent depuis des années, et qui m’ont probablement inspiré le sujet de cette thèse.
Florentin, merci pour ta présence, ta patience et ton soutien pendant ces années d’études à Angers. Je suis heureuse de continuer à partager mon quotidien avec toi aujourd’hui.
Merci également à toutes les personnes avec qui j’ai partagé de bons moments tout au long de mes études.
Table des matières
Abréviations ... 11
Figures ... 11
Tableaux ... 11
Introduction ... 12
Partie 1 : L’effet du bien-être sur la santé ... 14
1. Contexte ... 15
1.1. Approches psychosomatiques de la santé ... 15
1.2. L’impact des émotions négatives sur la santé ... 16
1.3. L’essor de la recherche sur le bien-être ... 16
2. Définitions et mesures ... 19
2.1. Bien-être ... 19
2.2. Santé ... 21
3. L’effet du bien-être sur la santé ... 22
3.1. Méthode de recherche et constats préliminaires ... 22
3.2. Taille d’effet évaluée par les revues quantitatives ... 25
3.3. L’étude des mécanismes impliqués ... 31
4. Discussion ... 37
4.1. Problématiques rencontrées ... 37
4.2. Interprétation des résultats ... 40
4.3. Potentiel de ces études ... 41
Partie 2 : Applications dans la prise en charge du patient douloureux ... 44
1. La douleur ... 45
1.1. Généralités ... 45
1.2. Enjeux de la prise en charge de la douleur ... 47
1.3. Place des thérapies complémentaires dans la prise en charge de la douleur ... 51
2. Approches thérapeutiques basées sur le bien-être ... 56
2.1. Méditation de pleine conscience ... 56
2.2. Musicothérapie ... 64
2.3. Sophrologie ... 70
3. Discussion ... 73
3.1. Forces des approches thérapeutiques basées sur le bien-être dans la prise en charge de la douleur ... 73
3.2. Limites des approches thérapeutiques basées sur le bien-être dans la prise en charge de la douleur ... 75
3.3. Intérêt pour le pharmacien ... 79
Conclusion ... 81
Bibliographie ... 83
Annexes ... 96
Annexe 1 : Questionnaires utilisés pour l’évaluation du bien-être ... 96
Annexe 2 : Tableau récapitulatif des revues sur l’efficacité de la méditation de pleine conscience dans la douleur chronique ... 98
Annexe 3 : Recommandations de l’Académie Nationale de Médecine au sujet des thérapies complémentaires88 ... 100
Abréviations
AP-HP : Assistance Publique Hôpitaux de Paris DGOS : Direction Générale de l’Offre de Soins DU : Diplôme Universitaire
HAS : Haute Autorité de santé HR : Hazard Ratio
IASP : International Association for the Study of Pain IgAs : Immunoglobines A dans leur forme sécrétoire MBSR : Mindfulness Based Stress Reduction
MIVILUDES : Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires OMS : Organisation Mondiale de la Santé
RCT : Randomized Controlled Trial
SDC : Structure de prise en charge de la Douleur Chronique SFETD : Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur
Figures
Figure 1. Modèle de l'effet direct. Figure traduite et adaptée.27 ... 31 Figure 2. Effets du bien-être sur la santé : modèle de l'effet direct et modèle de l'effet indirect.
Figure traduite et adaptée.27 ... 35
Tableaux
Tableau 1. Synthèse des caractéristiques et résultats des méta-analyses qui évaluent l'effet du bien-être sur la santé. ... 30
Introduction
« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »
Extrait de la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, signée en 1946.
Les grands penseurs, philosophes, scientifiques et artistes de l’Histoire se sont souvent intéressés au concept universel du bien-être. Aujourd’hui, c’est un sujet de réflexion incontournable dans de nombreux domaines de notre société. Ainsi, les économistes et politiques cherchent à comprendre ce qui contribue au bien-être des individus et des pays, afin d’identifier comment susciter plus de progrès pour tous.1–3 Au niveau individuel, les livres de développement personnel sur le sujet se multiplient et le mode de vie « hygge » des danois, les citoyens qui se perçoivent parmi les plus heureux du monde, devient de plus en plus populaire. L’industrie du bien-être a vu sa croissance augmenter de 12,8% entre 2015 et 2017, soit presque deux fois plus vite que la croissance économique globale.4 Depuis peu, le monde du travail français voit se développer un nouveau métier venu des États-Unis, celui de « Chief Happiness Officer ». Sa mission est de favoriser le bien-être au travail afin d’éviter le turn- over important, d’améliorer la productivité et de réduire l’absentéisme.5
Dans le domaine de la recherche, des scientifiques se sont intéressés de plus près au lien entre bonheur et santé. Le développement de la psychologie positive et des neurosciences affectives a favorisé l’essor de ces recherches, dont les publications sur le sujet sont aujourd’hui abondantes. En tant que professionnelle de santé, je suis convaincue qu’une réflexion transdisciplinaire sur le parcours de soins du patient peut être bénéfique. Dans le cadre de ma thèse pour le diplôme d’État de Docteur en Pharmacie, je décide donc de m’interroger sur ces recherches. Sont-elles simplement le fruit d’un effet de mode ou présentent-elles au contraire un réel potentiel dans la prise en charge des patients ?
Afin de proposer des éléments de réponses à cette question, la première partie de cette thèse s’intéresse à l’hypothèse récurrente selon laquelle les individus les plus heureux sont en meilleure santé que les autres. Les recherches au sujet de l’effet du bien-être sur la santé seront présentées et discutées. À l’issue de cette première partie, des thérapies basées sur le bien-être et utilisées dans la prise en charge de la douleur seront identifiées. Leurs forces,
leurs limites et le rôle du pharmacien dans leurs enjeux seront les thèmes discutés dans la seconde partie de cette thèse.
Partie 1 : L’effet du bien-être sur la santé
L’objectif de cette première partie est de présenter un aperçu général et actuel de la recherche scientifique portant sur le bien-être et la santé. Le contexte dans lequel se sont développées ces recherches sera expliqué, les termes « bien-être » et « santé » seront précisés et les résultats des études ayant évalué l’effet du bien-être sur la santé seront présentés et discutés.
1. Contexte
Les réflexions du XXème siècle sur le potentiel de l’approche psychosomatique en médecine ont favorisé le développement de la recherche scientifique sur les déterminants psychosociaux de la maladie. Dans un premier temps, des chercheurs ont étudié l’effet néfaste du stress et d’autres émotions négatives pour la santé. Progressivement, des hypothèses sur les effets bénéfiques du bien-être pour la santé ont été étudiées également.
1.1. Approches psychosomatiques de la santé
L’idée que l’état psychologique de l’individu puisse influencer sa vulnérabilité à diverses maladies n’est pas nouvelle. Le terme « psychosomatique » a été introduit en psychiatrie par Heinroth en 1818, et dans les années 1930, la médecine psychosomatique moderne est fondée.
Ce nouveau domaine reprend deux concepts de tradition ancienne dans la pensée occidentale : la psychogenèse de la maladie et le holisme, théorie selon laquelle l’homme est un tout indivisible qui ne peut être expliqué par ses différentes composantes physique, physiologique et psychique séparément. Puis, Engel, développe dans les années 1960 un modèle multifactoriel de la maladie, nommé biopsychosocial. La maladie est vue comme le résultat de systèmes qui interagissent à différents niveaux : cellulaire, tissulaire, organique, interpersonnel et environnemental. Dans les années 1970, Lipowski apporte sa contribution en définissant le cadre, la mission et les méthodes de la médecine psychosomatique. Il identifie notamment la discipline comme une discipline scientifique concernée par l’étude des relations entre les déterminants biologiques, psychologiques et sociaux de la santé et de la maladie.
Plus tard, il est mis en évidence que le poids relatif des facteurs psychosociaux varie considérablement d’un individu à l’autre pour une maladie, soulignant le problème de considérer les maladies comme des entités homogènes. Dans les années 1990, un intérêt grandissant est apparu pour la médecine holistique, qui partage la même approche globale que la médecine psychosomatique, et qui est liée inextricablement aux médecines alternatives.6
Aujourd’hui, plus de quatre-cents pratiques thérapeutiques sont recensées par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans la famille des médecines dites « alternatives », « complémentaires » ou « traditionnelles ». Ces médecines non conventionnelles, incluant notamment l’homéopathie, l’ostéopathie, l’hypnose médicale et l’acupuncture sont aujourd’hui très populaires auprès du grand public. De plus en plus d’établissements hospitaliers les
intègrent dans leur arsenal thérapeutique et il n’est pas rare que des médecins déclarent un titre ou une orientation de médecine alternative et complémentaire.7
D’après Fava, en médecine clinique, le développement de trois phénomènes souligne le potentiel d’une approche psychosomatique dans certaines situations. Ces phénomènes sont les suivants :
- La somatisation, tendance à expérimenter et communiquer un stress psychologique sous la forme de symptômes physiques. Il s’agit d’un phénomène clinique répandu, qui pourrait impliquer 30 à 40% des patients.
- Les symptômes « mystérieux », c’est-à-dire ceux qui ne rentrent pas dans une rubrique de diagnostic qui convient. Ils représentent une proportion significative de problèmes présentés au médecin généraliste.
- La place de plus en plus importante accordée à la qualité de vie. C’est particulièrement important pour les patients atteints de maladies chroniques pour lesquelles il n’y a pas de guérison possible, ainsi que pour les soignants familiaux de ces malades, dont la charge émotionnelle et physique est devenue de plus en plus manifeste.6
1.2. L’impact des émotions négatives sur la santé
Dans un premier temps, l’intérêt de la recherche académique s’est surtout porté sur les effets néfastes des émotions négatives sur la santé. L’essentiel du travail empirique a été réalisé autour du stress. En 2004, une méta-analyse est réalisée sur plus de trois-cents articles empiriques qui étudient la relation entre stress psychologique et paramètres du système immunitaire. Les résultats montrent que si la réponse adaptative à un événement stressant induit des changements bénéfiques pour le système immunitaire, plus cette réponse devient chronique, plus les composants du système immunitaire sont affectés de manière préjudiciable. Le corps devient donc plus vulnérable aux maladies ou aux défaillances physiques.8 Par ailleurs, il est montré que l’anxiété, la colère ou la dépression sont des facteurs de risques importants dans la maladie coronarienne9, ainsi que dans le diabète de type 2, les invalidités diverses et la mortalité générale.10
1.3. L’essor de la recherche sur le bien-être
Progressivement, l’intérêt se porte également sur les effets positifs des émotions, notamment avec l’essor de la psychologie positive. Cette branche de la psychologie fait valoir le potentiel
également bien-être subjectif, se développe alors remarquablement, et de nombreuses disciplines s’y intéressent. En psychologie, un ouvrage majeur sur le bien être est publié en 199912 et en 2000, un numéro spécial de la revue American Psychologist est dédié exclusivement à la psychologie positive.13 Une revue qui se consacre à la compréhension scientifique du bonheur, le Journal of Happiness Studies, est publiée depuis 2000 par l'éditeur Springer Netherlands. Les contributions dans ce journal proviennent d’un large éventail de disciplines, comme la philosophie, la psychologie, la sociologie, l’économie mais aussi la biologie ou les neurosciences, notamment pour les recherches sur les corrélats biologiques et physiologiques du bonheur et du bien-être. Deux revues médicales majeures ont consacré en 2005 leurs éditoriaux au bonheur avec un article « Wellbeing: An idea whose time has come » dans le Lancet14 et un article « Happiness, get happy – it’s good for you » dans le British Medical Journal.15 En parallèle, l’expansion des neurosciences affectives ces dernières décennies a également fait du bonheur un objet de recherche important. Il a été montré que certaines parties du cerveau comme l’amygdale, l’hippocampe, et le système limbique ainsi que les neurotransmetteurs comme la dopamine, la sérotonine, la noradrénaline et les endorphines jouent un rôle dans le contrôle du bonheur.11 Les neurosciences affectives s’intéressent à la compréhension de la façon dont le cerveau génère du plaisir et autres composants psychologiques de la récompense. Le plaisir est essentiel à un état de bien-être et la perte pathologique de plaisirs peut être dévastatrice dans beaucoup de désordres affectifs.16
Aujourd’hui, des dizaines de publications scientifiques au sujet du bonheur ont été publiées dans des journaux scientifiques. La plupart des études réalisées ont pour objectifs de définir et comprendre ses composants, mettre au point une méthodologie pour le mesurer, proposer des solutions pour améliorer le bien-être des individus et trouver des facteurs prédictifs du bonheur, comme par exemple la génétique ou l’état d’esprit au quotidien. De plus, dans une partie de ces travaux, les chercheurs étudient l’hypothèse selon laquelle le bonheur influencerait positivement la santé. En effet, cela pourrait être un levier prometteur en santé publique et notamment dans le domaine de la « santé mentale », définie par l’OMS comme
« un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté ».17 La prévention de la psychopathologie est une urgence grandissante au vu du fort impact individuel, sociétal et économique de ces troubles. L’OMS rappelle dans son rapport de 2004 que les troubles du comportement sont retrouvés chez les individus de toutes régions, tous
pays et toutes sociétés. Ils sont présents chez environ 10% de la population mondiale.18 Si la cause de ces maladies se révèle souvent être d’origine biologique, les facteurs de stress environnementaux et l’incapacité à y faire face jouent un rôle majeur dans l’apparition et la sévérité de beaucoup de ces troubles.19,20 Dans ce contexte, il y a un intérêt grandissant pour les aspects positifs du fonctionnement psychologique, et notamment pour le bien-être subjectif et son rôle potentiellement préventif pour les problèmes comportementaux et émotionnels.21 Au premier abord, ces travaux sont potentiellement prometteurs en santé. C’est pourquoi il parait intéressant d’en présenter une synthèse, qui fera l’objet de la sous partie 3. L’effet du bien-être sur la santé. Mais avant, des précisions sur les termes bien-être et santé sont nécessaires.
2. Définitions et mesures
Les termes « bien-être » et « santé » font référence à des concepts vastes. Afin de clarifier le propos de la thèse, certaines précisions importantes sont apportées ici.
2.1. Bien-être
La principale et première problématique retrouvée dans ces travaux est immanquablement comment définir et évaluer le plus scientifiquement possible un concept comme celui du bien- être.
2.1.1. Définition
Tout d’abord, différents termes sont employés par les chercheurs dont nous analysons le travail dans cette partie : bonheur, bien-être, bien-être subjectif, bien-être psychologique, bien-être émotionnel. Ces termes seront utilisés de manière interchangeable dans cette thèse et feront référence à l’état d’un individu qui juge positivement son existence. Il y a deux composantes dans ce jugement. La première est cognitive, et réfère à ce que pense un individu de la qualité de sa vie, notamment dans différents domaines comme la vie professionnelle ou familiale. La seconde composante est émotionnelle, et réfère aux différentes sensations et humeurs ressenties au quotidien. Certains chercheurs focalisent sur les affects positifs en partant du principe, empiriquement démontré, que la fréquence des affects positifs détermine le bonheur de l’individu. L’affect positif est généralement décrit comme l’expérience d’émotions plaisantes comme la joie, l’enthousiasme, le calme, la satisfaction. Bien que certains chercheurs utilisent les termes affect, humeur et émotion pour distinguer des expériences de durées différentes, ces termes ne sont pas appliqués de façon uniforme dans la littérature. De même, certains chercheurs distinguent les affects positifs qui relèvent d’une caractéristique stable chez l’individu, par exemple un trait de son caractère comme l’optimisme, de ceux qui relèvent d’états transitoires, comme les émotions. Une composante complémentaire présente dans certaines publications est nommée bien-être eudémonique et réfère au sens qu’un individu donne à sa vie. Toutes ces différentes constructions psychologiques sont distinctes et peuvent être étudiées de manière isolée, mais elles sont souvent corrélées considérablement, ce qui explique l’emploi d’un terme général comme bien-être ou bonheur dans les études.
2.1.2. Mesure
Le bien-être étant subjectif et défini par le jugement qu’un individu porte sur sa vie, il est mesuré dans la plupart des études par des questionnaires d’auto-évaluation soumis aux participants. Il en existe une multitude, certains évaluent le bien-être dans sa globalité, d’autres se focalisent sur des composantes plus spécifiques comme les affects positifs ou la satisfaction de vie.
Quelques exemples de questionnaires fréquemment utilisés dans les études sur le bien-être sont présentés ci-dessous et leurs originaux intégraux sont retrouvés dans l’annexe 1.
a) D-T Scale : Delighted-Terrible Scale
Cette auto-évaluation se base sur une seule question, qu’on pourrait traduire en français par
« Comment vous sentez-vous à propos de votre vie dans son ensemble ? ». Il y a sept réponses proposées, qui varient de 1 = terrible à 7 = enchanté, et il est précisé aux participants qu’ils doivent répondre en fonction de ce qui s’est passé dans l’année précédente et de leurs attentes pour leur futur proche. L’échelle a été conçue pour refléter les deux composantes du bien-être, cognitive et affective.22
b) CES-D : Center for Epidemiologic Studies Depression-Scale
L’échelle CES-D est un auto-questionnaire de vingt items à compléter en fonction de son humeur au cours des sept derniers jours. L’objectif initial est d’identifier une symptomatologie dépressive et d’en évaluer la sévérité. Les questions portent sur la fréquence, durant la semaine écoulée, à laquelle l’individu a ressenti des symptômes ou des comportements souvent associés à la dépression. La fréquence est mesurée à l’aide d’une échelle à quatre points, qui varie de 0 = jamais, très rarement (moins d’un jour) à 3 = fréquemment, tout le temps (5 à 7 jours). Cette échelle n’est donc pas initialement conçue pour mesurer le bien- être, ce qui peut poser des problèmes d’interprétation lorsqu’elle est utilisée dans ce cas.23
c) SWLS : the Satisfaction with Life Scale
Cette échelle propose cinq affirmations pour lesquelles le participant peut être en accord ou en désaccord, par exemple « les conditions de ma vie sont excellentes » ou « jusqu’ici, j’ai obtenu les choses importantes que je veux dans la vie ». Une échelle de réponses variant de 1 = fortement en désaccord à 7 = fortement en accord permet d’attribuer pour chaque affirmation
un score. Le score global donne la satisfaction de vie du participant. Cette échelle a été conçue pour mesurer la composante cognitive du bien-être.24
d) PANAS : the Positive and Negative Affect Schedule
Il s’agit d’un auto-questionnaire qui comporte vingt items reflétant des sentiments ou émotions, comme « intéressé », « irritable », « nerveux » ou « enthousiaste ». Chaque item est évalué d’après une échelle à 5 points, de 1 = pas du tout à 5 = tout à fait. Différentes instructions temporelles peuvent être données, par exemple « vous vous sentez comme ça au moment où vous répondez au questionnaire » ou bien « vous vous êtes sentis comme ça lors des dernières semaines ». Ce questionnaire a été beaucoup étudié et est considéré comme un outil fiable et valide pour évaluer le bien-être. Il est particulièrement intéressant car il est un des rares outils à séparer l’évaluation de l’affect positif et de l’affect négatif.25
2.2. Santé
Tout comme le bien-être, la santé est un concept vaste et multi-dimensionnel. L’objectif n’est pas de donner une définition de la santé mais d’identifier quels critères sont retenus dans les études pour y référer. L’approche scientifique des chercheurs dont nous discutons le travail dans cette thèse impose une certaine objectivité de mesure. Ainsi, si certaines études ont été réalisées en mesurant la santé d’après des questionnaires d’auto-évaluation, celles qui ont été retenues dans les méta-analyses ou revues qualitatives que nous présentons dans la sous- partie suivante ont choisi des critères objectifs comme la mortalité, la morbidité ou la survie.
D’autres critères sont parfois retenus comme la déclaration de symptômes ou de douleurs, les admissions à l’hôpital ou les visites chez le médecin généraliste. Le terme santé physique est retrouvé fréquemment dans les publications, et réfère à l’absence de maladies ou défaillances.
Certains chercheurs utilisent des critères de santé plus spécifiques et étudient par exemple la réponse immunitaire à travers des mesures comme la concentration en IgAs (Immunoglobines A dans leur forme sécrétoire) ou la réponse endocrine à travers des mesures comme le cortisol.
3. L’effet du bien-être sur la santé
Les publications scientifiques issues de la recherche scientifique sur le bien-être et la santé se sont multipliées ces dernières années. Un aperçu actuel des données disponibles sur le sujet est proposé ici.
3.1. Méthode de recherche et constats préliminaires
Avant de présenter les différents résultats issus de cette revue bibliographique, la méthode de recherche employée pour identifier les publications pertinentes ainsi que les premiers constats observés sont décrits dans cette partie.
3.1.1. Méthode de recherche
L’objectif de cette revue bibliographique est de présenter une synthèse des travaux à date sur le lien entre bien-être et santé. Pour identifier les publications pertinentes, une première recherche a été effectuée sur les moteurs de recherche PubMed et Google Scholar en combinant à chaque fois un terme lié au bien-être comme « happiness », « well-being » ou
« positive affect » et un terme lié à la santé comme « health » ou « physical health ». Des combinaisons ont aussi été effectuées avec des critères de santé plus spécifiques comme
« disease », « cardiovascular disease » ou « immune system ». De nombreux articles ont été trouvés, et certains ont été identifiés comme répondant spécifiquement à notre sujet. La bibliographie de ces articles a ensuite permis de compléter la recherche.
3.1.2. Constats préliminaires
Les publications scientifiques au sujet du bien-être et de la santé sont aujourd’hui très nombreuses, impliquent différentes disciplines et peuvent être classées en trois grandes directions de recherche.
a) Une littérature abondante
La recherche sur le lien entre bien-être et santé a produit de nombreuses études et publications ces vingt dernières années. Comme discuté dans la section précédente, bien-être et santé sont deux concepts très larges, il est donc évident que leur lien réciproque est éminemment complexe. Au fil des années, à mesure que de nouvelles données étaient apportées et de nouvelles questions se soulevaient, la littérature s’est donc enrichie et il y a aujourd’hui une
connaissances, il parait intéressant dans cette thèse de s’appuyer sur différentes revues quantitatives et qualitatives, identifiées comme particulièrement complètes et pertinentes.
b) Les disciplines impliquées
La majorité des publications identifiées relèvent de la discipline de la psychologie. D’autres spécialistes, notamment des biologistes et des neuroscientifiques, se sont également intéressés au sujet, et se sont surtout investis dans la recherche sur les mécanismes physiologiques impliqués dans l’interaction entre bonheur et santé.
c) Trois grandes directions de recherche
Trois grands objectifs sont poursuivis dans ces recherches, démontrer une association entre bien-être et santé, démontrer que cette association est de nature causale et que le bien-être précède l’amélioration de la santé, et enfin comprendre les mécanismes qui sous-tendent cette relation.
Démontrer une association
Dans les débuts de la recherche académique sur le bien-être, les chercheurs ont souhaité identifier les corrélations possibles entre bien-être et différents critères, dont la santé. La mise en évidence d’une association entre bonheur et santé a donc été une première direction de recherche. Dans cet objectif, ce sont essentiellement des études transversales qui ont été menées. Ce type d’étude permet d’identifier facilement des grandes corrélations, sur de larges échantillons et de manière peu coûteuse.26 La corrélation entre bien-être et santé est constamment démontrée dans la littérature.
Démontrer une causalité
Puis, les chercheurs ont souhaité étudier la nature du lien observé entre bien-être et santé.
Différentes méthodologies ont été employées afin d’identifier une causalité, l’objectif étant d’obtenir des preuves qui montrent que le bonheur précède différents critères favorables pour la santé.
Des études prospectives longitudinales de long terme ont été réalisées. Ce type d’étude permet de montrer qu’une première variable à un temps t peut prédire une seconde variable des années plus tard, et de montrer qu’un changement dans la première variable peut induire un changement dans la seconde variable. Les patients sont suivis dans le temps, leur niveau initial de bien-être est lié à leur santé plus tard dans leur vie et leur longévité. La force de ces études
est la capacité de déterminer le séquencement d’événements dans des conditions naturelles.
Elles sont puissantes lorsque les niveaux de base de la santé ainsi que les statuts socio- économiques sont contrôlés. D’autres facteurs de confusion peuvent être évalués et analysés.
Cependant, il est souvent argumenté que la causalité ne peut pas être montrée de manière aussi forte qu’avec des études expérimentales, car on ne peut jamais être certain d’avoir identifié tous les facteurs de confusion. De plus, certains facteurs sont compliqués à identifier et contrôler. Par exemple, l’environnement familial dans les premières années de vie ou la nutrition prénatale peuvent être responsables de la variabilité du bien-être et de la santé plus tard, sans qu’il n’y ait de lien de causalité entre ces deux dernières variables, même si elles sont mesurées à deux temps différents de la vie. Dans ce type d’étude, il est donc indispensable de contrôler le niveau de santé basal. Ces études sont celles qui sont le plus souvent retrouvées dans la littérature sur le bonheur et la santé.26
En complément, mener des études expérimentales permet d’apporter des preuves plus fortes d’une causalité, car ce sont les études les plus rigoureuses en termes de contrôle des facteurs de confusion. Ce type d’étude consiste à induire des émotions ou humeurs positives, et mesurer des critères objectifs de santé liés à cette induction. Il y en a peu dans ce domaine et les résultats sont compliqués à interpréter, notamment parce qu’il est difficile d’induire des émotions ou humeurs expérimentalement. Les quelques études réalisées montrent que lorsque les gens sont suivis au cours du temps, un changement dans leur humeur par induction expérimentale est généralement suivi par des changements physiologiques indiqués par des mesures cardiovasculaires et immunitaires. Il semble donc que les facteurs antérieurs comme l’environnement familial dans les premières années de vie ou la nutrition prénatale ne soient pas les seuls responsables du lien entre bien être subjectif et santé.27
Certaines expérimentations animales ont également été réalisées. Dans ces études, l’environnement des animaux est contrôlé, certains environnements étant connus pour être stressants et d’autres apaisants, et l’évolution des critères de santé est mesurée.27
Enfin, récemment, certaines études ont mis en place une intervention humaine pour augmenter le bien-être des participants dans l’objectif de mesurer les changements dans les réponses physiologiques et d’identifier s’ils sont bénéfiques pour la santé. Cette littérature est nouvelle, et pour l’instant peu d’études se sont focalisées sur des critères de santé physique.28
Pour synthétiser les résultats obtenus dans ces études, certaines méta-analyses ont été identifiées et sont présentées dans la sous partie 3.2. Taille d’effet évaluée par les revues quantitatives.
Explorer les mécanismes
L’exploration des mécanismes physiologiques du lien entre bonheur et santé permet d’apporter des éléments qui corroborent l’hypothèse de la causalité. Une synthèse des résultats obtenus dans ce type de travaux de recherche est proposée dans la partie 3.3. L’étude des mécanismes impliqués.
3.2. Taille d’effet évaluée par les revues quantitatives
Les revues quantitatives permettent de chiffrer la taille de l’effet entre bien-être et santé. Dans une perspective clinique, une taille d’effet entre 0,56 et 1,2 montre un effet fort, entre 0,33 et 0,55 un effet moyen, et entre 0 et 0,32 un effet faible.29
3.2.1. L’intérêt des méta-analyses
Pour un sujet donné, les méta-analyses identifient de façon systématique les publications ainsi que leur méthode objective puis synthétisent les résultats. Ces revues quantitatives sont souvent méthodologiquement plus robustes que les revues de la littérature simples.
3.2.2. Résultats
Cinq méta-analyses dont l’objectif est de synthétiser les données sur le lien entre bonheur et santé ont été publiées de 2005 à 2016. Trois sont générales et deux sont plus spécifiques, l’une d'entre elles étudiant l’effet du bien-être sur des participants malades uniquement, et l’autre sur des participants âgés uniquement. La présentation de ces travaux de recherche permet d’offrir une première approche de la littérature sur le sujet et de donner quelques chiffres sur la taille de l’effet entre bien-être et santé.
a) Méta-analyses générales
Chronologiquement, la première méta-analyse pertinente sur le sujet est publiée dans la revue Psychological Bulletin en 2005.30 L’objectif des auteurs est de montrer que les individus heureux connaissent le succès et l’accomplissement dans de nombreux domaines de la vie, dont la santé, et que cette relation est causale. Le bonheur des participants est défini par la fréquence de leurs affects positifs. Un modèle est établi dans l’objectif de valider cette
hypothèse de causalité. Différents types de preuves sont revues, à travers des études transversales, longitudinales et expérimentales. La revue des études transversales permet de confirmer une corrélation positive entre individus heureux et individus en bonne santé. Sur dix-neuf études ayant inclus 17 693 participants, une taille d’effet moyenne de 0,32 est trouvée. La méta-analyse des études longitudinales, avec vingt-six études ayant inclus 37 421 participants, conclut sur une taille d’effet moyenne de 0,18. Pour les auteurs, même si ce chiffre est moins important que celui sur les corrélations, les résultats sont tout de même impressionnants en termes de robustesse et de consistance. Les études montrent que le bonheur précède des résultats importants comme une meilleure santé mentale et physique ainsi qu’une plus longue espérance de vie. Enfin, quatorze études expérimentales ont été revues, ayant inclus 749 participants. Une taille d’effet de 0,38 a été obtenue entre les affects positifs induits expérimentalement et des résultats physiologiques, dont la réactivité du système immunitaire et la réactivité cardiaque. D’après le modèle conceptuel utilisé, l’hypothèse selon laquelle le bonheur influence la santé de façon causale est validée.
Cette méta-analyse ne se consacre pas spécifiquement à la santé, mais c’est la première revue à chiffrer une taille d’effet sur le sujet. La limite principale de ces résultats est que des études évaluant les critères de santé d’après des auto-déclarations ont été incluses. C’est une source de biais car un individu heureux sera plus susceptible de porter une évaluation positive sur tout, incluant sur sa santé.
Deux ans plus tard, une seconde méta-analyse sur le sujet permet de préciser ces premiers résultats.31 Cent-cinquante études sont incluses, et les auteurs ont choisi cette fois d’exclure les études qui comportent uniquement des mesures de santé par auto-déclaration. Les études transversales ne sont pas incluses non plus, dans la mesure où elles n’apportent pas d’informations sur la causalité. La taille d’effet globale moyenne obtenue est de 0,14. Les analyses de sous-groupes permettent d’identifier des différences entre les critères de santé.
La tolérance à la douleur et l’amélioration de la fonction immunitaire sont les critères les plus impactés par le bien-être, avec des tailles d’effet respectivement de 0,320 et 0,332.
La troisième revue quantitative générale est publiée en 2008, et les auteurs étudient l’effet du bien-être sur la mortalité uniquement.10 L’étude a été divisée en deux méta-analyses, l’une sur patients en bonne santé, incluant vingt-et-une études et l’autre sur patients malades, incluant dix-neuf études. De nouvelles données sont apportées.
Tout d’abord, si la population en bonne santé bénéficie des effets favorables du bien-être sur la durée de vie, avec un HR (hazard ratio) combiné de 0,82, cet effet semble beaucoup moins marqué dans la population malade, pour laquelle le HR combiné diffère peu de 1. Cette tendance se confirme avec d’autres chiffres, puisque 51,4% des études sur population en bonne santé ont démontré un effet protecteur significatif du bien-être sur la mortalité, alors que cette proportion est de 31,4% pour les études sur population malade.
Par ailleurs, dans la population en bonne santé, le bien-être est associé de manière significative à une réduction de la mortalité de toute cause de 19%. Cette réduction est encore plus marquée pour la mortalité cardiovasculaire, pour laquelle elle est de 29%. En revanche, les résultats ne montrent pas de réduction de la mortalité pour les patients présentant initialement une pathologie cardiovasculaire.
Pour explorer l’influence de l’âge, une analyse a été réalisée sur un sous-groupe d’études incluant uniquement des participants en bonne santé de plus de 60 ans. Un plus fort effet protecteur du bien-être psychologique positif a été démontré dans ces études, avec un HR de 0,74 comparé au HR de l’effet global qui était de 0,82. La susceptibilité des patients âgés à être plus impactés par les effets bénéfiques du bien-être a été plus largement explorée dans la méta-analyse de Zhang, présentée plus loin dans cette partie.
Enfin, cette revue a également conduit une analyse pour identifier si les affects positifs de court terme et les dispositions positives de plus long terme influencent de manière différente la mortalité. L’hypothèse est écartée car pour chacun des sous-groupes réalisés, l’association à une mortalité réduite est montrée.
Au fur et à mesure des publications, les analyses se précisent, et soulèvent de nouvelles questions. Après ces méta-analyses générales, des méta-analyses plus ciblées ont été publiées et elles sont présentées dans la suite de cette partie.
b) Le cas des populations malades
En quelques années, les résultats des études ont clairement montré des effets positifs du bien- être sur la santé physique, pour des populations initialement en bonne santé. Les résultats sont cependant mixtes dans les études sur populations malades. Par exemple, dans une revue qualitative publiée en 2008, une analyse synthétique de trente études est réalisée sur le bonheur et la longévité. Les résultats montrent que le bonheur est un facteur prédictif de longévité chez les personnes en bonne santé, mais pas chez les personnes malades.32 De même, une autre revue qualitative publiée en 2005 et incluant environ soixante-dix études
suggère que les affects positifs sont associés à la santé physique et la longévité dans la population en bonne santé, mais les preuves sont mixtes en ce qui concerne la prédiction de la survie chez les patients malades initialement.33
Plusieurs études ayant été publiées après la publication des précédentes revues, une nouvelle méta-analyse sur populations malades est réalisée en 2012 afin de clarifier cette problématique.34 Le pronostic est étudié de manière très large, avec des critères d’étude comme la survie, la progression de la maladie, le rétablissement et le statut fonctionnel. Leur recherche a permis l’identification de dix-sept études éligibles à l’inclusion, dont neuf nouvelles études non prises en compte dans les revues précédentes. La combinaison méta-analytique de ces études montre que le bien-être émotionnel positif est favorablement lié au pronostic de la maladie physique avec un ratio de 1,14, ce qui indique un effet faible mais significatif du bien-être émotionnel sur l’évolution de la maladie physique. Certaines maladies étant hautement prévalentes, de faibles effets du bien-être émotionnel sur le pronostic de la maladie physique peuvent avoir un large impact dans la population. Les auteurs évoquent l’idée que des interventions pour améliorer le bien-être chez les malades pourraient améliorer leur rétablissement et leur survie.
c) Le cas des personnes âgées
En 2016, une méta-analyse de vingt-deux études étudie l’impact de l’affect positif sur le risque de mortalité chez les personnes de plus de 55 ans.35 L’hypothèse selon laquelle les personnes âgées bénéficieraient plus amplement de l’effet protecteur du bien-être sur la santé a déjà été évoquée dans certaines revues précédentes. Si les conclusions de la majorité des études sont cohérentes, il y a tout de même des exceptions. En effet, certaines études montrent qu’une vie optimiste et joyeuse est associée de manière significative à une diminution du risque de mortalité dans une population de plus de 65 ans, alors que d’autres montrent que des affects positifs intenses comme l’allégresse peuvent être délétères pour la santé. Dans cette méta- analyse, pour les dix-neuf études contrôlant l’effet de covariables, la diminution du risque de mortalité est de 15% pour les participants avec bien-être élevé. Les résultats sont cohérents avec ceux des précédentes études et revues, et suggèrent que des méthodes efficaces pour augmenter le bien-être des individus âgés dans l’objectif d’améliorer la longévité et atteindre un vieillissement sain seraient potentiellement intéressantes.
3.2.3. Synthèse
En une dizaine d’années, cinq méta-analyses ont été réalisées sur le sujet, incluant des dizaines d’études. Les caractéristiques de ces méta-analyses et leurs résultats sont synthétisés dans le Tableau 1. Cette première approche bibliographique permet de donner un aperçu des données actuellement disponibles dans ce champ de la recherche. Les résultats tendent à montrer que le bien-être influence la santé physique, de manière causale. Cet effet favorable semble bénéficier aux individus en bonne santé ainsi qu’aux individus malades, et être plus marqué pour les personnes âgées. Enfin, lorsqu’ils sont étudiés séparément, les critères de santé ne sont pas tous impactés de la même façon. Le système immunitaire, le système cardiovasculaire et les mécanismes de la douleur sont les plus susceptibles d’être influencés par le bien-être.
La taille d’effet de l’association entre bien-être et santé est généralement entre 0,10 et 0,30, ce qui indique un effet faible mais néanmoins assez important pour être pris en compte.