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Pour une géographie nomade. Perspectives anthropogéographiques à partir de l'expérience des Touaregs Kel Ewey (Aïr – Niger).

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Pour une géographie nomade. Perspectives

anthropogéographiques à partir de l’expérience des Touaregs Kel Ewey (Aïr – Niger).

Laurent Gagnol

To cite this version:

Laurent Gagnol. Pour une géographie nomade. Perspectives anthropogéographiques à partir de l’expérience des Touaregs Kel Ewey (Aïr – Niger).. Géographie. Université Joseph-Fourier - Grenoble I, 2009. Français. �tel-00504021�

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UNIVERSITE J. FOURIER – GRENOBLE I Institut de Géographie Alpine

Laboratoire PACTE - Territoires UMR 5194

École Doctorale 454 « Sciences de l’homme, du politique et du territoire »

THÈSE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ J. FOURIER

Discipline : Géographie

présentée et soutenue publiquement par

Laurent GAGNOL le vendredi 30 octobre 2009

Pour une géographie nomade.

Perspectives anthropogéographiques à partir de l’expérience des Touaregs Kel Ewey (Aïr-Niger)

Sous la direction de M. Olivier SOUBEYRAN (directeur) et de M. Ibrahim BOUZOU MOUSSA (co-directeur)

COMPOSITION DU JURY

M. BERDOULAY Vincent

Professeur de géographie – Université de Pau et des pays de l’Adour (rapporteur)

M. RETAILLE Denis

Professeur de géographie – Université Montaigne de Bordeaux III (rapporteur)

M. BOURGEOT André

Directeur de recherches émérite CNRS – Laboratoire d’anthropologie sociale – EHESS (examinateur)

M. GRATALOUP Christian

Professeur de géographie – Université Diderot de Paris VII (examinateur et président du jury)

M. BOUZOU MOUSSA Ibrahim

Maître de conférences HDR en géographie – Université A. Moumouni de Niamey (Niger)

M. SOUBEYRAN Olivier

Professeur de géographie - Université Joseph Fourier, Grenoble I

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SOMMAIRE

Avant propos et remerciements ... 5 Note sur la transcription des termes temajeq... 9 I

NTRODUCTION GENERALE

... 13 PARTIE 1 – LA DISCIPLINARISATION DU DISCOURS SUR L’AILLEURS OU L’INVENTION DE L’ESPRIT GEOGRAPHIQUE ... 31

I

NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

... 33 C

HAPITRE

I – F

ONDEMENTS

,

FILIATION ET FORTUNE D

UNE DOCTRINE GEOGRAPHIQUE EN CREUX

:

LA DOCTRINE CHOROLOGIQUE

... 36

A- De la « doctrine des articulations littorales » à « l’hypothèse de la thalassographie articulée » ou la réapparition d’un serpent de mer des temps héroïques... 39

B- De la doctrine chorologique ou les fondements modernes et antiques de la doctrine des articulations littorales (et de la géographie) ... 91

Conclusion : la doctrine chorologique comme creuset disciplinaire... 152 C

HAPITRE

II – D

U BON USAGE DE LA DOCTRINE RITTERIENNE DES ARTICULATIONS

LITTORALES DANS L

’E

COLE FRANÇAISE DE GEOGRAPHIE A LA DELICATE EMERGENCE DE

L

ANTHROPOGEOGRAPHIE

... 165 A- La bataille des articulations littorales dans les Annales de géographie... 168 B- La rhétorique de l’ailleurs : contrastes et analogies des formes terrestres dans la géographie de Vidal de la Blache ... 196

C- La délicate émergence de l’anthropogéographie... 224 Conclusion : l’interminable diversité géographique ou l’impossible

anthropogéographie. ... 250 C

ONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

... 252 PARTIE 2 – LA SEDENTARISATION DES TOUAREGS KEL EWEY : POUR UNE ANTHROPOGEOGRAPHIE DE LA NOMADITE ET DU SEDENTARISME . 255

I

NTRODUCTION DE LA SECONDE PARTIE

... 257 C

HAPITRE

I - L’

IMAGINAIRE DISCIPLINAIRE SAHARIEN REVISITE A LA LUMIERE DU

CONTRE

-

EXEMPLE

K

EL

E

WEY

... 259

A- L’anatomie du désert ou l’imaginaire disciplinaire d’un individu géographique

extrême ... 260

(4)

B- Les spécificités des Touaregs Kel Ewey ou l’imaginaire disciplinaire d’un contre-

exemple... 328

Conclusion... 342

C

HAPITRE

II- M

ICRO

-

GEOGRAPHIE COMPAREE DE LA SEDENTARISATION DES

T

OUAREGS

K

EL

E

WEY

... 344

A- La sédentarisation Kel Ewey : de la morphologie à la micro-géographie... 347

B- La sédentarisation Kel Ewey : de la tente à la maison et du campement au village ? ... 373

C. La sédentarisation Kel Ewey : du pastoralisme caravanier au jardinage irrigué ? ... 411

D. Le nomadisme en question : savoirs géographiques et territorialité Kel Ewey.... 449

Conclusion : le paradoxe territorial Kel Ewey ou l’impossibilité de parler en terme classique de sédentarisation... 524

C

HAPITRE

III C

OMMENT PEUT

-

ON ETRE NOMADE

?... 527

A- L’actualité géopolitique de l’Aïr ou l’avènement des conditions de la disparition du nomadisme... 529

B- L’illusion nomadique : de l’opposition à la complémentarité des spatialités nomade et sédentaire ... 592

C- L’impensé nomadique d’un rapport spécifique du pouvoir nomade à l’espace ... 638

C

ONCLUSION GENERALE

: P

OUR UNE GEOGRAPHIE NOMADE

... 655

Bibliographie... 666

Table des figures... 707

Table des photographies... 709

Table des cartes ... 710

Table des matières ... 711

Annexe ... 717

(5)
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A v a n t p r o p o s e t r e m e r c i e m e n t s

En hommage au vénérable « maître », Claude Lévi-Strauss Et à mon « patron », Olivier Soubeyran.

Je hais les thèses et les doctorants. Et voici que je m’apprête à soutenir ma thèse. Mais que de temps pour m’y résoudre ! Sept ans ont passé depuis que j’ai débuté mes recherches et, pendant toutes ces années, j’ai souvent projeté d’en entreprendre la rédaction ; chaque fois une sorte de honte et de dégoût m’en ont empêché. Et quoi ? Faut-il formuler encore et toujours par le menu tant de choses déjà dites, tant de postures vite épuisées et partielles, tant de détails insignifiants en rapport avec tout ce qui a été laissé dans l’ombre ? Les états d’âmes n’ont par leur place dans la rédaction d’une thèse.

« La thèse est un suicide permanent ». C’est au minimum un rabâchage incessant et un renoncement interminable ; l’ultime étant de renoncer à ne pas l’écrire. Comment en effet s’astreindre et s’immobiliser à écrire, à ne pas tout lire, à ne pas tout dire, à ne pas en rire ? Tout part d’une curiosité et d’un étonnement et s’achève dans la frustration et dans la certitude feinte de les avoir réduits. La thèse, c’est devoir faire vivre grâce à la reconnaissance d’un grade l’illusion de l’aboutissement d’une volonté de connaissance. Mais, comme Sam Peckinpah l’a fait dire à Pat Garett, venant de tuer son ami Billy the kid, « what you want and what you get are two differents things ». Ceci étant dit, faisons comme si la boucle était bouclée, la thèse terminée et l’entente, lors du clin d’œil du chat, volontaire.

La position de recherche que nous soutenons est multiple. Elle possède une strate

épistémologique, une itinérance empirique et une ligne de fuite théorique. Cette recherche a

parcouru l’histoire de l’imaginaire disciplinaire géographique : son épistémè, ses inerties, ses

transformations et ses reconstructions. Elle a tenté de mettre en lumière ce qui nous paraissait

toujours en partie ténébreux. Comment, en effet, expérimenter de nouvelles formes

d’entendement de la géographie et de l’espace sans chercher à lever une partie du voile, sans

chercher à (se) mettre à l’épreuve et parfois à se distancier des approches classiques ? Cette

recherche est ainsi, également et indissolublement, l’aboutissement d’une expérience de vie

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au sein de campements et de villages Touaregs Kel Ewey, de l’Aïr au Nord-Niger. La finalité d’une pratique longue d’un terrain miné (scientifiquement parlant et, malheureusement, à proprement parler aujourd’hui) a toujours été celle d’une formulation théorique renouvelée du vieux thème géographique du rapport entre les circonstances naturelles et les hommes, plus précisément celui, exemplaire, du nomadisme et de la sédentarisation.

Pour ce qui est des conditions matérielles de la réalisation de cette thèse, j’ai débuté sans ressources financières. Ce qui est une « chance » devenue rare aujourd’hui. J’ai donc pu choisir librement le sujet et les méthodes de recherche, en intelligence avec mes directeurs de thèse. J’ai heureusement pu bénéficier en deuxième année de la bourse Eurodoc d’aide à la mobilité du conseil régional de Rhône-Alpes et eu la bonne surprise en troisième année d’être lauréat d’une bourse de la fondation Cetelem. Des vacations à l’Institut de Géographie Alpine puis un demi-poste d’ATER à l’université P. Mendès France m’ont permis de continuer les recherches et d’avoir mes premières expériences d’enseignement. Etant donné qu’à la date de ma première inscription en thèse en 2002, l’Université de Abdou Moumouni de Niamey ne pouvait pas encore décerner le grade de docteur en géographie, nous n’avons pas pu mettre en place une co-tutelle de thèse mais une co-direction entre Olivier Soubeyran et Ibrahim Bouzou Moussa. J’ai eu la chance d’avoir reçu leur visite pendant une semaine sur mon terrain, à Tabelot, Gorset et sur le mont Bagzan. Cette thèse témoigne de la vitalité de la coopération inter-universitaire qui, depuis plus de vingt-cinq ans (1982-), lie les universités de Grenoble I et de Niamey à travers l’Institut de Géographie Alpine et le département de Géographie de l’Université A. Moumouni.

Le terrain : terme devenu fétiche et dont la signification est quelquefois galvaudée.

Dans le cadre académique d’une thèse de géographie, nous ne pouvons insister sur ce qui a été en quelque sorte une seconde forme d’apprentissage. Quatre séjours au Niger m’ont permis d’aller et de retourner sur les lieux de mes enquêtes, de rencontrer et de revoir des personnes dont une partie infime seulement est figurée dans ces remerciements. Il a fallu que j’apprenne la patience et la persévérance (tezaydert), à poser les bonnes questions pour ne plus passer pour un agent de développement, un touriste ou un fou. Plus j’en savais, plus mes interlocuteurs eux-aussi en savaient. Les questionnaires formels se sont vite transformés en lieux d’échanges, de débats et de plaisanteries autour du thé.

A l’incomparable chef du village de Tabelot, Abdo Aboulkas, dont la famille m’a

« adopté » depuis ce jour d’août 2000 où je débarquais pour la première fois à Tabelot sans

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savoir vraiment au devant de quelles satisfactions et de quelles difficultés j’allais me diriger, je ne peux que témoigner ma gratitude et mon affection à l’égard de sa sollicitude (et celle de sa famille), toujours bienveillante à mon égard. Tounkouché, son grand-frère, semi-nomade à la mode Kel Ewey au pied de la dune de Gorset, m’a initié aux subtilités et à la complexité de la culture Kel Ewey. Mon apprentissage du monde touareg a été à son école. Il a été un de mes premiers interviewés. Il s’est avéré être la plus humble et la plus précise mémoire de l’histoire orale akelewey. Je tiens à remercier ici tous ceux qui m’ont permis de constater le sens de l’hospitalité, de la générosité, de la patience, de la vitalité, de la roublardise et de la joie de vivre des femmes et des hommes Kel Ewey, particulièrement Tinna, Timata, Ballala, Ajja, Udju, Azahara, Fatimata, Fati, Ekatab, Assalo, Ghaïchatou ; Elh. Aghali, Amoumoune, Elh. Bidin, Eggur, Enusra, Elh. Elka, Ghabda, Ghissa dit Ambassadeur, Ibana, Kamodi, Elh.

Khado, Menta, Noma, Seydi ; Abda, Adam dit Gérant, Addu, Ahmed dit Khomeyssa, Ahmed d’Emesli wan Bagzan, Ahmed dit Américain, Akhmudutan, Alhassane, Amou dit Gourgou, Amoumoune, Bachena, Ghabdu, Hadatan dit Premier ministre, Hamadan, Himan, Kariman, Kulallé, Mohamed dit Agnaw, Mussana, Samaghul dit D.G., Sidi, Wanagheli à Tabelot et dans les environs ; Aghali, Alhusseyni, Hamadan, Makhmud, Salekhu, Suleyman, à Bagzan ; Assalo, Doua et Sidi à Agadez ; Abdoulaye, Hajjia, Kamil, Tchima à Niamey ; je n’oublie pas aussi les habitants de Timia et Azzel ainsi que tous ceux qui ont répondu à mes questions et m’ont accueilli chez eux. Une pensée aussi à l’égard de ceux qui ne sont plus là, notamment Aghali, Amoumoune dit Australien et au regretté Uballa, « sage autoproclamé » de Nabaro- ouest, qui lui aussi a pu être « espion » à Grenoble.

Je suis extrêmement redevable à Alain Morel d’avoir su attirer ma curiosité pour l’Aïr et les Touaregs. Sa ferveur communicative et son aide m’ont été précieuses dès la réalisation de la maîtrise. Je lui dois aussi ma première conférence à un colloque, devenue par la suite ma première publication. Ibrahim Bouzou, qui a été son doctorant, est devenu tout naturellement mon co-directeur de thèse. Son aide matérielle à Niamey, sa disponibilité, ses encouragements et nos discussions m’ont également été très précieux. Je sais aussi tout ce que je dois au privilège d’avoir été encadré ou plutôt éclairé par Olivier Soubeyran.

Je tiens vivement à remercier Vincent Berdoulay, André Bourgeot, Christian Grataloup et Denis Retaillé d’avoir accepter de siéger à ce jury de thèse.

A Niamey, toute ma gratitude va à Aboubacar Adamou et aux étudiants en master ou

en thèse Abdoulaye, Goda, Hadiara, Kabirou, Kader, Maïga et Sani. J’ai pu rencontrer à

Agadez ou dans l’Aïr les chercheurs André Bourgeot, Franck Giazzi, Moulaye Hassane, Gerd

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Spittler, Rouslan Maratbek, Amantur Japarov, ainsi que Virginie, Julien et Sarah, dont les discussions ont été riches d’enseignements. En France, je suis allé à la rencontre d’Edmond Bernus, aujourd’hui malheureusement décédé, Jean Bisson, André Bourgeot, Dominique Casajus et Denis Retaillé. Je tiens ici à les remercier de m’avoir ouvert leur porte. J’ai pu suivre à l’INALCO un semestre de cours de tamasheq donné par Mohamed Aghali Zakara.

Je remercie en particulier le personnel de l’IGA, les enseignants et les chercheurs du laboratoire PACTE-Territoires, ceux notamment du séminaire « Suds ». Une mention spéciale pour les relecteurs, les cartographes et autres conseillers : Adeline, Adrien, Alain, Amandine, Aurélie, Boris, Camille, Coralie, Daisy, Damien, Ghoumour, Hélène, Julie, Kader, Maelenn, Marlène, Mohamed, Myriam, Olivier, Sébastien, Xavier. Ma gratitude se porte en particulier sur ma mère et ma sœur pour leur soutien ; Amélie, pour l’intensif mois d’août 2009 ; Bambino, dont les enregistrements musicaux ont bercé mes heures d’écriture ; les thésards ou ex-thésards Petschri, Alexandre, Aurélien, Benoît, Catherine, Cécile, Claire, Isabelle, Kamila, Laurence, Lionel, Maud ; à tous les autres, en particulier mon oncle et ma tante, Caroline, Dayane, Cécile, Stéphanie et Thierno ; et à tout ceux que j’oublie seulement par écrit.

Je suis enfin infiniment reconnaissant vis-à-vis des sacrifices qui témoignent de l’amitié indéfectible que me portent Adrien et Mohamed dit Taghalo, et qui est réciproque.

Cette thèse leur doit beaucoup ; tout le reste bien plus encore.

à M., J.-C. et P.

(10)

N o t e s u r l a t r a n s c r i p t i o n d e s t e r m e s t e m a j e q

Les termes temajeq sont notés en italique dans le texte. Leur transcription en français suit habituellement celle fixée par Karl Prasse dans son dictionnaire (2003), sauf quand la prononciation Kel Ewey est quelque peu différente ou si le terme n’est pas présent dans le dictionnaire (ce qui est toutefois rare). Quelques aménagements ont néanmoins été réalisés en vue de simplifier la transcription et de faciliter la lecture : les voyelles brèves ou longues ne sont pas notées. Les linguistes distinguent habituellement sept voyelles, cinq longues a, é, o, i, u (prononcé « ou ») et deux brèves e, ă. Il est parfois très difficile de les distinguer pour des oreilles peu aguerries à la linguistique et surtout la prononciation est très variable et dépend de l’origine de l’individu et de sa tribu. Dans ce travail, il n’est pas distingué le ă (« a » bref) du « e » muet qui seul est noté. Ce qui correspond d’ailleurs souvent à la façon de parler de la takeloweyt. La temajeq étant une langue consonantique, les voyelles sont instables et l’essentiel est de bien noter les consonnes. Il existe trois consonnes emphatiques qu’il importe de différencier : « d » et « d » ; « t » et « t » ; « z » et « z ». Les phonèmes sont : b d d f g gh (q) h j k kh l m n gn r s sh t t w y z z. Il n’existe pas de « p » et de « v » en temajeq et les termes français sont souvent prononcés respectivement par la consonne « f » et « b ».

« gh » la vélaire constrictive sonore (γ, le « r » grasseyé),

« q » l’uvulaire occlusive sourde (« gh » noté au féminin qui n’est pas un phonème),

« r » note l’apicale vibrante (le « r » roulé),

« kh » la vélaire constrictive sourde (x, celui de la jota espagnole),

« gn » la dorso-palatale sonore (η, d’ « agneau »),

« sh » la consonne fricative chuintante (š, le « ch » de « cheval »),

« e » la voyelle centrale (∂ « shva », « e » muet),

« é » (le e dans l’alphabet international),

« u » (le « ou » de « outarde »).

« w » (le « w » de « watt »)

« y » (le « y » de « yoga »).

(11)

La temajeq ou plutôt la tamasheq (terme générique parfois utilisé pour désigner la langue des Touaregs) se décompose principalement en tamahaq (tahaggart des Kel Ahaggar), en tamashaq (tadghaq, tawellemmet, tudalt, etc. des groupes touaregs maliens et burkinabais, ainsi que des Iwellemmeddan du Niger) et en temajeq (tayert). Selon les Kel Ewey, la tayert se décompose dans l’Aïr en takéloweyt (parler des Kel Ewey), tameghit (des Kel Ferwan, Kel Fadey, Ifoghas, etc.), tamesgerest (des Kel Gress) et tendez (parler de l’ouest, issu des anciennes populations de l’Aïr). Mais chaque tribu peut avoir des particularités linguistiques et des « accents », comme par exemple les Itegeyan Kel Bagzan dont se moquent parfois les Igermadan Kel Bagzan. Certains termes viennent de l’arabe, du hawsa (haoussa) et du français ou d’origine plus lointaine (latine, punique, etc.). Sauf indications contraires, les noms temajeq sont donnés au masculin singulier, même si le terme correspondant en français est au pluriel, ceci encore afin de faciliter la lecture. Les termes commençant et finissant par un « t » sont généralement féminins, ceux qui débutent par la désinence en « i » et finissent en

« an » (au masculin) ou « en » (au féminin) sont habituellement pluriels. Par exemple emajegh, devient temajeq au féminin, imajeghan au masculin pluriel et tshimajeghen au féminin pluriel.

Quelques précisions sont utiles à faire à propos des noms géographiques ou des noms de groupes sociaux. La transcription des termes temajeq en français est très souvent fautive ; sur les cartes mais aussi dans les noms officiels de communes et de villages. Nous avons choisi de conserver l’orthographe officielle pour les noms de communes mais nous avons respecté autant que possible la prononciation Kel Ewey pour les autres lieux. Nous écrivons Timia, Tabelot et Iférouane mais il faudrait noter Tymya, Tabellot et Iferwan.

Nous avons opté pour la transcription « Kel Ewey ». Depuis Hornemann et Barth, la dénomination des Kel Ewey a été très variable : Kelouvy, Kel Oui, Kel Away, Kel Owey, etc.

Il en est de même pour le terme « Aïr » qui désigne une région géographique et une

« confédération » touarègue. On peut trouver dans la littérature Ayar, Ayer, Ayir, Ahir, etc.

Lorsque nous évoquerons la région, nous noterons Aïr ; pour la catégorie sociale Kel Ayer.

Le terme « Touareg » est issu de l’arabe et il n’est pas une auto-définition. Nous

l’avons conservé puisqu’il est désormais consacré ; il suit l’orthographe française. Les Kel

Ewey se disent imajeghan. Au sens strict, il signifie un individu issu d’une « tribu »

considérée comme « noble ». Au sens élargi, il désigne tout individu qui en applique les

valeurs et parlent la temajeq. La terminologie utilisée classiquement pour décrire les

catégories sociales touarègues n’est pas sans posée de problèmes. Les catégories

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emajegh/imajeghan, eneslem/inesleman, ameghid/imghad, éghawel/ighawélan, ekli/iklan, énad/inadan, etc. sont traduites habituellement par les termes de « nobles », « marabouts »,

« vassaux », « affranchis », « esclaves », « forgerons/artisans ». Il va sans dire que l’héritage de la métaphore médiévale employée par les explorateurs et les militaires coloniaux persiste à travers ce vocabulaire. Il faudrait plutôt parler des « aristocrates-guerriers », des « religieux », des « tributaires », etc. Nous les emploierons par facilité de langage mais sans présager d’un quelconque contenu les assimilant à celles des sociétés féodales européennes du moyen-âge.

De même, il ne faudrait pas écrire « tribu » pour traduire la catégorie tawshit, plutôt « groupe de descendance réel ou fictif ».

Le terme hawsa (« haoussa » ou « hausa ») de kori, très utilisé par les Touaregs mais aussi par tous les Nigériens parlant français, est pris comme un terme français, synonyme d’oued. Il n’y a pas de terme générique temajeq, même si le terme d’éghazer s’en rapproche.

Ce dernier peut désigner dans certains contextes tout type de kori mais il a la signification de

« mare », « marigot » dans l’Azawagh. Il est peu employé par les Kel Ewey puisque ces derniers utilisent préférentiellement le terme d’agoras pour désigner les grands koris (aux lits mineurs bien marqués et à la végétation arborée relativement abondante sur les rives, etc.) ; celui de talat pour les petits koris ; d’azza ou tyzzé pour les ravins escarpés comme la

« faille » d’Ighalabelaben.

(13)
(14)

I n t r o d u c t i o n g é n é r a l e

Octobre 2001, je descendais pour la première fois de la remorque du camion de la coopérative agricole de Tabelot, à plus de 1000 kilomètres au nord de la capitale du Niger, Niamey, et à plus de 140 kilomètres au nord-est d’Agadez, la ville principale de l’Aïr, aux confins sahélo-sahariens. J’ai attendu avec impatience l’arrivée sur le terrain, dont j’avais très souvent imaginé les paysages et les gens. Tabelot : une oasis, sorte d’îlot verdoyant qui devait contraster avec le désert stérile alentour, dont les sables menaceraient les premiers palmiers.

Les descendants d’esclaves s’activeraient nonchalamment dans les petites parcelles irriguées sous la palmeraie, vivant dans l’ombre des nomades, pasteurs nobles et hiératiques, qui rassembleraient non loin de là leurs chameaux après une dure journée de nomadisation. Le soleil qui décline puis disparaît, les foyers qui illuminent les campements de tentes animés par les cris des enfants et des animaux parqués après la traite du crépuscule… L’objectif initial de la recherche était d’étudier le nomadisme « traditionnel » et les transformations probablement irrémédiables opérées par la sédentarisation ; celle-ci étant engagée avec les processus de

« modernisation » liés notamment aux pratiques de développement et à l’insertion dans la mondialisation. Les résultats attendus porteraient sur une typologie des causes et des conséquences de la sédentarisation pour, en dernier lieu, définir la condition nomade par opposition à un état sédentaire ; l’hypothèse étant que la sédentarisation est la marque du processus qui conduit à la destruction des sociétés nomades.

Alors même que mes compagnons de voyage m’assurèrent que j’étais bien arrivé à

Tabelot, il m’était difficile de le concevoir. Mais quoi ! Les Touaregs Kel Ewey rencontrés

portaient bien des turbans mais où étaient les chameaux, où étaient le désert et ses dunes, où

étaient l’oasis et ses sources ? Comment qualifier le lieu où j’étais censé mettre à l’épreuve et

affûter mon regard de géographe ? Où étais-je ? La géographie de Tabelot ne m’était pas

qualifiable de façon immédiate. Cette réalité nouvelle, au-delà du choc, m’apparaissait

comme un bloc. Où commencent et où finissent l’oued, l’oasis, le village ? Comment décrire

ces quelques habitations légères ou « en dur » qui parsèment de loin en loin des espaces

(15)

dénudés de part et d’autre de jardins et de bras d’un oued, dont je n’arrivais pas à comprendre le tressage de ses différents lits de sable ? Où était cette île luxuriante contrastant avec le dénuement de la mer de sable qui l’environne et la menace ? Point de véritable palmeraie, peu de tentes, pas de dunes, peu d’animaux même ! Je ne distinguais pas d’esclaves noirs, ni de nomades nobles blancs ; mis à part quelques femmes dont le regard se dérobait, il n’y avait presque personne, tous les hommes étaient au jardin. Où étaient les nomades ? Mon premier sentiment, en arrivant dans ce qui allait être « mon village » pendant plusieurs mois, fut de l’incompréhension.

La première dune isolée est à Gorset, à deux heures de marche, où se trouvent aussi les plus proches familles de pasteurs semi-nomades. Les chameaux sont aux pâturages encore plus loin. Les dattiers sont peu nombreux dans les jardins. A la vue de ces « chambres » de boue séchée (banco) qui s’égrainent en ordre dispersé, étais-je même dans un village ? Cette oasis n’en est pas vraiment une ; elle ne répond pas à l’image assimilable que je m’en faisais, d’un lieu clos et plein, nettement identifié par opposition au désert. Ce n’est qu’une sorte de chapelet de jardins : un long cordon parfois interrompu de part et d’autre des bras du kori (oued en hawsa) au bord duquel s’égrainent des tentes en nattes, des « chambres » en banco, des cases en paille, des « hangars » de branchages formant des « concessions », elles-mêmes regroupées en quartiers, hameaux et/ou villages. Comment classer et hiérarchiser ces formes d’habitat et d’établissement appartenant à ce que je m’imaginais être des néo-sédentarisés ? Etait-ce là où vivaient ces fameux et fiers guerriers touaregs dont je ne distinguais pas la hiérarchie interne, ni n’apercevais l’apparence folklorique des « seigneurs du désert » ? Seul le voile de tête, même négligemment porté, me prouvait pourtant qu’il s’agissait de Touaregs.

La rencontre avec cet ailleurs lointain était loin de correspondre aux images et aux attentes que je me faisais avant de partir. Il me fallait donc trouver des clefs de compréhension pour se départir de ce malentendu initial. Je pressentais que cet écran à l’appréhension géographique de Tabelot était l’effet de la persistance en mon esprit de clichés et de stéréotypes propres à l’exotisme des « hommes bleus » et du désert. Je me doutais aussi que les catégories géographiques traditionnelles ne pouvaient s’adapter à ce qui m’était donné de découvrir.

Mais je ne m’attendais pas à ce que les catégories exotiques ne se conformassent point à ce qui s’offrait à ma vue. Aujourd’hui encore, il me paraît étonnant de parler de désert et d’oasis, de villages sédentaires et de campements nomades à propos de l’Aïr.

Les spécificités des Kel Ewey contrastaient avec l’image attendue des Touaregs mais

aussi avec l’opposition nomade/sédentaire. J’étais venu étudier le nomadisme résiduel et les

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conséquences probablement désastreuses de la sédentarisation et je me retrouvais avec des jardiniers mais aussi des pasteurs et des caravaniers, sans rupture nette entre ces genres de vie, plus ou moins sédentaires ou semi-nomades. Les Kel Ewey échappaient aux distinctions classiques.

Je n’avais donc pas le lieu et les Touaregs que j’espérais. Cette recherche a été le fruit de cette déconvenue initiale et a cherché à réduire ce sentiment diffus de malentendu face à une réalité qui me dépassait. Certes, l’expérience de l’ailleurs réserve toujours des surprises et des désillusions par rapport aux horizons d’attente. Et le retour a cela de constructif qu’il atténue le sentiment de déception et qu’il peut permettre de réviser certains jugements hâtifs.

Tout cela peut paraître banal si ce n’était à mon sens que ce malentendu trouvait très probablement son origine dans les catégories géographiques traditionnelles d’appréhension de la diversité saharienne. Les disqualifiaient-elles ? Après un premier séjour sur le terrain, je me suis senti démuni face à la diversité irréductible à mes propres catégories descriptives et analytiques. Pourtant, pour débuter l’écriture, il était nécessaire que je me raccroche à ces dernières. Une première ébauche opposait ainsi les oasis aux pâturages, le jardinage au pastoralisme, les villages aux campements, la sédentarité au nomadisme, etc. en expliquant la spécificité Kel Ewey par une adaptation spécifique à un milieu montagnard jugé favorable car permettant une diversification des activités économiques. A la limite, je pensais avoir à faire à des métis acculturés, des anciens nomades dont la misère, liée notamment aux sécheresses consécutives, les avait contraints à se sédentariser pour survivre. Bien entendu, il me fallait des catégories intermédiaires : les Touaregs Kel Ewey étant des agro-pasteurs, des semi- nomades en voie de sédentarisation ou sédentarisés. Toute une gradation et un passage d’une catégorie à une autre opéraient déjà un glissement vers une relativisation des catégories disciplinaires binaires. Car certaines lectures plus poussées et certaines indications issues de ce premier travail sur le terrain me paraissaient contredire les principes mêmes de la méthode employée.

Je me résolus donc d’une part à approfondir de l’intérieur ma connaissance de la

société touarègue, en particulier les Kel Ewey, et d’autre part à mieux faire ressortir les

fondements et les inerties des catégories géographiques d’appréhension de l’ailleurs,

notamment sahariennes, afin de mettre en distance celles constitutives de mon approche. Une

longue pratique de terrain m’a paru indissociable et complémentaire d’une forte réflexivité

disciplinaire.

(17)

Je me doutais que cette recherche de terrain me ferait progresser à petits pas, qu’il n’y aurait pas de grands mystères à résoudre. Il me fallait être curieux pour des faits apparemment anodins. J’optais pour une approche circonspecte du terrain, selon l’expression de Vincent Battesti (1998). Le quotidien devenait plus sobrement exotique à mesure que des relations étroites se tissaient avec ceux que je côtoyais. Les étonnements se faisaient plus menus et laissaient place peu à peu à des interrogations plus construites. Avec cette imprégnation, s’éveillaient des hypothèses à mesure que le sentiment de profusion de la réalité s’estompait.

Deux indices, fruits du terrain, ont servi de points de départ à l’analyse. Ils ont été pour moi deux grandes « révélations ». Elles ont conduit à ce travail de mise en doute des catégories géographiques qui a été un déblocage pour cette recherche. La première découverte a été de comprendre que l’Aïr n’est pas à proprement parler, pour les Touaregs qui y vivent, un massif montagneux. Plutôt qu’une région naturelle, l’Aïr est un secteur d’orientation situé au nord

1

. Pour ses habitants, l’Aïr est donc considéré comme un espace géographique, mais de façon relative, non pas absolument délimité. Pourtant, c’est aussi un espace politique sur lequel s’exerçait un pouvoir (celui du « sultan » de l’Aïr). Ces deux espaces ne chevauchent pas les limites « naturelles » des géographes. Je ne pouvais plus faire comme s’il existait une superposition d’une unité naturelle et d’une unité culturelle, l’Aïr et les Touaregs

2

. La seconde découverte a été de m’apercevoir que les Touaregs n’ont pas de termes pour désigner le nomadisme et la sédentarité. Cette opposition conceptuelle est étrangère à leurs catégories de pensée. Ils traduisent dans leur langue, la temajeq, le terme de « nomade » par celui d’amawal, qui signifie littéralement « celui qui surveille », le « gardien » (de troupeau), par extension le « pasteur » ; le terme de « sédentaire » par celui de anasfarag, littéralement

« celui de l’enclos », par extension du jardin, c’est-à-dire le jardinier

3

. Ces deux seules informations ont remis en cause ce que je croyais être les deux objets géographiques de cette recherche : la relation entre une unité naturelle, l’Aïr, et un couple socio-culturel, les nomades et les sédentaires. Je compris alors peu à peu que cet outillage conceptuel se révélait être un obstacle à l’appréhension d’une ailleurs aussi spécifique. Les Kel Ewey étaient sans aucun doute bien des Touaregs et s’ils n‘étaient certes pas des « vrais » nomades, étaient-ils pour autant des « purs » sédentaires ? Nomades, ils ne le sont pas, mais pire, l’ont-ils déjà été ?

1 Cette idée sera précisée plus loin. Voir aussi L. Gagnol et A. Morel (2003).

2 Le travail de Jean Gallais (1967) et de Denis Retaillé (1983) ont contribué à l’éclatement de la notion de région et de cette superposition au fondement de la géographie et de l’ethnologie classiques.

3 Nous utiliserons par la suite le seul terme de jardinier qui est appliqué traditionnellement aux travailleurs soigneux des petites parcelles irriguées des « oasis ». De même, nous utiliserons le terme de pasteur

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Semi-nomades ? Ou plutôt plus ou moins nomades et sédentaires à la fois ? Il fallait soupçonner bien des catégories pour décrire cette réalité ambiguë.

Pour lever ces blocages à la compréhension du terrain, il me fallait reposer des questions que je trouvais de plus en plus mal posées. Il devenait alors indispensable d’interroger à nouveau frais les catégories géographiques, et avant tout celles de nomade et de sédentaire. Plus qu’un simple détour historique, cet intérêt fondamental pour l’épistémologie de la pensée géographique a été nécessaire et capital pour mettre à distance un imaginaire disciplinaire qui a instruit le regard géographique sur le Sahara et les Touaregs

4

.

J’entrepris donc une histoire disciplinaire du traitement du nomadisme en général et de l’imaginaire disciplinaire saharien en particulier. Là aussi je découvrais qu’il fallait lever beaucoup d’ambiguïté. Pourquoi par exemple parler de sédentarité et non pas de « nomadité »

? Pourquoi existe-il un nomadisme et non pas un « sédentarisme » ? Tout se passe comme si le suffixe en –ité suffisait à qualifier la sédentarité comme condition humaine « normale », un état de choses complet et achevé. Tandis que le suffixe en -isme suffisait à rejeter le nomadisme dans une idéologie singulière, teintée de particularisme, de marginalité et d’inachèvement. Pourquoi conceptualise-t-on uniquement le passage de l’état nomade à la sédentarité et non pas le passage de l’état sédentaire à celui de nomade puisque les sens de sédentarisation et de nomadisation ne sont pas ou plus équivalents

5

? Pourquoi continuer à opposer aussi facilement nomade et sédentaire alors que l’on sait très bien que cette opposition est par trop manichéenne et que, dans le « réel », tout se joue dans l’entre-deux, tout étant « semi » ? Depuis le néolithique il n’y a pas de nomades sans sédentaires, de nomades sans relations de complémentarité avec des sociétés sédentaires ou des Etats (D.

Retaillé, 1998 et A. M. Khazanov, 1994). Comment le sédentaire en est-il venu à s’opposer progressivement au nomade ? Pourquoi le pasteur nomade a été détaché de ses animaux pour n’être plus que sans domicile fixe

6

, en compagnie du vagabond, du bohémien, du forain et du chasseur-pêcheur-collecteur ?

préférentiellement à celui d’éleveur, du fait de la haute valeur économique mais aussi sociale, culturelle, esthétique, etc. qui est associée au bétail dans la société touarègue.

4 Sur les stéréotypes et les phantasmes de l’exception africaine qui percolent en géographie, voir D. Retaillé (2004).

5 La sédentarisation désigne aujourd’hui un processus d’évolution dans le temps, tandis que la nomadisation est un processus d’évolution dans l’espace. Pourtant là encore il s’agit d’une restriction de sens du terme de nomadisation : dans certains textes de la première moitié du XXe siècle, on peut trouver le sens symétriquement inverse à celui de sédentarisation, de passage de l’état sédentaire à l’état de nomade.

6 La définition du nomade comme un peuple « sans habitation fixe », reprise dans tous les dictionnaires et toutes les encyclopédies, est présente dès la première édition du dictionnaire de l’Académie française en 1694.

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Voici par exemple ce que dit Hippocrate au début du Ve siècle avant J.-C. dans son célèbre Traité des airs, des eaux et des lieux à propos des Scythes, barbares considérés par les Anciens comme étant le prototype même du peuple nomade, à tel point qu’ils les appelaient par métonymie les Nomades (F. Hartog, 1980) : « Les Scythes sont flasques et trapus ; premièrement, parce qu’ils ne sont pas, comme les Egyptiens emmaillotés [dans leur enfance], usage qu’ils n’ont pas voulu adopter, afin de se tenir plus aisément à cheval ; secondairement, parce qu’ils mènent une vie sédentaire. Les garçons, tant qu’ils ne sont pas en état de monter à cheval, passent la plupart du temps assis dans les chariots, et ne marchent que fort rarement, à cause des migrations et des circuits [de ces hordes nomades] »

7

. Des nomades qui mènent une « vie sédentaire » ! Oxymore ! Ou plus précisément, une traduction qui aurait été moins savante et moins sensible à l’étymologie n’aurait pas transcrit par exemple « des nomades qui mènent une vie sédentaire » mais plutôt des « pasteurs en position assise », puisqu’en grec ancien, le terme d’où dérive celui de

« nomade » désignait à strictement parler un « pasteur », un « berger » ; celui de

« sédentaire », « celui qui est en position assise ». Les pasteurs Scythes qui étaient des cavaliers et dont l’habitation principale était un chariot, sont qualifiés ainsi de pasteurs, qui se tiennent la plupart du temps en position assise. Hippocrate explique d’ailleurs leur mollesse sexuelle par ce genre de vie particulier. Les Scythes sont donc bien des nomades sédentaires.

Par conséquent, un glissement et une extension sémantiques se sont produits depuis le temps d’Hippocrate

8

: ce qui était pour les Grecs anciens tout à fait recevable, est en effet considéré aujourd’hui comme un contresens. Nomade et sédentaire sont aujourd’hui deux notions antonymes qui désignent des réalités incompatibles.

Ce passage d’Hippocrate me rappelait alors que les Touaregs eux-mêmes emploient le terme gewer (s’asseoir, être en position assise) pour désigner le fait d’installer le campement, ou de s’établir dans un village ou dans une ville. S’asseoir, c’est se fixer, temporairement ou définitivement. Se lever (enker), c’est lever le camp et partir en migration pastorale

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. La métaphore est identique. Et comme chez les Grecs anciens, elle n’oppose pas celle du villageois à celle du pasteur qui « est sur » (ewer) sa monture et donc en position assise. Chez les Touaregs, la métaphore de la position assise et debout, l’opposition entre le pasteur et le

7 Dans les œuvres complètes (1853 : 215).

8 Voir E. Laroche, 1949

9 Tenekkert désigne la migration pastorale, la transhumance et la nomadisation. C’est aussi le nom temajeq employée pour la « cure salée » de la région des Tegidda et d’In Gall.

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jardinier, ne recoupent pas parfaitement celle entre le nomade et le sédentaire. Ce que l’on appelle aujourd’hui en français « nomadisme » et « sédentarité » n’est pas lexicalisé et sémantisé par les Touaregs et ne l’était pas au temps d’Hérodote ou d’Hippocrate par les Grecs : l’opposition entre nomades et sédentaires n’est pas perçue ou du moins est subordonnée à une conception autre et plus large de l’identité et de l’altérité. Les notions de sédentaire et de nomade sont donc plus complexes qu’il n’y paraît. Si les Touaregs ne se disent pas et surtout ne se pensent pas comme nomades par opposition à un état sédentaire, ou s’ils ne perçoivent pas leur différenciation interne par cette opposition, le discours géographique ne plaque t-il pas alors des catégories sur une réalité touarègue qui lui échappe ? Les malentendus auxquels je me confrontais à mon arrivée à Tabelot ne sont-ils pas le fruit de l’inertie d’un imaginaire disciplinaire toujours prégnant en géographie ? Car au moins depuis la fin du XVIIIe siècle, cette opposition de genres de vie va de soi. Les classifications se sont certes complexifiées, l’opposition devenant moins nette à mesure que les gradations et les évolutions entre ces deux pôles étaient définies. Les géographes classiques, notamment vidaliens puis tropicalistes, se sont attelés à cette tâche. Des suspicions et une relativisation de l’opposition certes, mais pas de réelle mise en question de la réduction en deux genres de vie objectivement identifiables.

Des lectures plus averties m’incitèrent à continuer sur cette voie, déjà en bonne partie balisée par Denis Retaillé (1998), André Bourgeot (1995) et d’autres. C’est, semble-t-il, le travail précurseur de Gilles Deleuze et Felix Guattari (1980) dans le Traité de nomadologie qui ont le plus contribué à fissurer le couple conceptuel nomade-sédentaire. Les catégories réifiées, héritées du positivisme et de l’évolutionnisme du XIXe siècle

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se sont depuis trouvées mises à mal et l’opposition s’en est trouvée complètement brouillée. L’idée du rôle dans l’histoire du conflit séculaire entre le sédentaire et le nomade, entre le laboureur et le berger, entre Caïn et Abel, n’est plus tout à fait d’actualité. Aujourd’hui, la métaphore du nomadisme enfle. Elle colle à l’air du temps et voit son sens s’étendre jusqu’à devenir synonyme de mobilité, d’adaptation et de transformation perpétuelles, en tant qu’attribut essentiel de notre condition « postmoderne »

11

. La lutte du nomade et du sédentaire se ferait en nous-même, travaillerait en profondeur nos propres sociétés : et au moment où se réveilleraient nos « pulsions » nomades

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, disparaîtraient malencontreusement les « derniers

10 « La première révolution humaine, le passage de la vie nomade à la vie sédentaire, demeure inachevée » (A.

Comte, 1852 : 316).

11 Par exemple M. Maffesoli (1997) et J. Attali (2003).

12 Selon M. Maffesoli (1997) ; il est vrai qu’il est difficile d’affirmer en retour qu’une pulsion casanière ait poussé les nomades à la sédentarisation…

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nomades »

13

. Par un retournement du sens de l’histoire, c’est comme si le nomadisme portait en lui et annonçait par-là les réalités du futur ; et la sédentarité, legs du passé, ne serait qu’un modèle dépassé symbole d’archaïsme. Pourquoi les nomades deviennent-ils, presque aussi subitement qu’ils disparaissent, sinon un modèle à suivre, du moins une image et une leçon certes dépassées mais simultanément prémonitoires des changements en cours et à venir, comme déjà suradaptés à une condition postmoderne qui se dessine à l’échelle mondiale ? La métaphore de l’espace fluide, de la circulation généralisée et du nomadisme, appliquée à la vie métropolitaine et à la mondialisation, n’est-elle pas un discours qui suppose pour le moins de savoir ce qu’est le nomadisme traditionnel et ce sur quoi repose cette métaphore ou comparaison ? Bien au contraire, c’est en tant que signifiant flottant

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que le nomadisme semble permettre d’évoquer pour certains les évolutions actuelles de notre (post)modernité.

Travailler de près cette question peut révéler bien des enjeux contemporains, enfouis sous la métaphore du nomadisme.

Mais pourquoi définit-on aujourd’hui encore les Touaregs comme des nomades, alors que ces derniers semblent représenter aujourd’hui une minorité ? Parce que les catégories ont la vie dure, parce qu’on a besoin du nomade en tant qu’il permet de dire des choses sur nous- mêmes. Pour se départir de cet imaginaire qui construit notre regard de géographe, il fallait mettre à distance le terrain en s’armant d’épistémologie critique. La mise à jour des fondements, des transformations et de l’inertie de cet imaginaire devant nous permettre de jeter un regard plus neuf sur le terrain et en retour de mettre à l’épreuve ses catégories constitutives. D’autres questions ont surgi : les Touaregs ne peuvent-ils être que nomades ? Qu’est-ce qu’alors que des Touaregs sédentarisés ? Si le nomadisme comporte des éléments de sédentarité, et inversement la sédentarité des éléments mobiles, comment les définir ? A partir de quels critères peut-on définir le genre de vie nomade ? La mobilité et la flexibilité suffisent-elles ? Mais alors pourrait-on dire qu’un homme d’affaire est plus nomade qu’un pasteur semi-nomade qui est casanier sur son terrain de parcours ou qui est fixé à sa palmeraie pendant quelques mois ? Quelles sont les conditions de la sédentarisation ? Ses effets ? Le développement, même durable, ne peut-il être que sédentaire ? Existe t-il un développement durable possible du nomadisme ? Comment intervenir en milieu nomade ? L’aménagement ne peut-il être que sédentaire ?

13 P. Denis (1989).

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Face à cette profusion de questionnements, le parti pris de cette recherche a été de faire jouer les éléments de réponse à toutes les échelles, du local au global. Mais, résolument, une primauté heuristique a été donnée à l’apport empirique du terrain, issu d’une étude

« micro-géographique » des Touaregs Kel Ewey. Plusieurs séjours sur le terrain ont donc cherché à dissoudre ces malentendus, reposer les questions en soulevant de nouveaux problèmes et suggérer de nouvelles réponses. Le questionnement central s’est resserré autour de cette notion de sédentarisation, paraissant à la fois évidente, mais aussi ambiguë et par certains aspects tautologique : les éléments qui garantiraient des conditions d’apparition de la sédentarisation ne sont ainsi pas autre chose que ceux qui témoignent des conséquences de la sédentarisation, à savoir la maison fixe, le village, le jardin. Mais si l’on s’aperçoit que le nomadisme incorpore ces éléments sédentaires, qu’est-ce qui fait que l’on peut encore parler de sédentarité (et de nomadisme) ? Comment dès lors concevoir le nomadisme à partir du moment où il produirait en interne un processus continu ou cyclique de sédentarisation qui n’implique pas forcément de ruptures socio-culturelles nettes et brutales, tandis qu’un retour à la vie « purement » nomade, sans maisons ni jardins, est toujours possible ? L’hypothèse centrale s’appuie sur le postulat selon lequel ces signes manifestes de la sédentarisation sont trompeurs et que le seuil de rupture, s’il existe, est ailleurs.

Pour répondre à ce questionnement central, aux faits empiriques dégagés par le terrain, s’ajoutent de façon complémentaire une « archéologie » de la géographie pour comprendre les nœuds de blocage disciplinaire et une « archéologie » du nomadisme pour comprendre les conditions de construction du fait nomade en opposition au fait sédentaire. Ces deux

« fouilles » épistémologiques ont été réalisées dans le but final de passer d’une géographie du nomadisme et de la sédentarisation à une géographie nomade.

Il peut en outre sembler paradoxal de consacrer toute une première partie, c’est-à-dire près de la moitié de la thèse, à une histoire et à une épistémologie de la pensée géographique.

Cette recherche, nous en avons conscience, mobilise différents champs et thèmes de recherche qu’il n’est a priori peut-être pas si évident de croiser. Il semble difficile de concevoir ce qu’Hippocrate peut nous apprendre sur les Touaregs : en quoi évoquer cette doctrine oubliée des articulations littorales, vieille de deux siècles voire de deux millénaires, peut aider à la compréhension du nomadisme saharien ? Parce que cette réflexivité a été la condition de possibilité heuristique de cette micro-géographie. Cet engagement dans une démarche abductive, qui ne dissocie pas la démarche empirique d’une réflexion sur les catégories

14 Selon l’expression de C. Lévi-Strauss (1950) qui évoque un trop plein de signifié pour la pensée.

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d’analyse, n’a ainsi pas fait l’économie d’une forte réflexivité sur la construction du savoir géographique, pour au moins deux raisons.

D’une part parce que nous n’avons pas cherché à réaliser une monographie sur les Touaregs Kel Ewey. L’horizon d’une reconstruction théorique du nomadisme a toujours été le but ultime de cette recherche. Il est alors indispensable de disposer d’un recul disciplinaire et de clefs de comparaison et de construction théorique. Mais plutôt que de chercher à faire une

« géographie générale et comparée » ou « globale », en réduisant la diversité initiale, nous avons réalisé le pari inverse selon lequel l’expérience Kel Ewey contient des éléments riches d’enseignements et qui peuvent nous faire remonter jusqu’aux enjeux théoriques globaux.

L’idée générale à laquelle se tient et qu’applique cette thèse est que seule une démarche abductive peut contenir des éléments de mise à l’épreuve de nos catégories d’appréhension du réel, à condition qu’elle se réalise dans un cadre réflexif général. Le terrain est un test pour valider l’ajustement à l’échelle locale des catégories descriptives et explicatives employées à l’échelle globale. Mais les enseignements du terrain ne sauraient être pertinents sans une réflexion poussée sur les fondements épistémologiques de la connaissance géographique. La construction de la généralisation ne doit pas échapper à l’épreuve des faits, lesquels doivent être eux-mêmes mis en doute. Il s’agit donc de comprendre les fondements des catégories géographiques parce qu’Olivier Soubeyran (1997) a appelé l’ « imaginaire disciplinaire ». La mise à distance des fondements constitutifs du savoir géographique a permis d’identifier les nœuds de blocage d’une connaissance empirique de l’expérience géohistorique et de la territorialité Kel Ewey.

Figure 1 : Tableau méthodologique de la thèse : un mode réflexif de la construction du savoir géographique.

Etonnements et données brutes : enseignements du terrain

Mise en péril des catégories et retour sur l’imaginaire disciplinaire

Retour sur le terrain et approfondissement de ses enseignements

Réexamen de l’imaginaire disciplinaire

Reconstruction théorique

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Cette gymnastique intellectuelle entre épistémologie et « réalité » empirique, pouvant passer pour une succession de grands écarts hasardeux, a contribué à mettre en doute ce qui paraissait aller de soi ou même ce qui paraissait être le postulat de base à partir duquel se développerait l’interprétation. Ce qui était non questionnable est devenu le nœud du problème : l’opposition nomade-sédentaire et plus particulièrement l’explication des changements en terme de sédentarisation.

D’autre part, les Touaregs sont un exemple des plus pertinents pour aborder les fondements imaginaires du savoir géographique. Quel meilleur exemple en effet que celui des

« hommes bleus », nomades du désert saharien, pour évoquer cet imaginaire de l’ailleurs et pour aborder ces enjeux à l’heure du post-colonialisme, du développement durable et des revendications des peuples autochtones ? Les Touaregs en général cristallisent cette attirance/répulsion pour l’ailleurs. Mais plus qu’à l’imaginaire exotique et aux imageries coloniales, qui ont eu leur part dans l’élaboration de la géographie saharienne, nous nous intéresserons plus précisément aux conditions de la construction disciplinaire du savoir géographique. Le Sahara, en tant qu’il a été considéré comme un milieu extrême et simple, a été un laboratoire pour le savoir géographique qui a pu mettre en application ses doctrines. Y sont plus facilement décelables les continuités, les transformations, les strates de savoir qui se superposent, les passages des unes aux autres, etc. Nous nous proposons ainsi de faire une sorte d’archéologie du savoir géographique saharien, à la lumière de l’évolution des doctrines géographiques. De plus, les Kel Ewey nous offrent un cas particulièrement exemplaire d’un genre de vie irréductible à l’opposition nomade-sédentaire. Nous verrons en quoi les spécificités Kel Ewey ont toujours été considérées comme un contre-exemple dans l’imaginaire disciplinaire. Le topos de la sédentarisation qui s’est progressivement imposé dans l’analyse géographique a pu être mis à l’épreuve de l’expérience géohistorique et de la territorialité Kel Ewey, objet principal de notre travail de terrain. L’étude du cas Kel Ewey possède ainsi en propre une portée subversive qui s’est accordée précisément aux objectifs de cette recherche. Ces derniers se sont progressivement affinés par le contact du terrain : ce sont les enseignements contre-intuitifs issus du terrain qui ont favorisé et même exigé l’élaboration d’une démarche épistémologique critique.

Cette recherche articule donc plusieurs ambitions, épistémologique mais aussi

descriptive, théorique mais avec une dimension stratégique. Sa démarche est le fruit d’une

réflexivité disciplinaire, d’un travail empirique, d’une construction théorique et d’un horizon

stratégique dont les enjeux portent sur les conditions de l’action en milieu nomade. Chacune

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de ces dimensions aurait pu constituer séparément une recherche autonome. Mais l’idée-force est de les considérer comme complémentaires et qu’elles s’alimentent entre elles. L’esprit géographique, pour reprendre une expression chère à Vidal de la Blache, insufflé à cette recherche et qui qualifie le mieux cette démarche peut être plus précisément défini par le vocable d’anthropogéographie. Ce terme, créé par Ratzel dans son ouvrage éponyme (1882- 1891), a été repris plus récemment par Jean Malaurie

15

. En proposant d’actualiser cette expression, il ne s’agit pas de se placer directement dans l’héritage de Ratzel. De la même manière que la géopolitique a pu être expurgée de ces présupposés et être ainsi réhabilitée, cette recherche consiste à étudier dans la profondeur historique le programme constitutif de la géographique dès ses origines grecques, celui des rapports des sociétés humaines à l’écoumène. Nous pensons que ce programme, lié en partie aux théories du milieu en géographie, est aujourd’hui assez largement abandonné par la discipline. Les rapports hommes/milieux ne sont-ils pas toujours traités avec suspicion ? Ne sont-ils pas souvent considérés à partir d’une image poussiéreuse de la géographie, hantée par le spectre du déterminisme ? Pourtant, depuis quelques années, les approches par le milieu n’ont paradoxalement jamais été aussi centrales et novatrices dans les sciences humaines. De même, la géographie physique s’est très largement ouverte sur les problématiques de l’aménagement et du développement (I. Bouzou Moussa, 2000). Certains auteurs néanmoins ont fait valoir la légitimité scientifique de la géographie à appréhender les enjeux des questions environnementales soulevées par le changement climatique et le développement durable

16

. Ce potentiel novateur est aussi reconnu par certains auteurs qui réinscrivent la démarche géographique au sein des théories du milieu et particulièrement de la géohistoire

17

pour comprendre les logiques spatiales et environnementales de la mondialisation sur la longue durée.

L’anthropogéographie est donc la perspective à partir de laquelle cette recherche a tenté de s’inscrire dans les débats actuels qui gravitent autour de la géohistoire, des théories du milieu, de l’histoire globale et connectée qui traverse les sciences humaines et stimulent la géographie. Autant d’appellations qui désignent un champ faisant à nouveau surface dans les sciences humaines et sociales et qui est en voie de stabilisation. Cette recherche, par sa réflexivité disciplinaire et sa méthode, entend apporter sa contribution à ces thèmes

15 J. Malaurie (1971). J. Malaurie est géomorphologue de formation. Ses premiers travaux géographiques ont porté sur le désert saharien, en particulier l’Ahaggar. Par la suite, ses recherches en Arctique, qu’il a qualifiées d’anthropogéographiques, ont souvent associé l’ethnologie, l’histoire, l’archéologie et la géographie.

16 Voir notamment les travaux de V. Berdoulay et d’O. Soubeyran (2000).

17 Représentée en particulier par les travaux de Ch. Grataloup (1996 et 2007).

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d’actualité, en cherchant à faire valoir la légitimité de la géographie. En outre, elle se situe clairement au sein de la géographie culturelle et des études dites postcoloniales.

L’anthropogéographie constitue, selon le point de vue développé dans cette thèse, le socle fondamental sur lequel s’est bâti un programme disciplinaire propre à la géographie, considéré comme savoir sur l’ailleurs. Ce terme d’anthropogéographie désigne ainsi le discours sur la mise en relation de la diversité géographique avec la multitude des expériences spatiales des sociétés humaines. Le discours anthropogéographique a certes évolué depuis ses racines grecques et, à travers la mise en exergue de sa généalogie, nous montrerons ses transformations et ses inerties. En outre, l’utilisation de ce vocable traduit un certain glissement de la perspective classique en géographie concernant l’appréhension des rapports des hommes à leurs milieux. L’approche anthropogéographique classique, qualifiée de chorologique, est ainsi reconsidérée à partir d’une méthode qui se fonde sur une étude de terrain « micro-géographique », à savoir une ethnogéographie.

Si l’anthropogéographie s’apparente au programme scientifique constitutif de la géographique en tant que savoir disciplinaire, l’ethnogéographie apparaît comme une méthode alternative à l’approche classique chorologique. Le point crucial de divergence entre les deux approches repose sur le statut du découpage terrestre, c’est-à-dire de l’unité spatiale de référence pour la mise en relation des conditions géographiques et des faits sociaux.

L’histoire de l’anthropogéographie tient dans la définition en creux qui parcourt toute la discipline, celle de fonder sur des bases scientifiques le meilleur découpage possible de l’espace pour en inférer des bases interprétatives des particularités des sociétés humaines.

Cette recherche toujours recommencée du découpage terrestre pertinent est marquée par des auteurs tels que Strabon, Buache, Ritter et Vidal de la Blache, qui ont transmis, tout en la transformant, ce que nous avons appelé la doctrine chorologique. En nous arrêtant sur ces auteurs clefs, nous montrerons comment l’approche chorologique

18

a été le postulat indispensable et irrécusable de l’anthropogéographie jusqu’à très récemment et qu’elle se perpétue dans l’imaginaire disciplinaire, notamment dans l’opposition nomade-sédentaire.

L’approche ethnogéographique tente, quant à elle, d’aborder l’irréductible diversité géographique à partir des sociétés qui l’appréhendent et la vivent différemment. Ce qui était un postulat est considéré comme un problème ou plus précisément un blocage à contourner.

Cette dialectique entre anthropogéographie et ethnogéographie se fonde sur les

distinctions établies par C. Lévi-Strauss (1958). Depuis que ce dernier a importé ce terme des

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Etats-Unis, l’anthropologie se rapporte à une connaissance globale des sociétés humaines dans toute son extension géographique et historique. L’ethnographie correspond au premier stade de la recherche par un travail sur le terrain (observation participante et description).

L’ethnologie est le premier pas vers la synthèse, opérée dans trois directions : géographique, historique, systématique. C'est la comparaison des expériences des sociétés dans leurs différences et leurs ressemblances (C. Lévi-Strauss, 1973). De la même façon, l’anthropogéographie se rapporte à une connaissance globale des rapports des sociétés humaines à leurs habitats terrestres, tandis que l’ethnogéographie est l’approche décentrée (D.

Retaillé, 1995) par laquelle sont mis en lumière les caractères spécifiques des sociétés relatifs à l’appréhension et l’exploitation de leur habitat, au sens le plus général de milieu. La mise en parallèle des discontinuités naturelles et spatiales avec et du point de vue des discontinuités culturelles (inter- et intra-sociaux), fondée sur une posture comparatiste, permet de prendre véritablement en compte les distances relatives, aussi bien spatiales que culturelles. Pour résumer, la méthode ethnogéographique considère l’ailleurs, en tant que mode d’objectivation du matériel, sans présager d’une unité spatiale délimitée. Cela d’autant plus que notre objet d’étude porte sur la société touarègue pastorale et caravanière et dite nomade ou semi- nomade.

La prise en compte des différenciations spatiales appréhendées du point de vue de la société étudiée rompt avec l’a priori classique fondé sur la délimitation d’un objet d’étude se moulant dans un cadre spatial. Cette possibilité nouvelle de penser la superposition et l’indifférenciation spatiales, ainsi que la mobilité, permet d’imaginer une « géographie nomade » qui ne soit plus une géographie appliquée au nomadisme. Des auteurs comme J.

Gallais, E. Bernus et plus tard D. Retaillé ont ouvert la voie en ce sens. Elle permet en outre de questionner l’opposition nomade/sédentaire et le fait d’analyser les changements en terme de sédentarisation (et inversement de considérer la sédentarisation uniquement dans une perspective de changement). L’objectif plus général est d’être mieux à même de décrire des réalités spatiales mouvantes et flexibles, chez les nomades « traditionnels » eux-mêmes, mais aussi dans nos sociétés contemporaines. Le nomadisme peut être un modèle exemplaire pour tester la fécondité de nouveaux concepts et outils qui ont pour ambition de rendre intelligible les rapports qui s’instaurent ou se transforment entre territoires et pouvoirs. Il s’agit donc de contribuer à construire une « géographie nomade » de façon contrôlée, circonspecte et précise à nos sociétés dites postmodernes ; l’idée essentielle étant de penser la territorialité hors de

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