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Cosandey traite ainsi de la valeur des faits géographiques en eux-mêmes, des atouts

et des inconvénients de telle forme géographique

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. Il est des avantages thalassographiques

suppléés par des « avantages topographiques », de nature « géomorphologique » (sic) : les

fleuves encouragent les transports et le commerce, les montagnes « améliorent la définition

d’espaces naturels » et forment des frontières naturelles protectrices, nécessaires pour la

constitution et le maintien d’Etats. Les faveurs et les limites naturelles qu’offre la nature

généreuse de l’Europe ont donc permis la constitution et la stabilisation d’un système Etats

multiples. Ainsi « les Pyrénées complètent à merveille les frontières maritimes dont dispose

la péninsule ibérique pour déterminer l’espace hispano-portugais (…). Les Pyrénées, les

Alpes et le Jura s’adjoignent aux mers pour délimiter ce qu’on appellera la France » (p. 518).

Les destinées historiques des Etats semblent vouées à se mouler dans des cadres naturels

32 Ch. Brun le consent au détour d’une phrase : « Cosandey ne s’est pas étendu outre-mesure sur cette question

des modalités géographiques de la formation durable du système d’Etats prospère portée par la thalassographie articulée européenne » (p. 65-66).

33 Enumération citée dans le compte-rendu agacé d’Albert Demangeon (1923) de l’ouvrage de Febvre.

34 Ce que Febvre dénonce en tant que « préjugé graphique ». « La forme n’est pas créatrice par elle-même » (op. cit. : 233) ; « Car l’idée que les peuples (…) se font de leur situation géographique et de ses caractéristiques et

prédestinés

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. Ce faisant, la notion de frontière naturelle est réhabilitée. Ainsi « tout laisse à

penser que la thalassographie articulée de l’Europe est responsable de sa division politique

stable. Les Etats partiels les plus anciens, les premiers formés et les plus durables du

continent, se situent tous en des zones prédéterminées par les contours du littoral, c’est-à-dire

en des péninsules, des presqu’îles ou des îles » (p. 514-515). Enfin, l’isolement explique

l’archaïsme

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, l’ouverture et l’échange prédisposent au progrès. Les pays enclavés restent à

l’écart des mouvements commerciaux et donc du progrès. A l’inverse « la thalassographie

européenne a accru la circulation des hommes et des idées. Elle a mis chaque région en

contact avec toutes les autres, concourant ainsi au développement harmonieux de la

civilisation occidentale entière » (p. 513). Tout se passe dans cette synthèse rétrospective

comme si cela ne pouvait pas se passer autrement ; si l’Europe est supérieure techniquement

et scientifiquement, si l’humanité est une et que les cultures sont toutes aptes au progrès, alors

ce sont les conditions géographiques qui président au développement inégal des

civilisations

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. Puisque l’Europe présente un littoral articulé, alors il suffit de détailler comme

avantage décisif toutes les particularités de sa configuration géographique. La démonstration

devient prospective en changeant d’échelle, puisque l’évolution de l’humanité serait une

découverte progressive de la Terre puis de l’Espace. Il suffit alors « d’analyser les qualités

géomorphologiques de notre environnement spatial », de juger de la qualité de la

configuration du système de planètes, en somme d’analyser la « planétographie articulée » de

35 On est proche ici de la « mystique » rittérienne, de cette harmonie naturelle entre le Tout terrestre et les individualités géographiques. Ce que Febvre critique en tant que « préjugé de prédestination » : « Qui dit limite

naturelle dit limite prédestinée – idéal à conquérir ou à réaliser » (op. cit. : 325). Dans son commentaire de

l’œuvre de D. Cosandey, le général P. M. Gallois (2003) réhabilite d’ailleurs explicitement cette idée de prédestination géographique de la France. Il conclut en outre sur son opposition à l’élargissement de l’Union européenne en légitimant scientifiquement son souverainisme par la théorie de D. Cosandey : « Adieu à la

diversité enrichissante, aux rivalités stimulantes évoquées par David Cosandey pour faire place à la grisaille « babelisante » agissant sous une demi-volonté. Triste siècle et bien mélancolique pavane pour une République défunte ». Les justifications idéologiques que l’on peut tirer aisément du Secret de l’Occident ne sont sans doute

pas pour rien dans sa bonne réception médiatique et politique.

36 « La notion d’ouverture n’a qu’une valeur relative en géographie puisque l’action de l’homme peut rendre

mobile et ouvert ce qui jadis semblait naturellement immobile et fermé » (Demangeon, op. cit. : 166).

37 J. Brasseul (op. cit.) ne dit pas autre chose dans son apologie déterministe de l’essai de D. Cosandey : « La

théorie de Cosandey comporte un socle extrêmement solide parce qu'il est permanent. Ce socle est la géographie, les conditions naturelles initiales. Si les diverses civilisations de la planète sont différentes, comment expliquer ces différences sinon par des conditions variées du milieu physique ? L'aspect torturé de la géographie européenne rend compte de la diversité des nations du continent; la forme de cercle immense de la Chine explique la domination des tendances centripètes et centralisatrices, la permanence au cours de trois mille ans d'histoire d'empires unifiés, et l'impossibilité pour diverses "nations chinoises" de s'affirmer ; les conditions géographiques difficiles de l'Afrique noire et son isolement sont de même à l'origine du retard technique et économique ; le caractère aride des régions dominées par l'Islam et leur disposition géographique expliquent aussi en grande partie l'évolution des pays musulmans, etc. La géographie est intemporelle et le face à face des peuples avec des milieux différents constitue un excellent point de départ pour expliquer les divergences dans l'évolution des civilisations créées par l'humanité ».

notre système solaire, puisque « l’interface continent-océan se convertit assez naturellement

en interface planète-espace » (p. 817). Alors qu’il n’y a plus de socle thalassographique à

découvrir et exploiter sur Terre, que l’articulation planétographique n’est pas favorable dans

notre système solaire, D. Cosandey nous invite à conclure qu’il faudra compter plutôt sur un

système stellaire voisin plus articulé, où « il se peut même que des créatures intelligentes y

vivent » (p. 836).

A trop vouloir détacher les sciences humaines de leurs fondements épistémologiques

en les réduisant à une pseudo-démarche expérimentale, D. Cosandey en arrive à réhabiliter les

anciennes apories auxquelles il croit pouvoir échapper. Les néologismes n’y font rien : noyer

la réflexion dans le flot des exemples historiques, sans refonte épistémologique, conduit aux

mêmes impasses. Enfin, en utilisant les arguments possibilistes pour contrer les accusations

de déterminisme, Ch. Brun, qui vise à légitimer dans le discours disciplinaire les ambitions

synthétiques trop imprudentes de D. Cosandey, en revient alors à la vieille lune qui veut que

l’on dénonce ce dont on ne peut pas se passer. « Ainsi continuent de se poser dans la forme

traditionnelle des problèmes que le temps rajeunit » (Febvre, op. cit. : 71).

Nous avons déjà évoqué dans notre compte-rendu critique le succès de l’ouvrage de D.

Cosandey dans la presse. Selon le philosophe R.-P. Droit, le Secret de l’occident est d’une

« grande originalité » ; sa « théorie du développement culturel [est] tout à fait singulière » et

n’a « rien à voir avec un déterminisme strict »

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. D’ailleurs D. Cosandey n’est-il pas, selon E.

Le Roy Ladurie, le « fidèle continuateur de Braudel »

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? Pour l’économiste J. Brasseul

(1998), « il s'agit donc d'un travail brillant et original qui permet une meilleure

compréhension de l'évolution historique, qui fournit une réponse séduisante à la question :

comment en est-on arrivé là ? » et qui fournit « une bibliographie, très complète sur la

question ». La réception a toutefois été plus critique dans des revues scientifiques telles que

New Scientist et La Recherche

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, dont les comptes-rendus dénoncent la réduction de l’analyse

historique à quelques facteurs généraux. Depuis la parution de notre compte-rendu, la revue

Sciences Humaines s’est fait l’écho du Secret de l’occident à plusieurs reprises. Il a eu droit à

deux recensions, deux interviews et une invitation à un colloque à Cerisy en septembre 2008

sur le thème des philosophies de l’histoire. Sa contribution était intitulée : « La théorie du

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Le Monde des livres du 05-10-2007 (p.8).

39 « La conquête de l’Ouest de Braudel » Le Figaro Littéraire du 13-03-98.

40 Voir les objections d’A. Parienty parues dans La Recherche (1998) et celle de P. Fara dans New Scientist : « This zany attempt at a triumphalist Plato to NATO account provides a salutary reminder that finding new ways

système d'États stable et prospère: une philosophie de l'histoire réussie ? »

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. Il n’est

évidemment pas le seul auteur à proposer des synthèses historiques dont les fondements

explicatifs relèvent en partie des théories des milieux. En témoignent les nombreuses

références actuelles que lui-même et surtout son préfacier convoquent. Depuis une quinzaine

d’années, essentiellement dans le monde anglo-saxon, il existe tout un courant de recherche

de « world history », « global history », « big history », qui domine les ventes de livres

d’histoire, dont l’expression équivalente en français s’impose comme celle d’« histoire

globale ». Ce courant s’attache notamment, dans la tradition braudélienne, à comprendre les

racines historiques de la mondialisation et des écarts de niveaux de développement. Le

courant de la « connected history » s’en distingue en s’amarrant plutôt dans les « postcolonial

studies ». Il faut aussi y ajouter des ouvrages généraux de géopolitique ou plus sensibles à

l’environnement, par exemple les livres à succès d’Huntington (1997) et de J. Diamond (2000

et 2006). Un numéro spécial de la revue Sciences Humaines, de la Revue d’histoire

contemporaine et du Débat ont proposé une vision d’ensemble très récemment

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. Ce courant